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5° région de l'Ouest ou du sarrasin

On a le cœur serré quand on quitte la région du Nord-Ouest et ses terres si bien cultivées, et qu’on arrive au centre de la Bretagne. On n"y admire pas ce réseau de verdure et de feuillage qu’on rencontre partout dans la Normandie ; le voyageur n’a sous les yeux, pour ainsi dire, que des bruyères et des ajoncs, et encore des bruyères, produits comme à regret par une nature languissante. Le sol, parsemé de roches, de tertres arides et brunis, n’offre souvent qu’une terre noire brûlée par le soleil durant l’été, et saturée d’eau, pendant l’hiver et le printemps, par des pluies abondantes. Au milieu de cette aridité, de cette terre ingrate, de ce sol qui se laisse difficilement dompter par le travail de la charrue, il coule quelques ruisseaux ; mais ce ne sont plus, comme dans les Alpes, les Vosges et les Pyrénées, des sources limpides et joyeuses: ces ruisseaux mouillent en fuyant, de leurs eaux rares et troubles, de nombreuses touffes de joncs.

Mais la région de l’Ouest n’offre pas partout un tableau aussi sombre, parce que ses immenses steppes de bruyères et d’ajoncs n’enveloppent pas toute la superficie qu’elle présente, comme ses brouillards, souvent très humides et malsains. Dans les lieux abrités des vents d’ouest, qui sont ordinairement très-violents, dans les localités où la terre granitique ou schisteuse est suffisamment profonde, où le noir animal et la chaux ont permis de défricher les meilleures terres de landes et d’élever la fécondité des anciennes terres labourables, la nature présente un aspect enchanteur, que l’art ne saurait imiter. Ici, des milliers d’arbres entourent les champs cultivés et les prairies, et jettent une teinte sombre et mélancolique sur toute une contrée. Là, le voyageur est enseveli dans des chemins creux dont les rayons du soleil atteignent difficilement les nombreuses sinuosités. Ici, encore, la terre est ornée de menhirs, de dolmens ou de cromlechs, monuments qui rappellent les premiers peuples de la vieille Armorique. Plus loin, le chant monotone du laboureur conduisant une ou deux paires de bœufs attelés au joug, pour disposer la terre arable en petits billons, se mêle aux chants des oiseaux, qui égayent aussi ses travaux et ses rêveries. Là, le genêt, à l’ombre duquel paissent de jeunes bêtes bovines et des bêtes à laine, épanouit ses belles fleurs à couleur d’or ; le blé noir, dont le grain, suivant Michelet, ralentit l’intelligence de l’homme, enveloppe la terre comme d’un linceul remarquable par son éclatante blancheur. Là encore, et surtout dans les montagnes d’Arée et les montagnes Noires, les riantes collines parsemées de bruyères roses et d’une stérilité charmante, les campagnes pleines de charme, d’éclat et de variété, rappellent les intéressants paysages qui encadraient autrefois l’antique et mystérieuse forêt de Brocéliande. Ici, la terre des marais de Dol produit du tabac ; les vallées de la basse Bretagne se couvrent de lin, et l’habitant des rives de l’Océan n’oublie pas qu’il peut disputer à la mer, À chaque heure du jour et de la nuit, de précieux engrais végétaux et minéraux : goëmon, merl ou madrépores fossiles, tangue, vase, coquillages, etc. ayant une action remarquable dans la culture du froment, de l’orge et du trèfle, et sur les produits horticoles de Roscoff ; enfin, là-bas, dans un vallon paisible ou sur le flanc d’un coteau, l’air est embaumé par le parfum que versent à grands flots l’aubépine, l’églantine et le chèvrefeuille !

C’est à l’influence du grand courant marin appelé gulf-streamque la basse Bretagne doit de pouvoir cultiver en grand et avec succès, à Roscoff, l’artichaut, le chou-fleur, l’oignon, l’ail, etc. légumes qui sont expédiés au Havre, à Paris, à Plymouth et à Londres ; et ce sont les engrais fournis par la mer qui lui ont permis de créer sur le littoral de l’ancienne Armorique la zone agricole si productive que l’on a appelée ceinture dorée.

La Bretagne a des productions spéciales : elle fournit des moutons à laine noire, pour lesquels la lande est la grande pourvoyeuse, en hiver comme en été ; ces bêtes à laine, dont la chair est parfumée, sont d’une petitesse extrême dans les localités où la terre ne produit que de la bruyère. Cette ancienne province possède aussi une race bovine très-remarquable par son aptitude à vivre sur les terres pauvres et l’excellent beurre qu’elle fournit, produit si justement apprécié par Mme de Sévigné dans les charmantes lettres qu’elle nous a laissées, et qui permet de manger avec plaisir les galettes de farine de sarrasin ou les bouillies de farine d’avoine. Enfin, la basse Bretagne, dans laquelle le domaine congéable existe encore dans un grand nombre de communes, produit le cheval de Tréguier, le cheval de Corlay, le double bidet breton ou cheval de Briec, le petit cheval de l’Île d’Ouessant, qu’elle nourrit avec l’ajonc, le panais et l’avoine d’hiver, animaux qui n’ont pas d’analogue quant à leur énergie et leur rusticité. La haute Bretagne récolte des vins blancs qui ont du bouquet, du cidre dont la qualité est très-appréciée, et du miel qui est grossier, il est vrai, mais qui est accompagné d’une cire ayant la propriété de blanchir avec une extrême facilité.

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oui