Pour citer ce texte

Livre 3

Liber tertius

1 Quand Balbus eut ainsi parlé, Cotta lui dit en souriant : « Tu m’indiques un peu tard, Balbus, la position que je dois défendre : pendant ton exposé, je réfléchissais déjà aux objections que je te ferais, moins pour te réfuter que pour t’interroger sur ce que je comprenais mal. Et comme chacun doit se fier à son jugement personnel, il m’est difficile d’avoir l’opinion que tu voudrais que j’aie »1.

1 Quae cum Balbus dixisset tum adridens Cotta : « Sero, inquit, mihi Balbe praecipis quid defendam. Ego enim te disputante quid contra dicerem mecum ipse meditabar neque tam refellendi tui causa quam ea quae minus intellegebam requirendi. Cum autem suo cuique iudicio sit utendum difficile factu est me id sentire quod tu uelis. »

2 Velléius intervint alors : « Tu ne peux t’imaginer combien j’ai hâte de t’écouter, Cotta. Ton discours contre Épicure a charmé notre ami Balbus ; je vais donc à mon tour te prêter une oreille attentive quand tu parleras contre les stoïciens et je m’attends à ce que tu viennes bien armé, comme toujours. »

2 Hic Velleius « Nescis, inquit, quanta cum expectatione, Cotta, sim te auditurus. Iucundus enim Balbo nostro sermo tuus contra Epicurum fuit ; praebebo igitur ego me tibi uicissim attentum contra Stoicos auditorem. Spero enim te, ut soles, bene paratum uenire. »

3 « Certes oui, Velléius, répondit Cotta, car il n’y a pas de commune mesure entre la méthode à utiliser pour Lucilius (Balbus) et celle que j’ai employée avec toi. »

3 Tum Cotta, « Sic mehercule, inquit, Vellei ; neque enim mihi par ratio cum Lucilio est ac tecum fuit. »

« Et pourquoi ? », dit-il.

« Qui tandem ? » inquit ille.

« Parce qu’à mon avis, votre Épicure ne livre pas un combat acharné à propos des dieux immortels. Il borne son audace à ne pas nier leur existence pour ne pas encourir le risque d’hostilités ou d’accusations. Mais quand il soutient que les dieux ne font rien, ne se soucient de rien, qu’ils sont pourvus de membres pareils à ceux des hommes sans en faire aucun usage, il a l’air de plaisanter et de croire qu’il lui suffit de dire qu’il existe une nature bienheureuse et éternelle2. 4 Balbus, en revanche, a exprimé un grand nombre d’idées – tu as pu le remarquer – et, même si elles sont erronées, elles sont étroitement liées entre elles et forment un ensemble cohérent. C’est pourquoi, comme je l’ai dit, je songe moins à réfuter son exposé qu’à poser des questions sur ce que j’ai mal compris. Je te laisse donc le choix, Balbus : préfères-tu me répondre point par point sur ce que je n’ai pas bien saisi ou m’écouter faire un exposé complet3 ? »

« Quia mihi uidetur Epicurus uester de dis immortalibus non magnopere pugnare ; tantum modo negare deos esse non audet ne quid inuidiae subeat aut criminis ; cum uero deos nihil agere nihil curare confirmat membrisque humanis esse praeditos sed eorum membrorum usum nullum habere ludere uidetur satisque putare si dixerit esse quandam beatam naturam et aeternam. [+] 4 A Balbo autem animaduertisti, credo, quam multa dicta sint quamque etiam si minus uera tamen apta inter se et cohaerentia. Itaque cogito, ut dixi, non tam refellere eius orationem quam ea quae minus intellexi requirere. Quare, Balbe, tibi permitto, responderene mihi malis de singulis rebus quaerenti ex te ea quae parum accepi an uniuersam audire orationem meam. »

Balbus répondit : « Si tu souhaites certains éclaircissements, je préfère procéder par réponses mais si tu veux m’interroger moins pour me comprendre que pour me réfuter, je ferai ce que tu voudras : je répondrai tout de suite à chacune de tes questions ou je ferai une réponse d’ensemble quand tu auras achevé ton exposé. »

Tum Balbus : « Ego uero, si quid explanari tibi uoles respondere malo, sin me interrogare non tam intellegendi causa quam refellendi, utrum uoles faciam, uel ad singula quae requires statim respondebo uel cum peroraris ad omnia. » [+]

5 « Très bien, répondit Cotta, procédons comme nous y conduit la discussion. II Mais avant d’aborder le sujet, je voudrais dire quelques mots de caractère personnel. Ton autorité, Balbus, et les propos que tu m’adressais, à la fin de ton exposé, pour m’exhorter à ne pas oublier que j’étais à la fois Cotta et un pontife, m’ont fait une vive impression : cela signifiait, je pense, que je devais défendre les croyances que nous avons héritées de nos ancêtres sur les dieux immortels, ainsi que les rites, les cérémonies et les pratiques religieuses. Pour ma part, je les défendrai toujours et je les ai toujours défendus ; jamais les discours de qui que ce soit, savant ou ignorant, ne me feront abandonner les croyances que j’ai héritées de mes ancêtres sur le culte des dieux immortels. Mais quand il s’agit de religion, mes maîtres sont Tibérius Coruncanius, Publius Scipion, Publius Scévola4, tous trois grands pontifes, et non pas Zénon ou Cléanthe ou Chrysippe et je préfère écouter Caius Laélius5, qui fut à la fois augure et sage, lorsqu’il parle de la religion dans son fameux discours, plutôt que n’importe lequel des maîtres stoïciens. La religion du peuple romain, considérée dans son ensemble, comporte deux aspects, les rites et les auspices, auxquels on a ajouté un troisième, les avertissements tirés des présages et des prodiges par les interprètes de la Sibylle et les haruspices6 : je n’ai jamais tenu pour méprisable aucune de ces pratiques et j’ai la conviction que Romulus, en instituant les auspices, et Numa, les rites, ont posé les fondements de notre cité7. Sans aucun doute, elle n’aurait jamais pu devenir aussi grande qu’elle l’est sans s’assurer la pleine faveur des dieux immortels. 6 Voilà, Balbus, l’opinion de Cotta, l’opinion du pontife ; à toi maintenant de me faire comprendre la tienne. C’est à toi, qui es philosophe, que je dois demander de fonder en raison la religion tandis que je me fie à nos ancêtres, sans leur en demander la raison. »

5 Tum Cotta : « Optime, inquit ; quam ob rem sic agamus ut nos ipsa ducit oratio. II Sed ante quam de re pauca de me. Non enim mediocriter moueor auctoritate tua, Balbe, orationeque ea quae me in perorando cohortabatur ut meminissem me et Cottam esse et pontificem ; quod eo, credo, ualebat ut opiniones quas a maioribus accepimus de dis immortalibus, sacra, caerimonias religionesque defenderem. Ego uero eas defendam semper semperque defendi nec me ex ea opinione quam a maioribus accepi de cultu deorum immortalium ullius umquam oratio aut docti aut indocti mouebit. Sed cum de religione agitur, Ti. Coruncanium, P. Scipionem, P. Scaeuolam, pontifices maximos, non Zenonem aut Cleanthem aut Chrysippum sequor habeoque C. Laelium, augurem eundemque sapientem, quem potius audiam dicentem de religione in illa oratione nobili quam quemquam principem Stoicorum. Cumque omnis populi Romani religio in sacra et in auspicia diuisa sit, tertium adiunctum sit si quid praedictionis causa ex portentis et monstris Sibyllae interpretes haruspicesue monuerunt, harum ego religionum nullam umquam contemnendam putaui mihique ita persuasi Romulum auspiciis, Numam sacris constitutis fundamenta iecisse nostrae ciuitatis quae numquam profecto sine summa placatione deorum inmortalium tanta esse potuisset. [+] 6 ❖ Habes, Balbe, quid Cotta, quid pontifex sentiat ; fac nunc ego intellegam tu quid sentias ; a te enim philosopho rationem accipere debeo religionis, maioribus autem nostris etiam nulla ratione reddita credere. »

III « Quelle raison exiges-tu de moi, Cotta ? », demanda alors Balbus.

III Tum Balbus : « Quam igitur a me rationem, inquit, Cotta, desideras ? »

« Ton exposé comportait quatre points8 : en premier lieu, tu as voulu prouver l’existence des dieux, ensuite établir quelle est leur nature, puis montrer qu’ils gouvernent le monde, enfin qu’ils prennent soin des affaires humaines. C’est ainsi que tu avais établi ta partition si je me souviens bien. »

Et ille : « Quadripertita, inquit, fuit diuisio tua, primum ut uelles docere deos esse, deinde quales essent, tum ab iis mundum regi, postremo consulere eos rebus humanis. Haec, si recte memini, partitio fuit. »

« Parfaitement, dit Balbus, mais j’attends tes questions. »

« Rectissume, inquit Balbus, sed expecto quid requiras. » [+]

7 Cotta répliqua : « Examinons chaque point successivement : si le premier, l’existence des dieux, fait l’unanimité, à l’exception des impies invétérés, si rien, chez moi, ne peut extirper cette conviction, celle-ci se fonde sur l’autorité des ancêtres et tu ne m’apprends pas pourquoi elle est fondée. »

7 Tum Cotta : « Primum quidque uideamus, inquit, et si id est primum quod inter omnis nisi admodum impios conuenit, mihi quidem exuri non potest, esse deos, id tamen ipsum quod mihi persuasum est auctoritate maiorum, cur ita sit nihil tu me doces. »

« Si tu es convaincu, dit Balbus, pourquoi veux-tu que je t’instruise ? »

« Quid est, inquit Balbus, si tibi persuasum est, cur a me uelis discere ? »

« Parce que, reprit Cotta, j’entre dans ce débat comme si je n’avais jamais entendu parler des dieux immortels, comme si je n’avais jamais réfléchi à cette question. Accueille-moi comme un élève débutant, novice, et enseigne-moi ce que je te demande. »

Tum Cotta : « Quia sic adgredior, inquit, ad hanc disputationem quasi nihil umquam audierim de dis immortalibus, nihil cogitauerim ; rudem me et integrum discipulum accipe et ea quae requiro doce. » [+]

8 « Dis-moi donc, reprit Balbus, ce que tu demandes. »

8 « Dic igitur, inquit, quid requiras. »

« Moi ? D’abord j’aimerais savoir pourquoi tu as traité si longuement ce qui, selon tes propres mots, n’avait pas besoin de discours puisque c’était évident et reconnu de tous. »

« Egone ? Primum illud cur, quod [perspicuum] in ista parte ne egere quidem oratione dixisses, quod esset perspicuum et inter omnis constaret, de eo ipso tam multa dixeris. »

« C’est parce que, répondit-il, j’ai remarqué que toi aussi, Cotta, quand tu plaides au forum, tu accables souvent le juge de tous les arguments possibles dès lors que la cause t’en donne l’occasion. Les philosophes font la même chose et moi, j’ai fait de mon mieux. Toi, en me posant cette question, tu fais comme si tu me demandais pourquoi je te regarde avec les deux yeux au lieu d’un seul puisque je pourrais obtenir le même résultat avec un seul œil. »

« Quia te quoque, inquit, animaduerti, Cotta, saepe cum in foro diceres quam plurimis posses argumentis onerare iudicem si modo eam facultatem tibi daret causa. Atque hoc idem et philosophi faciunt et ego ut potui feci. Tu autem quod quaeris similiter facis ac si me roges cur te duobus contuear oculis et non altero coniueam cum idem uno adsequi possim. » [+]

IV 9 « À toi de voir ce que vaut ta comparaison, reprit Cotta. Moi, en tout cas, quand je plaide, s’il y a un point évident, que tout le monde reconnaît, je n’ai pas l’habitude de l’argumenter car l’argumentation obscurcit l’évidence. Et à supposer que je procède ainsi dans les débats judiciaires, je n’agirais pas de la même manière dans une discussion aussi précise que la nôtre. Mais pourquoi regarder d’un seul œil ? Il n’y a pas de raison puisque les deux ont la même vision et que la nature, qui selon toi est sage, a voulu nous pourvoir de deux ouvertures qui font communiquer l’âme et les yeux. Mais comme tu n’étais pas convaincu de l’évidence de ta thèse, tu as multiplié les arguments pour prouver l’existence des dieux. Pour moi, il suffisait de dire que nos ancêtres nous ont transmis cette conviction. Mais toi, tu méprises les jugements d’autorité, tu combats avec les armes de la raison. 10 Permets donc que ma raison se mesure avec la tienne.

IV 9 Tum Cotta : « Quam simile istud sit, inquit, tu uideris. Nam ego neque in causis si quid est euidens de quo inter omnis conueniat argumentari soleo (perspicuitas enim argumentatione leuatur) nec si id facerem in causis forensibus idem facerem in hac subtilitate sermonis. Cur coniueres autem altero oculo causa non esset, cum idem obtutus esset amborum et cum rerum natura, quam tu sapientem esse uis, duo lumina ab animo ad oculos perforata nos habere uoluisset. Sed quia non confidebas tam esse id perspicuum quam tu uelis, propterea multis argumentis deos esse docere uoluisti. Mihi enim unum sat erat, ita nobis maioris nostros tradidisse. Sed tu auctoritates contemnis, ratione pugnas. [+] 10 Patere igitur rationem meam cum tua ratione contendere.

Tu avances tous ces arguments en faveur de l’existence des dieux et ton argumentation rend douteuse une cause qui, selon moi, ne l’est absolument pas. J’ai bien retenu non seulement le nombre mais aussi l’ordre de tes arguments9. Le premier consistait à dire que, quand nous levons les yeux vers le ciel, nous comprenons aussitôt qu’il existe un pouvoir divin qui gouverne cet espace. D’où cette citation :

Adfers haec omnia argumenta cur dii sint remque mea sententia minime dubiam argumentando dubiam facis ; mandaui enim memoriae non numerum solum sed etiam ordinem argumentorum tuorum. Primum fuit, cum caelum suspexissemus statim nos intellegere esse aliquod numen quo haec regantur. Ex hoc illud etiam

Regarde ce ciel d’un brillant éclat que tous invoquent sous le nom de Jupiter*.
Aspice hoc sublime candens quem inuocant omnes Iouem*. [+]

11 Comme si vraiment c’était cela qu’un Romain appelait Jupiter, et non le Jupiter du Capitole ! Comme s’il était évident et unanimement reconnu que ce sont des dieux, alors que Velléius et beaucoup d’autres ne te concèdent même pas que ce sont des êtres animés. Un autre argument de poids, selon toi, c’est que l’opinion concernant les dieux est universelle et s’affermit chaque jour davantage. Vous admettez donc que des questions si importantes soient tranchées par des ignorants, vous surtout qui les déclarez insensés10.

11 Quasi uero quisquam nostrum istum potius quam Capitolinum Iouem appellet aut hoc perspicuum sit constetque inter omnes, eos esse deos, quos tibi Velleius multique praeterea ne animantis quidem esse concedant. Graue etiam argumentum tibi uidebatur quod opinio de dis inmortalibus et omnium esset et cottidie cresceret. Placet igitur tantas res opinione stultorum iudicari, uobis praesertim qui illos insanos esse dicatis ?

V Mais, diras-tu, nous voyons les dieux se manifester : par exemple à Postumius, au lac Régille, à Vatiénus, sur la voie Salaria – et encore dans je ne sais quel combat des Locriens, près de la Sagra11. Crois-tu donc que ceux que tu appelais les Tyndarides, c’est-à-dire des hommes nés d’un homme et dont Homère, qui n’était pas éloigné de leur époque, dit qu’ils ont leur tombeau à Lacédémone*, soient venus sur des bidets blancs, sans le moindre valet d’armes, au-devant de Vatiénus et qu’ils aient annoncé la victoire du peuple romain à Vatiénus, un paysan, plutôt qu’à Marcus Caton, qui était alors le premier de la cité12 ? Alors tu crois aussi que la marque dans le rocher encore visible aujourd’hui près du lac Régille est la trace laissée par le sabot du cheval de Castor ? 12 N’aimes-tu pas mieux croire, ce qui est probable, que les âmes des grands hommes, comme celles des Tyndarides, sont divines et éternelles plutôt que de penser que des hommes qui avaient été une bonne fois incinérés aient pu chevaucher et se battre en bataille rangée ? Ou alors, si tu dis que c’est possible, tu dois nous apprendre comment, et ne pas nous raconter des contes de vieilles femmes. »

V At enim praesentis uidemus deos ut apud Regillum Postumius, in Salaria Vatienus – nescio quid etiam de Locrorum apud Sagram proelio. Quos igitur tu Tyndaridas appellabas, id est homines homine natos et quos Homerus, qui recens ab illorum aetate fuit, sepultos esse dicit Lacedaemone*, eos tu cantheriis albis nullis calonibus obuiam Vatieno uenisse existimas et uictoriam populi Romani Vatieno potius, homini rustico, quam M. Catoni qui tum erat princeps nuntiauisse ? Ergo et illud in silice quod hodie apparet apud Regillum tamquam uestigium ungulae Castoris equi credis esse ? [+] 12 Nonne mauis illud credere, quod probari potest, animos praeclarorum hominum quales isti Tyndaridae fuerunt, diuinos esse et aeternos quam eos qui semel cremati essent equitare et in acie pugnare potuisse ; aut si hoc fieri potuisse dicis, doceas oportet quo modo nec fabellas aniles proferas. » [+]

13 Lucilius répondit : « Vraiment, tu prends cela pour des contes ? Ne vois-tu pas au forum le temple dédié à Castor et Pollux par Aulus Postumius13 ni le sénatus-consulte relatif à Vatinius ? Quant à la Sagra, il y a même un proverbe chez les Grecs : quand on veut affirmer quelque chose on dit “C’est plus sûr que ce qui s’est passé à la Sagra”14. De telles autorités ne doivent-elles pas t’ébranler ? »

13 Tum Lucilius : « An tibi, inquit, fabellae uidentur ? Nonne ab A. Postumio aedem Castori et Polluci in foro dedicatam, nonne senatus consultum de Vatieno uides ? Nam de Sagra Graecorum etiam est uolgare prouerbium qui quae adfirmant certiora esse dicunt quam illa quae apud Sagram. His igitur auctoribus nonne debes moueri ? »

Cotta répliqua : « Ce sont des bruits qui courent que tu m’opposes, alors que je te demande des raisons. »

Tum Cotta : « Rumoribus, inquit, mecum pugnas, Balbe, ego autem a te rationes requiro »a. [+]

VI 14 « Vient ensuite le point concernant les événements à venir. Personne, en effet, ne peut échapper à ce qui doit advenir. Souvent, il n’est même pas utile de savoir ce qui arrivera : c’est une misère de se tourmenter sans profit sans même avoir cette consolation suprême et pourtant universelle qu’est l’espérance. Cela vaut d’autant plus dans votre cas, puisque vous affirmez aussi que tout se produit sous l’effet du destin et que le destin est ce qui a toujours été vrai de toute éternité15. Dans ces conditions, à quoi bon connaître un événement à venir et quelle précaution peut-on prendre s’il doit arriver à coup sûr ? En outre, d’où vient votre divination ? Qui a découvert la fissure du foie ? Qui a observé le premier le chant de la corneille et les tablettes des sorts ? Pour ma part, je leur accorde ma confiance et je ne saurais faire fi du bâton augural d’Attus Navius que tu évoquais16. Mais comment ces signes ont-ils été reconnus comme tels, c’est aux philosophes de me l’apprendre, d’autant plus que dans bien des cas vos devins disent des mensonges.

VI 14 « Sequuntur quae futura sunt ; effugere enim nemo id potest quod futurum est. Saepe autem ne utile quidem est scire quid futurum sit ; miserum est enim nihil proficientem angi nec habere ne spei quidem extremum et tamen commune solacium ; praesertim cum uos idem fato fieri dicatis omnia, quod autem semper ex omni aeternitate uerum fuerit id esse fatum ; quid igitur iuuat aut quid adfert ad cauendum scire aliquid futurum cum id certe futurum sit ? Vnde porro ista diuinatio, quis inuenit fissum iecoris, quis cornicis cantum notauit, quis sortis ? Quibus ego credo nec possum Atti Naui quem commemorabas lituum contemnere sed qui ista intellecta sint a philosophis debeo discere praesertim cum plurimis de rebus diuini isti mentiantur. [+]

15 “Mais les médecins aussi, disais-tu, se trompent souvent.” Comment comparer la médecine, dont je comprends la méthode rationnelle, et la divination, dont je ne comprends pas l’origine ?

15 “At medici quoque (ita enim dicebas) saepe falluntur.” Quid simile medicina, cuius ego rationem uideo, et diuinatio, quae unde oriatur non intellego ?

Tu penses également que les Décius17, en se dévouant, ont apaisé les dieux. Mais comment les dieux ont-ils pu être injustes au point d’exiger que de tels héros meurent pour apaiser leur ressentiment à l’égard du peuple romain ? Non, ce fut un calcul de chefs d’armée, ce que les Grecs appellent un “stratagème”, mais de chefs qui ne pensaient qu’à leur patrie, au mépris de leur vie : ils calculaient que l’armée suivrait son chef s’il se jetait sur l’ennemi au galop de son cheval, et c’est ce qui arriva. Quant à la voix d’un Faune, je ne l’ai, pour ma part, jamais entendue, mais si tu affirmes que tu l’as entendue, je veux bien te croire, même si je n’ai aucune idée de ce qu’est un Faune.

Tu autem etiam Deciorum deuotionibus placatos deos esse censes. Quae fuit eorum tanta iniquitas ut placari populo Romano non possent nisi uiri tales occidissent ? Consilium illud imperatorium fuit, quod Graeci στρατήγημα appellant, sed eorum imperatorum qui patriae consulerent, uitae non parcerent ; rebantur enim fore ut exercitus imperatorem equo incitato se in hostem inmittentem persequeretur, id quod euenit. Nam Fauni uocem equidem numquam audiui ; tibi, si audiuisse te dicis, credam, etsi Faunus omnino quid sit nescio.

VII Ainsi donc, jusqu’ici, dans la mesure où cela dépend de toi, Balbus, je ne peux comprendre que les dieux existent ; je crois assurément qu’ils existent mais les stoïciens ne m’apprennent rien.

