HOMME ET LOUP

2000 ans d'histoire

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Les procès-verbaux de levée de cadavres : une source souvent disparue

 

Notes et références

En principe, comme pour toute mort accidentelle, aucune inhumation ne pouvait intervenir sans autorisation de justice, après une expertise médicale. Les attaques de loups entrent dans cette catégorie. Un certain nombre d'actes de sépulture reprennent les conclusions des chirurgiens habilités à examiner les restes des victimes ou renvoient sommairement à l'autorisation judiciaire. Un examen approfondi dans les archives judiciaires conduit parfois à retrouver les procès-verbaux de levée de cadavres, souvent rangés pêle-mêle. Ces documents indiquent parfois la part du loup, comme ceux que Colette Merlin a examinés dans la petite montagne jurassienne, en 17771. Mais ce n'est pas systématique et on peut se demander si les quelques cadavres dévorés par des canidés ne correspondent pas à des décès antérieurs2. Cette réserve faite, les levées de cadavres font partie des documents les plus précis et les plus circonstanciés que l'historien puisse utiliser.

Trois loups sur un troupeau : la mort d'un petit berger à Taintrux (Vosges)

Source : Arch. dép. Vosges, état civil en ligne, Taintrux, 1753-1755 (vue 5).

L'an 1753, vers les 7 heures du soir du 18e juillet fut dévoré des loups en gardant des bœufs dans une fourrière, lieu-dit « Au Haut-du-Buisson », François, fils de feu Jean Jacquot, de la paroisse du Ban de Sapt, et de défunte Anne André, ses père et mère, âgé d'environ 10 ans. Après avoir fait la recherche de son corps et ayant trouvé les deux jambes et quelques os qui, après la levée faite par la justice, ont été inhumés dans le cimetière de l'église avec les cérémonies accoutumées en présence de Jean Delon, tailleur d'habits, de Jean Michel, laboureur et en présence de plusieurs autres, le 20 du courant, tous témoins, qui ont signé le présent acte avec moi curé aussi soussigné. signé : J. Delon, Jean Michel, Blaise Colnat, Nicolas Ganaye, J-B. Rouel, curé.





Autopsie d'un drame : le procès-verbal de levée de cadavre de François Jacquot

Source : Arch. dép. Vosges, B 5457, châtellenie de Taintrux
(document aimablement communiqué par Xavier Rochel).

Ce jourd'hui dix-neuf juillet mil sept cent cinquante trois. Par devant nous François Haxo avocat à la Cour exerçant au bailliage royal de Saint-Dié, juge-garde des terres et seigneurie de la châtellenie de Taintrux et autres lieux, est comparu le procureur fiscal de ladite seigneurie, lequel nous a dit qu'ayant eu avis que le jour d'hier au soir un pâtre du village de La Fosse, ban de Taintrux, aurait été dévoré par les loups étant à la garde de ses bestiaux dans une fourrière, située au village dudit La Fosse, dit « au haut du Buisson » et qu'il restait encore sur place et aux environs quelques membres dudit pâtre.

En conséquence de quoi nous ayant donné sa requête ce jourd'hui aux fins de nous transporter sur les lieux pour en faire la reconnaissance circonstance et dépendance, et en exécution de notre ordonnance mise au bas dudit réquisitoire aussi, ce jourd'hui par laquelle nous avons ordonné qu'à son assistance nous nous transportions aussitôt sur les lieux, accompagnés de sieur Jean Claude Ferry, chirurgien audit Saint-Dié pour l'absence du chirurgien juré aux rapports pour procéder a ladite reconnaissance, étant partis dudit Saint-Dié, lieu de notre résidence sur le midi pour nous rendre sur les terrains en question, et étant parvenus dans la fourrière ci-dessus dénommée sur les deux heures de relevée, nous aurions trouvé Margueritte Gérard, fille d'Antoine Gérard, de Gerhaudel, servante chez Jean Michel, habitant dudit lieu de La Fosse et Anne Pierrot de Saint-Léonard servante chez François Le Roy, dudit La Fosse, Léopold Gérard, du même lieu, Jean-Baptiste Sagaire et George André aussi du même lieu de La Fosse, auprès desquelles nous avons trouvé sur le gazon de ladite fourrière deux jambes, l'une rongée par le dessus jusques au mollet et l'autre jusqu'à la partie inférieure de la cuisse, la tête de l'os de la cuisse appelé fémur, une autre partie desdit os des îles auquel sont imprimés des espèces de morsures de dents, et deux parties des gros intestins.

