chapitre 18

capitulum XVIII

Comment Guiscard devint comte de Pouille

Qualiter Guiscardus comes Apuliae factus sit

<1> Le comte Onfroi, qui gouvernait la Pouille en paix, dans la gloire et les louanges, tomba malade et – on ne peut le dire sans chagrin – mourut1Onfroi mourut en 1057 d’après Romuald de Salerne (Romualdi Salernitani Chronicon, p. 183) ou l’Anon. Bar. (ad an.), sans doute au début de l’année, peut-on préciser grâce à une charte de Troia, selon laquelle Robert Guiscard règne depuis vingt-six ans en février 1083, avec le titre de comte et duc de Pouille, de Calabre et de Sicile (voir Les Chartes de Troia. 1, 1024-1266, J.-M. Martin (éd.), Bari, Società di storia patria per la Puglia (Codice diplomatico pugliese ; 21), 1976, p. 111, nº 18 ; Dunbar & Loud 2004, 111, n. 5). Sa dépouille fut transférée quelques années plus tard - en 1069 - par Guiscard à l’abbaye de la Sainte-Trinité de Venosa (voir Chibnall 1994, 161-170 ; Recueil des actes des ducs normands d’Italie : 1046-1127, t. I, Les Premiers Ducs (1046-1087), L.-R. Ménager (éd.), Bari, Grafica Bigiemme (Documenti e monografie ; 45), 1980, p. 80-82, nº 20 ; Delogu 1994, 174, qui a montré qu’il y avait là un acte de propagande). À Venosa se trouvait une ancienne abbaye lombarde, restaurée par les Hauteville – et notamment par Onfroi –, où s’installèrent des moines venus du Mont-Cassin.. Aussitôt qu’il l’apprit, Guiscard, qui demeurait à ce moment-là à San Marco, se hâte, le cœur gonflé de chagrin, de se rendre en Pouille ; accueilli par les dignitaires du pays, il est élu à la place de son frère seigneur et comte de tous2Robert Guiscard obtint le titre comtal avant août 1057, probablement dans les premiers mois de l’année (voir note précédente). Il semble, à lire Malaterra et l’enchaînement susceptus… efficitur, que Robert fut élu comte, comme Onfroi avant lui. Cependant, les autres sources (à l’exception d’Aimé IV, 2, qui note les faits sans donner d’explication : « Quant lo conte Umfroi fu mort, Robert, son frere, rechut l’onor de la conté et la cure de estre conte ») conduisent plutôt à considérer que Robert a usurpé la succession (voir Tramontana 1986, 58). Guil. Ap. II, 364-372 : « À cette époque, Onfroi, prince de la Pouille (Appulus […] princeps), très affaibli, fait appeler d’urgence son frère auprès de lui. Robert se hâte. […] À son arrivée, il apporte un grand réconfort au malade, qui demande à son frère de gouverner ses terres (Rector terrarum sit) après sa mort et d’être le tuteur (tutor) de son fils, qui était un enfant et que son jeune âge empêchait de gouverner (Rectorem fieri). Son frère, inquiet, lui témoigne son attachement et lui promet d’accomplir toutes ses volontés » (trad. Mathieu 1961, 153, retouchée) ; Orderic Vital, Interp. GG, VII (30) = GND 2, 158 : « Onfroi confia son fils Abélard ainsi que le duché de Pouille à son frère Robert » (Qui [sc. Unfridus] […] Abailardum filium suum Rodberto fratri suo […] cum ducatu Apulie commendavit) ; Romuald de Salerne, Romualdi Salernitani Chronicon, p. 183 : « en l’an 1057 de l’incarnation du Seigneur, indiction 10, le comte Onfroi mourut, laissant, pour lui succéder, son fils Abélard, chevalier vaillant. Mais Robert, surnommé Guiscard, frère dudit comte Onfroi et fils de Tancrède, usurpa le pouvoir comtal sur les Normands (Normannorum comitatus honorem sibi arripuit) et chassa son neveu Abélard ». Malaterra (III, 4) et Guillaume de Pouille (II, 451-453) mentionnent une rébellion contre le duc, menée par ses neveux suite à cette usurpation.. <2> Quand il eut réglé ses affaires et obtenu toute la Pouille pacifiquement, il ne put nullement oublier le projet qu’il avait d’abord formé. Au contraire, ayant étendu sa souveraineté sur un territoire plus vaste et disposant de forces plus importantes, à savoir de chevaliers en grand nombre, il s’occupa à nouveau de mener à terme ce qu’il avait commencé. C’est pourquoi, il leva des troupes, <prépara> les équipements indispensables à son entreprise et conduisit son armée en Calabre : après avoir traversé les territoires de Cosenza et de Martirano, il fit une halte de deux jours près de sources chaudes, sur la rive du fleuve qui s’appelle l’Amato3La leçon de B incite à reconnaître dans Lamita le nom de l’Amato (ou du Lamato), qui se jette dans le golfe de Sant’Eufemia. L’Amato a donné son nom à l’actuelle commune de Lamezia Terme, créée en 