Chapitre 1

Capitulum I1caput 1 1536.

Abremon [non identifié1Le Liber de piscibus s’ouvre malheureusement sur l’une des notices les plus confuses du catalogue qui cumule en deux phrases de nombreuses difficultés. En effet, une première citation, tirée de Thomas de Cantimpré (TC 7, 9), traite de l’abremon / abarenon, et une seconde, empruntée à Iorach, de l’abren. En revanche, le titre n’annonce que l’abremon. Vincent de Beauvais (VB 17, 29) et, à sa suite, l’auteur de l’Hortus sanitatis ont-ils voulu évoquer un seul poisson dénommé indifféremment abremon, abarenon et abren ou deux poissons distincts, l’abremon / abarenon et l’abren ? Quoi qu’il en soit, nous devons considérer aujourd’hui que Thomas de Cantimpré et Iorach ne parlaient pas du même animal. L’origine des formes abremon / abarenon et des informations données par Thomas de Cantimpré remonte à la traduction d’Aristote par Michel Scot où les formes abarino (Arist. HA 610 b 6 MS) et abareni (Arist. HA 571 a 6 MS) correspondent à des emplois du grec ἀθερίνη, l’athérine, Atherina hepsetus Linné, 1758 (voir D’Arcy Thompson 1947, 3 et Kitchell & Resnick 1999, 1660, n. 49). En revanche, l’étymologie et la signification du mot abren sont encore mal expliquées. Une première hypothèse nous conduit à voir dans l’abren le tilapia (Oreochromis nilotica Linné 1758), mais une seconde nous suggère d’interpréter la notice sur l’abren comme se rapportant au cète.], achandes [le rémora2Il faut sans doute reconnaître dans le poisson achandes, capable d’immobiliser un navire, le rémora (Remora remora Linné, 1758), un poisson de mer dont la première nageoire dorsale est pourvue d’une ventouse qui lui permet de s’accrocher à des animaux plus gros (tortues, requins) et parfois à des navires. C’est ainsi que Peter Artedi, Synonymia nominum piscium, 1738, p. 28, ou Lacépède 1802, III, 147, ont interprété ce passage de l’Hortus sanitatis. Cependant, on ne trouve en latin la forme achandes pour désigner le rémora que dans la phrase de Iorach citée par Vincent de Beauvais, puis l’Hortus sanitatis. ?], accipender [l’esturgeon3La forme accipender est une variante graphique de accipenser (acipenser). De Saint-Denis 1947, 1-3, identifie l’accipenser comme étant l’esturgeon, en particulier sous l’espèce ordinaire : Acipenser sturio Linné, 1758. La tradition latine sur ce poisson est sans solution de continuité depuis l’Antiquité, et les mentions et descriptions en sont nombreuses. Ainsi, on peut citer : Cic. fin. 2, 25 ; 2, 91 ; Tusc. 3, 43 ; Hor. sat. 2, 246 ; Mart. 13, 91 ; Ov. hal. 134 ; Plin. nat. 9, 60 ; 32, 145 et 153 ; Ambr. hex. 5, 1, 2 ; Hier. epist. 45, 5 ; et surtout Macr. sat. 3, 16, 1 qui consacre un long développement à l’esturgeon.], albirem [l’éponge d’Achille4Il faut reconnaître dans l’albirem / albyroz une sorte d’éponge, réputée dans l’Antiquité gréco-romaine pour la qualité de son tissu et désignée sous le nom d’achilleios / achillium (voir Stadler 1920, 1604, et Kitchell & Resnick 1999, 1662, n. 45 ; voir aussi D’Arcy Thompson 1947, 23, pour l’achilleios grec ; De Saint-Denis 1947, 1, pour l’achillium latin). La description de l’albirem / albyroz chez les encyclopédistes médiévaux (AM 24, 6 (9) ; TC 7, 6 ; et VB 17, 29) remonte à la traduction d’Aristote par Michel Scot : Et in gamen sunt tres species [piscium] : et una est rara in substantia, et alia spissa ; tercia, que dicitur albuz, est spissa, fortis valde ; et propter hoc ponitur sub galeis ferri. Et si acciderit in illis aliqua percussio gladii aut alterius, non inducit dolorem. Et ille modus raro invenitur (Arist. HA 548 b 2 MS), « il y a trois espèces d’éponges : l’une a un tissu lâche, l’autre un tissu serré, et la troisième, qu’on appelle albuz, est serrée et très solide, et pour cela on la place sous les casques de fer et si les soldats reçoivent sur leur casque un coup d’épée ou d’une autre arme, elle arrête la douleur. Et cette espèce est rare ». De Saint-Denis 1947, 1, à la suite de Cotte 1944, 246, propose d’identifier l’achillium avec l’éponge de toilette, Euspongia (Spongia) officinalis Linné, 1758 ; Stadler 1920, 1604 (à propos d’AM 5, 69, albuz et AM 24, 6 (9), albiroz), voit dans l’achilleios d’Aristote l’Euspongia zimocca Schmidt, 1862.] et alphoram [le poisson-écume : le lançon équille5Stadler 1920, 1519, n. 27 et Kitchell & Resnick 1999, 1661, n. 42, à propos d’AM 24, 13 (11), rapprochent la notice de l’alforaz de la discussion d’Aristote (Arist. HA 569 a 10 - b 4) sur la génération spontanée de la menuaille, désignée sous le terme générique d’ἀφυή. Mais ce sont trois notices de l’Hortus sanitatis qui dérivent indirectement de ce passage d’Aristote via la compilation de deux sources différentes : Vincent de Beauvais pour l’alphoram (ch. 1) ; et Albert le Grand pour l’alforam (ch. 6) et l’asturam (ch. 7). Aristote distingue parmi ces petits poissons une espèce qu’il appelle l’écume, ἀφρός. Il est donc tentant de voir dans le vocable alforam une forme issue du grec ἀφρός, d’autant que les descriptions correspondent à des montages d’emprunts à Aristote, sinon de citations fidèles. On notera que si Louis 1973, 86, retient pour traduire ἀφυή les équivalents génériques de menu fretin, menuaille, blanchaille (ou peut-être civelle), il propose d’identifier l’ἀφρός, « l’écume », avec le lançon équille. ?] [+][VB 17, 29 De abrenone et achande et accipendro, albirez, alphoraz [-]][+]

Abremon, achandes, accipender2accipenser 1536 ut semper., albirem et alphoram [+][VB 17, 29 De abremone3abrenone VBd. et achande et accipendro, albitrez4albitrez vel albitrem VB2 ut semper albirez VBd ut semper., alphoraz5alphoraz vel alphoram VB2 ut semper. [-]][+]

Renvois internes : Abremon : cf. Arburcium, ch. 9.
Achandes : cf. Escinus, ch. 34 ; Ethenay vel echyni, ch. 36.
Accipender : cf. Eriox vel erox, ch. 35 ; Ezox, ch. 37 ; Sturio, ch. 89.
Albirem : cf. Nubes, ch. 63 ; Spongia, ch. 87 ; Sfungia, ch. 91.
Alphoram : cf. Alforam, ch. 6 ; Asturam, ch. 7 ; Afferus, ch. 9.

