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Livre 2

Liber secundus

1 Quand Cotta eut ainsi parlé, Velléius reprit : « Quel imprudent j’ai été, dit-il, d’avoir tenté de me mesurer avec un académicien qui est aussi un rhéteur ! Je n’aurais pas redouté un académicien sans éloquence ni un rhéteur, si éloquent fût-il, ignorant ta philosophie ; car je ne me laisse pas déconcerter par un flux de paroles vaines, ni par la subtilité des idées si le style est trop sec. Mais toi, Cotta, tu as montré ta valeur dans l’un et l’autre domaine ; seuls t’ont manqué un public et des juges. Mais je te répondrai une autre fois ; écoutons maintenant Lucilius, si cela lui convient. »

1 Quae cum Cotta dixisset, tum Velleius : « Ne ego, inquit, incautus qui cum Academico et eodem rhetore congredi conatus sim ! Nam neque indisertum Academicum pertimuissem nec sine ista philosophia rhetorem quamuis eloquentem ; neque enim flumine conturbor inanium uerborum nec subtilitate sententiarum si orationis est siccitas. Tu autem, Cotta, utraque re ualuisti ; corona tibi et iudices defuerunt. Sed ad ista alias ; nunc Lucilium, si ipsi commodum est, audiamus. » [+]

2 Alors Balbus : « Pour ma part, j’aimerais mieux écouter encore Cotta, pourvu qu’il nous présente les dieux véritables, avec autant d’éloquence qu’il a supprimé les faux dieux. Car il appartient à un philosophe, à un pontife, à un Cotta, d’avoir sur les dieux immortels non pas une idée flottante et incertaine, comme les académiciens, mais comme les nôtres, une idée bien assise et déterminée. Car, contre Épicure on en a dit assez et plus qu’assez, mais je brûle d’entendre ce que tu penses toi-même, Cotta. »

2 Tum Balbus : « Eundem equidem mallem audire Cottam dum qua eloquentia falsos deos sustulit eadem ueros inducat. Est enim et philosophi et pontificis et Cottae de dis inmortalibus habere non errantem et uagam, ut Academici, sed ut nostri, stabilem certamque sententiam. Nam contra Epicurum satis superque dictum est ; sed aueo audire tu ipse, Cotta, quid sentias. » [+]

« As-tu donc oublié, dit Cotta, ce que j’ai dit en commençant ? Il m’est plus facile, surtout sur de pareilles questions, de dire ce que je ne pense pas que ce que je pense. 3 Mais quand même j’aurais quelques lumières sur le sujet, je préférerais pourtant t’écouter à mon tour, après avoir moi-même parlé si longtemps. »1

« An, inquit, oblitus es quid initio dixerim, facilius me, talibus praesertim de rebus, quid non sentirem quam quid sentirem posse dicere ? 3 Quod si haberem aliquid quod liqueret, tamen te uicissim audire uellem cum ipse tam multa dixissem. »

À quoi Balbus répondit : « Je me plierai à ton désir et je serai aussi bref que possible ; en effet, maintenant que sont réfutées les erreurs d’Épicure, mon exposé est considérablement abrégé. Nos auteurs, d’une manière générale, divisent en quatre parties l’ensemble de cette recherche sur les dieux immortels : ils enseignent d’abord que les dieux existent, puis quelle est leur nature, ensuite que le monde est gouverné par eux, enfin qu’ils veillent sur les affaires humaines. Mais nous, examinons dans cet entretien les deux premières parties ; la troisième et la quatrième, qui demandent de plus grands développements, doivent être, je crois, renvoyées à une autre occasion »2.

Tum Balbus : « Geram tibi morem et agam quam breuissume potero ; etenim conuictis Epicuri erroribus longa de mea disputatione detracta oratio est. Omnino diuidunt nostri totam istam de dis inmortalibus quaestionem in partis quattuor. Primum docent esse deos, deinde quales sint, tum mundum ab his administrari, postremo consulere eos rebus humanis. Nos autem hoc sermone quae priora duo sunt sumamus ; tertium et quartum, quia maiora sunt, puto esse in aliud tempus differenda. »

« Pas du tout, dit Cotta, car nous avons du temps libre et nous traitons de questions qu’on doit faire passer avant toutes les affaires. »

« Minime uero, inquit Cotta ; nam et otiosi sumus et his de rebus agimus quae sunt etiam negotiis anteponendae. » [+]

II 4 Lucilius commença : « Le premier point n’a même pas besoin, semble-t-il, d’être développé. Que peut-il y avoir en effet d’aussi manifeste, d’aussi évident, quand nous levons les yeux vers le ciel et contemplons les corps célestes, que l’existence d’un pouvoir divin, doué d’une intelligence supérieure, qui les gouverne ? S’il n’en était pas ainsi, comment Ennius aurait-il pu dire, avec l’assentiment unanime :

II 4 ❖ Tum Lucilius : « Ne egere quidem uidetur, inquit, oratione prima pars. Quid enim potest esse tam apertum tamque perspicuum cum caelum suspeximus caelestiaque contemplati sumus quam esse aliquod numen praestantissimae mentis quo haec regantur ? Quod ni ita esset, qui potuisset adsensu omnium dicere Ennius :

Regarde ce ciel d’un brillant éclat que tous invoquent sous le nom de Jupiter*,
Aspice hoc sublime candens quem inuocant omnes Iouem*,

ce Jupiter maître du monde dont la volonté gouverne toutes choses et, comme dit encore Ennius,

illum uero et Iouem et dominatorem rerum et omnia motu regentem et, ut idem Ennius

père des dieux et des hommes,
patrem diuumque hominumque

dieu omniprésent et tout-puissant ? Si on en doute, je ne comprends vraiment pas pourquoi on ne pourrait pas douter aussi de l’existence du soleil : 5 en effet, en quoi cette dernière évidence est-elle plus grande que la première ? S’il n’y avait pas dans notre esprit une représentation ferme et assurée3, notre croyance ne demeurerait pas aussi stable et ne serait pas confirmée par le temps qui passe, elle n’aurait pas pu s’enraciner au cours des siècles, de génération en génération. Nous voyons en effet que les autres croyances, vaines fictions, se sont évanouies avec le temps. Qui croit qu’un hippocentaure ou une Chimère aient jamais existé ? Peut-on trouver une vieille assez sotte pour avoir peur des monstres infernaux auxquels on croyait jadis ? La durée détruit les fictions de la croyance mais confirme les jugements naturels.

et praesentem ac praepotentem deum ? Quod qui dubitet haud sane intellego cur non idem sol sit an nullus sit dubitare possit. [+] 5 Quid enim est hoc illo euidentius ? Quod nisi cognitum conprehensumque animis haberemus non tam stabilis opinio permaneret nec confirmaretur diuturnitate temporis nec una cum saeclis aetatibusque hominum inueterare potuisset. Etenim uidemus ceteras opiniones fictas atque uanas diuturnitate extabuisse. Quis enim hippocentaurum fuisse aut Chimaeram putat, quaeue anus tam excors inueniri potest quae illa quae quondam credebantur apud inferos portenta extimescat ? Opinionis enim commenta delet dies, naturae iudicia confirmat.

C’est pourquoi, dans notre peuple comme dans tous les autres, le culte des dieux et le respect des devoirs religieux grandissent et s’améliorent de jour en jour. 6 Et ce progrès n’est pas accidentel ni fortuit, mais il tient au fait que souvent les dieux, présents en personne, manifestent leur puissance ; par exemple, au lac Régille, pendant la guerre contre les Latins, quand le dictateur Aulus Postumius livrait bataille à Octavius Mamilius de Tusculum, on vit Castor et Pollux combattre à cheval dans nos rangs4 ; à une époque plus récente, ces mêmes Tyndarides annoncèrent la défaite de Persée : Publius Vatiénus, le grand-père de notre jeune contemporain, venant de nuit à Rome de la préfecture de Réate, fut informé par deux jeunes gens montés sur des chevaux blancs que le roi Persée avait été fait prisonnier en ce jour ; il l’annonça au Sénat et fut d’abord jeté en prison pour avoir parlé inconsidérément des affaires de l’État, puis, quand arriva un rapport de Paul-Émile et qu’il fut établi que la date était la même, le Sénat lui fit don d’une terre et le dispensa du service militaire5. Autre exemple : quand les Locriens eurent vaincu les habitants de Crotone dans une grande bataille, près de la rivière Sagra, la tradition rapporte que le jour même on apprit la nouvelle de ce combat aux Jeux olympiques6. Souvent les voix des Faunes se sont fait entendre7, souvent sont apparues des formes divines poussant quiconque n’est ni stupide ni impie à reconnaître la présence des dieux.

Itaque et in nostro populo et in ceteris deorum cultus religionumque sanctitates existunt in dies maiores atque meliores. [+] 6 ❖ Idque euenit non temere nec casu sed quod et praesentes saepe dii uim suam declarant ut et apud Regillum bello Latinorum cum A. Postumius dictator cum Octauio Mamilio Tusculano proelio dimicaret, in nostra acie Castor et Pollux ex equis pugnare uisi sunt et recentiore memoria idem Tyndaridae Persea uictum nuntiauerunt. P. enim Vatienus, auus huius adulescentis, cum e praefectura Reatina Romam uenienti noctu duo iuuenes cum equis albis dixissent regem Persea illo die captum, <cum> senatui nuntiauisset primo, quasi temere de re publica locutus in carcerem coniectus est, post a Paulo litteris allatis cum idem dies constitisset et agro a senatu et uacatione donatus est. Atque etiam cum ad fluuium Sagram Crotoniatas Locri maximo proelio deuicissent, eo ipso die auditam esse eam pugnam ludis Olympiae memoriae proditum est. Saepe Faunorum uoces exauditae, saepe uisae formae deorum quemuis aut non hebetem aut impium deos praesentes esse confiteri coegerunt. [+]

III 7 Quant aux prédictions, aux prémonitions des événements à venir, que prouvent-elles, sinon que ce qui se produit apparaît, est manifesté, présagé, prédit aux hommes, d’où les noms d’apparitions, de signes manifestes, de présages, de prodiges8. Et si nous croyons que les récits qu’on fait de Mopsos, de Tirésias, d’Amphiaraos, de Calchas, d’Hélénos9 sont des fictions qu’autorise la liberté des fables – encore que les fables elles-mêmes n’eussent pas fait place à ces augures, si la réalité les avait absolument rejetés –, ne pourrons-nous pas prouver la puissance des dieux, en nous instruisant par des exemples de chez nous ? Ne serons-nous pas ébranlés par l’aveuglement de Publius Claudius, au cours de la première guerre punique10 ? Comme les poulets sacrés, sortis de leur cage, ne mangeaient pas, par plaisanterie et pour se moquer des dieux, il alla jusqu’à les faire jeter à l’eau pour qu’ils boivent, puisqu’ils ne voulaient pas manger. Cette dérision lui coûta bien des larmes, quand la flotte eut été vaincue, et causa une grande défaite au peuple romain. Et dans la même guerre, son collègue Junius n’a-t-il pas perdu sa flotte dans la tempête, pour n’avoir pas obéi aux auspices ? Aussi Claudius fut-il condamné par le peuple, et Junius se donna la mort. 8 Coelius écrit que Caius Flaminius est tombé dans la bataille du lac Trasimène, portant un rude coup à la république, pour avoir négligé ses devoirs religieux. La mort de ces hommes peut faire comprendre que la république a grandi quand ses chefs remplissaient leurs obligations religieuses. Et si nous voulons comparer nos qualités propres avec celles des peuples étrangers, on trouvera que nous leur sommes égaux ou même inférieurs à tous autres égards, mais bien supérieurs dans la religion, c’est-à-dire le culte des dieux. 9 Faut-il mépriser le fameux bâton augural avec lequel Attus Navius divisa sa vigne en secteurs, pour retrouver son porc11 ? Je pourrais le croire si, grâce à ses augures, le roi Hostilius n’avait conduit de très grandes guerres12. Mais, par la négligence des grandes familles, la science augurale s’est perdue, on a méprisé la véracité des auspices, on n’a sauvé que les apparences. C’est ainsi que les affaires les plus importantes de la république, entre autres les guerres, dont dépend le salut de l’État, sont conduites sans qu’on prenne les auspices : on ne les observe plus au passage des rivières, on ne tient plus compte de ceux que fournissent les pointes des lances, on ne convoque plus les troupes suivant les rites, ce qui a fait disparaître les testaments faits sous les armes ; maintenant, en effet, nos généraux commencent à faire la guerre quand ils ont déposé leurs auspices13. 10 Mais chez nos ancêtres la religion avait un si grand pouvoir que des chefs d’armée, la tête voilée, prononçant les formules rituelles, se vouaient eux-mêmes aux dieux immortels pour le salut de la république14. Je pourrais citer bien des passages des oracles sibyllins, beaucoup d’autres tirés des réponses des haruspices, qui confirmeraient des faits qui ne devraient faire de doute pour personne.

III 7 ❖ Praedictiones uero et praesensiones rerum futurarum quid aliud declarant nisi hominibus ea quae sint ostendi, monstrari, portendi, praedici, ex quo illa ostenta, monstra, portenta, prodigia dicuntur. Quod si ea ficta credimus licentia fabularum, Mopsum, Tiresiam, Amphiaraum, Calchantem, Helenum (quos tamen augures ne ipsae quidem fabulae adsciuissent, si res omnino repudiarent), ne domesticis quidem exemplis docti numen deorum conprobabimus ? Nihil nos P. Claudi bello Punico primo temeritas mouebit, qui etiam per iocum deos inridens, cum cauea liberati pulli non pascerentur, mergi eos in aquam iussit, ut biberent, quoniam esse nollent ? Qui risus classe deuicta multas ipsi lacrimas, magnam populo Romano cladem attulit. Quid ? Collega eius Iunius eodem bello nonne tempestate classem amisit, cum auspiciis non paruisset ? Itaque Claudius a populo condemnatus est, Iunius necem sibi ipse consciuit. [+] 8 C. Flaminium Coelius religione neglecta cecidisse apud Trasumenum scribit magno cum rei publicae uulnere. Quorum exitio intellegi potest eorum imperiis rem publicam amplificatam qui religionibus paruissent. Et si conferre uolumus nostra cum externis, ceteris rebus aut pares aut etiam inferiores reperiemur, religione, id est cultu deorum, multo superiores. [+] 9 An Atti Naui lituus ille, quo ad inuestigandum suem regiones uineae terminauit, contemnendus est ? Crederem, nisi eius augurio rex Hostilius maxima bella gessisset. Sed neglegentia nobilitatis augurii disciplina omissa ueritas auspiciorum spreta est, species tantum retenta ; itaque maximae rei publicae partes, in his bella quibus rei publicae salus continetur, nullis auspiciis administrantur, nulla peremnia seruantur, nulla ex acuminibus, nulli uiri uocantur, ex quo in procinctu testamenta perierunt ; tum enim bella gerere nostri duces incipiunt cum auspicia posuerunt. [+] 10 ❖ At uero apud maiores tanta religionis uis fuit ut quidam imperatores etiam se ipsos dis inmortalibus capite uelato uerbis certis pro re publica deuouerent. Multa ex Sibyllinis uaticinationibus, multa ex haruspicum responsis commemorare possum quibus ea confirmentur quae dubia nemini debent esse.

IV Eh bien, la science de nos augures et celle des haruspices étrusques ont été prouvées, sous le consulat de Publius Scipion et de Caius Figulus, par les faits eux-mêmes15. Tibérius Gracchus, consul pour la deuxième fois, procédait à leur élection quand le scrutateur de la première centurie mourut subitement, sur place, en les proclamant élus. Gracchus continua néanmoins à tenir les comices jusqu’au bout, mais, s’apercevant que cet incident avait fait naître dans le peuple un scrupule religieux, il fit un rapport au Sénat. Le Sénat décida d’en référer à ceux qu’il consultait d’ordinaire. Les haruspices, introduits au Sénat, répondirent que le président des comices avait commis une irrégularité. 11 Alors Gracchus, comme je l’ai appris de mon père, bouillant de colère : “Ainsi donc, c’est moi qui n’ai pas suivi les règles, moi qui ai présidé les comices en tant que consul, moi qui suis augure et qui ai pris les auspices ! Et c’est vous, des Étrusques, des Barbares, qui détenez le droit du peuple romain en matière d’auspices et qui avez le pouvoir d’interpréter le vote des comices !”. En conséquence, il fit sortir les haruspices. Mais plus tard, de sa province, il écrivit au collège des augures une lettre disant que, à la lecture des livres auguraux, il s’était rappelé qu’il avait fait une faute en choisissant les jardins de Scipion pour y dresser la tente augurale, car, après avoir ensuite franchi le pomerium pour tenir une réunion du Sénat, il avait oublié au retour de prendre les auspices, en franchissant à nouveau le pomerium : ainsi donc, l’élection des consuls avait été irrégulière. Les augures renvoyèrent l’affaire au Sénat ; le Sénat décida que les consuls se démettraient ; ils se démirent. Quels meilleurs exemples pouvons-nous chercher ? Un homme d’une très grande sagesse et peut-être supérieur à tous a mieux aimé avouer sa faute, qu’il aurait pu dissimuler, que de voir une souillure religieuse attachée à la république ; des consuls ont mieux aimé renoncer sur-le-champ au pouvoir suprême, plutôt que de le détenir un seul instant en violation de la religion. 12 L’autorité des augures est grande ; mais l’art des haruspices n’est-il pas divin16 ? Quand on considère ces faits et d’autres du même genre, innombrables, n’est-on pas contraint de reconnaître l’existence des dieux ? En effet, les êtres dont il existe des interprètes existent eux-mêmes nécessairement : or il y a des interprètes des dieux ; reconnaissons donc que les dieux existent. Mais l’événement peut n’être pas toujours conforme à la prédiction. Les malades ne guérissent pas tous, mais il ne s’ensuit pas que l’art médical n’existe pas. Les dieux nous révèlent l’avenir par des signes ; si certains se trompent en les interprétant, ce n’est pas la nature des dieux mais la conjecture des hommes qui est en faute. Ainsi donc, il y a accord sur l’essentiel entre tous les hommes de toutes les nations : tous en effet ont une connaissance innée et pour ainsi dire gravée dans l’esprit que les dieux existent17.

IV Atqui et nostrorum augurum et Etruscorum haruspicum disciplinam P. Scipione C. Figulo consulibus res ipsa probauit. Quos cum Ti. Gracchus consul iterum crearet, primus rogator, ut eos rettulit, ibidem est repente mortuus. Gracchus cum comitia nihilo minus peregisset remque illam in religionem populo uenisse sentiret, ad senatum rettulit. Senatus quos ad soleret referendum censuit. Haruspices introducti responderunt non fuisse iustum comitiorum rogatorem. [+] 11 Tum Gracchus, ut e patre audiebam, incensus ira, “Itane uero, ego non iustus, qui et consul rogaui et augur et auspicato ? An uos Tusci ac barbari auspiciorum populi Romani ius tenetis et interpretes esse comitiorum potestis ?”. Itaque tum illos exire iussit. Post autem e prouincia litteras ad collegium misit se, cum legeret libros, recordatum esse uitio sibi tabernaculum captum fuisse hortos Scipionis quod, cum pomerium postea intrasset habendi senatus causa, in redeundo, cum idem pomerium transiret, auspicari esset oblitus ; itaque uitio creatos consules esse. Augures rem ad senatum ; senatus ut abdicarent consules ; abdicauerunt. Quae quaerimus exempla maiora ? Vir sapientissimus atque haud sciam an omnium praestantissimus peccatum suum, quod celari posset, confiteri maluit quam haerere in re publica religionem ; consules summum imperium statim deponere quam id tenere punctum temporis contra religionem. [+] 12 ❖ Magna augurum auctoritas. Quid ? Haruspicum ars nonne diuina ? Haec et innumerabilia ex eodem genere qui uideat nonne cogatur confiteri deos esse ? Quorum enim interpretes sunt, eos ipsos esse certe necesse est ; deorum autem interpretes sunt ; deos igitur esse fateamur. At fortasse non omnia eueniunt quae praedicta sunt. Ne aegri quidem quia non omnes conualescunt idcirco ars nulla medicina est. Signa ostenduntur a dis rerum futurarum ; in his si qui errauerunt non deorum natura sed hominum coniectura peccauit. Itaque inter omnis omnium gentium summa constat ; omnibus enim innatum est et in animo quasi insculptum esse deos. [+]

V 13 Sur leur nature, les avis diffèrent, mais personne ne nie leur existence. Selon notre maître Cléanthe quatre causes expliquent comment se forment les notions sur les dieux dans l’esprit des hommes18. La première qu’il allègue est celle dont je viens de parler : elle est issue de la prévision de l’avenir ; la deuxième est celle que nous tirons des grands avantages qui découlent de notre climat tempéré, de la fertilité de la terre et de l’abondance de tant d’autres commodités ; 14 la troisième, c’est la terreur qu’inspirent la foudre, les tempêtes, les averses, la neige, la grêle, les dévastations, les épidémies, les tremblements de terre et les fréquents grondements souterrains, les pluies de pierres et les gouttes de pluie couleur de sang, les éboulements ou les gouffres qui s’ouvrent soudain dans la terre, les monstres contre nature chez les hommes et les animaux et aussi les traînées de feu qu’on voit dans le ciel, les étoiles que les Grecs appellent comètes, et nos compatriotes “étoiles chevelues”19 et qui récemment, pendant la guerre d’Octavius20, furent messagères de grands malheurs, le soleil double – phénomène qui s’est produit, je l’ai su par mon père, sous le consulat de Tuditanus et d’Aquilius, l’année même où s’éteignit Publius Scipion l’Africain, cet autre soleil21 : terrifiés par ces prodiges, les hommes ont soupçonné l’existence d’une puissance céleste et divine ; 15a la quatrième cause, et peut-être la principale, c’est la régularité du mouvement et la révolution du ciel, la singularité, l’utilité, la beauté, l’ordre du soleil, de la lune et de tous les astres ; la vue de pareilles choses, à elle seule, montre assez qu’elles ne sont pas dues au hasard : de même, si on entre dans une maison, dans un gymnase ou une place publique, en voyant la disposition, la mesure, l’organisation de toutes choses, on ne peut penser que tout cela se fait sans cause, mais on comprend qu’il y a quelqu’un qui dirige et à qui on obéit – à plus forte raison, dans de si grands mouvements, de si grands changements périodiques 15b22 qui se produisent infailliblement bien qu’ils s’étendent sur une durée impossible à mesurer, on conclura nécessairement que de si grands mouvements sont régis par une intelligence.

V 13 ❖ Quales sint uarium est ; esse nemo negat. Cleanthes quidem noster quattuor de causis dixit in animis hominum informatas deorum esse notiones. Primam posuit eam de qua modo dixi, quae orta esset ex praesensione rerum futurarum ; alteram quam ceperimus ex magnitudine commodorum quae percipiuntur caeli temperatione, fecunditate terrarum, aliarumque commoditatum complurium copia. [+] 14 ❖ Tertiam quae terreret animos fulminibus, tempestatibus, nimbis, niuibus, grandinibus, uastitate, pestilentia, terrae motibus et saepe fremitibus, lapideisque imbribus et guttis imbrium quasi cruentis, tum labibus aut repentinis terrarum hiatibus, tum praeter naturam hominum pecudumque portentis, tum facibus uisis caelestibus, tum stellis his quas Graeci cometas, nostri cincinnatas uocant, quae nuper bello Octauiano magnarum fuerunt calamitatum praenuntiae, tum sole geminato quod, ut e patre audiui, Tuditano et Aquilio consulibus euenerat, quo quidem anno P. Africanus, sol alter, extinctus est, quibus exterriti homines uim quandam esse caelestem et diuinam suspicati sunt. [+] 15a Quartam causam esse eamque uel maximam aequabilitatem motus, conuersionem caeli, solis, lunae, siderumque omnium distinctionem, utilitatem, pulchritudinem, ordinem, quarum rerum aspectus ipse satis indicaret non esse ea fortuita. Vt, si quis in domum aliquam aut in gymnasium aut in forum uenerit, cum uideat omnium rerum rationem, modum, disciplinam, non possit ea sine causa fieri iudicare sed esse aliquem intellegat qui praesit et cui pareatur, multo magis in tantis motionibus tantisque uicissitudinibus, 15b ❖ tam multarum rerum atque tantarum ordinibus, in quibus nihil umquam inmensa et infinita uetustas mentita sit, statuat necesse est ab aliqua mente tantos naturae motus gubernari. [+]

VI 16a Chrysippe, bien que doué d’un esprit très pénétrant, parle pourtant de telle sorte qu’il semble que la nature elle-même lui ait appris ce qu’il dit et qu’il n’a pas l’air de l’avoir découvert tout seul :

VI 16a ❖ Chrysippus quidem, quamquam est acerrimo ingenio, tamen ea dicit ut ab ipsa natura didicisse, non ut ipse repperisse uideatur.

« Si en effet, dit-il, il y a quelque chose dans le monde que l’intelligence de l’homme, sa raison, sa force, son pouvoir seraient incapables de produire, l’être qui produit cela est à coup sûr supérieur à l’homme ; or les choses célestes et toutes celles dont l’ordre est immuable ne peuvent être faites par l’homme ; donc, celui par qui elles sont faites est supérieur à l’homme ; mais cet être, de quel nom l’appeler sinon “dieu” ?
« Si enim, inquit, est aliquid in rerum natura quod hominis mens, quod ratio, quod uis, quod potestas humana efficere non possit, est certe id quod illud efficit homine melius ; atqui res caelestes omnesque eae quarum est ordo sempiternus ab homine confici non possunt ; est igitur id quo illa conficiuntur homine melius. Id autem quid potius dixeris quam deum ?

[LXII 156b Membre de phrase lacunaire correspondant à un repère textuel. XXXIII 86b Membre de phrase lacunaire correspondant à une glose intégrée.]

[LXII 156b largitate fundit ea ferarumne an hominum causa gignere uidetur ? [+] XXXIII 86b Ex sese perfectiores habere naturas quam ea quae ex his efferantur]a [+]

[Greffe de la seconde version]

[Greffe de la seconde version]

XXXIV 86b De toutes les choses qui sont gouvernées par la nature, le monde est pour ainsi dire le semeur, le planteur et le père et aussi l’éducateur et le nourricier : il les alimente et les conserve toutes comme ses propres membres et ses parties. Mais si les parties du monde sont gouvernées par la nature, le monde est nécessairement gouverné lui-même par la nature. Ce gouvernement du moins n’a rien en lui qu’on puisse blâmer, car à partir des éléments qui existaient, c’est le meilleur être possible qui a été produit. 87 Qu’on prouve donc qu’il aurait pu être meilleur ! Mais personne ne le prouvera jamais et si on veut faire quelque correction, ou bien on fera pis, ou bien on regrettera une amélioration impossible.

XXXIV 86b ❖ Omnium autem rerum quae natura administrantur seminator et sator et parens, ut ita dicam, atque educator et altor est mundus, omniaque sicut membra et partes suas nutricatur et continet. Quod si mundi partes natura administrantur, necesse est mundum ipsum natura administrari. Cuius quidem administratio nihil habet in se quod reprehendi possit ; ex his enim naturis quae erant quod effici optimum potuit effectum est. [+] 87 ❖ Doceat ergo aliquis potuisse melius ; sed nemo umquam docebit, et si quis corrigere aliquid uolet aut deterius faciet aut id quod fieri non potuerit desiderabit.

Mais si toutes les parties du monde sont disposées de telle façon qu’elles ne pouvaient être mieux adaptées à l’usage ni plus belles d’aspect, voyons si cela est fortuit ou si les parties sont dans une situation telle qu’elles n’auraient pu former un tout sans l’intervention d’une intelligence et d’une providence divines. Si donc les productions de la nature sont supérieures à celles de l’art, et si l’art ne fait rien sans la raison, on ne doit pas tenir non plus la nature pour dénuée de raison. Quand on regarde une statue ou une peinture, on sait bien qu’un art y a été employé, quand on voit de loin un navire en course, on ne doute pas que ce mouvement ne soit réglé par la raison et l’art ; quand on regarde un cadran solaire ou une horloge à eau23, on comprend qu’ils donnent l’heure grâce à un art et non par hasard ; est-il alors logique de penser que le monde, qui renferme ces arts mêmes et les artisans et toutes choses, est dénué de réflexion et de raison ? 88 Si on apportait en Scythie ou en Bretagne la sphère, fabriquée naguère par notre ami Posidonius24, dont chaque rotation reproduit, pour le soleil, pour la lune et pour les cinq planètes, les mouvements qui se produisent dans le ciel, jour après jour, nuit après nuit, qui donc, dans ces régions barbares, douterait que cette sphère a été fabriquée grâce à la raison ?

Quod si omnes mundi partes ita constitutae sunt ut neque ad usum meliores potuerint esse neque ad speciem pulchriores, uideamus utrum ea fortuitane sint an eo statu quo cohaerere nullo modo potuerint nisi sensu moderante diuinaque prouidentia. Si igitur meliora sunt ea quae natura quam illa quae arte perfecta sunt nec ars efficit quicquam sine ratione, ne natura quidem rationis expers est habenda. Qui igitur conuenit, signum aut tabulam pictam cum aspexeris, scire adhibitam esse artem, cumque procul cursum nauigii uideris, non dubitare quin id ratione atque arte moueatur, aut cum solarium uel descriptum aut ex aqua contemplere, intellegere declarari horas arte, non casu, mundum autem, qui et has ipsas artes et earum artifices et cuncta conplectatur, consilii et rationis esse expertem putare ? [+] 88 Quod si in Scythiam aut in Britanniam sphaeram aliquis tulerit hanc quam nuper familiaris noster effecit Posidonius, cuius singulae conuersiones idem efficiunt in sole et in luna et in quinque stellis errantibus quod efficitur in caelo singulis diebus et noctibus, quis in illa barbaria dubitet quin ea sphaera sit perfecta ratione ?

XXXV Mais voici des gens qui élèvent des doutes au sujet du monde, d’où toutes choses tirent leur origine et leur existence : est-il le produit du hasard ou d’une certaine nécessité, ou encore d’une raison et d’une intelligence divines ? Ils croient qu’Archimède a fait mieux en représentant les rotations de la sphère céleste25 que la nature en les produisant alors que pourtant, à bien des égards, le modèle atteste plus d’habileté que la copie. 89 Ainsi le berger chez Accius, qui n’avait jamais vu de navire, quand il aperçut au loin, du haut d’une montagne, le moyen de transport divin et inouï des Argonautes, s’étonne d’abord, s’effraie et s’écrie :

XXXV Hi autem dubitant de mundo ex quo et oriuntur et fiunt omnia, casune ipse sit effectus aut necessitate aliqua an ratione ac mente diuina, et Archimedem arbitrantur plus ualuisse in imitandis sphaerae conuersionibus quam naturam in efficiendis, praesertim cum multis partibus sint illa perfecta quam haec simulata sollertius. 89 ❖ Atque ille apud Accium pastor, qui nauem numquam ante uidisset, ut procul diuinum et nouum uehiculum Argonautarum e monte conspexit, primo admirans et perterritus hoc modo loquitur :

Si énorme est cette masse qui glisse grondante, venant du large, dans le fracas du vent qui souffle ! Elle refoule devant elle les ondes ; elle soulève de violents tourbillons, elle plonge la tête la première, elle fait jaillir la mer et la fait refluer ; tantôt on croirait voir rouler une nuée orageuse qui crève, tantôt un rocher soulevé et emporté par vents et tempêtes, ou ces tourbillons sphériques qui se dressent sous le choc de vagues entrechoquées. À moins que la mer n’entraîne des débris terrestres ? Ou peut-être Triton, renversant de son trident son antre, sous les racines duquel, tout au fond, bouillonne le flot, arrache-t-il du gouffre une masse de pierre, pour la lancer vers le ciel ?
Tanta moles labitur
fremibunda ex alto ingenti sonitu et spiritu ;
prae se undas uoluit, uertices ui suscitat,
ruit prolapsa, pelagus respergit, reflat ;
ita dum interruptum credas nimbum uoluier,
dum quod sublime uentis expulsum rapi
saxum aut procellis, uel globosos turbines
existere ictos undis concursantibus
nisi quas terrestres pontus strages conciet,
aut forte Triton fuscina euertens specus
subter radices penitus undanti in freto
molem ex profundo saxeam ad caelum eruit.

Il se demande d’abord quel est cet être qu’il voit et qui lui est inconnu ; puis, ayant vu les jeunes hommes et entendu le chant des marins, il parle ainsi :

Dubitat primo quae sit ea natura quam cernit ignotam ; idemque iuuenibus uisis auditoque nautico cantu ; sicut

Des dauphins vifs et rapides fendent les flots de leurs museaux.
inciti atque alacres rostris perfremunt
delphini

Et il dit bien d’autres choses encore :

item alia multa

Un chant comparable aux airs d’un Sylvain est renvoyé à mes oreilles et à mon ouïe26*.
Siluani melo
consimilem ad aures cantum et auditum refert*. [+]

90 Ainsi donc, comme cet homme, au premier abord, croit voir quelque objet inanimé, privé de sensibilité, puis, sur des indices plus sûrs, commence à soupçonner la nature de cette chose qui l’avait déconcerté, de même les philosophes, si d’aventure ils ont été troublés par leur première vision du monde, auraient dû comprendre ensuite, en voyant ses mouvements définis et uniformes, et toutes choses réglées selon un ordre fixe avec une constance immuable, qu’il y a dans cette demeure céleste et divine non pas seulement un habitant, mais un être qui dirige et fixe la mesure, un architecte, pour ainsi dire, pour un si grand ouvrage et une si grande réalisation.

90 Ergo ut hic primo aspectu inanimum quiddam sensuque uacuum se putat cernere, post autem signis certioribus quale sit id de quo dubitauerat incipit suspicari, sic philosophi debuerunt, si forte eos primus aspectus mundi conturbauerat, postea, cum uidissent motus eius finitos et aequabiles omniaque ratis ordinibus moderata inmutabilique constantia, intellegere inesse aliquem non solum habitatorem in hac caelesti ac diuina domo sed etiam rectorem et moderatorem et tamquam architectum tanti operis tantique muneris.

XXXVI Et voici maintenant qu’ils me semblent ne pas même soupçonner quelle admiration suscitent les choses célestes et terrestres. 91 D’abord la terre, située au centre du monde, est entourée de toute part par cet élément vivant et respirable qu’on appelle l’air, nom grec, à vrai dire, mais passé dans l’usage chez nous ; en effet, on s’en sert comme d’un mot latin27. L’air, à son tour, est enveloppé par l’éther illimité, qui est formé des feux les plus élevés. Empruntons aussi ce mot et disons en latin “éther” comme nous disons “air”, bien que Pacuvius le traduise :

XXXVI Nunc autem mihi uidentur ne suspicari quidem quanta sit admirabilitas caelestium rerum atque terrestrium. 91 ❖ Principio enim terra sita in media parte mundi circumfusa undique est hac animabili spirabilique natura cui nomen est aer (Graecum illud quidem sed perceptum iam tamen usu a nostris ; tritum est enim pro Latino). Hunc rursus amplectitur immensus aether qui constat ex altissimis ignibus. Mutuemur hoc quoque uerbum dicaturque tam aether Latine quam dicitur aer etsi interpretatur Pacuuius :

Ce que, je le rappelle, nous appelons “ciel” les Grecs le nomment “éther”*,
Hoc, quod memoro, nostri caelum, Grai perhibent aethera*,

comme si en vérité celui qui dit cela n’était pas un Grec ! “Mais il parle latin.” Oui, si nous ne l’écoutions pas comme parlant grec ; le poète nous l’apprend en un autre passage :

quasi uero non Graius hoc dicat. “At Latine loquitur.” Si quidem nos non quasi Graece loquentem audiamus ; docet idem alio loco :

C’est un Grec, son langage le révèle.
Graiugena ; de isto aperit ipsa oratio. [+]

92 Mais revenons à des sujets plus importants. De l’éther naissent donc les feux innombrables des astres, dont le principal est le soleil, qui éclaire tout d’une lumière éclatante, beaucoup plus grand et plus étendu que la terre entière, puis les autres astres, d’une grandeur démesurée. Et tous ces feux, si grands et si nombreux, non seulement ne nuisent en rien à la terre et aux êtres terrestres, mais leur sont si bénéfiques que, s’ils changeaient de place, la terre serait nécessairement consumée par de tels embrasements, sans contrôle et sans mesure.