VII Non igitur adhuc quantum quidem in te est, Balbe, intellego deos esse ; quos equidem credo esse sed nil docent Stoici. [+]

16 Cléanthe, disais-tu, pense que la notion des dieux se forme dans l’esprit humain de quatre façons18. La première, dont j’ai suffisamment parlé, vient de la connaissance anticipée de l’avenir ; la deuxième a son point de départ dans les perturbations atmosphériques et les autres mouvements naturels ; la troisième vient de l’utilité et de l’abondance des productions que nous recueillons, la quatrième de l’ordre constant qui règne dans les mouvements des astres et dans le ciel. J’ai déjà parlé de la prévision de l’avenir. Quant aux perturbations célestes, maritimes et terrestres, je ne peux nier que beaucoup de gens, quand elles se produisent, les redoutent et les attribuent aux dieux immortels. 17 Mais la question n’est pas de savoir s’il y a des gens qui pensent que les dieux existent mais si les dieux existent ou non. Les autres causes ajoutées par Cléanthe, dont l’une concerne l’abondance des avantages dont nous jouissons et l’autre la succession des saisons et la régularité des phénomènes célestes, je les traiterai quand je discuterai de la providence des dieux, sujet sur lequel, Balbus, tu t’es très longuement étendu19. 18 Je réserverai pour le même moment l’argument que tu attribuais à Chrysippe : puisqu’il y a dans la nature quelque chose que l’homme ne peut produire, il existe quelque chose meilleur que l’homme. Je garderai aussi pour le même moment la comparaison que tu proposais entre la belle maison et la beauté du monde et ce que tu y ajoutais en évoquant l’accord et l’harmonie du monde pris dans sa totalité. Je repousserai aussi jusqu’à la partie de l’entretien que je viens de mentionner les arguments de Zénon, à la forme brève et acérée. Et nous verrons dans le même temps, à la place qui leur revient, toutes les doctrines physiques que tu as présentées sur la puissance du feu et la chaleur dont tu disais que toutes choses sont issues. Tout ce que tu as dit avant-hier20, quand tu voulais montrer que les dieux existent et comment le monde dans son ensemble, le soleil, la lune, les étoiles sont doués de sensibilité et d’intelligence, je le réserverai pour le même moment. 19 Mais la question que je ne cesserai de te poser est toujours la même : sur quelles raisons fondes-tu ta conviction que les dieux existent ? »

16 Nam Cleanthes, ut dicebas, quattuor modis formatas in animis hominum putat deorum esse notiones. Vnus is modus est de quo satis dixi, qui est susceptus ex praesensione rerum futurarum ; alter ex perturbationibus tempestatum et reliquis motibus ; tertius ex commoditate rerum quas percipimus et copia ; quartus ex astrorum ordine caelique constantia. De praesensione diximus. De perturbationibus caelestibus et maritimis et terrenis non possumus dicere cum ea fiant non esse multos qui illa metuant et a dis inmortalibus fieri existument. [+] 17 Sed non id quaeritur sintne aliqui qui deos esse putent ; di utrum sint necne sint quaeritur. Nam reliquae causae quas Cleanthes adfert, quarum una est de commodorum quae capimus copia, altera de temporum ordine caelique constantia, tum tractabuntur a nobis cum disputabimus de prouidentia deorum, de qua plurima a te, Balbe, dicta sunt. [+] 18 Eodemque illa etiam differemus, quod Chrysippum dicere aiebas, quoniam esset aliquid in rerum natura quod ab homine effici non posset, esse aliquid homine melius, quaeque in domo pulchra cum pulchritudine mundi comparabas, et cum totius mundi conuenientiam consensumque adferebas ; Zenonisque breuis et acutulas conclusiones in eam partem sermonis quam modo dixi differemus ; eodemque tempore illa omnia quae a te physice dicta sunt de ui ignea deque eo calore ex quo omnia generari dicebas loco suo quaerentur ; omniaque quae a te nudius tertius dicta sunt, cum docere uelles deos esse quare et mundus uniuersus et sol et luna et stellae sensum ac mentem haberent in idem tempus reseruabo. [+] 19 A te autem idem illud etiam atque etiam quaeram quibus rationibus tibi persuadeas deos esse. »

VIII Balbus dit alors : « Il me semble quant à moi que j’ai fourni mes raisons mais toi, voici comment tu les réfutes : alors que tu donnes l’impression de vouloir m’interroger et que je m’apprête à répondre, tu détournes brusquement l’exposé sans me laisser la possibilité de répondre. C’est ainsi que des questions de première importance ont été passées sous silence, sur la divination, sur le destin, sujets que tu ne fais qu’effleurer alors que les nôtres les traitent amplement21. Ils sont cependant distincts de la question qui nous occupe actuellement ; c’est pourquoi, si tu veux bien, ne confonds pas les sujets les uns avec les autres, afin que notre débat clarifie la question que nous posons. »

VIII Tum Balbus : « Equidem attulisse rationes mihi uideor sed eas tu ita refellis ut, cum me interrogaturus esse uideare et ego me ad respondendum compararim, repente auertas orationem nec des respondendi locum. Itaque maximae res tacitae praeterierunt de diuinatione, de fato ; quibus de quaestionibus tu quidem strictim, nostri autem multa solent dicere sed ab hac ea quaestione quae nunc in manibus est separantur ; quare, si uidetur, noli agere confuse ut hoc explicemus hac disputatione quod quaeritur. »

20 « Très bien, dit Cotta. Dans ces conditions, puisque tu as distingué quatre points dans la question et que nous avons traité le premier, examinons le deuxième. Mon impression, sur ce point, est que, tout en voulant nous montrer ce qu’est la nature des dieux, tu as montré qu’ils n’existent pas. Tu disais qu’il est très difficile de détacher son esprit des perceptions habituelles que nous fournissent les yeux22 mais, comme rien n’est supérieur à dieu, tu ne mettais pas en doute que le monde fût dieu, puisque rien dans la nature n’est meilleur que le monde. Peut-être, à condition de pouvoir le concevoir comme un être animé ou plutôt de voir cela avec l’esprit comme on voit tout le reste avec les yeux. 21 Mais quand tu dis qu’il n’y a rien de meilleur que le monde, qu’entends-tu par “meilleur”23 ? Si tu veux dire “plus beau”, je suis d’accord ; “mieux adapté à nos besoins”, sur ce point aussi je suis d’accord. Mais si tu veux dire que rien n’est plus sage que le monde, je ne suis plus du tout d’accord. Ce n’est pas qu’il soit difficile de détacher son esprit de la vue mais plus je l’en détache moins mon esprit peut saisir le point que tu veux établir.

20 « Optime, inquit Cotta. Itaque quoniam quattuor in partes totam quaestionem diuisisti de primaque diximus consideremus secundam ; quae mihi talis uidetur fuisse ut, cum ostendere uelles quales di essent, ostenderes nullos esse. A consuetudine oculorum animum abducere difficillimum dicebas sed, cum deo nihil praestantius esset, non dubitabas quin mundus esset deus, quo nihil in rerum natura melius esset ; modo possemus cum animantem cogitare uel potius, ut cetera oculis, sic animo hoc cernere. [+] 21 Sed cum mundo negas quicquam esse melius, quid dicis melius ? Si pulchrius, adsentior ; si aptius ad utilitates nostras, id quoque adsentior ; sin autem id dicis nihil esse mundo sapientius, nullo modo prorsus adsentior, non quod difficile sit mentem ab oculis seuocare sed quo magis seuoco eo minus id quod tu uis possum mente comprendere.

IX “Il n’y a dans la nature rien de meilleur que le monde.” Il n’y a rien non plus sur terre de meilleur que notre Rome : mais crois-tu donc pour autant que cette ville soit pourvue de raison, de réflexion, d’intelligence ou penses-tu que, puisque ce n’est pas le cas, il faut placer plus haut une fourmi que notre ville, la plus belle de toutes, parce que Rome est privée de sensibilité tandis qu’une fourmi est pourvue non seulement de sensibilité mais aussi d’intelligence, de raison, de mémoire ? Il faut considérer, Balbus, ce qu’on te concède et non pas t’arroger ce qui te convient. 22 Tout ton développement a reçu sa forme complète dans cet argument ancien de Zénon, bref et selon toi pénétrant. Voici en effet la formulation de Zénon : “Ce qui fait usage de la raison est meilleur que ce qui n’en fait pas usage. Or rien n’est meilleur que le monde ; donc le monde fait usage de la raison.” 23 Si tu acceptes ce raisonnement, tu pourras établir que le monde se révèle particulièrement capable de lire un livre car, sur les traces de Zénon, tu pourras former l’argument suivant : “Ce qui est lettré est meilleur que ce qui est illettré ; or rien n’est meilleur que le monde ; donc le monde est lettré.” Avec ce type de raisonnement, ce sera aussi un orateur, et encore un mathématicien, un musicien, un savant en toutes disciplines, un philosophe enfin. Tu as dit souvent que rien ne se fait sans dieu et qu’il n’y a pas, dans la nature, de force susceptible de former des êtres différents d’elle-même. T’accorderai-je que le monde est non seulement un être animé et sage mais aussi un joueur de lyre et un joueur de flûte, puisqu’il donne naissance à des hommes experts en ces arts ? Ainsi donc, le père des stoïciens ne nous fournit aucune raison de penser que le monde fait usage de la raison ni même que c’est un être vivant. Le monde n’est donc pas un dieu et pourtant rien n’est meilleur que lui. Rien n’est en effet plus beau, plus propre à nous assurer la vie, plus harmonieux à la vue, rien n’est plus régulier dans ses mouvements. Mais si le monde, pris dans son ensemble, n’est pas un dieu, les étoiles non plus, ces étoiles innombrables que tu mettais au nombre des dieux. Leur cours uniforme et éternel te charmait et, ma foi, tu n’avais pas tort, car leur régularité est admirable et prodigieuse. 24 Mais, Balbus, nous ne devons pas attribuer à dieu, mais plutôt à la nature, tout ce qui a un cours déterminé et constant.

IX “Nihil est mundo melius in rerum natura.” Ne in terris quidem urbe nostra ; num igitur idcirco in urbe esse rationem, cogitationem, mentem putas, aut, quoniam non sit, num idcirco existimas formicam anteponendam esse huic pulcherrumae urbi, quod in urbe sensus sit nullus, in formica non modo sensus sed etiam mens, ratio, memoria ? Videre oportet, Balbe, quid tibi concedatur, non te ipsum quod uelis sumere. [+] 22 Istum enim locum totum illa uetus Zenonis breuis et, ut tibi uidebatur, acuta conclusio dilatauit. Zeno enim ita concludit : “Quod ratione utitur id melius est quam id quod ratione non utitur ; nihil autem mundo melius ; ratione igitur mundus utitur.” [+] 23 ❖ Hoc si placet iam efficies ut mundus optime librum legere uideatur ; Zenonis enim uestigiis hoc modo rationem poteris concludere : “Quod litteratum est id est melius quam quod non est litteratum ; nihil autem mundo melius ; litteratus igitur est mundus.” Isto modo etiam disertus et quidem mathematicus, musicus, omni denique doctrina eruditus, postremo philosophus. Saepe dixisti nihil fieri sine deo nec ullam uim esse naturae ut sui dissimilia posset effingere ; concedam non modo animantem et sapientem esse mundum sed fidicinem etiam et tubicinem quoniam earum quoque artium homines ex eo procreantur ? Nihil igitur adfert pater iste Stoicorum quare mundum ratione uti putemus ne cur animantem quidem esse. Non est igitur mundus deus ; et tamen nihil est eo melius ; nihil est enim eo pulchrius, nihil salutarius nobis, nihil ornatius aspectu motuque constantius. Quod si mundus uniuersus non est deus, ne stellae quidem, quas tu innumerabilis in deorum numero reponebas. Quarum te cursus aequabiles aeternique delectabant nec mehercule iniuria : sunt enim admirabili incredibilique constantia. [+] 24 Sed non omnia, Balbe, quae cursus certos et constantis habent ea deo potius tribuenda sunt quam naturae.

X Peux-tu concevoir quelque chose de plus régulier que le mouvement continuel et alternatif des flots de l’Euripe, à Chalcis24 ? ou dans le détroit de Sicile ? ou le bouillonnement de l’Océan en ces lieux

X Quid Chalcidico Euripo in motu identidem reciprocando putas fieri posse constantius, quid freto Siciliensi, quid Oceani feruore illis in locis

où l’onde rapide sépare l’Europe de la Libye* ?
Europam Libyamque rapax ubi diuidit unda* ?

Eh quoi ! les marées sur les côtes d’Espagne et de Bretagne, leur flux et reflux à intervalles réguliers ne peuvent-ils se produire sans l’intervention d’un dieu25 ? Prends garde, je te prie, que si nous déclarons divins tous les mouvements et tous les phénomènes qui se reproduisent périodiquement et régulièrement, nous ne soyons contraints de déclarer également divines les fièvres tierces et quartes, dont les accès et les rémissions ont une incomparable régularité. De tous ces phénomènes, il faut donner une explication rationnelle ; 25 mais comme vous en êtes incapables, vous cherchez refuge auprès de dieu, comme des suppliants au pied d’un autel.

Quid ? Aestus maritimi uel Hispanienses uel Britannici eorumque certis temporibus uel accessus uel recessus sine deo fieri nonne possunt ? Vide, quaeso, si omnis motus omniaque quae certis temporibus ordinem suum conseruant diuina dicimus ne tertianas quoque febres et quartanas diuinas esse dicendum sit, quarum reuersione et motu quid potest esse constantius ? Sed omnium talium rerum ratio reddenda est ; [+] 25 ❖ quod uos cum facere non potestis, tamquam in aram confugitis ad deum.

Tu trouvais également pénétrant le raisonnement de Chrysippe – un homme à la pensée incontestablement habile et exercée (j’appelle habiles ceux dont l’intelligence se meut rapidement et exercés ceux dont l’esprit s’est durci par l’exercice, comme la main par le travail26). Voici donc ce que dit Chrysippe :

Et Chrysippus tibi acute dicere uidebatur, homo sine dubio uersutus et callidus (uersutos eos appello quorum celeriter mens uersatur, callidos autem quorum tamquam manus opere sic animus usu concalluit) ; is igitur :

S’il existe quelque chose que l’homme ne puisse produire, celui qui le produit est meilleur que l’homme ; or l’homme ne peut produire tout ce que nous voyons dans le monde ; donc celui qui l’a pu est supérieur à l’homme. Mais qui, sinon dieu, peut être supérieur à l’homme ? donc dieu existe27.
Si aliquid est, inquit, quod homo efficere non possit qui id efficit melior est homine ; homo autem haec quae in mundo sunt efficere non potest ; qui potuit igitur is praestat homini ; homini autem praestare quis possit nisi deus ; est igitur deus.

Tout ce raisonnement est entaché de la même erreur que celui de Zénon. 26 On ne définit pas en effet le sens de “meilleur”, de “supérieur”, on ne fait pas de distinction entre “nature” et “raison”. Le même Chrysippe affirme que, si les dieux n’existent pas, il n’y a rien dans la nature entière qui soit meilleur que l’homme. Or il considère que c’est faire preuve de la plus grande arrogance, pour un homme, que de penser qu’il n’y a rien de meilleur que l’homme28. Admettons que ce soit de l’arrogance de s’estimer plus que le monde ; mais en tout cas, comprendre qu’on possède sensibilité et raison, tandis qu’Orion et la Canicule en sont dépourvus, non seulement ce n’est pas de l’arrogance mais c’est faire preuve de bon sens. Il dit encore :

Haec omnia in eodem quo illa Zenonis errore uersantur. [+] 26 Quid enim sit melius, quid praestabilius, quid inter naturam et rationem intersit non distinguitur. Idemque, si dei non sint, negat esse in omni natura quicquam homine melius ; id autem putare quemquam hominem, nihil homine esse melius, summae adrogantiae censet esse. Sit sane adrogantis pluris se putare quam mundum ; at illud non modo non adrogantis sed potius prudentis, intellegere se habere sensum et rationem, haec eadem Orionem et Caniculam non habere. Et

Si une maison est belle, il faut comprendre qu’elle a été construite pour ses propriétaires et non pour des rats ; nous devons donc juger, de même, que le monde est la maison des dieux.
Si domus pulchra sit intellegamus eam dominis, inquit, aedificatam esse, non muribus ; sic igitur mundum deorum domum existimare debemus.

Je jugerais de la même façon si je pensais qu’il a été construit comme une maison au lieu d’avoir été façonné par la nature, comme je le montrerai29. XI 27 Mais, diras-tu, Socrate, chez Xénophon, demande d’où nous avons tiré notre âme, si le monde n’en a pas30. Et moi je demande d’où nous avons tiré le langage, les nombres, le chant ; à moins de croire que le soleil parle avec la lune, quand il s’en rapproche, ou que le monde émet un chant harmonieux, comme le pense Pythagore31. Tout cela, Balbus, est l’œuvre de la nature, non pas d’une nature “qui se promène artistement” comme dit Zénon32 – et nous examinerons bientôt ce qu’il en est – mais de la nature qui, par ses mouvements et ses transformations, fait que toutes choses se meuvent et agissent. 28 C’est pourquoi j’approuvais tes propos sur l’accord et l’harmonie régnant dans la nature, dont tous les éléments conspirent, disais-tu, comme si une étroite parenté les unissait. Mais je ne t’approuvais plus quand tu affirmais que cela n’aurait pas pu se produire si la nature n’était maintenue par un seul et même souffle divin : cette cohérence et cette permanence sont dues aux forces de la nature, et non pas des dieux. Il y a en elle cette sorte de concorde que les Grecs appellent “sympathie”33 mais plus celle-ci est grande sous l’effet de sa croissance propre, moins on doit considérer qu’elle résulte de la raison divine.

Ita prorsus existimarem si illum aedificatum non, quem ad modum docebo, a natura conformatum putarem. [+] XI 27 At enim quaerit apud Xenophontem Socrates unde animum arripuerimus si nullus fuerit in mundo. Et ego quaero unde orationem, unde numeros, unde cantus ; nisi uero loqui solem cum luna putamus, cum proprius accesserit aut ad harmoniam canere mundum, ut Pythagoras existimat. Naturae ista sunt, Balbe, naturae non artificiose ambulantis, ut ait Zeno, quod quidem quale sit iam uidebimus sed omnia cientis et agitantis motibus et mutationibus suis. [+] 28 Itaque illa mihi placebat oratio de conuenientia consensuque naturae quam quasi cognatione continuatam conspirare dicebas ; illud non probabam, quod negabas id accidere potuisse nisi ea uno diuino spiritu contineretur. Illa uero cohaeret et permanet naturae uiribus, non deorum estque in ea iste quasi consensus quam συνπάθειαν Graeci uocant ; sed ea quo sua sponte maior est eo minus diuina ratione fieri existimanda est. [+]

XII 29 Et les objections de Carnéade34, comment ton école les fait-elle disparaître ? S’il n’existe pas de corps immortel, aucun corps ne peut durer toujours ; or il n’y a pas de corps immortel, ni indivisible, ni qu’on ne puisse désagréger ou séparer en diverses parties. Et comme tout être vivant a une nature capable de sentir, il n’en est aucun qui échappe à la nécessité de recevoir des impressions venant de l’extérieur, c’est-à-dire de subir et de souffrir ; et si tout être vivant est ainsi fait, aucun n’est éternel. Donc, de la même manière, si tout être vivant peut être coupé et morcelé, aucun n’est indivisible, aucun n’est éternel. Or tout être vivant est exposé à subir et à endurer une violence extérieure ; tout vivant est donc nécessairement mortel, destructible et divisible. 30 Prenons un exemple : si toute sorte de cire35 était sujette au changement, il n’y aurait aucun objet de cire qui ne soit sujet au changement et, pareillement, nul objet d’argent ou de bronze si l’argent et le bronze étaient d’une nature sujette au changement ; de même, donc, si tous les éléments qui constituent toutes choses sont voués au changement, il ne peut exister aucun corps qui ne soit voué au changement. Or, selon vous, les éléments qui constituent toutes choses sont voués au changement. Donc tout corps est voué au changement. Mais s’il existait un corps immortel, tout élément ne serait pas voué au changement ; il en résulte que tout corps est mortel. Et de fait, tout corps est fait d’eau ou d’air ou de feu ou de terre ou bien c’est un composé de ces éléments ou d’une partie d’entre eux ; or il n’en est aucun qui n’échappe à la destruction. 31 En effet, tout ce qui est fait de terre est divisible et l’eau est si souple qu’on peut facilement la presser et la heurter ; quant au feu et à l’air, la moindre impulsion les repousse très facilement et leur nature est si volatile qu’elle est sujette à dispersion. En outre, tous ces éléments périssent quand ils changent de nature, comme c’est le cas lorsque la terre se transforme en eau et quand de l’eau sort l’air et de l’air l’éther et quand les mêmes changements se font dans l’ordre inverse. Or, si périssent ces éléments dont tout être vivant est formé, nul vivant ne peut durer toujours.

