De leur mode de viea et de leurs coutumes

Del lor viuere & lor costumi

Les habitants du Brésil vivent des produits du pays comme des fèves, des navetsb et du milletc. Ils ont beaucoup de poules, de perroquets, d’oies, de canards, de lièvres, de lapins et beaucoup d’autres sortes de gibier. Leur boisson est faite de millet à la manière de la cervoised, dont ils s’enivrent souvent. Ils travaillent leurs terres avec des bêches de bois. Ils mangent des serpents, des lézards, des couleuvrese, des tortues, des sauterelles et des poissons, et à toute heure quand ils ont faim, tant la nuit que le jour. Ils sont très généreux pour donner leurs filles aux étrangers, mais ils ne veulent pas qu’on touche leurs femmes, et celles-ci se comportent honnêtement envers leurs maris.

Gli habitatori del Bresil viuono de frutti del paese, come di faue, nauoni, miglio. & hanno molte galline, papagalli, oche, anitre, lepri, conigli, & molte altre sorti di saluaticine. il loro bere è fatto di miglio à modo di ceruosa, donde spesse volte s’imbriacano. Essi lauorono li terreni loro con le vanghe di legno. mangiano serpenti, lucerti, biscie, testuggini, cauallette & pesci, & ad ogni hora c’hanno fame, & tanto di notte come di giorno. & sono molto liberali di dar le sue figliuole à forestieri, ma le sue donne non vogliono che sian toccate. & le donne loro si portano honestamente verso li loro mariti.

Cette terre du Brésil fut d’abord découverte par les Portugais, pour certaines parties, il y a environ trente-cinq ans. Une autre partie fut découverte par quelqu’un de Honfleur appelé Denis de Honfleur il y a vingt ans de cela1. Et depuis beaucoup d’autres navires de France y sont allés, mais jamais ils ne trouvèrent de Portugais dans aucune terre qu’ils tinssent pour le roi du Portugal. Ceux de cette terre sont libres et ne sont sujets ni à un roi, ni à une loi, et ils aiment plus les Français que les autres qui y commercentf. Ces peuples sont comme la toile blanche où l’on n’a pas encore posé le pinceau ni dessiné quoi que ce soit, ou comme serait un jeune poulain qui n’a jamais été montég.

Questa terra del Bresil fu primamente scoperta da Portoghesi in qualche parte, & sono circa trentacinque anni. L’altra parte fu scoperta per vno de Honfleur chiamato Dionisio di Honfleur da venti anni in qua. & di poi molti altri nauilii di Francia vi sono stati, & mai non trouorono Portoghesi in terra alcuna che la tenessero per il Re di Portogallo. & quelli della terra sono liberi, & non soggetti ne à Re, ne à legge, & amano piu li Francesi che qualunche altra gente che ui prattichi. detti popoli sono come la tauola bianca, nellaquale non v’è anchóra stato posto il pennello, ne disegnato cosa alcuna, ouer come saria vn poledro giouane, ilquale non ha mai portato.

Si les Portugais, qui disent que cette terre est la leur, avaient été de bons chrétiens et avaient eu davantage en vue l’honneur de Dieu que leurs profits, la moitié de ces peuples seraient maintenant devenus chrétiens, dans la mesure où déjà, parmi eux, nombreux sont ceux qui cherchent à connaître Dieuh, et ils sont très dociles2. Mais les Portugais empêchent de toutes leurs forces que ces pauvres gens ne viennent à la connaissance de notre foi, et ils leur donnent à entendre bien des choses qui sont loin de leur salut pour les retenir dans leur ignorance.

Et se li Portoghesi, iquali dicono la terra esser sua, fossero stati buoni Christiani, & hauessino hauuto auanti gli occhi piu l’honor di Dio, che li loro guadagni, la meta de detti popoli adesso sariano fatti Christiani, imperoche gia molti sono fra loro, iquali cercono di conoscere che cosa sia Iddio, & sono molto docili. ma li Portoghesi gl’impediscono con tutte le sue forze, che le pouere genti non venghino nella cognitione della fede noltra, & li danno ad intendere molte cose che sono lontane dalla salute loro per ritenerli nella loro ignorantia.

