AT II, 196

RESPONSE DE MONSIEUR DESCARTES,
A MONSIEUR MORIN.

LETTRE LIX.

AT II, 197 MONSIEUR,
Les objections que vous avez pris la peine de m’envoyer, sont telles, que ie les aurois recües en bonne part de qui que ce fust ; mais le rang que vous tenez entre les doctes, et la reputation que vos écrits vous ont acquise, me les rend beaucoup plus agreables de vous que d’un autre. Ce que ie croy ne pouvoir mieux vous témoigner, que par le soin que i’auray icy d’y répondre exactement.

Vous commencez par mes suppositions, et vous dites que l’apparence des mouvemens celestes, se tire aussi certainement de la suposition de la stabilité de la terre, que de celle de sa mobilité, ce que i’acorde tres-volontiers ; et i’ay desiré qu’on reçeust de mesme façon, ce que i’ay écrit en la Dioptrique de la nature de la Lumiere, afin que la force des demonstrations Mathematiques, que i’ay tasché d’y mettre, ne dependist d’aucune opinion Physique, comme i’ay assez declaré en la page 3. Et si l’on peut imaginer la Lumiere de quelqu’autre façon, par laquelle on explique toutes celles de ses proprietez que l’experience fait connoistre, on verra que tout ce que i’ay demonstré Clerselier I, 202 des refractions, de la vision, et du reste, en pourra estre tiré tout de mesme que de celle que i’ay proposée.

Vous dites aussi que prouver des effets par une cause, puis prouver cette cause par les mesmes effets, est un cercle AT II, 198 Logique, ce que j’avoüe ; mais ie n’avoüe pas pour cela que c’en soit un, d’expliquer des effets par une cause, puis de la prouver par eux : car il y a grande difference entre prouver et expliquer. A quoy j’adjoute qu’on peut user du mot demonstrer pour signifier l’un et l’autre, au moins si on le prend selon l’usage commun, et non en la signification particuliere que les Philosophes luy donnent. I’adjoute aussi que ce n’est pas un cercle de prouver une cause par plusieurs effets qui sont connus d’ailleurs, puis reciproquement de prouver quelques autres effets par cette cause : Et i’ay compris ces deux sens ensemble en la page 76. par ces mots. Comme les dernieres raisons sont demonstrées par les premieres qui sont leurs causes, ces premieres le sont reciproquement par les dernieres qui sont leurs effets. Où ie ne dois pas pour cela estre accusé d’avoir parlé ambiguëment, à cause que ie me suis expliqué incontinent apres, en disant, Que l’experience rendant la pluspart de ces effets tres certains, les causes dont ie les deduis ne servent pas tant à les prouver qu’à les expliquer, mais que ce sont elles qui sont prouvées par eux. Et ie mets qu’elles ne servent pas tant à les prouver, au lieu de mettre qu’elles n’y servent point du tout ; afin qu’on scache que chacun de ces effets peut aussi estre prouvé par cette cause, en cas qu’il soit mis en doute, et qu’elle ait déja esté prouvée par d’autres effets ; En quoy ie ne voy pas que i’eusse pû user d’autres termes que ie n’ay fait, pour m’expliquer mieux.

Vous dites aussi queles Astronomes font souvent des supositions qui sont cause qu’ils tombent dans de grandes AT II, 199 fautes ; comme lors qu’ils suposent malla paralaxe, l’obliquité de l’ Eclyptique, etc. A quoy ie répons que ces choses Clerselier I, 203 là ne se comprennent iamais entre cette sorte de supositions, ou hypotheses dont i’ay parlé ; Et que ie les ay clairement designées, en disant qu’on en peut tirer des consequences tres-vrayes et tres assurées, encore qu’elles soient fausses ou incertaines. Car la paralaxe, ou l’obliquité de l’Eclyptique, etc. ne peuvent estre suposées comme fausses ou incertaines, mais seulement comme vrayes ; Au lieu que l’Equateur, le Zodiaque, les Epicicles, et autres tels cercles sont ordinairement suposez comme faux, et la mobilité de la terre comme incertaine, et on ne laisse pas pour cela d’en déduire des choses tres-vrayes.

Enfin vous dites qu’il n’y a rien de si aisé, que d’ajuster quelque cause à un effet : Mais encore qu’il y ait veritablement plusieurs effets ausquels il est aysé d’ajuster diverses causes, une à chacun, il n’est pas toutesfois si aysé d’en ajuster une mesme à plusieurs differens, si elle n’est la vraye dont ils procedent ; mesme il y en a souvent qui sont tels, que c’est assez prouver qu’elle est leur vraye cause, que d’en donner une dont ils puissent clairement estre déduits ; et ie pretens que tous ceux dont i’ay parlé sont de ce nombre. Car si l’on considere qu’en tout ce qu’on a fait iusqu’à present en la Physique, on a seulement tasché d’imaginer quelques causes par lesquelles on pûst expliquer les AT I, 200 phainomenes de la Nature, sans toutesfois qu’on ait gueres pû y reüssir ; Puis si on compare les supositions des autres avec les miennes, c’est à dire, toutes leurs qualitez réelles, leurs formes substantielles, leurs élemens, et choses semblables, dont le nombre est presque infiny, avec cela seul, que tous les corps sont composez de quelques parties, qui est une chose qu’on voit à l’œil en plusieurs, et qu’on peut prouver par une infinité de raisons dans les autres (car pour ce que ie mets de plus à scavoir, que les parties de tel ou tel corps sont de telle figure, plutost que d’une autre, il est aisé de le démontrer à ceux qui avoüent qu’ils sont composez de parties.) Et enfin si on compare ce que i’ay déduit de mes supositions, touchant la vision, Clerselier I, 204 le sel, les vens, les nuës, la neige, le tonnerre, l’arc-en-ciel, et choses semblables, avec ce que les autres ont tiré dés leur, touchant les mesmes matieres, j’espere que cela sufira pour persuader à ceux qui ne sont point trop préocupez, que les effets que j’explique n’ont point d’autres causes que celles dont ie les déduits ; bien que ie me reserve à le demonstrer en un autre endroit.