XII 29 ❖ Illa autem quae Carneades adferebat quem ad modum dissoluitis ? Si nullum corpus immortale sit, nullum esse corpus sempiternum ; corpus autem inmortale nullum esse ne indiuiduum quidem nec quod dirimi distrahiue non possit ; cumque omne animal patibilem naturam habeat, nullum est eorum quod effugiat accipiendi aliquid extrinsecus id est quasi ferendi et patiendi necessitatem et si omne animal tale est inmortale nullum est. Ergo itidem si omne animal secari ac diuidi potest, nullum est eorum indiuiduum, nullum aeternum ; atqui omne animal ad accipiendam uim externam et ferundam paratum est ; mortale igitur omne animal et dissolubile et diuiduum sit necesse est. [+] 30 ❖ Vt enim, si omnis cera commutabilis esset, nihil esset cereum quod commutari non posset, item nihil argenteum, nihil aeneum, si commutabilis esset natura argenti et aeris ; similiter igitur si omnia quae sunt e quibus cuncta constant mutabilia sunt, nullum corpus esse potest non mutabile. Mutabilia autem sunt illa ex quibus omnia constant ut uobis uidetur ; omne igitur corpus mutabile est. At si esset corpus aliquod immortale, non esset omne mutabile ; ita efficitur ut omne corpus mortale sit. Etenim omne corpus aut aqua aut aer aut ignis aut terra est aut id quod est concretum ex iis aut ex aliqua parte eorum ; horum autem nihil est quin intereat. [+] 31 ❖ Nam et terrenum omne diuiditur et umor ita mollis est ut facile premi conlidique possit ; ignis uero et aer omni pulsu facillime pellitur naturaque cedens est maxime et dissupabilis. Praetereaque omnia haec tum intereunt cum in naturam aliam conuertuntur, quod fit cum terra in aquam se uertit et cum ex aqua oritur aer, ex aere aether cumque eadem uicissim retro commeant. Quod si ea intereunt e quibus constat omne animal, nullum est animal sempiternum. [+]

XIII 32 Et si nous laissons de côté ces objections, on ne peut cependant trouver aucun être vivant qui ne soit jamais né et qui doive toujours exister. Car tout être vivant est doué de sensibilité : il sent donc le chaud et le froid, le doux et l’amer et aucun de ses sens ne peut éprouver de sensations agréables sans éprouver leurs contraires. Si donc il ressent une sensation de plaisir, il ressent également une sensation de douleur ; or ce qui est atteint par la douleur est atteint aussi, nécessairement, par la destruction. Il faut donc reconnaître que tout être vivant est mortel. 33 En outre, s’il existe un être qui n’éprouve ni plaisir ni douleur, ce ne peut être un vivant ; mais, au contraire, si un être est vivant, il éprouve nécessairement ces sensations et l’être qui les éprouve ne peut être éternel. Or, tout vivant les éprouve ; donc nul vivant n’est éternel. De surcroît, il ne peut y avoir d’être vivant qui n’ait des inclinations et des aversions naturelles. Les objets qu’il recherche sont conformes à sa nature, ceux qu’il évite lui sont contraires. Tout être vivant recherche certaines choses et fuit certaines autres ; or ce qu’il fuit est contraire à sa nature, et ce qui est contraire à sa nature a le pouvoir de le détruire. Donc tout être vivant doit nécessairement périr. 34 Innombrables sont les raisons qui contraignent à reconnaître qu’il n’y a pas un être doué de sensibilité qui échappe à la mort : les sensations mêmes que l’on ressent, le froid, la chaleur, le plaisir, la douleur et le reste, quand elles sont exacerbées, font mourir. Or aucun être vivant n’est dépourvu de sensibilité, donc aucun être vivant n’est éternel. XIV Et ou bien la nature d’un être vivant est simple, faite de terre, ou de feu, ou d’air ou d’eau (bien qu’on ne puisse même pas concevoir ce que serait un tel être), ou bien elle est composée de plusieurs éléments dont chacun a son lieu propre vers lequel il est porté par une impulsion naturelle : les uns vers le bas, d’autres vers le haut, d’autres vers le milieu. Ces éléments peuvent se maintenir unis un certain temps, mais il est exclu qu’ils le puissent toujours parce que nécessairement chacun est entraîné naturellement vers son lieu propre. Donc nul être vivant ne peut durer toujours.

XIII 32 ❖ Et ut haec omittamus, tamen animal nullum inueniri potest quod neque natum umquam sit et semper sit futurum. Omne enim animal sensus habet ; sentit igitur et calida et frigida et dulcia et amara nec potest ullo sensu iucunda accipere, non accipere contraria ; si igitur uoluptatis sensum capit, doloris etiam capit ; quod autem dolorem accipit id accipiat etiam interitum necesse est ; omne igitur animal confitendum est esse mortale. 33 ❖ Praeterea si quid est quod nec uoluptatem sentiat nec dolorem id animal esse non potest ; sin autem quod animal est, id illa necesse est sentiat et quod ea sentiat non potest esse aeternum ; et omne animal sentit ; nullum igitur animal aeternum est. Praeterea nullum potest esse animal in quo non et adpetitio sit et declinatio naturalis. Adpetuntur autem quae secundum naturam sunt, declinantur contraria ; et omne animal adpetit quaedam et fugit a quibusdam ; quod autem refugit id contra naturam est et quod est contra naturam id habet uim interimendi. Omne ergo animal intereat necesse est. 34 ❖ Innumerabilia sunt ex quibus effici cogique possit nihil esse quod sensum habeat quin id intereat ; etenim ea ipsa quae sentiuntur ut frigus, ut calor, ut uoluptas, ut dolor, ut cetera cum amplificata sunt interimunt ; nec ullum animal est sine sensu ; nullum igitur animal aeternum est. XIV Etenim aut simplex est natura animantis ut uel terrena sit uel ignea uel animalis uel umida – quod quale sit ne intellegi quidem potest – aut concretum ex pluribus naturis quarum suum quaeque locum habeat quo naturae ui efferatur, alia infimum, alia summum, alia medium. Haec ad quoddam tempus cohaerere possunt, semper autem nullo modo possunt ; necesse est enim in suum quaeque locum natura rapiatur. Nullum igitur animal est sempiternum. [+]

35 Mais ton école, Balbus, a l’habitude de tout rapporter à la force du feu, suivant en cela Héraclite, je crois36 ; mais tout le monde n’interprète pas Héraclite de la même manière et puisqu’il n’a pas voulu se faire comprendre, laissons-le de côté37. Vous, en tout cas, vous dites que toute force est de nature ignée et que c’est pour cette raison que les êtres vivants périssent quand la chaleur les a abandonnés tandis que, dans la nature entière, ce qui est pourvu de chaleur vit et prospère. Pour ma part, je ne comprends pas comment les corps périssent si leur chaleur s’éteint mais ne périssent pas s’ils perdent l’eau et le souffle, surtout s’ils périssent aussi sous l’effet d’un excès de chaleur. 36 C’est pourquoi ce que vous dites du chaud est valable pour les autres éléments. Examinons cependant l’issue du raisonnement. Selon vous, si j’ai bien compris, il n’y a dans la nature et le monde aucun autre principe vivant que le feu. Pourquoi le feu plutôt que le souffle dont est formée l’âme des êtres animés et qui a donné le mot “animal”38 ? Et comment pouvez-vous tenir pour admis que l’âme ne soit que du feu ? Il semble en effet plus probable que l’âme soit un mélange de feu et de souffle. “Mais si le feu lui-même est en lui-même un être vivant, sans que soit mêlé à lui aucun autre élément, il ne peut être privé de sensibilité puisque c’est sa présence dans notre corps qui nous rend capables de sentir.” On peut alors répéter la même objection : tout ce qui est doué de sensibilité ressent nécessairement le plaisir et la douleur ; or ce qui est accessible à la douleur est également accessible à la mort. Il en résulte que vous ne pouvez même pas établir que le feu est éternel. 37 Et vous-mêmes ne pensez-vous pas que tout feu a besoin d’aliment et ne peut subsister sans nourriture ? que le soleil, la lune et les autres astres se nourrissent les uns d’eau douce, les autres d’eau de mer ? C’est la raison pour laquelle, selon Cléanthe,

35 Sed omnia uestri, Balbe, solent ad igneam uim referre Heraclitum, ut opinor, sequentes ; quem ipsum non omnes interpretantur uno modo, quoniam quid diceret [quod] intellegi noluit, omittamus ; uos autem ita dicitis omnem uim esse ignem itaque et animantis cum calor defecerit tum interire et in omni natura rerum id uiuere, id uigere quod caleat. Ego autem non intellego quo modo calore extincto corpora intereant, non intereant umore aut spiritu amisso praesertim cum intereant etiam nimio calore. [+] 36 Quam ob rem id quidem commune est de calido ; uerum tamen uideamus exitum. Ita uoltis, opinor, nihil esse animal extrinsecus in natura atque mundo praeter ignem ; qui magis quam praeter animam unde animantium quoque constet animus, ex quo animal dicitur ? Quo modo autem hoc quasi concedatur sumitis nihil esse animum nisi ignem ; probabilius enim uidetur tale quiddam esse animum ut sit ex igni atque anima temperatum. “Quod si ignis ex sese ipse animal est nulla se alia admiscente natura, quoniam is cum inest in corporibus nostris efficit ut sentiamus non potest ipse esse sine sensu.” Rursus eadem dici possunt : quidquid est enim quod sensum habeat, id necesse est sentiat et uoluptatem et dolorem ; ad quem autem dolor ueniat ad eundem etiam interitum uenire. Ita fit ut ne ignem quidem efficere possitis aeternum. [+] 37 Quid enim ? Non eisdem uobis placet omnem ignem pastus indigere nec permanere ullo modo posse nisi alatur ; ali autem solem, lunam, reliqua astra aquis, alia dulcibus, alia marinis ; eamque causam Cleanthes adfert,

le soleil fait demi-tour et ne progresse pas au-delà du cercle de l’été*
cur se sol referat nec longius progrediatur
solstitiali orbi*

et de même pour le cercle de l’hiver, pour ne pas s’éloigner davantage de sa nourriture. Nous examinerons tout cela tout à l’heure ; pour le moment, voici mon argument : ce qui peut périr n’est par nature pas éternel ; or le feu est voué à périr s’il n’est pas alimenté ; donc, par nature, il ne peut durer toujours.

itemque brumali ne longius discedat a cibo. Hoc totum quale sit mox ; nunc autem concludatur illud : quod interire possit id aeternum non esse natura ; ignem autem interiturum esse nisi alatur ; non esse igitur natura ignem sempiternum. [+]

XV 38 Mais quel dieu pouvons-nous concevoir qui ne soit doté d’aucune vertu ? Eh quoi ? Allons-nous attribuer à dieu la prudence39, qui s’appuie sur la science des biens et des maux et de ce qui n’est ni l’un ni l’autre ? Mais un être que n’atteint et ne peut atteindre aucun mal, quel besoin a-t-il de discerner les biens et les maux ? Quel besoin a-t-il de la raison et de l’intelligence ? Nous en usons pour procéder du connu à l’inconnu, or rien ne peut être inconnu à dieu. Quant à la justice, qui assigne à chacun ce qui lui revient, en quoi concerne-t-elle les dieux ? Vous dites en effet que c’est la vie en communauté et les liens que les hommes ont établis entre eux qui ont donné naissance à la justice. La tempérance consiste à s’abstenir des plaisirs physiques ; mais si cette vertu a place dans le ciel, les plaisirs y ont aussi la leur. Et comment concevoir le courage chez un dieu ? dans la souffrance ? dans l’effort ? dans le danger ? Mais rien de cela n’atteint un dieu. 39 Mais comment concevoir un dieu qui ne fait pas usage de raison et qui n’est pourvu d’aucune vertu ?

XV 38 ❖ Qualem autem deum intellegere nos possumus nulla uirtute praeditum ? Quid enim ? Prudentiamne deo tribuemus, quae constat ex scientia rerum bonarum et malarum et nec bonarum nec malarum ? Cui mali nihil est nec esse potest quid huic opus est dilectu bonorum et malorum, quid autem ratione, quid intellegentia ; quibus utimur ad eam rem ut apertis obscura adsequamur ; at obscurum deo nihil potest esse. Nam iustitia quae suum cuique distribuit quid pertinet ad deos ? Hominum enim societas et communitas ut uos dicitis iustitiam procreauit. Temperantia autem constat ex praetermittendis uoluptatibus corporis ; cui si locus in caelo est, est etiam uoluptatibus. Nam fortis deus intellegi qui potest, in dolore an in labore an in periculo ? Quorum deum nihil attingit. [+] 39 ❖ Nec ratione igitur utentem nec uirtute ulla praeditum deum intellegere qui possumus ?

À dire vrai, je ne peux mépriser l’ignorance de la foule et des ignorants quand j’examine ce que disent les stoïciens. Voici en effet les croyances des ignorants : les Syriens adorent un poisson40, les Égyptiens ont divinisé à peu près toutes les espèces d’animaux et, même en Grèce, beaucoup de dieux sont nés hommes, Alabandus à Alabandes, Ténès à Ténédos, Leucothée – autrefois Ino41 – et son fils Palaimon dans la Grèce entière – et aussi Hercule, Esculape, les Tyndarides, notre Romulus et beaucoup d’autres, admis au ciel, pense-t-on, comme des nouveaux citoyens fraîchement inscrits sur les rôles.

Nec uero uolgi atque imperitorum inscitiam despicere possum cum ea considero quae dicuntur a Stoicis. Sunt enim illa imperitorum : piscem Syri uenerantur, omne fere genus bestiarum Aegyptii consecrauerunt ; iam uero in Graecia multos habent ex hominibus deos, Alabandum Alabandi, Tenedi Tenen, Leucotheam quae fuit Ino et eius Palaemonem filium cuncta Graecia, Herculem, Aesculapium, Tyndaridas, Romulum nostrum aliosque compluris quos quasi nouos et adscripticios ciues in caelum receptos putant. [+]

XVI 40 Voilà donc les croyances des ignorants ; en quoi les vôtres, philosophes, valent-elles mieux ? Je les laisse de côté, elles sont en effet bien connues.

XVI 40 Haec igitur indocti ; quid uos philosophi, qui meliora ? Omitto illa, sunt enim praeclara.

Admettons que le monde lui-même soit un dieu. C’est là, je crois, le sens de ce vers :

Sit sane deus ipse mundus. Hoc credo illud esse,

cette lumière éclatante dans le ciel, que tous invoquent sous le nom de Jupiter*.
sublime candens quem inuocant omnes Iouem*.

Pourquoi donc lui adjoindre beaucoup d’autres dieux ? Et quelle foule nombreuse ! Ils me semblent en tout cas vraiment nombreux : tu comptes chacune des étoiles comme un dieu, et tu leur donnes des noms de bêtes, la Chèvre, le Scorpion, le Taureau, le Lion, ou de choses inanimées, Argo, l’Autel, la Couronne. 41 Mais en admettant qu’on t’accorde cela, comment donc peut-on non pas seulement admettre mais surtout concevoir tout le reste ? Quand nous disons Cérès pour le blé, Liber pour le vin, nous nous servons d’une figure de langage courante : crois-tu qu’il y ait quelqu’un d’assez fou pour s’imaginer que l’aliment dont il se nourrit est un dieu ? Quant aux hommes dont tu dis qu’ils sont devenus des dieux, tu m’expliqueras comment cela a pu se faire et pourquoi cela a cessé de se produire, je l’apprendrai volontiers. Pour le moment je ne vois pas comment celui qui, comme le dit Accius,

Quare igitur plures adiungimus deos ? Quanta autem est eorum multitudo ! Mihi quidem sane multi uidentur. Singulas enim stellas numeras deos eosque aut beluarum nomine appellas ut Capram, ut Nepam, ut Taurum, ut Leonem aut rerum inanimarum ut Argo, ut Aram, ut Coronam. [+] 41 Sed ut haec concedantur, reliqua qui tandem non modo concedi sed omnino intellegi possunt ? Cum fruges Cererem, uinum Liberum dicimus genere nos quidem sermonis utimur usitato, sed ecquem tam amentem esse putas qui illud quo uescatur deum credat esse ? Nam quos ab hominibus peruenisse dicis ad deos tu reddes rationem quem ad modum id fieri potuerit aut cur fieri desierit, et ego discam libenter ; quo modo nunc quidem est, non uideo quo pacto ille, cui

sur le mont Oeta fut livré aux torches ardentes
in monte Oetaeo inlatae lampades

a pu passer de ce bûcher

fuerint, ut ait Accius

à la demeure éternelle de son père*
in domum aeternam patris*

lui qui, chez Homère, est abordé, comme les autres trépassés, par Ulysse aux Enfers.

ex illo ardore peruenerit ; quem tamen Homerus apud inferos conueniri facit ab Vlixe sicut ceteros qui excesserant uita. [+]

42 Et vraiment j’aimerais bien savoir à quel Hercule en particulier nous vouons un culte42 ; ceux qui mènent des recherches approfondies sur les traditions les plus secrètes nous apprennent qu’il y en a eu plusieurs43, le plus ancien étant fils de Jupiter, mais également du plus ancien Jupiter, car nous trouvons plusieurs Jupiter aussi dans les textes grecs antiques. De ce Jupiter, donc, et de Lysithoé est issu l’Hercule dont la tradition rapporte qu’il s’est querellé avec Apollon au sujet du trépied. On nous parle d’un autre Hercule, un Égyptien, fils du Nil, dont on dit qu’il était l’auteur des livres phrygiens. Un troisième est descendant des Dactyles de l’Ida : on sacrifie à ses mânes. Un quatrième est fils de Jupiter et d’Astéria, sœur de Latone ; il est honoré surtout à Tyr et l’on dit qu’il avait pour fille Carthago. Il y en a un cinquième en Inde, nommé Bélus ; le sixième est le nôtre, issu d’Alcmène, que Jupiter engendra, mais le troisième Jupiter car, comme je vais bientôt l’expliquer, la tradition nous parle aussi de plusieurs Jupiter.

42 Quamquam quem potissimum Herculem colamus scire sane uelim ; pluris enim tradunt nobis ii qui interiores scrutantur et reconditas litteras, antiquissimum Ioue natum – sed item Ioue antiquissimo nam Iouis quoque pluris in priscis Graecorum litteris inuenimus ; ex eo igitur et Lysithoe est is Hercules quem concertauisse cum Apolline de tripode accepimus. Alter traditur Nilo natus Aegyptius quem aiunt Phrygias litteras conscripsisse. Tertius est ex Idaeis Digitis cui inferias adferunt [cui]. Quartus Iouis est <et> Asteriae, Latonae sororis, qui Tyri maxime colitur, cuius Carthaginem filiam ferunt. Quintus in India qui Belus dicitur ; sextus hic ex Alcmena, quem Iuppiter genuit sed tertius Iuppiter quoniam, ut iam docebo, pluris Ioues etiam accepimus. [+]

XVII 43 Et puisque mon discours m’a conduit à aborder ce point, je dirai que j’ai mieux appris à rendre un culte aux dieux immortels en suivant le droit des pontifes et la coutume ancestrale, à partir de ces petits vases sacrificiels que Numa nous a légués et dont parle Laélius dans son fameux petit discours44, qui vaut de l’or, qu’en m’aidant des raisons fournies par les stoïciens. Car si je devais vous suivre, dis-moi ce que je dois répondre si l’on me pose cette question45 : “Si ceux-là sont des dieux, les Nymphes sont-elles aussi des déesses ? Si les Nymphes le sont, les Pans et les satyres le sont aussi ? Or ils ne le sont pas : les Nymphes ne le sont donc pas non plus. Pourtant, elles ont des temples qui leur ont été officiellement dédiés et consacrés. Alors tous les autres à qui on a consacré des temples ne sont pas non plus des dieux. Poursuivons : tu comptes au nombre des dieux Jupiter et Neptune ; il faut donc aussi considérer comme dieu Orcus, leur frère, et les fleuves qui, dit-on, coulent aux enfers, l’Achéron, le Cocyte, le Pyriphlégéthon, ainsi que Charon et Cerbère. 44 Or cela est inacceptable ; donc Orcus non plus n’est pas un dieu. Que dites-vous donc de ses frères ?” Telles étaient les questions de Carnéade, non pas pour éliminer les dieux (qu’y a-t-il de moins propre à un philosophe ?) mais pour montrer que les stoïciens ne fournissent aucune explication sur les dieux. Et c’est ainsi qu’il poursuivait : “Eh quoi ? si ces frères sont au nombre des dieux, on ne peut certainement pas refuser d’y compter leur père, dont le culte est très populaire dans les pays de l’Ouest. Et s’il est un dieu, on doit reconnaître que son père Caelus en est un aussi. Si c’est le cas, les parents de Caelus, Éther et Dies, doivent aussi être considérés comme dieux, ainsi que leurs frères et sœurs que les généalogistes anciens appellent Amour, Ruse, Crainte, Peine, Envie, Destin, Vieillesse, Mort, Ténèbres, Malheurs, Plainte, Partialité, Fraude, Obstination, les Parques, les filles d’Hesperus, les Songes : tous, disent-ils, sont les enfants d’Érèbe et de la Nuit”. Ou bien donc il faut accepter ces monstres ou bien il faut éliminer les premiers que nous avons mentionnés. XVIII 45 Et encore : Apollon, Vulcain, Mercure et les autres, tu diras que ce sont des dieux mais tu hésiteras à propos d’Hercule, d’Esculape, de Liber, de Castor, de Pollux ? Pourtant ils sont l’objet d’un culte égal à celui des autres, et chez certains peuples il est même plus important. Il faut donc les considérer comme des dieux, bien qu’ils soient nés de mère mortelle. Et que dire d’Aristée, fils d’Apollon qui, dit-on, découvrit l’olive46, que dire de Thésée, fils de Neptune, et tous les autres dont les pères sont des dieux ? Ne seront-ils pas comptés parmi les dieux ? Et ceux dont les mères sont des déesses ? À mon avis, ils le sont plus sûrement car de même que, selon le droit civil, celui dont la mère est de naissance libre est un homme libre, de même, selon le droit naturel, celui dont la mère est une déesse est nécessairement un dieu. C’est ainsi que, dans l’île d’Astypalée, Achille est l’objet d’un culte très dévot47 ; or s’il est un dieu, Orphée et Rhésos sont aussi des dieux puisque l’un et l’autre avaient pour mère une Muse. À moins que les noces marines n’aient plus de valeur que les noces terrestres ! Si ces derniers ne sont pas des dieux, puisqu’ils ne reçoivent nulle part aucun culte, comment les précédents le sont-ils ? 46 Prends garde que ces honneurs divins ne soient accordés non pas à l’immortalité de ces hommes mais à leurs vertus. C’est ce que tu as semblé dire, toi aussi, Balbus. Si tu penses que Latone est une déesse, comment peux-tu ne pas penser qu’Hécate en est une, elle dont la mère est Astéria, sœur de Latone ? Ou bien Hécate est-elle aussi une déesse ? De fait nous avons vu des autels et des sanctuaires qui lui sont dédiés en Grèce. Mais si elle est une déesse, pourquoi les Euménides n’en sont-elles pas ? Et si elles sont des déesses – elles ont un temple à Athènes et, chez nous, si mon interprétation est correcte, le bois sacré de Furina – alors les Furies sont des déesses48 qui, selon moi, détectent et vengent les actes criminels. 47 Et si les dieux ont pour caractéristique d’intervenir dans les affaires humaines, Naissance doit aussi être considérée comme une déesse, à laquelle nous avons coutume de sacrifier quand nous visitons les sanctuaires du territoire d’Ardée49 ; et comme elle veille à l’accouchement des femmes mariées, on l’a nommée “Naissance”, d’après “ceux qui naissent”. Et si elle est une déesse, sont aussi des dieux toutes ces abstractions que tu as mentionnées : Honneur, Bonne Foi, Intelligence, Concorde, et encore Espérance, Moneta50, et toutes les inventions dont notre imagination est capable. Mais si cette hypothèse n’est pas vraisemblable, il en est de même du principe dont elle découle.