Lieux parallèles : Abremon dans TC, De abarenon (7, 9) ; AM, [Abarenon] (24, 9 (10)).
Accipender dans TC, De accipendre (7, 10) ; AM, [Accipender] (24, 10 (10)).
Albirem dans TC, De albirez (7, 6) ; AM, [Albyroz] (24, 6 (9)).
Alphoram dans TC, De aforo (7, 13) ; AM, [Afforus] (24, 13 (11)).

poisson

[1] [] VB 17, 29, 1D’après le Liber de natura rerum. [] TC 7, 9L’abremon, ou abarenon [l’athérine ?], est, selon Aristote6Les informations délivrées par Aristote sur l’athérine (abremon dans la traduction latine de Michel Scot) sont très succinctes et ne peuvent pas expliquer complètement le contenu des notices consacrées à l’abremon dans les encyclopédies médiévales latines. Arist. HA 571 a 6 rapporte brièvement que l’athérine pond ses œufs en frottant son ventre contre le sable ; Arist. HA 570 b 15 mentionne que l’athérine est le premier poisson à frayer dans l’année et qu’elle pond près de la terre ; enfin, Arist. HA 610 b 6 signale que les athérines sont rangées parmi les poissons qui vivent en bancs, sans autre précision. Thomas de Cantimpré, Vincent de Beauvais et Albert le Grand ont surinterprété les brèves indications fournies par Aristote. Une partie des indications inédites sur l’athérine remonte peut-être à une erreur d’interprétation du texte de Michel Scot (Arist. HA 571 a 2-6 MS) qui aurait conduit à amalgamer les informations qu’il fournit, d’abord, sur l’aiguille de mer, βελόνη (Arist. HA 571 a 2-5 MS) et, immédiatement après, sur l’athérine (Arist. HA 571 a 6 MS). Albert le Grand, par exemple, en AM 6, 2, 3 (93), peut-être influencé par les renseignements fournis par Aristote sur l’aiguille de mer, explique abusivement la technique de ponte de l’athérine par une viviparité supposée. En réalité, l’athérine ne pond pas des œufs déjà fécondés. Une famille voisine, les phallostéthoïdes est effectivement à fécondation interne mais elle est confinée dans le Sud-Est asiatique (de l’Inde aux Philippines)., un poisson très fécond qui ne pond pas ses œufs, comme les autres poissons, sous la seule pression de l’eau de la mer, mais qui, par une sorte d’instinct naturel, se frotte le ventre contre le sable, qui est rugueux au toucher et salé au goût ; ainsi, il pond des œufs qu’il a déjà conçus ; une fois écoulé le temps nécessaire, il donne naissance à des petits.

[1] [] VB 17, 29, 1Ex Libro de naturis rerum6Vincent de Beauvais suit fidèlement Thomas de Cantimpré. Seuls les chapitres de Thomas de Cantimpré n’ont pas été repris, le texte des livres 6 et 7 du Liber de natura rerum devant, en effet, faire l’objet d’une prochaine publication.. [] TC 7, 9Abremon7Kitchell & Resnick 1999, 1660, n. 49, dans leur commentaire au chapitre d’Albert le Grand (AM 24, 9 (10)) consacré au poisson abremon, suggèrent d’expliquer le nom abremon par une corruption de l’expression ab arena, « qui vient du sable ». Un étymon latin, même séduisant, est délicat à justifier pour un terme qui, de toute évidence, s’inscrit, avant le latin, dans une tradition gréco-orientale., alias8alas 1536. abarenon, est piscis, ut dicit Aristoteles, multum fecundus ovis, nec aliorum9post aliorum hab. ea 1491 VB. more contactu10contractu 1491. maris11Le traducteur médiéval de l’Hortus sanitatis a compris maris comme le génitif de mas, « le mâle », en voyant peut-être dans ce passage une allusion à la fécondation externe des œufs de la femelle par la laitance du poisson mâle. Mais ce mode de reproduction, très fréquent chez les poissons ovipares, était bien connu des Anciens, et on comprendrait mal en quoi l’athérine ferait figure d’exception. Il faut donc plutôt interpréter maris comme le génitif de mare, « la mer ». La notice de Thomas de Cantimpré gloserait alors l’observation aristotélicienne, en insistant sur l’incapacité de l’athérine à expulser directement ses œufs dans l’eau, à la différence des autres poissons. Il reste que la formulation de Thomas de Cantimpré est ambiguë (quelle réalité précise réside derrière les expressions ova concepta parit / fetus educit ?) et ne permet pas de restituer avec sûreté la nature exacte des connaissances qu’il a retirées de sa lecture d’Aristote. parit, sed naturali quodam instinctu ventrem suum ad arenam fricat, quae contactu aspera est et gustu salsa. Sicque ova concepta parit ; et post tempus debitum fetus educit.

