chapitre 1

capitulum I

Le premier chapitre chante la Normandie, région de Francie. Sous la conduite de Rollon, la Norvège envoie des pirates en mer.

... Primum insonat quae pars est Franciae Normannia. Rodlo duce dat piratas per mare Norveïa.

<1> La Normandie1Si le syntagme terra Normannorum apparaît dès le Xe siècle chez Flodoard et Richer, c’est Dudon de Saint-Quentin qui utilise le premier le nom Normannia (Northmannica regio, Northmannia, etc.) pour désigner la principauté de Rouen de préférence à Neustria. Le terme apparaît en 1015 dans la titulature ducale ; voir Bauduin 2004, 75-76, et Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066, M. Fauroux (éd.), Caen, Société des antiquaires de Normandie, 1961, p. 95, nº 15. Le terme a servi aussi à désigner le pays des Scandinaves, eux-mêmes appelés Normanni, et parfois la Norvège (voir Adam de Brême, Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, IV, 31). De manière générale, sur la Normandie avant et pendant les invasions scandinaves, voir Deniaux et al. 2002. est un pays de la Gaule. Elle ne s’est pas toujours appelée la Normandie : faisant partie autrefois du domaine public des rois francs, elle portait le nom général de Francie2Francia (voir aussi I, sommaire, 1) désigne sans doute le territoire compris entre Loire et Meuse, voire entre Loire et Seine, conformément à son emploi le plus fréquent dans les sources de Francie occidentale. À propos de Francia, Gallia, rex Francorum, voir Brühl 1994, 67-93, « La terminologie géographique et politique dans les sources du IXe au XIIe siècle »., avec l’ensemble dont elle était une partie ; cela jusqu’au jour où Rollon, un chef3Pour la traduction de dux, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 40-41. d’une rare vaillance, pirate de Dacie ou de Norvège4Concernant le pays d’origine de Rollon, Malaterra marque une hésitation qui, si l’on accepte la leçon de Z, est exprimée pour la première fois. Dudon de Saint-Quentin (De moribus et actis primorum Normanniae ducum, J. Lair (éd.), Caen, F. Le Blanc-Hardel (Mémoires de la société des antiquaires de Normandie ; XXIII), 1865, livre II, chap. 2, p. 141), puis Guillaume de Jumièges (Interp. GG, I, 3(4) = GND 1, 16) lui donnent, ainsi qu’à ses compagnons, une origine danoise / dace (Dacia). Adam de Brême (Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, IV, 31, scholie 143) les fait venir de Norvège. Peut-être « l’île de Nora » désigne-t-elle aussi la Norvège chez Aimé du Mont-Cassin (Aimé I, 1). Certes, la chronique de Warenne (ou Hyde Chronicle) hésite, elle aussi, au chapitre I, entre les origines danoise et norvégienne, mais elle date probablement de la fin des années 1150 (voir The Warenne (Hyde) Chronicle, E. M. C. Van Houts, R. C. Love (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 2013, p. XVIII-XX, pour la datation) ; quant à l’Historia Norwegiae, qui donne une origine norvégienne à Rollon (voir A History of Norway and the Passion and Miracles of the Blessed Óláfr, D. L. Kunin (trad.), C. Phelpstead (éd., introduction et notes), Londres, Viking Society for Northern Research, 2001, p. 8-9), elle a été composée vraisemblablement dans le dernier quart du XIIe siècle. Il paraît impossible aujourd’hui de savoir quelle était l’origine exacte du chef scandinave : Karker & Skårup 1998 discutent les conclusions auxquelles était parvenu