chapitre 2

capitulum II

Rollon et ses hommes envahissent la Normandie. Le roi marche contre eux pour les en repousser. Il renonce à la guerre, conclut un traité, devient leur seigneur. On signale quelles sont les frontières qui délimitent la région. Que le rythme cesse, que la prose raconte tous les événements qui suivent.

Hanc pervadunt : rex occurit ut abinde arceat. Bellum differt, foedus init, fit eorum dominus. Patria quibus claudatur adnotatur finibus. Rhythmus cesset, prosa dicat si quid est ulterius.

<1> Quand le roi qui gouvernait en ce temps-là la Francie – il s’agissait, croyons-nous, de Louis II1Certes Louis II le Bègue (877-879) connut sous son règne les invasions scandinaves : elles durèrent près d’un siècle sur le sol de Neustrie, de 820 à 910 ; mais c’est Charles III le Simple (893-923) que Rollon affronta. Parmi les chefs vikings venus avant Rollon, on peut citer Hasting, auquel Dudon consacre tout son livre I, Ragnar, venu dès 845 avec cent cinquante navires, Sydroc, Godfrid ou Bjørn. – apprit que des ennemis avaient franchi les frontières de son royaume, sous le coup de l’indignation, il leva d’abord une armée, bien décidé à marcher contre eux et à les refouler, eux et leur chef, hors de son territoire. <2> Mais, quand il eut constaté qu’il ne pourrait exécuter ce plan d’action sans que ses hommes subissent de lourdes pertes, redoutant l’issue incertaine d’une bataille et soucieux d’épargner le sang de ses hommes, il accepta, suivant le conseil des grands, le traité de paix et le service que les ennemis lui offraient2Selon Dudon (De moribus…, livre II, chap. 25, p. 165-166), ce sont les Francs qui, lassés de mourir « par la faim ou le glaive », réclament la paix au roi. Celui-ci, « furieux » (furibundus), leur réclame alors un conseil qui soit salutaire pour le royaume., et il leur concéda en bénéfice3Rollon et Charles le Simple se rencontrent en 911 à Saint-Clair-sur-Epte, où Rollon reçoit en alleu la terre convenue, selon Dudon de Saint-Quentin (De moribus…, livre II, chap. 28, p. 169) : « il mit ses mains entre celles du roi […]. Ainsi, le roi lui donna en mariage sa fille, nommée Gisla, et la terre qu’il avait délimitée en alleu et à titre de bien propre (in alodo et in fundo), depuis l’Epte jusqu’à la mer, et toute la Bretagne, afin qu’il pût en vivre ». une très grande partie de la terre qu’ils avaient envahie4Malaterra suggère que Rollon avait dévasté une région plus étendue que celle qui lui est concédée ; d’après Dudon (De moribus…, livre II, chap. 25, p. 166), en revanche, la terre proposée correspond à celle que Rollon a « ravagée » : Karolus rex […] hanc terram maritimam ab Halstingo et a te nimium devastatam vult tibi dare. Mais Rollon réclame davantage et, selon Dudon (ibid., livre II, chap. 28, p. 168), « le roi s’engage à lui donner la Bretagne, qui était à la frontière de la terre promise ».. <3> La