XVII 43 Quando enim me in hunc locum deduxit oratio, docebo meliora me didicisse de colendis diis inmortalibus iure pontificio et more maiorum capedunculis his quas Numa nobis reliquit, de quibus in illa aureola oratiuncula dicit Laelius quam rationibus Stoicorum. Si enim uos sequar, dic quid ei respondeam qui me sic roget : “Si di ii sunt suntne etiam Nymphae deae ? Si Nymphae, Panisci etiam et Satyri ? Hi autem non sunt ; ne Nymphae [deae] quidem igitur. At earum templa sunt publice uota et dedicata. Ne ceteri quidem ergo di, quorum templa sunt dedicata. Age porro : Iouem et Neptunum deum numeras ; ergo etiam Orcus, frater eorum, deus et illi qui fluere apud inferos dicuntur, Acheron, Cocytus, Pyriphlegethon, tum Charon, tum Cerberus di putandi. [+] 44 At id quidem repudiandum ; ne Orcus quidem igitur ; quid dicitis ergo de fratribus ?” Haec Carneades aiebat non ut deos tolleret – quid enim philosopho minus conueniens ? – sed ut Stoicos nihil de dis explicare conuinceret ; itaque insequebatur : “Quid enim, aiebat, si hi fratres sunt in numero deorum, num de patre eorum Saturno negari potest quem uolgo maxime colunt ad occidentem ? Qui si est deus, patrem quoque eius Caelum esse deum confitendum est. Quod si ita est, Caeli quoque parentes di habendi sunt, Aether et Dies eorumque fratres et sorores qui a genealogis antiquis sic nominantur, Amor, Dolus, Metusb, Labor, Inuidentia, Fatum, Senectus, Mors, Tenebrae, Miseria, Querella, Gratia, Fraus, Pertinacia, Parcae, Hesperides, Somnia ; quos omnis Erebo et Nocte natos ferunt. Aut igitur haec monstra probanda sunt aut prima illa tollenda. [+] XVIII 45 Quid ? Apollinem, Volcanum, Mercurium, ceteros deos esse dices, de Hercule, Aesculapio, Libero, Castore, Polluce dubitabis ? At hi quidem coluntur aeque atque illi, apud quosdam etiam multo magis. Ergo hi dei sunt habendi mortalibus nati matribus ? Quid ? Aristaeus qui oliuae dicitur inuentor, Apollinis filius, Theseus qui Neptuni, reliqui quorum patres di, non erunt in deorum numero ? Quid quorum matres ? Opinor etiam magis ; ut enim [in] iure ciuili qui est matre libera liber est item iure naturae qui dea matre est deus sit necesse est. Itaque Achillem Astypalenses insulani sanctissime colunt ; qui si deus est et Orpheus et Rhesus di sunt, Musa matre nati ; nisi forte maritumae nuptiae terrenis anteponuntur. Si hi di non sunt quia nusquam coluntur, quo modo illi sunt ? [+] 46 Vide igitur ne uirtutibus hominum isti honores habeantur, non immortalibus ; quod tu quoque, Balbe, uisus es dicere. Quo modo autem potes si Latonam deam putas, Hecatam non putare, quae matre Asteria est, sorore Latonae ? An haec quoque dea est ? Vidimus enim eius aras delubraque in Graecia. Sin haec dea est cur non Eumenides ? Quae si deae sunt – quarum et Athenis fanum est et apud nos, ut ego interpretor, lucus Furinae – Furiae deae sunt, speculatrices, credo, et uindices facinorum et sceleris. [+] 47 Quod si tales dei sunt ut rebus humanis intersint, Natio quoque dea putanda est, cui cum fana circumimus in agro Ardeati rem diuinam facere solemus ; quae quia partus matronarum tueatur a nascentibus Natio nominata est. Ea si dea est, di omnes illi qui commemorabantur a te Honos, Fides, Mens, Concordia, ergo etiam Spes, Moneta omniaque quae cogitatione nobismet ipsis possumus fingere. Quod si ueri simile non est, ne illud quidem est haec unde fluxerunt.

XIX Mais dis-moi, si les êtres que nous honorons d’un culte et que nous avons hérités de la tradition sont des dieux, pourquoi ne pas compter dans la même catégorie Sérapis et Isis ? Et si nous le faisons, pourquoi rejeter les dieux des Barbares ? Nous mettrons donc au nombre des dieux des bœufs et des chevaux, des ibis, des éperviers, des aspics, des crocodiles, des poissons, des chiens, des loups, des chats et beaucoup d’autres bêtes. Si nous écartons ces formes de divinités, nous écarterons aussi les principes dont elles découlent. 48 Que dire encore ? On considérera qu’Ino est une déesse – les Grecs l’appelleront Leucothée et nous Matuta – alors qu’elle est fille de Cadmos, tandis que Circé, Pasiphaé et Aiétès, enfants de Perséis, elle-même fille de l’Océan et dont le père est le Soleil, ne seront pas comptés au nombre des dieux ? Pourtant nos colons de Circei rendent aussi un culte pieux à Circé : tu la considères donc comme une déesse. Mais que répondras-tu à Médée, dont les deux ancêtres sont le Soleil et l’Océan, et qui a pour père Aiétès et pour mère Idyia ? Et que dire à son frère Absyrtos – appelé Égialée chez Pacuvius, mais l’autre nom est plus courant dans les textes des Anciens51 ? S’ils ne sont pas des dieux, je me demande ce que doit faire Ino, car tous ces titres divins proviennent de la même source. 49 Amphiaraos et Trophonios seront-ils des dieux ? Nos publicains, constatant qu’en Béotie les terres appartenant aux dieux immortels étaient exemptées d’impôts dans le cahier des charges établi par les censeurs, soutenaient que nul n’est immortel s’il a été un jour un être humain52. Mais si Amphiaraos et Trophonios sont des dieux, à coup sûr Érechthée en est un aussi, lui dont nous avons vu à Athènes le sanctuaire et le prêtre. Mais si nous faisons de lui un dieu, comment pouvons-nous hésiter à faire de même pour Codros53 et pour tous les autres qui sont tombés en combattant pour la liberté de leur patrie ? Or si cette conclusion n’est pas acceptable, les prémisses dont elle découle ne le sont pas non plus. 50 On peut se rendre compte, d’autre part, que dans la plupart des cités, pour stimuler la bravoure et faire que les meilleurs citoyens aillent affronter le danger avec plus de cœur pour le salut de l’État, on a consacré le souvenir des braves en leur rendant les honneurs dus aux dieux immortels. C’est justement pour cette raison qu’à Athènes, Érechthée et ses filles sont au nombre des divinités et, dans cette même ville d’Athènes, il y a un sanctuaire qu’on appelle Léocorion54. Les habitants d’Alabanda honorent Alabandus, fondateur de cette cité, avec plus de dévotion que n’importe lequel des grands dieux. C’est chez eux que Stratonicus eut cette réplique qui, comme beaucoup d’autres de lui, ne manquait pas d’esprit55 : comme l’un des habitants l’importunait en répétant qu’Alabandus était un dieu mais qu’Hercule n’en était pas un, il répondit : “Eh bien, donc, que la colère d’Alabandus s’exerce contre moi, et celle d’Hercule contre toi !”

XIX Quid autem dicis, si di sunt illi quos colimus et accipimus, cur non eodem in genere Serapim Isimque numeremus ? Quod si facimus, cur barbarorum deos repudiemus ? Boues igitur et equos, ibis, accipitres, aspidas, crocodilos, pisces, canes, lupos, faelis, multas praeterea beluas in deorum numerum reponemus. Quae si reiciamus, illa quoque unde haec nata sunt reiciemus. [+] 48 Quid deinde ? Ino dea ducetur et Λευκοθέα a Graecis, a nobis Matuta dicetur cum sit Cadmi filia, Circe autem et Pasiphae et Aeeta e Perseide Oceani filia natae patre Sole in deorum numero non habebuntur ? Quamquam Circen quoque coloni nostri Cercienses religiose colunt. Ergo hanc deam ducis ; quid Medeae respondebis, quae duobus auis, Sole et Oceano, Aeeta patre, matre Idyia, procreata est ? Quid huius Absyrto fratri (qui est apud Pacuuium Aegialeus sed illud nomen ueterum litteris usitatius) ? Quid si di non sunt uereor quid agat Ino ; haec enim omnia ex eodem fonte fluxerunt. [+] 49 An Amphiaraus erit deus et Trophonius ? Nostri quidem publicani cum essent agri in Boeotia deorum inmortalium excepti lege censoria negabant inmortalis esse ullos qui aliquando homines fuissent. Sed si sunt ii di est certe Erectheus, cuius Athenis et delubrum uidimus et sacerdotem. Quem si deum facimus quid aut de Codro dubitare possumus aut de ceteris qui pugnantes pro patriae libertate ceciderunt ? Quod si probabile non est, ne illa quidem superiora unde haec manant probanda sunt. [+] 50 ❖ Atque in plerisque ciuitatibus intellegi potest augendae uirtutis gratia quo libentius rei publicae causa periculum adiret optimus quisque, uirorum fortium memoriam honore deorum inmortalium consecratam. Ob eam enim ipsam causam Erectheus Athenis filiaeque eius in numero deorum sunt itemque [Leonaticum] est delubrum Athenis quod Λεωκόριον nominatur. Alabandenses quidem sanctius Alabandum colunt a quo est urbs illa condita quam quemquam nobilium deorum ; apud quos non inurbane Stratonicus, ut multa, cum quidam ei molestus Alabandum deum esse confirmaret, Herculem negaret, “ergo, inquit, mihi Alabandus, tibi Hercules sit iratus.” [+]

XX 51 Quant aux arguments que tu tirais du ciel et des astres, Balbus, tu ne vois pas comme, insensiblement, ils se déploient loin ? Le soleil et la lune sont des dieux et les Grecs pensent que le premier est Apollon, la seconde Diane. Mais si la lune est une déesse, Lucifer et les autres planètes seront aussi au nombre des dieux ainsi que, en conséquence, les étoiles fixes. Et pourquoi l’arc-en-ciel ne serait-il pas mis au rang des dieux ? Il est beau, en effet, et c’est à cause de sa belle apparence, dont on tient l’explication pour merveilleuse, qu’<Iris> est, dit-on, fille de Thaumas56. Et si l’arc-en-ciel est de nature divine, que feras-tu des nuages ? L’arc-en-ciel lui-même est formé de nuages, même s’il a une coloration particulière ; on dit même que l’un de ces nuages a donné naissance aux Centaures57. Mais si tu comptes les nuages parmi les dieux, il faudra assurément compter aussi les tempêtes, divinisées dans le culte du peuple romain58. Ainsi donc, les pluies, les averses, les orages, les bourrasques doivent être tenus pour des divinités ; en tout cas nos chefs d’armée, au moment où ils prennent la mer, ont coutume de sacrifier aux flots une victime. 52 Et maintenant, si Cérès tire son nom de gerere (produire des récoltes), comme tu le disais, alors la terre elle-même est une déesse (et elle passe pour telle : Tellus en effet est-elle autre chose ?)59. Mais si la terre est une déesse, la mer, que tu identifiais à Neptune, est également une divinité : le sont aussi, par conséquent, les fleuves et les sources. C’est ainsi que Maso, après son expédition en Corse, a dédié un temple à Fons et que, dans une invocation des augures, nous voyons les noms du Tibre, du Spino, de l’Anémo, du Nodinus et d’autres cours d’eau du voisinage60. Ou bien donc cette liste se déploiera à l’infini ou bien nous rejetterons tout en bloc. Or nous n’accepterons pas cette justification sans limite de superstitions : par conséquent, aucune ne doit être acceptée.

XX 51 ❖ Illa autem, Balbe, quae tu a caelo astrisque ducebas quam longe serpant non uides : solem deum esse lunamque quorum alterum Apollinem Graeci, alteram Dianam putant. Quod si luna dea est, ergo etiam Lucifer ceteraeque errantes numerum deorum obtinebunt ; igitur etiam inerrantes. Cur autem arqui species non in deorum numero reponatur ; est enim pulcher et ob eam speciem, quia causam habeat admirabilem, Thaumante dicitur esse nata. Cuius si diuina natura est, quid facies nubibus ? Arcus enim ipse e nubibus efficitur quodam modo coloratus ; quarum una etiam Centauros peperisse dicitur. Quod si nubes rettuleris in deos, referendae certe erunt tempestates quae populi Romani ritibus consecratae sunt. Ergo imbres, nimbi, procellae, turbines dei putandi ; nostri quidem duces mare ingredientes inmolare hostiam fluctibus consuerunt. [+] 52 Iam si est Ceres a gerendo – ita enim dicebas – terra ipsa dea est (et ita habetur ; quae est enim alia Tellus ?). Sin terra, mare etiam, quem Neptunum esse dicebas ; ergo et flumina et fontes. Itaque et Fontis delubrum Masso ex Corsica dedicauit et in augurum precatione Tiberinum, Spinonem, Anemonem, Nodinum, alia propinquorum fluminum nomina uidemus. Ergo hoc aut in inmensum serpet aut nihil horum recipiemus nec illa infinita ratio superstitionis probabitur ; nihil ergo horum probandum est. [+]

XXI 53 Il nous faut donc également réfuter ceux qui prétendent que ces dieux que nous vénérons pieusement et religieusement ont été transportés du statut d’homme à celui de dieu non pas réellement mais d’après l’opinion des hommes.

XXI 53 ❖ Dicamus igitur, Balbe, oportet contra illos etiam qui hos deos ex hominum genere in caelum translatos non re sed opinione esse dicunt quos auguste omnes sancteque ueneramur.

Pour commencer, les “théologiens”61, comme on les appelle, comptent trois Jupiter62, dont le premier et le second sont nés en Arcadie63 ; l’un avait pour père l’Éther qui engendra aussi, dit-on, Proserpine et Liber. L’autre, fils de Caelus, engendra Minerve, dit-on, qui commande la guerre et l’a inventée, à ce qu’on rapporte. Le troisième est Crétois, fils de Saturne, et on montre son tombeau dans cette île. Les Dioscures ont, eux aussi, chez les Grecs, de nombreuses appellations : les trois premiers, appelés Anactes64 à Athènes, sont Tritopatreus, Eubuleus, Dionysus, fils du plus ancien Jupiter-roi et de Proserpine. Les seconds sont les enfants du troisième Jupiter et de Léda, Castor et Pollux ; les troisièmes sont appelés par certains Alcon, Mélampous et Tmolos, fils d’Atrée, lui-même né de Pélops. 54 Quant aux Muses65, les quatre premières sont filles du second Jupiter : Thelxinoé, Aoédé, Arché et Mélété ; les Muses du second groupe sont les filles du troisième Jupiter et de Mnémosyne, au nombre de neuf ; celles du troisième groupe sont les filles de Piérus et d’Antiope, ce sont elles que les poètes appellent d’ordinaire Piérides ou Piéries et elles ont les mêmes noms que les précédentes et leur nombre est le même. Et tandis que tu prétends que le soleil doit son nom au fait qu’il est seul66, combien de soleils, précisément, les théologiens ne nous font-ils pas connaître ! L’un d’eux est né de Jupiter, et petit-fils d’Éther ; un autre est fils d’Hypérion ; le troisième de Vulcain, lui-même fils du Nil : c’est celui que les Égyptiens font le maître de la ville appelée Héliopolis. Le quatrième est celui qu’aux temps héroïques Acantho enfanta, dit-on, à Rhodes : c’est le père de Ialysus, de Camirus et de Lindus, héros éponymes de villes rhodiennes. Le cinquième passe pour avoir engendré Aiétès et Circé en Colchide. XXII55 De même il y a plusieurs Vulcain : le premier est né de Caelus et c’est de lui que Minerve eut l’Apollon qui, pour les historiens anciens, est le dieu tutélaire d’Athènes. Le second, né du Nil, appelé Phtas par les Égyptiens, est selon eux le protecteur de l’Égypte ; le troisième, fils du troisième Jupiter et de Junon était, selon la tradition, maître de la forge de Lemnos ; le quatrième, fils de Maimalios, était le maître des îles proches de la Sicile qu’on appelait Vulcaniennes. 56 Un Mercure a Caelus pour père et Dies pour mère ; la tradition le représente en proie à une excitation sexuelle indécente provoquée par la vue de Proserpine ; un autre, fils de Valens et de Phoronis, habite sous terre et on l’identifie à Trophonios67 ; le troisième est né du troisième Jupiter et de Maia et on dit qu’il est père de Pan par Pénélope : le quatrième a pour père le Nil et les Égyptiens tiennent pour une impiété de prononcer son nom. Le cinquième, qui reçoit un culte à Phénée, passe pour avoir tué Argus et s’être réfugié pour cette raison en Égypte, où il aurait donné aux Égyptiens leurs lois et leur alphabet : c’est lui que les Égyptiens appellent Theuth et c’est ce même nom qu’a chez eux le premier mois de l’année. 57 Le premier des Esculape est fils d’Apollon et il reçoit un culte des Arcadiens ; il passe pour avoir inventé la sonde et pour avoir le premier bandé les plaies68 ; le second est le frère du second Mercure : il fut, dit-on, frappé de la foudre et enterré à Cynosures. Le troisième, fils d’Arsippus et d’Arsinoé, passe pour avoir le premier fait usage de purgatifs et procédé à des extractions de dents ; on montre en Arcadie, non loin de la rivière Lusius, son tombeau et son bois sacré. XXIII Le plus ancien des Apollon est celui dont j’ai dit tout à l’heure qu’il était fils de Vulcain et protecteur d’Athènes ; le second, fils de Corybas, est né en Crète et cette île, selon la tradition, fut l’objet d’un combat entre lui et Jupiter en personne ; le troisième Apollon, fils du troisième Jupiter et de Latone, aurait quitté le pays des Hyperboréens pour venir à Delphes ; le quatrième est en Arcadie et les gens de ce pays l’appellent Nomion parce qu’ils le tiennent pour leur législateur69. 58 Il y a de même plusieurs Diane : la première, fille de Jupiter et de Proserpine, enfanta, dit-on, le Cupidon ailé ; la seconde, plus connue, est, d’après la tradition, fille du troisième Jupiter et de Latone. Le père de la troisième Diane est, dit-on, Oupis, et sa mère est Glaucé ; les Grecs l’appellent souvent Oupis, du nom de son père70. Nous avons de nombreux Dionysos : le premier est fils de Jupiter et de Proserpine, le second, fils du Nil, qui passe pour avoir tué Nysa. Le troisième, né d’un père Cabire, régna, dit-on, sur l’Asie et c’est en son honneur que les mystères de Sabazios furent institués ; le quatrième est fils de Jupiter et de la Lune et on pense que les rites orphiques lui sont consacrés ; le cinquième est né de Nysos et de Thyoné et on pense qu’il a institué les fêtes des Triétérides71. 59 La première Vénus est fille de Caelus et de Diès et j’ai vu son temple à Élis; la seconde a été engendrée par l’écume de la mer et c’est d’elle et de Mercure, selon la tradition, qu’est né le second Cupidon. La troisième, fille de Jupiter et de Dioné, épousa Vulcain mais c’est de Mars qu’elle eut, dit-on, son fils Anteros ; la quatrième, conçue par Syria et Cypros, est appelée Astarté et, selon la tradition, elle épousa Adonis72. La première Minerve est celle dont nous avons dit plus haut qu’elle est la mère d’Apollon ; la seconde est née du Nil et les Égyptiens de Saïs lui rendent un culte ; la troisième est celle dont nous avons dit plus haut que Jupiter l’avait engendrée ; la quatrième est fille de Jupiter et de Coryphé, elle-même fille d’Océanus : les Arcadiens l’appellent Koria et lui attribuent l’invention des quadriges. La cinquième est fille de Pallas et elle passe pour avoir tué son père qui voulait lui ravir sa virginité : on la représente avec des talonnières ailées73. 60 Le premier Cupidon est, dit-on, fils de Mercure et de la première Diane ; le second, de Mercure et de la deuxième Vénus ; le troisième, identique à Antéros, est fils de Mars et de la troisième Vénus. Toutes ces fables, et d’autres du même genre, ont été rassemblées à partir des anciennes traditions de la Grèce : tu comprends bien qu’il faut les combattre pour qu’elles ne perturbent pas nos pratiques religieuses. Or vos stoïciens, loin de les réfuter, leur donnent encore plus de poids en montrant pour chacune d’elles la signification qu’elle recèlerait.