92 Sed ad maiora redeamus. Ex aethere igitur innumerabiles flammae siderum existunt quorum est princeps sol omnia clarissima luce conlustrans, multis partibus maior atque amplior quam terra uniuersa, deinde reliqua sidera magnitudinibus inmensis. Atque hi tanti ignes tamque multi non modo nihil nocent terris rebusque terrestribus sed ita prosunt ut si mota loco sint conflagrare terras necesse sit a tantis ardoribus moderatione et temperatione sublata. [+]

XXXVII 93 Là-dessus, comment ne pas m’étonner que quelqu’un puisse se convaincre que certains corps solides et indivisibles, emportés par la force de la pesanteur, produisent par leur rencontre fortuite ce monde si perfectionné et si beau ? Lorsqu’on admet cette possibilité, je ne comprends pas pourquoi on ne penserait pas aussi que les vingt et une lettres de l’alphabet, en or ou en n’importe quelle matière, reproduites à d’innombrables exemplaires, si on les rassemble en un lieu quelconque pour les jeter ensuite sur le sol, peuvent produire les Annales d’Ennius, telles qu’on puisse en faire une lecture continue28 ; je doute pour ma part que le hasard puisse réussir à former un seul vers. 94 Comment alors ces gens-là peuvent-ils prétendre que des corpuscules, dénués de couleur et de toute autre qualité (les Grecs disent ποιότης29), dénués de sensibilité, ont formé par leurs chocs désordonnés et fortuits un monde achevé, ou plutôt des mondes innombrables, dont les uns naissent, les autres périssent à chaque moment de la journée ? Mais si le concours des atomes peut faire un monde, pourquoi ne peut-il faire un portique, un temple, une maison, une ville, ouvrages moins laborieux et beaucoup plus faciles ? Vraiment leurs bavardages sur le monde sont si irréfléchis que j’ai l’impression qu’ils n’ont jamais levé les yeux sur cette admirable beauté du ciel, dont je vais parler maintenant. 95 Aristote dit magnifiquement30 :

XXXVII 93 Hic ego non mirer esse quemquam qui sibi persuadeat corpora quaedam solida atque indiuidua ui et grauitate ferri mundumque effici ornatissimum et pulcherrimum ex eorum corporum concursione fortuita ? Hoc qui existimat fieri potuisse non intellego cur non idem putet si innumerabiles unius et uiginti formae litterarum, uel aureae uel qualeslibet, aliquo coiciantur, posse ex iis in terram excussis Annales Ennii ut deinceps legi possint effici ; quod nescio an ne in uno quidem uersu possit tantum ualere fortuna. [+] 94 Isti autem quem ad modum adseuerant ex corpusculis non colore, non qualitate aliqua (quam ποιότητα Graeci uocant), non sensu praeditis sed concurrentibus temere atque casu mundum esse perfectum, uel innumerabiles potius in omni puncto temporis alios nasci, alios interire – quod si mundum efficere potest concursus atomorum, cur porticum, cur templum, cur domum, cur urbem non potest quae sunt minus operosa et multo quidem faciliora ? Certe ita temere de mundo effutiunt ut mihi quidem numquam hunc admirabilem caeli ornatum (qui locus est proximus) suspexisse uideantur. [+] 95 Praeclare ergo Aristoteles :

Supposons qu’il y ait des gens ayant toujours habité sous terre, dans de belles demeures bien éclairées, ornées de statues et de peintures et pourvues de tous ces biens dont regorgent les hommes qui passent pour heureux, et que, sans être jamais montés à la surface de la terre, ils aient appris par ouï-dire l’existence de puissances divines ; supposons qu’un jour, par la suite, les bouches de la terre s’étant ouvertes, ils aient pu sortir de leurs demeures cachées et s’échapper jusqu’aux lieux que nous habitons ; en voyant soudain la terre, les mers et le ciel, en connaissant l’étendue des nuages et la force des vents, en regardant le soleil et en connaissant non seulement sa grandeur et sa beauté, mais aussi le pouvoir qu’il a de produire le jour en diffusant sa lumière dans tout le ciel, puis en voyant, une fois la terre obscurcie par la nuit, le ciel entier orné et pailleté d’astres, et les phases changeantes de la lune, tantôt croissante, tantôt déclinante, le lever et le coucher de tous ces astres, leur cours fixe et immuable de toute éternité, en voyant tout cela, ils penseraient certainement que les dieux existent et sont les auteurs de si grands ouvrages.
Si essent, inquit, qui sub terra semper habitauissent bonis et inlustribus domiciliis quae essent ornata signis atque picturis instructaque rebus his omnibus quibus abundant ii qui beati putantur nec tamen exissent umquam supra terram, accepissent autem fama et auditione esse quoddam numen et uim deorum, deinde aliquo tempore patefactis terrae faucibus ex illis abditis sedibus euadere in haec loca quae nos incolimus atque exire potuissent ; cum repente terram et maria caelumque uidissent, nubium magnitudinem uentorumque uim cognouissent aspexissentque solem eiusque cum magnitudinem pulchritudinemque tum etiam efficientiam cognouissent, quod is diem efficeret, toto caelo luce diffusa, cum autem terras nox opacasset tum caelum totum cernerent astris distinctum et ornatum lunaeque luminum uarietatem, tum crescentis, tum senescentis, eorumque omnium ortus et occasus atque in omni aeternitate ratos inmutabilesque cursus, quae cum uiderent, profecto et esse deos et haec tanta opera deorum esse arbitrarentur. [+]

XXXVIII 96 Voilà ce que dit Aristote ; quant à nous, imaginons des ténèbres aussi profondes que celles qui autrefois, dit-on, à la suite d’une éruption de l’Etna31, plongèrent dans l’obscurité les régions voisines si bien que pendant deux jours les hommes ne se reconnaissaient plus entre eux ; quand, le troisième jour, le soleil brilla de nouveau, ils crurent être revenus à la vie ; si la même chose nous arrivait au sortir de ténèbres éternelles, en voyant subitement la lumière, que penserions-nous de la splendeur du ciel ? Mais son retour quotidien et l’habitude de le voir font que nos esprits s’y accoutument, ne s’étonnent plus, ne recherchent pas les raisons des choses qu’ils voient tout le temps, comme si la nouveauté des phénomènes plutôt que leur importance devait nous inciter à la recherche des causes. 97 Qui donc appellerait du nom d’homme celui qui, voyant les mouvements si bien réglés du ciel, l’ordre si immuable des astres, toutes choses si bien liées et ajustées entre elles, refuserait d’admettre en tout cela un dessein rationnel et dirait que le hasard produit des effets tels que nulle réflexion ne nous permet de concevoir de quelle réflexion ils sont issus ? Quand nous voyons un objet mû par quelque mécanisme, par exemple une sphère, une horloge ou bien d’autres choses, nous ne mettons pas en doute que ce sont les ouvrages d’une raison ; et quand nous voyons le ciel lancé dans sa course circulaire avec une prodigieuse vitesse, effectuant avec une parfaite régularité ses révolutions annuelles, pour le salut et la conservation de tous les êtres, doutons-nous que cela soit l’œuvre, non seulement d’une raison, mais d’une raison supérieure et divine ?

XXXVIII 96 Atque haec quidem ille ; nos autem tenebras cogitemus tantas quantae quondam eruptione Aetnaeorum ignium finitimas regiones obscurauisse dicuntur, ut per biduum nemo hominem homo agnosceret, cum autem tertio die sol inluxisset tum ut reuixisse sibi uiderentur ; quod si hoc idem ex aeternis tenebris contingeret ut subito lucem aspiceremus, quaenam species caeli uideretur ! Sed adsiduitate cotidiana et consuetudine oculorum adsuescunt animi neque admirantur neque requirunt rationes earum rerum quas semper uident, proinde quasi nouitas nos magis quam magnitudo rerum debeat ad exquirendas causas excitare. [+] 97 ❖ Quis enim hunc hominem dixerit qui, cum tam certos caeli motus, tam ratos astrorum ordines, tamque inter se omnia conexa et apta uiderit, neget in his ullam inesse rationem eaque casu fieri dicat quae quanto consilio gerantur nullo consilio adsequi possumus. An, cum machinatione quadam moueri aliquid uidemus, ut sphaeram, ut horas, ut alia permulta, non dubitamus quin illa opera sint rationis, cum autem impetum caeli cum admirabili celeritate moueri uertique uideamus, constantissime conficientem uicissitudines anniuersarias cum summa salute et conseruatione rerum omnium, dubitamus quin ea non solum ratione fiant sed etiam excellenti diuinaque ratione ? [+]

98 Il est permis, en effet, laissant de côté toute argumentation subtile, de contempler de nos yeux, en quelque sorte, la beauté des choses que nous disons établies par la providence divine. XXXIX Considérons d’abord la terre entière, située au centre du monde, solide, sphérique, se ramassant de toutes parts sur elle-même par le mouvement de gravitation, revêtue de fleurs, d’herbes, d’arbres, de moissons, dont l’incroyable multitude se différencie dans une inépuisable diversité. Ajoutez-y la fraîche pérennité des sources, la fluidité diaphane des rivières, la parure si verdoyante de leurs rives, la profondeur voûtée des grottes, la saillie des rochers, la hauteur des monts qui nous dominent et l’immensité des plaines ; ajoutez encore les filons cachés d’or et d’argent, le marbre en quantité illimitée. 99 Et comme sont nombreuses et variées les espèces d’animaux domestiques ou sauvages, que de vols, que de chants d’oiseaux, que de pacages pour les troupeaux, quelle animation dans les forêts ! Que dire maintenant du genre humain ? Institué en quelque sorte pour cultiver la terre, il ne permet pas qu’elle soit ensauvagée par la férocité des bêtes ni désolée par une végétation luxuriante ; grâce à ses travaux, les champs, les îles et les rivages resplendissent, parés de maisons et de villes. Si nous pouvions voir cela de nos yeux, comme nous le voyons par la pensée, personne, en contemplant la terre entière, ne douterait de la raison divine.

98 ❖ Licet enim iam remota subtilitate disputandi oculis quodam modo contemplari pulchritudinem rerum earum quas diuina prouidentia dicimus constitutas. XXXIX Ac principio terra uniuersa cernatur, locata in media sede mundi, solida et globosa et undique ipsa in sese nutibus suis conglobata, uestita floribus, herbis, arboribus, frugibus, quorum omnium incredibilis multitudo insatiabili uarietate distinguitur. Adde huc fontium gelidas perennitates, liquores perlucidos amnium, riparum uestitus uiridissimos, speluncarum concauas altitudines, saxorum asperitates, inpendentium montium altitudines, immensitatesque camporum ; adde etiam reconditas auri argentique uenas infinitamque uim marmoris. [+] 99 ❖ Quae uero et quam uaria genera bestiarum uel cicurum uel ferarum, qui uolucrium lapsus atque cantus, qui pecudum pastus, quae uita siluestrium ! Quid iam de hominum genere dicam, qui quasi cultores terrae constituti non patiuntur eam nec inmanitate beluarum efferari nec stirpium asperitate uastari quorumque operibus agri, insulae, litoraque collucent distincta tectis et urbibus. Quae si ut animis sic oculis uidere possemus, nemo cunctam intuens terram de diuina ratione dubitaret. [+]

100 Et quelle beauté dans la mer, quel spectacle nous donne sa plénitude et la multitude et la diversité de ses îles et l’agrément de ses côtes et de ses rivages et le nombre et la variété des espèces marines, les unes vivant dans les profondeurs, les autres flottant et nageant à la surface, d’autres fixées aux rochers par leurs coquilles naturelles ! La mer vient elle-même se jouer sur le rivage, poussée par son désir de la terre, si bien que de l’union des deux éléments semble se former un élément unique.

100 ❖ At uero quanta maris est pulchritudo, quae species uniuersi, quae multitudo et uarietas insularum, quae amoenitates orarum ac litorum, quot genera quamque disparia, partim submersarum, partim fluitantium et innantium beluarum, partim ad saxa natiuis testis inhaerentium ! Ipsum autem mare sic terram appetens litoribus eludit ut una ex duabus naturis conflata uideatur. [+]

101 Puis l’air, voisin de la mer, est soumis à l’alternance du jour et de la nuit ; tantôt diffus et raréfié, il se porte vers le haut, tantôt il se condense en nuages, se contracte et, par l’humidité qu’il ramasse, favorise la terre de pluies ; tantôt, en s’écoulant dans un sens ou dans l’autre, il produit les vents. C’est lui aussi qui est l’auteur des variations annuelles du froid et de la chaleur ; lui encore, qui soutient le vol des oiseaux et qui, aspiré, nourrit et entretient les êtres vivants.

101 ❖ Exin mari finitumus aer die et nocte distinguitur isque tum fusus et extenuatus sublime fertur, tum autem concretus in nubes cogitur umoremque colligens terram auget imbribus, tum effluens huc et illuc uentos efficit. Idem annuas frigorum et calorum facit uarietates idemque et uolatus alitum sustinet et spiritu ductus alit et sustentat animantes.

XL Reste l’élément le plus éloigné de nos demeures, situé le plus haut, qui étreint le ciel, enfermant et enserrant toutes choses ; on l’appelle aussi l’éther, borne ultime et frontière du monde32 ; en lui, pour notre émerveillement, des êtres de feu décrivent leurs trajectoires bien ordonnées. 102 Parmi eux, le soleil, dont la grandeur dépasse de beaucoup celle de la terre, tourne autour de celle-ci et, par son lever et son coucher, fait le jour et la nuit ; tantôt, s’approchant d’elle, tantôt s’en éloignant, il fait chaque année, à partir du point extrême de sa course, deux marches en sens inverse ; dans cet intervalle, tantôt il empreint la terre d’une sorte de tristesse, tantôt, inversement, il la réjouit, si bien qu’elle semble s’égayer en même temps que le ciel. 103 La lune, qui est, comme le montrent les mathématiciens, plus grande que la moitié de la terre33, parcourt les mêmes régions que le soleil mais, tantôt se rencontrant avec lui, tantôt s’en éloignant, elle envoie vers la terre la lumière qu’elle a reçue du soleil et elle subit elle-même diverses variations dans sa lumière ; il arrive même que parfois, étant en conjonction avec le soleil, elle en masque les rayons et la lumière ; parfois, pénétrant dans l’ombre de la terre, quand elle est en opposition avec le soleil, à cause de l’interposition et de l’interférence de la terre, soudain elle s’éclipse. Dans les mêmes régions, les étoiles dites errantes se meuvent autour de la terre et pareillement se lèvent et se couchent ; leurs mouvements sont tantôt accélérés, tantôt retardés ; parfois même ils cessent. 104 Rien ne peut être plus admirable, plus beau qu’un tel spectacle. Vient ensuite l’immense multitude des étoiles fixes, dont la répartition forme des dessins tels qu’on leur a trouvé des noms tirés de leur ressemblance avec des figures connues. »

XL Restat ultimus et a domiciliis nostris altissimus omnia cingens et coercens caeli complexus qui idem aether uocatur, extrema ora et determinatio mundi, in quo cum admirabilitate maxima igneae formae cursus ordinatos definiunt. [+] 102 ❖ E quibus sol, cuius magnitudine multis partibus terra superatur, circum eam ipsam uoluitur isque oriens et occidens diem noctemque conficit et modo accedens, tum autem recedens, binas in singulis annis reuersiones ab extremo contrarias facit quarum in interuallo tum quasi tristitia quadam contrahit terram, tum uicissim laetificat ut cum caelo hilarata uideatur. 103 ❖ Luna autem quae est, ut ostendunt mathematici, maior quam dimidia pars terrae, isdem spatiis uagatur quibus sol sed tum congrediens cum sole, tum degrediens, et eam lucem quam a sole accepit mittit in terras et uarias ipsa lucis mutationes habet atque etiam tum subiecta atque opposita soli radios eius et lumen obscurat, tum ipsa incidens in umbram terrae cum est e regione solis, interpositu interiectuque terrae repente deficit. Isdemque spatiis eae stellae quas uagas dicimus circum terram feruntur eodemque modo oriuntur et occidunt quarum motus tum incitantur, tum retardantur, saepe etiam insistunt. [+] 104 Quo spectaculo nihil potest admirabilius esse, nihil pulchrius. Sequitur stellarum inerrantium maxima multitudo quarum ita descripta distinctio est ut ex notarum figurarum similitudine nomina inuenerint. »

XLI À ce moment, Balbus me regarda et dit : « Je vais me servir des poèmes d’Aratos que tu as traduits dans ta prime jeunesse34 ; ils me plaisent tant dans leur version latine que j’en sais par cœur beaucoup de vers. Donc, comme nous le voyons sans cesse de nos propres yeux, c’est sans aucun changement ni diversité que :

XLI Atque hoc loco me intuens, « Vtar, inquit, carminibus Arati eis quae a te admodum adulescentulo conuersa ita me delectant quia Latina sunt, ut multa ex iis memoria teneam. Ergo, ut oculis adsidue uidemus, sine ulla mutatione aut uarietateb

Tous les corps célestes glissent d’un mouvement rapide et sont entraînés nuit et jour avec le ciel
Cetera labuntur celeri caelestia motu
cum caeloque simul noctesque diesque feruntur [+]

105 et de leur contemplation ne peut se rassasier l’esprit de quiconque désire connaître par la vue l’immutabilité de la nature.

105 quorum contemplatione nullius expleri potest animus naturae constantiam uidere cupientis.

Et en particulier, l’extrême sommet du double pivot se nomme le pôle.
Extremusque adeo duplici de cardine uertex
dicitur esse polus.

Autour de notre pôle, se meuvent les deux Ourses, qui jamais ne se couchent.

Hunc circum Arctoe duae feruntur numquam occidentes.

L’une d’elles, chez les Grecs, est appelée Cynosura (Petite Ourse), l’autre se nomme Helicé (Grande Ourse)
Ex his altera apud Graios Cynosura uocatur,
altera dicitur esse Helice,

de cette dernière nous voyons pendant la nuit entière les étoiles très brillantes,

cuius quidem clarissimas stellas totis noctibus cernimus,

que nos compatriotes ont pris l’habitude d’appeler les Sept bœufs de battage35.
quas nostri Septem soliti uocitare Triones, [+]

106 Cynosura, la Petite, parcourt le même sommet du ciel avec un nombre égal d’étoiles pareillement disposées :

106 ❖ paribusque stellis similiter distinctis eundem caeli uerticem lustrat parua Cynosura.

C’est à elle que se fient les Phéniciens, comme guide nocturne en haute mer ; mais l’autre brille la première, avec ses étoiles mieux reconnaissables et se voit dans son ampleur sitôt que tombe la nuit. La première est petite, il est vrai, mais c’est elle qui sert aux marins : car dans sa course plus proche du pôle, elle décrit un cercle très court.
Hac fidunt duce nocturna Phoenices in alto.
Sed prior illa magis stellis distincta refulget
et late prima confestim a nocte uidetur.
Haec uero parua est sed nautis usus in hac est ;
nam cursu interiore breui conuertitur orbe.

XLII Et pour rendre plus admirable le spectacle de ces étoiles :

XLII Et quo sit earum stellarum admirabilior aspectus,

Entre elles, comme un fleuve aux violents tourbillons, rampe et se tord le Dragon, qui les enlace par-dessous et par-dessus, et dont le corps dessine des replis sinueux.
Has inter ueluti rapido cum gurgite flumen
toruus Draco serpit subter superaque reuoluens
sese conficiensque sinus e corpore flexos. [+]

107 Son aspect d’ensemble est très beau, mais il faut remarquer surtout la forme de sa tête et l’éclat de ses yeux :

107 Eius cum totius est praeclara species, <tum> in primis aspicienda est figura capitis atque ardor oculorum :

Il n’a point assez, pour orner sa tête, de l’éclat d’une seule étoile : ses tempes sont marquées d’un double feu, dans ses yeux farouches brûlent deux ardentes lumières et à son menton brille un astre rayonnant ; on dirait que sa tête inclinée, ployée sur le cou arrondi, fixe son regard sur la queue de la Grande Ourse.
Huic non una modo caput ornans stella relucet,
uerum tempora sunt duplici fulgore notata
e trucibusque oculis duo feruida lumina flagrant
atque uno mentum radianti sidere lucet ;
opstipum caput, a tereti ceruice reflexum
optutum in cauda maioris figere dicas. [+]

108 Et nous voyons pendant la nuit entière le reste du corps du Dragon :

108 Et reliquum quidem corpus Draconis totis noctibus cernimus,

Cette tête, brusquement, se cache un peu, à l’endroit où lever et coucher se confondent en un point unique.
Hoc caput hic paulum sese subitoque recondit,
ortus ubi atque obitus parti admiscetur in una.

Touchant sa tête,

Id autem caput attingens,

gravite la silhouette lasse d’un être qu’on dirait affligé
defessa uelut maerentis imago
uertitur,

que les Grecs

quam quidem Graeci

appellent Engonasis (l’Agenouillé), en expliquant qu’il se déplace appuyé sur ses genoux. Ici est placée la fameuse Couronne, d’un éclat extraordinaire.
Engonasin uocitant, genibus quia nixa feratur.
Hic illa eximio posita est fulgore Corona.

Celle-ci est derrière le Dragon, tandis que du côté de sa tête est le Serpentaire,

Atque haec quidem a tergo, propter caput autem Anguitenens [+]

109 que les Grecs appellent, d’un nom illustre, Ophiouchos36. Celui-ci, d’une double pression de ses paumes, retient le Serpent et lui-même demeure enlacé par les replis de la bête, car le reptile étreint l’homme à mi-corps, sous la poitrine. Lui, cependant, lourdement campé, se maintient debout et foule aux pieds les yeux et le thorax du Scorpion.
109 quem claro perhibent Ophiuchum nomine Graii.
Hic pressu duplici palmarum continet Anguem,
atque eius ipse manet religatus corpore torto ;
namque uirum medium Serpens sub pectora cingit.
Ille tamen nitens grauiter uestigia ponit
atque oculos urget pedibus pectusque Nepai.

Derrière les Sept bœufs de battage vient

Septentriones autem sequitur

Arctophylax, communément appelé le Bouvier, parce qu’il chasse devant lui l’Ourse37, attelée, dirait-on, au timon.
Arctophylax, uulgo qui dicitur esse Bootes,
quod quasi temone adiunctam prae se quatit Arctum. [+]

110 La description se poursuit :

110 Dein quae sequuntur : huic enim Booti

Fixée au-dessous de la poitrine (du Bouvier), on voit une étoile rayonnante de feux, Arcturus au nom illustre.
subter praecordia fixa uidetur
stella micans radiis, Arcturus nomine claro ;

Sous les pieds du Bouvier se présente,

cuius <pedibus> subiecta fertur

un Épi éclatant à la main, la Vierge au corps resplendissant.
Spicum inlustre tenens splendenti corpore Virgo.

XLIII Et puis les constellations sont si bien délimitées que l’habileté d’un dieu se révèle dans un tracé si précis :

XLIII Atque ita demetata signa sunt ut in tantis descriptionibus diuina sollertia appareat :

Tu apercevras les Gémeaux sous la tête de l’Ourse ; sous sa partie centrale est située le Cancer, et ses pattes touchent le vaste Lion, qui agite ses flammes frissonnantes.
Et Natos Geminos inuises sub caput Arcti ;
subiectus mediae est Cancer pedibusque tenetur
magnus Leo tremulam quatiens e corpore flammam.

Le Cocher

Auriga

s’avancera, étendu sous la partie gauche des Gémeaux ; sa tête fait face aux regards de l’Ourse farouche, tandis que la Chèvre brillante repose sur son épaule gauche.
sub laeua Geminorum obductus parte feretur.
Aduersum caput huic Helice truculenta tuetur.
At Capra laeuum umerum clara obtinet.

Et la suite :

Tum quae sequuntur :

Mais elle se signale par son puissant éclat, tandis que les Chevreaux n’envoient aux mortels qu’une faible lueur.
Verum haec est magno atque inlustri praedita signo,
contra Haedi exiguum iaciunt mortalibus ignem.

Sous les pieds (du Cocher),

Cuius sub pedibus

haut en cornes, le Taureau est là, ramassé sur son corps puissant.
corniger est ualido conixus corpore Taurus. [+]

111 Sa tête est parsemée d’étoiles nombreuses :

111 ❖ Eius caput stellis conspersum est frequentibus ;

Les Grecs ont accoutumé d’appeler ces étoiles les Hyades du verbe huein (ὕειν) qui veut dire “pleuvoir” ;
has Graeci stellas Hyadas uocitare suerunt

par ignorance, nos compatriotes les appellent “Petites Truies” (Suculae), comme si elles tiraient leur nom de sus (truie) et non du mot signifiant “pluie”. Derrière la Petite Ourse suit Céphée, les mains tendues,

a pluendo (ὕειν enim est pluere), nostri imperite Suculas quasi a subus essent, non ab imbribus nominatae. Minorem autem Septentrionem Cepheus passis palmis [terga] subsequitur ;

car lui-même gravite derrière l’Ourse Cynosure.
namque ipse ad tergum Cynosurae uertitur Arcti.

Avant lui vient,

Hunc antecedit

avec l’obscure clarté de ses étoiles, Cassiopée. Mais auprès d’elle tourne le corps resplendissant d’Andromède qui, pleine de chagrin, fuit le regard de sa mère. Le Cheval, agitant sa crinière aux feux étincelants, touche par son ventre le sommet de la tête d’Andromède et l’étoile unique qui les joint maintient de son commun éclat les deux figures, avec l’intention de serrer un nœud d’astres éternel. Puis vient le Bélier, immobile, avec ses cornes enroulées.
obscura specie stellarum Cassiepia.
Hanc autem inlustri uersatur corpore propter
Andromeda aufugiens aspectum maesta parentis.
Huic Equus ille iubam quatiens fulgore micanti
summum contingit caput aluo stellaque iungens
una tenet duplices communi lumine formas
aeternum ex astris cupiens conectere nodum.
Exin contortis Aries cum cornibus haeret

Près de lui,

quem propter

Les Poissons, dont l’un glisse un peu en avant et subit davantage le contact des ailes de l’Aquilon au bruit terrible.
Pisces, quorum alter paulum praelabitur ante
et magis horriferis aquilonis tangitur auris. [+]

XLIV 112 Aux pieds d’Andromède se dessine Persée,

XLIV 112 Ad pedes Andromedae Perseus describitur quem

tandis que, venues de la zone la plus haute, le battent les rafales de l’Aquilon.
Près de son genou gauche, tu verras les Pléiades, faiblement lumineuses. On aperçoit ensuite la Lyre, délicatement posée et arrondie.
summa ab regione aquilonis flamina pulsant.

Cuius

propter laeuum genus
Vergilias tenui cum luce uidebis.
Inde Fides leuiter posita et conuexa uidetur.

Puis

Inde

le Cygne qui vole sous la large voûte du ciel.
est Ales avis lato sub tegmine caeli.

Proche de la tête du Cheval, se trouve le bras droit du Verseau, et ensuite le Verseau tout entier. Puis,

Capiti autem Equi proximat Aquari dextra totusque deinceps Aquarius. Tum

l’être dont la poitrine puissante exhale un souffle glacé, ce Capricorne monstrueux que porte le vaste cercle des signes. C’est après l’avoir enveloppé de sa lumière éternelle que le Soleil, au solstice d’hiver, infléchit la course de son char
gelidum ualido de pectore frigus anhelans
corpore semifero magno Capricornus in orbe ;
quem cum perpetuo uestiuit lumine Titan,
brumali flectens contorquet tempore currum. [+]

113 Alors on aperçoit :

113 Hic autem aspicitur

le Scorpion qui apparaît et s’élève haut, entraînant l’Arc que bande derrière lui un corps vigoureux.
Près de lui, le Cygne, prenant appui sur ses ailes, accomplit son vol circulaire. Tout près cependant, l’Aigle au corps étincelant prend son essor.
sese ostendens emergit Scorpios alte
posteriore trahens flexum ui corporis Arcum.

Quem

propter, nitens pinnis, conuoluitur Ales.
At propter se Aquila ardenti cum corpore portat.

Ensuite le Dauphin ;

Deinde Delphinus.

Plus loin Orion, le corps incliné, fait effort…
Exinde Orion obliquo corpore nitens. [+]

114 À sa suite

114 Quem subsequens

Le Chien ardent resplendit de la lueur de ses étoiles.
feruidus ille Canis stellarum luce

Puis le Lièvre suit,

refulget. Post Lepus subsequitur

sans que la fatigue lui fasse jamais ralentir sa course ; mais vers la queue du Chien, glisse lentement le navire Argo ; au-dessus de lui s’étendent le Bélier et les Poissons au corps couvert d’écailles ; il touche, de sa poitrine lumineuse, aux rives du Fleuve.
curriculum numquam defesso corpore sedans ;
at Canis ad caudam serpens prolabitur Argo.
Hanc Aries tegit et squamoso corpore Pisces
Fluminis inlustri tangentem corpore ripas.

Tu verras celui-ci serpenter et s’écouler,

Quem longe serpentem et manantem aspicies

et tu verras aussi les longues chaînes qui retiennent les Poissons, en partant de leurs queues. De là, jouxtant le dard du Scorpion étincelant, tu discerneras l’Autel, que l’haleine de l’Auster caresse de son souffle.
proceraque uincla uidebis
quae retinent Pisces caudarum a parte locata.
Inde Nepae cernes propter fulgentis acumen
Aram quam flatu permulcet spiritus Austri.

Auprès s’avance le Centaure,

Propter quae Centaurus

se hâtant de cacher sous les Pinces la partie de son corps qui tient du cheval. Allongeant sa main droite, où il serre un gros quadrupède, il la tend vers l’Autel brillant, dont il s’approche d’un air farouche. C’est ici que, sortant des régions inférieures, se dresse l’Hydre,
cedit Equi partis properans subiungere Chelis.
Hic dextram porgens, Quadrupes qua uasta tenetur,
tendit et inlustrem truculentus cedit ad Aram.
Hic sese infernis e partibus erigit Hydra,

dont le corps s’étale en longueur ;

cuius longe corpus est fusum,

sur son repli médian brille la Coupe éclatante ; le dernier soutient le corps emplumé du Corbeau, qui le frappe à coups de bec ; ici encore, juste sous les Gémeaux, avant le Chien, se trouve celui qui porte le nom grec de Procyon.
in medioque sinu fulgens Cratera relucet.
Extremam nitens plumato corpore Coruus
rostro tundit et hic Geminis est ille sub ipsis
ante Canem, Procyon Graio qui nomine fertur. [+]

115 Toute cette ordonnance des astres, cette magnifique parure du ciel, quel homme sain d’esprit pourrait croire qu’elles aient pu être réalisées par des corps courant ici et là, au hasard et à l’aveuglette ? Quel autre être, dénué d’intelligence et de raison, aurait pu produire ces effets ? Non seulement leur existence a exigé l’intervention de la raison, mais leur nature ne peut être comprise sans l’exercice d’une raison éminente.

115 ❖ Haec omnis descriptio siderum atque hic tantus caeli ornatus ex corporibus huc et illuc casu et temere cursantibus potuisse effici cuiquam sano uideri potest ? Aut uero alia quae natura mentis et rationis expers haec effigere potuit ? Quae non modo ut fierent ratione eguerunt sed intellegi qualia sint sine summa ratione non possunt ?

XLV Non seulement cela est admirable, mais rien n’est plus remarquable que la stabilité et la cohésion du monde, qui sont telles qu’on ne peut même rien concevoir de mieux fait pour durer. En effet, toutes ses parties, tendant de tous côtés vers le centre, exercent une pression égale38. Or, les corps liés entre eux maintiennent au mieux leur union lorsqu’une sorte de lien les entoure et les entrave ; c’est ce que fait cette nature qui, répandue à travers le monde entier, faisant tout par réflexion et par raison, entraîne et dirige vers le centre les parties les plus extérieures. 116 C’est pourquoi, si le monde est sphérique et si, pour cette raison, toutes ses parties se maintiennent partout en équilibre, par elles-mêmes et les unes par les autres, nécessairement il se produit la même chose pour la terre ; si bien que, toutes ses parties tendant vers le centre (le centre est dans une sphère la partie la plus basse), il n’y a aucune rupture de continuité, capable de ruiner un si grand effort de la gravité et de la pesanteur. Pour la même raison, la mer, bien qu’elle soit au-dessus de la terre, cherche pourtant à gagner le centre et s’arrondit uniformément de toutes parts, sans jamais déborder ni se répandre. 117 Quant à l’air, jouxtant la mer, il se porte, à vrai dire, vers le haut, à cause de sa légèreté, mais pourtant il se répand dans toutes les directions ; aussi est-il en continuité et en liaison avec la mer et, d’autre part, en vertu de sa nature, il est porté vers le ciel ; bien tempéré grâce à la subtilité et à la chaleur du ciel, il fournit aux êtres animés le souffle de vie et de santé. L’air est enveloppé par la partie supérieure du ciel, qu’on appelle région éthérée et qui, d’une part, conserve ce feu subtil qui lui est propre, sans admettre nul mélange qui l’épaissirait, et, d’autre part, est en liaison avec la couche extérieure de l’air.

XLV Nec uero haec solum admirabilia, sed nihil maius quam quod ita stabilis est mundus atque ita cohaeret ad permanendum ut nihil ne excogitari quidem possit aptius. Omnes enim partes eius undique medium locum capessentes nituntur aequaliter. Maxime autem corpora inter se iuncta permanent cum quasi quodam uinculo circumdato colligantur ; quod facit ea natura quae per omnem mundum omnia mente et ratione conficiens funditur et ad medium rapit et conuertit extrema. [+] 116 ❖ Quocirca si mundus globosus est ob eamque causam omnes eius partes undique aequabiles ipsae per se atque inter se continentur, contingere idem terrae necesse est, ut omnibus eius partibus in medium uergentibus (id autem medium infimum in sphaera est) nihil interrumpat quo labefactari possit tanta contentio grauitatis et ponderum. Eademque ratione mare, cum supra terram sit, medium tamen terrae locum expetens conglobatur undique aequabiliter neque redundat umquam neque effunditur. [+] 117 ❖ Huic autem continens aer fertur ille quidem leuitate sublimi sed tamen in omnes partes se ipse fundit ; itaque et mari continuatus et iunctus est et natura fertur ad caelum cuius tenuitate et calore temperatus uitalem et salutarem spiritum praebet animantibus. Quem complexa summa pars caeli quae aetheria dicitur et suum retinet ardorem tenuem et nulla admixtione concretum et cum aeris extremitate coniungitur.

