HOMME ET LOUP

2000 ans d'histoire

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L’état de la recherche

 

Notes et références

Dans le conflit social qui s'accroît entre partisans ou opposants au retour du loup, l'enquête historique prend tout son sens. À l'heure où l'on repense la place de l'homme dans l'univers et surtout son impact sur l'environnement, la prise en compte du temps de l'histoire contribue à enrichir le débat sur la gestion d'espaces dans lesquels les pouvoirs publics et les associations s'engagent autour d'espèces emblématiques. Un diagnostic scientifique s'impose pour accompagner le dialogue entre les divers acteurs en présence (éleveurs, chasseurs, écologistes, agents de l'État et scientifiques) et éclairer les choix politiques des décideurs.

En France, en dehors des apports de sociologues ou d'anthropologues comme Isabelle Mauz ou Sophie Bobbé, d'ethnologues comme Nicolas Lescureux, ou tout récemment de géographes comme Farid Benhammou, aucun historien n'est intervenu pour participer à la réflexion1. La disparition trop rapide d'Alain Molinier - qui avait initié dans les années 1980 un premier programme de recherche sur la dangerosité du loup dans le cadre du CNRS - a conduit à reprendre l'investigation historique sur des bases nouvelles2. Le décès tout aussi prématuré de François de Beaufort, qui a réalisé en 1988 la première thèse d'écologie historique sur le sujet, a balisé bien des pistes mais il a laissé le chantier en friche 3. Notre enquête comble cette lacune avec une ouverture à la fois interdiciplinaire et internationale en plaçant l'expérience des gestions du passé sous le regard croisé des sciences de l'homme et des sciences du vivant.

Dans le cadre européen, les travaux historiques déjà réalisés sont soit sectoriels, soit trop généraux4. En 2002, le Ministère de l'Environnement norvégien a soutenu une première synthèse - review - sur les attaques de loups sur l'homme dans le monde dirigée par John Linnell5 . Ce travail s'appuyait sur une bibliographie internationale croisée grâce aux efforts de chercheurs de diverses nationalités afin de proposer un état des lieux. Confrontant les faits historiques aux cas les plus récents enregistrés au Moyen-Orient, en Asie ou en Amérique du Nord, à partir de la biliographie repérée, plusieurs aspects du phénomène ont pu être identifiés sans être véritablement détaillés : typologie des attaques, victimologie, contextes socio-environnementaux, etc. Depuis l'an 2000, le Parc national des Asturies a soutenu des recherches sur l'évolution du loup, de l'ours et du lynx mais les publications qui en ont résulté se sont limitées au secteur ouest de la chaîne cantabrique au cours des trois derniers siècles6. Dès le début des années 1990, en Espagne, les travaux de Teruelo et Valverde ont éclairé des cas d'attaques de loups sur l'homme en Galice et au nord du Portugal au XXe siècle mais le reste de la pénisule Ibérique manque d'études spécifiques. Le colloque Llops o Humansa Catalunya del passat al present (Banyoles, 6-8 novembre 2008) a été l'occasion de révéler aux chercheurs espagnols cette carence de la recherche7. En Italie, la dangerosité de Canis lupus a fait l'objet d'un travail collectif, qui appelle des comparaisons et des élargissements mais son ressort géographique ne concerne que le Piémont et la Lombardie8. D'autres contributions ont complété la bibliographie internationale sur les confrontations entre loups et hommes notamment pour la Scandinavie, la Russie, l'Asie ou encore l'Amérique du Nord9.

Au regard de ce constat, il apparaît utile d'étendre largement le champ chronologique (en-deçà du XIXe siècle) et de varier les échelles spatiales (du local au régional et au national) en allant examiner directement les sources à la base pour procéder à un inventaire méthodique et à une enquête de référence. Dans un premier temps, la base mise à disposition sur ce site intéresse la France entière : un espace d'une grande variété de paysages où la population de loup est restée importante jusqu'à la seconde moitié du XIXe siècle, et qui connaît, à l'instar des pays voisins, un retour progressif du loup depuis plusieurs décennies. Si l'on excepte quelques attestations plus anciennes, le demi-millénaire qui court des dernières décennies de la guerre de Cent Ans aux années 1930 offre une séquence chronologique fortement documentée sur la présence du loup et les conflits qu'elle a pu générer dans les sociétés. D'une richesse étonnante pour tout le territoire français mais aussi pour l'Europe, cette documentation présente un degré de dispersion extrême : sa prise en compte a imposé un long travail préparatoire et de nombreux déplacements dans de multiples dépôts d'archives. C'est l'originalité de ce programme que de proposer, sur un enjeu socio-environnemental d'intérêt général, une réflexion historique sur la longue durée, de la fin du Moyen Âge à l'actuel. C'est l'occasion aussi d'ouvrir une voie d'échanges entre domaines scientifiques complémentaires à partir des Sciences de l'Homme et de la Société.