1968 de l’union de Nicastro, Sambiase et Sant’Eufemia (prov. Catanzaro). À proximité se trouvent les Terme di Caronte (encore appelés Terme di Nicastro), dont les eaux chaudes (environ 39 ºC) étaient déjà connues à l’époque tardive sous le nom d’Aquae Angae. Burgarella 1999, 401-403, a montré que le syntagme aquas calidas présent chez Malaterra comme dans la traduction latine faite au Mont-Cassin en 1086-1087 de la Passio SS. Senatoris, Viatoris, Cassiodori et Dominatae désignait les Aquae Angae. L’identification est confirmée par Givigliano 2003, 25., pour permettre aux troupes épuisées par la difficulté de la route de refaire leurs forces et pour reconnaître plus sûrement le pays. <3> Passant de là à la ville fortifiée qui se nomme Squillace4Actuellement, Squillace (prov. Catanzaro) se trouve au sud de l’isthme de Catanzaro, au sommet des hauteurs qui dominent la baie homonyme. Cependant, les fouilles entreprises aux environs de Squillace et à Santa Maria del Vetere di Stalettì ont permis de montrer que c’est probablement sur le territoire de Stalettì, à quelques kilomètres au sud de l’ancienne Scolacium, abandonnée à la fin du VIe siècle, que fut établie la cité byzantine où firent halte les Hauteville. Cette nouvelle Squillace était une cité fortifiée importante de la ligne défensive face aux Sarrasins (voir Noyé et al. 1993, en particulier 503-507 ; Noyé-Bougard 1997, 1074), et elle fut d’ailleurs la dernière place calabraise prise par les Normands (voir infra, I, 34). Ce n’est que dans les dernières années du XIe siècle que les habitants s’installèrent sur le site actuel et que le château fut construit. sur le côté opposé, il poursuivit sa route le long de la mer5Pour atteindre Squillace, Robert quitte la Via Popilia à Máida, traversant l’isthme de Catanzaro en direction du sud-est, pour emprunter la route secondaire qui, à partir de Squillace, longe la mer Ionienne ; voir Hervé-Commereuc 1994, 79, carte 1, et Flambard Héricher 1994, 94, carte 1. pour arriver devant Reggio. Il y passa trois jours à inspecter les lieux6Bien que la ville de Reggio fût dépourvue de défenses naturelles, elle était protégée par une enceinte maçonnée, comme la plupart des villes byzantines de l’Italie méridionale, mais qui ne pouvait suffire à la défendre contre les Sarrasins. Cependant elle était munie d’un πραιτώριον (mentionné dans la Vie de saint Élie le Spéléote, in AASS, Septembris, t. III, Anvers, B. A. Van Der Plassche, 1750, Dies 11, col. 854D), siège de l’administration centrale, et un faubourg était protégé par une fortification autonome, précisent Martin & Noyé 1991b, 49-50. La ville avait profité de la campagne de construction et de restauration engagée par Nicéphore Phocas vers 965-966, et était entourée d’une ceinture de forteresses autonomes, située dans l’arrière-pays (ainsi, au nord, l’enceinte de Calanna ; voir Zinzi 1991, 739 ; Noyé 1998, 107-108)., puis, voyant que les habitants de la ville restaient insensibles tant à ses menaces qu’à ses flatteries, comme le règlement de certaines affaires7Malaterra ne précise pas la nature des affaires qui rappelèrent Robert en Pouille. Il est possible qu’il s’agisse de la révolte de Pierre de Trani, fils d’Ami, mentionnée par Aimé IV, 5-7, mais celle-ci eut lieu, selon ce dernier, après la prise de Reggio. Pierre s’était emparé de Melfi pendant l’absence de Robert. À son retour de Calabre, Robert reprit la ville et força son rival à traiter avec lui, jusqu’à lui faire signer un pacte d’amitié. Les autres comtes normands durent aussi reconnaître son autorité, qui en sortit considérablement grandie en Pouille et en Calabre. le rappelait en Pouille, il se prépare à rentrer. En chemin, il reçut la capitulation de Nicastro, Máida8Les deux places de Nicastro (diocèse suffragant de Reggio) et Máida se trouvent dans la province de Catanzaro. Elles ont été fortifiées par les Byzantins entre la fin du IXe et le milieu du XIe siècle : voir Noyé et al. 1998, 432. et Canalda9Le toponyme – qu’il s’agisse de Canalda, donné par Z et l’édition princeps, ou de Canalea de B et Pontieri – n’a pas été identifié. Noyé et al. 1993, 505, n. 13, proposent de situer la place dans la province de Vibo Valentia, soit à Castelmonardo (Filadelfia), à une trentaine de kilomètres au nord-est de Vibo Valentia, soit à quelques kilomètres plus au sud, à proximité de Monterosso., qui firent la paix.