Au reste ie suis marry de ce que vous n’avez choisi pour former des objections que le sujet de la Lumiere ; Car ie me suis expressement abstenu d’en dire mon opinion ; et pource que ie ne veux point icy contrevenir à la resolution que i’ay prise de ne mesler parmy mes réponses, aucune explication des matieres dont ie n’ay pas eu dessein le traitter, ie ne pourray si parfaitement vous satisfaire que i’eusse desiré. Toutesfois, ie vous prie de croire que ie n’ay point tasché de me renfermer et barricader dans des termes obscurs, de AT II, 201 crainte d’estre surpris, comme il semble que vous avez crû, et que si j’ay quelque habitude aux demonstrations des Mathematiques, comme vous me faites l’honneur de m’écrire, il est plus probable, qu’elles doivent m’avoir apris à découvrir la verité, qu’à la déguiser. Mais ce qui m’a empesché de parler de la Lumiere aussi ouvertement que du reste, c’est que ie me suis étudié à ne pas mettre dans ces essais, ce que j’avois desia mis en un autre traitté, où i’ay tasché tres-particulierement de l’expliquer, comme i’ay écrit en la page 42. du discours de la Methode. Il est vray qu’on n’est pas obligé de rien croire de ce que i’ay écrit en cet endroit là ; Mais comme lors qu’on voit des fruits en un païs, où ils n’ont point esté envoyez d’ailleurs, on iuge plutost qu’il y a des plantes qui les y produisent, que non pas qu’ils y croissent d’eux mesmes, ie croy que les veritez particulieres que i’ay traitées en mes essais (au moins si ce sont des veritez) donnent plus d’occasion de iuger que ie dois avoir quelque connoissance des causes generales dont elles dependent, que non pas que i’aye pû sans cela les découvrir ; Et pour Clerselier I, 205 ce qu’il n’y a que les causes generales, qui soient le sujet de cét autre traitté, ie ne pense pas avoir rien avancé de fort incroyable, lors que i’ay écrit que ie l’avois fait.

Quant au mépris qu’on vous a dit que ie faisois de l’école, il ne peut avoir esté imaginé que par des personnes, qui ne connoissent ny mes mœurs, ni mon humeur : Et bien que ie ne me sois gueres servy en mes AT II, 202 essais des termes qui ne sont connus que par les doctes, ce n’est pas à dire que ie les desaprouve, mais seulement que i’ay desiré de me faire entendre aussi par les autres. Puis au bout du comte, ce n’est point à moy à choisir les armes, avec lesquelles on doit m’attaquer, mais seulement à tascher de me deffendre : Et pour ce faire ie répondray icy à chacun de vos articles separement.

OBIECTION 1. Donc, en la page 159. etc.

RESP. 1. Le mesme que i’ay mis touchant la Lumiere en cette page 159. est encore plus clairement en la page 6. ligne 27. et ne me semble rien contenir qui soit obscur, ou ambigu.

2. En la page 4. etc.

RESP. En ce que i’ay dit icy que la Lumiere passe vers nos yeux par l’entremise de l’air, ou des autres corps transparens, on doit entendre par ces corps, ce que ie nomme bien-tost apres la matiere subtile qui est dans leurs pores.

Ainsi que lors qu’on dit que quelqu’un se moüille les cheveux d’une éponge, ou qu’il se lave avec une serviette, on entend parler de la liqueur dont a esté moüillée cette serviette, ou cette éponge, et non de leur propre matiere, ou forme, ou substance. En quoy toutesfois on ne peut pas m’acuser d’avoir parlé improprement ; Car outre que i’ay dit en la page 199. que tout corps invisible et impalpable se nomme air (à sçavoir en sa plus ample signification) il faut remarquer que le passage que vous citez est tout au commencement du livre, page 4. en un lieu ou ie n’avois encore eu aucune occasion de nommer la matiere subtile, ny aucun besoin de la distinguer de l’air, et des AT II, 203 autres corps transparens qui la contiennent, et qui en effet ne Clerselier I, 206 sont transparens, qu’à cause qu’ils la contiennent. Et dans le mesme discours, avant que de parler d’aucune autre chose, i’ay expressement averty, page 6. qu’il y avoit grande difference entre le baston d’un aveugle et l’air, ou les autres corps transparens, par l’entremise desquels nous voyons ; et qu’en suite, en la mesme page 6. ligne 26. j’ay expliqué ce que j’entendois par la matiere subtile.

