Histoire du texte

Dans la présentation du dialogue1 ont été distinguées deux versions rédactionnelles anciennes du texte : une première sur laquelle des modifications sont faites en vue d’une seconde, développée en partie2. Les traces de remaniements en cours peuvent être analysées plus précisément à l’aide des indications que livrent quelques témoignages antiques et les manuscrits qui transmettent le texte3 : il convient toutefois de les replacer dans l’histoire de la tradition pour mieux en évaluer l’intérêt4.

Réception antique et tardo-antique

Entre la rédaction du De natura deorum et les plus anciennes copies conservées dans quatre manuscrits datés du IXe siècle5, des témoignages de valeur inégale marquent quelques étapes dans la réception et la diffusion du dialogue.

Les citations éparses et peu nombreuses qu’on trouve chez quelques auteurs classiques, qui ont repris des anecdotes, comme Valère Maxime, ou quelques observations scientifiques, comme Pline, Hygin, Aulu Gelle6, suffisent à attester la diffusion de l’œuvre sans refléter toutefois l’influence philosophique plus profonde qu’elle a pu exercer sur les problématiques choisies par Sénèque, Pline et Apulée pour traiter de la nature et des dieux7.

C’est Minucius Félix qui fournit, avec le dialogue intitulé Octavius, le plus ancien témoignage8 d’une réappropriation chrétienne du De natura deorum : la doxographie critique que présente l’épicurien Velléius est ainsi détournée en preuve de consensus sur l’existence d’un principe divin tandis que l’argumentation du stoïcien Balbus fournit de nombreuses armes à l’apologétique chrétienne. Dans les générations suivantes, Lactance, « le Cicéron chrétien »9, emprunte beaucoup à ce dialogue pour composer La colère de Dieu et Les institutions divines et se fixe pour dessein de le compléter dans La création de Dieu10 : l’ampleur de sa dette est sans commune mesure avec les usages plus circonscrits qu’en font Firmicus Maternus pour la Mathesis et L’erreur des religions païennes et Ambroise pour l’Hexameron.

Mais les lecteurs chrétiens sauront aussi puiser des arguments contre le paganisme dans les critiques que les trois philosophes du dialogue adressent aux représentations païennes des dieux : depuis l’Apologétique de Tertullien et ses deux livres Aux païens, mais surtout dans le Contre les Gentils d’Arnobe et même chez Augustin11, cet usage du dialogue est bien attesté et a contribué à la transmission du texte.

On sait très peu, en revanche, sur les exégèses auxquelles le dialogue aurait pu donner lieu : on n’a pas trace de commentaire comparable à ceux que Marius Victorinus, Macrobe, Favonius Eulogius ou Boèce ont rédigés sur le De inuentione, le Somnium Scipionis ou les Topica. Toutefois, la place qu’il occupe dans la réflexion d’Augustin sur la pensée du divin12 ainsi que dans un florilège anonyme dont plusieurs chapitres sont consacrés à la nature et à la providence divines13 laisse supposer qu’il a inspiré des interprétations néoplatoniciennes.

Valeur du témoignage de Minucius Félix et de Lactance pour l’histoire du texte et son édition

L’ampleur des emprunts que font Minucius Félix14 et Lactance15 à l’exposé du stoïcien ne témoigne pas seulement de l’influence intellectuelle qu’a exercée le dialogue cicéronien. Le dialogue intitulé Octavius de Minucius Félix et le traité La colère de Dieu de Lactance fournissent en effet deux indications essentielles pour l’histoire du texte qui n’ont jamais été prises en compte dans les éditions précédentes :