Nous étant informés des ci-dessus nommés d'où provenaient lesdits membres, os et intestins, ils nous ont déclaré après serment par eux prêté de dire vérité, savoir lesdites Margueritte Gérard et Anne Pierrot qu'étant hier soir à la garde de leurs bestiaux a l'endroit dit « ès Cherrières », finage voisin de celui du haut du Buisson, elles virent vers le soleil couchant trois loups qui sortirent des rapailles [forêts dégradées] voisines de ladite fourrière du Haut du Buisson ou étaient en pâture deux bœufs et un veau appartenant à Nicolas Ganaye, dudit lieu de La Fosse, qui étaient gardés par François Jacquot, fils de défunt Jean Jacquot, de Bourras, Ban-de-Sapt, et de défunte Anne André, sa femme, âgé d'environ dix ans, aussitôt qu'elles aperçurent lesdits loups, deux s'élancèrent sur le bord d'un champ ensemencé de seigle à côté de ladite fourrière ou étaient ledit François Jacquot environ cinq ou six pas dans ledit champ de blé l'un desquels loups sauta sur ledit Jacquot pour le dévorer dans le même instant le second loup y accourut et l'un et l'autre traînèrent aussitôt ledit Jacquot de cet endroit dans les rapailles qu'elles entendirent crier ledit Jacquot en ces termes : « Mon Dieu, mon Dieu ! ». Le troisième desdits loups était resté sur la lisière des rapailles pour se jeter sur les bestiaux.

Lesdits Jean Baptiste Sagaire et George André ont aussi déclaré que fauchant dans un pré dit ès raves, ils ouïrent aussi crier : « Mon Dieu, mon Dieu ! », mais qu'ils ne virent rien parce qu'ils étaient trop enfoncés et ledit Léopold Gérard nous a pareillement déclaré qu'étant à la garde de ses bestiaux hier soir a soleil couchant dans ledit canton des Charrières un peu plus bas que lesdites filles, il aperçut deux loups proche lesdites rapailles et aperçut quelque chose de bleu près d'eux qui apparemment était le corps dudit Jacquot et ses bœufs s'étant mis a courir du côté des loups ils se retirent dans les rapailles des environs. Et nous ont pareillement montrés une paire de culottes de toile au derrière de laquelle nous avons remarqué des trous apparemment faits par les dents des loups et un sarrau de toile couvert de sang au col et aussi déchiré au même endroit et enfin quelques lambeaux d'une chemise ensanglantée qui nous ont dit être les habillements dudit François Jacquot. Ladite paire de culotte ayant été trouvée dans ladite fourrière, environ quarante ou cinquante pas des rapailles ; les lambeaux de la chemise et le sarrau ont eté trouvés dans lesdites rapailles en différents endroits et enfin nous avons trouvé un bonnet de toile dans le champ de blé a l'endroit ou était ledit Jacquot lorsque les loups se sont jetés sur lui, et avons reconnu la traînée par le blé qui s'est trouvé écrasé et la terre remuée laquelle trainée paraissait aller du côté des rapailles suivant qu'il paraît par la couche du blé seigle ou étant aussi comparut ledit Nicolas Ganaye il nous a aussi assuré avoir retrouvé lesdites nippes et les membres dudit Jacquot, son cousin, suivant qu'il nous vient d'être déclaré et lui avons abandonné lesdits membres, os et intestins, de même qu'à Blaise Colnat du lieu de Taintrux (...) dudit François Jacquot, qui nous ont déclaré avoir reconnue lesdits membres être dudit François Jacquot, pour les faire inhumer à la terre sainte.

De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal après que ledit Jean-Claude Ferry nous a eu déclaré qu'il paraît que les extrémités inférieures qui restent du cadavre dont il vient d'être parlé ont étés mâchés par leurs parties supérieures, les os décharnés, la figure des dents imprimée sur les chairs restantes, les parties des gros intestins que nous avons vus et examinés, déchirés et brisés en différents lambeaux et tout restant. Fait sur les lieux, les an et jour avants dits, en présence du souscrit greffier et de notre sergent commis, qui ont observé les formalités ordinaires en cas pareil.

Signé : F. Haxo - Petitjean - Ferry - Jean-Baptiste Sagaire - George André - Nicolas Ganaye - Blaise Colnat. Marques : Léopold Gérard - Marguerite Gérard - Anne Pierrot


Notes et références

1 Colette Merlin, Le Pain de mêlée. Campagnes jurassiennes dans l'ancienne France, Bourg-en-Bresse, La Taillanderie, 1994, p. 112-113 (d'après Arch. dép. Jura, B 92).
2 Julien Alleau, Quand les loups attaquaient l'homme. Attaques de loups et mortalité accidentelle de la Bresse au Dauphiné sous l'Ancien Régime, université de Caen, mémoire de master 1 en histoire moderne, 2005, p. 35-44.