Des habitants de ladite terre, de leurs vêtementsa et de leurs armes

Delli habitanti nella detta terra & habiti & armi loro

Du fleuve Maragnon jusqu’au cap de Saint-Augustin, il y a dans certains lieux des gens abordables, et dans d’autres ils sont belliqueux. Il y a des habitations et des châteaux de boisb couverts de feuilles de palmiers et d’écorces d’arbresc. Les habitants, tant les hommes que les femmes, vont nus. Leurs armes sont des arcs et des flèches dont la pointe est façonnée de bois très dur et d’os. Ils ont le visage percé en de nombreux endroits où sont insérées des pierres blanches et bleues taillées à leur manière, qu’ils portent comme des signes de noblesse ou de dignité, avec de longs colliers comme des patenôtres1d et comme des chapelets, et d’autres faits d’écailles de poissons, avec de grands panaches attachés derrière le dos. Et quand ils font quelque banquet pour manger la chair de l’un de leurs ennemis2, pour être plus élégants à la fêtee, certains se peignent de diverses couleurs, d’autres s’emplument, c’est-à-dire qu’ils se couvrent de plumes le corps, les jambes, les bras, de sorte qu’ils offrent un beau spectacle en se tenant ainsif.

Dal fiume Maragnon fin al capo di santo Agostino sono in alcuni luoghi genti trattabili, ne glialtri sono bellicosi. & vi sono ville & castelli di legname coperti di foglie di palme & di scorzi d’alberi. I sopradetti tanto gli huomini quanto le donne vanno nudi. Le loro arme sono archi & dardi con le punte aconcie di legno durissimo & di osso. hanno il viso busato in molti luoghi doue sono poste pietre bianche & azurre intagliate à lor modo, & le portano per nobiltà. o dignità con gran collane di pater nostri & di squamme di pesci con gran pennacchi attaccati di drieto della schena. & quando essi fanno qualche conuito per mangiar la carne di quach’uno delli loro nimici, per andar piu galanti alla festa, alcuni si dipingono di varii colori, gli altri s’impiumano, ouer copronsi di piume, corpo, gambe, brazzi, à tal che fanno vn bel veder stando cosi.

Le long de cette côte, tant vers l’Ouest que vers le Sudg, il n’y a aucun fort ni château tenu par les Portugais, sauf en un lieu nommé Fernanbuch3h, qui est proche du cap de Saint-Augustin, où il y a quelques petits forts de bois tenus par un petit nombre de personnes bannies du Portugal4i. Entre le cap de Saint-Augustin et le porto reale5j, qui est à 12 degrés, se trouve l’endroit que les Français et les Bretons6 fréquentent le plus, et où l’on trouve la plus grande quantité et la meilleure qualiték de bois-brésill. Le long de la dite côte, il n’y a ni fort ni lieu tenu par les Portugais, les Français ou les Espagnolsm. Les hommes de cette côte sont abordables et beaucoup plus amicaux envers les Français qu’envers les Portugais. La terre est bonne et fertile et, si elle était cultivée, elle produirait toutes sortes de fruitsn. Il y a beaucoup d’arbres à fruitso, dont la plupart sont bons à manger, et le pays est sainp. Il y a de bons ports et de bonnes rivièresq en certains lieuxr. Ils ont des maisons et des terrains entourés de palissadess. Ils vont nus, les femmes comme les hommes, sans avoir honte ni les uns ni les autres de leurs parties honteuses. Leurs armes sont comme celles des autres. Ils n’ont pas de monnaie et ils ne savent pas compter au-delà du nombre des doigts de leurs mains et de leurs pieds. Ils troquent le bois-brésil contre des haches, des coins7 et des couteaux. En certains lieux, il leur faut aller le chercher en formant des compagnies jusqu’à 30 lieues à l’intérieur du pays. Chaque compagnie a son roi, et ils peuvent être entre 400 et 500 par compagnie. Chacunt apporte sa pièce de bois aux Français jusqu’au rivage, où ils les troquent contre les haches, les coins, les couteaux et autres ferrements8, de sorte qu’ils estiment beaucoup plus un clou qu’un écuu.

A lungo questa costa cosi verso ponente, come mezzo di, non v’è alcuna fortezza ne castello per li Portoghesi, saluo vn luogo detto Fernanbuch, ilqual è appresso capo di santo Agostino, doue è certe piccole fortezze di legname con alcune poche gente bandite di Portogallo. Dal capo di santo Agostino fin al porto reale, ilqual è in dodici gradi, quiui è doue li Francesi & Bretoni frequentano piu, & doue si troua piu verzino & migliore, & di lungo la detta costa non vi è fortezza ne luogo che si tenga per Portoghesi, Francesi o Spagnuoli. & sono gli huomini di quella costa trattabili & amicheuoli molto piu alli Francesi che alli Portoghesi, & è il terreno buono & fertile, & se ’l fosse lauorato, faria d’ogni sorte di frutti. & vi sono di molti alberi che fanno frutti, delliquali la maggior parte sono buoni da mangiar, & è il paese sano. vi sono buoni porti, & buone fiumare in qualche luogho, & hanno case, & terre serrate di legname. & vanno nudi si le donne come gli huomini senza hauer vergogna lun dell’altro delle sue parti vergognose. Le armi loro sono come degli altri. Non hanno moneta & non sanno contar piu auanti che’l numero delle loro dita delle mani & delle dita de piedi. barattano il verzin in manarette, cunei, coltelli, & in qualche luogo è necessario che lo vadino à cercar in compagnie fin à trenta leghe dentro del paese, & ciascuna compagnia ha il suo Re, & saranno da quattrocento o cinquecento per compagnia, & portano ciascun il suo pezzo di legno alli Francesi fin alla marina, & li barattano colle dette manare, cunei & coltelli & altri ferramenti, à tal che stimano molto piu caro vn chiodo che vno scudo.