3. Mais en la page 23. vous dites, etc.

RESP. Ce troisiéme article ne contient rien qui ne s’acorde parfaitement avec le premier, et que ie n’aye aussi expliqué dés la page 6. et repeté en plusieurs autres endroits ; Ce qui me donne sujet de remarquer que vous avez mis le passage de la page 4. entre deux autres, qui en sont eloignez, bien qu’ils ne contiennent rien qui ne soit aussi tout proche en la page 6. Comme pour faire croire que ie ne me suis pas souvenu en un lieu, de ce que i’avois écrit en l’autre ; Ce qui ne seroit pas de bonne guerre.

4. Page 122. vous dites, etc.

RESP. Icy vous m’objectez deux choses. La premiere, que si la Lumiere n’est qu’une action ou inclination à se mouvoir, elle n’est donc pas un mouvement ; Mais ie voudrois vous prier de m’aprendre en quel endroit j’ay dit qu’elle fust un mouvement, sans y adjouter au mesme lieu ou une action. Car ie ne croy pas qu’il s’en trouve aucun en mes écrits, principalement quand i’ay parlé de la Lumiere qui est dans les corps transparens, à laquelle les Philosophes attribuent le nom de Lumen en latin, pour la distinguer de celle qui est dans les corps AT II, 204 lumineux, laquelle ils nomment Lucem. Or d’avoir dit generalement en plusieurs endroits qu’elle est un mouvement ou une action, et en un autre d’avoir dit qu’elle n’est qu’une action, ce ne sont point deux choses qui se contredisent. Outre qu’il faut remarquer que la signification du mot action est generale, et comprend non seulement la puissance, ou l’inclination à se mouvoir, mais aussi le mouvement mesme. Comme lors qu’on dit de quelqu’un qu’il est tousiours en action, cela Clerselier I, 207 veut dire qu’il se remüe tousiours : Et c’est ainsi que ie le prens en cét endroit là, où il n’y a point pour cela d’ambiguité ; car i’y avertis qu’il se faut souvenir de la façon dont i’ay auparavant expliqué la Lumiere ; Ce qui monstre assez que par les mots dont ie me sers, ie veux entendre le mesme, que par ceux que i’ay mis aux autres lieux. La seconde chose que vous m’objectez icy, à sçavoir, que si l’action est de la matiere subtile, elle n’est donc pas des cors lumineux, n’est fondée que sur un équivoque, touchant le mot de Lumiere. Car j’avouë bien que l’action de la matiere subtile, qui est lumen, n’est pas celle des cors lumineux, qui est lux, mais ie n’avouë pas pour cela que j’aye parlé ambiguëment ; car i’ay partout tres soigneusement distingué l’une de l’autre.

5. Voire mesme, page 256. etc.

RESP. Icy vous retrecissez merveilleusement la signification du mot Comme, afin de me faire trouver court d’un point, et vous voulez qu’il ne serve qu’à ioindre les termes d’une comparaison, qui est entre des choses differentes. Mais si cela estoit vray, lors qu’on dit qu’un tel a fait cela comme sçavant, ce seroit à dire AT II, 205 qu’il n’est pas sçavant ; et quand on dit qu’il tient tel rang dans les Estats, non comme Conte d’un tel lieu, mais comme Baron d’un tel, ce seroit à dire qu’il n’est ny Conte ny Baron. Et ie ne sçache en nostre langue aucun mot que celuy de Comme, dont i’eusse pû user en l’endroit que vous citez, page 256. pour signifier l’identité, ou pour joindre prædicatum cum subjecto, (i’use icy librement des termes de l’Ecole, afin que vous ne iugiez pas que ie les méprise) mais vous n’avez pas cité tout le passage, qui est tel ; Et concevant la nature de la Lumiere telle que ie l’ay décrite en la Dioptrique, à sçavoir, comme l’action ou le mouvement, etc. Ce qui signifie en bon françois, ce me semble, qu’il faut concevoir que la Lumire est l’action ou le mouvement, et non quasi l’action, etc.

6. Page 50. de la Dioptrique, parlant, etc.

RESP. La Lumiere, c’est à dire lux, est un mouvement Clerselier I, 208 ou une action dans le corps lumineux, et elle tend à causer quelque mouvement dans les corps transparens, à sçavoir, lumen : Donc lux est premiere que lumen, concedo totum. Mais quand vous adjoutez, et par consequent la Lumiere ne sera pas le mouvement, encore que ie ne die point absolument qu’elle est le mouvement, toutesfois nego consequentiam ; Car un mouvement peut bien estre causé par un autre, et il n’y a rien de plus ordinaire en la nature.