<1> HunfredusHumfridusHumifredusHunifredusHumfredus igitur comes, Apuliam gloriosissime et laudabili pace gubernans, infirmitate praeventus – quod dolor est dicere [+] [quod — dicere om. B. [-]] quod dolor est dicerequod dolor est dicere[om.] – mortuus est. Quod Guiscardus, qui [+] [qui ZBx : quod B. [-]] quiqui [+] [Bx : qui [-]] quod tunc temporis apud Sanctum Marcum morabatur, audiens, versus Apuliam magno cum dolore animi [+] [post animi iter. cum dolore Z add. approperare B Pontieri. [-]] animianimi cum doloreanimi approperare accelerat [+] [accelerat B : -rant Z. [-]] accelerataccelerataccelerant ; susceptusque a patriae primatibus, omnium dominus et [+] [et om. B. [-]] etet[om.] comes in loco fratris efficitur [+] [efficitur Z : acceptus B. [-]] efficiturefficituracceptus. <2> Ordinatisque rebus suis [+] [suis om. B. [-]] suissuis[om.] et tota Apulia sibi in pace conciliata, quod primum animo [+] [animo Z : in anima B in animo Pontieri. [-]] animoin animain animo conceperat [+] [conceperat B : -rant Z. [-]] conceperatconceperatconceperant minime oblivisci potuit. Sed [+] [sed Z : omni B. [-]] SedSedOmni, jam ampliori imperio dilatatus [+] [dilatatus om. B. [-]] dilatatusdilatatusdilatatus et majoribus viribus, militum videlicet copia, auctus [+] [auctus Z : ad vitus B. [-]] auctusauctusad vitus, ad quod coeperat peragendum iterum intendit. Exercitu itaque commoto et his quae ad expeditionem necessaria erant <apparatis> [+] [apparatis addidi : paratis add. Pontieri. [-]] <paratis>a'Pontieri avait proposé à juste titre d’ajouter un participe, afin de former avec his un ablatif absolu. Cependant, un relevé exhaustif de cette tournure, très fréquente dans le De rebus gestis Rogerii, avec ou sans relative développant le pronom sujet de la proposition participiale, conduit à préférer le verbe composé au verbe simple, car celui-ci n’apparaît ailleurs qu’à deux reprises, au point que le premier est suspect (I, 21, 1 : paratis his quae ad expeditionem necessaria erant), tandis que le second a pu être imposé par des contraintes métriques (III, 14 [Pontieri, p. 66, l. 3] : Omnibus aptatis et navibus arte paratis). Au contraire, apparatis est récurrent, au début ou à la fin de l’ablatif absolu (voir I, 7, 4 : apparatis quae necessaria erant ; III, 24 [Pontieri, p. 71, l. 8-9] : apparatisque pro posse sumptibus tanto inceptui dignis ; IV, 23 [Pontieri, p. 101, l. 34-35] : apparatis iis quae ad id officii congruebant ; IV, 25 [Pontieri, p. 103, l. 11] : apparatis quae necessaria erant ; II, 26, 4 : machinamentis apparatis ; II, 45, 1 : commeatibus et ceteris quae expeditioni congruebant apparatis ; III, 22 [Pontieri, p. 70, l. 27] : navibus apparatis ; III, 24 [Pontieri, p. 71, l. 33-34] : copiis itaque tanto inceptui dignis pro posse apparatis ; III, 32 [Pontieri, p. 77, l. 4] : sumptibus pluribus apparatis ; III, 37 [Pontieri, p. 79, l. 13-14] : omnibus accuratissime apparatis ; IV, 5 [Pontieri, p. 87, l. 31-32] : studioque machinamentis ad urbem capiendam apparatis ; IV, 8 [Pontieri, p. 90, l. 14] : navibus apparatis ; IV, 10 [Pontieri, p. 91, l. 14] : militaribus et peditum copiis apparatis ; IV, 13 [Pontieri, p. 92, l. 16] : machinamentis ad castrum affligendum apparatis ; IV, 25 [Pontieri, p. 103, l. 14] : navibus apparatis)., versus partes Calabriae aciem dirigit : pertransiensque [+] [pertransiensque Z : -siliensque B. [-]] pertransiensquepertransiensquepertransiliensque Cusentinos [+] [cusentinos Pontieri : cumsent- B cusant- Z consent- ed. pr. [-]] CumsentinosCusantinosConsentinos fines et [+] [fines et Z : finesque B. [-]] fines etfines etfinesque Marturanenses, juxta calidas aquas super [+] [super Z : supra B. [-]] supersupersupra flumine [+] [flumine Z : fluvium B. [-]] fluminefluminefluvium quod [+] [quod Z : qui B. [-]] quodquodqui Lamita [+] [lamita B : vocato Z nocato ed. pr. [-]] Lamitavocatonocato dicitur biduo permansit, ut exercitum itineris asperitate fatigatum recrearet et terram certius [+] [certius Z : citius B Pontieri. [-]] certiuscitius exploraret. <3> Indeque [+] [indeque Z : undique B. [-]] IndequeIndequeUndique pertransiens usque ad castrum quod Schillacium [+] [schillacium Z : squillachium B scyllatium ed. pr. sckillacium Pontieri. [-]] SquillachiumScyllatiumSckillaciumb'Le nom latin de Squillace présente dans le récit des variantes graphiques que l’on retrouve ailleurs (Scolacium, Scylletium, Scylatium, etc.) et qui s’expliquent sans doute par l’origine grecque du toponyme (Σκυλλήτιον). Voir, par exemple, F. Ughelli, Italia sacra, N. Coleti (éd.), Venise, S. Coleti, vol. IX, 1721, col. 422 : le titre, pour les évêques de Squillace, est Scyllacenses seu Squillacenses episcopi ; le texte commence ensuite ainsi : Scyllacium (vulgo Squillaci). dicitur, juxta litus maris iter intendens, Regium ut vid. [+] [regium Zx ut vid. B : regnum Z. [-]] Regium ut vid. [+] [Zx : Regium ut vid. [-]] RegnumRhegium usque pervenit. Ubi, triduo situ loci inspecto, cum videret se [+] [se om. B. [-]] sese[om.] cives urbis nec minis nec blandimentis flectere [+] [flectere Z : inf- B Pontieri. [-]] flectereinflectere posse, quibusdam negotiis versus Apuliam se [+] [se om. Pontieri. [-]] sese[om.] revocantibus [+] [revocantibus Z : invitan- B. [-]] revocantibusrevocantibusinvitantibus, reditum parat. Redeunti [+] [redeunti ZB : decedenti ed. pr. [-]] RedeuntiRedeuntiDecedenti Neocastrum [+] [neocastrum B : leucastrum Z ed. pr. [-]] NeocastrumLeucastrum et Maja [+] [maja Z2B : mana Z. [-]] MajaMaja [+] [Z2 : Maja [-]] Mana et Canalda [+] [canalda Z : canalea B Pontieri. [-]] CanaldaCanalea, pacem facientes, sese dederunt [+] [dederunt ZB : dediderunt ed. pr. [-]] dederuntdederuntdediderunt.