Et parce qu’on pourrait me demander les raisons pour lesquelles les Portugais empêchent les Français d’aller à la terre du Brésil, et aux autres lieux où ils ont navigué, comme en Guinée et à la Taprobane3, je ne saurais vous dire pourquoi, sinon que leur insatiable avarice les pousse à faire celai. Quoiqu’ils soient le plus petit peuple du monde, ce dernier ne leur paraît pas encore assez grand pour satisfaire leur cupidité. Je pense qu’ils doivent avoir bu de la poudre du cœur du roi Alexandre, ce qui leur cause une telle soif de cupidité aussi effrénéej, et il leur semble tenir dans leur poing serré ce que des deux mains ils ne pourraient pas embrasser. Je crois qu’ils se sont persuadés que Dieu n’a fait la mer et la terre que pour eux, et que les autres nations ne sont pas dignes de naviguer. Si cela était en leur pouvoir de mettre des barrières et de fermer la mer du cap Finisterre4 jusqu’en Irlandek, il y a longtemps qu’ils auraient déjà fermé le passage. Il serait tout aussi juste que les Français aillent dans ces terres où les Portugais n’ont pas implanté la foi chrétienne, et où ils ne sont ni aimés ni obéis, qu’il le serait pour nous de leur interdire de passer en Écosse, au Danemark et en Norvège, si nous y avions été avant eux. Dès qu’ils ont navigué le long d’une côte, ils la considèrent toute à euxl, mais une telle conquête est très facile à faire et sans grande dépense parce qu’il n’y a ni attaque ni résistance. Ils ont la bonne fortune que le roi François use avec eux d’autant d’humanité et de courtoisie parce que s’il voulait lâcher la bride aux marchands de son pays5, ce sont eux qui conquerraient le trafic et l’amitié des gens de toutes ces terres nouvelles en quatre ou cinq ans, le tout par amour et sans employer la force, et ils pénétreraient plus en avant que ne l’ont fait les Portugais en cinquante ans6. Les peuples de ces terres chasseraient ces derniers comme leurs ennemis mortels. C’est une des principales raisons pour laquelle ils ne veulent pas que les Français aient des rapports avec ces populations, parce qu’après que les Français ont fréquenté un endroit, ceux du pays ne veulent plus des Portugais, et ils les tiennent pour vils et les méprisentm.

Et perche mi potria esser dimandato le cause per lequali li Portoghesi impediscono che li Francesi non vadino alle terre del Bresil, & à gli altri luoghi doue essi hanno nauigato, come alla Guinea & alla Taprobana, io non vi saprei dire altra ragione, saluo che la loro insatiabile auaritia gl’induce à far questo. & quantunche essi siano il piu picolo popolo del mondo, non li par pero che quello sia dauanzo grande per sodisfare alla loro cupidita. Io penso che essi debbano hauer beuuto della poluere del cuore del Re Alessandro, che li causa vna tal alteratione di tanta sfrenata cupidita. et par à loro tenere nel pugno serrato quello che essi con ambedua le mani non potriano abbracciare. & credo che si persuadino che Iddio non fece il mare ne la terra se non per loro, et che le altre nationi non siano degne di nauigare. & se fosse nel poter loro di mettere termini & serrar il mare dal capo di Finisterre fin in Hirlanda, gia molto tempo saria, che essi ne haueriano serrato il passo. & tanto è di ragione che li Francesi vadino à quelle terre nellequali loro non hanno piantata la fede Christiana, & doue non sono amati ne obediti, come noi haueressimo ragion d’impedirli di passar in Scocia Danesmarca & Noruega, quando noi prima di loro vi fossimo stati. & poscia che essi hanno nauigato al lungo d’una costa, essi se la fanno tutta sua. ma tal conquista è molto facile à fare & senza gran spesa, perche non vi sono assalti, ne resistentia. ma hanno vna gran ventura che il Re Francesco gli vsa tanta humanita et cortesia, imperoche se volesse dar la briglia alli mercatanti del suo paese, loro conquistariano i traffichi & amicitie delle genti di tutte quelle terre nuoue in quattro o cinque anni, & il tutto per amore & senza. forza, & sariano penetrati piu à dentro che non hanno fatto li Portoghesi in cinquanta anni, & li popoli di dette terre li discacciariano come suoi nimici mortali : & questa è vna delle ragioni principali, per laquale non vogliono che li Francesi vi conuersino. Imperoche dopo che li Francesi praticano in qualche luogo, non si dimandan piu portoghesi, ma quelli del paese gli hanno in abiettione & dispregio.