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1. Ce sont des chapelets (le mot dérivant d’une altération de pater noster), des colliers. Le mot « patenostres » est employé à plusieurs reprises dans le récit des Parmentier (voir l’étude historique), cité dans la dernière partie du texte consacrée à Sumatra.
2. qualche conuito per mangiar la carne di quach’uno delli loro nimici. C’est la seule mention d’anthropophagie dans l’ensemble du texte.
3. Fernanbuch désignait alors l’établissement portugais situé à l’emplacement actuel de la ville de Recife, capitale de l’État du Pernambouc. Sur la carte de Gastaldi : « Pernanbue ».
4. Comme les autres pays européens qui menaient des expéditions lointaines, les Portugais embarquaient régulièrement sur leurs navires des prisonniers condamnés à de lourdes peines, voire à mort, et les utilisaient particulièrement lors des premiers contacts avec les indigènes, avec les risques que cela comportait. Ils pouvaient aussi être laissés sur place afin de s’intégrer aux populations et de devenir des interprètes (« truchements ») par la suite.
5. Même si la carte de Gastaldi distingue le « R. de S. Francesco » et le « R. Real », porto reale correspond à l’embouchure du río São Francisco, où avait notamment abordé Gonneville en 1504. Ce fleuve sépare les États du Sergipe et de l’Alagoas.
6. Francesi & Bretoni. On retrouve ici la distinction déjà rencontrée à propos de Terre-Neuve, en plus de celle entre les Bretons et les Normands (f° 423v).
7. Les coins en fer servaient à frapper et fendre le bois.
8. ferramenti. Ce terme pouvait désigner toutes sortes d’outils en fer.

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a. habiti. Nothnagle traduit par « costumes » (p. 102) ; Langlois par « habits (p. 114) ; Estancelin par « coutumes » (p. 227).
b. & vi sono ville & castelli di legname. Nothnagle traduit par « des cases et des maisons en bois » (p. 102) ; Langlois par « des villages et des châteaux de bois » (p. 114) ; Estancelin traduit de manière erronée par « on y rencontre des plantations, des maisons et des châteaux » (p. 227). Il reprend plus loin le terme « plantations » (p. 228).
c. alberi. Nothnagle traduit de manière erronée par « peuplier » (p. 102).
d. gran collane di pater nostri. Langlois traduit par « grands colliers de pierres » (p. 115) ; Estancelin évoque « des espèces de chapelets » (p. 227) ; Hoffman traduit par « necklaces of beads » / colliers de perles (p. 21).
e. per andar piu galanti alla festa. Estancelin traduit de manière erronée par « pour ajouter à leur gentillesse, imaginent de se peindre… » (p. 227).
f. fanno vn bel veder stando cosi. Nothnagle traduit par « qu’il fait bon les voir ainsi » (p. 102) ; Langlois par « que c’est un joli coup d’œil de les voir ainsi » (p. 115) ; Estancelin par « ce qui ne laisse pas que d’être curieux à voir » (p. 228) ; Hoffman par « so that they are a remarkable sight » (p. 21).
g. cosi verso ponente, comme mezzo di. Nothnagle traduit de manière erronée par « vers le sud-ouest » (p. 102). Estancelin traduit seulement par « et vers le couchant » (p. 228).
h. Nothnagle : « Fernambuc » (p. 102) ; Langlois : « Pernambouc » (p. 115) ; Estancelin : « Fernambuck » (p. 228).
i. certe piccolo fortezze di legname con alcune poche gente bandite di Portogallo. Estancelin traduit de manière erronée par « une petite forteresse de bois, qui sert d’asile à quelques Portugais exilés » (p. 228).
j. Nothnagle : « port Réal » (p. 102) ; Langlois : « Port-Royal » (p. 115) ; Estancelin : « Port-Royal » (p. 228).
k. Nothnagle ne traduit pas & migliore (p. 102).
l. verzino (et plus bas verzin). Nothnagle traduit par « brésillet » (p. 102), Langlois et Estancelin par « bois du Brésil » (p. 115 et p. 228).
m. che si tenga per Portoghesi, Francesi o Spagnuoli. Estancelin traduit de façon assez éloignée par « qui indique la présence des Européens » (p. 228).
n. Estancelin ne traduit pas & se’l fosse lauorato, faria d’ogni sorte di frutti (p. 228).
o. Nothnagle ne traduit pas & vi sono di molti alberi che fanno frutti (p. 102).
p. delliquali la maggior parte sono buoni da mangiar, & il paese sano. Estancelin traduit de manière erronée par « dont les produits sont, pour la plupart, propres à la vie animale ; l’air y est fort sain » (p. 228).
q. buone fiumare. Nothnagle traduit par « de larges embouchures » (p. 102) ; Langlois par « de bons estuaires » (p. 115) ; Estancelin seulement par « des rivières », en ajoutant abusivement « qu’on pourroit utiliser » (p. 228).
r. Nothnagle ne traduit pas in qualche luogho (p. 102).
s. terre serrate di legname. Nothnagle traduit par « jardins enclos de planches » (p. 102). Estancelin reprend son erreur déjà commise en traduisant par « leurs plantations sont entourées de palissades » (p. 228).
t. ciascun. Estancelin traduit de manière erronée par « Les sauvages qui composent ces bandes » (p. 229).
u. vn chiodo che vno scudo. Nothnagle traduit de manière erronée par « un rondin qu’un escudo » (p. 102).