  • – d’une part, les éléments de la deuxième version de Cicéron16 sont utilisés, chez l’un et chez l’autre, quand sont décrits les modes de formation de la notion du divin, c’est-à-dire à la place qu’ils occupent dans les manuscrits ;
  • – d’autre part, ce qui différencie les deux témoignages est le rôle accordé à l’argument de Chrysippe17 : Lactance fait dépendre de lui tout son développement18 tandis que Minucius Félix ne le mentionne même pas. Or cette différence recoupe très exactement celle qui permet de distinguer en deux familles les manuscrits conservés19.
OctaviusDe ira DeiDe natura deorum
(XVII, 4) Quid enim potest esse tam apertum, tam confessum tamque perspicuum, cum oculos in caelum sustuleris et quae sunt infra circaque lustraueris, quam esse aliquod numen praestantissimae mentis […]. (5) Caelum ipsum uide, quam late tenditur, quam rapide uoluitur […] iam scies quam sit in eo summi moderatoris mira et diuina libratio […].(10, 35) Nisi forte quis arbitratur animalium fabricam tam subtilem tamque mirabilem a non sentiente formari animarique potuisse aut istam caeli speciem tam prouidenter ad utilitates uiuentium temperatam nescio quo casu sine conditore, sine artifice subito extitisse. (2, 4) Quid enim potest tam apertum tamque perspicuum cum caelum suspeximus caelestiaque contemplati sumus quam esse aliquod numen praestantissimae mentis quo haec regantur ?
(36) Si quid est, inquit Chrysippus, quod efficiat ea quae homo, licet ratione sit praeditus, facere non possit, id profecto est maius et fortius et sapientius homine. Homo autem non potest facere caelestia ; ergo illud quod haec efficiat uel effecerit, superat hominem arte consilio prudentia potestate. (37) Quis igitur potest esse nisi deus ? Naturae uero, quam ueluti matrem esse rerum putant, si mentem non habet, nihil efficiet umquam, nihil molietur. Vbi enim non est cogitatio, nec motus est ullus nec efficacia. (38) Si autem consilio utitur ad incipiendum aliquid, ratione ad disponendum, arte ad efficiendum, uirtute ad consumandum, potestate ad regendum et continendum, cur natura potius quam deus nominetur ? (16) Chrysippus quidem, quamquam est acerrimo ingenio, tamen ea dicit ut ab ipsa natura didicisse, non ut ipse repperisse uideatur. « Si enim, inquit, est aliquid in rerum natura quod hominis mens, quod ratio, quod uis, quod potestas humana efficere non possit, est certe id quod illud efficit homine melius ; atqui res caelestes omnesque eae quarum est ordo sempiternus ab homine confici non possunt ; est igitur id quo illa conficiuntur homine melius. Id autem quid potius dixeris quam deum ? »
(87) […] Si igitur meliora sunt ea quae natura quam illa quae arte perfecta sunt nec ars efficit quicquam sine ratione, ne natura quidem rationis expers est habenda.
(39) Aut si concursus atomorum uel carens mente natura ea quae uidemus effecit, quaero cur facere caelum potuerit, urbem aut domum non potuerit, cur montes marmoris fecerit, columnas et simulacra non fecerit. (94) […] quod si mundum efficere potest concursus atomorum, cur porticum, cur templum, cur domum, cur urbem non potest quae sunt minus operosa et multo quidem faciliora ?
(7) Quid ? cum ordo temporum ac frugum stabili uarietate distinguitur, nonne auctorem suum parentemque testatur […].(131) Multaque alia in aliis locis commemorabilia proferre possum, multos fertiles agros alios aliorum fructuum. Sed illa quanta benignitas naturae, quod tam multa ad uescendum, tam uaria, tam iucunda gignit neque ea uno tempore anni ut semper et nouitate delectemur et copia !
(11) Ipsa praecipue formae nostrae pulchritudo deum fatetur artificem […].
(XVIII, 1) Longum est ire per singula. Nihil in homine membrorum est quod non et necessitatis causa sit et decoris […].
(133) Faciliusque intellegetur a dis immortalibus hominibus esse prouisum si erit tota hominis fabricatio perspecta omnisque humanae naturae figura atque perfectio.
(4) Quod si ingressus aliquam domum omnia exculta, disposita, ornata uidisses, utique praeesse ei crederes dominum et illis bonis rebus multo esse meliorem […].(17) An uero, si domum magnam pulchramque uideris, non possis adduci ut, etiam si dominum non uideas, muribus illam et mustelis aedificatam putes […] ?

C’est en tout cas à partir de cette distinction fondamentale qu’on peut clarifier l’histoire du texte qui a été copié dans deux familles de manuscrits, l’une très majoritaire, la branche x, tandis que la branche y est réduite à quelques témoins20. Afin de mieux justifier le choix des manuscrits retenus pour cette édition, il est nécessaire de les situer d’abord par rapport à ce que l’on peut reconstituer de la production et de la diffusion médiévales du texte.