[2] [] VB 17, 29, 2Iorach7Vincent de Beauvais ne cite le livre de Iorach que de seconde main, via le De floribus rerum naturalium d’Arnold de Saxe. Sous le livre de Iorach, il faut reconnaître, comme l’a démontré I. Draelants (Draelants 2000, 191-276), un auteur antique, le roi Juba II de Numidie, une des sources de Pline, dont les œuvres, rédigées en grec, ne nous sont parvenues qu’à l’état de fragments. dans le De animalibus. [] AS 2, 8, 27cLe poisson abren [le tilapia ? le cète ?], en cas de tempête sur la mer, garde ses petits à l’abri à l’intérieur de son ventre et les recrache après le grain8Rien ne nous permet d’identifier le poisson abren, tel qu’évoqué par la citation de Iorach, avec l’athérine. En l’état actuel de nos recherches, nous ne pouvons qu’avancer deux hypothèses pour élucider cette mention, mais qui conduisent à des interprétations très différentes. D’Arcy Thompson 1947, 1-2, rapproche la forme abren du terme grec ἀϐραμίς attesté chez Athénée (Ath. 312 b) et qui, selon lui, serait d’origine égyptienne et pourrait désigner un poisson incubateur buccal, le tilapia (Oreochromis nilotica Linné, 1758). La citation de Iorach semble bien favorable à la double suggestion de D’Arcy Thompson de considérer le nom d’abren comme une résurgence du grec ἀϐραμίς et d’identifier le poisson abramis avec le tilapia. Ce poisson incubateur buccal, de la famille des cichlidés, est très répandu dans les cours d’eau ou les lacs d’Afrique et d’Asie mineure. Les femelles, une fois leurs ovules fécondés par les mâles, reprennent les œufs et les font incuber dans leur bouche où les petits éclosent. Les alevins restent auprès de leur mère jusqu’à ce qu’ils soient capables de trouver leur nourriture et se réfugient dans sa bouche en cas de danger. Dans cette première hypothèse, le De animalibus de Iorach aurait transmis des renseignements inédits fournis par Juba sur le poisson abramis que Vincent de Beauvais aurait à tort interprétés comme un supplément d’informations sur l’athérine. Mais une deuxième hypothèse a été formulée par I. Draelants (Draelants 2000, 266-267). Elle note des similitudes frappantes entre la description du poisson abren tirée de Iorach par Arnold de Saxe et Vincent de Beauvais et un passage de Barthélemy l’Anglais qui concerne le cète (le terme cetus, comme le grec κῆτος, désigne de façon générique les grands mammifères marins). Barthélemy l’Anglais note ainsi : quando inualescit tempestas, foetus suos adhuc iuuenes et teneros, in uentrem suum contrahit, quos serena facta, uiuos euomit iterum et emittit, « quand une tempête se lève, [le cète] fait rentrer dans son ventre ses petits, encore jeunes et tendres, et, le beau temps revenu, il les recrache vivants et les faits sortir » (Barthélemy l’Anglais, De proprietatibus rerum, livre XIII, De aqua, ch. 26, De piscibus, 1650, p. 587). Si nous suivons cette interprétation très plausible, Barthélemy l’Anglais n’aurait pas hésité à traduire par cetus le terme abren qu’Arnold de Saxe se serait contenté de transcrire. On ne peut pas cependant exclure qu’il y ait eu surinterprétation de Barthélemy l’Anglais influencé par la tradition latine concernant le cète. Il est difficile de trancher alors que l’origine linguistique du mot abren n’est pas encore élucidée avec certitude (peut-être faudrait-il explorer l’emploi du mot azrel pour désigner le cachalot chez Serapion, Liber aggregatus in medicinis simplicibus, 1525, ch. 196 : Hambra, fol. 151). Quoi qu’il en soit, il nous semble impossible aujourd’hui de décider si le poisson abren de Iorach est le modeste tilapia ou l’énorme cète des grandes profondeurs !.

[2] [] VB 17, 29, 2Jorath in libro De animalibus12Vincent de Beauvais cite toujours Iorach de seconde main d’après Arnold de Saxe.. [] AS 2, 8, 27cPiscis abren hora tempestatis maris natos suos in ventre salvat et post tempestatem evomit eos (Iorach cité d’après Arnold de Saxe).Piscis abren13abremon 1536. hora tempestatis maris natos suos in ventre salvat ; et post tempestatem evomit eos.

[3] [] VB 17, 29, 3Même livre. [] AS 2, 7, 26dQuand le poisson achandes s’inquiète pour ses petits, il se fixe à la paroi des navires hauturiers ; c’est ainsi que des bateaux se retrouvent complètement immobilisés à cause de lui9Nous n’avons retrouvé dans la littérature ancienne et médiévale sur le rémora aucune information comparable à celle donnée ici par Iorach. La forme achandes remonte vraisemblablement au terme grec, ἐχενηΐς, déformé au fil des traductions ou transpositions diverses dont il a été l’objet. La seule tradition manuscrite du De floribus rerum naturalium d’Arnold de Saxe, dont est tirée la citation de Iorach, témoigne de trois variantes différentes : echacides, echandes, achandes : la forme echacides paraît bien plaider en faveur d’un étymon echeneis, -idos (sur la tradition manuscrite de ce passage du De floribus rerum naturalium, voir Draelants 2000, 262), sans qu’on puisse en être certains. L’achandes est sans doute l’echenais (le rémora) mais en l’état actuel de nos recherches nous n’avons retrouvé, dans l’abondante documentation fournie par les textes antiques ou médiévaux sur la force d’adhérence admirable du rémora, aucun passage parallèle qui expliquerait son comportement par le souci de sa progéniture (sur le rémora, voir ch. 34 et 36). De façon générale, les anecdotes relatives au rémora constatent ses capacités physiques étonnantes, mais ne cherchent pas à en donner l’étiologie. Un autre animal passait dans l’Antiquité pour être doté des mêmes capacités que le rémora, un murex dont la légende a été conservée par Plin. nat. 9, 80. Ces coquillages auraient contribué au sauvetage des trois cents enfants de Corcyre voués à la castration par le tyran Périandre en retenant le navire qui les transportait. Mais rien ne permet de penser que le terme achandes, sous ses différentes graphies, puisse renvoyer à la dénomination grecque de ce murex (que Pline ne nous a pas transmise) plutôt qu’à celle de l’echeneis. Peut-être faut-il supposer, à l’origine de cette déroutante information sur le poisson achandes, une transmission textuelle pertubée, au niveau ou bien du De floribus rerum naturalium d’Arnold de Saxe, ou bien du De animalibus de Iorach, qui aurait contaminé des indications relatives à deux poissons différents. En faveur d’une contamination possible des informations, on signalera par exemple qu’Ambroise associe dans une même phrase les poissons qui migrent dans le Pont-Euxin pour frayer et ceux qui arrêtent les navires malgré leur petite taille (Ambr. hex. 5, 10, 31)..

[3] [] VB 17, 29, 3Idem. [] AS 2, 7, 26dSicut piscis achandes sollicitus de pullis suis navibus maris aderet et fiunt immobiles naves omnibus propter ipsum (Iorach cité d’après Arnold de Saxe).Achandes piscis sollicitus de pullis suis navibus maris adhaeret ; sicque propter ipsum omnino fiunt [ Prüss1/vue 2] immobiles naves.