Principio Ioues tres numerant ii qui theologi nominantur, ex quibus primum et secundum natos in Arcadia, alterum patre Aethere ex quo etiam Proserpinam natam ferunt et Liberum, alterum patre Caelo qui genuisse Mineruam dicitur quam principem et inuentricem belli ferunt, tertium Cretensem, Saturni filium, cuius in illa insula sepulcrum ostenditur. Dioscoroe etiam apud Graios multis modis nominantur : primi tres qui appellantur Anactes Athenis ex rege Ioue antiquissimo et Proserpina nati, Tritopatreus, Eubuleus, Dionysus ; secundi Ioue tertio nati et Leda, Castor et Pollux ; tertii dicuntur a non nullis Alco et Melampus et Tmolusc, Atrei filii, qui Pelope natus fuit. [+] 54 Iam Musae primae quattuor [natae] Ioue altero natae et Thelxinoe, Aoede, Arche, Melete, secundae Ioue tertio et Mnemosyne procreatae nouem, tertiae [Ioue tertio] Piero natae et Antiopa, quas Pieridas et Pierias solent poetae appellare isdem nominibus et eodem numero quo proxumae superiores. Cumque tu solem quia solus esset appellatum esse dicas, soles ipsi quam multi a theologis proferuntur ! Vnus eorum Ioue natus, nepos Aetheris, alter Hyperione, tertius Volcano, Nili filio, cuius urbem Aegyptii uolunt esse eam quae Heliopolis appellatur, quartus is quem heroicis temporibus Acantho Rhodi peperisse dicitur, <pater> Ialysi, Camiri, Lindi, unde Rhodii, quintus qui Colchis fertur Aeetam et Circam procreauisse. [+] XXII 55 ❖ Volcani item complures : primus Caelo natus, ex quo et Minerva Apollinem eum cuius in tutela Athenas antiqui historici esse uoluerunt, secundus [in] Nilo natus, Phtasd ut Aegyptii appellant, quem custodem esse Aegyptii uolunt, tertius ex tertio Ioue et Iunone qui Lemni fabricae traditur praefuisse, quartus Maemalio natus qui tenuit insulas propter Siciliam quae Volcaniae nominabantur. [+] 56 ❖ Mercurius unus Caelo patre, Die matre natus, cuius obscenius excitata natura traditur quod aspectu Proserpinae commotus sit, alter Valentis et Phoronidis filius is qui sub terris habetur idem Trophonius, tertius Ioue tertio natus et Maia, ex quo et Penelopa Pana natum ferunt, quartus Nilo patre, quem Aegyptii nefas habent nominare, quintus quem colunt Pheneatae, qui Argum dicitur interemisse ob eamque causam Aegyptum profugisse atque Aegyptiis leges et litteras tradidisse ; hunc Aegyptii Teuth appellant. Eodemque nomine anni primus mensis apud eos uocatur. [+] 57 Aesculapiorum primus Apollinis, quem Arcades colunt, qui specillum inuenisse primusque uolnus dicitur obligauisse, secundus secundi Mercuri frater (is fulmine percussus dicitur humatus esse Cynosuris), tertius Arsippi et Arsinoae, qui primus purgationem alui dentisque euolsionem, ut ferunt, inuenit, cuius in Arcadia non longe a Lusio flumine sepulcrum et lucus ostenditur. XXIII Apollinum antiquissimus is quem paulo antea e Volcano natum esse dixi, custodem Athenarum, alter Corybantis filius natus in Creta, cuius de illa insula cum Ioue ipso certamen fuisse traditur, tertius Ioue tertio natus et Latona, quem ex Hyperboreis Delphos ferunt aduenisse, quartus in Arcadia quem Arcades Nomionem appellant quod ab eo se leges ferunt accepisse. [+] 58 Dianae item plures, prima Iouis et Proserpinae, quae pinnatum Cupidinem genuisse dicitur, secunda notior, quam Ioue tertio et Latona natam accepimus, tertiae pater Vpis traditur, Glauce mater ; eam saepe Graeci Vpim paterno nomine appellant. Dionysos multos habemus, primum Ioue et Proserpina natum, secundum Nilo, qui Nysam dicitur interemisse, tertium Cabiro patre eumque regem Asiae praefuisse dicunt, cui Sabazia sunt instituta, quartum Ioue et Luna, cui sacra Orphica putantur confici, quintum Nyso natum et Thyone, a quo trieterides constitutae putantur. [+] 59 Venus prima Caelo et Die nata, cuius Eli delubrum uidimus, altera spuma procreata ex qua et Mercurio Cupidinem secundum natum accepimus, tertia Ioue nata et Diona, quae nupsit Volcano sed ex ea et Marte natus Anteros dicitur, quarta Syria Cyproquee concepta, quae Astarte uocatur, quam Adonidi nupsisse proditum est. Minerua prima, quam Apollinis matrem supra diximus, secunda orta Nilo, quam Aegyptii Saietae colunt, tertia illa quam a Ioue generatam supra diximus, quarta Ioue nata et Coryphe, Oceani filia, quam Arcades Κορίαν nominant et quadrigarum inuentricem ferunt, quinta Pallantis, quae patrem dicitur interemisse uirginitatem suam uiolare conantem, cui pinnarum talaria adfigunt. [+] 60 Cupido primus Mercurio et Diana prima natus dicitur, secundus Mercurio et Venere secunda, tertius (qui idem est Anteros) Marte et Venere tertia. Atque haec quidem et <alia> eius modi ex uetere Graeciae fama collecta sunt. Quibus intellegis resistendum esse ne perturbentur religiones ; uestri autem non modo haec non refellunt uerum etiam confirmant interpretando quorsum quidque pertineat.

Mais revenons maintenant au point d’où cette digression nous a écartés74. XXIV 61 Penses-tu vraiment qu’il soit nécessaire de recourir à un raisonnement subtil pour réfuter ces fables ? L’intelligence, l’espérance, la bonne foi, la vertu, l’honneur, la victoire, le salut, la concorde et les autres notions du même genre, représentent des valeurs, nous le voyons bien, mais ce sont celles que possèdent ces qualités réelles, ce ne sont pas celles d’un dieu. Ou bien, en effet, ces qualités résident en nous-mêmes, comme l’intelligence, l’espérance, la bonne foi, la vertu, la concorde, ou bien elles sont l’objet de notre désir, comme l’honneur, le salut, la victoire ; je vois bien l’utilité de ces qualités, je vois bien aussi qu’on leur a consacré des statues. Mais comment réside en elles une puissance divine, je ne le comprendrai que lorsqu’on me l’aura appris. Dans cette catégorie, la Fortune mérite d’être comptée avant les autres75 ; or personne ne pourrait la distinguer de l’inconstance et de l’irréflexion, qui sont assurément indignes d’une divinité. 62 Mais quelle satisfaction vous procure l’interprétation des fables et l’explication étymologique76 ? Caelus castré par son fils, Saturne enchaîné, également par son fils, ces fables et d’autres du même genre, vous les défendez au point que ceux qui les ont inventées, loin de sembler fous, paraissent même avoir été des sages ! Et quel mal vous vous donnez dans vos pitoyables étymologies ! “Saturne, parce qu’il est saturé d’années, Mars parce qu’il opère de grands bouleversements, Minerve, parce qu’elle diminue, ou parce qu’elle menace, Vénus parce qu’elle vient à tous les êtres, Cérès, parce qu’elle porte des fruits.” Quelle dangereuse pratique ! Pour beaucoup de noms, vous serez en effet dans l’embarras : que feras-tu de Véjouis, de Vulcain ? Il est vrai que, puisque tu crois que Neptune tire son nom de “nager”, il n’y a pas de nom dont tu ne puisses expliquer l’origine en la dérivant d’une seule lettre ! Et sur ce point, tu m’as paru nager encore plus que Neptune ! 63 Zénon s’est donné beaucoup de mal, et bien inutilement, et après lui Cléanthe puis Chrysippe, pour rendre compte de fables purement imaginaires et pour expliquer les raisons de chaque nom. Mais en faisant cela, vous reconnaissez du même coup que les choses diffèrent beaucoup de ce que les hommes se représentent : les êtres qu’on appelle des dieux sont des propriétés des choses, non pas des figures de dieux. XXV Cette erreur est allée si loin qu’on ne s’est pas contenté de donner des noms de dieux à des choses funestes, on a établi un culte en leur honneur : la Fièvre a son temple sur le Palatin, Orbona a le sien près du sanctuaire des Lares et nous voyons sur l’Esquilin l’autel consacré à la Mauvaise Fortune77. 64 Bannissons donc de la philosophie de telles erreurs pour tenir un langage digne des dieux immortels quand notre discussion porte sur les dieux immortels. Personnellement, j’ai mon sentiment à leur sujet mais je ne puis te donner mon assentiment. Tu dis que Neptune est une âme pourvue d’intelligence répandue à travers la mer, tu dis la même chose à propos de Cérès78. Or cette intelligence, de la mer ou de la terre, je suis si loin de la concevoir que je n’en ai pas le moindre soupçon. C’est pourquoi je dois chercher ailleurs où apprendre que les dieux existent et quelle est leur nature, celle que tu leur attribues…

Sed eo iam unde huc digressi sumus reuertamur. [+] XXIV 61 ❖ Num censes igitur subtiliore ratione opus esse ad haec refellenda ? Nam mentem, fidem, spem, uirtutem, honorem, uictoriam, salutem, concordiam ceteraque huius modi rerum uim habere uidemus, non deorum. Aut enim in nobismet insunt ipsis ut mens, ut spes, ut fides, ut uirtus, ut concordia aut optandae nobis sunt, ut honos, ut salus, ut uictoria ; quarum rerum utilitatem uideo, uideo etiam consecrata simulacra ; quare autem in iis uis deorum insit tum intellegam cum cognouero. Quo in genere uel maxime est fortuna numeranda, quam nemo ab inconstantia et temeritate seiunget, quae digna certe non sunt deo. 62 ❖ Iam uero quid uos illa delectat explicatio fabularum et enodatio nominum ? Exsectum a filio Caelum, uinctum itidem a filio Saturnum, haec et alia generis eiusdem ita defenditis ut ii qui ista finxerunt non modo non insani sed etiam fuisse sapientes uideantur. In enodandis autem nominibus, quod miserandum sit, laboratis : “Saturnus quia se saturat annis, Mauors quia magna uertit, Minerua quia minuit aut quia minatur, Venus quia uenit ad omnia, Ceres a gerendo.” Quam periculosa consuetudo ! In multis enim nominibus haerebitis. Quid Veioui facies, quid Volcano ? Quamquam, quoniam Neptunum a nando appellatum putas, nullum erit nomen quod non possis una littera explicare unde ductum sit ; in quo quidem magis tu mihi natare uisus es quam ipse Neptunus. [+] 63 ❖ Magnam molestiam suscepit et minime necessariam primus Zeno, post Cleanthes, deinde Chrysippus, commenticiarum fabularum reddere rationem, uocabulorum cur quidque ita appellatum sit causas explicare. Quod cum facitis illud profecto confitemini longe aliter se rem habere atque hominum opinio sit ; eos enim qui di appellantur rerum naturas esse, non figuras deorum. XXV Qui tantus error fuit ut perniciosis etiam rebus non modo nomen deorum tribueretur sed etiam sacra constituerentur. Febris enim fanum in Palatio et <Orbonae ad> aedem Larum et aram Malae Fortunae Esquiliis consecratam uidemus. [+] 64 ❖ Omnis igitur talis a philosophia pellatur error ut, cum de dis inmortalibus disputemus, dicamus digna dis inmortalibus. De quibus habeo ipse quid sentiam, non habeo autem quid tibi adsentiar. Neptunum esse dicis animum cum intellegentia per mare pertinentem, idem de Cerere ; istam autem intellegentiam aut maris aut terrae non modo comprehendere animo sed ne suspicione quidem possum attingere. Itaque aliunde mihi quaerendum est et ut esse deos et quales sint dii discere possim qualis tu eos esse uis. [+]

65 Voyons la suite : d’abord si le monde est gouverné par la providence divine, ensuite si les dieux veillent sur les affaires humaines. D’après ta partition du sujet, ce sont en effet les deux points qui me restent à traiter. Si cela vous convient, je crois qu’il y a lieu de les discuter avec une particulière attention. »

65 Videamus ea quae sequuntur, primum deorumne prudentia mundus regatur, deinde consulantne di rebus humanis. Haec enim mihi ex tua partitione restant duo ; de quibus, si uobis uidetur, accuratius disserendum puto. »

« Cela me convient parfaitement, dit Velléius, car je m’attends à des développements encore plus importants et j’approuve sans réserve ce qui a déjà été dit. »

« Mihi uero, inquit Velleius, ualde uidetur ; nam et maiora exspecto et iis quae dicta sunt uehementer adsentior. »

Alors Balbus prit la parole : « Je ne veux pas interrompre ton exposé, Cotta, mais nous choisirons un autre moment : je suis sûr que je pourrai obtenir ton assentiment. Mais »

Tum Balbus : « Interpellare te, inquit, Cotta, nolo, sed sumemus tempus aliud ; efficiam profecto ut fateare. Sedf »

Non, les choses ne se passeront pas du tout de cette façon ; une grande lutte se prépare. Pourquoi l’aurais-je supplié en termes si flatteurs si ce n’est pour servir mon dessein* ?
Nequaquam istuc istac ibit ; magna inest certatio.
Nam ut ego illi supplicarem tanta blandiloquentia,
ni ob rem*. [+]

XXVI 66 Crois-tu que Médée ne sache pas raisonner et qu’elle ne sache pas machiner contre elle-même une destruction sacrilège ? Et voici encore un habile raisonnement :

XXVI 66 Parumne ratiocinari uidetur et sibi ipsa nefariam pestem machinari ? Illud uero quam callida ratione :

Pour qui veut ce qu’il veut, les circonstances dépendent de la peine qu’il prendra*.
Qui uolt quod uolt ita dat se res ut operam dabit*.

Or ce vers contient les germes de tous les crimes.

Qui est uersus omnium seminator malorum.

Dans son égarement, Créon m’a livré aujourd’hui les clefs qui me permettront de libérer toute ma colère et de travailler à sa perte. Le chagrin sera mon lot, le deuil sera le sien ; la mort pour lui, l’exil pour moi*.
Ille trauersa mente mihi hodie tradidit repagula
quibus ego iram omnem recludam atque illi perniciem dabo,
mihi maerores, illi luctum, exitium illi, exilium mihi*.

Apparemment, cette raison dont vous dites qu’elle a été attribuée seulement à l’homme par un bienfait divin, les bêtes en sont dépourvues !

Hanc uidelicet rationem quam uos diuino beneficio homini solum tributam dicitis, bestiae non habent ; [+]

67 Ne vois-tu pas de quelle grande faveur les dieux nous ont gratifiés ! Et cette même Médée, fuyant son père et sa patrie

67 uidesne igitur quanto munere deorum simus adfecti ? Atque eadem Medea patrem patriamque fugiens,

alors que son père approche et que déjà il est sur le point de se saisir d’elle, égorge le jeune garçon, le coupe en morceaux et disperse ses membres çà et là à travers champs ; elle le fait pour pouvoir échapper elle-même à la poursuite, tandis que le père cherche à rassembler les membres de son enfant dépecé : le chagrin le retardera et elle assurera son salut par le meurtre de son frère*.
postquam pater
adpropinquat iamque paene ut conprehendatur parat,
puerum interea obtruncat membraque articulatim diuidit
perque agros passim dispergit corpus ; id ea gratia
ut, dum nati dissipatos artus captaret parens,
ipsa interea effugeret, illum ut maeror tardaret sequi,
sibi salutem ut familiari pareret parricidio*. [+]

68 Cette femme n’était pas plus dépourvue de raison que de scélératesse ! Que dire de cet autre, préparant pour son frère un sinistre festin ? N’est-ce pas sa raison que ses réflexions font agiter en tous sens ?

68 Huic ut scelus sic ne ratio quidem defuit. Quid ? Ille funestas epulas fratri conparans nonne uersat huc et illuc cogitatione rationem :

Je dois mettre en branle une plus lourde masse, un plus grand mal pour broyer et écraser son cœur cruel.
Maior mihi moles, maius miscendum est malum
qui illius acerbum cor contundam et conprimam.

XXVII Et il ne faut pas oublier de mentionner Thyeste lui-même “qui ne se contenta pas de séduire et de déshonorer une épouse”. De ce crime, Atrée parle avec justesse et grande vérité :

XXVII Nec tamen ille ipse est praetereundus “qui non sat habuit coniugem inlexe in stuprum”. De quo recte et uerissume loquitur Atreus :

Le plus grand péril dans le rang suprême, c’est à mon avis quand les mères d’enfants royaux sont souillées, la race contaminée, la descendance abâtardie.
Quod re in summa summum esse arbitror
periclum, matres coinquinari regias,
contaminari stirpem, admisceri genus.

Mais dans son crime, de quelle habileté fit preuve Thyeste, utilisant l’adultère pour gagner le trône !

At id ipsum quam callide qui regnum adulterio quaereret :

J’ajoute, dit Atrée, que le père des dieux du ciel m’a envoyé un présage prodigieux pour affermir mon trône, un agneau qui brillait au milieu du troupeau de l’éclat de sa toison d’or. Thyeste osa le ravir secrètement au domaine royal et dans ce vol il s’assura la complicité de mon épouse*.
Addo, inquit, huc quod mihi portento caelestum pater
prodigium misit, regni stabilimen mei,
agnum inter pecudes aurea clarum coma,
quem clam Thyestem clepere ausum esse e regia,
qua in re adiutricem coniugem cepit sibi*. [+]

69 Ne vois-tu pas que dans sa parfaite malhonnêteté il a agi de manière parfaitement rationnelle ? Et ce n’est pas seulement le théâtre qui est plein de crimes de cette sorte : notre vie quotidienne en compte de bien pires. Le foyer de chacun de nous, le forum, la curie, le Champ de Mars, les alliés, les provinces font la même expérience : de même que la raison peut nous guider pour le bien, elle peut nous guider pour le mal. Le premier cas concerne quelques hommes, et en de rares occasions, le second concerne un grand nombre d’hommes, et continuellement, si bien que les dieux immortels auraient mieux fait de nous refuser totalement l’usage de la raison au lieu de nous l’accorder au prix de si funestes conséquences. Le vin étant rarement salutaire et le plus souvent nuisible aux malades, il vaut mieux ne pas leur en donner du tout plutôt que de courir le risque manifeste de les perdre en se leurrant de l’espoir de les guérir ; de même, il eût peut-être mieux valu que cette promptitude de la pensée, cette pénétration, cette ingéniosité que nous appelons “raison” n’ait pas été donnée du tout au genre humain, puisqu’elle entraîne la ruine pour le plus grand nombre et n’est bénéfique que pour un tout petit nombre, au lieu de lui avoir été accordée si généreusement et si largement. 70 Par conséquent, si l’intelligence et la volonté divines se sont souciées du sort des hommes, parce qu’elles les ont gratifiés de la raison, elles ne se sont souciées que de ceux qu’elles ont doués d’une raison orientée vers le bien : or ces hommes, s’ils existent, sont très peu nombreux. Mais nous n’admettons pas que la sollicitude des dieux immortels ait été réservée à un petit nombre : il en résulte qu’elle n’est allée à personne. XXVIII Voici comment d’ordinaire vous répondez à cette objection79 : le fait que beaucoup d’hommes font un usage pervers du bienfait des dieux ne permet pas de dire que les dieux n’ont pas veillé au mieux à nos intérêts. Beaucoup d’hommes font aussi un mauvais usage de leur patrimoine mais cela ne prouve pas qu’ils n’aient reçu aucun bienfait de leurs pères. Mais qui conteste cela ? Où est la ressemblance entre les deux termes de votre comparaison ? Déjanire n’a pas voulu nuire à Hercule en lui donnant la tunique imprégnée du sang du Centaure80 et celui qui ouvrit d’un coup d’épée l’abcès dont souffrait Jason de Phères81 et que les médecins ne pouvaient guérir n’a pas voulu lui faire du bien. Beaucoup de gens, en effet, en voulant nuire rendent service et en voulant rendre service font du mal ; ainsi l’objet du don ne révèle pas l’intention du donateur et si le bénéficiaire fait un bon usage du don, il n’en résulte pas que le donateur ait été amical. 71 Quel est l’acte inspiré par la passion, par la cupidité, quel est le crime qui ne soit pas entrepris de propos délibéré et exécuté sans une activité de l’esprit et de la réflexion, c’est-à-dire sans la raison ? car toute opinion est de la raison, droite raison quand l’opinion est vraie, raison défectueuse quand l’opinion est fausse. Mais ce que nous tenons de dieu c’est la raison, si du moins nous l’avons, tandis que c’est de nous que dépend qu’elle soit droite ou non. Car la raison n’est pas donnée à l’homme par un bienfait des dieux de la même façon qu’un héritage est légué : quel autre don les dieux auraient-ils pu faire aux hommes s’ils avaient voulu leur nuire ? De quels germes naîtraient l’injustice, la démesure, la lâcheté si la raison ne se trouvait pas au fondement de ces vices ?

69 Videturne summa inprobitate usus non sine summa esse ratione ? Nec uero scaena solum referta est his sceleribus sed multo uita communis paene maioribus. Sentit domus unius cuiusque, sentit forum, sentit curia, campus, socii, prouinciae, ut quem ad modum ratione recte fiat sic ratione peccetur, alterumque et a paucis et raro, alterum et semper et a plurimis, ut satius fuerit nullam omnino nobis a dis inmortalibus datam esse rationem quam tanta cum pernicie datam. Vt uinum aegrotis, quia prodest raro, nocet saepissime, melius est non adhibere omnino quam spe dubiae salutis in apertam perniciem incurrere, sic haud scio an melius fuerit humano generi motum istum celerem cogitationis, acumen, sollertiam quam rationem uocamus, quoniam pestifera sit multis, admodum paucis salutaris, non dari omnino quam tam munifice et tam large dari. [+] 70 Quam ob rem si mens uoluntasque diuina idcirco consuluit hominibus quod iis est largita rationem, iis solis consuluit quos bona ratione donauit, quos uidemus si modo ulli sint esse perpaucos. Non placet autem paucis a diis inmortalibus esse consultum ; sequitur ergo ut nemini consultum sit. XXVIII Huic loco sic soletis occurrere : non idcirco non optume nobis a diis esse prouisum quod multi eorum beneficio peruerse uterentur ; etiam patrimoniis multos male uti nec ob eam causam eos beneficium a patribus nullum habere. Quisquam istuc negat aut quae est in collatione ista similitudo ? Nec enim Herculi nocere Deianira uoluit cum ei tunicam sanguine Centauri tinctam dedit nec prodesse Pheraeo Iasoni is qui gladio uomicam eius aperuit quam sanare medici non potuerant. Multi enim et cum obesse uellent profuerunt et cum prodesse offuerunt ; ita non fit ex eo quod datur ut uoluntas eius qui dederit appareat nec si is qui accepit bene utitur idcirco is qui dedit amice dedit. [+] 71 Quae enim libido, quae auaritia, quod facinus aut suscipitur nisi consilio capto aut sine animi motu et cogitatione id est ratione perficitur ? Nam omnis opinio ratio est et quidem bona ratio si uera, mala autem si falsa est opinio. Sed a deo tantum rationem habemus (si modo habemus), bonam autem rationem aut non bonam a nobis. Non enim ut patrimonium relinquitur sic ratio est homini beneficio deorum data ; quid enim potius hominibus dii dedissent si iis nocere uoluissent, iniustitiae autem, intemperantiae, timiditatis quae semina essent si iis uitiis ratio non subesset ?

XXIX Nous rappelions tout à l’heure Médée et Atrée, personnages héroïques qui préparaient leurs crimes abominables en s’aidant des calculs de la raison. 72 Mais quoi ? Les scènes légères de la comédie ne sont-elles pas toujours pleines de raisonnements ? Raisonne-t-il sans finesse ce personnage de l’Eunuque ?