Adigard des Gautries 1954, qui penchait pour une origine norvégienne de Rollon, tandis que la majorité des colons était probablement composée de Danois. Ces conclusions ont été adoptées par Musset 1965, 257 ; voir aussi Musset 2003, 291-292., rassembla sous ses ordres une troupe très nombreuse5Au moment où Rollon pénètre en Frise, son armée a été renforcée par des contingents anglais. On sait, en effet, par Dudon, que le roi Alstemus permet à Rollon de rallier tous les Anglais qui le souhaitent en remerciement du soutien que le Dace lui a apporté contre ses vassaux rebelles ; Rollon possède alors « une armée d’innombrables jeunes guerriers » (De moribus…, livre II, chap. 19, p. 160 : congregata inenarrabili multitudine juvenum). de vaillants guerriers6Le terme miles, de même que les dérivés militia ou militariter, pose d’épineux problèmes de traduction. Miles est employé aussi bien pour les Scandinaves que pour les Normands ou les Sarrasins. Il désigne parfois le « chevalier », quand il s’agit d’un Normand (voir, par exemple, I, 4, 1, à propos de Tancrède). Le miles n’est pas nécessairement le détenteur d’un cheval, que Malaterra oppose parfois explicitement au fantassin par l’emploi d’eques. Nous avons donc traduit le terme d’après son contexte. À ce propos, on pourra se reporter à l’étude lexicologique que J. Flori a consacrée en 1999 aux « dénominations des milites normands d’Italie chez Geoffroy Malaterra ». Voir encore Flori 1986 sur miles chez Guillaume de Poitiers, mais aussi les travaux de D. Barthélemy, en particulier 2007a, 2007b, 2009., qui, formant une force navale, se lancèrent sur l’océan ; il ravagea la Frise et toutes les régions côtières en direction de l’occident, et aborda enfin à l’embouchure de la Seine7Selon Dudon, c’est en 876 que Rollon pénètre dans l’embouchure de la Seine et peut admirer la beauté de ses rives (voir De moribus…, livre II, chap. 11, p. 152 : qua Sequana, caeruleo gurgite perspicuisque cursibus fluens odoriferasque excellentium riparum herbas lambens […], navibus Gimegias venit)., là où le fleuve, au terme de son cours, se jette dans la mer. <2> Et, remontant le lit du fleuve avec sa flotte considérable, il s’enfonça à l’intérieur de la Francie : sensible au charme des lieux, supérieur à celui de toutes les autres régions qu’il avait traversées, il se prit d’affection pour cette terre et l’adopta. De fait, on y trouve à profusion des rivières poissonneuses et des forêts giboyeuses ; elle se prête tout à fait au dressage des faucons ; elle produit en abondance du blé et toutes les autres céréales ; elle est couverte de pâturages et nourrit quantité de troupeaux8Les ressources naturelles de la Normandie sont déjà décrites en des termes similaires par Dudon (De moribus…, livre II, chap. 12, p. 153 : Haec terra copia frugum omnium fecunda, arboribus nemorosa, fluminibus pisce repletis discriminata, venatu diversarum ferarum sufficienter copiosa ; voir encore livre II, chap. 26). Et l’image du locus amoenus de la terre patrie s’est répandue dans l’historiographie de l’Italie normande, en particulier chez Aimé du Mont-Cassin, qui commence ainsi son récit : « […] en la fin de France est une plane plene de boiz et de divers frut ».. <3> C’est pourquoi, ils s’élancèrent depuis les deux rives du fleuve et entreprirent de soumettre les habitants de cette région à leur autorité.

