chapitre 19

capitulum XIX

Roger, fils cadet de Tancrède

De Rogerio, juniori filio Tancredi

<1> Roger1Si l’on se fie au témoignage de Malaterra plutôt qu’à celui d’Aimé III, 43, on en déduit que Roger arriva en Pouille au moment où Robert était revenu de sa première expédition en Calabre, en 1057., le frère cadet, que sa jeunesse et l’affection de ses parents avaient retenu jusqu’alors à la maison, arriva en Pouille sur les traces de ses aînés. Son arrivée enchanta Guiscard, qui l’accueillit avec les honneurs qu’il méritait. C’était, en effet, un jeune homme superbe2Roger devait avoir 17 ans. Sur son portrait, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 39 et 61., à la taille élancée, distingué de sa personne, orateur très habile, de conseil avisé, organisateur prévoyant des tâches à exécuter, enjoué et affable avec tout le monde, d’une force physique impressionnante, fougueux au combat – avantages qui lui concilièrent en peu de temps la sympathie de tous. Mais du fait qu’il était un homme d’action3Pour le sens de factiosus, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 61. et que, comme c’est l’habitude à un tel âge, il était amoureux de la gloire, il s’attacha tous les hommes d’action, et il leur distribuait volontiers et fort généreusement tout ce dont il pouvait disposer. <2> Or, Guiscard, désireux d’éprouver réellement la détermination de son frère et sa bravoure au combat, l’envoie en Calabre avec seulement soixante chevaliers pour défaire plusieurs milliers d’ennemis : Roger s’y rendit sans détour, établit son camp au sommet le plus haut des collines de Vibona4Vibona (actuellement Vibo Valentia, de son ancien nom romain), antique cité épiscopale, était au XIe siècle un diocèse suffragant de Reggio. La ville se trouvait dans une région de collines, sur un axe de communication important dès l’Empire romain, entre Rhegium et Castrum Hannibalis (voir Flambard Héricher 1994, 94, carte 1). Roger installe son campement probablement aux alentours de Mesiano, au sud-ouest de Vibo Valentia, « le long de la crête de répartition des eaux entre le bassin du Mesima et le réseau hydrographique du promontoire de Tropea » (Givigliano 2003, 25). et y installa ses tentes, dans le dessein d’être vu de loin sur une vaste étendue et d’intimider efficacement les habitants dans tous les alentours. Lorsque la nouvelle de cette occupation eut été annoncée dans toutes les cités et dans toutes les forteresses du pays et de tout le Val des Salines5Le « Val des Salines » correspond à l’éparchie des Salines, subdivision du thème de Calabre, dont le sens est « plutôt vague, sauf dans le domaine ecclésiastique, où il désigne normalement un diocèse » (Martin 2006b, 520), qu’il faut identifier avec l’actuelle plaine de Gioia, fermée au nord par les monts Pori, à l’est par les « Serre » et au sud par l’Aspromont. Le centre fortifié de l’éparchie, Hagia Agathè (devenue Oppido), fut déplacé et reconstruit vers 1044. Il s’agit d’une ville modeste et, depuis peu au moment de l’arrivée des Normands, d’un évêché (voir Guillou 1971, 24). Au milieu du XIe siècle, outre les principaux kastra, où siège l’administration byzantine, l’existence de nombreuses enceintes refuges, tours et défenses légères élevées dans les villages mêmes a garanti le maintien, dans les Salines, de près de la moitié des onze chôria cités dans la première moitié du Xe siècle (Noyé 1998, 114). Voir encore Noyé 1998, 103, pour une carte des « kastra et chôria de la vallée des Salines »., tous, saisis de terreur, envoient des représentants pour demander la paix6Les qualités militaires des Normands ne suffisent pas à expliquer le peu de résistance des populations calabraises et la rapidité avec laquelle celles-ci sont assujetties, alors que les Normands sont numériquement inférieurs. Rappelons simplement, d’après Martin 2006b, 542, que, d’une part, certaines zones géographiques étaient presque désertes et que, d’autre part, les officiers byzantins étaient « cantonnés dans des zones sensibles » : en Calabre, la documentation témoigne de la présence de komètes à Oppido au milieu du XIe siècle. : offrant des cadeaux à profusion, ils lui remettent lâchement leurs forteresses très bien défendues ; ils se lient à lui pour entrer dans son service, sous la foi de serments et en livrant des otages.