XXIX Medea modo et Atreus commemorabatur a nobis, heroicae personae inita subductaque ratione nefaria scelera meditantes. [+] 72 Quid ? Leuitates comicae parumne semper in ratione uersantur ? Parumne subtiliter disputat ille in Eunucho :

Que vais-je donc faire ?… Elle m’a chassé, elle me rappelle ; reviendrai-je ? Non, même si elle me suppliait à genoux* !
Quid igitur faciam ?
Exclusit, reuocat ; redeam ? Non si me obsecret*.

Et cet autre, dans les Synéphèbes, n’hésite pas utiliser l’arme de la raison pour combattre une opinion commune, comme le font les académiciens :

Ille uero in Synephebis Academicorum more contra communem opinionem non dubitat pugnare ratione qui :

Quand on est très amoureux, dit-il, et sans un sou, il est doux d’avoir un père avare, désagréable, dur pour ses enfants, qui ne vous aime pas et ne s’intéresse pas à vous.
in amore summo summaque inopia suaue

esse dicit

parentem habere auarum, inlepidum, in liberos
difficilem qui te nec amet nec studeat tui. [+]

73 Et, à l’appui de cette affirmation paradoxale, il avance ces petits raisonnements :

73 Atque huic incredibili sententiae ratiunculas suggerit :

On peut le voler sur les intérêts de l’argent ou détourner quelque créance en faisant usage de faux ou le frapper de terreur avec l’aide d’un petit esclave ! bref, tout ce qu’on peut tirer d’un père pingre, avec quel plus grand plaisir on le dépense !
Aut tu illum fructu fallas aut per litteras
auertas aliquod nomen aut per seruolum
percutias pauidum ; postremo a parco patre
quod sumas, quanto dissipes libentius !

Et le même personnage soutient qu’un père indulgent et libéral est une gêne pour un fils amoureux :

Idemque facilem et liberalem patrem incommodum esse amanti filio disputat :

Pour le tromper, pour le gruger, je ne sais vraiment pas à quelle ruse, à quelle machination recourir : tous mes pièges, toutes mes fourberies, tous mes subterfuges, ce père accommodant les déjoue*.
Quem neque quo pacto fallam nec quid inde auferam
nec quem dolum ad eum aut machinam commoliar
scio quicquam ; ita omnes meos dolos, fallacias
praestrigias praestrinxit commoditas patris*.

Mais ces pièges, ces machinations, ces fourberies, ces subterfuges, pouvait-on les ourdir sans la raison ? Magnifique présent des dieux, qui permet à Phormion de dire :

Quid ergo isti doli, quid machinae, quid fallaciae praestrigiaeque, num sine ratione esse potuerunt ? O praeclarum munus deorum ut Phormio possit dicere :

Amène le vieux ; j’ai déjà préparé tous mes plans dans ma tête*.
Cedo senem ; iam instructa sunt mihi in corde consilia omnia*. [+]

XXX 74 Mais sortons du théâtre, passons au forum. Le préteur va siéger : quelle affaire va-t-on juger ? Identifier qui a mis le feu aux archives. Quel forfait demande plus de dissimulation ? C’est pourtant Quintus Sosius, un brillant chevalier romain originaire du Picenum, qui s’est reconnu coupable82. Qui a falsifié les livres de comptes publics ? Lucius Alenus83 s’est rendu coupable de cela aussi, en imitant la signature des six premiers secrétaires du trésor : peut-on trouver plus adroit que notre homme ? Examine d’autres procès, l’affaire de l’or de Toulouse84, celle de la conjuration de Jugurtha85 ; rappelle-toi des affaires plus anciennes, le procès de Tubulus86, juge vénal ou, plus récemment, la cour de justice pour inceste créée sur proposition de Peducaeus87 ; et puis ces procès, intentés tous les jours, pour assassinats, empoisonnements, et aussi, en vertu d’une loi nouvelle88, falsifications de testaments. De là cette formule d’action89 : “J’affirme qu’avec ton aide et ta complicité un vol a été commis.” De là tant de procès pour mauvaise foi du tuteur, du mandataire, de l’associé, du dépositaire, et les autres intentés pour déloyauté dans les achats ou les ventes ou les baux ou les locations ; de là l’action publique exercée dans une affaire privée en vertu de la loi de Laetorius90 ; de là ce coup de balai propre à faire disparaître toutes les fourberies, je veux dire l’action contre le dol qu’a introduite notre ami Caius Aquillius91. Ce même Aquillius considère qu’il y a dol quand on feint d’agir autrement qu’on agit en réalité. 75 Pouvons-nous donc croire que les dieux immortels aient fait les semailles de si grands maux ? Car si les dieux ont donné la raison aux hommes, ils leur ont donné la malignité ; la malignité est en effet la raison, artificieuse et fourbe, orientée vers le mal. Ces mêmes dieux leur ont donné aussi la tromperie, la méchanceté et les autres vices dont aucun ne pourrait être conçu et développé sans la raison. Ainsi, comme le voudrait cette vieille nourrice :

XXX 74 Sed exeamus e theatro, ueniamus in forum. Sessum it praetor. Quid ut iudicetur ? Qui tabularium incenderit. Quod facinus occultius ? At se Q. Sosius, splendidus eques Romanus ex agro Piceno, fecisse confessus est. Qui transcripserit tabulas publicas. Id quoque L. Alenus fecit, cum chirographum sex primorum imitatus est ; quid hoc homine sollertius ? Cognosce alias quaestiones, auri Tolossani, coniurationis Iugurthinae ; repete superiora, Tubuli de pecunia capta ob rem iudicandam ; posteriora de incestu rogatione Peducaea ; tum haec cotidiana, sicae, uenena, peculatus, testamentorum etiam lege noua quaestiones. Inde illa actio “ope consilioque tuo furtum aio factum esse”, inde tot iudicia de fide mala, tutelae, mandati, pro socio, fiduciae, reliqua quae ex empto aut uendito aut conducto aut locato contra fidem fiunt, inde iudicium rei priuatae lege Laetoria, inde euerriculum malitiarum omnium iudicium de dolo malo quod C. Aquillius familiaris noster protulit, quem dolum idem Aquillius tum teneri putat cum aliud sit simulatum, aliud actum. [+] 75 Hanc igitur tantam a dis inmortalibus arbitramur malorum sementim esse factam ? Si enim rationem hominibus dii dederunt, malitiam dederunt ; est enim malitia uersuta et fallax ratio nocendi ; idem etiam dii fraudem dederunt, facinus ceteraque quorum nihil nec suscipi sine ratione nec effici potest. Vtinam igitur, ut illa anus optat,

Ah ! si seulement les haches n’avaient pas abattu, dans les bois du Pélion, les troncs des sapins* !
ne in nemore Pelio securibus
caesae accidissent abiegnae ad terram trabes*,

De même, si seulement les dieux n’avaient pas donné aux hommes cette habileté ! Un petit nombre seulement en fait bon usage – et d’ailleurs ils sont souvent eux-mêmes victimes de ceux qui en font mauvais usage ; mais ceux qui en usent avec perversité sont innombrables, si bien que ce don divin de la raison et du jugement semble avoir été accordé aux hommes pour qu’ils développent la tromperie et non pas l’honnêteté. XXXI 76 Mais vous insistez en répétant que c’est la faute des hommes et non des dieux. C’est comme si un médecin mettait en cause la gravité de la maladie, un pilote la violence de la tempête ; bien sûr, ce sont là de simples hommes mais ils prêteraient à rire : “Qui donc aurait eu recours à toi, dira-t-on, s’il n’y avait pas ces difficultés ?”. Contre un dieu, la discussion peut être plus libre : “Tu dis que les vices des hommes sont responsables du mal : tu aurais dû donner aux hommes une raison incompatible avec les vices et le mal.” Où donc l’erreur des dieux a-t-elle pu trouver place ? Quand nous léguons nos biens, nous avons l’espoir de les laisser en bonnes mains, et notre espoir peut être trompé : mais comment un dieu peut-il être trompé ? Est-ce comme le Soleil, quand il fit monter sur son char son fils Phaéthon, ou comme Neptune, quand Thésée perdit Hippolyte, conséquence du pouvoir de faire trois souhaits que lui avait donné Neptune92 ? 77 Ce sont là des histoires de poètes : nous, nous voulons être des philosophes et nous porter garants des faits, non des fables. Et d’ailleurs, ces dieux des poètes eux-mêmes, s’ils avaient su que leurs dons seraient funestes à leurs fils, seraient jugés coupables dans leur générosité. Et s’il est vrai, comme disait Ariston de Chios93, que les philosophes nuisent à ceux de leurs auditeurs qui donnent une mauvaise interprétation de bons enseignements (de l’école d’Aristippe peuvent sortir des débauchés, de celle de Zénon, des aigris), alors donc si les auditeurs devaient rentrer chez eux dépravés pour avoir mal compris les discussions des philosophes, il vaudrait mieux que les philosophes se taisent plutôt que de nuire à ceux qui les écoutent. 78 De même, si les hommes changent en instrument de tromperie et de malignité la raison que les dieux immortels leur ont donnée suivant une bonne intention, il aurait mieux valu pour le genre humain qu’on ne la lui ait pas donnée du tout ! Si un médecin savait que le malade auquel il a prescrit de boire du vin le boira pur et mourra aussitôt, il commettrait une lourde faute : de même votre providence mérite le blâme puisqu’elle a donné la raison à ceux dont elle savait qu’ils en feraient un usage pervers et malhonnête. À moins que vous ne disiez qu’elle l’ignorait ! Je le voudrais bien mais vous n’oserez pas : je n’ignore pas quelle valeur vous attachez à son nom.

sic istam calliditatem hominibus di ne dedissent, qua perpauci bene utuntur – qui tamen ipsi saepe a male utentibus opprimuntur – innumerabiles autem improbe utuntur ut donum hoc diuinum rationis et consilii ad fraudem hominibus, non ad bonitatem impertitum esse uideatur. [+] XXXI 76 ❖ Sed urgetis identidem hominum esse istam culpam, non deorum. Vt si medicus grauitatem morbi, gubernator uim tempestatis accuset ; etsi hi quidem homunculi sed tamen ridiculi. “Quis enim te adhibuisset” dixerit quispiam, “si ista non essent.” Contra deum licet disputare liberius : “in hominum uitiis ais esse culpam ; eam dedisses hominibus rationem quae uitia culpamque excluderet.” Vbi igitur locus fuit errori deorum ? Nam patrimonia spe bene tradendi relinquimus, qua possumus falli ; deus falli qui potuit ? An ut Sol in currum cum Phaethontem filium sustulit aut Neptunus cum Theseus Hippolytum perdidit cum ter optandi a Neptuno patre habuisset potestatem ? [+] 77 Poetarum ista sunt, nos autem philosophi esse uolumus, rerum auctores, non fabularum. Atque hi tamen ipsi di poetici si scissent perniciosa fore illa filiis, peccasse in beneficio putarentur. Et si uerum est quod Aristo Chius dicere solebat, nocere audientibus philosophos iis qui bene dicta male interpretarentur (posse enim asotos ex Aristippi, acerbos e Zenonis schola exire) prorsus si qui audierunt uitiosi essent discessuri quod peruerse philosophorum disputationem interpretarentur, tacere praestaret philosophis quam iis qui se audissent nocere ; [+] 78 sic, si homines rationem bono consilio a dis immortalibus datam in fraudem malitiamque conuertunt non dari illam quam dari humano generi melius fuit. Vt si medicus sciat eum aegrotum qui iussus sit uinum sumere, meracius sumpturum statimque periturum, magna sit in culpa, sic uestra ista Prouidentia reprehendenda quae rationem dederit iis quos scierit ea peruerse et inprobe usuros. Nisi forte dicitis eam nescisse. Vtinam quidem ! Sed non audebitis, non enim ignoro quanti eius nomen putetis. [+]

XXXII 79 Mais on peut à présent conclure ce développement : si la déraison, de l’avis de tous les philosophes, est un mal plus grand que toutes les infortunes et toutes les infirmités physiques qu’on peut lui opposer, et si, d’autre part, personne ne parvient à la sagesse, nous sommes tous plongés dans un abîme de malheurs, nous sur qui les dieux immortels, à vous entendre, veillent avec tant de soin94. Car, de même qu’il n’y a aucune différence entre ces deux affirmations “personne n’est en bonne santé” et “personne ne peut être en bonne santé”, de même je ne comprends pas quelle différence il y a entre “personne n’est sage” et “personne ne peut être sage”. Mais nous avons passé trop de temps sur un point particulièrement évident : en un seul vers Télamon démontre parfaitement que les dieux ne se soucient pas des hommes :

XXXII 79 Sed hic quidem locus concludi iam potest. Nam si stultitia consensu omnium philosophorum maius est malum quam si omnia mala et fortunae et corporis ex altera parte ponantur, sapientiam autem nemo adsequitur, in summis malis omnes sumus quibus uos optume consultum a dis inmortalibus dicitis. Nam ut nihil interest utrum nemo ualeat an nemo possit ualere sic non intellego quid intersit utrum nemo sit sapiens an nemo esse possit. Ac nos quidem nimis multa de re apertissuma ; Telamo autem uno uersu totum locum conficit cur di homines neglegant :

S’ils s’intéressaient à eux, les bons seraient heureux, les méchants malheureux : or ce n’est pas le cas*.
Nam si curent, bene bonis sit, male malis ; quod nunc abest*.

À vrai dire, ils auraient dû faire en sorte que tous les hommes soient bons, s’ils veillaient sur le genre humain. 80 À défaut, ils auraient dû au moins veiller sur les gens de bien. Pourquoi donc les deux Scipion, hommes au courage et à la valeur exceptionnels, ont-ils été écrasés en Espagne par les Carthaginois ? Pourquoi Maximus a-t-il dû enterrer son fils, un ancien consul ? Pourquoi Hannibal a-t-il tué Marcellus ? Pourquoi la bataille de Cannes a-t-elle fait disparaître Paulus ? Pourquoi le corps de Regulus a-t-il été livré à la cruauté punique ? Pourquoi les murs de sa maison n’ont-ils pas protégé l’Africain95 ? Mais ce sont là, parmi beaucoup d’autres, des faits anciens ; examinons des événements plus proches de nous. Pourquoi mon oncle, Publius Rutilius, un homme irréprochable, et de surcroît savant, est-il en exil ? Pourquoi mon collègue Drusus a-t-il été assassiné dans sa propre maison ? Pourquoi le grand pontife Quintus Scévola, un modèle de modération et de sagesse, a-t-il été massacré devant la statue de Vesta ? Pourquoi, avant lui, un si grand nombre de citoyens éminents ont-ils été tués par Cinna ? Pourquoi Gaius Marius, le plus traître de tous, a-t-il pu faire mettre à mort Quintus Catulus, un homme d’une dignité exemplaire96 ? 81 La journée serait trop courte si je voulais énumérer les gens de bien à qui il est arrivé malheur, elle ne le serait pas moins si je rappelais quels scélérats ont joui du sort le plus favorisé. Car enfin, pourquoi Marius a-t-il eu une mort si douce, chez lui, dans un âge avancé et consul pour la septième fois97 ? Pourquoi Cinna, le plus cruel de tous, a-t-il été tout-puissant si longtemps ? XXXIII “Mais il a été puni”, diras-tu. Il aurait mieux valu interdire et empêcher qu’il ne fasse périr tant d’hommes éminents plutôt que de l’en punir enfin à son tour. Quintus Varius, homme particulièrement brutal, a péri dans les tourments des pires supplices ; si c’est pour avoir ôté la vie à Drusus par le fer, à Métellus par le poison, il aurait mieux valu garder en vie ces deux hommes plutôt que de punir Varius de son crime98. Denys fut pendant trente-huit ans le tyran d’une cité très riche et très prospère ; 82 et avant lui, combien d’années régna Pisistrate sur la ville-fleuron de la Grèce99 ! “Mais Phalaris, mais Apollodore ont subi leur châtiment”, diras-tu100. Oui, mais après avoir torturé et assassiné beaucoup d’hommes. Les pirates aussi sont punis, en grand nombre, mais on ne peut affirmer, cependant, que le nombre de prisonniers cruellement assassinés par les pirates n’est pas supérieur. La tradition nous apprend qu’Anaxarque, disciple de Démocrite, fut supplicié par un tyran de Chypre, que Zénon d’Élée mourut dans les tourments ; que dire de Socrate, dont la mort me fait toujours venir les larmes, à la lecture de Platon101 ? Ne vois-tu pas que, si les dieux voient les actions des hommes, ils les jugent sans établir entre elles aucune distinction ?

Debebant illi quidem omnis bonos efficere si quidem hominum generi consulebant ; 80 sin id minus, bonis quidem certe consulere debebant. Cur igitur duo Scipiones, fortissimos et optimos uiros, in Hispania Poenus oppressit ? Cur Maximus extulit filium consularem ? Cur Marcellum Hannibal interemit ? Cur Paulum Cannae sustulerunt ? Cur Poenorum crudelitati Reguli corpus est praebitum ? Cur Africanum domestici parietes non texerunt ? Sed haec uetera et alia permulta ; propiora uideamus. Cur auunculus meus, uir innocentissimus idemque doctissumus, P. Rutilius, in exilio est ? Cur sodalis meus interfectus domi suae Drusus ? Cur temperantiae prudentiaeque specimen ante simulacrum Vestae pontifex maximus est Q. Scaeuola trucidatus ? Cur ante etiam tot ciuitatis principes a Cinna interempti ? Cur omnium perfidiosissimus, C. Marius, Q. Catulum, praestantissuma dignitate uirum mori potuit iubere ? [+] 81 Dies deficiat si uelim numerare quibus bonis male euenerit nec minus si commemorem quibus improbis optime. Cur enim Marius tam feliciter septimum consul domi suae senex est mortuus ? Cur omnium crudelissimus tam diu Cinna regnauit ? XXXIII “At dedit poenas.” Prohiberi melius fuit impedirique ne tot summos uiros interficeret quam ipsum aliquando poenas dare. Summo cruciatu supplicioque Q. Varius, homo importunissumus, periit ; si quia Drusum ferro, Metellum ueneno sustulerat, illos conseruari melius fuit quam poenas sceleris Varium pendere. Duodequadraginta Dionysius tyrannus annos fuit opulentissumae et beatissumae ciuitatis ; [+] 82 quam multos ante hunc in ipso Graeciae flore Pisistratus ! “At Phalaris, at Apollodorus poenas sustulit.” Multis quidem ante cruciatis et necatis. Et praedones multi saepe poenas dant nec tamen possumus dicere non pluris captiuos acerbe quam praedones necatos. Anaxarchum Democriteum a Cyprio tyranno excarnificatum accepimus ; Zenonem Eleae in tormentis necatum ; quid dicam de Socrate cuius morti inlacrimare soleo Platonem legens ? Videsne igitur deorum iudicio si uident res humanas discrimen esse sublatum ? [+]

XXXIV 83 Diogène le Cynique disait volontiers qu’Harpale, qui passait en ce temps-là pour un pirate fortuné, constituait un témoignage contre les dieux, puisqu’il vivait depuis si longtemps dans cette heureuse condition102. Denys, dont j’ai parlé tout à l’heure, se rendait par mer à Syracuse, après avoir pillé le temple de Proserpine à Locres, et naviguait avec un vent très favorable : “Voyez-vous mes amis, dit-il en souriant, quelle heureuse traversée les dieux immortels accordent aux sacrilèges ?” Et cet habile homme, une fois qu’il eut nettement formé cette opinion, la conserva toujours : abordant avec sa flotte au rivage du Péloponnèse, il se rendit au temple de Jupiter à Olympie et dépouilla le dieu du manteau d’or massif dont le tyran Gélon avait orné sa statue en prélevant sur le butin carthaginois. À cette occasion, il se permit de plaisanter, disant qu’un manteau d’or était lourd en été, froid en hiver, et il jeta sur la statue un manteau de laine qui, disait-il, convenait pour toute saison. C’est encore lui qui fit ôter sa barbe d’or à l’Esculape d’Épidaure, disant qu’il n’était pas convenable que le fils eût une barbe alors que, dans tous les temples, son père était imberbe103. 84 Il fit enlever de tous les sanctuaires les tables à offrandes en argent qui portaient l’inscription “propriété des dieux bons”, suivant la tradition de la Grèce antique, en disant qu’il voulait profiter de leur bonté. Il n’avait pas non plus d’hésitation à emporter les petites Victoires en or, les coupes et les couronnes que tenaient les statues dans leurs mains tendues : il disait qu’il ne les prenait pas, mais les recueillait, parce que c’était folie de refuser de prendre ce que les dieux nous donnent la main tendue alors que nos prières implorent leurs bienfaits. On raconte encore qu’après avoir pris aux temples les trésors dont j’ai parlé, il les fit porter sur la place publique et vendre aux enchères, et qu’après avoir touché l’argent, il prit un édit ordonnant que toute personne possédant un objet provenant d’un lieu de culte le rapporte avant une certaine date au sanctuaire dont il était la propriété. C’est ainsi qu’à l’impiété envers les dieux il joignit l’injustice envers les hommes. XXXV Eh bien, cet homme, Jupiter Olympien ne l’a pas frappé de sa foudre, Esculape ne l’a pas fait périr de consomption dans une maladie douloureuse et interminable : il mourut dans son lit, son corps fut placé sur un bûcher royal, et le pouvoir qu’il avait acquis par le crime, il le transmit à son fils comme un héritage juste et légitime. 85 C’est à contrecœur que je développe ce sujet, car mes paroles semblent inciter au mal. Cette impression serait juste si la conscience que nous avons de la vertu et des vices n’avait par elle-même, sans qu’il soit besoin de recourir à la raison divine, une influence si puissante : supprimez-la et tout s’effondre. Et de même qu’une maison ou un État paraissent conçus sans ordre et sans rigueur si les actions droites n’y sont pas récompensées ni les fautes châtiées, de même le monde est assurément dépourvu de gouvernement divin, du moins à l’égard des hommes, s’il ne s’y fait aucune distinction entre les bons et les méchants.