XLVI Dans l’éther roulent les astres qui gardent, par leur propre effort, la forme d’un globe et grâce à cette même forme et configuration maintiennent leurs mouvements ; en effet, ils sont sphériques, et c’est cette forme, comme je crois l’avoir déjà dit, qui leur permet d’échapper à tout dommage. 118 Les étoiles sont de nature ignée ; c’est pourquoi elles se nourrissent des vapeurs de la terre, de la mer, des eaux, qui s’élèvent, sous l’action du soleil, des champs et des eaux qu’il a réchauffés ; nourris et renouvelés par ces vapeurs, les étoiles et l’éther entier les répandent pour les tirer à nouveau des mêmes sources, si bien que rien ne périt, ou très peu de chose, que consument le feu des astres et la flamme de l’éther. C’est ce qui fait penser à nos amis – mais Panétius, disaient-ils, en doutait39 – que finalement le monde s’embrasera quand, l’élément liquide étant épuisé, la terre ne pourra plus être nourrie, ni l’air continuer à souffler, étant incapable de se lever, une fois l’eau entièrement épuisée ; ainsi rien ne resterait, sinon le feu, être vivant et dieu, par lequel pourrait s’opérer le renouvellement du monde, et renaître le même ordre harmonieux. 119 Je ne veux pas vous paraître trop disert sur l’astronomie, ni surtout sur les étoiles dites errantes ; leur harmonie est telle, malgré leurs mouvements très différents, que quand l’étoile la plus haute, celle de Saturne, produit du froid, l’étoile intermédiaire, celle de Mars, est brûlante, celle de Jupiter, située entre les deux, donne de la lumière et une chaleur tempérée, tandis que les deux étoiles au-dessous de Mars obéissent au soleil, que le soleil lui-même remplit de sa lumière le monde entier et que la lune, éclairée par lui, amène les grossesses, les accouchements et les naissances à terme. Si quelqu’un n’est pas ému par cette liaison des choses, par cette harmonieuse combinaison de la nature en vue de la conservation du monde40, c’est qu’il n’a jamais réfléchi à ces questions, j’en suis certain. XLVII 120 Eh bien, pour passer des choses du ciel à celles de la terre, qu’y a-t-il en elles où n’apparaisse le dessein d’un être intelligent41 ? D’abord, chez les végétaux, des racines leur assurent la fixité et le soutien et tirent de la terre la sève qui nourrit les parties qu’elles supportent ; les troncs sont revêtus d’écorce ou de liège, pour être mieux protégés du froid et de la chaleur. Quant aux vignes, elles saisissent les échalas avec leurs vrilles comme avec des mains, et ainsi elles se soulèvent à la manière d’un être animé ; bien plus, si on a planté des choux dans le voisinage, elles s’en écartent, dit-on, comme d’êtres pestiférés et nuisibles et ne les touchent à aucun endroit42. 121 Et les animaux ! quelle diversité chez eux, quelle capacité de persister chacun dans son espèce ! Les uns sont protégés par leur peau, d’autres revêtus de poils, d’autres hérissés d’épines ; nous en voyons d’autres couverts de plumes, d’autres d’écailles ; les uns sont armés de cornes, les autres se sauvent grâce à leurs ailes. Aux animaux la nature fournit à profusion et en abondance la nourriture qui convient à chacun. Je pourrais exposer en détail ce qui, dans la conformation des animaux, leur permet de saisir et d’absorber cette nourriture, et comme est savante et subtile la disposition de leurs parties, combien est admirable la structure de leurs membres. En effet, tous leurs organes, ceux du moins qui sont contenus dans le corps, sont faits et placés de telle sorte qu’aucun d’eux n’est superflu et que tous sont nécessaires à la conservation de la vie. 122 La nature a aussi donné aux bêtes la sensation et l’appétit, l’un pour qu’elles fassent effort afin de se saisir de leurs aliments propres, l’autre pour qu’elles distinguent ce qui est nuisible de ce qui est bon pour leur santé. Les animaux atteignent leur nourriture les uns en marchant, les autres en rampant, d’autres en volant, d’autres en nageant ; tantôt ils se saisissent de la nourriture en ouvrant la bouche et à pleines dents, tantôt ils la ravissent et la tiennent avec des griffes, tantôt avec un bec crochu ; les uns sucent, d’autres broutent, d’autres dévorent, d’autres mâchent. Et même, certains sont de taille si basse qu’ils atteignent facilement avec leur bec leur nourriture sur le sol ; 123 ceux qui sont d’une taille plus haute, comme les oies, les cygnes, les grues, les chameaux, sont aidés par la longueur de leur cou ; l’éléphant a même été doté d’une trompe parce que la grandeur de son corps lui rendait difficile l’accès à sa nourriture. XLVIII Quant aux bêtes dont la nourriture était la chair des bêtes d’une autre espèce, la nature leur a donné la force ou la vitesse. Certaines ont même été dotées d’une espèce de ruse ingénieuse : ainsi chez les araignées, les unes tissent une sorte de filet, pour dévorer ce qui y reste accroché ; les autres guettent pour prévenir toute surprise et, si quelque proie se présente, elles s’en saisissent et l’avalent. La pinne (c’est ainsi qu’on l’appelle en grec), largement ouverte avec ses deux grandes coquilles, s’associe, pour ainsi dire, avec une petite squille pour se procurer de la nourriture ; c’est ainsi que, quand de petits poissons pénètrent en nageant dans la coquille béante, la pinne, avertie par un pincement de la squille, referme ses coquilles43 ; ainsi des bêtes si différentes cherchent en commun leur nourriture. 124 Est-ce à la suite d’une rencontre quelconque ou bien dès leur naissance que ces animaux se sont associés ? Des animaux aquatiques suscitent aussi quelque étonnement : ils naissent sur la terre ; c’est le cas des crocodiles, des tortues de rivière et de certains serpents qui, nés hors de l’eau, dès qu’ils peuvent se traîner, recherchent l’eau. Mieux encore, nous faisons souvent couver des œufs de canes par des poules ; les petits qui en sortent sont d’abord nourris par elles comme par des mères, qui les ont fait éclore et réchauffés, ensuite ils les abandonnent et se dérobent à leur poursuite, aussitôt qu’ils ont pu voir l’eau, leur séjour naturel ; si grand est le souci de leur conservation que la nature a inculqué aux êtres vivants.

XLVI In aethere autem astra uoluuntur quae se et nisu suo globata continent et forma ipsa figuraque sua momenta sustentant ; sunt enim rotunda, quibus formis, ut ante dixisse uideor, minime noceri potest. [+] 118 ❖ Sunt autem stellae natura flammeae ; quocirca terrae, maris, aquarum uaporibus aluntur iis qui a sole ex agris tepefactis et ex aquis excitantur ; quibus altae renouataeque stellae atque omnis aether refundunt eadem et rursum trahunt indidem, nihil ut fere intereat aut admodum paululum, quod astrorum ignis et aetheris flamma consumat. Ex quo euenturum nostri putant id de quo Panaetium addubitare dicebant, ut ad extremum omnis mundus ignesceret, cum umore consumpto neque terra ali posset nec remearet aer, cuius ortus aqua omni exhausta esse non posset ; ita relinqui nihil praeter ignem, a quo rursum animante ac deo renouatio mundi fieret atque idem ornatus oreretur. [+] 119 ❖ Nolo in stellarum ratione multus uobis uideri maximeque earum quae errare dicuntur ; quarum tantus est concentus ex dissimillimis motibus ut, cum summa Saturni refrigeret, media Martis incendat, iis interiecta Iouis inlustret et temperet infraque Martem duae soli oboediant, ipse sol mundum omnem sua luce compleat ab eoque luna inluminata grauiditates et partus adferat maturitatesque gignendi. Quae copulatio rerum et quasi consentiens ad mundi incolumitatem coagmentatio naturae quem non mouet, hunc horum nihil umquam reputauisse certo scio. [+] XLVII 120 ❖ Age ut a caelestibus rebus ad terrestres ueniamus : quid est in his in quo non naturae ratio intellegentis appareat ? Principio eorum quae gignuntur e terra stirpes et stabilitatem dant iis quae sustinentur et e terra sucum trahunt quo alantur ea quae radicibus continentur ; obducunturque libro aut cortice trunci quo sint a frigoribus et caloribus tutiores. Iam uero uites sic clauiculis adminicula tamquam manibus adprehendunt atque ita se erigunt ut animantes ; quin etiam a caulibus [brassicis], si propter sati sint, ut a pestiferis et nocentibus refugere dicuntur nec eos ulla ex parte contingere. [+] 121 ❖ Animantium uero quanta uarietas est, quanta ad eam rem uis ut in suo quaeque genere permaneat ! Quarum aliae coriis tectae sunt, aliae uillis uestitae, aliae spinis hirsutae ; pluma alias, alias squama uidemus obductas, alias esse cornibus armatas, alias habere effugia pinnarum. Pastum autem animantibus large et copiose natura eum qui cuique aptus erat comparauit. Enumerare possum ad eum pastum capessendum conficiendumque quae sit in figuris animantium et quam sollers subtilisque discriptio partium quamque admirabilis fabrica membrorum. Omnia enim, quae quidem intus inclusa sunt, ita nata atque ita locata sunt ut nihil eorum superuacuaneum sit, nihil ad uitam retinendam non necessarium. [+] 122 ❖ Dedit autem eadem natura beluis et sensum et appetitum, ut altero conatum haberent ad naturales pastus capessendos, altero secernerent pestifera a salutaribus. Iam uero animalia gradiendo, alia serpendo ad pastum accedunt, alia uolando, alia nando cibumque partim oris hiatu et dentibus ipsis capessunt, partim unguium tenacitate arripiunt, partim aduncitate rostrorum, alia sugunt, alia carpunt, alia uorant, alia mandunt. Atque etiam aliorum ea est humilitas ut cibum terrestrem rostris facile contingant ; [+] 123 ❖ quae autem altiora sunt, ut anseres, ut cygni, ut grues, ut cameli, adiuuantur proceritate collorum ; manus etiam data elephanto est quia propter magnitudinem corporis difficiles aditus habebat ad pastum. XLVIII At quibus bestiis erat is cibus ut alii generis escis uescerentur aut uires natura dedit aut celeritatem. Data est quibusdam etiam machinatio quaedam atque sollertia ut in araneolis aliae quasi rete texunt, ut si quid inhaeserit conficiant, aliae autem ut ex inopinato obseruant et si quid incidit arripiunt idque consumunt. Pina uero (sic enim Graece dicitur) duabus grandibus patula conchis cum parua squilla quasi societatem coit comparandi cibi ; itaque cum pisciculi parui in concham hiantem innatauerunt, tum admonita a squilla pina morsu comprimit conchas ; sic dissimillimis bestiolis communiter cibus quaeritur. [+] 124 ❖ In quo admirandum est congressune aliquo inter se an iam inde ab ortu naturae ipsae congregatae sint. Est etiam admiratio non nulla in bestiis aquatilibus iis quae gignuntur in terra ; ueluti crocodili fluuiatilesque testudines quaedamque serpentes ortae extra aquam simul ac primum niti possunt aquam persequuntur. Quin etiam anitum oua gallinis saepe supponimus ; e quibus pulli orti primo aluntur ab his ut a matribus a quibus exclusi fotique sunt, deinde eas relinquunt et effugiunt sequentes, cum primum aquam quasi naturalem domum uidere potuerunt ; tantam ingenuit animantibus conseruandi sui natura custodiam.

XLIX J’ai lu aussi qu’il existe un oiseau appelé spatule44 ; elle cherche sa nourriture en volant auprès des oiseaux qui plongent dans la mer ; quand ils émergent après avoir pris un poisson, elle les attaque à la tête, à coups de bec, jusqu’à ce qu’ils lâchent leur proie, sur laquelle elle se jette. On rapporte aussi que ce même oiseau a l’habitude de s’emplir de coquillages, qu’il rejette une fois cuits par la chaleur de l’estomac, et dont il choisit de cette façon les parties comestibles. 125 Les baudroies, dit-on, s’enfouissent dans le sable et s’agitent près de l’eau : les poissons qui s’approchent, les prenant pour une proie, sont tués et dévorés par elles. Entre le milan et le corbeau il y a comme une guerre naturelle : partout où l’un des deux trouve les œufs de l’autre, il les casse. Voici une observation d’Aristote45 – de qui proviennent la plupart de ces faits – qui ne peut que surprendre : les grues, quand elles traversent les mers pour gagner des régions plus chaudes, se forment en triangle ; le sommet de ce triangle chasse l’air devant elles, puis peu à peu des deux côtés le vol des oiseaux est facilité par leurs ailes, qui servent de rames ; la base du triangle que forment les grues reçoit l’aide des vents, comme la poupe d’un navire ; de plus elles appuient leur cou et leur tête sur le dos de celles qui volent devant elles ; comme l’oiseau qui est en tête ne peut le faire, puisqu’il n’a pas de point d’appui, il vole vers l’arrière pour se reposer lui-même à son tour ; un de ceux qui se sont reposés vient prendre sa place, et cette alternance est observée pendant tout le voyage. 126 Je pourrais rapporter bien des faits de ce genre, mais vous en voyez le caractère général. D’ailleurs, en voici qui sont encore plus connus : on sait quelles précautions prennent les animaux pour leur sécurité, comment ils font le guet tout en paissant, comment ils se cachent dans leurs gîtes.

XLIX Legi etiam scriptum esse auem quandam quae platalea nominaretur ; eam sibi cibum quaerere aduolantem ad eas auis quae se in mari mergerent, quae cum emersissent piscemque cepissent usque eo premere earum capita mordicus, dum illae captum amitterent, in quod ipsa inuaderet. Eademque haec auis scribitur conchis se solere complere, eas cum stomachi calore concoxerit euomere atque ita eligere ex his quae sunt esculenta. [+] 125 ❖ Ranae autem marinae dicuntur obruere sese harena solere et moueri prope aquam ; ad quas quasi ad escam pisces cum accesserint confici a ranis atque consumi. Miluo est quoddam bellum quasi naturale cum coruo ; ergo alter alterius ubicumque nanctus est oua frangit. Illud uero – ab Aristotele animaduersum, a quo pleraque – quis potest non mirari, grues cum loca calidiora petentes maria transmittant trianguli efficere formam ? Eius autem summo angulo aer ab iis aduersus pellitur, deinde sensim ab utroque latere tamquam remis ita pinnis cursus auium leuatur ; basis autem trianguli quam efficiunt grues ea tamquam a puppi uentis adiuuatur ; eaeque in tergo praeuolantium colla et capita reponunt ; quod quia ipse dux facere non potest quia non habet ubi nitatur reuolat ut ipse quoque quiescat, in eius locum succedit ex his quae adquierunt, eaque uicissitudo in omni cursu conseruatur. [+] 126 ❖ Multa eiusmodi proferre possum sed genus ipsum uidetis. Iam uero illa etiam notiora, quanto se opere custodiant bestiae, ut in pastu circumspectent, ut in cubilibus delitescant.

L Voici encore des faits étonnants, des découvertes faites naguère, c’est-à-dire il y a quelques siècles, par la science des médecins46 : les chiens se soignent en se faisant vomir, les ibis d’Égypte se purgent l’estomac. On raconte que les panthères qu’on capture dans les pays barbares avec de la viande empoisonnée ont un remède, dont l’usage les empêche de mourir ; et aussi que les chèvres sauvages, en Crète, quand elles sont transpercées par des flèches empoisonnées, cherchent une herbe que nous appelons dictame ; quand elles en ont mangé, les flèches, dit-on, leur tombent du corps. 127 Les biches, peu avant de mettre bas, se purgent avec une herbe appelée sésélis. Et puis nous voyons comment chaque espèce se défend par ses propres armes contre la violence et le danger : les taureaux avec leurs cornes, les sangliers avec leurs défenses, les lions grâce à leur course ; d’autres se protègent par la fuite, d’autres en se cachant ; les seiches en répandant un liquide noir, les torpilles en engourdissant l’agresseur ; beaucoup d’animaux repoussent même ceux qui les poursuivent par leur odeur fétide, intolérable.

L Atque illa mirabilia, quod ea quae nuper, id est, paucis ante saeclis, medicorum ingeniis reperta sunt, uomitione canes, purgando autem aluo se ibes Aegyptiae curant. Auditum est pantheras, quae in barbaria uenenata carne caperentur, remedium quoddam habere, quo cum essent usae non morerentur ; capras autem in Creta feras, cum essent confixae uenenatis sagittis, herbam quaerere quae dictamnus uocaretur : quam cum gustauissent sagittas excidere dicunt e corpore ; [+] 127 ❖ ceruaeque paulo ante partum perpurgant se quadam herbula quae seselis dicitur. Iam illa cernimus, ut contra uim et metum suis se armis quaeque defendat : cornibus tauri, apri dentibus, cursu leones, aliae fuga se, aliae occultatione tutantur, atramenti effusione saepiae, torpore torpedines, multae etiam insectantes odoris intolerabili foeditate depellunt.

LI Pour que l’ordre du monde fût perpétuel, la providence divine a pris grand soin d’assurer la conservation des espèces animales et de celles des arbres et de toutes les plantes qui, nées de la terre, y sont fixées par leurs racines ; toutes ces espèces ont en elles une semence d’une telle puissance qu’une seule suffit à engendrer plusieurs individus. Cette semence est contenue dans la partie interne des fruits que produit chaque plante ; de ces mêmes semences les hommes se nourrissent à satiété, et d’autre part elles assurent le renouvellement des plantes de même espèce, dont elles couvrent la terre. 128 Est-il besoin de dire quel plan rationnel se manifeste chez les bêtes, en vue de la conservation perpétuelle de leurs espèces ? D’abord, les unes sont mâles, les autres femelles : c’est le moyen qu’a inventé la nature pour les perpétuer ; de plus, il y a des parties du corps parfaitement adaptées à la procréation et à la conception, et il existe chez le mâle et la femelle de remarquables désirs d’unir leurs corps. Quand la semence est parvenue en son lieu, elle attire à elle presque toute la nourriture et, ainsi protégée, elle façonne un être vivant47 ; quand celui-ci sort de l’utérus et s’en échappe, s’il s’agit d’animaux qui se nourrissent de lait, presque toute la nourriture absorbée par la mère commence à se convertir en lait, et les petits qui viennent de naître, sans autre maître que la nature, cherchent les mamelles, dont le lait généreux les rassasie. Et pour nous faire comprendre que rien de tout cela n’est fortuit et que tout ici est l’œuvre de la nature prévoyante et industrieuse, les femelles qui enfantent beaucoup de petits, comme les truies et les chiennes, sont pourvues de nombreuses mamelles, tandis qu’elles sont en petit nombre chez les bêtes qui ont peu de petits. 129 Que dire du grand amour des bêtes, élevant et protégeant les petits qu’elles ont mis au monde, jusqu’au moment où ils sont capables de se défendre eux-mêmes ? Il est vrai que, dit-on, les poissons abandonnent leurs œufs, une fois pondus : c’est que les œufs flottent facilement dans l’eau, où ils éclosent. LII Les tortues et les crocodiles, dit-on, après avoir déposé leurs œufs sur le sol, les enterrent, puis s’en vont48 ; ainsi les petits naissent et s’élèvent tout seuls. Les poules et les autres oiseaux cherchent un endroit tranquille pour pondre, et ils se construisent des abris et des nids, dont ils garnissent le fond le plus moelleusement possible, pour protéger leurs œufs le plus facilement possible ; quand ils ont fait éclore les petits, ils les protègent en les réchauffant sous leurs ailes, pour que le froid ne leur fasse pas de mal, ou, si le soleil chauffe, en faisant écran ; mais quand les petits peuvent se servir de leurs ailes naissantes, les mères les accompagnent dans leur vol, mais sont déchargées de tout autre soin. 130 L’industrie de l’homme et son activité contribuent aussi à la conservation et à la sécurité de certains animaux et de certains produits de la terre. Car il y a bien des bêtes et bien des plantes qui ne peuvent survivre sans l’intervention de l’homme. Les hommes trouvent d’ailleurs de grandes facilités, qui varient selon les régions, pour une culture productive. Le Nil arrose l’Égypte, et après l’avoir tenue tout l’été couverte et noyée sous les eaux, se retire ensuite, laissant les terres amollies et limoneuses pour les semailles49. La Mésopotamie est fertilisée par l’Euphrate qui, chaque année, y transporte pour ainsi dire de nouveaux champs. L’Indus, le plus grand de tous les fleuves, non seulement engraisse et ameublit les terres de ses eaux, mais même il les ensemence ; en effet, il charrie, dit-on, une grande quantité de graines qui ressemblent à celles du blé. 131 Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples mémorables en d’autres contrées, beaucoup de terres fertiles, chacune avec des productions différentes.

LI Vt uero perpetuus mundi esset ornatus magna adhibita cura est a prouidentia deorum, ut semper essent et bestiarum genera et arborum omniumque rerum quae a terra stirpibus continerentur ; quae quidem omnia eam uim seminis habent in se ut ex uno plura generentur. Idque semen inclusum est in intuma parte earum bacarum quae ex quaque stirpe funduntur, isdemque seminibus et homines adfatim uescuntur et terrae eiusdem generis stirpium renouatione conplentur. [+] 128 ❖ Quid loquar quanta ratio in bestiis ad perpetuam conseruationem earum generis appareat ? Nam primum aliae mares, aliae feminae sunt, quod perpetuitatis causa machinata natura est, deinde partes corporis et ad procreandum et ad concipiendum aptissimae, et in mari et in femina commiscendorum corporum mirae libidines. Cum autem in locis semen insedit, rapit omnem fere cibum ad sese eoque saeptum fingit animal ; quod cum ex utero elapsum excidit, in iis animantibus quae lacte aluntur omnis fere cibus matrum lactescere incipit eaque quae paulo ante nata sunt sine magistro duce natura mammas adpetunt earumque ubertate saturantur. Atque ut intellegamus nihil horum esse fortuitum et haec omnia esse opera prouidae sollertisque naturae, quae multiplices fetus procreant, ut sues, ut canes, iis mammarum data est multitudo quas easdem paucas habent eae bestiae quae pauca gignunt. [+] 129 Quid dicam quantus amor bestiarum sit in educandis custodiendisque iis quae procreauerunt usque ad eum finem dum possint se ipsa defendere ? Etsi pisces, ut aiunt, oua cum genuerunt relinquunt, facile enim illa aqua et sustinentur et fetum fundunt. LII Testudines autem et crocodilos dicunt, cum in terra partum ediderint, obruere oua, deinde discedere ; ita et nascuntur et educantur ipsa per sese. Iam gallinae auesque reliquae et quietum requirunt ad pariendum locum et cubilia sibi nidosque construunt eosque quam possunt mollisume substernunt, ut quam facillume oua seruentur ; e quibus pullos cum excuderunt ita tuentur ut et pinnis foueant ne frigore laedantur et si est calor a sole se opponant ; cum autem pulli pinnulis uti possunt, tum uolatus eorum matres prosequuntur, reliqua cura liberantur. [+] 130 ❖ Accedit etiam ad non nullorum animantium et earum rerum quas terra gignit conseruationem et salutem hominum etiam sollertia et diligentia. Nam multae et pecudes et stirpes sunt quae sine procuratione hominum saluae esse non possunt. Magnae etiam opportunitates ad cultum hominum atque abundantiam aliae aliis in locis reperiuntur. Aegyptum Nilus inrigat et cum tota aestate obrutam oppletamque tenuit tum recedit mollitosque et oblimatos agros ad serendum relinquit. Mesopotamiam fertilem efficit Euphrates, in quam quotannis quasi nouos agros inuehit. Indus uero, qui est omnium fluminum maximus, non aqua solum agros laetificat et mitigat sed eos etiam conserit ; magnam enim uim seminum secum frumenti similium dicitur deportare. [+] 131 ❖ Multaque alia in aliis locis commemorabilia proferre possum, multos fertiles agros alios aliorum fructuum.

LIII Mais qu’elle est grande la bonté de la nature, qui fait naître pour nous nourrir des fruits si variés, si agréables, et cela non pas en une seule saison, pour que nous jouissions toujours à la fois de la nouveauté et de l’abondance ! Comme ils viennent à propos, comme ils sont salutaires, non seulement pour l’espèce humaine, mais aussi pour les animaux domestiques, et enfin pour tous les produits de la terre, ces vents étésiens qu’elle nous a donnés et dont le souffle tempère les chaleurs excessives ! C’est aussi grâce à eux que les traversées sont rapides et sûres50. Il faut laisser de côté bien des choses, et pourtant j’en dis beaucoup. 132 Impossible de parler en détail de l’utilité des fleuves, du flux et du reflux des flots de la mer, des montagnes revêtues de forêts, des salines très éloignées du bord de la mer, des terres où foisonnent des remèdes salutaires, des arts innombrables, nécessaires à notre subsistance et à notre vie. Et puis l’alternance du jour et de la nuit préserve l’existence des êtres vivants, en donnant un temps d’activité et un temps de repos. Ainsi, tous les raisonnements amènent à cette conclusion que tout dans ce monde est admirablement gouverné par l’intelligence et la sagesse divines, pour le salut et la conservation de tous les êtres.

LIII Sed illa quanta benignitas naturae, quod tam multa ad uescendum, tam uaria, tam iucunda gignit neque ea uno tempore anni ut semper et nouitate delectemur et copia ! Quam tempestiuos autem dedit, quam salutares, non modo hominum sed etiam pecudum generi, iis denique omnibus quae oriuntur e terra, uentos etesias ; quorum flatu nimii temperantur calores, ab isdem etiam maritimi cursus celeres et certi diriguntur ! Multa praetereunda sunt et tamen multa dicuntur. [+] 132 ❖ Enumerari enim non possunt fluminum opportunitates, aestus maritimi [multum] accedentes et recedentes, montes uestiti atque siluestres, salinae ab ora maritima remotissimae, medicamentorum salutarium plenissumae terrae, artes denique innumerabiles ad uictum et ad uitam necessariae. Iam diei noctisque uicissitudo conseruat animantes, tribuens aliud agendi tempus, aliud quiescendi. Sic undique omni ratione concluditur mente consilioque diuino omnia in hoc mundo ad salutem omnium conseruationemque admirabiliter administrari. [+]

133 On demandera peut-être pour quelle raison de si vastes desseins ont été mis en œuvre : est-ce pour les arbres et les plantes qui, bien que dépourvus de sensibilité, sont pourtant entretenus par la nature ? Mais cela est absurde. Est-ce pour les bêtes ? Il n’est en aucune façon plus probable que les dieux se soient donné tant de mal pour des êtres muets et dépourvus d’intelligence. Pour qui donc pourrait-on dire que le monde a été fait ? Évidemment pour les êtres vivants qui ont l’usage de la raison ; ce sont les dieux et les hommes, qui sont à coup sûr supérieurs à tous les êtres, car c’est la raison qui l’emporte sur toute chose. On peut donc croire que le monde et tout ce qu’il contient ont été faits pour les dieux et les hommes.

133 ❖ Sin quaeret quispiam cuiusnam causa tantarum rerum molitio facta sit – arborumne et herbarum, quae quamquam sine sensu sunt tamen a natura sustinentur ? At id quidem absurdum est. An bestiarum ? Nihilo probabilius deos mutarum et nihil intellegentium causa tantum laborasse. Quorum igitur causa quis dixerit esse mundum ? Eorum scilicet animantium quae ratione utuntur ; hi sunt di et homines quibus profecto nihil est melius : ratio est enim quae praestet omnibus. Ita fit credibile deorum et hominum causa factum esse mundum quaeque in eo mundo sint omnia.

LIV Et l’on comprendra plus facilement que les dieux ont veillé aux intérêts des hommes, si l’on considère dans son ensemble l’organisme humain, la conformation et la perfection de la nature humaine51. 134 Car la vie des êtres animés dépend de trois choses : la nourriture, la boisson, la respiration ; pour les recevoir toutes, la bouche est parfaitement adaptée et, grâce aux narines, elle participe à la respiration. On mâche avec les dents disposées dans la bouche ; par elles les aliments sont amenuisés et amollis. Celles de devant, aiguisées, les réduisent en morceaux, celles du fond, appelées molaires, les mastiquent, et cette opération est manifestement aidée par la langue. 135 L’œsophage, attaché aux racines de la langue, la prolonge, et c’est là que tombent d’abord les aliments reçus dans la bouche. De part et d’autre, il touche aux amygdales et se termine au bout et au fond du palais. Quand il a reçu la nourriture poussée et comme chassée par l’action et les mouvements de la langue, il la chasse à son tour ; les parties de l’œsophage situées au-dessous de l’aliment qu’on avale se dilatent et celles situées au-dessus se contractent. 136 La trachée-artère (c’est le nom que lui donnent les médecins) a une ouverture attachée aux racines de la langue, un peu au-dessus de l’endroit où l’œsophage se relie à la langue ; elle s’étend jusqu’aux poumons et reçoit l’air qu’on respire, le même air qu’elle expire et renvoie quand il sort des poumons ; elle est munie d’une sorte d’opercule52, qui lui a été donné pour que la respiration ne fût pas arrêtée, si une parcelle de nourriture venait à tomber dans la trachée. L’estomac, placé au-dessous de l’œsophage, reçoit la nourriture et la boisson, tandis que les poumons et le cœur attirent à eux l’air extérieur. L’estomac accomplit des opérations nombreuses et remarquables, effectuées surtout par des muscles ; il a des replis et des sinuosités ; il enferme et retient ce qu’il reçoit, le solide comme le liquide, afin de pouvoir le transformer et le digérer ; tantôt il se contracte, tantôt il se dilate, et il comprime et mélange tout ce qu’il reçoit, si bien que, grâce à la chaleur qu’il a en abondance, à la trituration des aliments, grâce aussi à l’air aspiré, toute la nourriture, digérée et élaborée, est facilement répartie dans le reste du corps. LV Les poumons, au contraire, présentent une porosité et une mollesse assez semblables à celles des éponges, qui les rendent tout à fait propres à se remplir d’air ; tantôt ils se contractent dans l’expiration et tantôt se dilatent dans l’inspiration, si bien qu’y pénètre souvent le souffle nourricier qui est le principal aliment des êtres vivants53. 137 Le suc dont nous nous nourrissons, séparé du reste des aliments, coule des intestins vers le foie par certains canaux ou conduits, qui partent du milieu de l’intestin pour aboutir aux “portes du foie”, comme on les appelle54 ; ces canaux arrivent au foie et y sont fixés ; de là, différents canaux s’étendent dans différentes directions ; à travers eux tombe la nourriture qui s’écoule du foie. De cette nourriture se séparent la bile et le liquide qui se déverse par les reins ; le reste se change en sang et afflue à ces mêmes portes du foie, où conduisent tous les canaux menant à lui ; la nourriture qui s’écoule par ces canaux se déverse à cet endroit même dans la veine appelée veine cave55 ; désormais élaborée et digérée, elle coule par cette veine jusqu’au cœur ; à partir du cœur, elle est distribuée dans tout le corps par un très grand nombre de veines qui s’étendent dans toutes les parties du corps. 138 Comment les résidus de la nourriture sont évacués par les intestins, qui tantôt se contractent, tantôt se relâchent, ce n’est certes pas difficile à dire, mais il faut pourtant passer là-dessus, pour que notre propos n’ait rien de déplaisant. Exposons plutôt cet incroyable ouvrage de la nature : l’air que la respiration fait pénétrer dans les poumons s’échauffe d’abord du fait même de la respiration, puis par son contact avec les poumons ; une partie de cet air est renvoyée à l’expiration, une autre est reçue dans une certaine partie du cœur, appelée ventricule du cœur ; attenant à celui-ci, il y en a un autre, semblable, dans lequel s’écoule le sang venu du foie par la veine cave. Et de cette manière, à partir de ces organes, d’une part, le sang se répand par les veines dans tout le corps, d’autre part, l’air s’y répand par les artères56 ; les unes et les autres, nombreuses et étroitement entrelacées à travers tout le corps, témoignent de l’incroyable puissance manifestée dans ce chef-d’œuvre divin. 139 Que dire des os ? Ils forment la charpente du corps et présentent d’admirables articulations, propres à assurer la stabilité et à permettre le mouvement et toute l’activité corporelle. Ajoutez-y les nerfs et les muscles qui assurent les jointures et dont l’entrelacement s’étend par tout le corps, comme les veines et les artères qui, provenant et partant du cœur, se développent dans tout le corps. LVI 140 On peut donner beaucoup d’autres exemples de cette providence de la nature, si diligente et si adroite, pour faire comprendre l’importance et l’excellence des dons que les dieux ont faits aux hommes. D’abord la divinité les a dressés debout sur le sol, la taille haute et droite, pour leur permettre, en regardant le ciel, d’acquérir la connaissance des dieux57. Depuis la terre, les hommes ne sont pas tant des indigènes ou des habitants que, pour ainsi dire les spectateurs des réalités supérieures du ciel, dont le spectacle ne touche aucune autre espèce d’êtres vivants. Les sens, interprètes et messagers des choses, situés dans la tête comme une citadelle, sont admirablement adaptés, à la fois par leur structure et par leur position, à des fonctions indispensables : les yeux, comme des guetteurs, occupent l’endroit le plus élevé, d’où ils peuvent s’acquitter de leur tâche, en inspectant une très vaste étendue. 141 Les oreilles aussi58, qui doivent percevoir le son, qui se porte naturellement vers le haut, sont placées comme il convient dans la partie supérieure du corps. De même, le nez est en haut, comme il convient, parce que les odeurs vont toujours en montant ; d’autre part, comme il joue un grand rôle dans l’appréciation de la nourriture et de la boisson, ce n’est pas sans raison qu’il a cherché le voisinage de la bouche. Quant au goût qui doit tester les saveurs de nos divers aliments, il a son siège dans la partie de la bouche où la nature a ouvert le chemin à ce qui se mange et à ce qui se boit. Le toucher est uniformément répandu dans tout le corps, afin que nous puissions sentir tous les chocs et toutes les atteintes excessives du froid et de la chaleur. Et, de même que, dans les maisons, les architectes éloignent des yeux et du nez des propriétaires les canaux de vidange qui auraient nécessairement quelque chose de répugnant, de même la nature a relégué loin de nos sens les choses de ce genre.