Diffusion médiévale

L’apparition du texte du De natura deorum dans quatre manuscrits carolingiens21 a ceci de remarquable qu’elle n’est pas celle d’un texte isolé mais d’un « corpus » constitué de huit œuvres philosophiques de Cicéron copiées selon l’ordre suivant : De natura deorum, De diuinatione, Timaeus, De fato, Topica, Paradoxa, Lucullus, De legibus. Que cet ensemble ait été conçu dans l’Antiquité tardive ou peu avant l’époque des premiers témoins conservés22, il n’a pas été maintenu au cours de sa transmission ultérieure sauf dans un manuscrit du XIe siècle23 dont les liens avec les manuscrits carolingiens méritent examen. Ainsi, deux témoins des Xe et XIe siècles24 transmettent seulement deux et trois œuvres de cet ensemble et les rares inventaires médiévaux qui mentionnent des titres plus précis que scripta Tullii ou libri Tullii attestent qu’aux XIIe et XIIIe siècles les œuvres de ce corpus sont copiées séparément25.

Faute de traces indubitables d’origine ou de provenance dans les témoins carolingiens26, il est difficile d’établir une cartographie précise de la première diffusion du texte ; cependant, d’après les abondantes corrections et annotations marginales faites par des mains contemporaines de la copie, on peut supposer que ces manuscrits carolingiens ont été produits et ont circulé dans des lieux où la formation intellectuelle était approfondie27.

La diffusion ultérieure du texte du De natura deorum jusqu’à la Renaissance est bien attestée par plusieurs manuscrits d’origine géographique variée28 et dans quelques florilèges29 qui peuvent fournir des indications sur le type de lecture que le dialogue cicéronien a suscitée. Toutefois, avant les annotations de Pétrarque retrouvées dans deux manuscrits30, il ne reste pas trace de commentaire ou d’appréciation du texte, à l’exception de ceux qu’on peut attribuer à Guillaume de Malmesbury et à celui qui les a préservés31. Il convient donc d’examiner de près la manière dont les humanistes ont scruté le texte pour finir par en proposer une modification radicale qui a entraîné le déplacement de l’ensemble greffé32 et s’est imposée comme le textus receptus.

La correction des humanistes et ses principes

Avant de se concrétiser dans l’édition de Pietro Marso33, parue à Venise en 1507, puis dans toutes les éditions postérieures34, la correction opérée sur le texte des manuscrits paraît l’aboutissement d’un travail mené en milieu florentin, comme en témoignent quelques marginalia de manuscrits copiés à Florence35 ; ce travail fut sans doute favorisé par la présence concomitante de manuscrits qui appartiennent aux branches x et y et dont la comparaison a permis de repérer quelques problèmes de succession dans le texte36. Si l’on tient compte de ces éléments jusqu’ici inexploités, on peut mieux apprécier les conditions dans lesquelles fut établie la règle philologique au nom de laquelle Politien propose de déplacer un ensemble de quelque soixante-dix paragraphes (selon la numérotation en vigueur depuis la fin du XVIe siècle)37.

C’est Politien, en effet, qui revendique la paternité de cette redintegratio dans le premier chapitre du second volume de ses Mélanges, non publié de son vivant38 : quelle qu’ait pu être sa part dans la réflexion menée sur plusieurs manuscrits, il faut surtout lui reconnaître la mise en forme spectaculaire d’un principe philologique qui permet d’expliquer des fautes par une interversion de cahiers39.

Mais le précédent qu’il invoque, la restauration qu’il a proposée pour les manuscrits des lettres Ad familiares de Cicéron, n’offre rien de comparable au cas du De natura deorum : en revanche, on peut repérer grâce à cet exemple comment Politien a élaboré ce qui deviendra une règle philologique à la longue postérité40. L’interversion de cahiers due à des réclames fautives, dans le cas des Ad familiares, fournit un modèle d’explication qui permet à Politien de traiter un groupe de mots (156b) comme une réclame intégrée par erreur au texte : cet usage de la réclame pour la reconstitution codicologique d’un texte, dont Politien pourrait être l’initiateur41, aura des conséquences décisives sur les explications philologiques fournies bien après lui.