terre qui leur fut concédée s’étend donc du pays de Ponthieu, qui la jouxte à l’est, le long de la mer Anglaise, qui la baigne au nord, jusqu’à la Bretagne, qui borde sa frontière à l’ouest ; sur sa lisière ouest et sud, elle confine avec le pays du Mans jusqu’au pays de Chartres ; et du pays de Chartres jusqu’au Ponthieu, elle est limitrophe du Vexin et du Beauvaisis5Le territoire concédé à Rollon en 911 était beaucoup plus étroit que celui défini ici : il correspondait au comté de Rouen, délimité par l’Epte à l’est, la Bresle et l’Avre. À l’ouest, la frontière est pour le moins incertaine. Le roi ajouta la « Bretagne » – c’est-à-dire la partie occidentale de la province de Rouen, que Charles le Chauve avait concédée aux Bretons en 867 –, de laquelle Rollon avait le droit d’exiger un tribut. En 924, le roi Raoul accorda en outre le Bessin et l’Hiémois, qui faisaient partie de la province ecclésiastique de Rouen, et non le « Maine et le Bessin », comme l’avait rapporté Flodoard (Cinomannis et Bajocae) dans ses annales pour cette même année. Le Cotentin (Coutançais et Avranchin) fut rattaché au duché en 933, sous le principat de Guillaume Longue Épée, date à laquelle la Normandie atteint pratiquement ses frontières définitives, englobant la quasi-totalité de la province ecclésiastique de Rouen, mis à part le Vexin français. Guillaume le Bâtard n’ajoutera que le Passais (voir Musset 1970, 98 ; Neveux 1998, 22 et 34-35 ; Bauduin 2004, 135-141). Malaterra reprend ici la version officielle des débuts du duché de Normandie, diffusée par la production historiographique normande de la première moitié du XIe siècle, d’autant que, comme l’a montré Bauduin 2004, 81-82, l’idée que son territoire avait correspondu dès l’origine à la province ecclésiastique de Rouen avait été énoncée par Richer dès la fin du Xe siècle à Reims et était devenue un lieu commun en France et à la cour du roi.. <4> Lorsque le duc Rollon eut reçu en fief héréditaire6La concession héréditaire est confirmée par un serment prêté par le roi et sa cour à Rollon, indique Dudon (De moribus…, livre II, chap. 29, p. 168) : « ils jurèrent […] qu’il détiendrait et posséderait cette terre, qu’il la transmettrait à ses héritiers (haeredibusque traderet) et qu’au cours de toutes les années, par la succession de ses descendants, il la garderait et la cultiverait de génération en génération (in progenies progenierum) ». Sur l’emploi de « fief » (feudo), voir « Introduction » de la version imprimée, p. 33-34. cette terre que le roi des Francs avait délimitée pour lui, il la répartit entre ses hommes, selon les mérites qu’il reconnaissait à chacun, tout en se réservant pour son usage personnel tout ce qui s’y trouvait de plus précieux. <5> Cependant, comme nous avons décrit brièvement les limites de la terre, il nous paraît utile de dire aussi quelques mots du caractère de ce peuple.