7. Finalement, page 5. etc.

RESP. I’admire que vous alleguiez les pages 4. et 5. afin de prouver que le mouvement des corps lumineux ne peut passer iusqu’à nos yeux, qu’il n’y passe quelque chose de materiel qui sorte de ces corps. Car ie ne fais AT II, 206 en ces deux pages qu’expliquer la comparaison d’un aveugle, laquelle i’ay principalement aportée pour faire voir en quelle sorte le mouvement peut passer sans le mobile ; Et ie ne croy pas que vous pensiez, lors que cét aveugle touche son chien de son baston, qu’il faille que ce chien passe tout le long du baston iusques’à sa main, afin qu’il en sente les mouvemens. Mais afin que ie vous réponde in formâ, quand vous dites que le mouvement n’est iamais sans le mobile, distinguo ; Car il ne peut veritablement estre sans quelque cors ; mais il peut bien estre transmis d’un corps en un autre, et ainsi passer des corps lumineux vers nos yeux, par l’entremise d’un tiers, à sçavoir, comme ie dis en la page 4. par l’entremise de l’air et des autres corps transparens, ou comme i’explique plus distinctement en la page 6. par l’entremise d’une matiere fort subtile, qui remplit les pores de ces corps, et s’étend sans interruption depuis les Astres iusques à nous. Au reste, i’ay icy à vous avertir, que vous m’attribuez souvent des opinions, ausquelles ie n’ai iamais pensé, comme, lors que vous dites que les couleurs et la Lumiere ne sont selon moy qu’une mesme nature, et que le mobile, qui est dans les corps lumineux, n’est autre selon moy que la matiere subtile ; Et par cy et par là en d’autres endroits, que ie laisse couler sans rien dire, Clerselier I, 209 afin de ne vous pas interrompre.

8. Apres avoir cy-dessus, etc.

RESP. On peut icy remarquer que ie n’ay commencé à parler des parties rondes de la matiere subtile, que sur la fin des Meteores, à l’occasion des couleurs de AT II, 207 l’arc en-ciel ; car n’ayant pas eu dessein en ces essais d’expliquer la nature de cette matiere subtile, ie n’en ay rien dit de particulier, qu’à mesure que i’y ay esté contraint, pour faire entendre ce qui estoit de mon sujet.

9. Mais page 159. etc.

RESP. Icy vous prouvez fort bien que les parties rondes de la matiere subtile ne peuvent remplir exactement tous les pores des corps terrestres, ce que i’avoüe ; mais si vous inferez de là que ce qu’elles ne remplissent pas soit donc vuide, vous me permettrez, s’il vous plaist, de dire en termes d’école, nego consequentiam ; car ils peuvent bien estre remplis de quelqu’autre chose que ie n’ay pas icy pour cela besoin d’expliquer.

10. En la page 38. de la Diopt. etc.

RESP. Icy tout de mesme, de ce que ie dis en divers lieux que les cors lumineux meuvent ou poussent la matiere subtile, vous inferez que ie donne clairement à entendre qu’elle n’a de soy aucun mouvement ; A quoy ie répons en un mot, nego consequentiam ; Car chaque cors peut avoir divers mouvemens, et estre poussé par une infinité de diverses forces en mesme temps ; En prenant toutesfois le mot d’infinité, sincategorematice, afin qu’on n’ait rien en l’école à y reprendre.

11. Mais en la mesme page 160. etc.

RESP. I’avoüe bien que cette matiere subtile se peut mouvoir çà et là sans les cors lumineux ; mais il ne suit pas de là qu’elle ait sans eux le mouvement ou l’action qui est requise pour nous donner le sentiment AT II, 208 de la Lumiere ; car de cela seul que quelque cors luy donne ce mouvement, ou cette action, il est Lumineux.

12. En la page 272. etc.

Clerselier I, 210

RESP. Vous dites que si cette matiere, outre le mouvement rectiligne, se meut de sa nature seulement en rond, etc. où le mot seulement est de trop, aussi n’est-il que de vous seul, car ie ne le mets en aucun lieu ; et lors qu’il est osté, tout le reste est clair : Car encore que les parties de la matiere subtile se meuvent en rond, et en ligne droite, cela n’empesche pas qu’elles ne puissent aussi se mouvoir en d’autres façons.

13. Mais en la page 257. vous dites, etc.

RESP. En l’endroit que vous citez icy, ie ne parle nullement des parties de la matiere subtile, mais de quelques boules de bois, ou autre matiere visible, qui sont poussées vers de l’eau ; comme il paroist évidemment, de ce que ie les fais tournoyer tout au rebours des parties de la matiere subtile, et compare le tournoyement qu’elles acquerrent en sortant de l’air, et entrant dans l’eau, à celuy que ces parties de la matiere subtile acquerrent en sortant de l’eau ou du verre, et entrant dans l’air. Et ie n’ay point dû attribuer à ces boules d’autres mouvemens que ceux qui servoient à mon sujet, ny n’ay pour cela donné à entendre que la matiere subtile n’en eust point d’autres.

Or Monsieur iugez, etc.

RESP. Or ie vous assure, Monsieur, que i’admire que vous ayez pû imaginer quelque apparence de contradiction dans les passages que vous avez alleguez ; et AT II, 209 bien que ie n’aye pas eu fort grande peine à y répondre, ie ne laisse pas d’accepter la chaire que vous m’offrez en cét endroit, quia forte plus sapio sedens ; et afin que ie puisse écouter vos autres objections plus à mon aise.