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1Onfroi mourut en 1057 d’après Romuald de Salerne (Romualdi Salernitani Chronicon, p. 183) ou l’Anon. Bar. (ad an.), sans doute au début de l’année, peut-on préciser grâce à une charte de Troia, selon laquelle Robert Guiscard règne depuis vingt-six ans en février 1083, avec le titre de comte et duc de Pouille, de Calabre et de Sicile (voir Les Chartes de Troia. 1, 1024-1266, J.-M. Martin (éd.), Bari, Società di storia patria per la Puglia (Codice diplomatico pugliese ; 21), 1976, p. 111, nº 18 ; Dunbar & Loud 2004, 111, n. 5). Sa dépouille fut transférée quelques années plus tard - en 1069 - par Guiscard à l’abbaye de la Sainte-Trinité de Venosa (voir Chibnall 1994, 161-170 ; Recueil des actes des ducs normands d’Italie : 1046-1127, t. I, Les Premiers Ducs (1046-1087), L.-R. Ménager (éd.), Bari, Grafica Bigiemme (Documenti e monografie ; 45), 1980, p. 80-82, nº 20 ; Delogu 1994, 174, qui a montré qu’il y avait là un acte de propagande). À Venosa se trouvait une ancienne abbaye lombarde, restaurée par les Hauteville – et notamment par Onfroi –, où s’installèrent des moines venus du Mont-Cassin.