Pourtant la réflexion de Politien n’a pas procédé d’abord à partir de considérations codicologiques : d’après les notes qu’il a laissées sur un exemplaire de l’édition de Venise de 1471 conservé à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, on peut constater qu’il a travaillé à partir des différences importantes qui distinguent les deux branches de la tradition42. Il a pu ainsi repérer des lacunes et isoler des membres de phrases susceptibles d’être traités comme des réclames43. Mais ces étapes préliminaires ne peuvent être mentionnées quand il s’agit d’élaborer le principe de l’interversion de cahiers qui suppose que toute la tradition présente un même texte fautif et non des variantes importantes là où se serait produite l’interversion44. C’est la difficulté à laquelle sont confrontés les philologues modernes quand ils veulent appliquer la règle codicologique héritée de Politien.

L’héritage des humanistes dans la philologie des XIXe et XXe siècles

L’efficacité de cette méthode de restauration des textes45 explique aisément pourquoi les éditeurs et philologues des XIXe et XXe siècles ont privilégié l’explication codicologique pour rendre compte de l’ordre de l’exposé stoïcien dans les manuscrits46 ; mais ils y étaient surtout conduits par le fait même que la « tradition imprimée » dont ils héritaient résultait d’une mise en ordre fondée précisément sur cette explication codicologique47. Or l’explication par la faute matérielle ne pourrait être admise que si l’ensemble de la tradition présentait les mêmes « sutures » là où se serait produite l’interversion : ce n’est pas le cas et la recension des manuscrits, entreprise dès les éditions du début du XIXe siècle, ne permet plus d’ignorer une branche de la tradition, aussi peu représentée soit-elle48, et contraint à constater que plus de dix lignes de texte distinguent les deux familles de manuscrits dans les deux premières « sutures » : or cet important décalage n’entraîne aucune incidence sur la troisième suture qui se présente de la même façon dans toute la tradition49. Otto Dieckhoff50 n’en a pas moins tenté une explication codicologique en isolant ce qu’il considère comme des débuts de cahier pour justifier les différences entre les manuscrits A et B par des erreurs dans les réclames indiquant la succession des cahiers. Or, si l’on reproduit la démarche qui consiste à rechercher l’ordre correct des cahiers à partir de groupes de mots « réclames », on aboutit à des incohérences51. Enfin, l’explication par l’interversion de cahiers suppose que la transmission des textes se soit faite dans les conditions historiques de copie par cahiers distincts et usages de la réclame : or ces pratiques, courantes à l’époque de Politien et pour ses successeurs, ne le sont pas pour la période qui précède l’époque carolingienne et ne peuvent pas rendre compte de l’état du texte transmis par les manuscrits52.

Principes suivis pour la présente édition

Parce que la correction apportée par les humanistes et acceptée par tous les éditeurs n’a pas de fondements philologiques solides et n’aboutit pas à un résultat satisfaisant sur le plan philosophique, il faut recourir à un autre modèle pour expliquer l’état du texte transmis par les manuscrits. Celui de la greffe s’impose si l’on prend en considération les deux points suivants :

  • – dans les deux branches de la tradition, et quel que soit le point d’insertion, c’est toujours le même ensemble textuel, avec les mêmes limites, qui est transmis ;
  • – cet ensemble de paragraphes prend place dans un texte continu, qui ne subit pas de modifications en dehors des deux repères de l’insertion.

Abandonner le modèle fourni par la représentation d’un codex constitué de cahiers non reliés pour celui d’une insertion dans une continuité, qui peut être celle d’un rouleau, représente un important changement de paradigme pour l’histoire d’un texte. Ce changement peut toutefois s’autoriser du témoignage précédemment invoqué de Minucius Félix et de Lactance53 : ces deux lecteurs antiques de Cicéron confirment que le texte transmis par les manuscrits carolingiens est bien celui qui circulait sous ses deux variantes dès la fin du IIe siècle ou au début du IIIe, c’est-à-dire bien avant que la pratique de copie ne permette de supposer une interversion de cahiers.