LIV Faciliusque intellegetur a dis inmortalibus hominibus esse prouisum si erit tota hominis fabricatio perspecta omnisque humanae naturae figura atque perfectio. [+] 134 ❖ Nam cum tribus rebus animantium uita teneatur, cibo, potione, spiritu, ad haec omnia percipienda os est aptissimum quod adiunctis naribus spiritu augetur. Dentibus autem in ore constructis manditur atque ab iis extenuatur et mollitur cibus. Eorum aduersi acuti morsu diuidunt escas, intimi autem conficiunt, qui genuini uocantur ; quae confectio etiam a lingua adiuuari uidetur. [+] 135 ❖ Linguam autem ad radices eius haerens excipit stomachus quo primum inlabuntur ea quae accepta sunt, oris utraque ex parte tosillas attingens palato extremo atque intimo terminatur atque is agitatione et motibus linguae cum depulsum et quasi detrusum cibum accepit depellit. Ipsius autem partes eae quae sunt infra quam id quod deuoratur dilatantur, quae autem supra contrahuntur. [+] 136 ❖ Sed cum aspera arteria (sic enim a medicis appellatur) ostium habeat adiunctum linguae radicibus paulo supra quam ad linguam stomachus adnectitur eaque ad pulmones usque pertineat excipiatque animam eam quae ducta est spiritu eandemque a pulmonibus respiret et reddat, tegitur quodam quasi operculo, quod ob eam causam datum est ne si quid in eam cibi forte incidisset spiritus impediretur. Sed cum alui natura subiecta stomacho cibi et potionis sit receptaculum, pulmones autem et cor extrinsecus spiritum ducant, in aluo multa sunt mirabiliter effecta quae constant fere e neruis ; est autem multiplex et tortuosa arcetque et continet siue illud aridum est siue umidum quod recipit ut id mutari et concoqui possit, eaque tum adstringitur, tum relaxatur, atque omne quod accipit cogit et confundit, ut facile et calore quem multum habet et terendo cibo et praeterea spiritu omnia cocta atque confecta in reliquum corpus diuidantur. LV In pulmonibus autem inest raritas quaedam et adsimilis spongiis mollitudo ad hauriendum spiritum aptissima, qui tum se contrahunt adspirantes, tum in respiritu dilatantur, ut frequenter ducatur cibus animalis quo maxime aluntur animantes. [+] 137 ❖ Ex intestinis autem [aluo] secretus a reliquo cibo sucus is quo alimur permanat ad iecur per quasdam a medio intestino usque ad portas iecoris (sic enim appellantur) ductas et directas uias quae pertinent ad iecur eique adhaerent ; atque inde aliae <alio> pertinentes sunt per quas cadit cibus a iecore dilapsus. Ab eo cibo cum est secreta bilis eique umores qui e renibus profunduntur, reliqua se in sanguinem uertunt ad easdemque portas iecoris confluunt ad quas omnes eius uiae pertinent ; per quas lapsus cibus in hoc ipso loco in eam uenam quae caua appellatur confunditur perque eam ad cor confectus iam coctusque perlabitur ; a corde autem in totum corpus distribuitur per uenas admodum multas in omnes partes corporis pertinentes. [+] 138 ❖ Quem ad modum autem reliquiae cibi depellantur tum astringentibus se intestinis, tum relaxantibus, haud sane difficile dictu est sed tamen praetereundum est ne quid habeat iniucunditatis oratio. Illa potius explicetur incredibilis fabrica naturae ; nam quae spiritu in pulmones anima ducitur, ea calescit primum ipso ab spiritu, deinde contagione pulmonum, ex eaque pars redditur respirando, pars concipitur cordis parte quadam quam uentriculum cordis appellant ; cui similis alter adiunctus est in quem sanguis a iecore per uenam illam cauam influit. Eoque modo ex iis partibus et sanguis per uenas in omne corpus diffunditur et spiritus per arterias ; utraeque autem crebrae multaeque toto corpore intextae uim quandam incredibilem artificiosi operis diuinique testantur. [+] 139 ❖ Quid dicam de ossibus ; quae subiecta corpori mirabiles commissuras habent et ad stabilitatem aptas et ad artus finiendos adcommodatas et ad motum et ad omnem corporis actionem. Huc adde neruos a quibus artus continentur eorumque inplicationem corpore toto pertinentem, qui sicut uenae et arteriae a corde tractae et profectae in corpus omne ducuntur. LVI 140 ❖ Ad hanc prouidentiam naturae tam diligentem tamque sollertem adiungi multa possunt e quibus intellegatur quantae res hominibus a dis quamque eximiae tributae sint. Qui primum eos humo excitatos celsos et erectos constituit ut deorum cognitionem caelum intuentes capere possent. Sunt enim ex terra homines non ut incolae atque habitatores sed quasi spectatores superarum rerum atque caelestium quarum spectaculum ad nullum aliud genus animantium pertinet. Sensus autem interpretes ac nuntii rerum in capite tamquam in arce mirifice ad usus necessarios et facti et conlocati sunt. Nam oculi tamquam speculatores altissimum locum optinent ex quo plurima conspicientes fungantur suo munere. [+] 141 ❖ Et aures, cum sonum percipere debeant, qui natura in sublime fertur, recte in altis corporum partibus collocatae sunt. Itemque nares, et quod omnis odor ad supera fertur, recte sursum sunt et, quod cibi et potionis iudicium magnum earum est, non sine causa uicinitatem oris secutae sunt. Iam gustatus, qui sentire eorum quibus uescimur genera deberet, habitat in ea parte oris qua esculentis et potulentis iter natura patefecit. Tactus autem toto corpore aequabiliter fusus est, ut omnes ictus omnesque nimios et frigoris et caloris adpulsus sentire possimus. Atque ut in aedificiis architecti auertunt ab oculis naribusque dominorum ea quae profluentia necessario taetri essent aliquid habitura, sic natura res similis procul amandauit a sensibus. [+]

LVII 142 Mais quel ouvrier, si ce n’est la nature, que rien ne peut surpasser en habileté, aurait pu atteindre une si grande ingéniosité dans la formation de nos sens ? En premier lieu, elle a revêtu et enclos les yeux de membranes très minces59 ; elle les a faites d’abord transparentes pour qu’on pût voir à travers, mais solides, pour qu’ils fussent bien contenus. Elle a fait les yeux glissants et mobiles, pour leur permettre de se détourner de ce qui pourrait leur nuire, et de tourner aisément le regard du côté où ils veulent ; et l’organe même de la vue, appelé “pupille”, est si petit qu’il peut éviter facilement ce qui pourrait lui nuire ; quant aux paupières, qui sont les couvertures des yeux, elles sont très douces au toucher pour ne pas blesser le regard et très bien aménagées pour couvrir les pupilles, afin que rien n’y pénètre, et pour les découvrir ; et elle a pourvu à ce que cela pût se faire continuellement, avec la plus grande rapidité. 143 Les paupières sont munies d’une espèce de rempart de poils, destinés à repousser, quand les yeux sont ouverts, ce qui pourrait y tomber, et quand ils sont clos par le sommeil, alors que nous n’en avons pas besoin pour voir, pour leur permettre de se reposer, dans leur enveloppe. En outre, ils sont utilement enfoncés et protégés de tous côtés par des saillies du visage ; d’abord, la partie supérieure, avec sa couverture de sourcils, arrête la sueur qui coule de la tête et du front ; puis, du côté du bas, ils sont protégés par les joues, placées sous eux et légèrement proéminentes ; le nez est situé de telle façon qu’il semble être une sorte de mur entre les deux yeux. 144 Mais l’organe de l’ouïe est toujours ouvert, car même en dormant nous en avons besoin : quand il perçoit un son, nous sommes tirés même de notre sommeil. Il a un accès sinueux, afin que rien ne puisse y entrer, ce qui serait possible, si la voie était ouverte, simple et directe ; il a aussi été prévu que, si quelque menue bestiole essayait d’y pénétrer, elle restât captive dans le cérumen des oreilles, comme dans de la glu. En dehors, font saillie les organes que nous appelons oreilles ; elles sont faites pour protéger et garantir l’ouïe, et aussi pour que les sons qui les atteignent ne s’échappent pas et ne se perdent pas, avant que le sens en ait été frappé. À l’entrée, elles sont dures comme de la corne et présentent de nombreux replis, ce qui, dans les corps de cette nature, amplifie le son qu’ils répercutent ; c’est pourquoi, dans les lyres également, le son est renvoyé par de l’écaille ou de la corne, c’est pourquoi aussi le bruit s’amplifie dans les endroits fermés et tortueux. 145 De même les narines, qui sont toujours ouvertes pour des usages indispensables, présentent des ouvertures assez étroites, pour que rien de nuisible ne puisse y pénétrer, et elles contiennent toujours une humeur qui n’est pas inutile pour arrêter la poussière et bien d’autres choses. Le goût est remarquablement protégé ; il est en effet contenu dans la bouche, comme il convient pour qu’il puisse servir et rester intact. Les sens des hommes sont bien supérieurs à ceux des animaux. LVIII Nos yeux, pour commencer, dans les arts dont ils sont juges, peinture, sculpture, ciselure, ainsi que dans les mouvements et les attitudes des corps, discernent beaucoup de choses avec plus de subtilité ; ils apprécient tant la beauté des couleurs et des formes que leur ordonnance et pour ainsi dire leur harmonie ; ils distinguent même d’autres choses plus importantes car ils reconnaissent les vertus et les vices, l’homme en colère ou bienveillant, celui qui se réjouit, celui qui souffre, le courageux ou le lâche, le téméraire ou le craintif. 146 Le discernement des oreilles est aussi quelque chose de surprenant par son art : dans les chants des voix, dans les sons des flûtes et des cordes, elles jugent de la diversité des sons, de leurs intervalles, de leur timbre et aussi des très nombreuses sortes de voix, claires et sourdes, douces et rudes, graves et aiguës, souples et dures, distinctions dont seules les oreilles humaines peuvent juger. L’odorat, le goût et, dans une certaine mesure, le toucher, sont capables aussi d’un grand discernement. Pour séduire ces sens et pour en jouir, des arts ont été inventés, plus nombreux même que je n’aurais voulu ; on voit clairement, en effet, à quels excès ont abouti la préparation des parfums, l’assaisonnement des mets, les parures séduisantes. LIX 147 J’ajouterai que quiconque ne reconnaît pas que l’âme même et l’intelligence de l’homme, sa raison, sa réflexion, sa sagesse doivent leur perfection à la sollicitude des dieux me paraît précisément dépourvu de ces facultés. Dans la discussion sur ce sujet, je souhaiterais, Cotta, que ton éloquence me fût donnée : comme tu saurais dire d’abord quel pouvoir de compréhension est en nous, puis quelle faculté de relier et d’unir les idées, celles qui suivent avec celles qui précèdent ; c’est ce qui nous permet de voir ce qui résulte de chaque chose et de construire des argumentations, de définir les idées une à une et de les embrasser, chacune avec ses limites précises ; on comprend par là quel est le pouvoir et la nature de la science, à laquelle il n’est rien de supérieur, même en dieu. Et puis, comme elles sont remarquables les facultés que vous infirmez et abolissez, vous autres académiciens : notre compréhension sensorielle et intellectuelle des réalités extérieures60 ! 148 C’est en rapprochant ces données et en les comparant que nous créons aussi les arts, indispensables, les uns, aux besoins de la vie, les autres, au divertissement. Et que dire de cette reine du monde, comme vous dites, la parole ? qu’elle est admirable, qu’elle est divine ! D’abord, c’est grâce à elle que nous pouvons apprendre ce que nous ignorons et enseigner à d’autres ce que nous savons ; et puis c’est par elle que nous exhortons, nous persuadons, nous consolons les affligés, nous rassurons ceux qui ont peur, nous calmons les impatients, nous éteignons les passions et les colères ; c’est elle qui nous a unis dans une communauté de droit, de lois et de cités ; c’est elle qui nous a fait sortir de l’état de barbarie et de sauvagerie61. 149 On ne saurait croire, à moins d’y regarder de près, à quels travaux ingénieux s’est livrée la nature en vue de l’usage de la parole. D’abord, la trachée-artère s’étend des poumons jusqu’au fond de la bouche ; c’est par elle que la voix, dont l’origine est l’esprit, est recueillie et transmise62. Ensuite, dans la bouche est située la langue, bornée par les dents ; c’est elle qui module et détermine le flot inarticulé de la voix et qui produit des sons distincts et précis, en frappant les dents et d’autres parties de la bouche ; c’est pourquoi les philosophes de notre école comparent la langue à un plectre, les dents à des cordes, les narines à ces cornes de la lyre qui font résonner les cordes dans le jeu de l’instrument63.

LVII 142 ❖ Quis uero opifex praeter naturam, qua nihil potest esse callidius, tantam sollertiam persequi potuisset in sensibus ? Quae primum oculos membranis tenuissimis uestiuit et saepsit ; quas primum perlucidas fecit ut per eas cerni posset, firmas autem ut continerentur. Sed lubricos oculos fecit et mobiles ut et declinarent si quid noceret et aspectum quo uellent facile conuerterent ; aciesque ipsa qua cernimus, quae pupula uocatur, ita parua est ut ea quae nocere possint facile uitet ; palpebraeque, quae sunt tegumenta oculorum, mollissimae tactu ne laederent aciem, aptissime factae et ad claudendas pupulas ne quid incideret et ad aperiendas, idque prouidit ut identidem fieri posset cum maxima celeritate. [+] 143 ❖ Munitaeque sunt palpebrae tamquam uallo pilorum quibus et apertis oculis si quid incideret repelleretur et somno coniuentibus cum oculis ad cernendum non egeremus ut qui tamquam inuoluti quiescerent. Latent praeterea utiliter et excelsis undique partibus saepiuntur. Primum enim superiora superciliis obducta sudorem a capite et fronte defluentem repellunt ; genae deinde ab inferiore parte tutantur subiectae leuiterque eminentes ; nasusque ita locatus est ut quasi murus oculis interiectus esse uideatur. [+] 144 ❖ Auditus autem semper patet, eius enim sensu etiam dormientes egemus a quo cum sonus est acceptus etiam e somno excitamur. Flexuosum iter habet ne quid intrare possit si simplex et directum pateret ; prouisum etiam ut si qua minima bestiola conaretur inrumpere in sordibus aurium tamquam in uisco inhaeresceret. Extra autem eminent quae appellantur aures et tegendi causa factae tutandique sensus et ne adiectae uoces laberentur atque errarent prius quam sensus ab his pulsus esset. Sed duros et quasi corneolos habent introitus multisque cum flexibus quod his naturis relatus amplificatur sonus ; quocirca et in fidibus testudine resonatur aut cornu et ex tortuosis locis et inclusis referuntur ampliores. 145 ❖ Similiter nares, quae semper propter necessarias utilitates patent, contractiores habent introitus ne quid in eas quod noceat possit peruadere ; umoremque semper habent ad puluerem multaque alia depellenda non inutilem. Gustatus praeclare saeptus est ; ore enim continetur et ad usum apte et ad incolumitatis custodiam. Omnesque sensus hominum multo antecellunt sensibus bestiarum. LVIII Primum enim oculi in his artibus quarum iudicium est oculorum, in pictis, fictis caelatisque formis, in corporum etiam motione atque gestu multa cernunt subtilius, colorum etiam et figurarum [tum] uenustatem atque ordinem et, ut ita dicam, decentiam oculi iudicant atque etiam alia maiora ; nam et uirtutes et uitia cognoscunt, iratum, propitium, laetantem, dolentem, fortem, ignauum, audacem, timidumque cognoscunt. [+] 146 ❖ Auriumque item est admirabile quoddam artificiosumque iudicium, quo iudicatur et in uocis et in tibiarum neruorumque cantibus uarietas sonorum, interualla, distinctio et uocis genera permulta, canorum, fuscum, leue, asperum, graue, acutum, flexibile, durum, quae hominum solum auribus iudicantur. Nariumque item et gustandi et † parte tangendi † magna iudicia sunt. Ad quos sensus capiendos et perfruendos plures etiam quam uellem artes repertae sunt ; perspicuum est enim quo compositiones unguentorum, quo ciborum conditiones, quo corporum lenocinia processerint. [+] LIX 147 ❖ Iam uero animum ipsum mentemque hominis, rationem, consilium, prudentiam qui non diuina cura perfecta esse perspicit, is his ipsis rebus mihi uidetur carere. De quo dum disputarem tuam mihi dari uellem, Cotta, eloquentiam. Quo enim tu illa modo diceres, quanta primum intellegentia, deinde consequentium rerum cum primis coniunctio et conprehensio esset in nobis ; ex quo uidelicet quid ex quibusque rebus efficiatur idque ratione concludimus singulasque res definimus circumscripteque complectimur ; ex quo scientia intellegitur quam uim habeat qualisque sit, qua ne in deo quidem est res ulla praestantior. Quanta uero illa sunt quae uos Academici infirmatis et tollitis quod et sensibus et animo ea quae extra sunt percipimus atque comprendimus ; [+] 148 ❖ ex quibus conlatis inter se et conparatis artes quoque efficimus, partim ad usum uitae, partim ad oblectationem necessarias. Iam uero domina rerum, ut uos soletis dicere, eloquendi uis, quam est praeclara quamque diuina ! Quae primum efficit ut et ea quae ignoramus discere et ea quae scimus alios docere possimus ; deinde hac cohortamur, hac persuademus, hac consolamur afflictos, hac deducimus perterritos a timore, hac gestientes conprimimus, hac cupiditates iracundiasque restinguimus, haec nos iuris, legum, urbium societate deuinxit, haec a uita inmani et fera segregauit. [+] 149 ❖ Ad usum autem orationis incredibile est, nisi diligenter attenderis, quanta opera machinata natura sit. Primum enim a pulmonibus arteria usque ad os intimum pertinet, per quam uox principium a mente ducens percipitur et funditur. Deinde in ore sita lingua est finita dentibus ; ea uocem inmoderate profusam fingit et terminat atque sonos uocis distinctos et pressos efficit cum et dentes et alias partes pellit oris ; itaque plectri similem linguam nostri solent dicere, chordarum dentes, nares cornibus iis quae ad neruos resonant in cantibus. [+]

LX 150 Quelles servantes habiles, et cela dans combien d’arts, sont les mains que la nature a données à l’homme64 ! Les doigts se plient et s’allongent facilement grâce à la souplesse des jointures et des articulations qui leur permet de faire tous les mouvements sans effort ; c’est pourquoi, par le simple jeu des doigts, la main est capable de peindre, de modeler, de sculpter, de tirer des sons de la lyre et de la flûte. Voilà pour le divertissement ; mais voici des besoins vitaux, je veux dire la culture des champs, la construction des maisons, la confection des vêtements tissés ou cousus et toute l’industrie du bronze et du fer. On comprend comment, grâce aux mains des artisans, qui mettent en œuvre les inventions de l’esprit et les perceptions des sens, nous nous sommes procuré tout ce qu’il nous fallait pour être abrités, vêtus et en sécurité et pour avoir des villes, des murailles, des habitations, des temples. 151 C’est encore le travail des hommes, je veux dire de leurs mains, qui nous révèle la diversité et l’abondance des aliments. En effet, c’est la main qui nous procure de nombreux produits agricoles, qui sont consommés immédiatement ou mis en conserve pour les laisser vieillir et, d’autre part, nous nous nourrissons d’animaux terrestres ou aquatiques et d’oiseaux, tantôt en les capturant, tantôt en les élevant. Nous domestiquons aussi pour en faire des moyens de transport des quadrupèdes dont la rapidité et la force nous apportent à nous-mêmes force et rapidité. Nous faisons porter des charges à certains animaux et à d’autres le joug ; nous exploitons à notre profit les sens très subtils des éléphants et le flair des chiens ; nous extrayons des profondeurs de la terre le fer, indispensable pour la culture des champs, nous mettons au jour des filons de cuivre, d’argent, d’or, profondément cachés, aussi bien utiles que propres à l’ornement. Les arbres que nous coupons et toute la matière fournie par ceux que nous cultivons et ceux des forêts nous servent, quand nous y mettons le feu, à nous chauffer et à faire cuire nos aliments, mais aussi à bâtir pour nous défendre du froid et de la chaleur à l’abri de nos maisons. 152 Le bois sert beaucoup aussi pour la construction des bateaux dont les voyages nous fournissent en abondance, venant de partout, tout ce qui est utile à la vie. Quant aux forces naturelles les plus violentes, celles de la mer et des vents, seuls nous savons les modérer, grâce à l’art de la navigation et nous jouissons et usons d’un très grand nombre de produits de la mer. De même, l’homme a la maîtrise complète des biens de la terre : nous tirons profit des plaines et des montagnes, les fleuves sont à nous, les lacs sont à nous ; nous semons des céréales, nous plantons des arbres, nous fertilisons les terres par des irrigations, nous contenons les cours d’eau, nous les rectifions, nous les détournons : de nos mains enfin nous essayons de créer dans la nature comme une seconde nature.

LX 150 ❖ Quam uero aptas quamque multarum artium ministras manus natura homini dedit. Digitorum enim contractio facilis facilisque porrectio propter molles commissuras et artus nullo in motu laborat, itaque ad pingendum, fingendum, ad scalpendum, ad neruorum eliciendos sonos, ad tibiarum, apta manus est admotione digitorum. Atque haec oblectationis, illa necessitatis, cultus dico agrorum extructionesque tectorum, tegumenta corporum uel texta uel suta omnemque fabricam aeris et ferri ; ex quo intellegitur ad inuenta animo, percepta sensibus adhibitis opificum manibus omnia nos consecutos ut tecti, ut uestiti, ut salui esse possemus, urbes, muros, domicilia, delubra haberemus. [+] 151 Iam uero operibus hominum, id est manibus, cibi etiam uarietas inuenitur et copia. Nam et agri multa efferunt manu quaesita quae uel statim consumantur uel mandentur condita uetustati et praeterea uescimur bestiis et terrenis et aquatilibus et uolantibus, partim capiendo, partim alendo. Efficimus etiam domitu nostro quadripedum uectiones quorum celeritas atque uis nobis ipsis adfert uim et celeritatem. Nos onera quibusdam bestiis, nos iuga inponimus ; nos elephantorum acutissimis sensibus, nos sagacitate canum ad utilitatem nostram abutimur ; nos e terrae cauernis ferrum elicimus, rem ad colendos agros necessariam, nos aeris, argenti, auri uenas penitus abditas inuenimus et ad usum aptas et ad ornatum decoras. Arborum autem confectione omnique materia et culta et siluestri partim ad calfaciendum corpus igni adhibito et ad mitigandum cibum utimur, partim ad aedificandum, ut tectis saepti frigora caloresque pellamus ; [+] 152 ❖ magnos uero usus adfert ad nauigia facienda, quorum cursibus suppeditantur omnes undique ad uitam copiae ; quasque res uiolentissimas natura genuit, earum moderationem nos soli habemus, maris atque uentorum, propter nauticarum rerum scientiam plurimisque maritimis rebus fruimur atque utimur. Terrenorum item commodorum omnis est in homine dominatus ; nos campis, nos montibus fruimur, nostri sunt amnes, nostri lacus, nos fruges serimus, nos arbores ; nos aquarum inductionibus terris fecunditatem damus, nos flumina arcemus, dirigimus, auertimus ; nostris denique manibus in rerum natura quasi alteram naturam efficere conamur.

LXI 153 Mais quoi ? La raison humaine n’a-t-elle pas pénétré jusque dans le ciel ? Seuls parmi les êtres animés nous connaissons les levers, les couchers et les cours des astres ; c’est le genre humain qui a mesuré le jour, le mois, l’année ; il connaît les éclipses du soleil et de la lune et prédit pour tout l’avenir leur occurrence, leur importance et leur date. Par cette contemplation, l’esprit acquiert la connaissance des dieux d’où est issue la piété, à laquelle sont jointes la justice et les autres vertus, d’où provient la vie heureuse, égale et semblable à celle des dieux : elle ne le cède en rien aux êtres célestes, si ce n’est par l’immortalité, qui n’importe nullement au bonheur de la vie. Par cet exposé, je crois avoir suffisamment montré combien la nature humaine l’emporte sur tous les autres êtres vivants ; on doit en déduire que ni la conformation ni la disposition de ses membres, ni une telle puissance d’esprit et d’intelligence n’ont pu être le produit du hasard.

LXI 153 ❖ Quid uero ? Hominum ratio non in caelum usque penetrauit ? Soli enim ex animantibus nos astrorum ortus, obitus, cursusque cognouimus, ab hominum genere finitus est dies, mensis, annus, defectiones solis et lunae cognitae praedicataeque in omne posterum tempus quae, quantae, quando futurae sint. Quae contuens animus accipit cognitionem deorum e qua oritur pietas, cui coniuncta iustitia est reliquaeque uirtutes, e quibus uita beata existit par et similis deorum, nulla alia re nisi immortalitate quae nihil ad bene uiuendum pertinet cedens caelestibus. Quibus rebus expositis satis docuisse uideor hominis natura quanto omnis anteiret animantes. Ex quo debet intellegi nec figuram situmque membrorum nec ingenii mentisque uim talem effici potuisse fortuna. [+]

154 Reste à montrer, pour conclure enfin, que tout ce qui existe dans ce monde et dont les hommes font usage a été fait et disposé pour les hommes65. LXII En premier lieu, le monde lui-même a été fait pour les dieux et les hommes et tout ce qu’il contient a été disposé et conçu pour le profit des hommes. Le monde est en effet pour ainsi dire la demeure commune des dieux et des hommes ou encore la cité des uns et des autres : eux seuls ont l’usage de la raison et vivent selon le droit et la loi. Ainsi, de même qu’on doit penser qu’Athènes et Lacédémone ont été fondées pour les Athéniens et les Lacédémoniens et que tout ce qu’il y a dans ces villes est réputé à bon droit propriété de ces peuples, de même tout ce qu’il y a dans le monde entier doit être considéré comme appartenant aux dieux et aux hommes. 155 D’autre part, les révolutions du soleil et de la lune et celles des autres astres, bien qu’elles aient pour finalité la cohésion du monde, s’offrent pourtant aussi en spectacle aux hommes : il n’est pas de vision dont on puisse moins se lasser, nulle n’est plus belle, nulle ne manifeste une raison et une ingéniosité supérieures. En mesurant le cours des astres nous connaissons le retour des saisons, leurs variations et leurs changements : puisque ces connaissances n’appartiennent qu’aux hommes, il faut juger que ces choses ont été faites pour les hommes. [156a Suppression d’une phrase incomplète qui pourrait correspondre à une glose.]

154 ❖ Restat ut doceam atque aliquando perorem omnia quae sint in hoc mundo quibus utantur homines hominum causa facta esse et parata. LXII Principio ipse mundus deorum hominumque causa factus est, quaeque in eo sunt, ea parata ad fructum hominum et inuenta sunt. Est enim mundus quasi communis deorum atque hominum domus aut urbs utrorumque ; soli enim ratione utentes iure ac lege uiuunt. Vt igitur Athenas et Lacedaemonem Atheniensium Lacedaemoniorumque causa putandum est conditas esse omniaque quae sint in his urbibus eorum populorum recte esse dicuntur, sic quaecumque sunt in omni mundo deorum atque hominum putanda sunt. 155 ❖ Iam uero circumitus solis et lunae reliquorumque siderum, quamquam etiam ad mundi cohaerentiam pertinent, tamen et spectaculum hominibus praebent ; nulla est enim insatiabilior species, nulla pulchrior et ad rationem sollertiamque praestantior ; eorum enim cursus dimetati maturitates temporum et uarietates mutationesque cognouimus. Quae si hominibus solis nota sunt, hominum causa facta esse iudicandum est. [+] [156a Terra uero feta frugibus et uario leguminum genere quae cum maxuma]c [+]

[Fin du passage greffé]

[Fin du passage greffé]

VI 16b En effet, si les dieux n’existent pas, que peut-il y avoir dans le monde de supérieur à l’homme ? Car en lui seul se trouve la raison et rien n’a plus de valeur que la raison ; or pour tout être humain ce serait faire preuve d’un orgueil insensé que de penser qu’il n’y a rien dans le monde entier qui lui soit supérieur ; donc il existe quelque chose de supérieur ; donc dieu existe »66. 17 Si on voyait une grande et belle maison, on ne pourrait être amené à croire, même sans voir le propriétaire, qu’elle a été construite pour des rats et des belettes ; si donc tu croyais que le monde, cette merveille, avec les corps célestes si variés et si beaux, cette masse et cette étendue immenses de la mer et des terres, que tout cela est ta demeure et non pas celle des dieux immortels, ne paraîtrais-tu pas avoir tout à fait perdu la raison ? D’ailleurs ne comprenons-nous pas non plus que tout ce qui est plus élevé a plus de valeur, mais que la terre est tout en bas, elle qui est entourée par l’air le plus dense ? C’est pour cette raison, parce qu’il est situé sur terre, la région la plus dense du monde, que le genre humain a subi ce que subissent manifestement les habitants de certaines régions et villes dont l’esprit manque de vivacité à cause de la qualité trop épaisse de l’air.

VI 16b Etenim si di non sunt, quid esse potest in rerum natura homine melius ? In eo enim solo est ratio qua nihil potest esse praestantius. Esse autem hominem qui nihil in omni mundo melius esse quam se putet desipientis adrogantiae est ; ergo est aliquid melius. Est igitur profecto deus. » 17 An uero, si domum magnam pulchramque uideris, non possis adduci ut, etiam si dominum non uideas, muribus illam et mustelis aedificatam putes ; tantum ergo ornatum mundi, tantam uarietatem pulchritudinemque rerum caelestium, tantam uim et magnitudinem maris atque terrarum si tuum ac non deorum inmortalium domicilium putes, nonne plane desipere uideare ? An ne hoc quidem intellegimus, omnia supera esse meliora, terram autem esse infimam, quam crassissimus circumfundat aer ? Vt ob eam ipsam causam, quod etiam quibusdam regionibus atque urbibus contingere uidemus, hebetiora ut sint hominum ingenia propter caeli pleniorem naturam, hoc idem generi humano euenerit, quod in terra, hoc est in crassissima regione mundi, conlocati sint. [+]

18 Et pourtant l’habileté même dont l’homme fait preuve doit nous inciter à penser qu’il existe une intelligence, à vrai dire plus pénétrante que la nôtre, et divine. Comme le dit Socrate chez Xénophon, d’où l’homme s’est-il “emparé” de la sienne67 ? Bien plus : si l’on nous demande d’où nous tenons l’humidité et la chaleur répandues dans notre corps, la consistance terrestre de notre chair, le souffle de la respiration, enfin, il est manifeste que nous avons pris une chose à la terre, une autre à l’eau, une autre au feu, une autre à l’air que nous appelons “souffle”. VII Mais ce qui l’emporte sur tout cela, je veux dire la raison ou, si l’on préfère plusieurs termes, l’intelligence, la réflexion, la pensée, la prudence, où les avons-nous trouvées, où les avons-nous puisées ? Le monde possédera donc tout le reste, sans posséder ce qui a la plus grande valeur ? Pourtant, sans aucun doute, il n’existe rien de meilleur que le monde, rien qui lui soit supérieur, rien qui soit plus beau ; non seulement il n’existe rien mais on ne peut même rien concevoir de meilleur. Et si rien n’est meilleur que la raison et la sagesse, elles se trouvent nécessairement dans ce que nous admettons être le meilleur. 19 Mais vraiment, une si étroite parenté entre les êtres68, cet accord, cette harmonie maintenus continûment ne peuvent que contraindre à approuver mes propos. Serait-il possible que la terre, à une saison, se couvre de fleurs puis, périodiquement, se hérisse sous le froid ? que les transformations spontanées de tant de choses nous annoncent l’approche ou l’éloignement du soleil, aux solstices d’été et d’hiver ? que se produisent dans la mer et les détroits le flux et le reflux des marées au lever et au coucher de la lune ? qu’une seule et unique révolution du ciel entier assure le maintien des mouvements variés des astres ? Ces phénomènes, où se manifeste l’harmonie de toutes les parties du monde, ne pourraient se produire s’ils n’étaient tous maintenus par un souffle divin ininterrompu. 20 Quand on expose ces idées avec de plus amples développements, comme je me propose de le faire, elles échappent plus aisément aux chicanes des académiciens mais quand elles sont ramassées en des raisonnements brefs et serrés, comme ceux de Zénon, elles sont plus exposées à la critique. De même qu’une eau courante ne se corrompt pas ou presque pas mais que l’eau stagnante se corrompt facilement, de même les reproches du critique sont noyés dans le flot du discours mais un raisonnement concis et trop serré a peine à se défendre seul. Voici en effet comment Zénon condensait les idées que je développe69 :

18 ❖ Et tamen ex ipsa hominum sollertia esse aliquam mentem et eam quidem acriorem et diuinam existimare debemus. Vnde enim hanc homo “arripuit” ut ait apud Xenophontem Socrates ? Quin et umorem et calorem qui est fusus in corpore et terrenam ipsam uiscerum soliditatem, animum denique illum spirabilem si quis quaerat unde habeamus, apparet quod aliud a terra sumpsimus, aliud ab umore, aliud ab igni, aliud ab aere eo quem spiritum dicimus. VII Illud autem quod uincit haec omnia, rationem dico et, si placet pluribus uerbis, mentem, consilium, cogitationem, prudentiam, ubi inuenimus, unde sustulimus ? An cetera mundus habebit omnia, hoc unum quod plurimi est non habebit ? Atqui certe nihil omnium rerum melius est mundo, nihil praestabilius, nihil pulchrius, nec solum nihil est sed ne cogitari quidem quicquam melius potest. Et si ratione et sapientia nihil est melius, necesse est haec inesse in eo quod optimum esse concedimus. [+] 19 Quid uero, tanta rerum consentiens, conspirans, continuata cognatio quem non coget ea quae dicuntur a me conprobare ? Possetne uno tempore florere, dein uicissim horrere terra aut tot rebus ipsis se inmutantibus solis accessus discessusque solstitiis brumisque cognosci aut aestus maritimi fretorumque angustiae ortu aut obitu lunae commoueri aut una totius caeli conuersione cursus astrorum dispares conseruari ? Haec ita fieri omnibus inter se concinentibus mundi partibus profecto non possent nisi ea uno diuino et continuato spiritu continerentur. [+] 20 Atque haec cum uberius disputantur et fusius, ut mihi est in animo facere, facilius effugiunt Academicorum calumniam ; cum autem, ut Zeno solebat, breuius angustiusque concluduntur, tum apertiora sunt ad reprendendum. Nam ut profluens amnis aut uix aut nullo modo, conclusa autem aqua facile conrumpitur, sic orationis flumine reprensoris conuicia diluuntur, angustia autem conclusae orationis non facile se ipsa tutatur. Haec enim quae dilatantur a nobis Zeno sic premebat : [+]

VIII 21

VIII 21 ❖

Ce qui use de raison est meilleur que ce qui n’use pas de raison ; or rien n’est meilleur que le monde ; donc le monde use de raison.
Quod ratione utitur id melius est quam id quod ratione non utitur ; nihil autem mundo melius ; ratione igitur mundus utitur.

De la même manière on peut établir que le monde est sage, qu’il est heureux, qu’il est éternel car tout ce qui possède ces qualités est meilleur que ce qui en est privé ; or rien n’est meilleur que le monde. Il en résultera que le monde est dieu. 22 Zénon disait encore :

Similiter effici potest sapientem esse mundum, similiter beatum, similiter aeternum ; omnia enim haec meliora sunt quam ea quae sunt his carentia nec mundo quicquam melius. Ex quo efficietur esse mundum deum. 22 ❖ Idemque hoc modo :

Une partie d’un être dépourvu de sensation ne peut avoir de sensations ; or des parties du monde ont des sensations ; donc le monde n’est pas dépourvu de sensation.
Nullius sensu carentis pars aliqua potest esse sentiens ; mundi autem partes sentientes sunt ; non igitur caret sensu mundus.

Il va plus loin en donnant une forme plus concise :

Pergit idem et urguet angustius :

Aucun être dépourvu d’âme et de raison ne peut engendrer de lui-même un être animé et pourvu de raison ; or le monde engendre des êtres animés et pourvus de raison ; donc le monde est animé et pourvu de raison.
Nihil, inquit, quod animi quodque rationis est expers id generare ex se potest animantem compotemque rationis ; mundus autem generat animantis compotesque rationis ; animans est igitur mundus composque rationis.

Zénon encore formulait ainsi l’argument, utilisant comme à son habitude une comparaison :

Idemque similitudine, ut saepe solet, rationem conclusit hoc modo :

Si d’un olivier naissaient des flûtes jouant en mesure, pourrait-on douter que l’olivier a en lui un certain art de la flûte ? Et si des platanes produisaient de petites lyres rendant des sons harmonieux, on penserait de même, sans aucun doute, que ces platanes ont en eux la musique. Pourquoi donc juger que le monde n’est ni animé ni sage alors qu’il donne naissance à des êtres animés et sages ?
Si ex oliua modulate canentes tibiae nascerentur, num dubitares quin inesset in oliua tibicini quaedam scientia ? Quid si platani fidiculas ferrent numerose sonantes ? Idem scilicet censeres in platanis inesse musicam. Cur igitur mundus non animans sapiensque iudicetur cum ex se procreet animantis atque sapientis ? [+]

IX 23 Mais puisque j’ai commencé à traiter le sujet autrement que je l’avais annoncé70 – car j’avais dit que ce premier point n’avait pas besoin de développement, puisqu’il était évident, pour tous, que les dieux existent –, je veux le fonder rigoureusement sur des arguments tirés de la physique, c’est-à-dire de la nature. C’est un fait que tout ce qui se nourrit et qui croît contient en soi une source de chaleur sans laquelle il ne pourrait y avoir ni nutrition ni croissance. En effet, tout ce qui est chaud et igné se meut et agit de son propre mouvement ; or ce qui se nourrit et croît connaît une sorte de mouvement déterminé et constant : aussi longtemps que ce mouvement persiste en nous, aussi longtemps persistent la sensation et la vie mais quand la chaleur diminue et s’éteint, nous succombons nous-mêmes et nous nous éteignons. 24 Cléanthe aussi montre quelle importante source de chaleur se trouve dans tous les corps, en ajoutant ces arguments71 : il dit qu’il n’existe pas d’aliment si lourd qu’on ne puisse le digérer en une nuit et un jour, et même dans les résidus que la nature a rejetés, il y a encore de la chaleur. En outre, nos veines et nos artères ne cessent de battre comme sous l’effet du mouvement d’un feu et on a souvent observé que le cœur d’un animal, une fois arraché, avait encore de vives palpitations à l’image du mouvement rapide du feu. Donc tout ce qui vit, animal ou produit de la terre, vit grâce à la chaleur qu’il renferme. De là on doit comprendre que la chaleur est un élément qui possède en soi une force vitale étendue à travers le monde entier. 25 Nous verrons cela plus facilement en expliquant plus précisément ce qu’est ce genre de feu qui pénètre tout. Toutes les parties du monde, donc – et je n’aborderai que les plus importantes –, trouvent leur appui et leur soutien dans la chaleur. C’est ce qu’on peut observer, de prime abord, dans l’élément terrestre : nous voyons que du choc ou du frottement des pierres jaillit le feu, que d’une terre fraîchement remuée sort une fumée chaude, qu’on tire même de l’eau chaude de puits intarissables. C’est surtout le cas dans la saison d’hiver parce qu’une grande quantité de chaleur est contenue dans les cavernes de la terre : comme elle est plus dense en hiver, elle resserre davantage, pour cette raison, la chaleur enfermée dans les terres.