 

Notes et références

1 Isabelle Mauz, Gens, cornes et crocs, Paris, Cemagref, 2005, 256 p. ; Sophie Bobbé, L'ours et le loup. Essai d'anthropologie symbolique, Paris, MSH, 2002, 258 p. ; Nicolas Lescureux, Maintenir la réciprocité pour mieux coexister ? Ethnographie du récit Kirghiz des relations dynamiques entre les hommes et les loups, thèse Muséum National d'Histoire Naturelle, 2007, 405 p. multigr. ; Farid Benhammou, Crier au loup pour avoir la peau de l'ours. Une géopolitique locale de l'environnement à travers la gestion des grands prédateurs en France, thèse AgroParisTech, 2007, 664 p. multigr.
2 Alain Molinier et Nicole Molinier-Meyer, « Environnement et histoire : les loups et l'homme en France », Revue d'histoire moderne et contemporaine, xxviii, avril-juin 1981, p. 225-245 ; Alain Molinier, « État des recherches sur les loups en France à la fin du xviiie siècle et au début du xixe », in Histoire et animal. Actes du colloque international « homme, animal, société », Toulouse, 11-16 mai 1987, Presses de l'IEP de Toulouse, Toulouse, 1989, t. II, p. 457-462 ; Alain Molinier et Nicole Molinier-Meyer, « Les loups et la rage d'après la correspondance des autorités départementales et du Ministère de l'Intérieur sous la Révolution et l'Empire », ibid., 1989, t. II, p. 463-470.
3 François Grout de Beaufort, Le Loup en France : éléments d'écologie historique, Paris, Société française pour l'étude et la protection des mammifères, 1987, coll. « Encyclopédie des carnivores de France », 32 p. ; François Grout de Beaufort, Écologie historique du loup, Canis lupus L. 1758, en France, thèse d'État ès Sciences, université de Rennes I, 1988, 1074 p. multigr.
4 Hans Kruuk, Hunter and Hunted. Relationships between carnivores and people, Cambridge UP, 2002, 264 p. ; Will N. Graves, Wolves in Russia. Anxiety through the Ages, Calgary, 2007, 223 p.
5 John D. C. Linnell et al., The Fear of Wolf. A review of wolf attacks on humans, Trondheim, NINA Oppdragsmelding, 731, janvier 2002, 65 p.
6 Juan Pablo Torrente, Osos y otras ferias en el pasade de Asturias (1700-1860), Oviedo, 1999, 535 p.
7 Josep Maria Massip, « El llop blanc dels ports. Noves dades d'uns anystràgics »  [5 enfants victimes d'un loup prédateur en Catalogne en 1838-1839], Mètode, 78, 2012, p. 9-13
8 Mario Cominchini (ed.), L'Uomo e la « bestia antropofaga ». Storia del lupo nell'Italia settentrionale dal XV al XIX secolo, Unicopli, 2002, 338 p.
9 Evert Pousette, De Människoätande Vargarna, Arkeo-Förlaget, 1989, 166 p. ; Ilmar Rootsi, "Man-eater wolves in 19th century Estonia", publication du symposium "Baltic Large Carnivore Initiative", Human dimensions of large carnivores in Baltic Countries, pp. 77-89. Pavlov, Wolf, Moscow, 1982 ; Rajpurohit, "Child lifting: wolves in Hazaribagh, India", Ambio28, pp. 162-166. McNay, A Case History of Wolf-Human Encounters in Alaska and Canada, Alaska Department of Fish and Game,Wildlife Technical Bulletin, 13, 2002.