[4] [] VB 17, 29, 4D’après le Liber de natura rerum. [] TC 7, 10L’esturgeon est, d’après Pline, le poisson le plus prisé par les Anciens. Lui seul, contrairement à la disposition observée chez tous les autres poissons, possède, sur tout le corps, des écailles tournées vers la tête10De Saint-Denis 1947, 3 (note reprise dans De Saint-Denis 1955, 117, n. 1), explique que la particularité notée par Plin. nat. 9, 60, ne peut pas faire référence à des « écailles imbriquées à rebours et se recouvrant de la queue vers la tête », mais qu’elle peut, en revanche, constituer une allusion aux rangées longitudinales d’écussons osseux qui garnissent la peau des esturgeons. En revanche, l’hypothèse de Kitchell & Resnick 1999, 1663, n. 50, qui vont jusqu’à supposer une corruption dans la tradition manuscrite de Pline, est intéressante, mais sans doute trop hasardeuse. Selon eux, le texte original de Pline, squamis in os [os, ossis] conversis, « des écailles passées à l’état osseux », aurait fait l’objet d’une mésinterprétation et aurait été à tort corrigé en squamis in os versis, « des écailles tournées vers la tête »..

[4] [] VB 17, 29, 4Ex Libro de naturis rerum14Vincent de Beauvais suit fidèlement Thomas de Cantimpré.. [] TC 7, 10Accipender est, ut dicit Plinius, piscis apud antiquos nobilissimus. Hic15qui VB. solus contra morem omnium piscium habet squamas toto corpore ad os versas.

[5] [] VB 17, 29, 5Pline, livre 9. [] Plin. nat. 9, 60Chez les Anciens, l’esturgeon était le poisson le plus prisé ; seul à avoir des écailles tournées vers la tête, il se déplace en nageant à contre-courant11Le texte de Plin. nat. 9, 60, contra quam in nando meant, « contrairement au mouvement de la nage » (De Saint-Denis 1955, 57), a fait ici l’objet d’une correction qui en altère complètement le sens original. De Saint-Denis 1947, 46, rappelle une observation analogue de Plutarque, De sollertia animalium, 28, mais à propos de l’helops. L’explication plus détaillée de Plutarque permet de comprendre le raisonnement implicite de Pline : grâce à la disposition particulière de leurs écailles, tournées d’arrière en avant, l’acipenser et l’helops pourraient nager dans le sens du courant, alors que les autres poissons seraient contraints de le remonter pour éviter que leurs écailles ne se rebroussent douloureusement. La correction du comparatif quam en aquam fait dire à la citation de Pline exactement le contraire : « ils se déplacent en nageant contre l’eau [à contre-courant] ». ; il n’est plus du tout à l’honneur aujourd’hui, et cela me surprend, car il s’agit d’un poisson rare12Les auteurs anciens (en particulier Macr. sat. 3, 16) s’accordent pour voir dans la chair de l’esturgeon un mets de choix. Que l’esturgeon ait été moins apprécié à l’époque de Pline peut s’expliquer par une évolution des goûts et de la mode, mais aussi par des différences entre les espèces : la chair de certains esturgeons (par exemple, celle du grand esturgeon, Acipenser huso Linné, 1758) est de qualité médiocre ou même mauvaise. Sur cette question, voir De Saint-Denis 1947, 2.. Certains l’appellent le sterlet13Pline (Plin. nat. 9, 60 ; Plin. nat. 32, 153) signale que ses contemporains confondaient parfois l’helops et l’acipenser. De Saint-Denis 1947, 3 et 45, estime que les ressemblances entre les deux espèces devaient donc être assez grandes pour que certains hésitent à les distinguer. Il suggère de reconnaître dans l’acipenser l’esturgeon commun (Acipenser sturio Linné, 1758), et dans l’helops le petit esturgeon ou sterlet (Acipenser ruthenus Linné, 1758). Pour mémoire, à propos d’AM 24, 10 (10), Stadler 1920, 1603, identifie l’acipenser / accipender comme étant l’Acipenser ruthenus Linné, 1758..

[5] [] VB 17, 29, 5Plinius libro IX. [] Plin. nat. 9, 60Apud antiquos piscium nobilissimus habitus accipenser, unus omnium squamis ad os uersis contra quam in nando meant, nullo nunc in honore est, quod quidem miror, cum sit rarus inuentu. Quidam eum elopem uocant.Apud antiquos piscis nobilissimus habitus accipender, unus omnium squamis ad os versis contra aquam nando meat. Nullo nunc in honore est, quod quidem miror, cum sit rarus16ratus Prüss1. inventu. Quidam eum elopem vocant.

[6] [] VB 17, 29, 5 Nota HSDans le livre indiqué plus haut. [] TC 7, 6L’éponge d’Achille est un poisson de mer qui a la peau si épaisse, si dure et si résistante que les soldats s’en servent en guise de casque14Aristote distingue trois espèces d’éponges, dont l’achilleios (albuz dans la traduction latine de Michel Scot, d’où les formes médiévales albirem / albyroz) de meilleure qualité, qu’on met sous les casques et les jambières pour amortir les chocs ; Aristote affirme précisément qu’il s’agit d’atténuer l’effet de résonance provoqué par le coup : « [les éponges d’Achille] sont les plus fines, les plus serrées et les plus solides : on les met sous les casques et les jambières, et le coup fait moins de bruit » (Louis 1968, 30). Plin. nat. 9, 148, distingue lui aussi trois espèces d’éponges et précise que l’achillium est utilisé dans la confection des pinceaux ; mais il semble ignorer son usage militaire..

[6] [] VB 17, 29, 5 compil.In17in — supra non hab. VB. libro ut supra18Vincent de Beauvais reprend fidèlement Thomas de Cantimpré.. [] TC 7, 6Albirem est piscis marinus habens cutem adeo spissam et duram ac firmam ut ea milites utantur pro galeis.

[7] [] VB 17, 29, 5 Nota HSMême livre. [] TC 7, 3L’alphoram est un poisson à la génération spontanée : il naît, dans les lieux bourbeux et sans eau, de la décomposition de la boue même, à la manière d’un vermisseau ; ensuite, quand le niveau de l’eau a remonté, il grandit et prend sa forme de poisson. Il ne vit que peu de temps et se désagrège rapidement15L’ἀφρός / alforam est caractérisé par son mode de génération particulier. On peut reconnaître dans le passage consacré à cet animal plusieurs emprunts à Aristote, mais extrêmement résumés et, apparemment, rapiécés un peu hâtivement. On peut ainsi relever des similitudes avec la génération spontanée d’une variété de muges, le kestreus, décrite dans Arist. HA 569 a 12-17, et nous soulignons dans la traduction française de P. Louis les parallélismes les plus frappants : « [il est des poissons] qui naissent de la vase et du sable, et cela dans des genres qui se reproduisent par un accouplement et des œufs ; c’est le cas, entre autres, dans des marécages comme il y en avait, dit-on, jadis, aux environs de Cnide ; ce marais se desséchait au moment de la Canicule, et la vase devenait entièrement sèche ; de l’eau commençait à revenir avec les pluies et des petits poissons se formaient dès que l’eau apparaissait » (Louis 1968, 94). On reconnaît aussi une similitude avec Arist. HA 569 a 29 - b 2 qui concerne précisément l’aphros : « ainsi parmi la menuaille, le poisson qu’on appelle écume naît du fond sableux. Cette menuaille ne grossit pas et ne se reproduit pas, et au bout d’un certain temps, elle périt, mais il en revient d’autres » (Louis 1968, 95). De même Arist. HA 569 b 28-29 : « il se trouve, comme les vers dans le fumier, en tous les points de la surface de l’écume où il s’est formé » (Louis 1968, 96). Arist. HA 569 b 28-30 : « Le poisson-écume, qui est stérile, est mou et se garde peu de temps, ainsi que nous l’avons dit plus haut » (Louis 1968, 96)..