Manuscrits retenus pour la présente édition

Parmi les nombreux manuscrits utilisés par les éditeurs depuis Orelli, sept seulement ont été retenus pour l’édition critique en raison de la qualité de leur témoignage pour la reconstitution de l’histoire du texte. Suivant ce critère ont été écartés des manuscrits dont les variantes nombreuses résultent d’un travail « horizontal » et n’apportent rien à la connaissance de la tradition54. Sont utilisés en revanche deux manuscrits considérés, à tort, comme des copies de manuscrits existants, F et M, et un manuscrit du XVe, L, inconnu des éditeurs précédents, qui est le seul de toute la tradition recensée à ne pas transmettre le texte greffé55.

Branche x

A : Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteït, ms. Voss. lat. F.84, parch., 116 f.

Manuscrit en minuscule caroline daté par Bernhard Bischoff de 850 au plus tôt ; il pourrait provenir du Nord-Est de la France. Il a été écrit en deux parties, rassemblées ensuite, qui sont chacune l’œuvre de deux copistes distincts. Beaucoup de mains contemporaines de la copie ont apporté des corrections56.

Le manuscrit transmet les huit œuvres du corpus dans l’ordre rappelé plus haut mais les Topica sont lacunaires : il manque le début (1-3) et l’ensemble des paragraphes 23-78. Ces passages ont été rajoutés en 1860 par le bibliothécaire Willem Georg Pluygers qui a prélevé quatre folios du manuscrit B (dans lequel ces mêmes paragraphes manquants étaient ajoutés par une main contemporaine de la copie) pour les transférer à A57.

 

V : Wien, Österreichische Nationalbibliothek, ms. 189, parch., 128 f.

Manuscrit en minuscule caroline daté du milieu du IXe siècle ; écrit par un seul copiste (sauf les f. 70-71 d’une main du XIIe siècle). Depuis Charles Henry Beeson on attribue à Loup de Ferrières la révision de ce manuscrit qui porte des corrections caractéristiques : séparations de mots, notes et variantes marginales précédées du signe indiquant aliter58.

Le manuscrit est mutilé : il ne reste que les quaternions IV à XX (incomplet). Le texte du De natura deorum commence à terris rebusque terrestribus (2, 92) ; il est suivi du De diuinatione, du Timaeus et du De fato ; il manque les Topica ; après les Paradoxa, le Lucullus est incomplet et il manque le De legibus.

 

P : Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Pal. lat. 1519, parch., 88 f.

Manuscrit daté de la fin du Xe-début XIe siècle qui provient sans doute de la région de Lorsch59 ou de Fulda. Il contient le De natura deorum et le De diuinatione ainsi que le Liber de cultura hortorum de Walahfrid Strabon60.

Le manuscrit est très mutilé et, pour le texte du De natura deorum, la perte des quaternions I-III-IV et de six feuillets dans le VII entraîne des lacunes très importantes. Il reste seulement 1, 27-75 ; 2, 111-59 ; 2, 63-68 ; 2, 162-168 ; 3, 7-95.

 

H : Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteït, ms. B.P.L. 118, parch., 102 f.

Manuscrit en écriture bénéventaine copié au Mont-Cassin sous l’abbé Desiderius entre 1058 et 1087 par deux copistes contemporains ; une main plus tardive a également apporté des corrections61. Il contient le De natura deorum, complet, le De diuinatione et le De legibus, tous deux lacunaires62.

 

L : Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, ms. Acq. e Doni 125, 178 f.

Manuscrit du XVe siècle écrit par plusieurs copistes63 ; il a appartenu à Francesco da Castiglione64 (1420-1484). Il contient le texte complet de l’Orator (f. 1r-44v), le Brutus sans incipit (f. 46r-100v), des « Sentences d’Isocrate et de Socrate » (extraits du florilège du Ps.-Maxime) en grec (f. 101r-104v) et le De natura deorum (f. 105r-177v). Le texte du livre 2 présente sans rupture la succession des paragraphes 1 à 168 (1-86a / 156b-168)65 sans la greffe (86b-156a).

Branche y

F : Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, ms. San Marco 257, parch., 90 f.

Manuscrit en minuscule caroline copié, selon Bernhard Bischoff, entre 850 et 860 à Corbie. Il comporte deux éléments contemporains, écrits chacun par un copiste, avec pour chacun une page de titre décorée66. Les corrections sont d’une main contemporaine de la copie. Le manuscrit comprend les huit œuvres suivant l’ordre commun ; les Topica sont lacunaires comme dans A67.

