Sommaire et brève description de la nouvelle terre, et premièrement de sa situation

Summario & breue descrittione della terra nuoua, & primamente della sua situatione

La nouvelle terre, dont le cap le plus proche est nommé le Capo di Ras1a, est située à l’occident de notre ligne diamétrale, ou méridienne, où est établi le premier point de longitudef° 423v, selon le véritable méridien du compas. Le Capo di Ras est situé en longitude occidentale à 40 degrés et à 47 de latitude septentrionale. Or, celui qui voudra soustraire lesdits 40 degrés de la longitude occidentale de 360 obtiendra 320 degrés de longitude orientale, là où est situé le Capo di Ras. La nouvelle terre s’étend vers le pôle arctique du 40e degré jusqu’au 60e2. Depuis le Capo di Ras en allant vers le pôle, la côte s’étend presque toujours du Sud au Nord et compte jusqu’à 350 lieues. Du Capo di Ras jusqu’au cap des Bretons3, la côte s’étend de l’Est à l’Ouest sur 100 lieues. Le cap des Bretons se trouve à 47 degrés de longitude occidentale et à 46 de latitude septentrionale. Pour aller de Dieppe aux nouvelles terres, la navigationb est presque toujours de l’Est à l’Ouest, et de Dieppe au Capo di Ras il y a 760 lieues4.

La terra nuoua, dellaquale il prossimo capo è nominato Capo di Ras, è posto nell’occidente della nostra linea diametrale, ouer meridiana, doue è constituito il primo punto di Iongitudinef° 423v, secondo il vero meridiano del compasso, & è il detto Capo di Ras in longitudine occidentale .40. gradi & .47. di latitudine Settentrionale. hor chi vorra leuar i detti .40. gradi della longitudine occidentale di .360. restera .320. gradi di longitudine orientale, doue è posto detto Capo di Ras. La terra nuoua si estende verso il polo artico dal .40. grado fin al .60. & dapoi Capo di Ras andando verso il polo la costa quasi sempre corre da ostro in tramontana & contiene da fino .350. leghe. & dal detto Capo di Ras fin al Capo de Brettoni, la costa corre leuante & ponente per leghe cento,& il capo de Brettoni è in .47. gradi di longitudine occidental, & ha .46. di latitudine Settentrionale. Per andar da Dieppa alle terre nuoue il pareggio è quasi tutto leuante & ponente, & sono da Dieppa à detto Capo di Ras, leghe .760.

Entre le Capo di Ras et le cap des Bretons5 habitent des peuples rudes et cruels, avec lesquels on ne peut ni échanger ni communiquerc. Ils sont grands, vêtus de peaux de loups marins6 et d’autres animaux sauvages liées ensemble. Ils ont le visage marqué par des sortes de traits faits par le feu, et comme rayés d’une couleur entre le noir et le gris. À plusieurs égards, tant par le visage que par le cou, ils ressemblent à ceux de notre Barbarie7. Ils ont les cheveux longs comme des femmes, qu’ils réunissent au sommet de la tête comme on fait avec la queue d’un cheval. Ils ont comme armes des arcs avec lesquels ils savent tirer fort adroitement, et leurs flèches sont armées de pierres noires et d’os de poissons. Ici, il y a beaucoup de cerfs et de daims, et des oiseaux tels que des oies et des margaux8. Sur cette côte, on fait de très bonnes pêches de morues, des poissons qui sont pêchés seulement par les Français et les Bretons9 parce que ceux du pays ne les prennent pas. Sur la côte orientée du Nord au Sud depuis le Capo di Ras jusqu’à l’entrée des châteaux10, il y a de grands golfes, de larges rivièresd et un grand nombre d’îles très étendues11. Cette terre est moins habitée que la côte susdite, et les peuples y sont plus petits, plus humains et plus abordablese que les précédents. On y pêche aussi abondamment la morue, comme sur l’autre côtef. Là il n’a été observé ni hameau, ni habitation, ni châteaug, à l’exception d’une grande enceinte de boish qui a été vue dans le golfe des châteaux. Ces peuples habitent dans des petites cabanes et des petites maisons couvertes d’écorces d’arbres qu’ils construisent pour se loger durant la saison de la pêche, laquelle commence au printemps et dure tout l’été.