[7] [] VB 17, 29, 5 compil.In19in — libro non hab. VB. eodem libro20Vincent de Beauvais suit ici encore de très près Thomas de Cantimpré. Notons cependant que le texte de Thomas de Cantimpré, tel qu’édité par Boese, donne la leçon aqua, nominatif sujet de ascenderit : « quand le niveau de l’eau a remonté ». Mais le Speculum naturale, tel que donné dans les deux éditions de Vincent de Beauvais consultées et l’Hortus sanitatis ont aquam : « lorsqu’il a regagné l’eau », leçon fautive qui trahit Thomas de Cantimpré et Aristote. La notice de Thomas de Cantimpré recompose une série d’informations empruntées à Aristote dans la traduction de Michel Scot : Arist. HA 569 a 12-16 MS Et quidam pisces generantur ex limo et arena sine coitu et ovis, et precipue in loco, qui dicitur Kanidaon. Et dicunt, quod iste locus desiccatur, quando incipit apparere Canis, et aufertur limus et putredo ab illo loco. Et quando revertetur aqua ad illum locum, generabuntur in eo parvi pisces de genere fastatleon ; Arist. HA 569 a 25 - b 1 MS Manifestum est ergo ex hoc, quod diximus, quod quidam pisces generantur per se sine ovis et sine coitu, et quidam a limo et quidam ab harena et quidam per putrefactionem, que est super aquam, sicut asroz, quod est exaquem, et hoc, quod dicitur exaquem, non gingnitur neque habet vermem ; et quando pertransierit magnum tempus, movetur generaliter alius ab eo ; Arist. HA 569 b 28 - 570 a 2 MS Et quod dicitur afforoz non gignitur et est humidum, et vita eius est modico tempore, sicut diximus superius. Et dissolvitur, quousque solummodo remaneant ex eo occuli et caput. Et dicunt naute, quod si saliatur, durabit diu.. [] TC 7, 3Alphoram est piscis qui non gignitur, sed in loco lutoso ubi non est aqua ex21et VB2. ipsius luti putredine in modum vermiculi creatur ; postea, cum ascenderit aqua22aqua correximus ex TC : aquam 1491 Prüss1 1536 VB., crescit in piscem. Durat autem modico tempore citoque dissolvitur.

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1Le Liber de piscibus s’ouvre malheureusement sur l’une des notices les plus confuses du catalogue qui cumule en deux phrases de nombreuses difficultés. En effet, une première citation, tirée de Thomas de Cantimpré (TC 7, 9), traite de l’abremon / abarenon, et une seconde, empruntée à Iorach, de l’abren. En revanche, le titre n’annonce que l’abremon. Vincent de Beauvais (VB 17, 29) et, à sa suite, l’auteur de l’Hortus sanitatis ont-ils voulu évoquer un seul poisson dénommé indifféremment abremon, abarenon et abren ou deux poissons distincts, l’abremon / abarenon et l’abren ? Quoi qu’il en soit, nous devons considérer aujourd’hui que Thomas de Cantimpré et Iorach ne parlaient pas du même animal. L’origine des formes abremon / abarenon et des informations données par Thomas de Cantimpré remonte à la traduction d’Aristote par Michel Scot où les formes abarino (Arist. HA 610 b 6 MS) et abareni (Arist. HA 571 a 6 MS) correspondent à des emplois du grec ἀθερίνη, l’athérine, Atherina hepsetus Linné, 1758 (voir D’Arcy Thompson 1947, 3 et Kitchell & Resnick 1999, 1660, n. 49). En revanche, l’étymologie et la signification du mot abren sont encore mal expliquées. Une première hypothèse nous conduit à voir dans l’abren le tilapia (Oreochromis nilotica Linné 1758), mais une seconde nous suggère d’interpréter la notice sur l’abren comme se rapportant au cète.

2Il faut sans doute reconnaître dans le poisson achandes, capable d’immobiliser un navire, le rémora (Remora remora Linné, 1758), un poisson de mer dont la première nageoire dorsale est pourvue d’une ventouse qui lui permet de s’accrocher à des animaux plus gros (tortues, requins) et parfois à des navires. C’est ainsi que Peter Artedi, Synonymia nominum piscium, 1738, p. 28, ou Lacépède 1802, III, 147, ont interprété ce passage de l’Hortus sanitatis. Cependant, on ne trouve en latin la forme achandes pour désigner le rémora que dans la phrase de Iorach citée par Vincent de Beauvais, puis l’Hortus sanitatis.

3La forme accipender est une variante graphique de accipenser (acipenser). De Saint-Denis 1947, 1-3, identifie l’accipenser comme étant l’esturgeon, en particulier sous l’espèce ordinaire : Acipenser sturio Linné, 1758. La tradition latine sur ce poisson est sans solution de continuité depuis l’Antiquité, et les mentions et descriptions en sont nombreuses. Ainsi, on peut citer : Cic. fin. 2, 25 ; 2, 91 ; Tusc. 3, 43 ; Hor. sat. 2, 246 ; Mart. 13, 91 ; Ov. hal. 134 ; Plin. nat. 9, 60 ; 32, 145 et 153 ; Ambr. hex. 5, 1, 2 ; Hier. epist. 45, 5 ; et surtout Macr. sat. 3, 16, 1 qui consacre un long développement à l’esturgeon.