[EP/p.8-9] [Z/f.7v-8r] Normannia [+] [a normannia inc. B a normannia usque ad I, 1, 2 maxima def. A. [-]] NormanniaNormanniaNormannia... a'Les variantes du nom de la province et de ses habitants concernent la finale -annus ou -annia : on trouve alternativement la géminée (Normannia / Normanni), la nasale simple (Normania / Normani), ou, dans C, la nasale suivie de la dentale sonore (Normandia / Normandi). La liste est trop longue pour donner ici toutes les occurrences. patria quaedam est in partibus Galliae ; quae quidem non semper Normannia dicta fuit, sed regalis quondam Francorum regum [+] [francorum regum (stergum Z) Z2 : regum francorum B Pontieri. [-]] [+] [Z2 : Francorum regum [-]] Francorum stergumregum Francorum fiscus cum toto suo [+] [post suo add. tenimento B Pontieri. [-]] suosuo tenimento, cujus pars erat, generali [+] [generali : olim B. [-]] generaligeneraliolim nomine Francia nuncupabatur [+] [nuncupabatur Z : et sic vocabatur B Pontieri. [-]] nuncupabaturet sic vocabatur, usque dum [+] [dum om. Z ed. pr. [-]] dum[om.] Rodlo [+] [rodlo B : rodolo Z rholo ed. pr. [-]] RodloRodoloRholo, dux fortissimus, piratab'À l’appui de la leçon pirata de Z, on peut citer le titre du chapitre, où piratas est donné par A et Z. Ce terme est couramment employé pour désigner les Scandinaves dans les sources franques du IXe siècle ; on le trouve aussi chez Richer de Reims, Historiae, H. Hoffmann (éd.), MHG SS, t. XXXVIII, 2000, I, 4, p. 39, l. 11. Pour d’autres exemples à propos des Vikings, voir Latham & Howlett 1975-, IX, s.v. a Dacia vel [+] [pirata a dacia vel Z : parta audacia ex B Pontieri. [-]] piratab'À l’appui de la leçon pirata de Z, on peut citer le titre du chapitre, où piratas est donné par A et Z. Ce terme est couramment employé pour désigner les Scandinaves dans les sources franques du IXe siècle ; on le trouve aussi chez Richer de Reims, Historiae, H. Hoffmann (éd.), MHG SS, t. XXXVIII, 2000, I, 4, p. 39, l. 11. Pour d’autres exemples à propos des Vikings, voir Latham & Howlett 1975-, IX, s.v. a Dacia velparta audacia ex NorvejaNorvejaNorvejaNorüeia, coadunata sibi plurima [+] [plurima Z : plurium B. [-]] plurimaplurimaplurium fortium manu militum [+] [manu militum Z : militum manu Bx Pontieri militum magno B. [-]] manu militummilitum manu [+] [Bx : militum manu [-]] militum magno navali exercitu sese [+] [sese ZB : se ed. pr. [-]] sesesesese pelago credentium [+] [credentium Z2B : ced- Z ut saepe. [-]] credentiumcredentium [+] [Z2 : credentium [-]] cedentium, Frisiam et quaeque maritima loca versus [+] [versus ZB def. Resta : usque Pontieri. [-]] versusversusversususque occidentem devastans, tandem in portu quo [+] [quo Z : ubi B Pontieri. [-]] quoubi SecanaSecanaSecanaSequana fluvius in mare defluens intrat appulsus est. <2> Cujus per [+] [per om. B. [-]] perper[om.] alveum maximamaximamaximamaxima  [A/f.2v-3r (3r)] classe profundiores in [+] [in om. ZB edd. [-]] [om.] partes Franciae penetrans, amoenitate locorum inspecta, prae ceteris quas pertransierat regiones hanc amore amplecti et sibi [+] [amplecti et sibi A Z : sibi oplecu et B [-]] amplecti et sibiamplecti et sibiamplecti et sibisibi oplecu et adoptare coepit [+] [coepit A B def. Resta : fecit Z edd. [-]] coepitcoepitfecit. Est enim [+] [enim A Z : B non legitur. [-]] enimenimenim[non legitur] piscosis fluminibus et feralibus silvis abundantissima, accipitrum exercitio aptissima, frumenti ceterarumque [+] [frumenti ceterarumque Pontieri : f. ceterarum A Z frumentice earumque B frumenti et ceterarum ed. pr. [-]] frumenti ceterarumfrumentice earumquefrumenti et ceterarum segetum fertilis [+] [fertilis Z : -lius B feralis A. [-]] fertilisfertilisfertiliusferalis, pascuis [+] [pascuis A ZB : piscinis ed. pr. [-]] pascuispascuispascuispiscinis uberrima, pecorum nutrix. <3> Quamobrem ex utraque ripa prosilientes [+] [prosilientes A Z : -luentes B. [-]] prosilientesprosilientesprosilientesprosiluentes, incolas illius regionis suo [+] [suo om. ZB ed. pr. [-]] suo[om.] imperio subjugare coeperunt.

