Des fruits de ce pays, et des grainsa

Delli frutti di quel paese, & delli grani

Il y a là un fruit qu’ils appellent Pissan1, qui est très bon et délicat. Il pousse sur un arbre et ressemble à un petit concombreb. Et un autre fruit gros et long qui a une forme rondec, lequel de l’extérieur paraît être un artichaut ouf° 432v une pomme de pind. Il est vert, et à l’intérieur il y a un fruit comme une châtaigne, de forme et de goût semblables. Sur cette châtaigne, il y a une enveloppe qui ressemble en jus, en couleur et en goût à une crème de lait sucré2. Il y a encore bien d’autres fruits, mais nous n’en savons pas les noms.

Vi è vn frutto ilqual essi chiamano Pissan, che è molto buono & delicato & cresce in vn’arboro, & è della similitudine d’vn piccolo cocomero. et vn’altro frutto grosso & lungo che tira in Tondo, ilquale di fuora par vn’artichiocco, ouerf° 432v vna pigna, & è verde & dentro v’è vn frutto come vna castagna, di simil gusto & foggia. & di sopra di questa castagna è vna coperta di tal modo & liquore & colore & di tal gusto come vn capo di latte inzzucarato. vi sono anchora assai altri frutti, ma noinon ne sappiamo li nomi.

Ils ont dans la plus grande estime les feuilles d’une herbe ou d’un arbre qu’ils appellent betce, ainsi qu’un fruit qu’ils nomment Areca, et tout le monde en use communément3. Il pousse dans le pays du millet et beaucoup de sortes de riz en grandes quantitése. ll pousse ici plus de poivre et de meilleure qualité que dans toutes les autres îles de l’Orientf. Les palmiers produisent du vin. Les gens du pays n’utilisent pas la monnaie si elle n’est pas apportée d’un autre pays4. Ils vendent et achètent toute chose au poids de l’or, et ils mesurent les toiles et les tissus avec une mesure qui est longue d’une coudée. Le riz et le poivre sont pesés avec la Guate5, laquelle est une grosse canne tailléeg qui contient environ deux livres de poivre6. Et de là, après avoir chargé nos navires de poivre et d’autres épicesh, nous retournâmes à Dieppe sains et saufs après une si longue et périlleuse navigationi entreprise en l’honneur de Dieu et de la Couronne de France.

Essi hanno in grandissima estimatione le foglie d’vna herba, ò arboro lequali essi chiamano betce, & vno frutto ilquale essi dicono Areca, & communemente tutti lo : vsano nasce nel paese miglio & molto riso, & in grande quantità. Iui nasce piu peuere & migliore che in tutte l’altre Isole dell’Oriente. Le palme vi fanno il vino. La gente del paese non adopera moneta se la non vi vien portata d’altro Paese, & vendono & comprano ogni cosa à peso d’oro, & misurano le tele & panni con vna misura ch’è lunga vn cubito. Il riso & il peuere lo misurano con la Guate laquale è vna canna grossa tagliata laquale contiene circa due libre di peuere. & quiui caricate le nostre naui di peuere & altre specierie cene ritornamo à Dieppa doppo si longa & pericolosa nauigatione à saluamento à honor di Dio & de la Corona di Francia.

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1. La banane (en malais pisang).
2. Le durian, ou durion : un arbre tropical qui produit un fruit du même nom, à l’odeur très forte, dont la chair jaunâtre est enfermée dans une épaisse coquille, armée de nombreux piquants. Il est signalé par Augustin de Beaulieu en 1620 (« Durions »).
3. Le bétel (identifié par Estancelin : « betel », p. 239) et la noix d’arec, utilisés comme masticatoires. Le bétel est en fait un mélange de feuilles d’un poivrier exotique, de tabac et de noix d’arec, qui se mâche. Le récit des Parmentier l’évoque sous le nom de « botre » : « La botre est une feuïlle dont ils tiennent grand compte et en mangent fort souvent devant ou après leur repas, avec un peu de chaux esteinte, et en la mangeant, elle donne bonne odeur, et rend un jus rouge dont ils ont les dents rouges, et cela leur garde leurs dents » (Le discours de la navigation…, C. Schefer (éd.), p. 61). François Martin évoque cet usage à Atjeh en 1602 ; François Pyrard en parle également lors de son séjour forcé aux Maldives entre 1602 et 1607, mais aussi sur la côte occidentale de l’Inde.
4. Les populations de Sumatra, comme beaucoup d’autres aux Indes orientales, ne frappaient pas monnaie, mais utilisaient les monnaies arabes.
5. Terme inconnu probablement d’origine indonésienne qui ne figure pas dans le récit des Parmentier.
6. Cela pourrait se rapprocher des « bambous » cités par François Martin à Atjeh en 1602 : « Toutes leurs Mesures, pour les greins comme ris […] ilz ont des bambous qui tiennent le pois de deux liures quatre once » (F. Martin, Description du premier voyage…, p. 55). Le botaniste portugais Garcia da Orta évoque la « Ganta (qui est un poids entre eux de vingt & quatre onces » (Cóloquios dos simples e drogas da India, 1563 ; traduit par Antoine Colin : Histoire des drogues, espiceries, et de certains medicamens simples, qui naissent és Indes et en l’Amerique, Lyon, 1619, livre I, p. 247).

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a. grani. Nothnagle traduit par « céréales » (p. 109).
b. vn piccolo cocomero. Même si le terme actuel cocómero signifie pastèque, melon d’eau, ou cornichon, nous suivons ici la traduction d’Estancelin (p. 239). « Concombre » se traduirait plutôt par cetriòlo en italien contemporain. Nothnagle traduit par « une petite pastèque » (p. 109).
c. Estancelin ne traduit pas che tira in Tondo (p. 239).
d. pigna. Nothnagle traduit par « pigne » (p. 109), terme utilisé dans la partie méridionale de la France pour désigner la pomme de pin, mais aussi sa graine.
e. Nothnagle ne traduit pas & in grande quantità (p. 110).
f. Estancelin ajoute ici « qui, toutes ensemble, n’en fournissent pas autant que celle-ci » (p. 239). Hoffman commet une erreur en omettant le poivre (peuere) : « The country produces grain and much rice which grows there better than anywhere else in the eastern islands » (p. 31).
g. Il riso & il peuere lo misurano con la Guate laquale è vna canna grossa tagliata. Nothnagle traduit en « une gatte » et indique en note qu’il s’agit d’« une grande écuelle » (p. 110 et p. 113 n. 30). Estancelin omet le riz et ne cite pas la Guate : « Le poivre est mesuré par le moyen d’une espèce de gros roseau coupé » (p. 240).
h. Nothnagle ne traduit pas & altre specierie (p. 110).
i. Nothnagle insère ici « à la gloire » (p. 110). S’agit-il d’une erreur de traduction de saluamento ?