Fra il Capo di Ras & capo de Brettoni habitano popoli austeri & crudeli, con liquali non si puo pratticare ne conuersar. Sono grandi di persona, vestiti di pelli di lupi marini, & altri animali Saluatichi ligate insieme, & sono segnati di certe righe fatte di fuoco sopra la faccia, & come vergati di colore tra il nero & berrettino, & in molte cose quanto alla faccia & al collo sono come quelli della nostra Barberia. li capelli lunghi come femine quali ingruppono di sopa la testa, come si fa della coda d’un cauallo. Le loro armi sono archi, delli quali sanno molto destramente tirare, & le loro freccie sono ferrate di pietre nere, & di ossa di pesci. Iui sono molti cerui & daini, & vccelli come oche & margaux. In questa costa è molto buona pescheria di Molue, liquali pesci si pigliano per Francesi & Brettoni solamente, percioche quelli del paese non li pigliano. Nella costa di tramontana & mezzo di dopo del Capo di Ras fino all’entrar di castelli vi sono di gran golfi, & gran fiumi, & gran numero d’Isole & molto grandi, & questa terra e manco habitata che non è la costa sopradetta, & li popoli vi sono più piccoli & humani, & più trattabili degli altri. & vi è gran pescheria di molue, come nell’altra costa. & quiui non è stato veduto ne casale, ne villa, ne castello, saluo vna gran serradura di legno, laquale è stata veduta nel golfo de castelli, & habitano i sopradetti popoli in cappanelle & case piccole coperte di scorze d’arbori, lequali fanno per alloggiarui nelli tempi delle pescherie, ilquale comincia la primauera & dura tutta la state.

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1. Le cap Race est situé à la pointe sud-est de l’île de Terre-Neuve. Son nom vient certainement du portugais Raso ou Razo, qui signifie « désert », ou par ressemblance avec un cap du même nom situé à l’embouchure du Tage, à Lisbonne.
2. La « nouvelle terre » semble perçue ici comme un ensemble (voir l’étude historique). Sur la carte de Gastaldi, Terre-Neuve est représentée non comme une île, mais comme un archipel séparé de la Terra de Nurumbega par un large détroit.
3. Dans le texte est employé à cinq reprises capo (Capo) de (delli) Brettoni, semblant renvoyer à un cap et non, plus largement, à une terre, en l’occurrence l’Île du Cap-Breton (Canada, province de Nouvelle-Écosse). Cette dénomination, comme beaucoup d’autres, restait à ce moment encore vague et assez mal définie. Sur la carte de Gastaldi, on trouve une petite île où figure au sud le toponyme « C breton », séparée de la Terra Nuova par ce qui pourrait représenter le détroit de Cabot (entre Terre-Neuve et l’Île du Cap-Breton). Mais on trouve également au sud-est une « Isola de Brettoni », avec deux îles.
4. Cette distance est légèrement surestimée : 760 lieues = 4 222 km, pour une distance approximative de 3 900 km.
5. Cela correspondrait à la côte méridionale de Terre-Neuve.
6. lupi marini. Terme générique désignant toutes les espèces de phoques.
7. della nostra Barberia. L’utilisation du possessif surprend ici. Toutefois, l’auteur pouvait tout à fait disposer d’informations détaillées sur les habitants de la Barbarie, alors régulièrement fréquentée par les Normands, qui possédaient des installations permanentes notamment à Safi et à Agadir.
8. Il s’agit des fous de Bassan, nommés « margaulx » et décrits brièvement par Cartier lors de son premier voyage lors du passage à « l’Isle des Ouaiseaulx » (Funk Island, au nord du cap Bonavista) en mai 1534. Un mois plus tard, il nomma « isles de Margaulx » un minuscule archipel situé au nord-ouest de l’Île du Cap-Breton appelé aujourd’hui « Rochers aux Oiseaux » (Bird Rocks), dont trois portent toujours le nom de « Rochers aux Margaulx ». Voir J. Cartier, Relations, M. Bideaux (éd.), Montréal, Presses de l’université de Montréal, 1986, p. 96-97, 105, 310-311, 321-322.
9. Francesi & Brettoni. L’auteur fait ici une distinction importante, qu’on retrouve dans le passage relatif au Brésil (f° 426). Un peu plus bas, une autre distinction est faite entre les Bretons et les Normands. Voir l’étude historique.
10. entrar di castelli, et aussi à plusieurs reprises (ainsi que sur la carte) golfo de castelli : la baie des châteaux. Ce toponyme est mentionné par Cartier lors de son premier voyage le 27 mai 1534 (« l’entree de la baye des Chasteaulx »). Mais il figure déjà dans un arrêt de la Cour de Saint-Malo avant son départ (19 mars 1534, AD Ille-et-Vilaine, série B, juridiction ordinaire et commune de Saint-Malo, audiences 1533-1535, registre, f° 157v-158). Il était donc déjà bien connu. Il s’agit de l’entrée septentrionale du détroit de Belle-Isle (entre Terre-Neuve et le Labrador), qui ne doit pas être confondue, comme le fait Nothnagle (p. 111, n. 10), avec l’actuelle Chateaux Bay, située plus au Nord sur la côte du Labrador, et à l’entrée de laquelle se trouve également une île des châteaux (Castle Island). Cartier distingue clairement les deux lieux, nommant le second le « hable des Chasteaulx » (J. Cartier, Relations, p. 97-98, 311 et 314).
11. Cela correspondrait à la côte orientale de Terre-Neuve.