2Robert Guiscard obtint le titre comtal avant août 1057, probablement dans les premiers mois de l’année (voir note précédente). Il semble, à lire Malaterra et l’enchaînement susceptus… efficitur, que Robert fut élu comte, comme Onfroi avant lui. Cependant, les autres sources (à l’exception d’Aimé IV, 2, qui note les faits sans donner d’explication : « Quant lo conte Umfroi fu mort, Robert, son frere, rechut l’onor de la conté et la cure de estre conte ») conduisent plutôt à considérer que Robert a usurpé la succession (voir Tramontana 1986, 58). Guil. Ap. II, 364-372 : « À cette époque, Onfroi, prince de la Pouille (Appulus […] princeps), très affaibli, fait appeler d’urgence son frère auprès de lui. Robert se hâte. […] À son arrivée, il apporte un grand réconfort au malade, qui demande à son frère de gouverner ses terres (Rector terrarum sit) après sa mort et d’être le tuteur (tutor) de son fils, qui était un enfant et que son jeune âge empêchait de gouverner (Rectorem fieri). Son frère, inquiet, lui témoigne son attachement et lui promet d’accomplir toutes ses volontés » (trad. Mathieu 1961, 153, retouchée) ; Orderic Vital, Interp. GG, VII (30) = GND 2, 158 : « Onfroi confia son fils Abélard ainsi que le duché de Pouille à son frère Robert » (Qui [sc. Unfridus] […] Abailardum filium suum Rodberto fratri suo […] cum ducatu Apulie commendavit) ; Romuald de Salerne, Romualdi Salernitani Chronicon, p. 183 : « en l’an 1057 de l’incarnation du Seigneur, indiction 10, le comte Onfroi mourut, laissant, pour lui succéder, son fils Abélard, chevalier vaillant. Mais Robert, surnommé Guiscard, frère dudit comte Onfroi et fils de Tancrède, usurpa le pouvoir comtal sur les Normands (Normannorum comitatus honorem sibi arripuit) et chassa son neveu Abélard ». Malaterra (III, 4) et Guillaume de Pouille (II, 451-453) mentionnent une rébellion contre le duc, menée par ses neveux suite à cette usurpation.