 

B : Leiden, Leiden, Bibliotheek der Rijksuniversiteit, ms. Voss. lat. F.86, parch., 193 f.

Manuscrit en minuscule caroline daté par Bernhard Bischoff de 850 au plus tôt ; il pourrait provenir du Nord-Est de la France. Écrit par un seul copiste, il a été corrigé par deux mains contemporaines de la copie qui ont également tenté de retrouver la continuité brisée des huit œuvres du « corpus ». Aucune n’est copiée en un seul tenant, sauf le Timaeus, ni suivant l’ordre commun aux autres manuscrits. Cette succession désordonnée doit remonter au moins à l’exemplaire sur lequel B a été copié parce que les fragments s’enchaînent dans la continuité de la ligne d’écriture sans trace de rupture68 :

De natura deorum, 1, 1-63 (f. 1r-10v) ; De diuinatione, 2, 127-150 (f. 10v-14r) ; De natura deorum, 1, 91-93 ; 1, 95 (f. 14r-59r) ; De diuinatione, 1, 1-2 ; 1, 127 (f. 59r-102r) ; De fato, 41-48 (f. 102r-103r) ; Topica, 4-100 (f. 103r-109r) ; Paradoxa, 1-37 (f. 109r-114v) ; Lucullus, 2-13 (f. 114v-116v) ; Paradoxa, 37-52 (f. 116v-118v) ; Lucullus, 1-2 / 13-148 (f. 118v-144v) ; De legibus, 1, 1-21 (f. 144v-147v) ; De fato, 5-41 (f. 147v-154r) ; De legibus, 2, 4-13 (f. 154r-155v) ; De legibus, 1, 21-2, 4 (f. 155v-163v) ; Timaeus, 1-52 (f. 163v-171r) ; De fato, 1-4 (f. 171r-171v) ; De natura deorum, 1, 64-91 (f. 171v-175v) ; De legibus, 2, 13-3, 49 (f. 175v-192v).

 

M : München, Universitätsbibliothek, ms. 4° 528, parch., 153 f.

Manuscrit de la fin du Xe ou début du XIe siècle qui pourrait provenir de l’Est de la France. Écrit par trois copistes, les corrections interlinéaires et marginales sont contemporaines de la copie. Il contient toutes les œuvres du corpus sauf les Topica69.

 

Le témoignage des extraits transmis dans K = Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 1762, parch., 226 f.

Manuscrit en minuscule caroline daté du IXe siècle écrit par une seule main ; il contient un florilège organisé en dix-neuf chapitres composés à partir de longs extraits d’œuvres philosophiques de Cicéron : De natura deorum, Tusculanae disputationes, De diuinatione, Lucullus, Timaeus, De legibus, De fato, De officiis, Paradoxa stoicorum, De amicitia, De oratore, De senectute et d’un extrait du Commentaire au Songe de Scipion de Macrobe. Ce florilège est suivi d’une sélection importante de ce même Commentaire et d’extraits des livres VI, VII et VIII des Noces de Philologie et de Mercure de Martianus Capella. L’étude des variantes uniques qu’il transmet permet de supposer que ce manuscrit fait connaître un état très ancien de la tradition70.

Les emprunts nombreux faits au De natura deorum dans le florilège en font un témoin pour une part très importante du De natura deorum : toutefois les reformulations ou modifications apportées au texte empêchent, à quelques exceptions près, de retenir ses leçons dans l’apparat critique.

Relations stemmatiques des manuscrits entre eux

Depuis les premiers travaux philologiques consacrés aux manuscrits du De natura deorum, les deux branches de la tradition, distinguées par les macro-variantes déjà signalées, sont rattachées à un même archétype d’après le constat que les textes transmis dans les deux branches comportent les mêmes délimitations pour les œuvres du corpus et les mêmes lacunes. Le schéma bifide qui permet de représenter la tradition se fonde non seulement sur les macro-variantes mentionnées mais aussi sur un passage transmis par la branche y71 qui ne figure pas dans les plus anciens représentants de la branche x72 : ces éléments discriminants sont rigoureusement confirmés par la répartition des variantes73. Il reste toutefois à réexaminer les liens de ces deux branches à l’archétype commun en tenant compte des informations livrées par les témoignages de Minucius Félix et de Lactance.