1. I’attaquerois volontiers, etc.

RESP. Ie croy m’estre desia cy-devant assez purgé de l’inconstance dont vous m’accusez. Et pour vostre argument ie n’en comprens ny la matiere ny la forme : Car pour la matiere vous le fondez sur une definition de la Lumiere que vous suposez que i’ay donnée, bien qu’il soit tres-vray, que ie n’ay eu intention d’en donner aucune, Clerselier I, 211 comme i’ay assez témoigné dés la page 3. et vous l’avez aussi assez reconnu. Puis pour la forme, vous le commencez par une consequence, en disant, puisque le Soleil est premier que ce mouvement duquel il est la cause efficiente, où ie ne voy point d’antecedent ; Car si la Lumiere, c’est à dire, lux, est l’action où le mouvement dont le soleil pousse la matiere subtile qui l’environne, comme vous voulez avec moy suposer, il ne suit pas de là qu’il soit premier que cette action, ny qu’il en soit la cause efficiente, et l’on peut dire qu’elle est en luy de sa nature. Où si vous voulez qu’il soit premier qu’elle, ce sera seulement en mesme façon que l’homme est premier que sa raison, en tant qu’il doit estre ou exister avant qu’il puisse en user. Et ainsi vostre seconde consequence qui est que le Soleil de sa nature n’aura donc point de Lumiere, ou que sa Lumiere n’est pas comprise en ma définition, et qu’elle est premiere que celle que ie definis, me semble estre de mesme nature, que si de ce qu’on auroit dit que AT II, 210 l’homme par sa raison découvre beaucoup de veritez, vous inferiez qu’il n’a donc point de raison de sa nature, ou que sa raison n’est pas comprise en cette definition, etc. Mais pour nous accorder, ie veux bien vous dire que ie n’ay ny definy, ny mesme parlé en aucune façon de ce ie ne sçay quoy que vous nommez peut-estre du nom de Lumiere, et que vous suposez estre dans le Soleil outre son mouvement ou son action : Car pouvant demonstrer par cette action tous les phainomenes de la nature touchant la Lumiere, ie n’ay pas besoin d’y rien considerer davantage : Et ie ne veux point aussi m’amuser à refuter ce que les autres y suposent de plus, suivant ce que i’ay dit à la fin du premier discours des Meteores. Quant à ce que vous adjoutez d’un estre relatif, d’un estre potentiel, et d’un acte ou forme absoluë ; ie sçay bien qu’on me dira dans l’école que la Lumiere est un estre plus réel que l’action ou le mouvement, mais ie meriterois d’estre envoyé à l’école, comme ceux qui faillent en joüant au triquetrac, si j’avoüois Clerselier I, 212 qu’on púst le prouver.

2. De plus il ne suffit pas, etc.

RESP. Il faut dites vous, Que la matiere subtile soit müe par les corps lumineux, entant que Lumineux, c’est à dire, selon moy, entant qu’ils ont en eux quelque action ou mouvement. D’où s’ensuit, etc. Nego consequentiam, tout de mesme qu’en l’article precedent.

3. Le Soleil et une étincelle, etc.

RESP. Afin que ie renverse mieux tout ce qui est en cét article, ie commenceray à y répondre par la fin, où vous dites, Donc le mouvement de la matiere subtile, c’est à dire, Lumen quod est in aëre, n’est pas la Lumiere des AT II, 211 corps lumineux, c’est à dire, non est lux quæ est in Sole, grande merveille ; Et vous dites un peu plus haut, il faut de necessité que la Lumiere soit devant le mouvement, etc. à sçavoir, lux ante Lumen cuius est causa, et qui en doute. Pour ce qui precede, à sçavoir, que la matiere subtile n’est pas dure, ny semblable à un baston, c’est le mesme que ce que i’ay mis en la page 6. citée cy-dessus, ou en suite, par la comparaison du vin qui est dans une cuve, monstrant que les plus hautes parties de ce vin pressent, et par consequent aident à mouvoir celles qui sortent par le trou qui est au bas, au mesme instant qu’il est ouvert ; i’ay expliqué comment la matiere la plus prochaine du cors lumineux estant muë peut faire mouvoir la plus éloignée au mesme instant ; Et en adjoutant que les grapes qui sont en cette cuve peuvent cependant estre agitées en plusieurs diverses façons par ceux qui les foulent, j’ay satisfait à ce que vous dites des vens un peu devant. Et enfin pource que vous dites au commencement qu’aucun bon jugement n’admettra iamais qu’une étincelle ait la force de faire mouvoir localement, et selon moy en ligne droite (ce qui n’est pas pourtant du tout selon moy, page 8. lig. 2.) toute la matiere subtile contenuë en un globe d’air de 50. lieües de demy diametre, ie prétens de vous le faire admettre à vous mesme, si vous prenez comme moy çette matière subtile pour une liqueur tres-fluide.