IX 23 Sed quoniam coepi secus agere atque initio dixeram (negaram enim hanc primam partem egere oratione quod esset omnibus perspicuum deos esse), tamen id ipsum rationibus physicis, id est naturalibus, confirmari uolo. Sic enim res se habet ut omnia quae alantur et quae crescant contineant in se uim caloris sine qua neque ali possent nec crescere. Nam omne quod est calidum et igneum cietur et agitur motu suo ; quod autem alitur et crescit motu quodam utitur certo et aequabili ; qui quam diu remanet in nobis tam diu sensus et uita remanet, refrigerato autem et extincto calore occidimus ipsi et extinguimur. 24 Quod quidem Cleanthes his etiam argumentis docet quanta uis insit caloris in omni corpore. Negat enim esse ullum cibum tam grauem quin is nocte et die concoquatur ; cuius etiam in reliquiis inest calor iis quas natura respuerit. Iam uero uenae et arteriae micare non desinunt quasi quodam igneo motu animaduersumque saepe est cum cor animantis alicuius euolsum ita mobiliter palpitaret ut imitaretur igneam celeritatem. Omne igitur quod uiuit, siue animal siue terra editum, id uiuit propter inclusum in eo calorem. Ex quo intellegi debet eam caloris naturam uim habere in se uitalem per omnem mundum pertinentem. 25 ❖ Atque id facilius cernemus toto genere hoc igneo quod tranat omnia subtilius explicato. Omnes igitur partes mundi, tangam autem maximas, calore fultae sustinentur. Quod primum in terrena natura perspici potest. Nam et lapidum conflictu atque tritu elici ignem uidemus et recenti fossione terram fumare calentem atque etiam ex puteis iugibus aquam calidam trahi, et id maxime fieri temporibus hibernis quod magna uis terrae cauernis contineatur caloris eaque hieme sit densior ob eamque causam calorem insitum in terris contineat artius. [+]

X 26 Il faudrait un long développement et beaucoup d’arguments pour montrer que toutes les graines que la terre reçoit et toutes les plantes qu’elle a elle-même engendrées et qu’elle contient, fixées à elle par des racines, naissent et grandissent grâce à la chaleur bien répartie en elle. L’eau aussi contient en elle de la chaleur, comme le montre sa fluidité même ; elle ne gèlerait pas sous l’effet du froid et ne se condenserait pas en neige et en gelée blanche si ensuite, grâce à la chaleur qui y est mêlée, elle ne fondait et ne s’écoulait en se répandant. C’est pourquoi, quand le liquide est exposé aux aquilons et autres froidures, il se solidifie, tandis qu’inversement il fond et se dissout quand la chaleur le tiédit. Les mers elles aussi, quand les vents les agitent, se réchauffent si bien qu’on peut aisément comprendre que ces grandes masses d’eau contiennent de la chaleur. On ne doit pas croire, en effet, que ce réchauffement provient du dehors : il surgit des profondeurs de la mer, sous l’effet de forts mouvements. C’est ce qui arrive également à notre corps, lorsqu’il se réchauffe par le mouvement et l’exercice. Et l’air lui-même, qui est par nature l’élément le plus froid, n’est nullement dépourvu de chaleur. 27 Au contraire, beaucoup de chaleur est mêlée à lui ; lui-même naît de l’exhalaison des eaux et on doit le considérer comme une sorte d’évaporation de celles-ci. Il résulte du mouvement de la chaleur contenue dans les eaux ce dont on peut voir l’image dans l’ébullition de l’eau qu’on a mise sur le feu. Reste la quatrième partie du monde : elle est elle-même tout entière brûlante par nature et c’est elle qui distribue aux autres éléments la chaleur salutaire et vitale. 28 On en conclut que, puisque toutes les parties du monde sont entretenues par la chaleur, le monde lui-même doit aussi sa conservation, depuis une aussi longue durée, à un principe semblable ou identique ; et cela d’autant plus qu’on doit comprendre que cet élément chaud et igné est répandu dans la nature entière, seul doté de la puissance procréatrice et de la cause génératrice. C’est à lui que tous les êtres animés et ceux dont les racines sont contenues dans la terre doivent nécessairement leur naissance et leur croissance.

X 26 Longa est oratio multaeque rationes quibus doceri possit omnia quae terra concipiat semina quaeque ipsa ex se generata stirpibus infixa contineat ea temperatione caloris et oriri et augescere. Atque aquae etiam admixtum esse calorem primum ipse liquor aquae declarat effusae, quae neque conglaciaret frigoribus neque niue pruinaque concresceret nisi eadem se admixto calore liquefacta et dilapsa diffunderet ; itaque et aquilonibus reliquisque frigoribus adiectis durescit umor et idem uicissim mollitur tepefactus et tabescit calore. Atque etiam maria agitata uentis ita tepescunt ut intellegi facile possit in tantis illis umoribus esse inclusum calorem ; nec enim ille externus et aduenticius habendus est tepor sed ex intumis maris partibus agitatione excitatus, quod nostris quoque corporibus contingit cum motu atque exercitatione recalescunt. Ipse uero aer, qui natura est maxime frigidus, minime est expers caloris. [+] 27 Ille uero et multo quidem calore admixtus est ; ipse enim oritur ex respiratione aquarum ; earum enim quasi uapor quidam aer habendus est, is autem existit motu eius caloris qui aquis continetur, quam similitudinem cernere possumus in his aquis quae efferuescunt subditis ignibus. Iam uero reliqua quarta pars mundi, ea et ipsa tota natura feruida est et ceteris naturis omnibus salutarem inpertit et uitalem calorem. [+] 28 Ex quo concluditur, cum omnes mundi partes sustineantur calore, mundum etiam ipsum simili parique natura in tanta diuturnitate seruari eoque magis quod intellegi debet calidum illud atque igneum ita in omni fusum esse natura ut in eo insit procreandi uis et causa gignendi, a quo et animantia omnia et ea quorum stirpes terra continentur et nasci sit necesse et augescere. [+]

XI 29 Il y a donc un élément qui maintient uni le monde entier et le conserve, un élément qui n’est dépourvu ni de sensation ni de raison. En effet, tout élément qui n’est ni isolé ni simple, mais joint et uni à autre chose, a nécessairement en lui un principe dominateur, par exemple l’intelligence dans l’homme et, dans la bête, ce semblant d’intelligence d’où naissent les inclinations. Pour les arbres et les autres végétaux qui naissent de la terre, on pense que le principe dominateur se situe dans leurs racines. J’appelle principe dominateur ce que les Grecs nomment hegemonikon (ἡγεμονικὸν), c’est-à-dire ce qui, en chaque espèce d’êtres, ne peut ni ne doit être surpassé par rien72. Aussi est-il nécessaire que l’être en qui réside le principe dominateur de la nature entière soit le meilleur de tous et le plus digne d’exercer le pouvoir et la domination sur toutes choses. 30 Or nous voyons que dans les parties du monde – car il n’y a rien dans le monde entier qui ne soit partie du tout – il existe sensation et raison. Elles existent donc nécessairement dans la partie où existe le principe dominateur du monde, et même plus vives et plus grandes qu’ailleurs. C’est pourquoi le monde est nécessairement sage et l’élément qui tient toutes choses embrassées doit exceller par la perfection de sa raison : ainsi donc le monde est dieu et toute la puissance du monde réside dans cet élément divin. De plus, ce feu ardent du monde est plus pur, plus brillant et beaucoup plus mobile et pour cela plus apte à stimuler nos sens que la chaleur que nous connaissons, qui conserve et nourrit tous les êtres familiers à notre expérience73. 31 Il est donc absurde de dire, alors que les hommes et les bêtes sont maintenus par cette chaleur qui les fait se mouvoir et sentir, que le monde est privé de sensation, lui qui est maintenu par un feu intact, libre, pur et en même temps très ardent et mobile. Surtout si l’on considère que ce feu ardent du monde n’est pas mis en branle par une impulsion étrangère ni extérieure mais qu’il se meut lui-même, par lui-même et spontanément : peut-il y avoir en effet quelque chose de plus puissant que le monde pour donner impulsion et mouvement à la chaleur qui conserve le monde ? XII 32 Écoutons Platon, dieu des philosophes, pour ainsi dire74 : il y a selon lui deux mouvements, l’un spontané, l’autre qui vient du dehors, mais l’être qui se meut de lui-même spontanément est plus divin que celui qui est mis en branle par une impulsion étrangère. Il affirme que le mouvement spontané réside seulement dans les âmes et que c’est d’elles qu’est issu le principe du mouvement. C’est pourquoi, puisque tout mouvement a son origine dans la chaleur du monde, et que cette chaleur se meut spontanément, et non sous une impulsion étrangère, elle est nécessairement une âme : il en résulte que le monde est un être animé. On pourra aussi concevoir qu’il possède l’intelligence en constatant que le monde est sans aucun doute meilleur que n’importe quel élément. Car de même qu’il n’est pas une partie de notre corps qui ne soit de moindre valeur que notre personne elle-même, de même le monde entier doit nécessairement avoir plus de valeur que n’importe quelle partie de l’ensemble. Et s’il en est ainsi, il faut nécessairement que le monde soit sage. Car s’il ne l’était pas, il faudrait admettre que l’homme, bien qu’il soit une partie du monde, a plus de valeur que le monde entier, puisqu’il a part à la raison.

XI 29 ❖ Natura est igitur quae contineat mundum omnem eumque tueatur et ea quidem non sine sensu atque ratione. Omnem enim naturam necesse est quae non solitaria sit neque simplex sed cum alio iuncta atque conexa, habere aliquem in se principatum ut in homine mentem, in belua quiddam simile mentis unde oriantur rerum adpetitus. In arborum autem et earum rerum quae gignuntur e terra radicibus inesse principatus putatur. Principatum autem id dico quod Graeci ἡγεμονικὸν uocant quo nihil in quoque genere nec potest nec debet esse praestantius. Ita necesse est illud etiam in quo sit totius naturae principatus esse omnium optumum omniumque rerum potestate dominatuque dignissimum. [+] 30 Videmus autem in partibus mundi (nihil est enim in omni mundo quod non pars uniuersi sit) inesse sensum atque rationem. In ea parte igitur in qua mundi inest principatus haec inesse necesse est, et acriora quidem atque maiora. Quocirca sapientem esse mundum necesse est naturamque eam quae res omnes conplexa teneat perfectione rationis excellere eoque deum esse mundum omnemque uim mundi natura diuina contineri. Atque etiam mundi ille feruor purior, perlucidior, mobiliorque multo ob easque causas aptior ad sensus commouendos quam hic noster calor quo haec quae nota nobis sunt retinentur et uigent. [+] 31 Absurdum igitur est dicere, cum homines bestiaeque hoc calore teneantur et propterea moueantur ac sentiant, mundum esse sine sensu, qui integro et libero et puro eodemque acerrimo et mobilissimo ardore teneatur, praesertim cum is ardor qui est mundi non agitatus ab alio neque externo pulsu sed per se ipse ac sua sponte moueatur. Nam quid potest esse mundo ualentius quod pellat atque moueat calorem eum quo ille teneatur ? [+] XII 32 ❖ Audiamus enim Platonem quasi deum philosophorum ; cui duo placet esse motus, unum suum, alterum externum, esse autem diuinius quod ipsum ex se sua sponte moueatur quam quod pulsu agitetur alieno. Hunc autem motum in solis animis esse ponit ab iisque principium motus esse ductum putat. Quapropter quoniam ex mundi ardore motus omnis oritur, is autem ardor non alieno inpulsu sed sua sponte mouetur, animus sit necesse est ; ex quo efficitur animantem esse mundum. Atque ex hoc quoque intellegi poterit in eo inesse intellegentiam, quod certe est mundus melior quam ulla natura. Vt enim nulla pars est corporis nostri quae non minoris sit quam nosmet ipsi sumus, sic mundum uniuersum pluris esse necesse est quam partem aliquam uniuersi. Quod si ita est, sapiens sit mundus necesse est. Nam ni ita esset hominem, qui esset mundi pars, quoniam rationis esset particeps, pluris esse quam mundum omnem oporteret. [+]

33 Et si nous voulons, en partant des premiers êtres qui ne sont qu’ébauchés, progresser jusqu’aux derniers qui sont parfaits75, nous parviendrons nécessairement à la nature des dieux. Nous constatons que les premiers que la nature entretient sont les végétaux qui naissent de la terre, auxquels la nature n’a rien accordé de plus que la conservation, en les nourrissant et en les faisant croître. 34 Aux bêtes elle a donné la sensation et le mouvement et une certaine inclination qui les pousse à s’approcher de ce qui leur est salutaire, à s’écarter de qui leur est funeste. À l’homme elle a donné par surcroît la raison pour lui permettre de gouverner les inclinations de son âme, tantôt en leur lâchant la bride tantôt en les retenant. XIII Le quatrième degré, le plus élevé, est celui des êtres qui naissent naturellement bons et sages, qui ont, dès leur naissance, une raison droite et ferme : on doit considérer que cette raison dépasse l’homme et l’attribuer à dieu, c’est-à-dire au monde, où réside nécessairement, à son stade de développement parfait, la raison absolue. 35 On ne peut nier, en effet, qu’il existe dans toute forme d’organisation un stade supérieurement achevé. De même que dans une vigne ou dans une bête, à moins qu’une force ne vienne s’y opposer, nous voyons la nature parvenir à sa perfection par une voie qui lui est propre, et de même que la peinture, l’architecture et les autres arts visent l’accomplissement d’une œuvre achevée, de même et bien plus encore dans la nature tout entière se réalise nécessairement un stade ultime de perfection. Et en effet, quand il s’agit de tous les autres êtres de la nature, bien des obstacles extérieurs peuvent s’opposer à leur accomplissement mais rien ne peut entraver la nature prise dans son ensemble puisqu’elle embrasse et renferme en elle toutes les natures particulières. C’est pourquoi ce quatrième degré, le plus élevé de tous, doit nécessairement exister, inaccessible à toute violence. 36 C’est le degré où se tient la nature universelle ; et puisque celle-ci est telle qu’elle est supérieure à tout et que rien ne peut l’entraver, il faut nécessairement que le monde soit intelligent et sage également. Peut-il y avoir plus grande preuve d’ignorance ? Nier que la nature qui embrasse toutes choses soit la meilleure ou nier, tout en affirmant qu’elle est la meilleure, qu’elle soit, en premier lieu, un être animé, ensuite un être doué de raison et de réflexion, enfin un être sage ? Sans cela pourrait-elle être la meilleure ? Si elle ressemblait aux plantes, ou même aux animaux, il n’y aurait pas lieu de la considérer comme la meilleure plutôt que la pire. Et si elle participait à la raison sans pourtant être sage dès l’origine, la condition du monde serait pire que celle de l’homme. Car l’homme peut devenir sage tandis que le monde, s’il a été privé de sagesse dans l’éternité du temps passé, n’atteindra évidemment jamais la sagesse : il sera ainsi pire que l’homme. Puisque c’est là une absurdité, il faut admettre que le monde est sage, dès son origine, et qu’il est dieu.

33 Atque etiam si a primis inchoatisque naturis ad ultimas perfectasque uolumus procedere, ad deorum naturam perueniamus necesse est. Prima enim animaduertimus a natura sustineri ea quae gignantur e terra, quibus natura nihil tribuit amplius quam ut ea alendo atque augendo tueretur. [+] 34 Bestiis autem sensum et motum dedit et cum quodam adpetitu accessum ad res salutares, a pestiferis recessum. Hoc homini amplius, quod addidit rationem, qua regerentur animi adpetitus, qui tum remitterentur, tum continerentur. XIII Quartus autem est gradus et altissimus eorum qui natura boni sapientesque gignuntur, quibus a principio innascitur ratio recta constansque quae supra hominem putanda est deoque tribuenda, id est mundo, in quo necesse est perfectam illam atque absolutam inesse rationem. [+] 35 Neque enim dici potest in ulla rerum institutione non esse aliquid extremum atque perfectum. Vt enim in uite, ut in pecude, nisi quae uis obstitit, uidemus naturam suo quodam itinere ad ultimum peruenire atque ut pictura et fabrica ceteraeque artes habent quendam absoluti operis effectum, sic in omni natura ac multo etiam magis necesse est absolui aliquid ac perfici. Etenim ceteris naturis multa externa quo minus perficiantur possunt obsistere, uniuersam autem naturam nulla res potest impedire propterea quod omnis naturas ipsa cohibet et continet. Quocirca necesse est esse quartum illum et altissimum gradum quo nulla uis possit accedere. [+] 36 Is autem est gradus in quo rerum omnium natura ponitur ; quae quoniam talis est ut et praesit omnibus et eam nulla res possit inpedire, necesse est intellegentem esse mundum et quidem etiam sapientem. Quid autem est inscitius quam eam naturam quae omnis res sit conplexa non optumam dici aut, cum sit optuma, non primum animantem esse, deinde rationis et consilii compotem, postremo sapientem ? Qui enim potest aliter optuma ? Neque enim si stirpium similes sit, aut etiam bestiarum, optuma putanda sit potius quam deterruma. Nec uero, si rationis particeps sit nec sit tamen a principio sapiens, non sit deterior mundi potius quam humana condicio. Homo enim sapiens fieri potest, mundus autem, si in aeterno praeteriti temporis spatio fuit insipiens, numquam profecto sapientiam consequetur ; ita erit homine deterior. Quod quoniam absurdum est, et sapiens a principio mundus et deus habendus est. [+]

37 Il n’existe rien, en effet, hormis le monde, à quoi rien ne manque et qui soit de toutes parts accompli et parfait, achevé dans tous ses éléments et toutes ses parties. XIV Comme le dit finement Chrysippe76, de même que l’étui est fait pour le bouclier, le fourreau pour l’épée, ainsi toute chose, à l’exception du monde, a été créée en vue d’autres choses : le blé et les productions de la terre, en vue des vivants, les animaux, en vue des hommes – ainsi le cheval, pour porter, le bœuf, pour labourer, le chien pour chasser et veiller. L’homme, lui, est né pour contempler le monde et pour l’imiter ; il n’est nullement parfait mais il est une parcelle de la perfection. 38 Mais le monde, puisqu’il embrasse toutes choses et que rien n’existe en dehors de lui, est absolument parfait ; comment donc pourrait-il ne pas posséder ce qui est le meilleur ? Or il n’y a rien de meilleur que l’intelligence et la raison : le monde ne peut donc pas en être privé. Le même Chrysippe a donc raison quand il montre à l’aide de comparaisons que tout est meilleur chez les êtres achevés et adultes : chez le cheval, par rapport au poulain, chez le chien, par rapport au chiot, chez l’homme, par rapport à l’enfant. De même, ce qu’il y a de meilleur dans le monde entier doit se trouver dans ce qui est parfaitement achevé. 39 Or, rien n’est plus parfait que le monde, rien n’est meilleur que la vertu ; la vertu appartient donc en propre au monde. La nature de l’homme n’est pas parfaite et pourtant la vertu se réalise dans l’homme ; combien plus facilement, alors, se réalise-t-elle dans le monde ! Il possède donc la vertu : il est donc sage et pour cela dieu.

37 Neque enim est quicquam aliud praeter mundum quo nihil absit quodque undique aptum atque perfectum expletumque sit omnibus suis numeris et partibus. XIV Scite enim Chrysippus, ut clipei causa inuolucrum, uaginam autem gladii, sic praeter mundum cetera omnia aliorum causa esse generata, ut eas fruges atque fructus quos terra gignit animantium causa, animantes autem hominum, ut equum uehendi causa, arandi bouem, uenandi et custodiendi canem ; ipse autem homo ortus est ad mundum contemplandum et imitandum – nullo modo perfectus sed est quaedam particula perfecti. [+] 38 Sed mundus quoniam omnia conplexus est neque est quicquam quod non insit in eo, perfectus undique est ; qui igitur potest ei deesse id quod est optimum ? Nihil autem est mente et ratione melius ; ergo haec mundo deesse non possunt. Bene igitur idem Chrysippus, qui similitudines adiungens omnia in perfectis et maturis docet esse meliora, ut in equo quam in eculeo, in cane quam in catulo, in uiro quam in puero ; item quod in omni mundo optimum sit id in perfecto aliquo atque absoluto esse debere ; [+] 39 est autem nihil mundo perfectius, nihil uirtute melius ; igitur mundi est propria uirtus. Nec uero hominis natura perfecta est et efficitur tamen in homine uirtus ; quanto igitur in mundo facilius ; est ergo in eo uirtus. Sapiens est igitur et propterea deus.

XV Une fois qu’on a reconnu la divinité du monde, il faut attribuer la même divinité aux astres, qui naissent de la partie la plus mobile et la plus pure de l’éther, sans aucun mélange d’un autre élément ; ils ne sont que chaleur et lumière, de sorte qu’on dit très justement que ce sont des êtres vivants doués de sensation et d’intelligence. 40 Selon Cléanthe, ils sont entièrement de feu, comme le prouve le témoignage de deux sens, le toucher et la vue. Car la chaleur et l’éclat du soleil77 sont plus vifs que ceux d’aucun autre feu puisqu’il brille sur une si vaste étendue dans l’immensité du monde et le contact de ses rayons est si puissant que non seulement il chauffe mais souvent même il brûle ; or il ne ferait ni l’un ni l’autre s’il n’était de feu.

XV Atque hac mundi diuinitate perspecta tribuenda est sideribus eadem diuinitas, quae ex mobilissima purissimaque aetheris parte gignuntur neque ulla praeterea sunt admixta natura totaque sunt calida atque perlucida ut ea quoque rectissime et animantia esse et sentire atque intellegere dicantur. 40 Atque ea quidem tota esse ignea duorum sensuum testimonio confirmari Cleanthes putat, tactus et oculorum. Nam solis calor et candor inlustrior est quam ullius ignis, quippe qui in inmenso mundo tam longe lateque conluceat et is eius tactus est non ut tepefaciat solum sed etiam saepe comburat, quorum neutrum faceret nisi esset igneus.

Donc, dit Cléanthe, puisque le soleil est de feu et se nourrit des exhalaisons de l’Océan (car nul feu ne peut subsister sans un aliment quelconque), il ressemble nécessairement soit au feu que nous utilisons pour les besoins de notre vie soit à celui qui est contenu dans le corps des êtres vivants. 41 Or le feu dont nous avons besoin pour la vie quotidienne détruit et consume tout et, partout où il pénètre, il détruit et anéantit toutes choses. Au contraire, le feu qui se trouve dans les corps donne la vie et la santé : il conserve tous les êtres, les nourrit, les fait croître, les entretient et leur permet de sentir.
Ergo, inquit, cum sol igneus sit Oceanique alatur umoribus (quia nullus ignis sine pastu aliquo possit permanere) necesse est aut ei similis sit igni quem adhibemus ad usum atque uictum, aut ei qui corporibus animantium continetur. [+] 41 Atque hic noster ignis quem usus uitae requirit confector est et consumptor omnium idemque quocumque inuasit cuncta disturbat ac dissipat ; contra ille corporeus, uitalis et salutaris, omnia conseruat, alit, auget, sustinet sensuque adficit.

Il n’y a donc pas à se demander, selon lui, auquel de ces feux le soleil ressemble puisqu’il a pour effet, lui aussi, de faire s’épanouir et se développer tous les êtres, chacun dans son espèce. C’est pourquoi, puisque le feu du soleil est semblable aux feux qui se trouvent dans le corps des vivants, il faut que le soleil soit aussi un être vivant, ainsi que tous les autres astres qui naissent dans le feu céleste qu’on appelle éther ou ciel. 42 Ainsi donc, puisque les êtres vivants prennent naissance les uns dans la terre, d’autres dans l’eau, d’autres dans l’air, Aristote78 trouve absurde de penser que nul animal ne soit engendré dans l’élément le plus propre à engendrer des êtres vivants. Or les astres occupent la région de l’éther : comme c’est le plus subtil des éléments, toujours en mouvement et plein de vie, l’animal engendré dans cette région a nécessairement les sens les plus aiguisés et la mobilité la plus rapide. C’est pourquoi, puisque les astres sont engendrés dans l’éther, il est conséquent de leur attribuer sens et intelligence : d’où il résulte qu’il faut compter les astres au nombre des dieux.

Negat ergo esse dubium horum ignium sol utri similis sit cum is quoque efficiat ut omnia floreant et in suo quaeque genere pubescant. Quare cum solis ignis similis eorum ignium sit qui sunt in corporibus animantium, solem quoque animantem esse oportet et quidem reliqua astra quae oriantur in ardore caelesti qui aether uel caelum nominatur. [+] 42 Cum igitur aliorum animantium ortus in terra sit, aliorum in aqua, in aere aliorum, absurdum esse Aristoteli uidetur in ea parte quae sit ad gignenda animantia aptissima animal gigni nullum putare. Sidera autem aetherium locum optinent ; qui quoniam tenuissimus est et semper agitatur et uiget, necesse est quod animal in eo gignatur id et sensu acerrumo et mobilitate celerrima esse. Quare, cum in aethere astra gignantur, consentaneum est in his sensum inesse et intellegentiam ex quo efficitur in deorum numero astra esse ducenda.

XVI On peut voir en effet que les habitants des régions où l’air est pur et subtil ont l’esprit plus pénétrant et plus apte à comprendre que ceux qui vivent dans une atmosphère épaisse et dense. 43 On pense en outre que la nourriture a une certaine influence sur l’acuité de l’esprit. Il est donc vraisemblable que les astres ont une intelligence supérieure, puisqu’ils habitent la région éthérée du monde et se nourrissent d’exhalaisons marines et terrestres que la longue distance qui les sépare a raffinées. Mais ce qui montre surtout que les astres ont la faculté de sentir et de comprendre, c’est leur ordre et leur régularité (car il n’est rien qui puisse se mouvoir avec règle et mesure, sans un plan concerté) et dans cet ordre il n’y a rien d’inconsidéré, rien de changeant, rien de fortuit. Or l’ordre des astres et leur régularité éternelle ne sont pas le signe qu’il s’agit d’un procès naturel, car l’ordre est pleinement rationnel, ni le signe du hasard qui, aimant le changement, répugne à la régularité. Il s’ensuit donc que les astres se meuvent d’eux-mêmes, spontanément, grâce à leur faculté de sentir et leur divinité. 44 Il faut également féliciter Aristote pour avoir pensé que tout ce qui se meut le fait ou bien naturellement, ou bien par force, ou bien volontairement79 ; or le soleil, la lune et tous les astres se meuvent. Les corps qui se meuvent naturellement sont portés vers le bas à cause de leur poids ou vers le haut à cause de leur légèreté : or aucun de ces mouvements ne s’applique aux astres puisque leur mouvement est une révolution circulaire. On ne peut pas dire non plus qu’une force supérieure oblige les astres à se mouvoir contrairement à leur nature – quelle force en effet pourrait être plus grande que la leur ? Il reste à conclure que leur mouvement est volontaire.

XVI Etenim licet uidere acutiora ingenia et ad intellegendum aptiora eorum qui terras incolant eas in quibus aer sit purus ac tenuis quam illorum qui utantur crasso caelo atque concreto. [+] 43 ❖ Quin etiam cibo quo utare interesse aliquid ad mentis aciem putant. Probabile est igitur praestantem intellegentiam in sideribus esse, quae et aetheriam partem mundi incolant et marinis terrenisque umoribus longo interuallo extenuatis alantur. Sensum autem astrorum atque intellegentiam maxume declarat ordo atque constantia (nihil est enim quod ratione et numero moueri possit sine consilio), in quo nihil est temerarium, nihil uarium, nihil fortuitum. Ordo autem siderum et in omni aeternitate constantia neque naturam significat (est enim plena rationis) neque fortunam quae amica uarietati constantiam respuit. Sequitur ergo ut ipsa sua sponte suo sensu ac diuinitate moueantur. 44 ❖ Nec uero Aristoteles non laudandus in eo quod omnia quae mouentur aut natura moueri censuit aut ui aut uoluntate ; moueri autem solem et lunam et sidera omnia ; quae autem natura mouerentur, haec aut pondere deorsum aut leuitate in sublime ferri, quorum neutrum astris contingeret propterea quod eorum motus in orbem circumque ferretur ; nec uero dici potest ui quadam maiore fieri ut contra naturam astra moueantur (quae enim potest maior esse ?) ; restat igitur ut motus astrorum sit uoluntarius.

Quiconque comprend cela ferait preuve non seulement d’ignorance mais même d’impiété s’il niait que les dieux existent. Et à vrai dire, il n’y a pas grande différence entre nier cela et leur dénier toute forme de gouvernement ou d’activité : selon moi, en effet, celui qui ne fait rien n’existe pas du tout. Il est donc si évident que les dieux existent qu’à mes yeux celui qui le nie n’est pas tout à fait sain d’esprit.

Quae qui uideat non indocte solum uerum etiam impie faciat si deos esse neget. Nec sane multum interest utrum id neget an eos omni procuratione atque actione priuet ; mihi enim qui nihil agit esse omnino non uidetur. Esse igitur deos ita perspicuum est ut id qui neget uix eum sanae mentis existimem. [+]

XVII 45 Reste à examiner quelle est leur nature80 : sur cette question, rien n’est plus difficile que de détacher la vision mentale des perceptions habituelles de nos yeux. Cette difficulté a conduit les ignorants en général et ceux des philosophes qui leur ressemblent à ne pouvoir réfléchir sur les dieux immortels sans se les représenter sous une forme humaine. Cette opinion inconsistante a été réfutée par Cotta, ce qui me dispense d’y revenir. Mais puisque nous avons dans l’esprit une préconception définie selon laquelle dieu est, en premier lieu, un être animé, ensuite un être que rien ne surpasse dans la nature entière, je ne vois rien que je puisse mieux accorder avec notre préconception que ce jugement : ce monde lui-même, qui surpasse en excellence tout ce qui peut exister, est un être vivant et un dieu81. 46 Là-dessus, qu’Épicure plaisante tant qu’il voudra, lui qui n’est pas particulièrement doué pour la plaisanterie et qui est dépourvu du sel de son pays82, qu’il se dise incapable de concevoir ce qu’est un dieu rond qui tourne, pourtant il ne me fera jamais abandonner une position que lui-même approuve : il soutient en effet qu’il y a des dieux parce qu’il existe nécessairement une nature supérieure qui l’emporte sur toutes les autres. Or rien, assurément, n’est meilleur que le monde et il n’est pas douteux qu’un être animé, doué de sensation, de raison et d’intelligence est supérieur à celui qui est privé de ces facultés. 47 Il en résulte que le monde est un être animé, doué de sensation, d’intelligence, de raison : on en déduit rationnellement que le monde est dieu. Mais on admettra plus facilement ces conclusions dans un moment, quand on verra les réalisations que le monde mène à bien.

XVII 45 ❖ Restat ut qualis eorum natura sit consideremus ; in quo nihil est difficilius quam a consuetudine oculorum aciem mentis abducere. Ea difficultas induxit et uulgo imperitos et similes philosophos imperitorum ut nisi figuris hominum constitutis nihil possent de dis inmortalibus cogitare ; cuius opinionis leuitas confutata a Cotta non desiderat orationem meam. Sed cum talem esse deum certa notione animi praesentiamus, primum ut sit animans, deinde ut in omni natura nihil eo sit praestantius ad hanc praesensionem notionemque nostram nihil uideo quod potius accommodem quam ut primum hunc ipsum mundum quo nihil excellentius fieri potest, animantem esse et deum iudicem.46 Hic quam uolet Epicurus iocetur, homo non aptissimus ad iocandum minimeque resipiens patriam et dicat se non posse intellegere qualis sit uolubilis et rotundus deus, tamen ex hoc quod etiam ipse probat, numquam me mouebit. Placet enim illi esse deos quia necesse sit praestantem esse aliquam naturam qua nihil sit melius. Mundo autem certe nihil est melius ; nec dubium quin quod animans sit habeatque sensum et rationem et mentem id sit melius quam id quod iis careat. [+] 47 ❖ Ita efficitur animantem, sensus, mentis, rationis mundum esse compotem ; qua ratione deum esse mundum concluditur. Sed haec paulo post facilius cognoscentur ex iis rebus ipsis quas mundus efficit.

XVIII En attendant, Velléius, évite de faire parade, je te prie, de la profonde ignorance de votre école. Tu dis qu’un cône, un cylindre, une pyramide te paraissent plus beaux qu’une sphère : encore une révolution que ce goût de vos yeux ! Mais admettons que ces formes soient plus belles – au moins pour l’œil –, ce n’est pourtant pas mon point de vue : qu’y a-t-il en effet de plus beau qu’une figure qui, à elle seule, contient et embrasse toutes les autres figures, qui ne présente aucune aspérité, aucune saillie, sans entailles anguleuses ni sinuosités, sans protubérances ni cavités83? Il y a deux formes qui l’emportent sur les autres, parmi les solides : le globe (c’est ainsi que je veux traduire le grec sphaira (σφαῖρα), et parmi les figures planes : le cercle ou orbe (kuklos – κύκλος – en grec). Seules ces deux formes ont la propriété d’avoir toutes leurs parties exactement semblables et tous les points de la circonférence à égale distance du centre. On ne saurait rien réaliser de plus parfait. 48 Mais si vous ne voyez pas cela, parce que vous n’avez jamais touché du doigt la poussière des géomètres, n’auriez-vous pas pu comprendre au moins, puisque vous êtes physiciens, que cette uniformité de mouvement et cette régularité des positions n’auraient pu être maintenues dans une autre forme ? Ainsi, il n’y a rien de moins savant que vos affirmations habituelles : vous n’affirmez même pas avec certitude que notre monde est sphérique parce qu’il pourrait se faire qu’il ait une autre forme ; vous soutenez qu’il existe des mondes innombrables de formes différentes. 49 Mais si Épicure avait appris ce que font deux fois deux, il n’affirmerait pas cela : mais occupé à juger ce qui est le meilleur d’après son “palais”, il n’a pas levé les yeux vers le “palais du ciel”, comme dit Ennius84.

XVIII Interea, Vellei, noli, quaeso, prae te ferre uos plane expertes esse doctrinae. Conum tibi ais et cylindrum et pyramidem pulchriorem quam sphaeram uideri. Nouum etiam oculorum iudicium habetis. Sed sint ista pulchriora dumtaxat aspectu – quod mihi tamen ipsum non uidetur ; quid enim pulchrius ea figura quae sola omnis alias figuras conplexa continet quaeque nihil asperitatis habere, nihil offensionis potest, nihil incisum angulis, nihil anfractibus, nihil eminens, nihil lacunosum ? Cumque duae formae praestantes sint, ex solidis globus (sic enim σφαῖραν interpretari placet), ex planis autem circulus aut orbis, qui κύκλος Graece dicitur, his duabus formis contingit solis ut omnes earum partes sint inter se simillumae a medioque tantum absit extremum ; quo nihil fieri potest aptius. [+] 48 sed si haec non uidetis quia numquam eruditum illum puluerem attigistis, ne hoc quidem physici intellegere potuistis, hanc aequabilitatem motus constantiamque ordinum in alia figura non potuisse seruari ? Itaque nihil potest indoctius quam quod a uobis adfirmari solet. Nec enim hunc ipsum mundum pro certo rotundum esse dicitis, nam posse fieri ut sit alia figura innumerabilesque mundos alios aliarum esse formarum. [+] 49 ❖ Quae si bis bina quot essent didicisset Epicurus certe non diceret ; sed dum palato quid sit optimum iudicat, “caeli palatum”, ut ait Ennius, non suspexit.

XIX Il y a deux sortes d’astres, dont les uns circulent en des trajectoires immuables de l’orient au couchant, sans jamais infléchir leur cours, tandis que les autres accomplissent deux révolutions se succédant sans interruption qui gardent mêmes trajectoires et mêmes cours : l’observation des mouvements des uns et des autres permet d’apprendre, d’une part, le mouvement rotatoire du monde, qui ne serait pas possible si sa forme n’était pas sphérique, et d’autre part, les révolutions circulaires des étoiles. Le soleil, pour commencer, occupe le premier rang parmi les astres : il se déplace de telle façon que, après avoir répandu une abondante lumière sur les différentes régions de la terre, il les laisse dans l’ombre, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre et c’est l’ombre même de la terre qui, en offusquant le soleil, produit la nuit. Les trajets nocturnes du soleil ont la même régularité que ses trajets diurnes. Ce sont les approches et les éloignements modérés du soleil, encore, qui règlent la distribution du froid et du chaud. Car le parcours de trois cent soixante-cinq cercles par le soleil, si l’on y ajoute le quart d’un jour environ, constitue sa révolution annuelle85. Le soleil, infléchissant sa course tantôt vers le septentrion, tantôt vers le midi, produit les étés et les hivers, ainsi que les deux saisons dont l’une s’ajoute à l’hiver finissant et l’autre à l’été ; ainsi, des changements des quatre saisons dérivent l’origine et la cause de tous les êtres qui viennent au monde sur terre et sur mer. 50 Le trajet mensuel de la lune égale la course annuelle du soleil ; sa luminosité devient très faible quand elle est très proche du soleil mais, quand elle en est très éloignée, sa lumière atteint sa plénitude. Ce ne sont pas seulement son aspect et sa forme qui changent, suivant qu’elle croît ou que son décours la ramène à son état premier mais c’est aussi la région du ciel qu’elle occupe : et si elle est dans la région boréale ou australe, son cours, lui aussi, connaît une sorte de solstice d’hiver ou d’été. Elle est la source de beaucoup d’émanations grâce auxquelles les animaux se nourrissent et croissent et les produits de la terre poussent et mûrissent86.

