chapitre 20

capitulum XX

Comment Roger, invité par Guiscard, quitte la Calabre pour la Pouille

De Rogerio, qualiter a Guiscardo invitatus a Calabria in Apuliam vadit

<1> Alors, pour imposer au pays de lui être fidèle ainsi qu’à son frère, <Roger> l’organisa à sa convenance1Par l’emploi du tour terra ad suam et fratris fidelitatem pro libitu ordinata, le chroniqueur place Roger et Robert sur un pied d’égalité, bien que le second ait été récemment élu comte des Normands de Pouille. Malaterra affiche ainsi les ambitions du jeune homme dès ses premières opérations en Calabre (à propos de la relation hiérarchique entre les deux frères présentée par Malaterra, voir Fodale 2001)., puis il envoya à son frère en Pouille par des représentants les sommes considérables qu’il avait perçues et lui fit connaître les succès de sa mission. De son côté, fortifiant avec un soin tout particulier la forteresse dite de Nicefola [Rocca Niceforo]2Le nom de cette forteresse est à rapprocher de celui du mont Nicefoli, limite nord-ouest du territoire partagé par Robert et Roger dans le cadre du condominium (I, 29). Plusieurs identifications ou localisations ont été proposées (selon Zinzi 1998, 293, n. 215, se référant à Ménager 1958-1959b, 11 et n. 2, la place se trouverait peut-être à Nocera Tirenese ou près de l’actuelle Domanico), qu’il faut revoir à la lumière des remarques de Falkenhausen 2000. On peut reconnaître dans les variantes portées par les manuscrits des altérations du nom de Rokka Nikèphorou – ou Rocca Niceforo –, l’une des places identifiées par Noyé et al. 1998, 432, parmi celles que firent construire les Byzantins sur les contreforts des Serre entre la fin du IXe siècle et l’arrivée des Normands au milieu du XIe siècle – notamment sous Nicéphore Phokas –, pour compléter la ligne défensive plus ancienne des VIe-VIIe siècles, qui partait d’Amantea (prov. Cosenza) au nord et se prolongeait jusqu’à Squillace au sud (voir aussi la carte établie par Noyé 1998, 103). Le lieu prit, à l’époque aragonaise, le nom de Rocca Angitola. Les ruines de la forteresse, détruite lors du tremblement de terre de 1783, dominent aujourd’hui le lac artificiel du même nom, situé au nord de Vibo Valentia. Le territoire pour lequel Roger et Robert ont conclu le condominium a donc eu pour limite nord la ligne qui reliait Rocca Niceforo à Squillace, région montagneuse qui fermait le Val des Salines. L’importance stratégique de la forteresse, construite pour contrôler la principale voie de communication de la Calabre, est soulignée par Falkenhausen 2000, 230-231. au moyen de tours et d’ouvrages défensifs3Ces deux termes sont très souvent associés par Malaterra (sauf en II, 15, 1, et II, 43, 4). Les propugnacula sont des ouvrages défensifs, sans doute élevés. Bresc 1994a, 72, propose d’y reconnaître des bretèches ou des hourds mobiles, ou peut-être des barbacanes., il y posta des chevaliers tout équipés, après avoir fait entrer en quantité suffisante dans la place tout ce qui était nécessaire à son approvisionnement. <2> Quant à Guiscard, il fut transporté de joie en recevant les sommes qui lui avaient été envoyées par son frère et en découvrant les preuves de sa vaillance ; souhaitant s’entretenir avec lui, il lui fait dire de venir d’urgence le voir. Emmenant en tout six chevaliers avec lui, tous les autres étant restés pour assurer la protection de la forteresse qu’il avait édifiée et exercer sur le pays une pression qui le détournât d’oser une perfidie, <Roger> se rendit en Pouille chez son frère. Celui-ci le reçut comme il se devait ; puis ils causèrent l’un après l’autre de leurs succès, et tous deux prirent à cet échange de propos un grand plaisir.