<1> Rogerius vero, minor frater, quem adhuc domi juvenilis aetas et amor parentum detinuerat [+] [detinuerat B : -rit Z. [-]] detinueratdetinueratdetinuerit, subsecutus in Apuliam venit. De cujus adventu Guiscardus non minimum [+] [minimum Z : modicum B. [-]] minimumminimummodicum gavisus, honore quo decebat eum suscepit. Erat enim juvenis pulcherrimus, procerae staturae, eleganti [+] [eleganti B : elang- Z. [-]] elegantielegantielanganti corpore, lingua facundissimus, consilio [+] [consilio B : concilio Z. [-]] consilioconsilioconcilio callens [+] [callens ZB : callidus edd. [-]] callenscallidus, in ordinatione agendarum [+] [agendarum post rerum transt. B. [-]] rerumagendarum rerumagendarum rerumrerum agendarum providus, omnibus jucundus et [+] [et om. B. [-]] etet[om.] affabilis [+] [affabilis B : fa- Z. [-]] affabilisaffabilisfabilis, viribus fortis, militia ferox : quibus artibus brevi tempore omnium [+] [omnium ZB def. Desbordes : omnem B2 edd. [-]] omniumomniumomnem [+] [B2 : omnem [-]] gratiam meruit. Quia vero [+] [vero Z : vere B. [-]] veroverovere factiosus erat et laudis [+] [laudis Z : laudem B. [-]] laudislaudislaudem... , ut [+] [ut (ab ut denuo inc. C) C Z2B : et Z. [-]] ututut [+] [Z2 : ut [-]] et in tali aetate assolet [+] [assolet (-lens Z) C Z1 : -lute B. [-]] assoletassolet [+] [Z1 : assolet [-]] assolensassolute, appetens, factiosos quosque [+] [quosque C ZxBx : quousque Z quasque B. [-]] quosquequosque [+] [Zx Bx : quosque [-]] quousquequasque sibi alligans, quaeque [+] [quaeque C Z : quoscumque B. [-]] quaequequaequequaequequoscumque habere poterat libenter et largissime illis [+] [illis om. B. [-]] illisillisillis[om.] impertiebatur [+] [impertiebatur C Z : -tiens B. [-]] impertiebaturimpertiebaturimpertiebaturimpertiens. <2> Porro Guiscardus, fratris constantiam et militarem audaciam certius experiri volens, cum sexaginta tantum militibus plurima milia hostium debellaturum [+] [debellaturum C B : -rus Z ed. pr. [-]] debellaturumdebellaturumdebellaturus in Calabriam dirigit ; quo [+] [quo C B : qui Z edd. [-]] quoqui audacter pergens, in altiori cacumine montium Vibonentium [+] [vibonentium Pontieri : bibonensium C ZB vibonensium ed. pr. [-]] BibonensiumVibonensium castrametatus, tentoria fixit [+] [fixit C B : finxit Z. [-]] fixitfixitfixitfinxit, ut, longe lateque visus, incolas circumquaque [+] [circumquaque ZB : -quacumque C. [-]] circumquaquecircumquaquecircumquaquecircumquacumque facilius deterreret [+] [deterreret C Z : terreret B. [-]] deterreretdeterreretdeterreretterreret. Quod cum compertum fuisset per omnes civitates et castra [+] [castra C Z : loca B. [-]] castracastracastraloca illius provinciae et [+] [et om. B. [-]] etetet[om.] totius vallis Salinarum [+] [salinarum C Z2 : silvarum ZB. [-]] SalinarumSalinarum [+] [Z2 : Salinarum [-]] Silvarum, territi [+] [territi ZB : tersiti C. [-]] territiterrititerrititersiti omnes legatos qui pacem postulent [+] [postulent C Z : -lant B. [-]] postulentpostulentpostulentpostulant dirigunt [+] [dirigunt C Z : mittunt B Pontieri. [-]] diriguntdiriguntmittunt ; munera plurima dantes, fortissima castra [+] [castra C Z2B : castrum Z. [-]] castracastracastra [+] [Z2 : castra [-]] castrum enerviter reddunt, in servitutem juramentis et obsidibus foederantur.

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1Si l’on se fie au témoignage de Malaterra plutôt qu’à celui d’Aimé III, 43, on en déduit que Roger arriva en Pouille au moment où Robert était revenu de sa première expédition en Calabre, en 1057.

2Roger devait avoir 17 ans. Sur son portrait, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 39 et 61.

3Pour le sens de factiosus, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 61.

4Vibona (actuellement Vibo Valentia, de son ancien nom romain), antique cité épiscopale, était au XIe siècle un diocèse suffragant de Reggio. La ville se trouvait dans une région de collines, sur un axe de communication important dès l’Empire romain, entre Rhegium et Castrum Hannibalis (voir Flambard Héricher 1994, 94, carte 1). Roger installe son campement probablement aux alentours de Mesiano, au sud-ouest de Vibo Valentia, « le long de la crête de répartition des eaux entre le bassin du Mesima et le réseau hydrographique du promontoire de Tropea » (Givigliano 2003, 25).

5Le « Val des Salines » correspond à l’éparchie des Salines, subdivision du thème de Calabre, dont le sens est « plutôt vague, sauf dans le domaine ecclésiastique, où il désigne normalement un diocèse » (Martin 2006b, 520), qu’il faut identifier avec l’actuelle plaine de Gioia, fermée au nord par les monts Pori, à l’est par les « Serre » et au sud par l’Aspromont. Le centre fortifié de l’éparchie, Hagia Agathè (devenue Oppido), fut déplacé et reconstruit vers 1044. Il s’agit d’une ville modeste et, depuis peu au moment de l’arrivée des Normands, d’un évêché (voir Guillou 1971, 24). Au milieu du XIe siècle, outre les principaux kastra, où siège l’administration byzantine, l’existence de nombreuses enceintes refuges, tours et défenses légères élevées dans les villages mêmes a garanti le maintien, dans les Salines, de près de la moitié des onze chôria cités dans la première moitié du Xe siècle (Noyé 1998, 114). Voir encore Noyé 1998, 103, pour une carte des « kastra et chôria de la vallée des Salines ».

6Les qualités militaires des Normands ne suffisent pas à expliquer le peu de résistance des populations calabraises et la rapidité avec laquelle celles-ci sont assujetties, alors que les Normands sont numériquement inférieurs. Rappelons simplement, d’après Martin 2006b, 542, que, d’une part, certaines zones géographiques étaient presque désertes et que, d’autre part, les officiers byzantins étaient « cantonnés dans des zones sensibles » : en Calabre, la documentation témoigne de la présence de komètes à Oppido au milieu du XIe siècle.