Clerselier I, 213

Car sans aller plus loin, encore que la cuve dont nous venons de parler, auroit cent lieües de hauteur, chaque goute de vin qui seroit au haut, n’augmenteroit-elle pas la vitesse de celuy qui s’écouleroit par les trous qui sont au bas. Et afin que vous ne disiez AT II, 212 pas qu’il est plus aisé d’augmenter le mouvement d’un corps qui se meut, que d’en remuer un qui se repose, imaginez un tuyau replié, comme ABC, qui s’étende, si vous voulez, depuis icy iusques au centre de la terre, et de là remonte iusques icy, et qui soit presque plein d’eau des deux costez, et que pendant que cette eau est aussi calme et aussi peu agitée qu’elle peut estre, on verse une goutte d’autre eau dans celuy de ses costez qui est marqué A : Car ie ne croy pas que vous fassiez difficulté d’acorder que la pesanteur de cette goute sera suffisante pour faire hausser toute l’eau qui est vers C, et par consequent aussi pour mouvoir toute celle qui est dans le tuyau ABC. Et en suite vous ne pourrez nier qu’une étincelle de feu ne soit capable de mouvoir la matiere subtile qui est contenuë en un tres-grand espace, pourvû que vous remarquiez que l’action du feu est incomparablement plus forte que celle de la pesanteur, et que la matiere subtile estant contenuë dans les pores de l’eau, et mesme aussi en ceux de l’air, doit estre incomparablement plus fluide que luy ny elle. Car vous ne voudrez pas rejetter les regles des Mechaniques, et de la vraye Physique, pour alleguer icy que toute la matiere a de soy resistance au mouvement local, qui n’est qu’une maxime fondée sur la préoccupation de nos sens ; et qui vient de ce que n’ayant essayé dés nostre enfance à remuer que des corps qui estoient durs et pesans, et y ayant tous AT II, 213 iours rencontré de la difficulté, nous nous sommes deslors Clerselier I, 214 persuadez, que cette difficulté procedoit de la matiere, et par consequent estoit commune à tous les corps ; Cela nous ayant esté plus aysé à suposer qu’à prendre garde que ce n’estoit rien que la pesanteur des corps que nous taschions de remüer, qui nous empeschoit de les lever, et leur dureté avec l’inegalité de leurs parties, qui nous empeschoit de les traisner. Et ainsi qu’il ne suit pas de là, que le mesme doive arriver, touchant les corps qui n’ont ny dureté ny pesanteur. Or la pluspart des opinions tant du peuple, que de la mauvaise Philosophie, sont nées de cette sorte ; Mais quelque aparence qu’elles ayent, et quoy que plusieurs y aplaudissent, les personnes de bon jugement ne doivent iamais s’y arrester.

4. Suposant le mouvement, etc.

RESP. Ie ne voy en tout cét article sinon que Lumen non est lux, ou bien que l’action, qui nous fait avoir le sentiment de la Lumiere n’est pas cette qualité réelle que vous apelez du nom de Lumiere, et que vous suposez estre dans les corps lumineux autre que le mouvement qui cause cette action. Et ie l’acorde.

5. Mais qu’est-ce que cette matiere subtile, etc.

RESP. Ie ne trouve rien icy qu’un équivoque du mot Transparent, qui s’attribuë en un sens à l’air, au verre, et aux autres tels corps, entant qu’ils ont des pores, etc. et à la matiere subtile entant qu’elle est dans ces pores. Car pour ce que vous dites, que vû le bel ordre qui est en la nature, cette matiere subtile doit avoir quelque sphere au dessus des autres corps, et ainsi n’estre point dans leurs pores ; il m’est aysé de AT II, 214 répondre que ce bel ordre monstre aussi, qu’y ayant des pores dans les corps terrestres, ils doivent estre remplis de quelque matiere plus subtile, comme on voit qu’encore que l’eau se place naturellement au dessus de la terre, elle ne laisse pas pour cela de se placer aussi au dessous en tous ses pores ; Et ie ne dis en aucun lieu que la matiere subtile n’occupe point de sphere plus haute que elle de l’air : Car au contraire ie la fais étendre depuis les Clerselier I, 215 Astres iusques à nous.

6. De plus quel mouvement, etc.

RESP. Vous imaginez tousiours des contrarietez ou il n’y en a point ; et i’ay assez fait entendre en plusieurs endroits, que la matiere subtile peut estre agitée en toutes façons ; mais qu’il n’y a que la seule façon de se mouvoir, ou de tendre à se mouvoir, qu’elle reçoit des cors lumineux, et qu’elle transmet de tous costez en ligne droite, depuis ces cors iusques aux objets qui en sont illuminez, qui nous donne le sentiment de la Lumiere ; et que pour l’action ou l’inclination au mouvement circulaire, qui est en ces parties, elle cause le sentiment des couleurs. Quant à ce que vous citez du nombre 13. que la boule commence seulement à tournoyer rencontrant la superficie de l’eau ; ie répons que ce mot seulement ne se peut raporter à aucun endroit de mes écrits, sinon à celuy de la page 257. où ie n’ay point entendu parler des parties de la matiere subtile. Puis, à ce que vous dites, que donnant à cette matiere le mouvement rectiligne de l’air en l’eau, il faudroit aussi luy donner en l’air de plus haut, et ainsi à l’infiny, ou bien conceder AT II, 215 qu’elle sort des corps lumineux ; ie répons que son action ne doit point venir de plus haut à l’infiny, et qu’elle commence aux corps lumineux, desquels toutesfois cette matiere ne sort non plus, que le baston d’un aveugle sort des objets dont il luy fait avoir le sentiment. Et tout ce que vous disputez en suite fait pour moy, excepté seulement ce que vous semblez vouloir dire à la fin, que si la Lumiere est un mouvement, elle ne se peut donc transmettre en un instant ; A quoy ie répons que bien qu’il soit certain qu’aucun mouvement ne se peut faire en un instant, on peut dire toutesfois qu’il se transmet en un instant, lors que chacune de ses parties est aussi-tost en un lieu qu’en l’autre, comme lors que les deux bouts d’un baston se meuvent ensemble.