Il faut pour cela prendre en considération les différentes présentations de la greffe du texte 86b-156a74 afin de trouver des indices permettant une reconstitution plausible de l’état du texte dans l’archétype. On pourra alors revenir sur les relations stemmatiques généralement admises entre les manuscrits.

Dans la branche x, les manuscrits A et H75 présentent la greffe en 16a et le texte de la première version reprend régulièrement après la greffe en 16b : 1-16a / 156b / 86b-156a / 16b-86a / 156b-168.

Dans la branche y, le manuscrit F présente la greffe en 15a (comme K) et la première version reprend en 15b : 1-15a / 86b-156a / 15b-86a / 156b-168.

Le manuscrit B présente la greffe en 15b mais le copiste a ensuite barré le texte (de 15a à 15b) et la première version reprend en 15b : 1-15b (15a après correction) / 86b-156a / 15b-86a / 156b-168.

Le manuscrit M présente la greffe en 16a ; or la première version reprend en 15b : 1-16a / 156b / 86b-156a / 15b-86a / 156b-168.

Si le bloc de texte greffé a dans tous les cas les mêmes délimitations, on remarque

  • – que dans A, H et M les neuf mots de 156b sont insérés entre 16a et 86b ;
  • – que B (avant correction) et M comportent une répétition de la première version (15b ou 15b-16a).

Ces constats permettent de comprendre que la greffe s’est faite sur la continuité d’une première version qui comportait des signes de modification et d’insertion trop peu précis pour permettre un repérage textuel, ce qui a entraîné des solutions différentes. Ainsi, dans A, H et M, le groupe de mots insérés (156b) provient du texte de la première version, au point précis où des modifications sont en cours : l’incohérence syntaxique de la succession 86a / 156b attestée par tous les manuscrits suggère une lacune qui témoigne d’une refonte encore inachevée76. C’est ce que confirment les lacunes du livre 377 et le témoignage laissé par quelques notes tironiennes : dans les manuscrits B et A on trouve des notes qui pourraient reproduire sous une forme maladroite78 des indications anciennes en vue de modifications. Il est en effet remarquable que ces notes soient placées en marge de passages de transition, là où précisément le plan initial de la première version doit être modifié79.

L’examen des différences entre A, F, B et M facilite donc la reconstitution de l’histoire antérieure du texte en donnant une explication plausible de la séparation des deux branches avant Minucius Félix : un texte en cours de refonte pour lequel n’existe pas de version autorisée par Cicéron et qui, sans doute après sa mort, est copié avec les indications des différentes modifications à apporter pour passer de la première à la seconde version. Ces indications diversement interprétées sont à l’origine de la scission de la tradition80.

Mais ces différences invitent également à revenir sur les liens entre F, B et M d’une part et entre les deux branches d’autre part.

Les liens jusqu’ici établis entre B, F, K et M reposent non seulement sur leur proximité textuelle mais aussi sur l’hypothèse qu’ils sont tous descendants de B suivant des modalités qui font également intervenir l’autre branche avec le manuscrit A81. Si leur proximité textuelle est indéniable, elle ne s’explique pas cependant par une relation de copie82 : les différentes présentations de l’insertion rappelées ci-dessus le font voir assez nettement en rapprochant d’un côté F et K, de l’autre B et M. En outre, des variantes significatives distinguent ces quatre manuscrits qui seuls comportent le texte de 1, 1 (esse… sententias)83. Mais surtout les liens établis entre ces manuscrits reposent sur l’hypothèse que les manuscrits B et A ont été corrigés l’un à l’aide de l’autre. Or, les indications fournies par les marginalia, celles qui sont indiscutablement contemporaines de la copie84, détruisent l’hypothèse généralement admise : aucun des passages qui différencient les deux manuscrits n’est l’objet d’une correction issue de l’autre manuscrit85 ; la succession désordonnée des textes dans B n’est pas corrigée suivant la distinction des textes dans A86 ; le complément apporté aux Topica dans B n’est pas reporté dans A87 ; les lacunes ou oublis de quelques mots dans B ne sont pas corrigés avec le texte de A88.