4Il faut reconnaître dans l’albirem / albyroz une sorte d’éponge, réputée dans l’Antiquité gréco-romaine pour la qualité de son tissu et désignée sous le nom d’achilleios / achillium (voir Stadler 1920, 1604, et Kitchell & Resnick 1999, 1662, n. 45 ; voir aussi D’Arcy Thompson 1947, 23, pour l’achilleios grec ; De Saint-Denis 1947, 1, pour l’achillium latin). La description de l’albirem / albyroz chez les encyclopédistes médiévaux (AM 24, 6 (9) ; TC 7, 6 ; et VB 17, 29) remonte à la traduction d’Aristote par Michel Scot : Et in gamen sunt tres species [piscium] : et una est rara in substantia, et alia spissa ; tercia, que dicitur albuz, est spissa, fortis valde ; et propter hoc ponitur sub galeis ferri. Et si acciderit in illis aliqua percussio gladii aut alterius, non inducit dolorem. Et ille modus raro invenitur (Arist. HA 548 b 2 MS), « il y a trois espèces d’éponges : l’une a un tissu lâche, l’autre un tissu serré, et la troisième, qu’on appelle albuz, est serrée et très solide, et pour cela on la place sous les casques de fer et si les soldats reçoivent sur leur casque un coup d’épée ou d’une autre arme, elle arrête la douleur. Et cette espèce est rare ». De Saint-Denis 1947, 1, à la suite de Cotte 1944, 246, propose d’identifier l’achillium avec l’éponge de toilette, Euspongia (Spongia) officinalis Linné, 1758 ; Stadler 1920, 1604 (à propos d’AM 5, 69, albuz et AM 24, 6 (9), albiroz), voit dans l’achilleios d’Aristote l’Euspongia zimocca Schmidt, 1862.

5Stadler 1920, 1519, n. 27 et Kitchell & Resnick 1999, 1661, n. 42, à propos d’AM 24, 13 (11), rapprochent la notice de l’alforaz de la discussion d’Aristote (Arist. HA 569 a 10 - b 4) sur la génération spontanée de la menuaille, désignée sous le terme générique d’ἀφυή. Mais ce sont trois notices de l’Hortus sanitatis qui dérivent indirectement de ce passage d’Aristote via la compilation de deux sources différentes : Vincent de Beauvais pour l’alphoram (ch. 1) ; et Albert le Grand pour l’alforam (ch. 6) et l’asturam (ch. 7). Aristote distingue parmi ces petits poissons une espèce qu’il appelle l’écume, ἀφρός. Il est donc tentant de voir dans le vocable alforam une forme issue du grec ἀφρός, d’autant que les descriptions correspondent à des montages d’emprunts à Aristote, sinon de citations fidèles. On notera que si Louis 1973, 86, retient pour traduire ἀφυή les équivalents génériques de menu fretin, menuaille, blanchaille (ou peut-être civelle), il propose d’identifier l’ἀφρός, « l’écume », avec le lançon équille.

6Les informations délivrées par Aristote sur l’athérine (abremon dans la traduction latine de Michel Scot) sont très succinctes et ne peuvent pas expliquer complètement le contenu des notices consacrées à l’abremon dans les encyclopédies médiévales latines. Arist. HA 571 a 6 rapporte brièvement que l’athérine pond ses œufs en frottant son ventre contre le sable ; Arist. HA 570 b 15 mentionne que l’athérine est le premier poisson à frayer dans l’année et qu’elle pond près de la terre ; enfin, Arist. HA 610 b 6 signale que les athérines sont rangées parmi les poissons qui vivent en bancs, sans autre précision. Thomas de Cantimpré, Vincent de Beauvais et Albert le Grand ont surinterprété les brèves indications fournies par Aristote. Une partie des indications inédites sur l’athérine remonte peut-être à une erreur d’interprétation du texte de Michel Scot (Arist. HA 571 a 2-6 MS) qui aurait conduit à amalgamer les informations qu’il fournit, d’abord, sur l’aiguille de mer, βελόνη (Arist. HA 571 a 2-5 MS) et, immédiatement après, sur l’athérine (Arist. HA 571 a 6 MS). Albert le Grand, par exemple, en AM 6, 2, 3 (93), peut-être influencé par les renseignements fournis par Aristote sur l’aiguille de mer, explique abusivement la technique de ponte de l’athérine par une viviparité supposée. En réalité, l’athérine ne pond pas des œufs déjà fécondés. Une famille voisine, les phallostéthoïdes est effectivement à fécondation interne mais elle est confinée dans le Sud-Est asiatique (de l’Inde aux Philippines).

7Vincent de Beauvais ne cite le livre de Iorach que de seconde main, via le De floribus rerum naturalium d’Arnold de Saxe. Sous le livre de Iorach, il faut reconnaître, comme l’a démontré I. Draelants (Draelants 2000, 191-276), un auteur antique, le roi Juba II de Numidie, une des sources de Pline, dont les œuvres, rédigées en grec, ne nous sont parvenues qu’à l’état de fragments.

8Rien ne nous permet d’identifier le poisson abren, tel qu’évoqué par la citation de Iorach, avec l’athérine. En l’état actuel de nos recherches, nous ne pouvons qu’avancer deux hypothèses pour élucider cette mention, mais qui conduisent à des interprétations très différentes. D’Arcy Thompson 1947, 1-2, rapproche la forme abren du terme grec ἀϐραμίς attesté chez Athénée (Ath. 312 b) et qui, selon lui, serait d’origine égyptienne et pourrait désigner un poisson incubateur buccal, le tilapia (Oreochromis nilotica Linné, 1758). La citation de Iorach semble bien favorable à la double suggestion de D’Arcy Thompson de considérer le nom d’abren comme une résurgence du grec ἀϐραμίς et d’identifier le poisson abramis avec le tilapia. Ce poisson incubateur buccal, de la famille des cichlidés, est très répandu dans les cours d’eau ou les lacs d’Afrique et d’Asie mineure. Les femelles, une fois leurs ovules fécondés par les mâles, reprennent les œufs et les font incuber dans leur bouche où les petits éclosent. Les alevins restent auprès de leur mère jusqu’à ce qu’ils soient capables de trouver leur nourriture et se réfugient dans sa bouche en cas de danger. Dans cette première hypothèse, le De animalibus de Iorach aurait transmis des renseignements inédits fournis par Juba sur le poisson abramis que Vincent de Beauvais aurait à tort interprétés comme un supplément d’informations sur l’athérine. Mais une deuxième hypothèse a été formulée par I. Draelants (Draelants 2000, 266-267). Elle note des similitudes frappantes entre la description du poisson abren tirée de Iorach par Arnold de Saxe et Vincent de Beauvais et un passage de Barthélemy l’Anglais qui concerne le cète (le terme cetus, comme le grec κῆτος, désigne de façon générique les grands mammifères marins). Barthélemy l’Anglais note ainsi : quando inualescit tempestas, foetus suos adhuc iuuenes et teneros, in uentrem suum contrahit, quos serena facta, uiuos euomit iterum et emittit, « quand une tempête se lève, [le cète] fait rentrer dans son ventre ses petits, encore jeunes et tendres, et, le beau temps revenu, il les recrache vivants et les faits sortir » (Barthélemy l’Anglais, De proprietatibus rerum, livre XIII, De aqua, ch. 26, De piscibus, 1650, p. 587). Si nous suivons cette interprétation très plausible, Barthélemy l’Anglais n’aurait pas hésité à traduire par cetus le terme abren qu’Arnold de Saxe se serait contenté de transcrire. On ne peut pas cependant exclure qu’il y ait eu surinterprétation de Barthélemy l’Anglais influencé par la tradition latine concernant le cète. Il est difficile de trancher alors que l’origine linguistique du mot abren n’est pas encore élucidée avec certitude (peut-être faudrait-il explorer l’emploi du mot azrel pour désigner le cachalot chez Serapion, Liber aggregatus in medicinis simplicibus, 1525, ch. 196 : Hambra, fol. 151). Quoi qu’il en soit, il nous semble impossible aujourd’hui de décider si le poisson abren de Iorach est le modeste tilapia ou l’énorme cète des grandes profondeurs !