<1> Rex autem qui tunc temporis Franciae praeerat – Ludovicus [+] [ludovicus A Z : lodo- B. [-]] LudovicusLudovicusLudovicusLodovicus, ut credimus, secundus –, comperiens hostes fines [+] [fines B : fures A fores Z ed. pr. [-]] finesfuresfores imperii sui invasisse, primo quidem indignatus, commoto exercitu, hostibus occurrendum et ducem et eos a [+] [a A Z : de B. [-]] aaade finibus suis [+] [suis om. Z ed. pr. [-]] suissuis[om.] arcere [+] [arcere A Z : avertere B. [-]] arcerearcerearcereavertere instituit. <2> Sed cum hoc non sine magno detrimento suorumsuorumsuorumsuorumsuorum...   [C/f.1v-1bisr] se [+] [a se inc. C. [-]] agere posse cognosceret [+] [cognosceret C ZB : -re A. [-]] cognosceretcognosceretcognosceretcognosceretcognoscere, varios [+] [varios om. A. [-]] variosvariosvariosvarios[om.] eventus belli pertimescens et [+] [et om. Z ed. pr. [-]] etetet[om.] suorum sanguini parcens, seniorum usus [+] [usus om. B. [-]] usususususususus[om.] consilio, foedera [+] [foedera AC Z : pacta B. [-]] foederafoederafoederafoederapacta pacis et servitium quod [+] [quod om. A. [-]] quodquodquodquod[om.] ab ipsis sibi offerebatur suscepit [+] [suscepit C B : -pi A accepit Z ed. pr. [-]] suscepitsuscepitsuscepiaccepit eisque maximam partem terrae quam pervaserant in beneficiumin beneficiumin beneficiumin beneficiumin beneficium [+] [Z1 : in beneficium [-]] [om.] concessit. <3> Porrigitur [+] [porrigitur AC : porro igitur B om. Z ed. pr. [-]] PorrigiturPorrigiturPorro igitur[om.] itaque [+] [itaque om. B. [-]] itaqueitaqueitaqueitaque[om.] terra illis [+] [illis AC B : illa Z ed. pr. [-]] illisillisillisilla concessa a pago Pontivensi [+] [pontivensi A B : poti- C pontiniensi Z edd. [-]] Pontiv ensiPotivensiPontiniensi, quem ab orientali parte sui habet, secus mare Anglicum, quod ab aquilonari [+] [aquilonari A ZB : -re C. [-]] aquilonariaquilonariaquilonariaquilonariaquilonare parte adjacet, usque in Britanniam, quae [+] [quae A ZB : qui C. [-]] quaequaequaequaequi fines ejus occidentales claudit ; ab occidentali vero et meridiano cornu pago Cenomannico [+] [cenomannico AC : -manico ZB edd. [-]] CenomannicoCenomanico terminatur usque in Carnotensem [+] [post carnotensem add. et Z ed. pr. vero post carnotensi omittentes. [-]] CarnotensemCarnotensemCarnotensemCarnotensem et ; a [+] [a A ZB : de C. [-]] aaaade Carnotensi veroveroverovero[om.] clauditur Velcasino [+] [velcasino AC Z : vel cassino B. [-]] VelcasinoVelcasinoVelcasinoVelcasinovel cassino et [+] [et AC Z : vel B. [-]] etetetetvel Belvacensi usque Pontivum [+] [pontivum A B : -tinum D edd. -timum Z portinum C. [-]] PontivumPontinumPontimumPortinum. <4> Hanc terram sibi determinatam a [+] [a A ZB : an C. [-]] aaaaan rege Francorum Rodlo [+] [rodlo C B : rodolo Z redlo A rholo ed. pr. [-]] RodloRodloRodoloRedloRholo dux hereditali feudo [+] [hereditali feudo AC ZB : -tarium -dum Z2. [-]] hereditali feudohereditali feudohereditali feudohereditali feudohereditali feudo [+] [Z2 : hereditarium feudum [-]] suscipiens, inter suos, prout quemque [+] [quemque B def. Resta Desbordes : queque AC quiete Z convenire Z2 ed. pr. [-]] quemquequemquequemquequequequieteconvenire [+] [Z2 : convenire [-]] a'Desbordes 2005, 117-118, a montré l’authenticité de la leçon de B, queque de AC résultant sans doute de l’omission d’un tilde, et a proposé une traduction de cette phrase (voir aussi Resta 1964, 13).  [A/f.3v-4r] cognoscebat [+] [cognoscebat A ZB : -noverat C. [-]] [A/f.3v-4r] cognoscebat [A/f.3v-4r] cognoscebat [A/f.3v-4r] cognoscebat [A/f.3v-4r] cognoscebatcognoverat, distribuit, pretiosiora [+] [pretiosiora AC Z : -sora B. [-]] pretiosiorapretiosiorapretiosiorapretiosiorapretiosora quaeque pro suis usibus [+] [post usibus add. nihil B ipse Pontieri. [-]] usibususibususibususibus nihilusibus ipse reservans. <5> Quia vero procinctus terrae paucis [+] [paucis AC Z2B : -cos Z. [-]] paucispaucispaucispaucis [+] [Z2 : paucis [-]] paucos perstrinximus, de more quoque gentis aliqua dicere utile [+] [utile C ZB : -li A. [-]] utileutileutileutileutili videtur.

