Histoire culturelle de l'Europe

Gemma Cataldi, "Marianne Lederer et Madeleine Stratford, Culture et Traduction. Au-delà des mots, Paris, Classiques Garnier, 2020"

Compte-rendu

1Cet ouvrage collectif examine les multiples dimensions du rapport entre culture et traduction en s’appuyant sur les aspects théoriques et pratiques contenus dans ce rapport. L’ouvrage est divisé en quatre parties et regroupe onze contributions.

2Dans la première partie – « Faits culturels » – Marianne Lederer souligne que la langue et la culture sont deux concepts étroitement liés. Cependant, ils doivent être envisagés séparément lors de la traduction, afin de pouvoir restituer avec justesse l'atmosphère du texte initial. La traduction, selon l’auteure, ne représenterait pas une perte lorsqu'elle arrive à préserver, grâce à un processus de recréation, les valeurs dont le texte source est chargé (p. 17-30).

3Isabelle Collombat et Antin Fougner Rydning s’intéressent à la traduction des métaphores. Isabelle Collombat indique que la métaphore et la traduction s’illustrent et s’éclairent mutuellement. Ainsi, lors de la traduction de la métaphore, le traducteur en tant que locuteur interculturel devra faire preuve à la fois d'exactitude et de créativité. L’auteure observe comment, dans les traductions, on est généralement confronté à la vaste neutralisation des référents culturels, voire à la suppression de ces derniers (p. 30-43).

4Antin Fougner Rydning mène quant à elle une expérience de traduction filmée avec le logiciel Translog auprès de trois collègues norvégiens  experts-traducteurs : l’auteure constate que les traducteurs ont tendance à privilégier les ressources-cibles liées à leur propre culture, au risque d’éliminer l’image pour mieux privilégier le sens (p. 45-55).

5Dans la deuxième partie – « Questions de genre » – Caterina Riba et Benoit Laflamme abordent les problématiques liées à l’écriture féminine. Ce sujet est au cœur des débats de traductologie depuis les années 1970, période au cours de laquelle de nombreuses études ont remis en question la relation entre canon et pouvoir. Caterina Riba, qui place au centre de sa recherche le travail de la poétesse et écrivaine disparue Maria-Mercè Marçal, souhaite elle aussi trouver sa place dans la littérature catalane pour y faire entendre les voix des écrivaines féminines qui y avaient été jusqu’alors censurées, en raison de la société patriarcale consolidée lors de la dictature franquiste. Pour Maria-Mercè Marçal, tout comme pour Caterina Riba, traduire veut dire « s'immerger dans l'autre dans un mouvement forcément transformateur » (p. 59-70).

6Benoit Laflamme traduit les écrits de la poétesse féministe canadienne Kara-lee McDonald. En analysant son parcours de traduction, dans lequel la production de croquis, le dessin ainsi que le collage sont des techniques venant nourrir l’œuvre, il décrit la sensation d’empathie qu’il a fallu traverser pour parvenir ensuite à définir sa propre éthique de la traduction. Pour se faire, il faut tenir compte de la métaphore de l’allié afin d’illustrer le rôle du traducteur (p. 71-84).

7La troisième partie – « Postcolonialisme » – nous conduit sur la scène littéraire francophone de l’Afrique et des Caraïbes. Ces deux territoires ont généré des œuvres particulièrement riches, qui démontrent que l’illusion d’homogénéité culturelle tend à pénétrer dans toutes les domaines de la vie occidentale, et en premier lieu dans la langue. Ces œuvres invitent à réfléchir sur la traduction littéraire d’un point de vue qui se détache de la perspective exclusivement eurocentrique.

8Corinne Mencé-Caster avance que la Caraïbe est le lieu de métissage par excellence en ce qu’elle représente un nouveau concept de la traduction, celui d’une « hétérogénéisation salutaire » (p. 87-98). Dans le même sillage, Loïc Céry revisite les écrits du romancier martiniquais Édouard Glissant à propos de son concept de « Relation ». Loïc Céry revendique la création d’un « nouveau langage » de traduction, dont il souhaite la diffusion comme ressource exploitable pour les traducteurs et les théoriciens (p. 99-110).