9Nous n’avons retrouvé dans la littérature ancienne et médiévale sur le rémora aucune information comparable à celle donnée ici par Iorach. La forme achandes remonte vraisemblablement au terme grec, ἐχενηΐς, déformé au fil des traductions ou transpositions diverses dont il a été l’objet. La seule tradition manuscrite du De floribus rerum naturalium d’Arnold de Saxe, dont est tirée la citation de Iorach, témoigne de trois variantes différentes : echacides, echandes, achandes : la forme echacides paraît bien plaider en faveur d’un étymon echeneis, -idos (sur la tradition manuscrite de ce passage du De floribus rerum naturalium, voir Draelants 2000, 262), sans qu’on puisse en être certains. L’achandes est sans doute l’echenais (le rémora) mais en l’état actuel de nos recherches nous n’avons retrouvé, dans l’abondante documentation fournie par les textes antiques ou médiévaux sur la force d’adhérence admirable du rémora, aucun passage parallèle qui expliquerait son comportement par le souci de sa progéniture (sur le rémora, voir ch. 34 et 36). De façon générale, les anecdotes relatives au rémora constatent ses capacités physiques étonnantes, mais ne cherchent pas à en donner l’étiologie. Un autre animal passait dans l’Antiquité pour être doté des mêmes capacités que le rémora, un murex dont la légende a été conservée par Plin. nat. 9, 80. Ces coquillages auraient contribué au sauvetage des trois cents enfants de Corcyre voués à la castration par le tyran Périandre en retenant le navire qui les transportait. Mais rien ne permet de penser que le terme achandes, sous ses différentes graphies, puisse renvoyer à la dénomination grecque de ce murex (que Pline ne nous a pas transmise) plutôt qu’à celle de l’echeneis. Peut-être faut-il supposer, à l’origine de cette déroutante information sur le poisson achandes, une transmission textuelle pertubée, au niveau ou bien du De floribus rerum naturalium d’Arnold de Saxe, ou bien du De animalibus de Iorach, qui aurait contaminé des indications relatives à deux poissons différents. En faveur d’une contamination possible des informations, on signalera par exemple qu’Ambroise associe dans une même phrase les poissons qui migrent dans le Pont-Euxin pour frayer et ceux qui arrêtent les navires malgré leur petite taille (Ambr. hex. 5, 10, 31).

10De Saint-Denis 1947, 3 (note reprise dans De Saint-Denis 1955, 117, n. 1), explique que la particularité notée par Plin. nat. 9, 60, ne peut pas faire référence à des « écailles imbriquées à rebours et se recouvrant de la queue vers la tête », mais qu’elle peut, en revanche, constituer une allusion aux rangées longitudinales d’écussons osseux qui garnissent la peau des esturgeons. En revanche, l’hypothèse de Kitchell & Resnick 1999, 1663, n. 50, qui vont jusqu’à supposer une corruption dans la tradition manuscrite de Pline, est intéressante, mais sans doute trop hasardeuse. Selon eux, le texte original de Pline, squamis in os [os, ossis] conversis, « des écailles passées à l’état osseux », aurait fait l’objet d’une mésinterprétation et aurait été à tort corrigé en squamis in os versis, « des écailles tournées vers la tête ».

11Le texte de Plin. nat. 9, 60, contra quam in nando meant, « contrairement au mouvement de la nage » (De Saint-Denis 1955, 57), a fait ici l’objet d’une correction qui en altère complètement le sens original. De Saint-Denis 1947, 46, rappelle une observation analogue de Plutarque, De sollertia animalium, 28, mais à propos de l’helops. L’explication plus détaillée de Plutarque permet de comprendre le raisonnement implicite de Pline : grâce à la disposition particulière de leurs écailles, tournées d’arrière en avant, l’acipenser et l’helops pourraient nager dans le sens du courant, alors que les autres poissons seraient contraints de le remonter pour éviter que leurs écailles ne se rebroussent douloureusement. La correction du comparatif quam en aquam fait dire à la citation de Pline exactement le contraire : « ils se déplacent en nageant contre l’eau [à contre-courant] ».

12Les auteurs anciens (en particulier Macr. sat. 3, 16) s’accordent pour voir dans la chair de l’esturgeon un mets de choix. Que l’esturgeon ait été moins apprécié à l’époque de Pline peut s’expliquer par une évolution des goûts et de la mode, mais aussi par des différences entre les espèces : la chair de certains esturgeons (par exemple, celle du grand esturgeon, Acipenser huso Linné, 1758) est de qualité médiocre ou même mauvaise. Sur cette question, voir De Saint-Denis 1947, 2.

13Pline (Plin. nat. 9, 60 ; Plin. nat. 32, 153) signale que ses contemporains confondaient parfois l’helops et l’acipenser. De Saint-Denis 1947, 3 et 45, estime que les ressemblances entre les deux espèces devaient donc être assez grandes pour que certains hésitent à les distinguer. Il suggère de reconnaître dans l’acipenser l’esturgeon commun (Acipenser sturio Linné, 1758), et dans l’helops le petit esturgeon ou sterlet (Acipenser ruthenus Linné, 1758). Pour mémoire, à propos d’AM 24, 10 (10), Stadler 1920, 1603, identifie l’acipenser / accipender comme étant l’Acipenser ruthenus Linné, 1758.