XIX Nam cum duo sint genera siderum quorum alterum spatiis inmutabilibus ab ortu ad occasum commeans nullum umquam cursus sui uestigium inflectat, alterum autem continuas conuersiones duas isdem spatiis cursibusque conficiat, ex utraque re et mundi uolubilitas, quae nisi in globosa forma esse non posset, et stellarum rotundi ambitus cognoscuntur. Primusque sol, qui astrorum tenet principatum, ita mouetur ut, cum terras larga luce compleuerit, easdem modo his, modo illis ex partibus opacet ; ipsa enim umbra terrae soli officiens noctem efficit. Nocturnorum autem spatiorum eadem est aequabilitas quae diurnorum. Eiusdemque solis tum accessus modici, tum recessus et frigoris et caloris modum temperant. Circumitus enim solis orbium quinque et sexaginta et trecentorum, quarta fere diei parte addita, conuersionem conficiunt annuam ; inflectens autem sol cursum, tum ad septem triones, tum ad meridiem, aestates et hiemes efficit et ea duo tempora quorum alterum hiemi senescenti adiunctum est, alterum aestati ; ita ex quattuor temporum mutationibus omnium quae terra marique gignuntur initia causaeque ducuntur. [+] 50 ❖ Iam solis annuos cursus spatiis menstruis luna consequitur, cuius tenuissimum lumen facit proximus accessus ad solem, digressus autem longissimus quisque plenissimum. Neque solum eius species ac forma mutatur, tum crescendo, tum defectibus in initia recurrendo sed etiam regio, quae cum est aquilenta aut australis in lunae quoque cursu est et brumae quaedam et solstitii similitudo multaque ab ea manant et fluunt quibus et animantes alantur augescantque et pubescant maturitatemque adsequantur quae oriuntur e terra. [+]

XX 51 Mais les cinq planètes qu’on appelle à tort errantes ont des mouvements particulièrement remarquables87 ; un corps n’est pas errant quand, de toute éternité, il exécute avec constance et régularité ses marches directes, ses rétrogradations et ses autres mouvements. Cela est d’autant plus remarquable dans les étoiles dont nous parlons puisque tantôt elles sont cachées, tantôt elles se découvrent à nouveau, tantôt elles s’approchent et tantôt s’éloignent, tantôt elles se devancent et tantôt se suivent, tantôt sont animées d’un mouvement plus rapide, tantôt plus lent et parfois ne bougent plus du tout mais s’arrêtent pour un certain temps. C’est à partir de leurs mouvements dissemblables que les mathématiciens ont conçu ce qu’ils appellent la grande année88 : elle est accomplie une fois que la révolution du soleil, de la lune et des cinq planètes les a ramenés à leurs positions initiales respectives, tous les circuits étant achevés. 52 La longueur de cette grande année est une difficile question mais il s’agit nécessairement d’une période déterminée et délimitée. L’étoile de Saturne, que les Grecs appellent Phainon (Φαίνων)89, est la plus éloignée de la terre et accomplit son cycle en trente ans environ au cours duquel elle produit beaucoup de phénomènes remarquables, tantôt accélérant, tantôt retardant sa marche, tantôt se cachant le soir, tantôt se montrant à nouveau le matin, immuable dans l’éternité, produisant les mêmes phénomènes aux mêmes moments. Au-dessous d’elle, plus près de la terre, se meut l’étoile de Jupiter, appelée Phaethon (Φαέθων) : elle parcourt le même cercle des douze signes du zodiaque en douze ans et exécute dans sa course les mêmes variations que Saturne. 53 L’orbite immédiatement inférieure à la sienne est occupée par Pyrois (Πυρόεις), appelée étoile de Mars : elle parcourt en vingt-quatre mois moins six jours, je crois, la même orbite que les deux planètes précédentes. Au-dessous d’elle se trouve l’étoile de Mercure que les Grecs appellent Stilbon (Στίλβων) : elle parcourt le cercle zodiacal en un an environ et ne s’éloigne jamais du soleil d’un intervalle plus grand que celui d’un signe, tantôt le précédant et tantôt le suivant. La plus basse des cinq planètes et la plus proche de la terre est l’étoile de Vénus, appelée en grec Phosphoros (Φωσφόρος) et en latin Lucifer quand elle précède le soleil mais Hesperos quand elle le suit : elle accomplit sa révolution en un an et elle parcourt le zodiaque dans sa largeur et dans sa longueur, ce que font aussi les planètes supérieures, et elle ne s’éloigne jamais du soleil d’un intervalle plus grand que celui de deux signes, tantôt le précédant et tantôt le suivant. XXI 54 Une telle régularité dans la marche des étoiles, une telle concordance maintenue de toute éternité dans des parcours si divers, je ne puis les concevoir sans l’intervention d’une intelligence, d’une raison, d’une réflexion ; or, quand nous constatons ces qualités dans les corps célestes, nous ne pouvons pas ne pas les mettre eux-mêmes au nombre des dieux.

XX 51 ❖ Maxume uero sunt admirabiles motus earum quinque stellarum quae falso uocantur errantes ; nihil enim errat quod in omni aeternitate conseruat progressus et regressus reliquosque motus constantis et ratos. Quod eo est admirabilius in his stellis quas dicimus quia tum occultantur, tum rursus aperiuntur, tum adeunt, tum recedunt, tum antecedunt, tum autem subsequuntur, tum celerius mouentur, tum tardius, tum omnino ne mouentur quidem sed ad quoddam tempus insistunt. Quarum ex disparibus motionibus magnum annum mathematici nominauerunt, qui tum efficitur cum solis et lunae et quinque errantium ad eandem inter se comparationem confectis omnium spatiis est facta conuersio ; [+] 52 ❖ quae quam longa sit magna quaestio est, esse uero certam et definitam necesse est. Nam ea quae Saturni stella dicitur Φαίνωνque a Graecis nominatur, quae a terra abest plurimum, XXX fere annis cursum suum conficit, in quo cursu multa mirabiliter efficiens tum antecedendo, tum retardando, tum uespertinis temporibus delitescendo tum matutinis rursum se aperiendo, nihil inmutat sempiternis saeclorum aetatibus quin eadem isdem temporibus efficiat. Infra autem hanc, propius a terra, Iouis stella fertur, quae Φαέθων dicitur, eaque eundem duodecim signorum orbem annis duodecim conficit easdemque quas Saturni stella efficit in cursu uarietates. [+] 53 ❖ Huic autem proximum inferiorem orbem tenet Πυρόεις, quae stella Martis appellatur, eaque quattuor et uiginti mensibus, sex, ut opinor, diebus minus, eundem lustrat orbem quem duae superiores. Infra hanc autem stella Mercuri est (ea Στίλβων appellatur a Graecis), quae anno fere uertenti signiferum lustrat orbem neque a sole longius umquam unius signi interuallo discedit, tum anteuertens, tum subsequens. Infima est quinque errantium terraeque proxuma stella Veneris, quae Φωσφόρος Graece, Lucifer Latine dicitur cum antegreditur solem, cum subsequitur autem Hesperos ; ea cursum anno conficit et latitudinem lustrans signiferi orbis et longitudinem, quod idem faciunt stellae superiores, neque umquam ab sole duorum signorum interuallo longius discedit, tum antecedens, tum subsequens. [+] XXI 54 ❖ Hanc igitur in stellis constantiam, hanc tantam tam uariis cursibus in omni aeternitate conuenientiam temporum non possum intellegere sine mente, ratione, consilio. Quae cum in sideribus inesse uideamus, non possumus ea ipsa non in deorum numero reponere.

Les étoiles dites fixes manifestent elles aussi la même intelligence et la même sagesse. Leur révolution quotidienne est régulière et constante et n’est pas liée aux mouvements de l’éther ni fixée au ciel, comme le disent la plupart des gens, qui ignorent la physique90 : l’éther, en effet, n’a pas une nature qui lui permette de retenir de force les étoiles pour les faire tourner car il est subtil, translucide et parcouru d’une chaleur uniforme. Il ne semble donc pas capable de maintenir les étoiles. 55 Les étoiles fixes ont donc leur sphère propre, séparée et libre de toute attache avec l’éther. Leurs révolutions éternelles et perpétuelles, dont la régularité étonne et émerveille, indiquent qu’il y a en elles une force et une intelligence divines : celui qui ne comprend pas qu’elles possèdent une puissance divine ne comprendra jamais rien, semble-t-il.

Nec uero eae stellae quae inerrantes uocantur non significant eandem mentem atque prudentiam. Quarum est cotidiana conueniens constansque conuersio nec habent aetherios cursus neque caelo inherentes ut plerique dicunt physicae rationis ignari : non est enim aetheris ea natura ut ui sua stellas conplexa contorqueat nam tenuis ac perlucens et aequabili calore suffusus aether non satis aptus ad stellas continendas uidetur. [+] 55 Habent igitur suam sphaeram stellae inerrantes ab aetheria coniunctione secretam et liberam. Earum autem perennes cursus atque perpetui cum admirabili incredibilique constantia declarant in his uim et mentem esse diuinam ut haec ipsa qui non sentiat deorum uim habere is nihil omnino sensurus esse uideatur.

56 Il n’y a donc dans le ciel ni chance ni hasard ni errance ni apparence trompeuse ; au contraire tout n’y est qu’ordre, vérité, raison, constance. Les êtres dépourvus de ces qualités, les êtres mensongers, faux et pleins d’erreurs se trouvent autour de la terre, au-dessous de la lune91, le plus bas de tous les corps célestes, et à la surface de la terre. Il faut donc considérer comme un être privé d’intelligence celui qui pense que cet ordre admirable, cette incroyable régularité des corps célestes d’où découlent la conservation et le salut de toutes choses, sont dépourvus d’intelligence.

56 Nulla igitur in caelo nec fortuna nec temeritas nec erratio nec uanitas inest contraque omnis ordo, ueritas, ratio, constantia ; quaeque his uacant ementita et falsa plenaque erroris ea circum terras infra lunam, quae omnium ultima est, in terrisque uersantur. Caelestem ergo admirabilem ordinem incredibilemque constantiam ex qua conseruatio et salus omnium omnis oritur qui uacare mente putat is ipse mentis expers habendus est. [+]

57 Je ne ferai donc pas fausse route, je crois, si j’emprunte le fil conducteur de cette discussion au chef de file de ceux qui cherchent la vérité. XXII Zénon92 définit donc la nature comme “un feu artiste procédant avec méthode à la génération”. Il pense en effet que le propre de l’art est avant tout de créer et d’engendrer : ce que fait la main humaine dans les ouvrages de nos arts, la nature le fait avec beaucoup plus d’art, la nature c’est-à-dire un feu artiste, comme je l’ai dit, maître des autres arts. Et, suivant ce raisonnement, toute nature est artiste parce qu’elle a pour ainsi dire une méthode et une règle qu’elle suit. 58 Mais la nature du monde lui-même, qui maintient et contient toutes choses de son étreinte, n’est pas seulement artiste mais, dit Zénon, un véritable artisan, qui veille et pourvoit à tous les besoins et à toutes les commodités. Et de même que toutes les autres natures sont engendrées, se développent et subsistent chacune à partir de ses semences propres, de même la nature du monde, prise dans son ensemble, possède tous les mouvements de la volonté, toutes les impulsions et inclinations que les Grecs appellent hormai (ὁρμὰι)93 : elle agit en accord avec eux tout comme nous sommes mus nous-mêmes par l’esprit et les sens. Telle est donc l’intelligence du monde, que pour cette raison on peut légitimement l’appeler sagesse ou providence, en grec pronoia (πρόνοια) : ce à quoi elle pourvoit de préférence, ce qui l’occupe avant tout, c’est que le monde, en premier lieu, soit le mieux possible adapté à sa conservation, puis qu’il ne manque de rien et surtout qu’il y ait en lui une beauté éminente avec tous ses ornements.

57 Haud ergo, ut opinor, errauero si a principe inuestigandae ueritatis huius disputationis principium duxero. XXII Zeno igitur naturam ita definit ut eam dicat ignem esse artificiosum ad gignendum progredientem uia. Censet enim artis maxume proprium esse creare et gignere, quodque in operibus nostrarum artium manus efficiat id multo artificiosius naturam efficere, id est, ut dixi, ignem artificiosum, magistrum artium reliquarum. Atque hac quidem ratione omnis natura artificiosa est quod habet quasi uiam quandam et sectam quam sequatur. 58 Ipsius uero mundi, qui omnia conplexu suo coercet et continet, natura non artificiosa solum sed plane artifex ab eodem Zenone dicitur, consultrix et prouida utilitatum oportunitatumque omnium. Atque ut ceterae naturae suis seminibus quaeque gignuntur, augescunt, continentur, sic natura mundi omnis motus habet uoluntarios conatusque et adpetitiones, quas ὁρμὰς Graeci uocant et his consentaneas actiones sic adhibet ut nosmet ipsi qui animis mouemur et sensibus. Talis igitur mens mundi cum sit ob eamque causam uel prudentia uel prouidentia appellari recte possit (Graece enim πρόνοια dicitur), haec potissimum prouidet et in iis maxime est occupata, primum ut mundus quam aptissimus sit ad permanendum, deinde ut nulla re egeat, maxume autem ut in eo eximia pulchritudo sit atque omnis ornatus. [+]

XXIII 59 J’ai parlé du monde dans son ensemble, j’ai parlé aussi des astres, si bien que nous voyons presque apparaître une multitude de dieux sans cesse en action, sans que les travaux qu’ils accomplissent exigent d’eux un effort fatigant et pénible. En effet, ils ne sont pas composés de veines, de muscles et d’os et ne se nourrissent pas d’aliments ou de boissons de nature à produire des humeurs trop âcres ou trop épaisses ; leurs corps n’ont pas à redouter les chutes ni les coups, ni à craindre les maladies causées par la fatigue de leurs membres, craintes qui ont fait inventer à Épicure des dieux-esquisses, inactifs. 60 Ces dieux, au contraire, doués de la forme la plus belle et situés dans la région la plus pure du ciel, se meuvent et règlent leur course de telle sorte qu’ils semblent s’accorder pour conserver et préserver toutes choses.

XXIII 59 Dictum est de uniuerso mundo, dictum etiam est de sideribus, ut iam prope modum appareat multitudo nec cessantium deorum nec ea quae agant molientium cum labore operoso ac molesto. Non enim uenis et neruis et ossibus continentur nec his escis aut potionibus uescuntur ut aut nimis acres aut nimis concretos umores colligant nec his corporibus sunt ut casus aut ictus extimescant aut morbos metuant ex defetigatione membrorum, quae uerens Epicurus monogrammos deos et nihil agentes commentus est. [+] 60 Illi autem pulcherruma forma praediti purissimaque in regione caeli collocati ita feruntur moderanturque cursus ut ad omnia conseruanda et tuenda consensisse uideantur.

Beaucoup d’autres divinités ont été instituées et nommées, non sans motif, par les plus sages des Grecs et par nos ancêtres d’après les grands bienfaits qu’ils recevaient d’elles94. Ils pensaient en effet que tout ce qui apporte un grand avantage au genre humain ne peut se produire sans la bonté des dieux envers les hommes. C’est pourquoi ils donnaient le nom du dieu lui-même à ce qui provenait du dieu, comme lorsque nous appelons le blé Cérès et le vin Liber. D’où ce vers de Térence :

Multae autem aliae naturae deorum ex magnis beneficiis eorum non sine causa et a Graeciae sapientissimis et a maioribus nostris constitutae nominataeque sunt. Quicquid enim magnam utilitatem generi adferret humano id non sine diuina bonitate erga homines fieri arbitrabantur. Itaque tum illud quod erat a deo natum nomine ipsius dei nuncupabant ut cum fruges Cererem appellamus, uinum autem Liberum, ex quo illud Terenti,

Sans Cérès ni Liber, Vénus reste froide*.
Sine Cerere et Libero friget Venus* ;

61 Parfois, quand une notion elle-même représente une valeur importante, c’est ce qu’elle signifie qu’on appelle dieu, comme la Bonne Foi, l’Intelligence, dont nous voyons au Capitole les sanctuaires dédiés en dernier lieu par Marcus Aemilius Scaurus ; auparavant la Bonne Foi avait été divinisée par Aulus Atilius Calatinus95. Tu vois le temple de la Vertu, celui de l’Honneur restauré par Marcus Marcellus mais qui avait été consacré par Quintus Maximus bien des années auparavant, pendant la guerre contre les Ligures96. Et le temple de l’Abondance, celui du Salut, ceux de la Concorde, de la Liberté, de la Victoire97 ? Ces notions ont une valeur si grande qu’elle ne peut être contrôlée que par un dieu : aussi est-ce la notion elle-même qui a été divinisée. Dans le même genre, les noms de Désir, de Volupté, de Vénus Lubentina ont été divinisés98 ; ce sont là des vices, ils ne sont pas naturels, même si Velléius pense autrement : cependant ces vices perturbent souvent la nature avec une violence excessive. 62 C’est donc en raison des avantages qu’ils apportaient qu’ont été divinisés ceux d’où provenait chacun de ces avantages et les noms que je viens de citer indiquent quelle puissance réside en chacun de ces dieux.

61 tum autem res ipsa in qua uis inest maior aliqua sic appellatur ut ea ipsa uis nominetur deus ut Fides, ut Mens quas in Capitolio dedicatas uidemus proxume a M. Aemilio Scauro, ante autem ab <A.> Atilio Calatino erat Fides consecrata. Vides Virtutis templum, uides Honoris a M. Marcello renouatum quod multis ante annis erat bello Ligustico a Q. Maxumo dedicatum. Quid Opis, quid Salutis, quid Concordiae, Libertatis, Victoriae ; quarum omnium rerum quia uis erat tanta ut sine deo regi non posset, ipsa res deorum nomen optinuit. Quo ex genere Cupidinis et Voluptatis et Lubentinae Veneris uocabula consecrata sunt, uitiosarum rerum neque naturalium (quamquam Velleius aliter existimat) sed tamen ea ipsa uitia naturam uehementius saepe pulsant. [+] 62 ❖ Vtilitatum igitur magnitudine constituti sunt ei dei qui utilitates quasque gignebant atque his quidem nominibus quae paulo ante dicta sunt quae uis sit in quoque declaratur deo.

XXIV L’expérience des hommes et leur pratique commune ont fait admettre que des hommes éminents grâce à leurs bienfaits soient élevés au ciel de l’aveu et du consentement de tous. C’est le cas pour Hercule, pour Castor et Pollux, pour Esculape, pour Liber aussi (je veux dire Liber, fils de Sémélé, et non pas le Liber que nos ancêtres ont mis au rang des dieux, solennellement et pieusement, avec Cérès et Libera, culte dont les mystères peuvent nous faire comprendre la nature ; mais comme nous appelons liberi les êtres nés de nous, les enfants de Cérès, pour cette raison, ont reçu les noms de Liber et de Libera99. Cet usage s’est conservé pour Libera mais pas pour Liber) – telle est aussi l’origine de Romulus, que certains identifient à Quirinus100. Comme les âmes de ces hommes subsistaient et jouissaient de l’éternité, on les a légitimement considérés comme des dieux, puisqu’ils étaient excellents et éternels.

XXIV Suscepit autem uita hominum consuetudoque communis ut beneficiis excellentis uiros in caelum fama ac uoluntate tollerent. Hinc Hercules, hinc Castor et Pollux, hinc Aesculapius, hinc Liber etiam (hunc dico Liberum Semela natum, non eum quem nostri maiores auguste sancteque Liberum cum Cerere et Libera consecrauerunt, quod quale sit ex mysteriis intellegi potest ; sed quod ex nobis natos liberos appellamus, idcirco Cerere nati nominati sunt Liber et Libera quod in Libera seruant, in Libero non item), hinc etiam Romulum, quem quidam eundem esse Quirinum putant. Quorum cum remanerent animi atque aeternitate fruerentur, rite di sunt habiti cum et optimi essent et aeterni. [+]

63 Suivant un autre raisonnement, qui repose sur l’observation de la nature101, découle une grande multitude de dieux qui, revêtus d’une forme humaine, ont fourni aux poètes de nombreuses fables mais rempli la vie des hommes de superstitions de toute sorte. Ce point a été traité par Zénon et développé ensuite plus longuement par Cléanthe et par Chrysippe. C’est ainsi qu’une antique croyance s’est répandue en Grèce selon laquelle Caelus a été castré par son fils Saturne et Saturne lui-même enchaîné par son fils Jupiter. 64 Ces fables impies recèlent une explication physique qui ne manque pas de finesse : on a voulu que l’élément du ciel le plus élevé, qui est fait d’éther, c’est-à-dire de feu, et qui engendre toutes choses par lui-même, soit dépourvu de cette partie du corps qui, pour procréer, a besoin de s’unir à un autre corps. XXV On a voulu que Saturne maintienne le cours et la périodicité du temps. Ce dieu porte précisément en grec le nom correspondant : on l’appelle Kronos (Κρόνος), ce qui équivaut à Chronos (χρόνος), c’est-à-dire espace de temps. D’autre part on lui a donné le nom de Saturne parce qu’il est “saturé d’années” : on imagine en effet qu’il mange ses enfants, parce que la durée dévore les espaces de temps et se gorge insatiablement des années passées. Il a été enchaîné par Jupiter pour que sa course soit maintenue dans des limites et qu’il soit retenu par les liens des étoiles. Jupiter lui-même, c’est-à-dire le “père secourable” que nous appelons “Jove” aux cas obliques, du verbe juvare, “secourir”, les poètes l’appellent “père des dieux et des hommes” et nos ancêtres “très bon et très grand” : “très bon”, c’est-à-dire “très bienfaisant”, qui précède “très grand” parce qu’il y a plus de grandeur et en tout cas plus de titre à la reconnaissance à être utile à tous qu’à posséder de grandes ressources. 65 C’est donc lui, comme je l’ai dit plus haut, qu’Ennius désigne en ces termes :

63 ❖ Alia quoque ex ratione et quidem physica magna fluxit multitudo deorum qui induti specie humana fabulas poetis suppeditauerunt, hominum autem uitam superstitione omni referserunt. Atque hic locus a Zenone tractatus post a Cleanthe et Chrysippo pluribus uerbis explicatus est. Nam uetus haec opinio Graeciam oppleuit esse exsectum Caelum a filio Saturno, uinctum autem Saturnum ipsum a filio Ioue ; [+] 64 ❖ physica ratio non inelegans inclusa est in impias fabulas. Caelestem enim altissimam aetheriamque naturam, id est igneam, quae per sese omnia gigneret, uacare uoluerunt ea parte corporis quae coniunctione alterius egeret ad procreandum. XXV Saturnum autem eum esse uoluerunt qui cursum et conuersionem spatiorum ac temporum contineret. Qui deus Graece id ipsum nomen habet ; Κρόνος enim dicitur, qui est idem χρόνος id est spatium temporis. Saturnus autem est appellatus quod saturaretur annis ; ex se enim natos comesse fingitur solitus quia consumit aetas temporum spatia annisque praeteritis insaturabiliter expletur. Vinctus autem a Ioue ne immoderatos cursus haberet, atque ut eum siderum uinclis alligaret. Sed ipse Iuppiter, id est iuuans pater, quem conuersis casibus appellamus a iuuando Iouem, a poetis “pater diuomque hominumque” dicitur, a maioribus autem nostris “optimus maximus” et quidem ante optimus id est beneficentissimus quam maximus quia maius est certeque gratius prodesse omnibus quam opes magnas habere. [+] 65 ❖ Hunc igitur Ennius, ut supra dixi, nuncupat ita dicens

Regarde ce firmament d’un brillant éclat, que tous invoquent sous le nom de Jupiter*,
Aspice hoc sublime candens quem inuocant omnes Iouem*

ce qui est plus explicite que cet autre passage du même poète :

planius quam alio loco idem :

Par la puissance, quelle qu’elle soit, qui répand la lumière, je maudirai cet homme, autant qu’il est en mon pouvoir*.
cui quod in me est exsecrabor hoc quod lucet, quicquid est*.

C’est lui aussi que désignent nos augures quand ils disent “Jupiter foudroyant et tonnant”, c’est-à-dire “le ciel foudroyant et tonnant”. Euripide, entre tant de beaux passages, a ces vers d’une grande précision :

Hunc etiam augures nostri cum dicunt “Ioue fulgente, tonante” ; dicunt enim “caelo fulgente et tonante”. Euripides autem ut multa praeclare sic hoc breuiter :

Tu vois dans le ciel l’éther répandu sans limite
dont le tendre embrassement enveloppe la terre ;
tiens-le pour le dieu suprême, appelle-le Jupiter*102.
Vides sublime fusum immoderatum aethera
qui terram tenero circumiectu amplectitur ;
hunc summum habeto diuum, hunc perhibeto Iouem*. [+]

XXVI 66 L’air, soutiennent les stoïciens, qui est situé entre la mer et le ciel, est divinisé sous le nom de Junon, sœur et femme de Jupiter, parce que l’air ressemble à l’éther et lui est intimement uni103. On l’a féminisé et attribué à Junon parce qu’il n’y a rien qui offre moins de résistance. Mais je crois que le nom de Junon vient de juvare. Restaient l’eau et la terre, pour s’en tenir aux trois royaumes distingués par les fables. On a donc donné à Neptune, frère de Jupiter, croit-on, le second royaume, celui qui couvre toute la mer ; de même que Portunus vient de portus, “port”, le nom de Neptune vient de nare, “nager”, avec une légère altération des premières lettres. Tout ce qui est de nature et de caractéristique terrestre a été attribué à Dispater, c’est-à-dire le riche104, comme chez les Grecs Pluton (Πλούτων), parce que toutes choses retournent à la terre et naissent de la terre. On dit qu’il a pour femme Proserpine : son nom est grec, c’est elle qu’on nomme Perséphone (Περσεφόνη) en grec. On veut qu’elle soit la semence du blé et on imagine que sa mère la cherche parce qu’elle est cachée. 67 Sa mère est Cérès parce qu’elle produit (gerere) le blé, Cérès équivalant à Gerès : la première lettre a été altérée par hasard, comme chez les Grecs qui, eux aussi, ont altéré γῆ μήτηρ (terre-mère) en Déméter. Mavors est celui qui produit de grands bouleversements (magnauertere) ; Minerve celle qui diminue (minuere) ou menace (minari).

XXVI 66 ❖ Aer autem, ut Stoici disputant, interiectus inter mare et caelum Iunonis nomine consecratur, quae est soror et coniunx Iouis, quod <ei> et similitudo aetheris et cum eo summa coniunctio. Effeminarunt autem eum Iunonique tribuerunt quod nihil est eo mollius. Sed Iunonem a iuuando credo nominatam. Aqua restabat et terra, ut essent ex fabulis tria regna diuisa. Datum est igitur Neptuno alterum, Iouis ut uolunt fratri, maritimum omne regnum nomenque productum ut Portunus a portu sic Neptunus a nando, paulum primis litteris immutatis. Terrena autem uis omnis atque natura Diti patri dedicata est, qui diues ut apud Graecos Πλούτων quia et recidunt omnia in terras et oriuntur e terris. Cui Proserpinam (quod Graecorum nomen est, ea enim est quae Περσεφόνη Graece nominatur) frugum semen esse uolunt absconditamque quaeri a matre fingunt. [+] 67 ❖ Mater autem est a gerendis frugibus Ceres tamquam geres casuque prima littera itidem immutata ut a Graecis ; nam ab illis quoque Δημήτηρ quasi γῆ μήτηρ nominata est. Iam qui magna uerteret Mauors, Minerua autem quae uel minueret uel minaretur.

XXVII Et comme en toutes choses le commencement et la fin sont ce qui importe le plus, on a voulu que Janus soit le premier dans les rites d’offrande105, parce que son nom est tiré du verbe aller (ire) ; c’est pourquoi les passages praticables sont appelés jani et les portes au seuil des édifices profanes se disent januae. Le nom de Vesta nous vient des Grecs : c’est celle qu’ils appellent Hestia (Ἑστία)106. Son pouvoir s’étend sur les autels et les foyers et c’est pourquoi cette déesse est invoquée la dernière dans toutes les prières et les sacrifices, parce qu’elle veille sur ce qui est le plus intime. 68 De cette puissance divine les Pénates sont proches ; leur nom est tiré soit de penus, terme désignant tout ce dont les hommes se nourrissent, soit du fait qu’ils résident à l’intérieur (penitus). C’est pourquoi les poètes les appellent aussi penetrales107. Le nom d’Apollon est grec ; on veut que ce soit le soleil. Diane et la lune sont considérées comme identiques. Le nom du soleil vient de ce qu’il est le seul108 de tous les astres à avoir une pareille grandeur ou de ce que, une fois levé, il apparaît seul, tandis que tous les autres sont plongés dans l’obscurité ; la lune tire son nom de “luire”, lucere. On l’appelle aussi Lucina et pour cette raison, de même qu’en Grèce on invoque dans les accouchements Diane qui est aussi Lucifera, chez nous on invoque Junon Lucina. Cette même Diane est dite Omnivaga (errante), non pas en raison de la chasse (venari) mais parce qu’elle compte parmi les sept astres dits “errants” (uagantibus)109. 69 On l’appelle Diane parce que, de nuit, elle produit comme une sorte de jour (dies). On l’invoque dans les accouchements parce que la grossesse arrive à terme quelquefois au bout de sept lunaisons, le plus souvent au bout de neuf ; les lunaisons, qui représentent des espaces de temps mesurés (mensa), sont appelées mois (menses). Avec son à-propos coutumier, Timée110, quand il racontait dans son Histoire que le temple de Diane d’Éphèse avait brûlé la nuit même où était né Alexandre, ajouta que cela n’avait rien d’étonnant : Diane, voulant assister à l’accouchement d’Olympias, s’était absentée de chez elle. Quant à la déesse qui vient (venire) en toute occasion, les nôtres l’ont appelée Vénus et c’est de son nom que vient venustas (beauté) plutôt que Vénus de venustas111.

XXVII Cumque in omnibus rebus uim haberent maxumam prima et extrema, principem in sacrificando Ianum esse uoluerunt quod ab eundo nomen est ductum ; ex quo transitiones peruiae iani foresque in liminibus profanarum aedium ianuae nominantur. Nam Vestae nomen a Graecis : ea est enim quae ab illis Ἑστία dicitur ; uis autem eius ad aras et focos pertinet itaque in ea dea, quod est rerum custos intumarum, omnis et precatio et sacrificatio extrema est. [+] 68 ❖ Nec longe absunt ab hac ui di Penates, siue a penu ducto nomine (est enim omne quo uescuntur homines penus) siue ab eo quod penitus insident ; ex quo etiam penetrales a poetis uocantur. Iam Apollinis nomen est Graecum quem solem esse uolunt, Dianam autem et lunam eandem esse putant, cum sol dictus sit uel quia solus ex omnibus sideribus est tantus uel quia cum est exortus obscuratis omnibus solus apparet, luna a lucendo nominata sit ; eadem est enim Lucina itaque, ut apud Graecos Dianam eamque Luciferam, sic apud nostros Iunonem Lucinam in pariendo inuocant. Quae eadem Diana Omniuaga dicitur, non a uenando sed quod in septem numeratur tamquam uagantibus. [+] 69 ❖ Diana dicta quia noctu quasi diem efficeret. Adhibetur autem ad partus quod ii maturescunt aut septem non numquam aut, ut plerumque, nouem lunae cursibus ; qui quia mensa spatia conficiunt menses nominantur. Concinneque, ut multa, Timaeus, qui cum in historia dixisset qua nocte natus Alexander esset eadem Dianae Ephesiae templum deflagrauisse adiunxit minime id esse mirandum quod Diana, cum in partu Olympiadis adesse uoluisset, afuisset domo. Quae autem dea ad res omnes ueniret Venerem nostri nominauerunt atque ex ea potius uenustas quam Venus ex uenustate. [+]

XXVIII 70 Ne voyez-vous pas comment, à partir des découvertes utiles des phénomènes naturels, le principe d’explication a été abusivement utilisé pour des dieux mensongers et fictifs ? Cet abus a produit des opinions fausses, des erreurs troublantes et des superstitions qui ne sont guère que des contes de bonne femme. Nous connaissons en effet les formes des dieux, leur âge, leurs vêtements, leurs attributs et en outre leur filiation, leurs mariages, leur parenté, tout cela calqué sur le modèle de la faiblesse humaine : on nous les représente aussi l’âme en proie aux troubles et nous sommes instruits de leurs désirs, de leurs chagrins, de leurs colères. À en croire les fables, ils ne se sont pas privés de guerroyer et de se battre, non seulement, comme chez Homère, en prenant parti les uns pour l’une des armées ennemies, les autres pour l’autre, mais en menant aussi leurs propres guerres, par exemple contre les Titans et contre les Géants. Voilà les sottises qu’on raconte et auxquelles on croit : ce sont là de vains bavardages sans fondement. 71 Cependant, une fois qu’on aura rejeté ces fables avec mépris, on pourra comprendre et identifier la nature de la divinité qui s’étend à travers chaque élément, Cérès à travers la terre, Neptune à travers les mers, d’autres à travers d’autres éléments, ainsi que le nom que la coutume leur a donné. Voilà les dieux que nous devons vénérer, auxquels nous devons rendre un culte. Mais le meilleur culte qu’on puisse rendre aux dieux, le plus pur, le plus saint, le plus véritablement pieux, consiste à les vénérer toujours avec un esprit et des paroles purs, irréprochables, innocents. Et ce ne sont pas seulement les philosophes mais aussi nos ancêtres qui ont distingué la religion de la superstition. 72 En effet, ceux qui, pendant des journées entières, faisaient des prières et des sacrifices pour que leurs enfants leur survivent (superstites) ont été appelés superstitieux (superstitiosi) et le mot a pris ensuite une signification plus large. Mais ceux qui examinaient avec soin tout ce qui se rapporte au culte des dieux et, pour ainsi dire, le passaient en revue (relegere) ont été appelés religieux (religiosi), du verbe relegere, tout comme élégants vient du verbe eligere (choisir), diligents du verbe diligere (prendre soin), intelligents de intellegere (comprendre)112. On retrouve dans tous ces mots le même sens de legere (choisir) que dans “religieux”. C’est ainsi que les termes “superstitieux” et “religieux” sont devenus, l’un péjoratif, l’autre laudatif. Je crois avoir suffisamment montré que les dieux existent et quelle est leur nature.