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1Si le syntagme terra Normannorum apparaît dès le Xe siècle chez Flodoard et Richer, c’est Dudon de Saint-Quentin qui utilise le premier le nom Normannia (Northmannica regio, Northmannia, etc.) pour désigner la principauté de Rouen de préférence à Neustria. Le terme apparaît en 1015 dans la titulature ducale ; voir Bauduin 2004, 75-76, et Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066, M. Fauroux (éd.), Caen, Société des antiquaires de Normandie, 1961, p. 95, nº 15. Le terme a servi aussi à désigner le pays des Scandinaves, eux-mêmes appelés Normanni, et parfois la Norvège (voir Adam de Brême, Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, IV, 31). De manière générale, sur la Normandie avant et pendant les invasions scandinaves, voir Deniaux et al. 2002.

2Francia (voir aussi I, sommaire, 1) désigne sans doute le territoire compris entre Loire et Meuse, voire entre Loire et Seine, conformément à son emploi le plus fréquent dans les sources de Francie occidentale. À propos de Francia, Gallia, rex Francorum, voir Brühl 1994, 67-93, « La terminologie géographique et politique dans les sources du IXe au XIIe siècle ».

3Pour la traduction de dux, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 40-41.

4Concernant le pays d’origine de Rollon, Malaterra marque une hésitation qui, si l’on accepte la leçon de Z, est exprimée pour la première fois. Dudon de Saint-Quentin (De moribus et actis primorum Normanniae ducum, J. Lair (éd.), Caen, F. Le Blanc-Hardel (Mémoires de la société des antiquaires de Normandie ; XXIII), 1865, livre II, chap. 2, p. 141), puis Guillaume de Jumièges (Interp. GG, I, 3(4) = GND 1, 16) lui donnent, ainsi qu’à ses compagnons, une origine danoise / dace (Dacia). Adam de Brême (Gesta Hammaburgensis ecclesiae pontificum, IV, 31, scholie 143) les fait venir de Norvège. Peut-être « l’île de Nora » désigne-t-elle aussi la Norvège chez Aimé du Mont-Cassin (Aimé I, 1). Certes, la chronique de Warenne (ou Hyde Chronicle) hésite, elle aussi, au chapitre I, entre les origines danoise et norvégienne, mais elle date probablement de la fin des années 1150 (voir The Warenne (Hyde) Chronicle, E. M. C. Van Houts, R. C. Love (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 2013, p. XVIII-XX, pour la datation) ; quant à l’Historia Norwegiae, qui donne une origine norvégienne à Rollon (voir A History of Norway and the Passion and Miracles of the Blessed Óláfr, D. L. Kunin (trad.), C. Phelpstead (éd., introduction et notes), Londres, Viking Society for Northern Research, 2001, p. 8-9), elle a été composée vraisemblablement dans le dernier quart du XIIe siècle. Il paraît impossible aujourd’hui de savoir quelle était l’origine exacte du chef scandinave : Karker & Skårup 1998 discutent les conclusions auxquelles était parvenu Adigard des Gautries 1954, qui penchait pour une origine norvégienne de Rollon, tandis que la majorité des colons était probablement composée de Danois. Ces conclusions ont été adoptées par Musset 1965, 257 ; voir aussi Musset 2003, 291-292.

5Au moment où Rollon pénètre en Frise, son armée a été renforcée par des contingents anglais. On sait, en effet, par Dudon, que le roi Alstemus permet à Rollon de rallier tous les Anglais qui le souhaitent en remerciement du soutien que le Dace lui a apporté contre ses vassaux rebelles ; Rollon possède alors « une armée d’innombrables jeunes guerriers » (De moribus…, livre II, chap. 19, p. 160 : congregata inenarrabili multitudine juvenum).

6Le terme miles, de même que les dérivés militia ou militariter, pose d’épineux problèmes de traduction. Miles est employé aussi bien pour les Scandinaves que pour les Normands ou les Sarrasins. Il désigne parfois le « chevalier », quand il s’agit d’un Normand (voir, par exemple, I, 4, 1, à propos de Tancrède). Le miles n’est pas nécessairement le détenteur d’un cheval, que Malaterra oppose parfois explicitement au fantassin par l’emploi d’eques. Nous avons donc traduit le terme d’après son contexte. À ce propos, on pourra se reporter à l’étude lexicologique que J. Flori a consacrée en 1999 aux « dénominations des milites normands d’Italie chez Geoffroy Malaterra ». Voir encore Flori 1986 sur miles chez Guillaume de Poitiers, mais aussi les travaux de D. Barthélemy, en particulier 2007a, 2007b, 2009.

7Selon Dudon, c’est en 876 que Rollon pénètre dans l’embouchure de la Seine et peut admirer la beauté de ses rives (voir De moribus…, livre II, chap. 11, p. 152 : qua Sequana, caeruleo gurgite perspicuisque cursibus fluens odoriferasque excellentium riparum herbas lambens […], navibus Gimegias venit).

8Les ressources naturelles de la Normandie sont déjà décrites en des termes similaires par Dudon (De moribus…, livre II, chap. 12, p. 153 : Haec terra copia frugum omnium fecunda, arboribus nemorosa, fluminibus pisce repletis discriminata, venatu diversarum ferarum sufficienter copiosa ; voir encore livre II, chap. 26). Et l’image du locus amoenus de la terre patrie s’est répandue dans l’historiographie de l’Italie normande, en particulier chez Aimé du Mont-Cassin, qui commence ainsi son récit : « […] en la fin de France est une plane plene de boiz et de divers frut ».

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a'Les variantes du nom de la province et de ses habitants concernent la finale -annus ou -annia : on trouve alternativement la géminée (Normannia / Normanni), la nasale simple (Normania / Normani), ou, dans C, la nasale suivie de la dentale sonore (Normandia / Normandi). La liste est trop longue pour donner ici toutes les occurrences.

b'À l’appui de la leçon pirata de Z, on peut citer le titre du chapitre, où piratas est donné par A et Z. Ce terme est couramment employé pour désigner les Scandinaves dans les sources franques du IXe siècle ; on le trouve aussi chez Richer de Reims, Historiae, H. Hoffmann (éd.), MHG SS, t. XXXVIII, 2000, I, 4, p. 39, l. 11. Pour d’autres exemples à propos des Vikings, voir Latham & Howlett 1975-, IX, s.v.

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Erratum de l’édition papier : en I, 1, 2, dans le volume papier, il fallait lire Cujus per alveum maxima classe profundiores in partes Franciae penetrans […] (Afficher le PDF de la page corrigée).