XXXIV 83 ❖ Diogenes quidem Cynicus dicere solebat Harpalum, qui temporibus illis praedo felix habebatur, contra deos testimonium dicere quod in illa fortuna tam diu uiueret. Dionysius, de quo ante dixi, cum fanum Proserpinae Locris expilauisset nauigabat Syracusas ; isque cum secundissimo uento cursum teneret ridens, “Videtisne, inquit, amici, quam bona a dis inmortalibus nauigatio sacrilegis detur ?” Atque homo acutus cum bene planeque percepisset in eadem sententia perseuerabat. Qui cum ad Peloponnesum classem appulisset et in fanum uenisset Iouis Olympii aureum ei detraxit amiculum grandi pondere quo Iouem ornarat e manubiis Carthaginiensium tyrannus Gelo atque in eo etiam cauillatus est aestate graue esse aureum amiculum, hieme frigidum eique laneum pallium iniecit cum id esse ad omne anni tempus diceret. Idemque Aesculapi Epidauri barbam auream demi iussit ; neque enim conuenire barbatum esse filium cum in omnibus fanis pater imberbis esset. [+] 84 Iam mensas argenteas de omnibus delubris iussit auferri, in quibus quod more ueteris Graeciae inscriptum esset “bonorum deorum” uti se eorum bonitate uelle dicebat. Idem Victoriolas aureas et pateras coronasque quae simulacrorum porrectis manibus sustinebantur sine dubitatione tollebat eaque se accipere, non auferre dicebat ; esse enim stultitiam a quibus bona precaremur ab iis porrigentibus et dantibus nolle sumere. Eundemque ferunt haec quae dixi sublata de fanis in forum protulisse et per praeconem uendidisse exactaque pecunia edixisse ut quod quisque a sacris haberet id ante diem certam in suum quicque fanum referret. Ita ad impietatem in deos in homines adiunxit iniuriam. XXXV Hunc igitur nec Olympius Iuppiter fulmine percussit nec Aesculapius misero diuturnoque morbo tabescentem interemit atque in suo lectulo mortuus in tyrannidis rogum inlatus est eamque potestatem quam ipse per scelus erat nanctus quasi iustam et legitimam hereditatis loco filio tradidit. [+] 85 Inuita in hoc loco uersatur oratio, uidetur enim auctoritatem adferre peccandi. Recte uideretur nisi et uirtutis et uitiorum sine ulla diuina ratione graue ipsius conscientiae pondus esset ; qua sublata iacent omnia. Vt nec domus nec res publica ratione quadam et disciplina dissignata uideatur si in ea nec recte factis praemia extent ulla nec supplicia peccatis sic mundi diuina in homines moderatio profecto nulla est si in ea discrimen nullum est bonorum et malorum. [+]

86 “Mais les dieux négligent les petites choses et ne se soucient pas des lopins de terre ni des petites vignes. Si la nielle ou la grêle ont causé des dommages à quelqu’un, Jupiter n’a pas à le prendre en considération ; même dans les royaumes les rois ne s’occupent pas de tous les détails.” Telles sont vos paroles104 ; comme si moi-même, tout à l’heure, parlant de Publius Rutilius, j’avais déploré la perte de sa terre de Formies et non pas celle de ses droits civiques ! XXXVI Tous les mortels considèrent que les avantages extérieurs comme les vignes, les champs de blé, les oliveraies, les belles récoltes de céréales et de fruits, en un mot tout ce qui fait l’agrément et la prospérité de leur vie, leur vient des dieux : mais personne n’a jamais pensé être redevable à un dieu de la vertu. 87 Cette appréciation est juste, assurément, car c’est pour notre vertu que nous recevons des éloges légitimes et c’est de notre vertu que nous sommes fiers, à juste titre : cela n’arriverait pas si nous tenions ce don d’un dieu, et non pas de nous-mêmes. Mais quand nous recevons de nouvelles charges honorifiques ou que notre patrimoine s’accroît, ou si quelque bonne aubaine nous échoit, ou si nous avons évité quelque malheur, alors nous remercions les dieux et nous ne pensons pas qu’il y ait de quoi nous attribuer le mérite. Qui a jamais remercié les dieux de ce qu’il était un homme de bien ? Mais on les remercie d’être riche, honoré, sain et sauf. On donne à Jupiter les titres de “Très bon” et “Très grand” non pas parce qu’il nous rend justes, tempérants et sages, mais parce qu’il nous garde sains et saufs, riches et opulents. 88 Et personne n’a jamais fait vœu de payer la dîme à Hercule, au cas où il deviendrait sage ! – on dit pourtant que Pythagore, ayant découvert un nouveau théorème de géométrie, immola un bœuf aux Muses : mais à vrai dire, je n’en crois rien, puisqu’il n’a même pas voulu, à Délos, immoler une victime à Apollon, pour ne pas répandre du sang sur l’autel105. Mais, pour en revenir à mon propos, tous les mortels sont de cet avis : il faut demander à dieu les biens de la fortune mais chercher en soi-même la sagesse. On peut bien consacrer des sanctuaires à l’Intelligence, à la Vertu, à la Bonne Foi : nous voyons bien que ces qualités résident en nous-mêmes. Ce qu’il faut demander aux dieux, c’est la possibilité d’espérer, d’être sauvés, secourus, victorieux. Ainsi donc, la prospérité et les succès des méchants sont un argument, comme le disait Diogène, pour rejeter entièrement la notion de force et de pouvoir divins.

86 “At enim minora di neglegunt neque agellos singulorum nec uiticulas persequuntur nec, si uredo aut grando cuipiam nocuit id Ioui animaduertendum fuit ; ne in regnis quidem reges omnia minima curant” : sic enim dicitis. Quasi ego paulo ante de fundo Formiano P. Rutili sim questus, non de amissa salute. XXXVI Atque hoc quidem omnes mortales sic habent externas commoditates, uineta, segetes, oliueta, ubertatem frugum et fructuum, omnem denique commoditatem prosperitatemque uitae a dis se habere ; uirtutem autem nemo umquam acceptam deo rettulit. [+] 87 Nimirum recte ; propter uirtutem enim iure laudamur et in uirtute recte gloriamur ; quod non contingeret si id donum a deo, non a nobis haberemus. At uero aut honoribus aucti aut re familiari aut si aliud quippiam nacti sumus fortuiti boni aut depulimus mali, tum dis gratias agimus, tum nihil nostrae laudi adsumptum arbitramur. Num quis quod bonus uir esset gratias dis egit umquam ? At quod diues, quod honoratus, quod incolumis, Iouemque optimum et maximum ob eas res appellant, non quod nos iustos, temperatos, sapientes efficiat sed quod saluos, incolumis, opulentos, copiosos. [+] 88 Neque Herculi quisquam decumam uouit umquam si sapiens factus esset ! Quamquam Pythagoras, cum in geometria quiddam noui inuenisset, Musis bouem immolauisse dicitur ; sed id quidem non credo quoniam ille ne Apollini quidem Delio hostiam immolare uoluit ne aram sanguine aspergeret. Ad rem autem ut redeam, iudicium hoc omnium mortalium est, fortunam a deo petendam, a se ipso sumendam esse sapientiam. Quamuis licet Menti delubra et Virtuti et Fidei consecremus, tamen haec in nobis ipsis sita uidemus ; spei, salutis, opis, uictoriae facultas a dis expetenda est. Improborum igitur prosperitates secundaeque res redarguunt, ut Diogenes dicebat, uim omnem deorum ac potestatem.

XXXVII 89 “Mais les gens de bien connaissent parfois des succès” : oui, certes, et nous nous saisissons aussitôt de ces cas pour les attribuer sans raison aux dieux. Quand Diagoras, celui qu’on surnomme l’“Athée”, vint à Samothrace, un ami lui dit :

XXXVII 89 “At non numquam bonos exitus habent boni.” Eos quidem arripimus adtribuimusque sine ulla ratione dis immortalibus. At Diagoras cum Samothracam uenisset, Atheus ille qui dicitur, atque ei quidam amicus :

Toi qui penses que les dieux ne se soucient pas des affaires des hommes, n’es-tu pas frappé par ces tableaux votifs, si nombreux, qui témoignent que beaucoup de gens ont échappé à la violence de la tempête et sont arrivés au port sains et saufs, grâce à leurs vœux ?
C’est vrai, répondit Diagoras, car on ne trouve nulle part les portraits peints de ceux qui ont fait naufrage et péri en mer106.
Tu qui deos putas humana neglegere, nonne animaduertis ex tot tabulis pictis quam multi uotis uim tempestatis effugerint in portumque salui peruenerint ?
Ita fit, inquit, illi enim nusquam picti sunt qui naufragia fecerunt in marique perierunt.

Une autre fois, au cours d’une traversée, les membres de l’équipage, effrayés par la tempête et perdant courage, dirent à Diagoras qu’ils méritaient leur malheur, puisqu’ils l’avaient admis à leur bord : il leur montra alors beaucoup d’autres bateaux en difficulté sur le même itinéraire et leur demanda s’ils pensaient qu’il y avait aussi un Diagoras à bord de ces navires. Les choses se passent ainsi : la fortune est bonne ou mauvaise, sans tenir aucun compte de ce qu’on est ou de la vie qu’on a menée.

Idemque, cum ei nauiganti uectores aduersa tempestate timidi et perterriti dicerent non iniuria sibi illud accidere qui illum in eandem nauem recepissent, ostendit eis in eodem cursu multas alias laborantis quaesiuitque num etiam in iis nauibus Diagoram uehi crederent. Sic enim res se habet ut ad prosperam aduersamue fortunam qualis sis aut quem ad modum uixeris nihil intersit.

90 “Les dieux ne prêtent pas attention à tout ; les rois non plus.” Où est la ressemblance ? Si les rois négligent sciemment quoi que ce soit, ils commettent une lourde faute ; XXXVIII mais un dieu ne peut même pas avoir l’excuse de l’ignorance. Et quelle remarquable manière de le défendre que de dire que la puissance divine garantit que, si un coupable a échappé par la mort au châtiment de son crime, ce châtiment retombe sur ses enfants, ses petits-enfants, ses descendants ! Admirable équité des dieux ! Un État permettrait-il que le législateur condamne de cette façon le fils ou le petit-fils pour la faute du père ou du grand-père ?

90 “Non animaduertunt, inquit, omnia di ; ne reges quidem.” Quid est simile ? Reges enim si scientes praetermittunt, magna culpa est ; XXXVIII at deo ne excusatio quidem est inscientiae. Quem uos praeclare defenditis cum dicitis eam uim deorum esse ut etiam si quis morte poenas sceleris effugerit expetantur eae poenae a liberis, a nepotibus, a posteris. O miram aequitatem deorum ! Ferretne ciuitas ulla latorem istius modi legis ut condemnaretur filius aut nepos si pater aut auus deliquisset ?

Quand mettra-t-on un terme à l’extermination des Tantalides ? Quel châtiment pour la mort de Myrtilos pourra un jour rassasier l’appétit de vengeance* ?
Quinam Tantalidarum internecioni modus
paretur aut quaenam umquam ob mortem Myrtili
poenis luendis dabitur satias supplici* ? [+]

91 Les poètes ont-ils corrompu les stoïciens ou les stoïciens ont-ils prêté aux poètes leur autorité ? Je ne saurais le dire parce que les uns et les autres racontent des histoires prodigieuses et scandaleuses. La victime des iambes d’Hipponax ou celui qu’avaient blessé les vers d’Archiloque ne portait pas en son sein une douleur envoyée par un dieu107 : c’est en lui-même qu’elle avait pris naissance. Quand nous voyons la passion d’Égisthe ou de Pâris, nous n’allons pas en chercher la cause chez un dieu, parce que nous entendons pour ainsi dire la voix de leur faute. Pour ma part, je considère que la guérison de nombreux malades est due à Hippocrate plutôt qu’à Esculape et je ne dirai jamais que la législation des Lacédémoniens a été donnée à Sparte par Apollon plutôt que par Lycurgue108. C’est Critolaus, dis-je, qui a détruit Corinthe109, et Asdrubal qui a détruit Carthage ; ce sont ces deux hommes qui ont extrait ces deux joyaux du littoral, et non pas un dieu en colère, puisque dieu, selon vous, est parfaitement incapable de se mettre en colère. 92 Il aurait pu en tout cas secourir des villes si grandes et si belles. XXXIX Vous dites vous-mêmes, en effet, qu’il n’y a rien qu’un dieu ne puisse faire, et cela sans se donner aucun mal ; car de même que les membres de l’homme sont mus sans effort, simplement par son esprit et sa volonté, de même le pouvoir des dieux est capable de façonner, de mouvoir et de changer toutes choses. Et cela, vous ne le soutenez pas en vertu d’une superstition ou à la manière d’une vieille femme crédule, mais en vous fondant sur une doctrine physique cohérente : la matière qui constitue et contient toutes choses est, dites-vous, tout entière si modifiable et susceptible de changements qu’il n’est rien qui ne puisse être façonné et modifié à partir d’elle, même en un instant, et c’est la providence divine qui façonne et ordonne l’ensemble de cette matière. C’est pourquoi, où qu’elle se déplace, elle peut accomplir tout ce qu’elle veut. Dans ces conditions, ou bien elle ne connaît pas son pouvoir ou bien elle ne se soucie pas des affaires humaines ou bien elle est incapable de juger ce qui vaut le mieux pour nous. 93 “Elle ne veille pas sur les hommes pris individuellement”, répondez-vous. Cela ne m’étonne pas puisqu’elle ne veille pas non plus sur les cités ; et non seulement cela mais elle ne veille pas davantage sur les nations et les peuples ! Or si elle les méprise, quoi d’étonnant à ce qu’elle méprise l’ensemble du genre humain ? Mais comment pouvez-vous dire à la fois que les dieux ne prêtent pas attention à tout et prétendre que les songes sont envoyés aux hommes et répartis entre eux par les dieux immortels110 ? – je discute ce point avec toi parce que votre école admet la vérité des songes. Et comment pouvez-vous dire aussi qu’il convient de faire des vœux ? Car chacun, n’est-ce pas, fait des vœux pour son compte : donc l’esprit de dieu accepte d’entendre même les requêtes individuelles. Vous voyez donc qu’il n’est pas si occupé que vous le pensiez. Admettons qu’il soit occupé entre diverses tâches : faire tourner le ciel, veiller sur la terre, contrôler les mers ; pourquoi permet-il que tant de dieux restent inactifs et se reposent ? Pourquoi ne prépose-t-il pas quelques dieux oisifs au gouvernement des affaires humaines, puisqu’ils sont innombrables comme tu nous l’as expliqué, Balbus. Voilà à peu près ce que j’avais à dire sur la nature des dieux, non pas pour la réduire à néant mais pour vous faire comprendre à quel point elle est obscure et combien il est difficile d’en rendre compte. »

91 Vtrum poetae Stoicos deprauarint an Stoici poetis dederint auctoritatem non facile dixerim ; portenta enim ab utrisque et flagitia dicuntur. Neque enim quem Hipponactis iambus laeserat aut qui erat Archilochi uersu uolneratus a deo immissum dolorem, non conceptum a se ipso continebat, nec cum Aegisthi libidinem aut cum Paridis uidemus a deo causam requirimus cum culpae paene uocem audiamus, nec ego multorum aegrorum salutem non ab Hippocrate potius quam ab Aesculapio datam iudico nec Lacedaemoniorum disciplinam dicam umquam ab Apolline potius Spartae quam a Lycurgo datam. Critolaus, inquam, euertit Corinthum, Carthaginem Hasdrubal ; hi duo illos oculos orae maritumae effoderunt, non iratus aliqui – quem omnino irasci posse negatis – deus. 92 ❖ At subuenire certe potuit et conseruare urbis tantas atque talis ; XXXIX uos enim ipsi dicere soletis nihil esse quod deus efficere non possit et quidem sine labore ullo ; ut enim hominum membra nulla contentione mente ipsa ac uoluntate moueantur sic numine deorum omnia fingi, moueri, mutarique posse. Neque id dicitis superstitiose atque aniliter sed physica constantique ratione ; materiam enim rerum ex qua et in qua omnia sint totam esse flexibilem et commutabilem ut nihil sit quod non ex ea quamuis subito fingi conuertique possit, eius autem uniuersae fictricem et moderatricem diuinam esse prouidentiam ; haec igitur quocumque se moueat, efficere posse quicquid uelit. Itaque aut nescit quid possit aut neglegit res humanas aut quid sit optimum non potest iudicare. [+] 93 “Non curat singulos homines.” Non mirum : ne ciuitates quidem. Non eas ; ne nationes quidem et gentis. Quod si has etiam contemnet, quid mirum est omne ab ea genus humanum esse contemptum ? Sed quo modo idem dicitis non omnia deos persequi, idem uoltis a diis inmortalibus hominibus dispertiri ac diuidi somnia (idcirco haec tecum quia uestra est de somniorum ueritate sententia) atque idem etiam uota suscipi dicitis oportere ? Nempe singuli uouent ; audit igitur mens diuina etiam de singulis ; uidetis ergo non esse eam tam occupatam quam putabatis. Fac esse distentam, caelum uersantem, terram tuentem, maria moderantem ; cur tam multos deos nihil agere et cessare patitur ? Cur non rebus humanis aliquos otiosos deos praeficit qui a te, Balbe, innumerabiles explicati sunt ? Haec fere dicere habui de natura deorum non ut eam tollerem sed ut intellegeretis quam esset obscura et quam difficiles explicatus haberet. [+]

XL 94 Après ces paroles Cotta se tut. Lucilius dit alors : « Tu as été bien violent, Cotta, dans ton attaque contre la doctrine de la providence des dieux que les stoïciens ont élaborée avec tant de piété et de sagesse. Mais puisque le soir commence à tomber, tu nous accorderas bien un autre jour pour réfuter tes arguments. Je dois en effet combattre contre toi pour défendre nos autels et nos foyers, pour les temples et les sanctuaires des dieux et pour les murs de la cité qui selon vous, pontifes, sont sacrés, vous qui mettez plus de zèle à circonscrire la cité par l’ensemble de ses pratiques religieuses que par ses remparts mêmes. Abandonner leur défense sera pour moi sacrilège, tant que je respirerai. »

XL 94 Quae cum dixisset Cotta finem. Lucilius autem « Vehementius, inquit, Cotta tu quidem inuectus es in eam Stoicorum rationem quae de prouidentia deorum ab illis sanctissume et prudentissume constituta est. Sed quoniam aduesperascit dabis nobis diem aliquem ut contra ista dicamus. Est enim mihi tecum pro aris et focis certamen et pro deorum templis atque delubris proque urbis muris, quos uos pontifices sanctos esse dicitis diligentiusque urbem religione quam ipsis moenibus cingitis ; quae deseri a me, dum quidem spirare potero, nefas iudico. » [+]

95 Cotta répondit : « Je souhaite vraiment que tu me réfutes, Balbus : j’ai préféré enchaîner les différents points de mon exposé plutôt que de les passer au crible et je suis bien certain que tu pourras facilement me battre. »

95 Tum Cotta : « Ego uero et opto redargui me, Balbe, et ea quae disputaui disserere malui quam iudicare et facile me a te uinci posse certo scio. »

« Bien sûr, dit Velléius, puisque Balbus pense que Jupiter nous envoie aussi les songes, qui sont pourtant moins inconsistants que l’exposé des stoïciens sur les dieux. »

« Quippe, inquit Velleius, qui etiam somnia putet ad nos mitti ab Ioue, quae ipsa tamen tam leuia non sunt quam est Stoicorum de natura deorum oratio. »

À ces mots, nous nous sommes séparés : pour Velléius, la réfutation de Cotta était la plus vraie, pour moi, l’exposé de Balbus était le plus proche de la vraisemblance111.

Haec cum essent dicta ita discessimus ut Velleio Cottae disputatio uerior, mihi Balbi ad ueritatis similitudinem uideretur esse propensior. [+]

~

1.

Sur la méthode revendiquée par Cotta, voir Introduction, « Première contribution au débat : exposé et réfutation de la doctrine épicurienne – Livre 1, § 57-123 ».

2.

Sur le soupçon, déjà formulé en 1, 85 et 1, 123, qu’Épicure serait un « athée » qui se cache, voir Introduction, « Première contribution au débat : exposé et réfutation de la doctrine épicurienne – Livre 1, § 57-123 ».

3.

Le choix entre les deux procédures de réfutation est également proposé par Cicéron au représentant de l’épicurisme en Fin., 2, 17-18.

4.

Tibérius Coruncanius a été mentionné (ainsi que Publius Scévola) en 1, 115 et en 2, 165 (voir 1, 115, note 101 et 2, 165, note 132) ; Publius Scipion Nasica Corculum, qui devint grand pontife en 150, est loué, avec Scévola et Laélius, pour sa profonde connaissance du droit dans le De oratore, 3, 134.

5.

Caius Laélius, cité en 2, 165, prononça en 145, alors qu’il était préteur, un discours De collegiis (mentionné dans Brutus, 83), dans lequel il s’opposait à la proposition du tribun C. Licinius Crassus de faire élire par le peuple les membres des collèges de prêtres (voir également 3, 43).

6.

La division de la religion en rites, auspices et interprétation des signes, également proposée dans le De legibus (2, 20), est parallèle à celle qui est attribuée à Varron dans ses Antiquités divines par Augustin (Aug. Ciu., 6, 3), où il traite en trois livres distincts des Pontifes, des Augures et des Quindecimvirs (le collège des interprètes des Livres sibyllins).

7.

Sur la tradition qui fait de Numa le fondateur des institutions romaines, après que Romulus a fondé la ville en prenant les auspices, voir Tite-Live, 1, 18-20.

8.

Sur les quatre points de l’exposé de Balbus, voir 2, 3 et Introduction, « La première version et ses limites ».

9.

Cotta reprend, à partir de la citation d’Ennius que Balbus a faite en 2, 4, les arguments successivement énoncés jusqu’à 2, 12.

10.

Cotta conteste l’argument tiré du consensus (récapitulé en 2, 12) en faisant allusion au paradoxe stoïcien « tous les non-sages sont fous » (voir Paradoxa Stoicorum, 4).

11.

Sur tous ces exemples, voir 2, 6 et notes.

12.

Marcus Porcius Cato, âgé environ de 65 ans à l’époque de la défaite de Persée (168), avait encore un rôle actif au Sénat, comme Cicéron le lui fait dire dans le De Senectute (18).

13.

Le temple fut dédié en 485 par le fils d’Aulus Postumius, portant le même nom que son père (Tite-Live, 2, 42, 5).

14.

Le proverbe est attesté dans la Souda, s. u. alèthestera (Adler 1928-1938, A 1173).

15.

Voir 1, 55 et note 56.

16.

Voir 2, 9 et note 11.

17.

Sur les Décii, voir 2, 10 et note 14.

18.

Cette citation de Cléanthe est donnée en 2, 13-15.