Il est donc nécessaire de chercher une autre explication des concordances fréquentes entre les corrections dans B et dans A ainsi qu’entre celles de B et les textes transmis par F, K et M : il faut supposer que des témoins qui permettent de remonter très haut dans la tradition, comme K et F, ont eu une circulation et une diffusion plus amples que celles des manuscrits conservés (F et le modèle de K).

Il faut donc considérer que F, K, B et M sont des témoins indépendants les uns des autres, le texte de F et de K reflétant une interprétation des signes critiques distincte de celle qu’on trouve dans B et M89.

Pour les manuscrits de la branche x, la complexité des phénomènes observés dans les groupements et distinctions de variantes conduit à privilégier l’hypothèse que A, V, P et H sont indépendants les uns des autres, même si certains niveaux de correction paraissent provenir d’une source commune.

V transmet un texte dont les fautes, avant correction, résultent de mauvaises lectures d’abréviations90 ou de séparations de mots incorrectes91. Les corrections apportées après grattage, suivant la technique de Loup de Ferrières, laissent penser que le manuscrit a été revu avec un autre qui représente un texte meilleur et commun aux autres manuscrits (2, 30) ; d’autres corrections, introduites par le signe uel, supposent le recours à un manuscrit transmettant une autre transcription des abréviations des préfixes92. Enfin, quelques signes indiquant aliter donnent, avec un renvoi dans le texte, des compléments ou des formes qui ne sont pas attestés ailleurs93.

Ni H ni P ne comportent un travail comparable de correction ; cependant, l’un et l’autre transmettent un assez grand nombre de leçons propres94 pour laisser penser qu’ils représentent d’autres témoignages de la branche x dignes d’être pris en compte : outre des variantes retenues par les éditeurs et qu’ils sont les seuls à transmettre95, ces deux manuscrits présentent en effet des liens non seulement avec les manuscrits de la branche x mais aussi avec ceux de la branche y. L’explication par travail horizontal de collation (dans leurs modèles respectifs) ne peut être exclue mais on peut aussi retenir une autre hypothèse, celle d’une diffusion beaucoup plus importante de la tradition depuis la source antique. Cette hypothèse fournit une explication vraisemblable de ce qu’on a tenté d’attribuer à des « corrections croisées » entre le manuscrit A et le manuscrit B. Dans ces conditions, l’accord des manuscrits H et P avec les autres témoins donne une base plus solide pour l’établissement du texte.

Le manuscrit L fournit un autre type de témoignage pour l’histoire du texte. Les leçons qu’il transmet permettent de le rattacher à la branche x de la tradition mais certaines leçons sont celles de B avant corrections96 ; quelques-unes sont identiques à celles du manuscrit V après corrections, variantes qui ne sont pas attestées autrement dans la tradition97. Si L n’est pas un lointain descendant de V, il est le témoin d’une branche de la tradition connue seulement à travers quelques variantes de V. D’autre part, le texte qu’il transmet, dépourvu de la greffe de la seconde version, peut s’expliquer par la difficulté à comprendre les indications qui figuraient sur son modèle à moins que son lointain ancêtre ne corresponde à la première étape du remaniement du texte : dans tous les cas, il éclaire un aspect important de l’histoire du texte.

 

Le texte de cette édition est établi sur des manuscrits dont on a pu montrer qu’ils sont des témoins indépendants de leur branche respective : FBM pour y et AVHPL pour x.

Le choix de la branche x pour la présentation de la greffe de la seconde version est fondé sur deux autorités98 : celle du texte cicéronien lui-même qui distingue deux étapes dans l’argument de Chrysippe99 et celle de Lactance100. Mais l’agencement proposé dans la branche y, attesté par l’usage qu’en fait Minucius Félix et, suivant une tradition indépendante, par les doxographies philosophiques101, fournit des éléments de comparaison qui méritent d’être exploités pour la compréhension du stoïcisme.

Pour la première fois depuis 1507, cette édition propose de lire le texte tel qu’il est transmis par tous les manuscrits de la branche x : il offre la possibilité de comprendre la nature du travail en cours et fournit un témoignage unique sur les pratiques philosophiques de Cicéron. Il permet en outre de mieux évaluer les emprunts et les usages du texte par les lecteurs chrétiens de Cicéron.