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“Cartographie d’une nuit” : Léna Osseyran, de l’architecture à la scène

  • Dernière modification de la publication :17 juillet 2023
  • Post category:Culture / Recherche / Vie de campus

Titulaire d’un diplôme d’architecture de l’Académie libanaise des beaux-arts (2016), Léna Osseyran aime explorer les territoires communs entre le théâtre et l’architecture. Elle mène aujourd’hui ses recherches à l’université de Caen Normandie et à l’ESADHAR dans le cadre d’une thèse RADIAN au LASLAR. Vivant entre le Liban et la France, c’est à l’université d’Avignon que nous la retrouverons les 12 & 13 juillet 2023, où elle présentera Cartographie d’une Nuit avec la compagnie La nuit sera feu, dans le cadre du festival d’Avignon. Ce spectacle est lauréat du concours national de théâtre étudiant 2023 organisé par le Crous.

Architecte, metteuse en scène et maintenant doctorante ! Que vous apportent vos recherches menées dans le cadre du programme RADIAN ?

Le programme RADIAN est l’un des rares programmes en France favorisant une approche créative de la recherche pour les artistes, auteurs, designers et architectes. Je suis extrêmement reconnaissante de l’existence de ce programme de recherche-création qui répond au besoin crucial des artistes et des scientifiques de raisonner et de produire de nouvelles connaissances à travers la pratique.

Il offre également l’opportunité de documenter notre parcours créatif, non pas pour généraliser des modèles, mais pour comprendre les rencontres significatives qui se produisent au sein de nos parcours singuliers. Ma thèse est menée en codirection avec Romain Jobez, professeur en études théâtrales au laboratoire LASLAR, et Edith Doove de l’École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen. Entreprendre une thèse est l’occasion de dédier le temps nécessaire à l’approfondissement de ma recherche et à l’articulation des disciplines qui me passionnent. Cela a répondu à mon besoin de décoder les phénomènes sous-jacents aux choix que nous faisons dans nos œuvres, souvent de façon inconsciente ou aléatoire. De plus, la possibilité d’être guidée par des spécialistes dans la recherche est un atout inestimable.

Quelles sont vos recherches en cours ?

Mon travail se concentre sur la représentation du corps dévasté et des villes dans le théâtre, et la création d’éléments dramaturgiques dans des formes théâtrales contemporaines et des configurations architecturales atypiques. L’objectif de ma recherche est de découvrir les moyens d’expression les plus efficaces pour révéler les relations perturbées entre l’intime, le monde et sa représentation. Ma thèse pose deux questions principales : Comment le théâtre peut-il se transformer en laboratoire d’expérimentation qui puise dans les arts et les sciences ? Et comment le théâtre et la performance peuvent-ils contribuer à la recherche empirique sur les expériences spatiales qui impactent le corps ? Ma démarche de recherche est transdisciplinaire, englobant des éléments des neurosciences, de l’architecture cet de l’informatique afin d’enrichir mon travail.

Le spectacle “Cartographie d’une Nuit”, lauréat du concours national de création étudiante 2023, sera présenté à Avignon. Quelques mots sur cette pièce de théâtre, que vous mettez en scène ?

Ce projet est mené en collaboration avec la compagnie La Nuit Sera Feu, que j’ai co-fondée. Caen, pour moi, ressemble à Beyrouth, une ville détruite, située près de la mer, qui porte une tragédie dans son histoire. Il est donc devenu clair, dès le début, que notre premier projet partirait de Caen et de Beyrouth et ferait écho à diverses époques. Dans la pièce, nous parlons français, allemand, un peu arabe et citons des poèmes de Mahmoud Darwish. Mais nous explorons également le langage universel, en travaillant sur la voix qui n’appartient à aucune culture précise, tout en faisant référence à plusieurs cultures. Bien que l’histoire de la pièce se concentre sur Caen, c’est une cartographie qui s’étend à plusieurs villes aujourd’hui. Ce qui m’a intéressée dès le départ, c’est l’écriture à partir des sites et des lieux. La première représentation s’est tenue en décembre 2022 en l’église Saint-Nicolas de Caen. L’architecture et l’histoire de cette église, qui a servi de refuge pour les Caennais lors des bombardements de la Bataille de Normandie, ont grandement inspiré l’écriture de la pièce.

Quelle place prend cet espace dans votre mise en scène ?

L’église Saint-Nicolas se prête comme une scénographie à partir de laquelle je construis des potentiels espaces : les colonnes, les vitraux, la hauteur des dalles, la dimension de l’espace et les couloirs se transforment en des ruelles, des impasses, des niches, des maisons, une chambre intime, un lieu d’abri et des espaces psychiques. Par exemple les couloirs de l’église constituent un espace labyrinthique qui nous ont permis, avec l’équipe, de construire les scènes. L’écriture de notre spectacle est réalisée à partir de l’église et se fait à travers une reconstruction de son atmosphère, une recherche sur la relation intentionnelle de l’objet, le corps et l’architecture. L’architecture devient ici un objet performant. Cet équilibre entre l’espace et le corps se crée à partir des dispositifs scéniques de l’église et du corps des acteurs ainsi que des spectateurs dont les comportements et réactions sont prédictibles. Les églises portent en elles l’histoire humaine et collective, agissant à la fois comme des archives et des témoins de la pensée. En pénétrant dans une église, un visiteur voit son comportement changer : le silence devient prédominant, son corps s’oriente vers le haut, ses mouvements se ralentissent et son regard se lève. Le philosophe Gernot Böhme décrit parfaitement cette expérience du sublime que l’on peut ressentir face à ces édifices imposants, en contraste avec les limites de notre propre corps. Böhme tente d’évoquer le “sentiment océanique”, qui est un concept désignant un sentiment d’unité et d’immensité, une profonde connexion avec l’univers et un sentiment de dissolution des limites entre soi et le monde extérieur. Il peut se manifester lors de la contemplation de paysages vastes et impressionnants. C’est une sensation d’appartenance à quelque chose de plus grand que soi, une fusion avec l’infini.

Quels sont vos projets à venir ?

Remporter le concours national de création étudiante nous ouvre les portes du Festival d’Avignon, où nous donnerons deux représentations cet été. C’est extrêmement gratifiant de voir que le premier projet de notre compagnie – ainsi que ma première mise en scène en France – a réussi à toucher les spectateurs et les juges. L’idée de présenter notre travail au festival d’Avignon, une scène aussi emblématique et respectée, est un honneur et une opportunité incroyable. C’est une validation du travail que nous avons accompli et un encouragement à continuer à créer et à innover dans notre art. Ma thèse de doctorat reste une priorité. Sur le plan artistique, je souhaite continuer à développer de nouvelles pièces et performances et je prévois d’explorer davantage certains aspects de Cartographie d’une Nuit. En parallèle, je travaille sur la mise en scène d’un nouveau texte de Hasan Makhzoum. J’ai également une charge d’enseignement à l’université de Caen Normandie et à l’Université libanaise de Beyrouth. C’est un aspect enrichissant de mon parcours que je souhaite maintenir. Je prépare enfin une installation-performance à l’École supérieure d’arts et médias de Caen/Cherbourg prévue pour décembre 2023. Cette création sera l’occasion de présenter les fruits de ma recherche et de mes expérimentations artistiques.