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a. Langlois choisit « Cap de Ras » (p. 111) ; Estancelin « cap Ras » (p. 219).
b. il pareggio. Nothnagle traduit par « l’appareillage » (p. 97) ; Langlois par « la direction » (p. 111) ; Estancelin par « la marche » (p. 220) ; Hoffman par « the course » (p. 13).
c. non si puo pratticare ne conversar. On trouve aussi plus loin dans le texte prattichi (f° 426v) et prattica (f° 432), ainsi que pratticano dans l’extrait du Discours sur la terre ferme des Indes occidentales qui évoque le Discours d’un grand capitaine (f° 417v). Ici seulement, Nothnagle introduit une notion de commerce : « nul commerce ni communication n’est possible » (p. 97). Langlois, qui traduit ici par « on ne peut ni pratiquer ni converser » (p. 111), reprend à une seule occasion cette notion de commerce à propos des habitants du Brésil : « Ils préfèrent les Français à toutes les autres nations qui ont commercé avec eux » (f° 426v / p. 116). Estancelin traduit ici par « on ne peut établir aucune liaison » (p. 220) ; Hoffman par « with whom it is impossible to deal or to converse » (p. 13).
d. fiumi. La langue italienne ne fait pas de distinction entre « fleuve » et « rivière ». Outre fiume(i), utilisé à six reprises (f° 423v, 426 et 429), Ramusio utilise également le terme fiumara(e), qui signifie aujourd’hui « torrent » ou « fleuve en crue » (quatre occurrences f° 426 et 429). On trouve aussi une occurrence de riuiera (à propos du rio delgado, f° 429 ; s’agit-il d’un gallicisme ?), et à de nombreuses reprises rio (f° 426 et surtout 429). Pour Maragnon par exemple, rio et fiume sont utilisés l’un et l’autre à cinq lignes d’intervalle (f° 426).
e. trattabili. Nothnagle traduit ce terme trois fois par « abordables » (p. 97, 99 et 102) et une fois par « traitables » (p. 102) ; Langlois traduit ici par « d’un caractère plus humain et plus facile que les autres » (p. 112), puis utilise « traitables » à trois reprises (p. 113, 114 et 115). Estancelin traduit ici par « traitables » (p. 221), mais aussi par « affable(s) » (p. 225 et 228) et par « ont des mœurs douces et sociables » (p. 227). Hoffman traduit ici par : « smaller, more human, and friendlier » (p. 14).
f. Nothnagle n’a pas traduit & vi è gran pescheria di molue, come nell’altra costa (p. 97).
g. ne casale, ne villa, ne castello. Nothnagle traduit par « ni hameau, ni village, ni bourgade » (p. 97) ; Langlois par « ni hameaux, ni bourgs, ni châteaux » (p. 112) ; Estancelin par « ni maisons de campagne, ni château, ni bâtiment quelconque » (p. 221).
h. vna gran serradura di legno. Estancelin traduit de manière erronée par « une grande serre en bois » (p. 221).