XXVIII 70 ❖ Videtisne igitur ut a physicis rebus bene atque utiliter inuentis tracta ratio sit ad commenticios et fictos deos ? Quae res genuit falsas opiniones erroresque turbulentos et superstitiones paene aniles. Et formae enim nobis deorum et aetates et uestitus ornatusque noti sunt, genera praeterea, coniugia, cognationes omniaque traducta ad similitudinem inbecillitatis humanae : nam et perturbatis animis inducuntur. Accipimus enim deorum cupiditates, aegritudines, iracundias ; nec uero, ut fabulae ferunt, bellis proeliisque caruerunt nec solum, ut apud Homerum, cum duo exercitus contrarios alii dei ex alia parte defenderent sed etiam, ut cum Titanis, ut cum Gigantibus, sua propria bella gesserunt. Haec et dicuntur et creduntur stultissime et plena sunt futtilitatis summaeque leuitatis. [+] 71 ❖ Sed tamen iis fabulis spretis ac repudiatis deus pertinens per naturam cuiusque rei, per terras Ceres, per maria Neptunus, alii per alia, poterunt intellegi qui qualesque sint quoque eos nomine consuetudo nuncupauerit. Quos deos et uenerari et colere debemus. Cultus autem deorum est optumus idemque castissimus atque sanctissimus plenissimusque pietatis ut eos semper pura, integra, incorrupta et mente et uoce ueneremur. Non enim philosophi solum uerum etiam maiores nostri superstitionem a religione separauerunt. [+] 72 ❖ Nam qui totos dies precabantur et immolabant ut sibi sui liberi superstites essent superstitiosi sunt appellati, quod nomen patuit postea latius ; qui autem omnia quae ad cultum deorum pertinerent diligenter retractarent et tamquam relegerent sunt dicti religiosi ex relegendo, ut elegantes ex eligendo, <ex> diligendo diligentes, ex intellegendo intellegentes ; his enim in uerbis omnibus inest uis legendi eadem quae in religioso. Ita factum est in superstitioso et religioso alterum uitii nomen, alterum laudis. Ac mihi uideor satis et esse deos et quales essent ostendisse. [+]

XXIX 73 Le point suivant consiste à prouver que la providence des dieux gouverne le monde. C’est un vaste sujet, certes, et qui a donné lieu aux attaques de ton école, Cotta : ainsi, naturellement, c’est avec vous que se fera tout le débat113. Car vous autres, Velléius, vous connaissez mal le sens des mots utilisés, vous ne lisez et n’appréciez que vos écrits, vous condamnez tous les autres sans les entendre. C’est ainsi qu’hier114 tu as dit que les stoïciens mettent en scène une vieille qui prophétise, Pronoia, c’est-à-dire Providence. En disant cela, tu as commis l’erreur de penser que les stoïciens se représentent la providence comme une déesse particulière qui gouverne et régit le monde entier. 74 Mais cette expression est elliptique : c’est comme si on disait que l’État athénien est dirigé par le conseil en omettant “de l’Aréopage”. De même, quand nous disons que le monde est gouverné par la providence, dis-toi bien qu’il manque “des dieux” et considère que l’expression complètement développée serait : “Le monde est gouverné par la providence des dieux.” Ainsi évitez donc de dépenser, pour rire de nous, cet esprit dont ton école est dépourvue et, par Hercule, suivez mes conseils, n’essayez même pas : cela ne vous convient pas, vous n’en avez pas le don, vous en êtes incapables. Mais ce que je dis ne s’adresse pas à toi personnellement, toi qu’ont affiné les traditions familiales et la vie de société à Rome ; cela vaut contre tous ceux de ton école et surtout contre celui qui est le père de ces merveilles, homme inculte, illettré, qui s’en prend à tout le monde, absolument dépourvu de pénétration, sans autorité ni charme.

XXIX 73 ❖ Proximum est ut doceam deorum prouidentia mundum administrari. Magnus sane locus est et a uestris, Cotta, uexatus, ac nimirum uobiscum omne certamen est. Nam uobis, Vellei, minus notum est quem ad modum quidque dicatur ; uestra enim solum legitis, uestra amatis, ceteros causa incognita condemnatis. Velut a te ipso hesterno die dictum est anum fatidicam πρόνοια a Stoicis induci, id est Prouidentiam. Quod eo errore dixisti quia existumas ab iis prouidentiam fingi quasi quandam deam singularem quae mundum omnem gubernet et regat. [+] 74 Sed id praecise dicitur ut si quis dicat Atheniensium rem publicam consilio regi, desit illud “Arii pagi” sic, cum dicimus prouidentia mundum administrari, deesse arbitrato “deorum”, plene autem et perfecte sic dici existumato : “prouidentia deorum mundum administrari.” Ita salem istum quo caret uestra natio in inridendis nobis nolitote consumere et mehercule si me audiatis ne experiamini quidem ; non decet, non datum est, non potestis. Nec uero hoc in te unum conuenit, moribus domesticis ac nostrorum hominum urbanitate limatum, sed cum in reliquos uestros tum in eum maxime qui ista peperit, hominem sine arte, sine litteris, insultantem in omnes, sine acumine ullo, sine auctoritate, sine lepore. [+]

XXX 75 Je déclare donc que le monde et toutes ses parties ont été dès l’origine ordonnés par la providence des dieux qui les gouverne pour toute la durée des temps. Cet exposé est en général divisé en trois parties dans mon école115. La première prend appui sur le raisonnement qui prouve que les dieux existent : une fois ce point acquis, on doit reconnaître que le monde est gouverné par la sagesse des dieux. La seconde partie montre que tout est soumis à une nature douée de sensations qui accomplit son œuvre magnifiquement. Quand cela est établi, il s’ensuit que cette nature a été engendrée par des principes doués de vie. En troisième lieu vient l’argument qu’on tire de l’admiration que suscitent les réalités célestes et terrestres.

XXX 75 ❖ Dico igitur prouidentia deorum mundum et omnes mundi partes et initio constitutas esse et omni tempore administrari. Eamque disputationem tris in partes nostri fere diuidunt. Quarum prima pars est quae ducitur ab ea ratione quae docet esse deos ; quo concesso confitendum est eorum consilio mundum administrari. Secunda est autem quae docet omnes res subiectas esse naturae sentienti ab eaque omnia pulcherrume geri ; quo constituto sequitur ab animantibus principiis eam esse generatam. Tertius est locus qui ducitur ex admiratione rerum caelestium atque terrestrium. [+]

76 Tout d’abord116, ou bien il faut nier que les dieux existent, comme le font, d’une certaine manière, Démocrite, qui fait apparaître ses simulacres, et Épicure, ses images ; ou bien, si on admet que les dieux existent, il faut reconnaître qu’ils exercent une activité, et une activité remarquable. Or il n’est rien de plus remarquable que le gouvernement du monde : c’est donc par la sagesse des dieux qu’il est gouverné. S’il en est autrement, il existe nécessairement un être supérieur aux dieux et plus puissant qu’eux, et qui, quel qu’il soit, ou bien une nature privée de vie ou bien un puissant mouvement qui déroule des lois nécessaires, produit ces ouvrages admirables que nous avons sous les yeux. 77 La nature des dieux n’est donc pas toute-puissante ni souveraine si elle est soumise à cet être, nécessité ou nature, qui gouverne le ciel, les mers et les terres. Or rien n’est supérieur à dieu ; le monde est donc nécessairement gouverné par lui. Par conséquent, dieu n’obéit ni n’est soumis à aucune nature. C’est donc lui qui gouverne lui-même la nature entière. En effet, si nous admettons que les dieux sont intelligents, nous admettons aussi qu’ils sont prévoyants, et cela pour les choses les plus importantes. Ignorent-ils donc quelles sont les choses les plus importantes et comment il faut les traiter et veiller sur elles, ou bien n’ont-ils pas la force d’assumer et de conduire de si grandes tâches ? Or l’ignorance est étrangère à la nature des dieux et la difficulté qu’ils auraient à remplir leur fonction à cause de leur faiblesse est incompatible avec la majesté des dieux. Il suit de là ce que nous voulons établir : le monde est gouverné par la providence des dieux.

76 ❖ Primum igitur aut negandum est esse deos, quod et Democritus simulacra et Epicurus imagines inducens quodam pacto negat, aut qui deos esse concedant iis fatendum est eos aliquid agere idque praeclarum ; nihil est autem praeclarius mundi administratione ; deorum igitur consilio administratur. Quod si aliter est, aliquid profecto sit necesse est melius et maiore ui praeditum quam deos, quale id cumque est, siue inanima natura siue necessitas ui magna incitata, haec pulcherrima opera efficiens quae uidemus. [+] 77 ❖ Non est igitur natura deorum praepotens neque excellens si quidem ea subiecta est ei uel necessitati uel naturae qua caelum, maria, terrae regantur. Nihil est autem praestantius deo ; ab eo igitur mundum necesse est regi ; nulli igitur est naturae oboediens aut subiectus deus ; omnem ergo regit ipse naturam. Etenim si concedimus intellegentes esse deos, concedimus etiam prouidentes et rerum quidem maxumarum. Ergo utrum ignorant quae res maxumae sint quoque eae modo tractandae et tuendae an uim non habent qua tantas res sustineant et gerant ? At et ignoratio rerum aliena naturae deorum est et sustinendi muneris propter inbecillitatem difficultas minime cadit in maiestatem deorum. Ex quo efficitur id quod uolumus, deorum prouidentia mundum administrari. [+]

XXXI 78 Or puisque les dieux existent (en admettant qu’ils existent, comme à coup sûr c’est le cas), ce sont nécessairement des êtres doués de vie, et non seulement doués de vie mais aussi de raison et liés entre eux par une sorte d’union et d’association politique, gouvernant un monde unique, comparable à un État et à une cité communs à tous. 79 Il s’ensuit qu’ils possèdent la même faculté rationnelle que le genre humain, que, du côté des dieux comme du côté des hommes, on reconnaît une même vérité et une même loi qui prescrit le bien et repousse le mal. On comprend, de là, que la prudence et l’intelligence, également, sont venues aux hommes des dieux ; et c’est pour cette raison que nos ancêtres ont établi la divinisation de l’Intelligence, de la Bonne Foi, de la Vertu, de la Concorde et leur ont consacré des temples. Or, comment nier qu’elles existent chez les dieux alors que nous vénérons leurs augustes et saintes images ? Et si le genre humain possède intelligence, bonne foi, vertu, concorde, d’où celles-ci ont-elles pu se répandre sur terre sinon des dieux d’en haut ? Et puisqu’il y a en nous réflexion, raison, prudence, les dieux possèdent nécessairement ces mêmes qualités à un plus haut degré et non seulement les possèdent mais en usent dans les activités les plus importantes et les meilleures. 80 Or il n’y a rien de plus grand ni de meilleur que le monde ; le monde est donc nécessairement gouverné par la sagesse et la providence des dieux. Enfin, puisque nous avons suffisamment prouvé que sont des dieux ceux dont nous voyons la puissance insigne et l’aspect lumineux (je veux dire le soleil, la lune, les planètes, les étoiles fixes, le ciel, le monde lui-même et la totalité des choses que le monde renferme pour l’utilité et le grand avantage du genre humain), il résulte que tout est réglé par une intelligence et une sagesse divines. J’en ai assez dit pour la première partie de mon exposé.

XXXI 78 Atqui necesse est, cum sint di, si modo sint, ut profecto sunt, animantis esse nec solum animantis sed etiam rationis compotes inter seque quasi ciuili conciliatione et societate coniunctos, unum mundum ut communem rem publicam atque urbem aliquam regentis. [+] 79 ❖ Sequitur ut eadem sit in iis quae humano in genere ratio, eadem ueritas utrobique sit eademque lex quae est recti praeceptio prauique depulsio. Ex quo intellegitur prudentiam quoque et mentem a deis ad homines peruenisse – ob eamque causam maiorum institutis Mens, Fides, Virtus, Concordia consecratae et publice dedicatae sunt ; quae qui conuenit penes deos esse negare cum eorum augusta et sancta simulacra ueneremur ? Quod si inest in hominum genere mens, fides, uirtus, concordia, unde haec in terram nisi ab superis defluere potuerunt ? Cumque sint in nobis consilium, ratio, prudentia, necesse est deos haec ipsa habere maiora nec habere solum sed etiam his uti in maxumis et optumis rebus. [+] 80 Nihil autem nec maius nec melius mundo ; necesse est ergo eum deorum consilio et prouidentia administrari. Postremo cum satis docuerimus hos esse deos quorum insignem uim et inlustrem faciem uideremus, solem dico et lunam et uagas stellas et inerrantes et caelum et mundum ipsum et earum rerum uim quae inessent in omni mundo cum magno usu et commoditate generis humani, efficitur omnia regi diuina mente atque prudentia. Ac de prima quidem parte satis dictum est.

XXXII 81 Je dois ensuite prouver que tout est soumis à la nature et gouverné par elle magnifiquement117. Mais il faut d’abord expliquer brièvement ce qu’est la nature elle-même, pour faire comprendre plus aisément ce que je veux prouver. Car les uns pensent que la nature est une force dépourvue de raison qui suscite dans les corps des mouvements nécessaires ; selon d’autres, c’est une force rationnelle et ordonnée qui procède avec une sorte de méthode et dévoile les moyens qu’elle utilise pour produire chaque chose et la fin qu’elle poursuit, sans qu’aucun art, aucune main d’homme, aucun artisan puisse, en l’imitant, égaler son habileté. C’est ainsi que la semence, malgré sa petitesse, recèle une telle puissance que si elle tombe dans un élément qui l’accueille et qui l’enveloppe et si elle rencontre l’aliment qui lui permette de croître, elle façonne et produit chacun des êtres dans sa propre espèce : dans certains cas, ils se nourrissent seulement par leurs racines, dans d’autres, ils peuvent se mouvoir, sentir, désirer et engendrer des êtres semblables à eux-mêmes. 82 Il y en a d’autres qui utilisent le mot de nature pour tout, comme Épicure qui englobe dans la nature trois éléments ainsi distingués : les atomes, le vide et leurs accidents. Mais nous, quand nous disons que la nature maintient et gouverne le monde, nous ne voulons pas dire que c’est à la manière d’une motte de terre, d’un morceau de pierre ou de quelque chose de ce genre, qui n’ont aucun principe naturel de cohésion, mais comme un arbre, comme un animal, dans lesquels ne se manifeste pas le moindre hasard mais où l’on voit un ordre et une certaine ressemblance avec l’art118.

XXXII 81 ❖ Sequitur ut doceam omnia subiecta esse naturae eaque ab ea pulcherrime geri. Sed quid sit ipsa natura explicandum est ante breuiter quo facilius id quod docere uolumus intellegi possit. Namque alii naturam esse censent uim quandam sine ratione cientem motus in corporibus necessarios, alii autem uim participem rationis atque ordinis tamquam uia progredientem declarantemque quid cuiusque rei causa efficiat, quid sequatur, cuius sollertiam nulla ars, nulla manus, nemo opifex consequi possit imitando. Seminis enim uim esse tantam ut id, quamquam sit perexiguum, tamen, si inciderit in concipientem conprehendentemque naturam nanctumque sit materiam qua ali augerique possit, ita fingat et efficiat in suo quidque genere, partim ut tantum modo per stirpes alantur suas, partim ut moueri etiam et sentire et appetere possint et ex sese similia sui gignere. [+] 82 ❖ Sunt autem qui omnia naturae nomine appellent ut Epicurus qui ita diuidit, omnium quae sint naturam esse corpora et inane quaeque iis accidant. Sed nos, cum dicimus natura constare administrarique mundum, non ita dicimus ut glaebam aut fragmentum lapidis aut aliquid eius modi nulla cohaerendi natura sed ut arborem, ut animal, in quibus nulla temeritas sed ordo apparet et artis quaedam similitudo. [+]

XXXIII 83 Si les plantes enracinées dans la terre vivent et se développent grâce à l’art que déploie la nature, la terre elle-même, sans aucun doute, est maintenue par cette même puissance puisque c’est elle qui, fécondée par des semences, enfante et fait sortir d’elle-même toutes les plantes : elle nourrit en son sein les racines, qu’elle fait croître, et elle-même est nourrie à son tour par des éléments qui sont au-dessus d’elle et à l’extérieur. D’autre part, ce sont les exhalaisons de cette même terre qui nourrissent l’air et l’éther et tous les corps célestes. Ainsi, si la terre se maintient et prospère grâce à la nature, le même processus est à l’œuvre dans le reste du monde. Les plantes sont enracinées dans la terre, les êtres vivants sont maintenus en vie en respirant l’air et l’air lui-même voit, entend, émet des sons119, tout cela avec nous car rien de cela ne peut se faire sans lui. Bien plus, il se meut avec nous car partout où nous allons, où nous sommes en mouvement, on dirait qu’il cède la place et se retire. 84 Tout ce qui se déplace vers le centre du monde, qui est son point le plus bas, et du centre vers la région supérieure, et autour du centre en une révolution circulaire, tout cela constitue la nature continue et unique du monde. Et comme il y a quatre sortes d’éléments, ce sont leurs échanges mutuels qui assurent la continuité de la nature du monde. En effet, de la terre naît l’eau, de l’eau naît l’air, de l’air l’éther puis, selon un processus inverse, de l’éther, l’air, de l’air, l’eau et de l’eau la terre, l’élément le plus bas120. C’est ainsi que l’union des parties du monde est maintenue grâce aux mouvements vers le haut, vers le bas, au-delà et en deçà des éléments dont toutes choses sont composées. 85 Et cette union est nécessairement ou bien éternelle, dans le même harmonieux équilibre où nous la voyons, ou du moins d’une très longue durée, subsistant pour un temps très long et presque sans mesure. Que ce soit l’un ou l’autre cas121, il s’ensuit que le monde est gouverné par la nature. En effet, quelle manœuvre navale, quelle armée en bon ordre ou encore, pour reprendre nos comparaisons avec les productions naturelles, quelle production, de vigne ou d’arbre, ou même quelle configuration ou disposition des membres d’un animal révèlent autant l’habileté de la nature que le monde lui-même ? Ou bien, donc, il faut reconnaître que rien n’est gouverné par une nature douée de sensations ou bien reconnaître que le monde est ainsi gouverné. 86a En effet, comment un être qui contient en lui tous les autres ainsi que leurs semences pourrait-il ne pas être lui-même gouverné par la nature ? C’est comme si l’on disait que les dents et la barbe poussent sous l’effet de la nature mais que l’homme, chez qui elles poussent, ne subsiste pas grâce à la nature [Membre de phrase lacunaire : trace de refonte de la première version]122

XXXIII 83 ❖ Quod si ea quae a terra stirpibus continentur arte naturae uiuunt et uigent profecto ipsa terra eadem ui continetur [arte naturae], quippe quae grauidata seminibus omnia pariat et fundat ex sese, stirpes amplexa alat et augeat ipsaque alatur uicissim a superis externisque naturis ; eiusdemque exspirationibus et aer alitur et aether et omnia supera. Ita si terra natura tenetur et uiget eadem ratio in reliquo mundo est ; stirpes enim terrae inhaerent, animantes autem adspiratione aeris sustinentur ; ipseque aer nobiscum uidet, nobiscum audit, nobiscum sonat, nihil enim eorum sine eo fieri potest ; quin etiam mouetur nobiscum, quacumque enim imus, qua mouemur uidetur quasi locum dare et cedere. [+] 84 ❖ Quaeque in medium locum mundi, qui est infimus, et quae a medio in superum quaeque conuersione rotunda circum medium feruntur ea continentem mundi efficiunt unamque naturam. Et cum quattuor genera sint corporum, uicissitudine eorum mundi continuata natura est. Nam ex terra aqua, ex aqua oritur aer, ex aere aether deinde retrorsum uicissim ex aethere aer, inde aqua, ex aqua terra infima. Sic naturis iis ex quibus omnia constant sursus deorsus, ultro citro commeantibus mundi partium coniunctio continetur. 85 ❖ Quae aut sempiterna sit necesse est hoc eodem ornatu quem uidemus aut certe perdiuturna, permanens ad longinquum et immensum paene tempus. Quorum utrumuis ut sit, sequitur natura mundum administrari. Quae enim classium nauigatio aut quae instructio exercitus aut, rursus ut ea quae natura efficit conferamus, quae procreatio uitis aut arboris, quae porro animantis figura conformatioque membrorum tantam naturae sollertiam significat quantam ipse mundus ? Aut igitur nihil est quod sentiente natura regatur aut mundum regi confitendum est. [+] 86a Etenim qui reliquas naturas omnes earumque semina contineat, qui potest ipse non natura administrari ? Vt si qui dentes et pubertatem natura dicat existere, ipsum autem hominem cui ea existant non constare natura [non intellegat ea quae et ferant aliquid [+] LXII 156b largitate fundit ea ferarumne an hominum causa gignere uidetur] [+]

[Modification en cours de la première version]

[Modification en cours de la première version]

LXII 156b Que dire des vignes et des oliveraies dont les fruits si abondants et si plaisants ne concernent absolument pas les bêtes ? Quant à la science des semailles, de la culture, de la moisson et de la récolte à maturité, celle de la mise en réserve des provisions, ce n’est pas là une science de bête : l’usage et le soin de toutes ces choses sont propres à l’homme.

LXII 156b Quid de uitibus oliuetisque dicam ? Quarum uberrimi laetissumique fructus nihil omnino ad bestias pertinent ; neque enim serendi neque colendi nec tempestiue demetendi percipiendique fructus neque condendi ac reponendi ulla pecudum scientia est earumque omnium rerum hominum est et usus et cura.

LXIII 157 Ainsi donc, de même qu’il faut dire que les lyres et les flûtes sont faites pour ceux qui sont capables de s’en servir, de même il faut reconnaître que toutes les choses dont j’ai parlé ont été ménagées pour les seuls êtres qui s’en servent. Et si des bêtes en dérobent ou en ravissent une partie, nous ne dirons pas qu’elles ont poussé pour elles aussi. Ce n’est pas, en effet, pour les rats et les fourmis que les hommes engrangent le blé mais pour leurs femmes, leurs enfants et leurs serviteurs. C’est pourquoi les bêtes, comme je l’ai dit, n’en jouissent qu’à la dérobée tandis que les maîtres le font ouvertement et librement. 158 Il faut donc admettre que cette abondance de biens est destinée à l’homme. À moins peut-être que la profusion et la variété des fruits, à moins que l’agrément qu’on trouve non seulement à les goûter mais même à les sentir et à les voir ne fassent douter que la nature ait réservé ces présents aux hommes ! Les bêtes, loin d’être les destinataires de ces présents, ont été elles-mêmes créées pour les hommes123, nous le voyons : à quoi servent en effet les brebis sinon à vêtir les hommes de leur laine, une fois qu’on l’a travaillée et tissée ? À vrai dire, elles auraient été incapables de se nourrir, de se sustenter ni de produire quoi que ce soit sans les soins apportés par les hommes à leur entretien. Et les chiens ? leur garde si fidèle, leurs caresses si aimantes pour leurs maîtres, leur haine si vive des étrangers, leur flair incroyable quand ils suivent une piste, leur ardeur à la chasse, que signifie tout cela sinon qu’ils ont été créés dans l’intérêt des hommes ? 159 Dois-je mentionner les bœufs ? Leur dos même témoigne qu’il n’a pas été conçu pour recevoir une charge mais leur cou les destine au joug et la vigueur de leurs larges épaules à tirer la charrue. Comme c’étaient eux qui retournaient la terre en brisant les mottes, la race de l’âge d’or, comme disent les poètes, n’usait jamais de violence envers eux :

LXIII 157 ❖ Vt fides igitur et tibias eorum causa factas dicendum est qui illis uti possent sic ea quae dixi iis solis confitendum est esse parata qui utuntur nec, si quae bestiae furantur aliquid ex iis aut rapiunt, illarum quoque causa ea nata esse dicemus. Neque enim homines murum aut formicarum causa frumentum condunt sed coniugum et liberorum et familiarum suarum ; itaque bestiae furtim, ut dixi, fruuntur, domini palam et libere ; [+] 158 hominum igitur causa eas rerum copias comparatas fatendum est. Nisi forte tanta ubertas uarietasque pomorum eorumque iucundus non gustatus solum sed odoratus etiam et aspectus dubitationem adfert quin hominibus solis ea natura donauerit. Tantumque abest ut haec bestiarum etiam causa parata sint, ut ipsas bestias hominum gratia generatas esse uideamus. Quid enim oues aliud adferunt nisi ut earum uillis confectis atque contextis homines uestiantur ; quae quidem neque ali neque sustentari neque ullum fructum edere ex se sine cultu hominum et curatione potuissent. Canum uero tam fida custodia tamque amans dominorum adulatio tantumque odium in externos et tam incredibilis ad inuestigandum sagacitas narium, tanta alacritas in uenando, quid significat aliud nisi se ad hominum commoditates esse generatos ? [+] 159 Quid de bubus loquar ? Quorum ipsa terga declarant non esse se ad onus accipiendum figurata, ceruices autem natae ad iugum, tum uires umerorum et latitudines ad aratra extrahenda. Quibus cum terrae subigerentur fissione glebarum, ab illo aureo genere, ut poetae loquuntur, uis nulla umquam adferebatur :

Mais alors naquit soudain la race de fer qui osa, la première, fabriquer la funeste épée et manger le jeune taureau que sa main avait attelé et dompté*.
Ferrea tum uero proles exorta repente est
ausaque funestum prima est fabricarier ensem
et gustare manu iunctum domitumque iuuencum*.

On estimait tant les services rendus par les bœufs que se nourrir de leur chair passait pour un crime. LXIV Il serait trop long d’énumérer les services que rendent les mulets et les ânes qui, sans aucun doute, ont été ménagés pour l’usage des hommes124. 160 Et le porc ? Que nous fournit-il, en dehors de sa chair ? C’est pour l’empêcher de pourrir, dit Chrysippe, que le souffle vital lui a été donné en guise de sel. Et c’est parce que cette bête était faite pour nourrir les hommes que la nature n’en a produit aucune qui soit plus prolifique. Que dire de la multitude des poissons et de la saveur de leur chair ? et de celle des oiseaux ? On y prend un tel plaisir que notre providence a parfois l’air d’être épicurienne ! Et ces animaux ne seraient pas capturés sans l’habile tactique des hommes. Nous pensons pourtant que certains oiseaux, ceux qui volent et ceux qui chantent, selon la terminologie de nos augures125, sont faits pour que nous puissions prendre les augures. 161 Quant aux bêtes féroces et sauvages, nous les prenons à la chasse, pour nous nourrir mais aussi pour nous livrer en chassant à un exercice comparable à la discipline militaire126, pour utiliser les animaux, une fois domptés et dressés, les éléphants par exemple, ou bien pour tirer de leur corps de nombreux remèdes pour nos maladies et nos blessures, comme on le fait de certaines racines ou herbes dont nous avons appris les vertus grâce à une longue expérience et à des essais répétés. On peut bien parcourir mentalement, comme du regard, la terre et toutes les mers : on y verra d’immenses étendues de plaines fertiles, des montagnes revêtues d’épaisses forêts, des troupeaux à la pâture, des bateaux naviguant à une rapidité incroyable. 162 Et ce n’est pas seulement à la surface de la terre mais aussi dans ses profondeurs ténébreuses que se cachent, en très grande quantité, les choses utiles destinées à l’usage des hommes et que seuls les hommes découvrent.

Tanta putabatur utilitas percipi e bubus ut eorum uisceribus uesci scelus haberetur. LXIV Longum est mulorum persequi utilitates et asinorum quae certe ad hominum usum paratae sunt. [+] 160 Sus uero quid habet praeter escam ; cui quidem ne putesceret animam ipsam pro sale datam dicit esse Chrysippus. Qua pecude, quod erat ad uescendum hominibus apta, nihil genuit natura fecundius. Quid multitudinem suauitatemque piscium dicam, quid auium ? Ex quibus tanta percipitur uoluptas ut interdum Pronoea nostra Epicurea fuisse uideatur. Atque eae ne caperentur quidem nisi hominum ratione atque sollertia ; quamquam auis quasdam et alites et oscines ut nostri augures appellant, rerum augurandarum causa esse natas putamus. 161 ❖ Iam uero immanes et feras beluas nanciscimur uenando ut et uescamur iis et exerceamur in uenando ad similitudinem bellicae disciplinae et utamur domitis et condocefactis, ut elephantis multaque ex earum corporibus remedia morbis et uulneribus eligamus sicut ex quibusdam stirpibus et herbis quarum utilitates longinqui temporis usu et periclitatione percepimus. Totam licet animis tamquam oculis lustrare terram mariaque omnia ; cernes iam spatia frugifera atque inmensa camporum uestitusque densissimos montium, pecudum pastus, tum incredibili cursus maritimos celeritate. [+] 162 Nec uero supra terram sed etiam in intumis eius tenebris plurimarum rerum latet utilitas quae ad usum hominum orta ab hominibus solis inuenitur.

LXV Et j’aborde maintenant un point dont vous vous emparerez peut-être l’un et l’autre pour me critiquer127, Cotta parce que Carnéade attaquait volontiers les stoïciens, Velléius parce qu’Épicure ridiculise plus que tout la prédiction de l’avenir alors qu’elle me paraît, à moi, prouver très solidement que les dieux, dans leur sagesse, prennent soin des affaires humaines128 : la divination existe, sans aucun doute, qui se révèle en bien des lieux, bien des affaires et bien des circonstances, dans la sphère privée mais surtout dans la sphère publique. 163 Les haruspices distinguent beaucoup de signes, les augures prévoient beaucoup d’événements ; beaucoup d’indications sont révélées par les oracles, les prophéties, les songes, les prodiges129 ; la connaissance de ces signes a permis la réalisation de beaucoup d’entreprises conformes aux aspirations et aux intérêts des hommes et a permis aussi de repousser bien des dangers. Ce pouvoir, ou cet art, ou cette faculté naturelle qui permet la connaissance de l’avenir, on ne peut douter que les dieux immortels l’ont accordée à l’homme, et à personne d’autre. Mais si ces faits, pris un à un, ne vous ébranlent pas, ils devraient le faire quand on les considère dans leur totalité, étroitement liés entre eux et formant un ensemble. 164 Mais ce n’est pas seulement sur le genre humain dans sa totalité, c’est aussi sur chaque individu que les dieux font porter leur soin et leur providence. On peut en effet réduire l’ensemble du genre humain en procédant à des réductions progressives130 pour parvenir aux individus pris un par un. LXVI Car si nous pensons, pour les raisons que nous avons dites, que les dieux veillent sur tous les hommes, partout dans le monde, quelle que soit la distance qui sépare le rivage et la région où ils vivent de celle où nous habitons, ils veillent aussi sur ces hommes qui habitent avec nous ces terres, de l’est à l’ouest. 165 Mais s’ils veillent sur ceux qui habitent cette sorte de grande île que nous appelons l’orbe terrestre131, ils veillent aussi sur ceux qui occupent des parties de cette île, l’Europe, l’Asie, l’Afrique. Donc ils aiment les sous-parties de celles-ci, comme Rome, Athènes, Sparte, Rhodes, et dans ces villes ils aiment les individus pris isolément, en dehors de la collectivité, comme pendant la guerre contre Pyrrhus Curius, Fabricius et Coruncanius132, pendant la première guerre punique, Calatinus, Duillius, Metellus et Lutatius133, pendant la seconde, Maximus, Marcellus, Scipion l’Africain134, puis, après eux, Paulus, Gracchus, Caton ou, du temps de nos pères, Scipion et Laélius135. Il faudrait ajouter beaucoup d’hommes remarquables auxquels notre cité et la Grèce ont donné naissance : il n’est pas croyable qu’un seul d’entre eux ait été ce qu’il fut sans l’aide d’un dieu. 166 C’est cette raison qui a poussé les poètes, Homère surtout, à associer aux premiers des héros, à Ulysse, à Diomède, à Agamemnon, à Achille, un dieu particulier qui les accompagne chacun dans leurs épreuves et leurs périls136. En outre, la présence des dieux en personne, telle que je l’ai rappelée plus haut, témoigne du soin qu’ils prennent et des cités et des individus. C’est ce que font comprendre aussi les présages de l’avenir qui sont révélés tantôt pendant le sommeil, tantôt pendant la veille ; de plus, bien des avertissements nous sont donnés par des prodiges, par les entrailles des victimes, par beaucoup d’autres signes qu’une longue expérience a consignés de manière à constituer la technique de la divination. 167 Il n’y a donc jamais eu de grand homme sans quelque inspiration divine. Et on ne doit pas nous réfuter en disant que, si le mauvais temps a nui aux moissons ou aux vignobles d’un particulier, ou si un accident lui a enlevé l’un des biens de cette vie, la victime de ces accidents est haïe ou négligée par dieu137. Les dieux se soucient des affaires importantes et négligent les petites. Pour les grands hommes, en tout cas, tout est succès, s’il est vrai que les gens de mon école et Socrate, le prince de la philosophie, ont correctement traité de la fécondité et des ressources de la vertu.

LXV Illud uero, quod uterque uestrum arripiet fortasse ad reprendendum, Cotta quia Carneades lubenter in Stoicos inuehebatur, Velleius quia nihil tam inridet Epicurus quam praedictionem rerum futurarum, mihi uidetur uel maxume confirmare deorum prudentia consuli rebus humanis. Est enim profecto diuinatio quae multis locis, rebus, temporibus apparet cum in priuatis tum maxume publicis. [+] 163 Multa cernunt haruspices, multa augures prouident, multa oraclis declarantur, multa uaticinationibus, multa somniis, multa portentis ; quibus cognitis multae saepe res <ex> hominum sententia atque utilitate partae, multa etiam pericula depulsa sunt. Haec igitur siue uis siue ars siue natura ad scientiam rerum futurarum homini profecto est nec alii cuiquam a dis inmortalibus data. Quae si singula uos forte non mouent, uniuersa certe tamen inter se conexa atque coniuncta mouere debebant. [+] 164 Nec uero uniuerso generi hominum solum sed etiam singulis a dis inmortalibus consuli et prouideri solet. Licet enim contrahere uniuersitatem generis humani eamque gradatim ad pauciores, postremo deducere ad singulos. LXVI Nam si omnibus hominibus, qui ubique sunt quacumque in ora ac parte terrarum ab huiusce terrae quam nos incolimus continuatione distantium, deos consulere censemus ob has causas quas ante diximus, his quoque hominibus consulunt qui has nobiscum terras ab oriente ad occidentem colunt. [+] 165 ❖ Sin autem consulunt iis qui quasi magnam quandam insulam incolunt quam nos orbem terrae uocamus, etiam illis consulunt qui partes eius insulae tenent, Europam, Asiam, Africam. Ergo et earum partes diligunt ut Romam, Athenas, Spartas, Rhodum et earum urbium separatim ab uniuersis singulos diligunt, ut Pyrrhi bello Curium, Fabricium, Coruncanium, primo Punico Calatinum, Duellium, Metellum, Lutatium, secundo Maxumum, Marcellum, Africanum, post hos Paulum, Gracchum, Catonem, patrumue memoria Scipionem, Laelium ; multosque praeterea et nostra ciuitas et Graecia tulit singulares uiros quorum neminem nisi iuuante deo talem fuisse credendum est. [+] 166 Quae ratio poetas maxumeque Homerum inpulit ut principibus heroum, Vlixi, Diomedi, Agamemnoni, Achilli certos deos discriminum et periculorum comites adiungeret. Praeterea ipsorum deorum saepe praesentiae quales supra commemoraui declarant ab iis et [in] ciuitatibus et singulis hominibus consuli. Quod quidem intellegitur etiam significationibus rerum futurarum quae tum dormientibus, tum uigilantibus portenduntur ; multa praeterea ostentis, multa in extis admonemur multisque rebus aliis quas diuturnus usus ita notauit ut artem diuinationis efficeret. [+] 167 ❖ Nemo igitur uir magnus sine aliquo adflatu diuino umquam fuit. Nec uero ita refellendum est ut, si segetibus aut uinetis cuiuspiam tempestas nocuerit aut si quid e uitae commodis casus abstulerit, eum cui quid horum acciderit aut inuisum deo aut neglectum a deo iudicemus. Magna di curant, parua neglegunt. Magnis autem uiris prosperae semper omnes res si quidem satis a nostris et a principe philosophiae Socrate dictum est de ubertatibus uirtutis et copiis. [+]

LXVII 168 Voilà à peu près ce qui me venait à l’esprit et ce que je pensais avoir à dire sur la nature des dieux. Mais toi, Cotta, si tu veux bien m’écouter, soutiens la même cause que moi et représente-toi que tu es l’un des premiers citoyens et un pontife. Et puisque votre école vous permet de traiter un sujet en soutenant le pour et le contre, choisis de préférence ce que j’ai soutenu et utilise plutôt en cette direction l’aptitude dialectique que les exercices de rhétorique ont formée en toi et que l’Académie a développée. Car c’est une pratique mauvaise et impie de disserter contre les dieux, qu’on le fasse par conviction ou par feinte. »

LXVII 168 Haec mihi fere in mentem ueniebant quae dicenda putarem de natura deorum. Tu autem, Cotta, si me audias, eandem causam agas teque et principem ciuem et pontificem esse cogites et, quoniam in utramque partem uobis licet disputare, hanc potius sumas eamque facultatem disserendi quam tibi a rhetoricis exercitationibus acceptam amplificauit Academia potius huc conferas. Mala enim et impia consuetudo est contra deos disputandi siue ex animo id fit siue simulate. » [+]

~

1.

Sur les louanges adressées à l’éloquence de Cotta, voir Introduction, « Le dialogue et sa mise en scène ». Sur le refus néo-académicien d’affirmer une thèse, voir les remarques de Cotta en 1, 60 qui prolongent celles de Cicéron dans la préface en 1, 10-13.