3La leçon de B incite à reconnaître dans Lamita le nom de l’Amato (ou du Lamato), qui se jette dans le golfe de Sant’Eufemia. L’Amato a donné son nom à l’actuelle commune de Lamezia Terme, créée en 1968 de l’union de Nicastro, Sambiase et Sant’Eufemia (prov. Catanzaro). À proximité se trouvent les Terme di Caronte (encore appelés Terme di Nicastro), dont les eaux chaudes (environ 39 ºC) étaient déjà connues à l’époque tardive sous le nom d’Aquae Angae. Burgarella 1999, 401-403, a montré que le syntagme aquas calidas présent chez Malaterra comme dans la traduction latine faite au Mont-Cassin en 1086-1087 de la Passio SS. Senatoris, Viatoris, Cassiodori et Dominatae désignait les Aquae Angae. L’identification est confirmée par Givigliano 2003, 25.

4Actuellement, Squillace (prov. Catanzaro) se trouve au sud de l’isthme de Catanzaro, au sommet des hauteurs qui dominent la baie homonyme. Cependant, les fouilles entreprises aux environs de Squillace et à Santa Maria del Vetere di Stalettì ont permis de montrer que c’est probablement sur le territoire de Stalettì, à quelques kilomètres au sud de l’ancienne Scolacium, abandonnée à la fin du VIe siècle, que fut établie la cité byzantine où firent halte les Hauteville. Cette nouvelle Squillace était une cité fortifiée importante de la ligne défensive face aux Sarrasins (voir Noyé et al. 1993, en particulier 503-507 ; Noyé-Bougard 1997, 1074), et elle fut d’ailleurs la dernière place calabraise prise par les Normands (voir infra, I, 34). Ce n’est que dans les dernières années du XIe siècle que les habitants s’installèrent sur le site actuel et que le château fut construit.

5Pour atteindre Squillace, Robert quitte la Via Popilia à Máida, traversant l’isthme de Catanzaro en direction du sud-est, pour emprunter la route secondaire qui, à partir de Squillace, longe la mer Ionienne ; voir Hervé-Commereuc 1994, 79, carte 1, et Flambard Héricher 1994, 94, carte 1.

6Bien que la ville de Reggio fût dépourvue de défenses naturelles, elle était protégée par une enceinte maçonnée, comme la plupart des villes byzantines de l’Italie méridionale, mais qui ne pouvait suffire à la défendre contre les Sarrasins. Cependant elle était munie d’un πραιτώριον (mentionné dans la Vie de saint Élie le Spéléote, in AASS, Septembris, t. III, Anvers, B. A. Van Der Plassche, 1750, Dies 11, col. 854D), siège de l’administration centrale, et un faubourg était protégé par une fortification autonome, précisent Martin & Noyé 1991b, 49-50. La ville avait profité de la campagne de construction et de restauration engagée par Nicéphore Phocas vers 965-966, et était entourée d’une ceinture de forteresses autonomes, située dans l’arrière-pays (ainsi, au nord, l’enceinte de Calanna ; voir Zinzi 1991, 739 ; Noyé 1998, 107-108).