Ie serois trop long si, etc.

7. Page 122. de la Dioptrique, etc.

Clerselier I, 216

RESP. Ce que vous objectez icy a grande apparence de verité, pour ceux qui ne regardent qu’autour d’eux, et qui n’étendent iamais leur pensée par l’univers ; Car il semble à tels esprits, que les vens, la foudre et les canons, causent les plus impetueux mouvemens qui puissent estre. Mais pour vous, qui estant tres-sçavant en Astronomie, estes acoustumé à considerer l’extreme rapidité des corps celestes, et qui l’estant aussi aux Méchaniques, comprendrez aisément les raisons qui en dépendent, vous ne pouvez ce me semble trouver étrange, qu’apres avoir dit que la matiere subtile s’étend sans interruption depuis les astres iusques à nous (comme il faut de necessité qu’elle fasse, pour AT II, 216 transferer l’action de la Lumiere) et avec cela qu’elle est tres-fluide, et composée de parties tres-petites, i’adjoute que la vitesse dont elle se meut en quelque façon proportionnée à celle des cieux, et par consequent beaucoup plus grande que celle des vens. Outre que vous pouvez avoir assez reconnu par mes Meteores, que selon moy, c’est principalement l’agitation de cette matiere subtile, qui cause et entretient l’agitation que i’ay attribuée aux parties tant de l’air, que de l’eau, et de toutes les autres liqueurs. Car il suit de là tres clairement, que tant s’en faut que les pores des cors liquides doivent estre moins droits et unis que les autres, au contraire ces corps ne peuvent estre entierement liquides, si leurs pores ne donnent libre passage de tous costez à la matiere subtile : Comme nous voyons aussi par experience que toutes, ou du moins presque toutes les liqueurs qui sont pures sont transparentes : Et mesme qu’il n’y a gueres de corps durs qui soient transparens, sinon à cause qu’ayant esté liquides auparavant, leurs parties retiennent encore la situation que la matiere subtile leur a donnée. Puis, pour ce qui est des vens, outre que leur mouvement est beaucoup plus lent que celuy par lequel la matiere subtile rend droits et unis tous les pores des corps liquides, ils n’agitent quasi point chacune des parties de l’air separement de ses voisines, ainsi Clerselier I, 217 que fait la matiere subtile, mais seulement tout son cors ensemble ; D’où vient que nous pouvons beaucoup mieux le sentir, que celuy de cette matiere, auquel neantmoins il ne peut preiudicier. Et pour ce que vous demandez à la fin, si sa force dont une etincelle de feu, ou AT II, 217 un ver luisant, doit selon moy pousser de nuit la matiere subtile vers nos yeux, pour nous faire sentir la Lumiere, ne peut estre empeschée par celle du vent, lors qu’il soufle fort impetueusement à l’encontre, c’est quasi le mesme que si en la cuve dont nous avons parlé cy-dessus, on suppose que les grapes qui sont parmy le vin estant attachées à des filets, ou envelopées dans un rets, soient tirées de bas en haut fort promptement, et qu’on demande si le mouvement de ces grapes, estant tout contraire à celuy dont le vin tend à descendre, ne l’empesche point. A quoy ie répons, que si le mouvement avec lequel on les tire en haut, est plus lent que celuy dont les parties du vin tendent à descendre, il n’empeschera point que ce vin ne coule par les trous qui sont au dessous de la cuve ; Et qu’encore mesme qu’il fust beaucoup plus prompt et plus fort, si on supose que ces trous soient bouchez en sorte qu’il ne puisse rien du tout succeder que du vin en la place que laissent ces grapes, ainsi qu’il ne peut rien succeder que de la matiere subtile en la place des parties de l’air dont le vent est composé, on peut par les regles des méchaniques démonstrer que ce vin ne pressera pas moins le fond de la cuve, que si ces grapes estoient sans aucune agitation ; Et tout de mesme, il est tres certain, au moins selon moy, que l’agitation d’aucun vent ne peut empescher l’action de la Lumiere ; Excepté seulement entant que cette agitation peut devenir si violente qu’elle enflamme l’air, auquel cas la Lumiere qu’elle cause peut effacer celle d’une étincelle de feu, si tant est qu’elle soit beaucoup plus forte.

