Georges FOURNIER

Le Père Georges Fournier est bien connu pour la rédaction d’une Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, publiée en 1643. Il s’agit de la toute première encyclopédie de marine, laquelle contient l’un des plus anciens glossaires des termes de marine « Inventaire des mots et facons de parler, dont on use sur mer ». Pour en arriver à un travail aussi considérable, Fournier n’en est pas à son premier essai, puisque un an plus tôt il édite des Commentaires géographiques. Écrivain foisonnant, Fournier publie aussi la même année que son Hydrographie un Traité de la sphère et l’année suivante un Traité de géométrie. Mais il ne s’arrête pas là… On lui doit aussi une Description des rivages, parue en deux tomes en 1648 et 1651. Sa curiosité intellectuelle semble sans limite et n’est pas retreinte au monde de la mer et à la géographie. Il s’intéresse aussi à l’art militaire et fait paraître, à Paris, en 1649 un Traité des fortifications ou Architecture militaire.

L’homme est moins connu que son œuvre, mais toujours plus que Cleirac, et les quelques éléments biographiques recueillis diversement suffisent à éclairer son programme scientifique et éditorial. Né le 31 août 1595 d’un père professeur de droit à l’université de Caen, ce qui suggère que Fournier était natif de Caen, il rentre à l’âge de vingt-quatre ans comme jésuite à la compagnie de Tournai. Il enseigne d’abord les « belles lettres » pendant cinq ans, puis les mathématiques. Il revient dans sa ville natale comme « préfet des études » et devient « maître de mathématiques » au collège jésuite de La Flèche, dans la Sarthe, entre 1629 et 1633. C’est en 1633, alors au service de l’archevêque de Bordeaux, Henri d’Escoubleau de Sourdis, qu’il se familiarise avec les choses de la mer en devenant aumônier de la Marine royale. Le 20 juin 1636, il est embarqué sous les ordres de Sourdis, chargé de mener la guerre navale contre l’Espagne. Il participe en 1638 aux opérations sur la côte atlantique (Fontarrabie) et méditerranéenne, dans les années 1640-1641 (Rosas, Tarragone). Ces années au contact de la mer et des marins lui permettent d’acquérir de vastes connaissances en navigation. Malheureusement, sa vie d’aumônier de la Marine se termine en 1641 avec la disgrâce de son protecteur qui doit quitter son commandement. Fournier est obligé d’abandonner sa vie active de prêtre marin pour rentrer dans son collège de La Flèche et met à profit ce repos forcé pour se consacrer avec ferveur à ses travaux scientifiques et ses publications. Il meurt à cinquante-sept ans, le 13 avril 1652, à La Flèche, où il est enterré dans le caveau de la chapelle du collège.

Dès sa parution en 1643, l’Hydrographie du père Fournier remporte l’adhésion des gens de mer. Ce succès peut s’expliquer, selon R. Ch. Duval, « sinon par leur désir de s’intéresser aux progrès de leur Art, au moins par la nécessité qu’ils ressentaient de se mettre au fait des techniques nouvelles adaptées aux grandes traversées qu’ils devaient de plus en plus entreprendre ». L’ouvrage fut revu et augmenté dans une seconde édition en 1667, puis dans une troisième en 1679. L’édition originale est divisée en 20 livres qui sont précédés d’une table des chapitres et d’un glossaire des termes de marine. L’Hydrographie s’apparente à une véritable somme des connaissances maritimes de l’époque : y sont traités l’architecture navale, dont les chapitres abordent la construction, le gréement, la voilure et les types de navire (livre I), les havres et ports de mer (livre II), l’ordre pour équiper un vaisseau (livre III), l’usage et l’emploi des vaisseaux (livre IV), les plus puissantes des nations maritimes (livre V), l’histoire de la marine depuis la Gaule jusqu’en 1642 (livre VI), le rôle de l’Amirauté de France (livre VII), les principes de l’art de naviguer (livre VIII), les courants, marées et tempêtes (livre IX), les instruments de navigation (livre X), l’usage de la boussole (livre XI), la longitude (livre XII), la latitude (livre XIII), les cartes marines (livre XIV), les vents (livre XV), l’estime (livre XVI), les apparaux dont on se sert à bord (livre XVII), le jaugeage (livre XVIII), les questions dont on se pose (livre XIX), la dévotion et la piété des gens de mer (livre XX). On ne peut qu’être impressionné par la complétude de cet ouvrage.

Le glossaire des termes de marine, fort modeste, qui figure dans l’Hydrographie, n’occupe que 12 pages d’un ouvrage de plus de 700 pages. Il rassemble les principaux mots employés dans l’espace maritime du Ponant comme celui du Levant. Par exemple, Fournier cite le mot pacfi (à l’origine, voile de mauvais temps), d’origine italienne, qui est particulier à la terminologie méditerranéenne, tandis qu’il mentionne carlingue (emplanture du mât, pièce de bois destinée à renforcer la quille) et sa forme dialectale normande calingue, qui est un terme d’origine scandinave apparu d’abord en Normandie avant d’être diffusé dans le vocabulaire ponantais. Fournier a conscience de la variété du vocabulaire nautique et de ses régionalismes quand il aligne sur la même entrée lexicale les termes agrès et sartie qui sont parfaitement synonymes (Agreilz ou, Sartie, signifie toute sorte d’appareils necessaires à équiper un Vaisseau), agrès étant usité au Ponant et sartie en Méditerranée. On pourrait aussi citer antenne et vergue, varangue et madier qui sont également synonymes (Varangues, ou Madiers), madier (d’origine latine) constituant l’équivalent méditerranéen de varangue (terme d’origine scandinave) ; mais aussi cage, galie ou hune pour désigner une échauguette faite en cage à la cime du mast d’un vaisseau. De par le choix de sa nomenclature et la précision de ses définitions, le glossaire des termes de marine de Fournier, si petit qu’il soit, est un concentré de la terminologie nautique employé au milieu du XVIIe siècle et représente un remarquable précurseur des futurs grands dictionnaires de marine.

Élisabeth Ridel-Granger

Orientation bibliographique : R. Ch. DUVAL, «  Le père Fournier et son temps » ; J. HUMBERT, « Présentation de l’Hydrographie » ; R. Ch. DUVAL, « Le R. P. Fournier en son temps : la marine de Louis XIII et de Richelieu » ; J. BOUDRIOT, « Essais sur La Couronne » ; R. MORDACQ, « Les vaisseaux longs » ; J. HUMBERT, « Les méthodes de navigation ; J. HUMBERT, « Les voyages au long cours de 1600 à 1650 », exposés introductifs à l’Hydrographie du père Fournier, fac-similé de l’édition de 1667, Grenoble, Éditions des 4 seigneurs, 1973 ; É. TAILLEMITE, Dictionnaire des marins français, Paris, Tallandier, 2002, p. 194 ; Éric RIETH, « A propos de l’Hydrographie (1643) du Révérend Père Georges Fournier et de l’histoire de l’architecture navale de la France de la première moitié du XVIIe siècle », dans R. Carvais, A.-F. Garçon et A. Grelon, Penser la technique autrement XVIe-XXIe siècle, Paris, Classique Garnier, p.233-251, 2017.