14Aristote distingue trois espèces d’éponges, dont l’achilleios (albuz dans la traduction latine de Michel Scot, d’où les formes médiévales albirem / albyroz) de meilleure qualité, qu’on met sous les casques et les jambières pour amortir les chocs ; Aristote affirme précisément qu’il s’agit d’atténuer l’effet de résonance provoqué par le coup : « [les éponges d’Achille] sont les plus fines, les plus serrées et les plus solides : on les met sous les casques et les jambières, et le coup fait moins de bruit » (Louis 1968, 30). Plin. nat. 9, 148, distingue lui aussi trois espèces d’éponges et précise que l’achillium est utilisé dans la confection des pinceaux ; mais il semble ignorer son usage militaire.

15L’ἀφρός / alforam est caractérisé par son mode de génération particulier. On peut reconnaître dans le passage consacré à cet animal plusieurs emprunts à Aristote, mais extrêmement résumés et, apparemment, rapiécés un peu hâtivement. On peut ainsi relever des similitudes avec la génération spontanée d’une variété de muges, le kestreus, décrite dans Arist. HA 569 a 12-17, et nous soulignons dans la traduction française de P. Louis les parallélismes les plus frappants : « [il est des poissons] qui naissent de la vase et du sable, et cela dans des genres qui se reproduisent par un accouplement et des œufs ; c’est le cas, entre autres, dans des marécages comme il y en avait, dit-on, jadis, aux environs de Cnide ; ce marais se desséchait au moment de la Canicule, et la vase devenait entièrement sèche ; de l’eau commençait à revenir avec les pluies et des petits poissons se formaient dès que l’eau apparaissait » (Louis 1968, 94). On reconnaît aussi une similitude avec Arist. HA 569 a 29 - b 2 qui concerne précisément l’aphros : « ainsi parmi la menuaille, le poisson qu’on appelle écume naît du fond sableux. Cette menuaille ne grossit pas et ne se reproduit pas, et au bout d’un certain temps, elle périt, mais il en revient d’autres » (Louis 1968, 95). De même Arist. HA 569 b 28-29 : « il se trouve, comme les vers dans le fumier, en tous les points de la surface de l’écume où il s’est formé » (Louis 1968, 96). Arist. HA 569 b 28-30 : « Le poisson-écume, qui est stérile, est mou et se garde peu de temps, ainsi que nous l’avons dit plus haut » (Louis 1968, 96).

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1caput 1 1536.

2accipenser 1536 ut semper.

3abrenone VBd.

4albitrez vel albitrem VB2 ut semper albirez VBd ut semper.

5alphoraz vel alphoram VB2 ut semper.

6Vincent de Beauvais suit fidèlement Thomas de Cantimpré. Seuls les chapitres de Thomas de Cantimpré n’ont pas été repris, le texte des livres 6 et 7 du Liber de natura rerum devant, en effet, faire l’objet d’une prochaine publication.

7Kitchell & Resnick 1999, 1660, n. 49, dans leur commentaire au chapitre d’Albert le Grand (AM 24, 9 (10)) consacré au poisson abremon, suggèrent d’expliquer le nom abremon par une corruption de l’expression ab arena, « qui vient du sable ». Un étymon latin, même séduisant, est délicat à justifier pour un terme qui, de toute évidence, s’inscrit, avant le latin, dans une tradition gréco-orientale.

8alas 1536.

9post aliorum hab. ea 1491 VB.

10contractu 1491.

11Le traducteur médiéval de l’Hortus sanitatis a compris maris comme le génitif de mas, « le mâle », en voyant peut-être dans ce passage une allusion à la fécondation externe des œufs de la femelle par la laitance du poisson mâle. Mais ce mode de reproduction, très fréquent chez les poissons ovipares, était bien connu des Anciens, et on comprendrait mal en quoi l’athérine ferait figure d’exception. Il faut donc plutôt interpréter maris comme le génitif de mare, « la mer ». La notice de Thomas de Cantimpré gloserait alors l’observation aristotélicienne, en insistant sur l’incapacité de l’athérine à expulser directement ses œufs dans l’eau, à la différence des autres poissons. Il reste que la formulation de Thomas de Cantimpré est ambiguë (quelle réalité précise réside derrière les expressions ova concepta parit / fetus educit ?) et ne permet pas de restituer avec sûreté la nature exacte des connaissances qu’il a retirées de sa lecture d’Aristote.

12Vincent de Beauvais cite toujours Iorach de seconde main d’après Arnold de Saxe.

13abremon 1536.

14Vincent de Beauvais suit fidèlement Thomas de Cantimpré.

15qui VB.

16ratus Prüss1.

17in — supra non hab. VB.

18Vincent de Beauvais reprend fidèlement Thomas de Cantimpré.

19in — libro non hab. VB.

20Vincent de Beauvais suit ici encore de très près Thomas de Cantimpré. Notons cependant que le texte de Thomas de Cantimpré, tel qu’édité par Boese, donne la leçon aqua, nominatif sujet de ascenderit : « quand le niveau de l’eau a remonté ». Mais le Speculum naturale, tel que donné dans les deux éditions de Vincent de Beauvais consultées et l’Hortus sanitatis ont aquam : « lorsqu’il a regagné l’eau », leçon fautive qui trahit Thomas de Cantimpré et Aristote. La notice de Thomas de Cantimpré recompose une série d’informations empruntées à Aristote dans la traduction de Michel Scot : Arist. HA 569 a 12-16 MS Et quidam pisces generantur ex limo et arena sine coitu et ovis, et precipue in loco, qui dicitur Kanidaon. Et dicunt, quod iste locus desiccatur, quando incipit apparere Canis, et aufertur limus et putredo ab illo loco. Et quando revertetur aqua ad illum locum, generabuntur in eo parvi pisces de genere fastatleon ; Arist. HA 569 a 25 - b 1 MS Manifestum est ergo ex hoc, quod diximus, quod quidam pisces generantur per se sine ovis et sine coitu, et quidam a limo et quidam ab harena et quidam per putrefactionem, que est super aquam, sicut asroz, quod est exaquem, et hoc, quod dicitur exaquem, non gingnitur neque habet vermem ; et quando pertransierit magnum tempus, movetur generaliter alius ab eo ; Arist. HA 569 b 28 - 570 a 2 MS Et quod dicitur afforoz non gignitur et est humidum, et vita eius est modico tempore, sicut diximus superius. Et dissolvitur, quousque solummodo remaneant ex eo occuli et caput. Et dicunt naute, quod si saliatur, durabit diu.

21et VB2.

22aqua correximus ex TC : aquam 1491 Prüss1 1536 VB.

Annotations scientifiques

  • Donec tempor euismod sagittis
  • Cum sociis natoque penatibus
  • Morbi tempus nulla sed quam vestibulum
  • Donec eleifend aliquam interdum