2.

Sur l’annonce d’un plan en quatre parties et le souhait d’en traiter seulement les deux premières voir Introduction, « La première version et ses limites ».

3.

L’expression cognitum conprehensumque animis rend par deux participes, dont le second explique les modalités du premier, la « représentation compréhensive » ou cataleptique (phantasia kataleptikè), qui, selon Zénon, permet la connaissance sûre (Ac., 1, 41-42 ; 2, 45).

4.

En 496, Aulus Postumius a vaincu les Latins alliés à Tarquin le Superbe (dont Octavius Mamilius était le gendre) ; l’épisode est raconté par Tite-Live (2, 19, 3 - 20, 13) qui précise que Postumius fit vœu d’élever un temple à Castor. Selon Denys d’Halicarnasse (Antiquitates Romanae, 6, 13, 1-2), il s’agit du temple des Dioscures construit en 484 près de la fontaine Juturne sur le Forum.

5.

Persée, roi de Macédoine, fut vaincu par Paul-Émile à Pydna en 168 ; sur Publius Vatiénus, qui n’est pas le grand-père du Publius Vatinius (tribun en 59 ; consul en 47) que Cicéron avait attaqué en 56 dans son discours Contre Vatinius (voir Broughton 1951-1952, vol. II, 67), il faut donc maintenir le texte des manuscrits et refuser, avec Pease, la correction de Heindorf (1815) en Vatinius admise par Plasberg.

6.

La victoire des habitants de Locres sur ceux de Crotone (deux cités de Grande Grèce séparées par la rivière Sagra), qu’il faut probablement situer au VIe siècle, est mentionnée par Strabon (6, 1, 10) qui précise le rôle joué par les Dioscures dans l’annonce de la victoire.

7.

Les Faunes semblent correspondre, sous l’apparence de plusieurs divinités, à un dieu Faunus, très tôt associé à Pan et aux Satyres. Ces divinités des bois sont dotées de pouvoirs divinatoires (les Latins faisaient dériver le nom Faunus du verbe fari, « dire » ; Varron, LL, 7, 36). Cicéron mentionne également leurs voix entendues dans les batailles en Diu., 1, 101.

8.

Les substantifs ostentum, monstrum, portentum, prodigium sont rattachés respectivement aux verbes ostendere, monstrare, portendere, praedicere (comme dans Diu., 1, 93). L’étymologie moderne rattache monstrum à monere et prodigium à *prod + agiom.

9.

Les cinq noms de devins cités ici sont également invoqués, en Diu., 1, 88, afin d’illustrer l’importance de la divination pour l’exercice du pouvoir. Les personnages de Mopsos, Tirésias et Amphiaraos sont liés aux légendes de Thèbes exploitées par les tragiques grecs tandis que Calchas et Hélénos ont un rôle important dans l’épopée homérique.

10.

Les trois exemples, également exploités en Diu., 1, 29 et 77, sont empruntés à l’historien Coelius Antipater (voir Introduction, note 88). Publius Claudius Pulcher, consul en 249 avec Lucius Junius Pullus, perdit contre les Carthaginois les deux tiers de la flotte à Drépane en Sicile. Le récit par Polybe (1, 49-52) ne fait pas mention du mépris de Claudius pour la prise d’auspices à partir de l’observation des poulets, pratique attestée depuis le IIIe siècle au moins. La défaite subie par Gaius Flaminius (consul pour la seconde fois en 217) contre Hannibal est causée par une faute dans l’observation du rituel, selon Coelius Antipater. Tandis que Polybe ne mentionne aucune faute (3, 80, 1-3 ; 84, 15), l’historiographie romaine attribue à Gaius Flaminius un manque de respect pour les rites (voir en particulier Tite-Live, 21, 63, 6-14).

11.

Sur les pouvoirs du bâton augural, voir le récit étiologique développé en Diu., 1, 31-33, autour du personnage d’Attus Navius, devenu conseiller de Tarquin l’Ancien.

12.

L’historiographie ne rapporte pas d’anecdotes sur le rôle des augures dans la conduite des guerres menées par Tullus Hostilius, le troisième roi de Rome ; Pease (ad loc. p. 568) pense qu’il s’agit d’une confusion avec Tarquin l’Ancien.

13.

Les raisons pour lesquelles les guerres sont désormais entreprises sans prise d’auspices préalable sont clairement expliquées par Cicéron en Diu., 2, 76-77 : les propréteurs et les proconsuls, qui désormais dirigent les armées, n’ont pas le droit de prendre les auspices.

14.

Sur la pratique de la deuotio, illustrée par la famille des Décii Mures, qui consistait à se jeter seul au milieu des ennemis après avoir accompli des rituels adressés aux dieux Mânes et à Tellus, voir le récit de Tite-Live (8, 9).

15.

La faute commise par Tibérius Sempronius Gracchus, consul pour la seconde fois en 163, est également invoquée en Diu., 1, 33, pour illustrer l’auctoritas des auspices.

16.

L’adjectif diuinus signifie « divin » mais aussi « devin » : tandis que Balbus l’utilise ici pour associer étroitement les capacités divinatoires des haruspices à leur inspiration divine, Cicéron l’utilise ironiquement en Diu., 2, 74 pour contester qu’il y ait une science de la divination dont les haruspices seraient maîtres.

17.

La formulation utilisée ici pour qualifier la prénotion des dieux (innatum et insculptum) reprend les expressions utilisées par Velléius en 1, 43 et 1, 45 ; sur la signification de ce parallèle, voir Introduction, « Les enjeux de la seconde version (livre 2, § 86b-156a) ».

18.

Les quatre causes données par Cléanthe (SVF, vol. I, 528) pour rendre compte de la formation des notions des dieux n’ont pas de parallèle exact dans l’énumération, probablement plus tardive, que donne Aétius des sept sources de la notion des dieux (SVF, vol. II, 1009) dont seule la première correspond à la quatrième de Cléanthe (confirmée par Sext. Math., 9, 26-27 ; 111-118) : les autres sources se confondent avec les figures traditionnelles de divinités bienfaisantes ou malfaisantes et des passions personnifiées, qui sont abordées distinctement dans l’exposé de Balbus (2, 60-69).

19.

La traduction du grec komètai (komè = chevelure) par cincinnatae (stellae), étoiles « aux cheveux bouclés » est propre à ce texte (et, de manière dérivée, à une scolie à Juvénal) ; la traduction habituelle est crinita, « à l’abondante chevelure ».

20.

Au cours de la guerre qui opposa, en 87, le consul Cnaeus Octavius à son collègue Lucius Cornelius Cinna, l’apparition d’une comète (peut-être la comète de Halley) aurait annoncé les proscriptions qu’allaient ordonner Marius et Sylla.

21.

Le phénomène de soleil double (parhélie) évoqué ici a été observé en 129 et fournit le premier sujet de discussion des interlocuteurs du De re publica (1, 15-32) qui donne le rôle principal à Publius Scipion l’Africain.

22.

Voir Annexe 2.

23.

Le terme solarium désigne un cadran solaire (Varron, LL, 6, 4) ; il est ici utilisé aussi (avec la précision ex aqua) pour désigner une clepsydre.

24.

Sur la sphère de Posidonius, voir Edelstein & Kidd 1972, T 86.

25.

Archimède (287-211) construisit un planétarium dont le mécanisme est décrit en Rep., 1, 21-22 et en Tusc., 1, 63 (où il remplit la même fonction argumentative) : il fut rapporté à Rome après la prise de Syracuse par M. Claudius Marcellus (211) ainsi qu’une sphère qui fut déposée dans le temple de Virtus.

26.

La traduction de ce fragment n’est pas sûre parce qu’il est impossible de connaître le sujet du verbe refert.

27.

L’emploi de aer (grec aèr) est attesté en latin depuis Plaute (Asinaria, 99) ; l’emploi de aether l’est dans Ennius (Satirae, 4 ; Annales, 545, in Skutsch 1985).

28.

La comparaison des atomes avec les lettres de l’alphabet (au nombre de vingt et une en latin parce que nos lettres j v w y z n’y figurent pas) est utilisée par Aristote à propos de l’atomisme de Démocrite (Arist. Met., 1, 985b 13 ; De generatione et corruptione., 315b 5) et exploitée par Lucrèce (1, 823-829 ; 911-914 ; 2, 1013-1022). Sur ses enjeux ici, voir Introduction, « Les enjeux de la seconde version (livre 2, § 86b-156a) ».

29.

Le substantif qualitas est utilisé pour la première fois par Cicéron pour rendre le grec poiotès en Ac., 1, 24-25, dans le cadre de l’exposé donné par Varron. Que les atomes sont dépourvus de qualités autres que forme, taille et poids est affirmé par Épicure qui distingue les propriétés premières des qualités phénoménales (Epistula ad Herodotum, 54-55).

30.

Cette citation (Ross 1955, F 13 ; Gigon 1987, 838) est considérée par la plupart des exégètes, sauf Gigon, comme un extrait du peri philosophias d’Aristote : s’y trouve amplement développée l’une des deux raisons que, selon Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 20-22), Aristote évoquait pour expliquer la formation de la notion des dieux, l’autre étant la capacité qu’a l’âme, pendant le sommeil, de prévoir l’avenir.

31.

L’éruption de l’Etna à laquelle il est fait allusion pourrait être celle de 122 qui détruisit Catane.

32.

Sur la place de l’éther dans la cosmologie stoïcienne, voir LS, 46 D ; 47 B et O.

33.

Voir Cléomède (2, 1, 293 [Todd 1990]). Pour les stoïciens, il semble que la taille de la lune était supérieure à celle de la terre : Aétius, Placita, 2, 26 (Diels 1879, 357 ; 627).

34.

Sur les Phénomènes, poème d’Aratos traduit partiellement par Cicéron et cité aussi dans le De diuinatione, voir Introduction, « Les enjeux de la seconde version (livre 2, § 86b-156a) ». Du paragraphe 104 au paragraphe 114, Balbus cite des extraits d’une partie de la traduction des vers 19 à 450 d’Aratos (19-20 ; 24-25 ; post 27 ; 36-37 ; 39-43 ; 45-47 ; 55-59 ; 61-62 ; 63-64 ; 66 ; 71 ; 75 ; 82-85 ; 92-97 ; 147-149 ; 160-162 ; 165-166 ; 167 ; 172-173 ; 182 ; 188 ; 197-198 ; 205-208 ; 225 ; 240-241 ; 250 ; 254-255 ; 269 ; 275 ; 284-287 ; 305-306 ; 312-313 ; 322-323 ; 327 ; 342-343 ; 356-358 ; 362-363 ; 402-403 ; 439-443 ; 447-450). Sur les choix et simplifications de traduction opérés par Cicéron, voir l’édition des Aratea par J. Soubiran (Soubiran 19932, 158-179 ; 197-212) à laquelle est empruntée la traduction française des extraits.

35.

Le substantif triones désigne les bœufs de labour (Varron, LL, 7, 74) : la constellation des sept étoiles comprenant la Grande et la Petite Ourse, le Septentrion, se décompose en « sept bœufs de battage ».

36.

L’adjectif grec ophiouchos signifie « qui porte des serpents » ; substantivé, il désigne le Serpentaire.

37.

Arctophylax signifie littéralement « qui garde l’Ourse ».

38.

Sur la liaison des parties entraînées vers le centre, voir SVF, vol. I, 99.

39.

Sur les autres stoïciens qui, avant Panétius, ont mis en doute la doctrine de l’ekpurosis, voir le commentaire à ce passage dans Alesse 1997 (T. 130 et p. 264-266). Selon Diogène Laërce, pour Panétius « le monde est incorruptible » (DL, 7, 142).

40.

Sur cette liaison harmonieuse (copulatio rerum / quasi consentiens ad mundi incolumitatem coagmentatio naturae) qui rend la notion de sympatheia (comme le précise Cicéron en 3, 28 et Diu., 2, 33-34), voir note 68.

41.

Dans le développement consacré à l’organisation intelligente de la terre et des animaux (2, 120-132), beaucoup d’observations sont empruntées à Aristote, vraisemblablement à travers un intermédiaire (voir Introduction, « Les enjeux de la seconde version (livre 2, § 86b-156a) »).

42.

L’incompatibilité de la vigne et du chou est notée par Théophraste (Historia plantarum, 4, 16, 6) et Varron (Res rusticae, 1, 16, 6).

43.

Arist. Hist. anim., 547b 15-18 (et Pline, Nat. hist., 9, 66). Sur la quête de nourriture qui associe des bêtes différentes, voir SVF, vol. II, 729.

44.

Arist. Hist. anim., 614b 26-30.

45.

La formation en triangle des grues n’est mentionnée dans aucune des œuvres d’Aristote conservées.

46.

Les exemples donnés sont tous mentionnés par Aristote dans l’Histoire des animaux, respectivement : 8, 5, 594a 29 ; 9, 6, 612a 2-8 ; 9, 5, 611a 15-19.

47.

Arist. Hist. anim., 489b 6-8.

48.

Aristote (Hist. anim., 558a) dit au contraire que ces animaux couvent leurs œufs.

49.

Cicéron aurait écrit un poème sur le Nil, dont seul le titre nous est transmis (voir Soubiran 19932, 6-7).

50.

Le substantif latin etesiae (vents étésiens) décalque le grec étèsiai qui désigne des vents saisonniers. Ces vents sont rarement jugés favorables à la navigation (voir par exemple César, Commentarii belli ciuilis, 3, 107).

51.

Sur les connaissances médicales de Cicéron et le plan suivi pour la description de la digestion et de la respiration, voir Introduction, note 121.

52.

Il s’agit de l’épiglotte, dont le rôle est décrit dans des termes comparables par Aulu-Gelle (Noct. att., 17, 11) qui mentionne Érasistrate dans ce contexte.

53.

La comparaison des poumons avec des éponges remonte à Platon (Timaeus, 70c) mais Cicéron ne fait pas porter la comparaison sur les « cavités » comme chez Platon mais sur la mollesse.

54.

L’expression est employée par Platon (Timaeus, 71c) et par Aristote (Hist. anim., 496b 30-32).

55.

L’adjectif caua traduit le grec koilè ; sur le rôle de cette veine, voir Galien, De usu partium, 4, 6.

56.

Parce que les artères étaient vides lors des dissections on supposait qu’elles permettaient la circulation de l’air : la distinction entre le système artériel et le système veineux n’est pas faite avant Praxagoras de Cos (seconde moitié du IVe siècle av. J.-C.).

57.

Sur la position debout, propre à l’homme, voir Leg., 1, 26 (et le texte de Xénophon, Memorabilia, 1, 4, 11, souvent donné comme source). L’éloge des yeux qui en découle, pour l’aptitude qu’ils donnent à l’homme de connaître les dieux, est repris en 2, 153 et déjà exploité en Tusc., 1, 69 ; c’est sur le passage où ce même thème est abordé que s’achève la traduction cicéronienne du Timée (47b).

58.

La description des organes sensoriels peut être comparée aux textes des Mémorables (1, 4, 6) et du Banquet (5, 6) de Xénophon.

59.

L’emploi du terme membranae (membranes) transcrit le grec chitônes (manteau) ; voir en particulier Galien, De usu partium, 10, 1-6.

60.

Sur les procédés rationnels qui conduisent de la représentation compréhensive à la science, voir Ac., 1, 40-42 ; 2, 26.

61.

Cicéron a mis en avant le rôle de l’éloquence dans la constitution des sociétés humaines dès le De inuentione (1, 2-3) (voir aussi Leg., 1, 62 ; De or., 1, 33 ; Off., 2, 15).

62.

Sur le trajet de l’esprit à la parole, voir Platon, Sophista, 263e ; Aristote, De anima, 420a 27-29 ; SVF, vol. II, 836.

63.

Cette comparaison, abondamment reprise par les lecteurs chrétiens de Cicéron (Ambroise, Exameron, 6, 67 ; Jérôme, Epistulae, 108, 24 ; Augustin, Sermones, 243, 4), n’a pas d’antécédent connu.

64.

Sur les mains comme « instruments » de la raison, voir Galien, De usu partium, 1, 1-4, qui rappelle les enjeux de la position d’Aristote contre celle d’Anaxagore (Aristote, De partibus animalium, IV, 687a 7).

65.

Sur cette annonce de conclusion, voir Introduction, note 123.

66.

Sur l’agencement de l’argument et sa critique en 3, 26, voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 4-44 ».

67.

Le verbe arripuit traduit le verbe grec sunarpasai employé par Xénophon (Memorabilia, 1, 4, 8). Le développement qui suit a un parallèle dans Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 92-100).

68.

La parenté (cognatio) décrite ici en termes d’harmonie (consentiens / conspirans) évoque la notion grecque de sympatheia (traduite par coniunctio et consensus en Diu., 2, 34) par laquelle les stoïciens expriment « la communauté de souffle et de tension qui unit les corps célestes aux corps terrestres » (DL, 7, 140). La sympathie est prouvée par le lien entre le flux des marées et le mouvement des astres (Sext. Math., 9, 79 ; SVF, vol. II, 475 ; 534 ; 546).

69.

Sur cette série de syllogismes attribués à Zénon, voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 4-44 ». On les trouve exposés, selon un ordre différent, dans Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 101-104) qui transmet également la critique qu’en fit le Mégarique Alexinus (9, 108) et qu’utilise Cotta dans sa réfutation (3, 22-23).

70.

Sur cette modification de l’annonce de plan faite en 2, 4, voir Introduction, note 92.

71.

Les preuves, ici attribuées à Cléanthe, et sans doute développées par des stoïciens postérieurs, s’ajoutent à celles qui ont été précédemment tirées des connaissances médicales sur la chaleur vitale, source de vie et de mouvement, et reposent sur le principe stoïcien selon lequel le pneuma, souffle chaud, pénètre tous les éléments qu’il unifie : la terre, l’eau, l’air (LS, 47).

72.

La traduction du grec hegemonikon par principatum apparaît ici pour la première fois en latin.

73.

Sur ce feu plus pur voir la définition du « feu artiste » attribuée à Zénon en 2, 57.

74.

Le recours à l’argument développé dans le Phèdre (245c) pour prouver par l’automotricité que le monde est animé et divin doit être distingué des deux autres emplois de ce même passage chez Cicéron (Rep., 6, 27 et Tusc., 1, 53-54) qui visent, comme dans le Phèdre, à établir l’immortalité de l’âme humaine. La qualification de « dieu des philosophes » est attribuée à plusieurs reprises par Cicéron à Platon (Leg., 3, 1 ; Opt. Gen. Or., 17 ; Att., 4, 7, 3).

75.

Les quatre degrés de l’échelle des êtres (scala naturae) correspondent à quatre niveaux d’organisation et de cohésion de la nature ; cette classification est attribuée à Cléanthe par Sextus Empiricus (Sext. Math., 9, 88-91).

76.

L’argument téléologique attribué à Chrysippe (SVF, vol. II, 1153) est développé en 2, 157-162 pour établir les preuves de la providence divine.

77.

La priorité accordée au soleil (comme en 2, 50) correspond à la thèse de Cléanthe pour qui le soleil est l’hegemonikon du monde (SVF, vol. I, 499) : elle correspond à la cosmologie présentée par Cicéron en Rep., 6, 17 et Tusc., 1, 68. Sur l’importance du feu pour les preuves de la divinité des astres, voir l’argument que Stobée attribue à Zénon (SVF, vol. I, 120).

78.

La mention d’Aristote aux paragraphes 42 et 44 a conduit à rapporter l’ensemble du développement au dialogue perdu De philosophia (Ross 1955, F 21 ; contra Gigon 1987, 835-836) ; sur la présence d’Aristote dans l’exposé stoïcien, voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 4-44 ».

79.

La distinction des trois types de mouvements est faite en Met., 12, 1071b 35.

80.

Sur le contenu de cette deuxième partie de l’exposé stoïcien et l’importance de la question de la « nature des dieux » par rapport à l’ensemble du dialogue, voir Introduction, « Première contribution au débat : exposé et réfutation de la doctrine épicurienne – Livre 1, § 57-123 ».

81.

Sur le rôle de la préconception (ici notio animi) dans la théologie stoïcienne par rapport à sa fonction dans la théologie épicurienne (exposé de Velléius en 1, 43-45), voir Introduction, « Les enjeux de la seconde version (livre 2, § 86b-156a) » ; sur le contenu qu’a cette notion selon les stoïciens, voir DL, 7, 147 ; Plutarque, De Stoicorum repugnantiis, 1051e et SVF, vol. II, 118.

82.

Allusion au fait qu’Épicure était citoyen d’Athènes (DL, 7, 1-2).

83.

La supériorité de la sphère sur les autres figures, contestée par Velléius en 1, 24, est affirmée par Balbus suivant l’argument du Timée (33b-34b), traité et développé comme dans la traduction que Cicéron a faite de ce passage (Tim., 17).

84.

Le jeu de mot sur palais (palatum) imite, grâce à un emploi isolé de « palais » pour désigner « la voûte du ciel » chez Ennius (Skutsch 1985, fragt 17), le jeu sur le mot grec ouranos (= ciel / palais ; voir Arist. Hist. anim., 492a 20).

85.

Le nombre de 365 et un quart résulte des calculs de l’astronome Hipparque (seconde moitié du IIe siècle) ; ce nombre fut adopté par César quand il réforma le calendrier en 46 (en se fondant sur les conclusions du savant d’Alexandrie Sosigène).

86.

La description des positions de la lune par rapport au nord et au sud est fondée sur le système d’Eudoxe de Cnide (390-340) ; les effets bénéfiques de la lune sur la croissance des plantes et des animaux sont attribués à une sorte de rosée (Ps.-Aristote, Problemata, 24, 14, 937b 3-4).

87.

Les trajectoires des cinq planètes, successivement Saturne, Jupiter, Mars, Mercure et Vénus, sont décrites dans l’ordre décroissant de leur durée – dépendant de leur distance par rapport à la terre.

88.

Le calcul de la grande année, fixé par les trajectoires des planètes, est dû à Eudoxe de Cnide ; Cicéron est le premier à utiliser, en latin, l’expression magnus annus (voir également Rep., 6, 24).

89.

Les cinq planètes sont désignées suivant la terminologie alexandrine des noms de Phainon, Phaethon, Pyrois, Stilbon, Phosphoros / Hesperos.

90.

Allusion à l’idée populaire que les trajets des planètes sont fixés dans l’éther (et mus par lui, comme le suggérait Mayor, en accord avec la suite du texte et le texte d’Aristophane, Nubes, 380).

91.

La distinction de la sphère sublunaire, attestée chez Héraclite et Empédocle, Pythagore et Philolaus (Diels 1879, 337 ; 559 ; 587) a été reprise par Aristote (par exemple Meteorologica, 1, 3, 340 b) et exploitée ensuite dans des contextes stoïciens (Ps.-Aristote, De mundo, 392a-b).

92.

La définition de la nature attribuée nommément ici à Zénon est rapportée aux stoïciens en général par Diogène Laërce (DL, 7, 156) ; l’ensemble que forment les paragraphes 58-59 a été diversement décomposé (SVF, vol. I, 171-172 ; LS, 53 Y) mais la succession des idées qui mène du « feu artiste » à la nature artiste puis à l’intelligence du monde qui équivaut à la providence est attestée dans l’exposé de Diogène Laërce en 7, 138-139 ; 142 ; 147-149 (voir également infra le développement sur la conception stoïcienne de la nature des paragraphes 81 à 85).

93.

La traduction du grec hormè par adpetitio est proposée en Ac., 2, 24 et maintenue dans toute l’œuvre de Cicéron (Fin., 3, 23 ; 4, 39 ; 5, 17 ; Off., 1, 101 ; 2, 18).

94.

Ce mode de formation de la notion de dieux, l’un des sept que reconnaissent les stoïciens (SVF, vol. II, 1009), est évoqué dans l’exposé de Velléius en 1, 38 et attaché au nom de Persée (voir note 47).

95.

Le temple de Fides, situé sur le Capitole, fut consacré par Aulus Attilius Calatinus en 254 (ou 250 ?) et restauré en 115 par Marcus Aemilius Scaurus. Le temple de Mens, également sur le Capitole, fut consacré en 215 après la défaite subie au lac Trasimène et restauré, à une date vraisemblablement proche de celle de la mise en scène du dialogue (76/75).

96.

Le temple de Honos fut érigé en 233 par Quintus Fabius Maximus Cunctator après sa victoire sur les Ligures. Il fut restauré par Marcus Marcellus à la suite d’un vœu qu’il avait fait d’élever un sanctuaire à Honos et Virtus pendant la bataille de Clastidium en 222. Les pontifes n’acceptèrent pas que le temple soit dédié aux deux divinités (Tite-Live, 27, 25, 7-9) et le fils de Marcellus dédia en 205 un temple à Virtus.

97.

Un temple de l’Abondance (Ops) se trouvait sur le Capitole (Tite-Live, 39, 22). Le temple du Salut fut édifié en 302, à l’issue des guerres samnites, sur le Quirinal, par décision du consul C. Iunius Bubulcus ; il était décoré des tableaux de Fabius Pictor. Il y eut plusieurs temples de la Concorde : l’un bâti en 304, un autre après 216, un troisième en 121. T. Sempronius Gracchus (consul en 238) consacra un temple à Libertas sur l’Aventin. Le temple de la Victoire, situé sur le Palatin, fut dédié par L. Postumius en 294. M. Porcius Cato fit élever en 193 un temple à Victoria Virgo.

98.

La divinisation de Désir (Cupido), de Volupté (Voluptas) et de Plaisir (Venus Lubentina) fait référence à l’interprétation que les Romains donnèrent de certains noms (Aug. Ciu., 4, 8) : le forum cuppedinis (cuppedo désigne les friandises) est entendu comme cupidinis – du désir (Festus, 48) ; il y avait sur le Vélabre un temple à Volupia (Varron, LL, 5, 164) ; Libitina, déesse des enterrements, était honorée sur l’Esquilin ; son nom, confondu avec lubentina (rapporté à libido ; Varron, LL, 6, 47) entraîne l’identification à Vénus.

99.

La triade Cérès, Liber et Libera, qui correspond à la triade grecque Déméter, Dionysos et Korè, avait son temple (dédié par Aulus Postumius en 494). Le substantif pluriel liberi (enfants) est ici rattaché à l’adjectif liber (libre) mais le lien étymologique n’est pas clair.

100.

Sur l’identification de Romulus à Quirinus, qui n’est sans doute pas antérieure au IIIe siècle et ne semble pas avoir été unanimement acceptée, voir Rep., 2, 20 et Leg., 1, 3.

101.

L’expression ratio physica désigne la méthode d’interprétation par laquelle les stoïciens mettent en évidence le soubassement cosmologique des mythes en recourant à l’étymologie ; sur ces pratiques voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 45-72 » et livre 1, § 41, note 49.

102.

Traduction (vraisemblablement par Cicéron lui-même ; Soubiran 19932, 279) des vers d’une œuvre inconnue d’Euripide.

103.

Le lien entre Héra (la Junon des Romains) et l’air est évoqué par Platon dans le Cratyle (404c) sans doute à partir d’une étymologie proposée par Empédocle (DK, A 23).

104.

Le nom Dispater comporte la forme contracte de l’adjectif diues (riche) pour établir le même lien étymologique que les Grecs (voir Platon, Cratyle, 403a) ont fixé entre le dieu Ploutôn et le substantif ploutos (richesse).

105.

Janus était le premier nommé dans les prières ; voir le témoignage de Tite-Live, 8, 9, 6.

106.

Le lien Vesta / Hestia, contesté par les linguistes modernes, n’est pas reconnu par Ovide (Fastes, 6, 299) qui propose le rapprochement de Hestia / histèmi = Vesta / stare (« se tenir ferme »).

107.

Les Pénates étaient honorés dans le temple de Vesta (dans le penus Vestae). Sur les liens établis par les Romains entre les mots penus (provisions), penitus (intérieur), penetrales (de l’intérieur), voir Festus, 296 L.

108.

Sur l’étymologie de sol voir Varron, LL, 5, 68.

109.

Sur les diverses étymologies de Diane proposées à Rome, voir Varron, LL, 5, 68-69 ; Ovide, Fastes, 2, 449-450 ; Macrobe, Saturnales, 1, 9, 8.

110.

L’anecdote est également rapportée par Plutarque (De Alexandri vita, 3, 3). L’historien Timée de Tauromenium (c. 356-260) est mentionné dans le Brutus (325) comme exemple de concinnitas.

111.

Cette étymologie diffère de celles que propose Varron (LL, 5, 61 ; 6, 16, 20).

112.

Sur la distinction entre superstition et religion proposée dans ce passage à partir de l’étymologie, voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 45-72 ».

113.

Sur la polémique menée par les néo-académiciens contre la conception stoïcienne de la providence des dieux, voir les témoignages rassemblés dans SVF, vol. II, 1168-1172 et LS, 54 Q ; R ; S.

114.

Allusion aux propos de Velléius en 1, 18. La suggestion que l’exposé du livre 1 se serait tenu la veille peut être rapprochée de l’indication donnée en 3, 18 : sur ces traces d’un remaniement inachevé de la mise en scène, voir Introduction, note 7.

115.

Les trois parties de l’exposé sur la providence ne comportent pas de renvoi direct aux deux dernières parties de l’exposé de Balbus, telles qu’elles sont annoncées en 2, 3. Dans le texte transmis par les deux branches de la tradition, cet exposé sur la providence est interrompu après les mots non intellegat ea quae et ferant aliquid, sans doute une glose (voir Annexe 2).

116.

Le premier point, exposé du paragraphe 76 au paragraphe 80, récapitule les arguments en faveur de la supériorité des dieux (proposés en 2, 16-22) d’où l’on tire que le monde est gouverné par leur providence.

117.

Sur ce deuxième point de la démonstration, voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 73-86a / § 156b-162 ».

118.

La distinction entre le principe minimal de cohésion dans le règne minéral (hexis) et la nature (phusis) remonte sans doute à Cléanthe (Sext. Math., 9, 88-91).

119.

Sur le rôle de l’air dans l’audition, voir DL, 7, 158.

120.

Sur le cycle de transformations successives des éléments qui assure l’ordre, la diakosmèsis, voir DL, 7, 136-137.

121.

Balbus fait allusion à deux positions sur la durée du monde ainsi formé : ou bien il se résorbe à la fin du cycle de transformation des éléments en feu (ekpurôsis) pour être à nouveau ordonné par un cycle identique (SVF, vol. II, 596 ; 605), ou bien il se maintient éternellement. La deuxième position est celle de Panétius (voir 2, 118 et note 39) qui doutait de la possibilité de l’ekpurôsis.

122.

Sur le texte lacunaire transmis par toute la tradition, voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 73-86a / § 156b-162 ».

123.

L’idée est développée par Aristote dans Politica, 1256b 15-20.

124.

Sur cet aspect de la définition stoïcienne de la providence, voir les témoignages rassemblés dans SVF, vol. II, 1152-1164 et Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 73-86a / § 156b-162 ».

125.

La distinction entre les oiseaux qui chantent (oscines) et les oiseaux qui volent (alites) correspond à deux types de présages donnés par le chant et le vol (Diu., 1, 120).

126.

Sur la chasse comme entraînement à la discipline militaire, voir Xénophon, Cyropaedia, 1, 2, 10 et Cynegeticus, 1, 18, 12.

127.

Les critiques adressées à la divination par les néo-académiciens sont amplement développées par Cicéron en Diu., 2 (voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 162-168 ») ; pour la critique qu’en font les épicuriens, voir 1, 18 et 1, 55.

128.

L’emploi du verbe consulere indique que Balbus aborde ici la quatrième partie de son exposé, tel qu’il est annoncé en 2, 3, ou rappelle qu’il traite ce point : consulere eos (= deos) rebus humanis (voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 162-168 »).

129.

Sur tous ces modes de divination, voir le classement proposé en Diu., 1, 11-12 entre la divination qui procède d’une technique et celle qui vient de la nature.

130.

Sur ce type de raisonnement, qui procède par accumulation ou diminution successive, appelé le sorite, voir 3, 43 et Introduction, « La réfutation de Cotta au livre 3 ».

131.

Sur la conception de l’orbe terrestre comme une île entourée par l’Océan, voir Rep., 6, 21 (qui s’inspire de Tim., 24c) et Strabon (qui attribue l’idée à Posidonius), 2, 3, 5.

132.

Allusion aux hauts faits accomplis, pendant la guerre contre Pyrrhus (282-275), par M. Curius Dentatus (consul en 275), par C. Fabricius Luscinus (consul en 282 et 278) et Tibérius Coruncanius (consul en 280).

133.

Pendant la première guerre punique (264-241), Atilius Calatinus (consul en 258 et 254) combattit avec succès en Sicile ; Gaius Duillius (consul en 260) fut le premier à célébrer à Rome un triomphe naval après sa victoire sur les Carthaginois à Mylae (Sicile) ; Lucius Caecilius Metellus (consul en 251) remporta une grande victoire à Panorme (Palerme) en juin 250 ; C. Lutatius Catulus (consul en 242) mit un terme à la guerre par une victoire (mars 241) au large des îles Aegates.

134.

Pendant la seconde guerre punique (218-201), Q. Fabius Maximus (le « temporisateur »), dictateur en 217, tenta de bloquer Hannibal en Campanie ; M. Claudius Marcellus vainquit Syracuse en 212 ; Publius Cornelius Scipio reçut son surnom d’Africain après sa victoire sur Hannibal à Zama (202).

135.

Après la génération de L. Aemilius Paul(l)us, vainqueur à Pydna (168), de Tibérius Sempronius Gracchus (consul en 177 et en 163), de M. Porcius Caton (« le Censeur »), consul en 195, Balbus évoque deux noms de la génération qui précède la sienne : P. Cornelius Scipio Aemilianus Africanus, consul en 147, qui détruisit Carthage en 146, et son ami C. Laélius (« le sage »), consul en 140, dont Cicéron fait l’interlocuteur principal du De amicitia.

136.

Sur l’aide apportée par Athéna à Ulysse, Diomède, et Achille, voir Ilias (2, 166-181 ; 22, 214-247 ; 23, 770-783) et Odysssea (3, 218-220 ; 13, 299-302).

137.

Balbus répond par anticipation aux objections que développent les académiciens et qui forment la part la mieux connue du débat contre le providentialisme stoïcien (voir Introduction, « La première version et ses limites – Livre 2, § 162-168 »).

~

a.

Le texte retenu ici est celui que transmet la branche x (voir Histoire du texte et Bibliographie – Manuscrits transmettant le De natura deorum) et que confirme le témoignage de Lactance, qui ne cite que la première partie de l’argument de Chrysippe (Lact. Ir., 10, 36-37). Le membre de phrase largitate fundit ea ferarumne an hominum causa gignere uidetur doit être rejeté : on le retrouve une seconde fois au paragraphe 156 et il correspond sans doute à un repère textuel pour indiquer où doit porter la modification à faire à la première version. Le membre de phrase ex sese perfectiores habere naturas quam ea quae ex his efferantur, transmis par toute la tradition, peut sans doute s’expliquer par l’insertion d’une glose dans le texte : l’idée exprimée n’est pas stoïcienne et correspond à un principe fondamental dans la théologie néo-platonicienne dont on trouve une attestation dans les Éléments (7) de Proclus. Cette glose insérée pourrait avoir rempli la fonction de titre : dans le manuscrit F, dont le modèle est un témoin très ancien de la tradition, cette phrase est transcrite dans un module d’écriture plus grand et d’une encre plus épaisse (voir Histoire du texte, note 89 et Annexe 2).

b.

Les quelques divergences textuelles entre les vers transmis par les manuscrits du De natura deorum et ceux de la tradition directe (conservés seulement à partir du vers 230) n’engagent pas le sens (la leçon placée entre parenthèses est celle de la tradition directe) : 2, 111 : paulum (paulo) ; horriferis (horrisonis) ; 2, 112 : leuiter posita et (posita et leuiter) ; 2, 113 : nitens pinnis (nitens pinna) ; 2, 114 : properans (properat) ; Procyon Graio (Graio Procyon).

c.

Je supprime la phrase incomplète (terra uero feta… cum maxuma) qui pourrait être une glose (la forme feta n’est pas utilisée ailleurs par Cicéron) : elle coïncide avec la « suture » de la greffe de la seconde version sur la première (voir Annexe 1) et atteste l’inachèvement de la refonte en cours.