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1. vno de Honfleur chiamato Dionisio di Honfleur da venti anni in qua. Il s’agirait du même Jean Denis qui aurait découvert « la nouvelle terre » (f° 423v : vn nauilio di Honfleur, del quale era Capitano Giouanni Dionisio). Voir l’étude historique.
2. & sono molto docili. L’auteur évoquerait-il ici une volonté, ou au moins une possibilité d’évangélisation ?
3. Taprobana. Ce terme issu des géographes antiques était à l’époque fréquemment utilisé sans que l’on sache précisément quel concept géographique il recouvrait : il pouvait s’agir aussi bien de Ceylan, de Sumatra, de Java, ou encore d’une aire plus large, quelque part dans le sud-ouest de l’Asie. Dans tous les cas, c’était un nom mythique synonyme d’épices et de richesses fabuleuses. Il s’agit ici de l’île de Sumatra, sur laquelle les géographes disposaient alors essentiellement des informations données par des marchands italiens comme Marco Polo, Nicolo de Conti, Hieronimo di San Stefano et Ludovico Varthema, sans compter les tentatives portugaises pour s’y installer.
4. C’est la pointe nord-ouest de l’Espagne, à l’est de Saint-Jacques de Compostelle, souvent considérée – à tort – comme le point le plus occidental de l’Europe.
5. Il est fait référence ici aux interdictions édictées par François Ier durant son règne. Voir l’étude historique.
6. L’auteur exagère ici, peut-être volontairement pour forcer le trait : le document datant de 1539, les Portugais ne fréquentaient certainement pas encore le Brésil en 1489.

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a. Del lor viuere. Langlois traduit de manière erronée par « De leur nourriture » (p. 116).
b. nauoni. Nothnagle traduit de manière erronée par « navette » (p. 103).
c. miglio. Langlois traduit de manière erronée par « miel » (p. 116).
d. di miglio à modo di ceruosa. Langlois traduit par « une sorte de bière de mil » (p. 116), Estancelin par « une sorte de bière qu’ils fabriquent avec du millet » (p. 229).
e. Langlois, Estancelin et Hoffman ne traduisent pas biscie (p. 116, 229 et 22).
f. amano piu li Francesi che qualunche altra gente che ui prattichi. Langlois traduit par « Ils préfèrent les Français à toutes les autres nations qui ont commercé avec eux » (p. 116) ; Estancelin par « Ils ont un penchant marqué pour les Français, qu’ils préfèrent à tous les autres peuples qui fréquentent leurs côtes » (p. 230).
g. la tauola bianca, nellaquale non v’è anchora stato posto il pennello, ne designato cosa alcuna, ouer come faria vn poledro giouane, ilquale non ha mai portato. Nothnagle traduit par « la toile blanche où le pinceau n’a pas encore rien mis ni dessiné, ou encore, comme serait un jeune poulain qui n’a jamais connu la bride » (p. 103) ; Langlois par « une toile vierge où le pinceau n’a encore rien tracé ni dessiné, ou comme un jeune poulain que personne n’a encore monté » (p. 116) ; Estancelin par « On pourrait comparer ces peuples à une table blanche, sur laquelle le pinceau n’a point encore marqué de trace, ou comme un jeune poulain qui n’a jamais connu de frein » (p. 230).
h. cercono di conoscere che cosa sia Iddio. Nothnagle traduit par « cherchent à savoir ce que peut être Dieu » (p. 103) ; Estancelin par « cherchent à s’expliquer le mystère de la Divinité » (p. 230).
i. Langlois ne traduit pas gl’induce à far questo (p. 117) ; Hoffman ne traduit pas le passage qui va de Io penso jusqu’à cupidita (p. 23).
j. vna tal alteratione di tanta sfrenata cupidita. Nothnagle traduit par « un tel avilissement de cupidité effrénée » (p. 103) ; Langlois par « cette passion effrénée de la cupidité » (p. 117).
k. Hirlanda. Langlois traduit de manière erronée par « Islande » (p. 117).
l. Hoffman ne traduit pas le passage qui va de & poscia jusqu’à tutta sua (p. 23).
m. Ici se termine la traduction de Langlois.