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1Certes Louis II le Bègue (877-879) connut sous son règne les invasions scandinaves : elles durèrent près d’un siècle sur le sol de Neustrie, de 820 à 910 ; mais c’est Charles III le Simple (893-923) que Rollon affronta. Parmi les chefs vikings venus avant Rollon, on peut citer Hasting, auquel Dudon consacre tout son livre I, Ragnar, venu dès 845 avec cent cinquante navires, Sydroc, Godfrid ou Bjørn.

2Selon Dudon (De moribus…, livre II, chap. 25, p. 165-166), ce sont les Francs qui, lassés de mourir « par la faim ou le glaive », réclament la paix au roi. Celui-ci, « furieux » (furibundus), leur réclame alors un conseil qui soit salutaire pour le royaume.

3Rollon et Charles le Simple se rencontrent en 911 à Saint-Clair-sur-Epte, où Rollon reçoit en alleu la terre convenue, selon Dudon de Saint-Quentin (De moribus…, livre II, chap. 28, p. 169) : « il mit ses mains entre celles du roi […]. Ainsi, le roi lui donna en mariage sa fille, nommée Gisla, et la terre qu’il avait délimitée en alleu et à titre de bien propre (in alodo et in fundo), depuis l’Epte jusqu’à la mer, et toute la Bretagne, afin qu’il pût en vivre ».

4Malaterra suggère que Rollon avait dévasté une région plus étendue que celle qui lui est concédée ; d’après Dudon (De moribus…, livre II, chap. 25, p. 166), en revanche, la terre proposée correspond à celle que Rollon a « ravagée » : Karolus rex […] hanc terram maritimam ab Halstingo et a te nimium devastatam vult tibi dare. Mais Rollon réclame davantage et, selon Dudon (ibid., livre II, chap. 28, p. 168), « le roi s’engage à lui donner la Bretagne, qui était à la frontière de la terre promise ».

5Le territoire concédé à Rollon en 911 était beaucoup plus étroit que celui défini ici : il correspondait au comté de Rouen, délimité par l’Epte à l’est, la Bresle et l’Avre. À l’ouest, la frontière est pour le moins incertaine. Le roi ajouta la « Bretagne » – c’est-à-dire la partie occidentale de la province de Rouen, que Charles le Chauve avait concédée aux Bretons en 867 –, de laquelle Rollon avait le droit d’exiger un tribut. En 924, le roi Raoul accorda en outre le Bessin et l’Hiémois, qui faisaient partie de la province ecclésiastique de Rouen, et non le « Maine et le Bessin », comme l’avait rapporté Flodoard (Cinomannis et Bajocae) dans ses annales pour cette même année. Le Cotentin (Coutançais et Avranchin) fut rattaché au duché en 933, sous le principat de Guillaume Longue Épée, date à laquelle la Normandie atteint pratiquement ses frontières définitives, englobant la quasi-totalité de la province ecclésiastique de Rouen, mis à part le Vexin français. Guillaume le Bâtard n’ajoutera que le Passais (voir Musset 1970, 98 ; Neveux 1998, 22 et 34-35 ; Bauduin 2004, 135-141). Malaterra reprend ici la version officielle des débuts du duché de Normandie, diffusée par la production historiographique normande de la première moitié du XIe siècle, d’autant que, comme l’a montré Bauduin 2004, 81-82, l’idée que son territoire avait correspondu dès l’origine à la province ecclésiastique de Rouen avait été énoncée par Richer dès la fin du Xe siècle à Reims et était devenue un lieu commun en France et à la cour du roi.

6La concession héréditaire est confirmée par un serment prêté par le roi et sa cour à Rollon, indique Dudon (De moribus…, livre II, chap. 29, p. 168) : « ils jurèrent […] qu’il détiendrait et posséderait cette terre, qu’il la transmettrait à ses héritiers (haeredibusque traderet) et qu’au cours de toutes les années, par la succession de ses descendants, il la garderait et la cultiverait de génération en génération (in progenies progenierum) ». Sur l’emploi de « fief » (feudo), voir « Introduction » de la version imprimée, p. 33-34.

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a'Desbordes 2005, 117-118, a montré l’authenticité de la leçon de B, queque de AC résultant sans doute de l’omission d’un tilde, et a proposé une traduction de cette phrase (voir aussi Resta 1964, 13).