<1> Sic [+] [sic C Z : hic B. [-]] SicSicSicHic terra [+] [terra… ordinata B : terram… ordinata C Zx terram… ordinatam Z. [-]] terraterraterram ad [+] [ad ZB : et C. [-]] adadadet suam et fratris fidelitatem pro libitu [+] [libitu C : -to ZB edd. [-]] libito ordinataordinataordinataordinata [+] [Zx : ordinata [-]] ordinatam, plurimum pecuniae [+] [plurimum pecuniae C Z : plurimam pecuniam B. [-]] plurimum pecuniaeplurimum pecuniaeplurimum pecuniaeplurimam pecuniam quam acceperata'On peut hésiter ici sur la traduction : peut-être convient-il de comprendre « la plus grosse partie de l’argent qu’il avait perçu », selon un accord strict du relatif avec son antécédent. Cependant, c’est le sens absolu du superlatif qui permet d’exprimer l’idée que la somme d’argent recueillie par Roger fut considérable. On peut comparer avec I, 25, 1 : plurimum penuriarum passus est ; I, 34, 2 : plurimumque exercitus […] congregans ; III, 37 (Pontieri, p. 80, l. 2) : plurimum thesaurorum contulerunt ; III, 40 (Pontieri, p. 82, l. 2) : plurimum laetitiae […] reddidit. Le génitif partitif avec plurimus n’est cependant pas employé de manière systématique (voir II, 33, 4 ; II, 36, etc.). Dans le tour plurimo praedae accepto (II, 4, 4), on constate que le participe s’accorde avec plurimo. Ce cas d’accord du relatif avec le complément du nom placé juste avant lui, quand, pour le sens, c’est avec le mot complété (ou noyau du syntagme) qu’il devrait s’accorder, peut être rapproché de Epist. 2, 7 : illud Scripturae, qua dicitur. in Apuliam fratri per legatos misit, eventus suos qualiter egerit mandans. Ipse vero castrum quod [+] [quod… dicitur C Z : de B. [-]]  Nicefola [+] [nicefola C : nicif- Z nuchifora B incifola ed. pr. [-]] diciturquod Nicefola diciturquod Nicifola diciturquod Incifola diciturde Nuchifora studiosissime [+] [studiosissime C B : -ossime Z. [-]] studiosissimestudiosissimestudiosissimestudiossime turribus et [+] [et ZB : ut C. [-]] etetetut propugnaculis firmans, armatis militibus [+] [firmans — militibus om. B. [-]] firmans, armatis militibusfirmans, armatis militibusfirmans, armatis militibus[om.] munivit, omnibus quae ad victum necessaria erant sufficienter introductis. <2> Guiscardus vero, pecunia quae sibi a fratre directa [+] [directa ZB : direpta C. [-]] directadirectadirectadirepta est accepta et strenuitate [+] [strenuitate C Z : fraternitate B. [-]] strenuitatestrenuitatestrenuitatefraternitate ejus agnita, plurimum gavisus est, ejusque colloquium [Z/f.13v-14r] desiderans ut ad se venire acceleret [+] [venire acceleret C Z : veniret B. [-]] venire acceleretvenire acceleretvenire acceleretveniret mandat. Ille, sex tantummodo milites secum ducens [+] [milites — ducens C Z : militibus acceptis B militibus acceptis et Pontieri. [-]] milites secum ducensmilites secum ducensmilitibus acceptismilitibus acceptis et, reliquis ad tuendum castrum quod fecerat et provinciam premendam, ne fraudem [+] [fraudem C : fraudes ZB ed. pr. [-]] fraudemfraudes praesumeret [+] [praesumeret C : -rent ZB ed. pr. [-]] praesumeretpraesumerent, relictis, in Apuliam ad fratrem venit. A quo cum decenter fuisset susceptus, eventus suos alternatim conferentes, mutua collocutione laetati [+] [laetati C B Ca : locuti Z ed. pr. [-]] laetatilaetatilaetatilocuti sunt.

~

1Par l’emploi du tour terra ad suam et fratris fidelitatem pro libitu ordinata, le chroniqueur place Roger et Robert sur un pied d’égalité, bien que le second ait été récemment élu comte des Normands de Pouille. Malaterra affiche ainsi les ambitions du jeune homme dès ses premières opérations en Calabre (à propos de la relation hiérarchique entre les deux frères présentée par Malaterra, voir Fodale 2001).

2Le nom de cette forteresse est à rapprocher de celui du mont Nicefoli, limite nord-ouest du territoire partagé par Robert et Roger dans le cadre du condominium (I, 29). Plusieurs identifications ou localisations ont été proposées (selon Zinzi 1998, 293, n. 215, se référant à Ménager 1958-1959b, 11 et n. 2, la place se trouverait peut-être à Nocera Tirenese ou près de l’actuelle Domanico), qu’il faut revoir à la lumière des remarques de Falkenhausen 2000. On peut reconnaître dans les variantes portées par les manuscrits des altérations du nom de Rokka Nikèphorou – ou Rocca Niceforo –, l’une des places identifiées par Noyé et al. 1998, 432, parmi celles que firent construire les Byzantins sur les contreforts des Serre entre la fin du IXe siècle et l’arrivée des Normands au milieu du XIe siècle – notamment sous Nicéphore Phokas –, pour compléter la ligne défensive plus ancienne des VIe-VIIe siècles, qui partait d’Amantea (prov. Cosenza) au nord et se prolongeait jusqu’à Squillace au sud (voir aussi la carte établie par Noyé 1998, 103). Le lieu prit, à l’époque aragonaise, le nom de Rocca Angitola. Les ruines de la forteresse, détruite lors du tremblement de terre de 1783, dominent aujourd’hui le lac artificiel du même nom, situé au nord de Vibo Valentia. Le territoire pour lequel Roger et Robert ont conclu le condominium a donc eu pour limite nord la ligne qui reliait Rocca Niceforo à Squillace, région montagneuse qui fermait le Val des Salines. L’importance stratégique de la forteresse, construite pour contrôler la principale voie de communication de la Calabre, est soulignée par Falkenhausen 2000, 230-231.

3Ces deux termes sont très souvent associés par Malaterra (sauf en II, 15, 1, et II, 43, 4). Les propugnacula sont des ouvrages défensifs, sans doute élevés. Bresc 1994a, 72, propose d’y reconnaître des bretèches ou des hourds mobiles, ou peut-être des barbacanes.

~

a'On peut hésiter ici sur la traduction : peut-être convient-il de comprendre « la plus grosse partie de l’argent qu’il avait perçu », selon un accord strict du relatif avec son antécédent. Cependant, c’est le sens absolu du superlatif qui permet d’exprimer l’idée que la somme d’argent recueillie par Roger fut considérable. On peut comparer avec I, 25, 1 : plurimum penuriarum passus est ; I, 34, 2 : plurimumque exercitus […] congregans ; III, 37 (Pontieri, p. 80, l. 2) : plurimum thesaurorum contulerunt ; III, 40 (Pontieri, p. 82, l. 2) : plurimum laetitiae […] reddidit. Le génitif partitif avec plurimus n’est cependant pas employé de manière systématique (voir II, 33, 4 ; II, 36, etc.). Dans le tour plurimo praedae accepto (II, 4, 4), on constate que le participe s’accorde avec plurimo. Ce cas d’accord du relatif avec le complément du nom placé juste avant lui, quand, pour le sens, c’est avec le mot complété (ou noyau du syntagme) qu’il devrait s’accorder, peut être rapproché de Epist. 2, 7 : illud Scripturae, qua dicitur.