7Malaterra ne précise pas la nature des affaires qui rappelèrent Robert en Pouille. Il est possible qu’il s’agisse de la révolte de Pierre de Trani, fils d’Ami, mentionnée par Aimé IV, 5-7, mais celle-ci eut lieu, selon ce dernier, après la prise de Reggio. Pierre s’était emparé de Melfi pendant l’absence de Robert. À son retour de Calabre, Robert reprit la ville et força son rival à traiter avec lui, jusqu’à lui faire signer un pacte d’amitié. Les autres comtes normands durent aussi reconnaître son autorité, qui en sortit considérablement grandie en Pouille et en Calabre.

8Les deux places de Nicastro (diocèse suffragant de Reggio) et Máida se trouvent dans la province de Catanzaro. Elles ont été fortifiées par les Byzantins entre la fin du IXe et le milieu du XIe siècle : voir Noyé et al. 1998, 432.

9Le toponyme – qu’il s’agisse de Canalda, donné par Z et l’édition princeps, ou de Canalea de B et Pontieri – n’a pas été identifié. Noyé et al. 1993, 505, n. 13, proposent de situer la place dans la province de Vibo Valentia, soit à Castelmonardo (Filadelfia), à une trentaine de kilomètres au nord-est de Vibo Valentia, soit à quelques kilomètres plus au sud, à proximité de Monterosso.

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a'Pontieri avait proposé à juste titre d’ajouter un participe, afin de former avec his un ablatif absolu. Cependant, un relevé exhaustif de cette tournure, très fréquente dans le De rebus gestis Rogerii, avec ou sans relative développant le pronom sujet de la proposition participiale, conduit à préférer le verbe composé au verbe simple, car celui-ci n’apparaît ailleurs qu’à deux reprises, au point que le premier est suspect (I, 21, 1 : paratis his quae ad expeditionem necessaria erant), tandis que le second a pu être imposé par des contraintes métriques (III, 14 [Pontieri, p. 66, l. 3] : Omnibus aptatis et navibus arte paratis). Au contraire, apparatis est récurrent, au début ou à la fin de l’ablatif absolu (voir I, 7, 4 : apparatis quae necessaria erant ; III, 24 [Pontieri, p. 71, l. 8-9] : apparatisque pro posse sumptibus tanto inceptui dignis ; IV, 23 [Pontieri, p. 101, l. 34-35] : apparatis iis quae ad id officii congruebant ; IV, 25 [Pontieri, p. 103, l. 11] : apparatis quae necessaria erant ; II, 26, 4 : machinamentis apparatis ; II, 45, 1 : commeatibus et ceteris quae expeditioni congruebant apparatis ; III, 22 [Pontieri, p. 70, l. 27] : navibus apparatis ; III, 24 [Pontieri, p. 71, l. 33-34] : copiis itaque tanto inceptui dignis pro posse apparatis ; III, 32 [Pontieri, p. 77, l. 4] : sumptibus pluribus apparatis ; III, 37 [Pontieri, p. 79, l. 13-14] : omnibus accuratissime apparatis ; IV, 5 [Pontieri, p. 87, l. 31-32] : studioque machinamentis ad urbem capiendam apparatis ; IV, 8 [Pontieri, p. 90, l. 14] : navibus apparatis ; IV, 10 [Pontieri, p. 91, l. 14] : militaribus et peditum copiis apparatis ; IV, 13 [Pontieri, p. 92, l. 16] : machinamentis ad castrum affligendum apparatis ; IV, 25 [Pontieri, p. 103, l. 14] : navibus apparatis).

b'Le nom latin de Squillace présente dans le récit des variantes graphiques que l’on retrouve ailleurs (Scolacium, Scylletium, Scylatium, etc.) et qui s’expliquent sans doute par l’origine grecque du toponyme (Σκυλλήτιον). Voir, par exemple, F. Ughelli, Italia sacra, N. Coleti (éd.), Venise, S. Coleti, vol. IX, 1721, col. 422 : le titre, pour les évêques de Squillace, est Scyllacenses seu Squillacenses episcopi ; le texte commence ensuite ainsi : Scyllacium (vulgo Squillaci).