19.

Sur le plan de réfutation annoncé ici, voir Introduction, « Le second plan de réfutation de Cotta (livre 3, § 16-18) ».

20.

Sur cette indication temporelle, voir Introduction, note 7.

21.

Des livres Sur le destin et Sur la divination sont mentionnés par Diogène Laërce (DL, 7, 149).

22.

Voir 2, 45.

23.

L’argumentation de Cotta, jusqu’au paragraphe 23 inclus, a un parallèle dans celle que reproduit Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 104-110) : après avoir opposé à Zénon le texte du Timée (29d-30b), il donne ensuite la critique adressée par le Mégarique Alexinus à l’argument de Zénon (exposé par Balbus en 2, 21) ; voir Introduction, note 103.

24.

Le détroit de l’Euripe, entre l’Eubée et la Béotie, avait la réputation de changer sept fois par jour la direction de son flot (Strabon, 1, 3, 12 ; 9, 2, 8 ; Pline, Nat. hist., 2, 219).

25.

Sur l’étude des marées entreprise par Posidonius, voir Strabon, 5, 8-9.

26.

L’adjectif uersutus (habile) est rattaché au verbe uerso (remuer, tourner souvent) ; l’adjectif callidus (exercé) est rattaché au verbe concallesco (prendre du cal).

27.

Sur cette présentation de l’argument de Chrysippe (reprise par Lactance : Lact. Ir., 10, 36), voir Introduction, note 129.

28.

Reprise des deux arguments successivement présentés en 2, 16b et 2, 17.

29.

Le développement annoncé n’apparaît pas dans le texte transmis ; voir Introduction, « Le second plan de réfutation de Cotta (livre 3, § 16-18) ».

30.

Voir 2, 18.

31.

Cette musique des sphères est décrite dans le Songe de Scipion, au livre 6 de la République (18-19). L’harmonia pourrait désigner ici, comme le substantif grec qu’elle transcrit, l’accord d’octave (Platon, Respublica, 617b ; Philolaos, in DK, B 6).

32.

Voir 2, 57.

33.

La conception de la sympathie a été évoquée en 2, 19 sans l’emploi du terme grec.

34.

Les objections de Carnéade qui sont utilisées jusqu’au paragraphe 44 sont présentées sous une forme beaucoup plus développée et dans un ordre différent, par Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 138-181) ; voir Introduction, « La réfutation de Cotta au livre 3 ».

35.

L’exemple de la cire ne figure pas dans Sext. Math. ; voir Arist. Phys., 7, 245b 9-13.

36.

Cotta renvoie ici aux arguments présentés par Balbus en 2, 23-32 et pour une grande part attribués à Cléanthe sans que le nom d’Héraclite soit mentionné ; voir Introduction, « La réfutation de Cotta au livre 3 ».

37.

La réputation d’obscurité d’Héraclite est évoquée en 1, 74 (voir note 71).

38.

Le « souffle (de vie) » traduit le substantif anima sans pouvoir rendre en français le lien étymologique que rappelle Cotta en dérivant animans (être animé) et animal de anima (voir également Tusc., 1, 19 ; 21 ; 40 ; 42).

39.

Les objections formulées dans ce paragraphe sont développées dans l’exposé de Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 152-177). Sur la définition des vertus selon les stoïciens, voir DL, 7, 92-93. Sur la conception de la justice issue des liens établis par les hommes entre eux, voir 1, 4 et Off., 1, 50.

40.

Les Syriens honoraient des divinités mi-homme mi-poisson : Atargatis, Dagon, Éa (Diodore, 2, 4).

41.

Allusion à la transformation d’Ino en Néréide, sous le nom de Leucothée, après qu’elle se fut jetée dans la mer avec son fils (Homère, Odysssea, 5, 333-335 ; Ovide, Metamorphoses, 4, 519-542).

42.

La contradiction relevée entre la croyance en l’immortalité d’Hercule et sa présence aux Enfers dans l’Odyssée (XI, 601-604) introduit un développement sur les dieux homonymes qui commence au paragraphe 42 et se poursuit des paragraphes 53 à 60. Sur ce « catalogue », voir Introduction, note 109.

43.

Sur la querelle d’Hercule avec Apollon, voir Hygin, Fabulæ, 32 ; sur l’Hercule égyptien, voir Hérodote, 2, 43 ; sur l’Hercule qui fait partie des Dactyles, démons crétois ou phrygiens, voir Diodore, 3, 74, 4 ; 5, 64, 6 ; sur l’Hercule de Tyr, voir Hérodote, 2, 44 ; Belus est la forme latinisée du mot sémitique signifiant « seigneur », Baal (Pline, Nat. hist., 6, 16) ; sur l’Héraclès honoré en Inde, voir Diodore, 2, 39, 1.

44.

Allusion au discours de Lélius évoqué en 3, 5.

45.

Cotta utilise, jusqu’au paragraphe 52 inclus, l’argument appelé le « sorite » que Carnéade (mentionné au paragraphe 44) a développé (voir le parallèle dans Sext. Math., 9, 182-190 et Introduction, « La réfutation de Cotta au livre 3 »). La traduction « Si ceux-là sont des dieux » reprend l’émendation proposée par Girard 1983.

46.

Sur la découverte de l’olive par Aristée, voir Verr., 4, 128 et Diodore, 4, 81, 2.

47.

Sur les temples consacrés à Achille, voir Pausanias, 3, 20, 8 ; 3, 24, 5. Astypalée est une île des Cyclades.

48.

Cotta rattache la vieille divinité Fur(r)ina, mal connue des Romains (Varron, LL, 6, 19) aux Furies – selon une étymologie qui n’est pas attestée ailleurs.

49.

La déesse Natio, « Naissance » (du verbe nascor, « naître »), n’est mentionnée que dans ce texte ; le territoire d’Ardée est situé dans le Latium au sud-ouest de Rome.

50.

Voir 2, 61 ; sur l’interprétation de Moneta, épithète de Junon, d’après le verbe monere (avertir), voir Diu., 1, 101.

51.

Le nom d’Égialée est attesté chez Pacuvius (Medus, XXIV, in Ribbeck 1871-1873, vol. I, 107) et chez Diodore (4, 45, 3).

52.

Cotta fait allusion à une réclamation adressée par les habitants d’Oropos, ville de Béotie où se trouvait un sanctuaire d’Amphiaraos (voir 2, 7) : ils contestaient la légitimité des taxes auxquelles prétendaient les soumettre les publicains romains. Cette réclamation, datée de 73, est donc postérieure à la date retenue pour la mise en scène du dialogue mais Cicéron est au nombre des sénateurs qui rédigèrent le sénatus-consulte comme l’atteste le document gravé (Petrákos 1997). Trophonios avait un sanctuaire à Lébadée où l’on venait consulter ses oracles.

53.

Sur le sacrifice que fit Codros, légendaire roi de l’Attique, pour sauver son pays, voir Tusc., 1, 116 où est également mentionné le sacrifice d’Érechthée et de ses filles comme dans le paragraphe suivant.

54.

Le sanctuaire Léocorion était considéré comme celui des filles de Léos, qui se seraient sacrifiées pour sauver leur peuple de la famine ou de la peste (voir Diodore, 17, 15, 2 ; Pausanias, 1, 5, 2).

55.

Stratonicus, joueur de cithare du IVe siècle (410-360), était également célèbre pour ses bons mots, dont beaucoup sont cités dans les Deipnosophistes d’Athénée (8, 348d-352c).

56.

Le nom du père d’Iris, Thaumas, est rattaché au verbe grec thaumazein, « s’étonner / admirer ». Je rajoute pour la clarté le nom propre Iris dans la traduction : le latin l’évoque seulement sous sa forme d’arc-en-ciel.

57.

Les Centaures seraient nés d’Ixion et d’un nuage auquel Zeus avait donné la forme d’Héra (Pindare, Pythia, 2, 21-44).

58.

Les tempêtes (Tempestates) avaient un temple près de la Porte Capène que L. Cornélius Scipion avait voué en 259 au cours d’une guerre navale contre les Corses.

59.

L’étymologie de Cérès est proposée en 2, 67 ; Tellus avait un temple sur l’Esquilin depuis 268 ; sur les fêtes en l’honneur de Cérès et Tellus, voir Ovide, Fastes, 1, 671-704.

60.

C. Papirius Maso dédia le temple après sa victoire sur les Corses en 231 ; la divinité du Tibre est bien attestée mais les noms de Spino, d’Anémo et de Nodinus n’apparaissent que dans ce texte.

61.

Le mot latin theologi, attesté pour la première fois ici, calque le grec theologoi qui désigne les poètes et cosmologistes (Arist. Met., 12, 1071b 27).

62.

Cotta va énumérer successivement, jusqu’au paragraphe 60 inclus, trois Jupiter, trois groupes de Dioscures, trois groupes de Muses, cinq Soleil, quatre Vulcain, cinq Mercure, trois Esculape, quatre Apollon, trois Diane, cinq Dionysos, quatre Vénus, cinq Minerve et trois Cupidon. Sur les sources de cette érudition, voir Introduction, note 109.

63.

Sur l’origine arcadienne de Zeus, voir Callimaque, Hymnes, 1, 6-7 ; sur son origine crétoise, voir Hésiode, Theogonia, 477-479.

64.

Anaktes signifie « roi / chef » en grec et qualifie aussi bien Zeus qu’Apollon. C’est sous ce nom que les Dioscures étaient honorés en Attique (Plutarque, Theseus, 33, 2). Les noms du troisième groupe ne sont pas mentionnés ailleurs en rapport avec les Dioscures.

65.

Les Muses sont au nombre de neuf dans Hésiode (Theogonia, 75-79) : elles ont les mêmes noms que les Piérides (Pausanias, 9, 29, 4).

66.

Voir 2, 68 pour le rapprochement Sol / solus. La ville d’Héliopolis, au nord-est du Caire, était consacrée au dieu-soleil Râ (Hérodote, 2, 3, 1).

67.

L’identification de Mercure à Trophonios (divinité oraculaire mentionnée en 3, 49 dont la consultation exigeait une « catabase » sous terre) peut sans doute s’expliquer par leur commune association avec le monde d’en bas ; sur l’assimilation d’Hermès avec le dieu égyptien Theuth, voir Diodore, 1, 16, 1. Les manuscrits ne transmettent pas la forme Theuth mais Theyn et Thein ; Lactance a la forme Thoyth.

68.

L’invention de la sonde et la pratique de l’extraction de dents sont également attribuées à Esculape par Jean le Lydien (De mensibus, 4, 142) ; sur le tombeau d’Esculape en Arcadie, voir Pausanias, 5, 7, 1 ; 8, 28, 2.

69.

Sur les Hyperboréens, mythique peuplade de l’Extrême-Nord, voir Hérodote, 4, 36 ; l’épithète Nomion qualifie couramment Apollon comme « protecteur des pâtres et des troupeaux » (du substantif grec nomè, « pâturage / action de paître »). L’explication que donne ici Cotta rattache ce nom à nomos, « la loi ».

70.

Sur la tradition qui fait de Diane la mère de Cupidon, voir Pausanias, 9, 27 ; l’ascendance de la troisième Diane est obscure parce que le nom d’Oupis est féminin et que Glaucé est inconnue.

71.

Sur l’identification de Sabazios, dieu phrygien, avec Dionysos, voir Diodore, 4, 4, 1 ; sur les rites orphiques consacrés à Dionysos, voir Diodore, 3, 65, 6 ; sur les fêtes des Triétérides, festival thébain organisé un an sur deux, voir Diodore, 4, 3, 2.

72.

Le temple d’Aphrodite à Élis était réputé pour la statue chryséléphantine qu’avait réalisée Phidias (Pausanias, 6, 25) ; sur la naissance d’Aphrodite née de l’écume (aphros), voir Hésiode, Theogonia, 176-200 ; Astarté, déesse associée à Adonis, était honorée en Phénicie puis à Chypre.

73.

Le lien entre Athéna (Minerve) et la divinité fondatrice de Saïs est évoqué par Platon (Timaeus, 21e) ; à Saïs se trouvait un sanctuaire d’Athéna (Hérodote, 2, 59). Koria (de coré, « jeune fille ») désigne Athéna comme « protectrice des jeunes filles » ; l’invention des quadriges est généralement attribuée à Érichtonius (Virgile, Georgica, 3, 113-114 ; Hygin, De astronomia, 2, 13).

74.

La digression est signalée en 3, 43.

75.

Sur les nombreux sanctuaires de Fortune à Rome, voir Plutarque, Quaestiones romanae, 74, 281d-f.

76.

Voir 2, 63-69 et notes (ainsi que Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 45-72 »).

77.

Le temple de la Fièvre et celui de la Mauvaise Fortune sont condamnés dans la réforme religieuse que propose Cicéron (Leg., 2, 28) ; le nom d’Orbona, inséré dans le texte depuis l’édition de 1494, d’après l’indication fournie par Pline (Nat. hist., 2, 15-16), est celui d’une déesse invoquée pour écarter la perte d’enfants (orbus signifie « privé de »).

78.

Voir 2, 71.

79.

Il ne reste rien des réponses stoïciennes auxquelles fait allusion Cotta avant le De prouidentia de Sénèque ; voir Introduction, note 112.

80.

Voir Sophocle, Trachiniae, v. 555-632.

81.

L’exemple de Jason de Phères (qui régna sur cette ville de Thessalie à partir de 380) est également mentionné, dans un contexte similaire, par Sénèque (De beneficiis, 2, 18, 8).

82.

On ne sait rien de cet incendie, ni de Quintus Sosius ; il y avait plusieurs entrepôts d’archives à Rome (tabularia) dont l’un près du temple de Saturne sur le Capitole.

83.

On ne sait rien de ce personnage, dont le nom est attesté par le seul manuscrit B : les autres donnent les formes asenus / aienus.

84.

Après s’être emparé de Toulouse en 106, le consul Q. Servilius Caepio prit l’or qui se trouvait dans les temples (Dion Cassius, 27, 90).

85.

Voir Salluste, De bello Iugurthino, 40.

86.

Lucius Hostilius Tubulus, préteur en 142, reçut ouvertement de l’argent d’un accusé et s’empoisonna pour ne pas avoir à comparaître. Il est mentionné dans la citation de Lucilius en 1, 63.

87.

Sextus Peducaeus, tribun de la plèbe, intenta en 113 une action contre trois Vestales accusées de n’avoir pas conservé leur chasteté.

88.

La nouvelle législation de Sylla (les leges Corneliae de 78) instaura de nouvelles lois de repetundis, de maiestate, de sicariis et ueneficiis et créa deux nouvelles quaestiones avec les lois de falsis et de iniuriis.

89.

Sur cette formule d’action voir Gaius, 3, 202 ; 4, 37.

90.

Les manuscrits donnent le texte lege letoria, corrigé en lege Plaetoria par Heindorf (1815) ; cette correction peut se fonder sur l’inscription d’Héraclée mais la graphie Plaetoria y résulte d’une faute de gravure (Crawford 1996, vol. I, 386). On connaît en revanche au moins deux représentants de la gens plébéienne Laetoria (un préteur en 210 et un édile de la plèbe en 202).

91.

Caius Aquillius Gallus, disciple du grand juriste Q. Mucius Scévola, fut collègue de Cicéron pendant sa préture (66).

92.

Les fables tragiques de Phaéton et de Thésée illustrent, dans le De officiis (3, 94), le cas où il ne convient pas d’honorer ses promesses.

93.

Sur ce philosophe, voir 1, 37 et note 45 ; sur Aristippe, disciple de Socrate, fondateur de l’école cyrénaïque, voir DL, 2, 65-104.

94.

Sur cette contradiction, voir Plutarque, De Stoicorum repugnantiis, 31, 1098d-f.

95.

Les deux Scipion, père et oncle de Scipion l’Africain, sont morts en 211 (Tite-Live, 25, 32) ; Fabius Maximus Cunctator fit l’oraison funèbre de son fils, consul en 213 (De senectute, 12) ; Claudius Marcellus est mort en 208 à Venouse (Tite-Live, 27, 27) et Aemilus Paulus mourut à la bataille de Cannes en 216. Sur les tortures subies par Atilius Regulus, prisonnier des Carthaginois, qui semblent une création de l’historiographie plus récente (parce que Polybe n’en fait pas mention), voir Fin., 2, 65 ; Off., 3, 99-100. Scipion Émilien (l’Africain) mourut en 129 (voir 2, 14) et sa femme, sœur de Tib. Gracchus, fut soupçonnée.

96.

Publius Rutilius Rufus, oncle du côté maternel de Cotta, accusé de concussion en 92, s’exila à Smyrne ; M. Livius Drusus, tribun de la plèbe en 91, proposa des lois qui menaçaient le pouvoir des membres de l’ordre équestre. Il fut peu après assassiné. Scévola fut tué en 82 par un partisan de Marius, quand il allait rejoindre Sylla. Cinna, consul de 87 à 84, est présenté par l’historiographie dépendante des partisans de Sylla comme un criminel alors qu’il semble avoir tenté de modérer Marius. Quintus Catulus (voir 1, 79 et note 77 ) se suicida en 86 (pour éviter de subir la vengeance de son ancien allié Marius).

97.

Gaius Marius fut consul en 107 puis de 104 à 100 et en 86 avec Cinna.

98.

Varius Hybrida, tribun de la plèbe en 90, aurait fait passer illégalement une loi de maiestate pour punir les responsables de la guerre sociale mais on ne sait rien de son rôle dans les morts de Métellus et de Drusus.

99.

Denys, tyran de Syracuse, régna de 405 à 367 ; Pisistrate, tyran d’Athènes, régna de 561 à 527.

100.

Phalaris, qui fut tyran d’Agrigente, entre 565 et 549, faisait brûler vives ses victimes dans un taureau d’airain ; il apparaît comme le type du cruel tyran depuis Pindare (Pythia, 1, 95-96). Apollodore est connu pour la cruauté de sa tyrannie qu’il exerça sur Cassandreia entre 279 et 276 (Diodore, 22, 5, 1).

101.

Anaxarque, tombé aux mains de Nicocréon après la mort d’Alexandre le Grand, mourut sous les coups d’un pilon de fer (DL, 9, 59). Zénon d’Élée fut torturé par le tyran Néarque (DL, 9, 26-27). Le récit de la mort de Socrate, emprunté au Phédon et à l’Apologie de Socrate, est utilisé deux fois dans l’argumentation du premier livre des Tusculanes (1, 71-73 ; 97-99 ; 102-103).

102.

Diogène Laërce (DL, 6, 74) rapporte que Diogène le Cynique fut capturé et vendu par des pirates, dont le chef était Scirpalos : le nom d’Harpalus transmis par les manuscrits pourrait donc résulter d’une erreur de lecture.

103.

Le pillage du temple de Proserpine à Locres par Denys n’est pas attesté dans d’autres sources, pas plus que son voyage à Olympie : il s’agit sans doute du temple de Zeus Olympien à Syracuse dont Gélon fut le tyran de 485 à 478. La statue d’Esculape, dont le père, Apollon, est presque toujours représenté imberbe, pouvait également se trouver en Sicile.

104.

Voir 2, 167.

105.

Les marchands offraient un dixième de leurs profits à l’Hercule de l’Ara maxima ; l’anecdote concernant le sacrifice d’un bœuf par Pythagore après la découverte du théorème est également rapportée par Vitruve (9, Préf. 7) ; sur le refus de répandre du sang, voir les témoignages contrastés dans Diogène Laërce (DL, 8, 12-13 et 22-23).

106.

Cette réplique est rapportée plus brièvement par Diogène Laërce (DL, 6, 59) qui l’attribue à Diogène le Cynique tout en signalant que d’autres l’attribuent à Diagoras.

107.

Hipponax se serait vengé par ses iambes du sculpteur Bupalos qui l’avait caricaturé (Aristophane, Lysistrata, 360-361) ; Archiloque attaqua Lycambès, père de celle qu’il aimait et ne put épouser (Horace, Epodi, 6, 13-14).

108.

La tradition qui rapporte à Apollon l’institution des lois lacédémoniennes est mentionnée à l’ouverture du prologue des Lois de Platon (624a).

109.

Critolaus, général de la ligue achéenne en 146, fut vaincu par L. Mummius qui détruisit Corinthe.

110.

Voir les exemples accumulés dans Diu., 1, 39-61.

111.

Sur la formulation de cette conclusion voir Introduction, « Le dialogue et sa mise en scène » et « Le second plan de réfutation de Cotta (livre 3, § 16-18) ».

~

a.

Tous les éditeurs ont considéré qu’il y avait ici une lacune en se fondant sur les indications fournies par des notes tironiennes dans les manuscrits A et B et une colonne blanche dans F ; or si l’on compare l’exposé de Balbus (2, 4-12) à sa réfutation par Cotta (3, 10-15), on constate que Cotta reprend successivement tous les arguments de Balbus, sans en oublier aucun. Les indications (qui ne portent pas exactement sur les mêmes passages dans A et B) sont sans doute la retranscription maladroite de signes concernant la refonte de la rédaction (voir Histoire du texte, note 80).

b.

Le texte traduit, metus, est celui de l’édition de 1471 (Romana) et non pas modus des manuscrits ; sur la place de Metus aux Enfers, voir Virgile, Aeneis, 6, 276 ; Sénèque, Hercules furens, 693.

c.

Le nom Tmolus est une conjecture de Davies pour le mot très corrompu ouiolus / meuiolus de la tradition manuscrite.

d.

Le nom Phtas est une conjecture de Giraldi (1548) à partir du opas / opos des manuscrits ; les éditeurs (sauf Plasberg & Ax) l’ont acceptée en raison des liens attestés entre la divinité égyptienne et Héphaïstos (Vulcain). Les îles appelées Vulcaniennes (Pline, Nat. hist., 3, 92) sont les îles Lipari.

e.

Le nom propre Cyprus (Chypre) est une correction ancienne pour le texte ciro / cyro des manuscrits et répond à Syria (Syrie), deux toponymes devenus noms de dieux.

f.

La phrase latine est vraisemblablement incomplète, signe du travail inachevé de modification de la première version dont d’autres traces sont visibles. Le plan qu’annonce Cotta n’est pas suivi dans le texte que nous lisons et des notes tironiennes marginales dans les manuscrits A et B ainsi qu’une partie de colonne blanche dans F laissent supposer qu’il y avait des indications pour remanier le texte (voir 3, 13, note et Histoire du texte, note 80).