8. Finalement, si selon la page 122. etc.

AT II, 218

RESP. La cause qui empesche que le verre estant fort épais, ne soit aussi transparent que le mesme estant moins Clerselier I, 218 épais, n’est autre, sinon qu’il contient tousiours beaucoup d’impuretez, de nuages, et de petites bulles ou boüillons, qui estans en plus grande quantité dans une grande épaisseur, que dans une moindre, en empesche davantage la transparence. Et qu’ainsi ne soit, il y a des lacs et des endroits de la mer, ou l’eau est si claire estant calme, qu’on peut voir distinctement ce qui est au fonds, encore qu’elle ait deux ou trois piques de profondeur ; et en cette eau toutesfois, si on l’examine, on trouvera tousiours quelque chose d’impur.

Mais celle de vos objections, qui est à mon advis la principale, et que vous aurez peut estre à ce sujet voulu reserver pour la fin, consiste en ce que si les pores des corps transparens doivent estre droits, il ne semble pas qu’ils puissent donner passage à la matiere subtile en tous sens, à cause qu’il est impossible qu’il se trouve en tous sens des pores droits dans un corps solide. Toutesfois, pourvû qu’on ne prenne point le mot de droit plus à la rigueur que i’ay témoigné que ie le prenois, comme on peut voir en la page 8. ligne 2. et mesme aussi en l’endroit que vous citez page 122. où ie ne dis pas que ces pores doivent estre parfaitement droits, mais seulement autant qu’il est requis pour faire que la matiere subtile coule tout du long sans rien trouver qui l’arreste, ie croy le pouvoir assez éclaircir par une seule comparaison. Enfermez des pommes ou des bales dans un rets, et les y pressez en telle sorte, que se tenant AT II, 219 jointes les unes aux autres, elles semblent composer un cors dur, puis versez sur ce corps du sable fort menu, tel que celuy dont on fait des horloges, et vous verrez qu’en quelque façon qu’on le mette, ce sable passera tousiours tout au travers, sans rien rencontrer qui l’en empesche. Il est vray que les parties de tous les cors durs ne sont pas rondes comme des pommes, mais on les peut imaginer d’une infinité d’autres figures, sans que cela empesche qu’elles donnent aussi libre passage aux parties de la matiere subtile, que ces pommes le donnent aux parties de ce sable.

Clerselier I, 219

9. Si les cors lumineux, etc.

RESP. La coutume qu’on a de remarquer que lors qu’un cors dur se meut vers quelque costé, il ne peut pas au mesme temps se mouvoir aussi vers un autre, est cause qu’on a un peu de peine à concevoir, en quelle façon les parties des cors liquides reçoivent plusieurs actions, et transmettent plusieurs mouvemens contraires en mesme tems. Mais il est neantmoins certain qu’elles le font ; et il n’est pas mal-aisé de l’éprouver par le moyen de trois, ou plusieurs tuyaux, comme AC, BD, FG, que ie supose de mesme largeur, et qui se croisent en telle sorte, que l’espace du milieu E sert à tous trois, sans toutesfois estre plus grand que s’il ne servoit qu’à un seul : Car si on soufle par leurs trois bouts, A, B, et F, l’air qui sera dans ce milieu E, sera poussé en mesme tems vers C, vers D, et vers G. Non pas qu’il soit besoin pour cela, ny aussi qu’il AT II, 220 soit possible que chacune de ses parties se meuve en mesme tems vers ces trois costez ; Mais il suffit que quelques-unes se meuvent vers C, et d’autres vers D, et d’autres vers F, et qu’elles se meuvent trois fois aussi viste que celles qui remplissent les autres endroits de ces tuyaux ; Ce qu’on peut bien croire qu’elles font, vû qu’elles sont poussées trois fois aussi fort. Et il est aisé, appliquant cecy à la matiere subtile, d’entendre comment elle transmet en mesme temps les diverses actions de divers cors lumineux, vers divers costez.

Ie pourrois vous proposer, etc.

RESP. Au reste, Monsieur, il m’est plus difficile de répondre à vostre conclusion qu’à tout le reste ; Car ie ne pretens nullement meriter les honnestes paroles dont vous y usez, et ie n’aurois neantmoins pas de grace à les refuter. C’est pourquoy ie puis seulement dire que ie plains avec vous l’erreur de la fortune, en ce qu’elle ne reconnoist pas assez vostre merite. Mais pour mon particulier, Clerselier I, 220 graces à Dieu, elle ne m’a encore iamais fait ny bien ny mal ; et ie ne sçay pas mesme pour l’avenir, si ie dois plutost desirer ses faveurs, que les craindre ; Car ne me semblant pas estre honneste de rien emprunter de personne, qu’on ne puisse rendre avec usure ; ce me seroit une grande charge, que de me sentir redevable au public. Et enfin pour les esprits malins dont vous parlez, ie croy qu’il y en a eu autant ou plus aux autres siecles qu’en cetuy-cy, et les comparant aux mouches ou aux oyseaux qui ne choisissent que les meilleurs fruits pour les piquoter, ie suis dautant plus satisfait de mes essais, que ie les AT II, 221 voy estre plus attaquez par eux. Mais ie ne laisse pas d’avoir beaucoup à vous remercier de l’heur que vous me souhaittez, comme aussi de la peine que vous avez prise de m’écrire ; et ie suis, etc.