9Chiara Denti illustre concrètement une tendance par essence eurocentrique : celle de l’uniformisation. En analysant quelques traductions en italien et en anglais de textes africains – rédigés dans un français mêlé de créole –, elle met au jour la tendance de la langue dominante à absorber le vernaculaire. Elle propose ainsi une série de stratégies permettant de reproduire un effet de métissage dans les textes traduits (p.111-122).

10La quatrième partie – « Hybridation » – est dédiée au mélange des langues contenues dans une même œuvre. Les trois articles de cette partie se penchent, selon différents angles, sur les défis que pose la traduction de certaines œuvres qui mêlent les différentes variétés dialectales de la péninsule italienne, une langue standard, ainsi que des incursions ponctuelles en langues étrangères.

11Gerardo Acerenza et Anke Grutschus analysent et comparent trois traductions, française, allemande et espagnole de trois romans italiens : Il giro di boa (2003) de Andrea Camilleri, Montedidio de Erri De Luca (2001) et La moto di Scandeberg de Carmine Abate (1999).

12L’hétérolinguisme présent dans ces trois œuvres complique la tâche des traducteurs. En effet, elle les contraint à employer diverses stratégies pour tenter de restituer dans la langue d'arrivée le style du texte de départ. En comparant les traductions française, allemande et espagnole de ces romans, Acerenza et Grutschus constatent que la neutralisation des variétés diatopiques prédomine, en particulier dans les traductions espagnoles. Les traductions françaises et allemandes tendraient en revanche à utiliser d’autres stratégies traductives, telles que l’adaptation ou la défamiliarisation (p. 125-139).

13Florence Courriol-Seita s’intéresse, elle aussi, au problème théorique que pose la traduction des dialectes dans les versions françaises des romans de Salvatore Niffoi et d’Andrea Camilleri. Ces variétés diatopiques que sont les dialectes, peuvent être, lorsqu'elles sont présentes en littérature, un véritable obstacle à la traduction. Est-ce à dire que toute littérature à composante dialectale est intraduisible ? S’inspirant des travaux d’Umberto Eco, Florence Courriol-Seita considère que « l’effet de lecture » source devrait plutôt être rendu de façon équivalente dans le texte cible (p.141-153).

14La dernière contribution du volume est celle d’Adriana Orlandi. L’auteure présente les solutions proposées par la traductrice Dominique Vittoz dans ses versions françaises du roman La vedova scalza de Salvatore Niffoi (2006, trad. 2012). On assiste, chez Niffoi, à l'utilisation du sarde à côté de l'italien. Comme c’était le cas pour Camilleri, le caractère plurilingue du style littéraire de Niffoi peut dépayser le lecteur. S’inspirant des possibles pistes ouvertes par les écritures des Antilles et de l’Afrique postcoloniales, Dominique Vittoz fournit dans ses traductions un exemple concret du « nouveau langage » que Glissant appelle de ses vœux. En récréant le style de Niffoi grâce à un système complexe mêlant régionalismes, archaïsmes et tournures idiomatiques du français – familières voire vulgaires –, Adriana Orlandi réussit à créer une nouvelle langue. Celle-ci lui permet de maintenir, tout au long de sa traduction, une équivalence d'effet avec le texte de départ (p. 155-167).

15En conclusion, toutes les contributions de ce volume offrent aux spécialistes de la traduction des pistes stimulantes de réflexion, ainsi qu’un paysage très divers composé par les nouvelles perspectives traductologiques. Ces dernières abordent en effet le vaste champ de recherche dont l’objet est l’étude des liens entre traduction et culture. Si l’analyse du lien entre culture et langue, envisagé sous différents angles, fait déjà toute la richesse de cet ouvrage, l’un de ses principaux mérites reste, à notre sens, le rappel qu’il propose de toutes les significations contenues dans le terme de culture lui-même. Ainsi, le traducteur devra bien sûr, d’une part, garder à l’esprit que « culture » est aussi un synonyme de « savoir ». Toutefois, il lui faudra d’autre part se souvenir que tout ce « savoir » est aussi lié de bout en bout à un ressenti émotionnel qui va souvent... au-delà des mots.

16Gemma Cataldi

17ERLIS

18Université de Caen Normandie

Pour citer ce document

, «Gemma Cataldi, "Marianne Lederer et Madeleine Stratford, Culture et Traduction. Au-delà des mots, Paris, Classiques Garnier, 2020"», Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], Revue d'histoire culturelle de l'Europe, Langues et religions en Europe du Moyen Âge à nos jours, compte-rendus de lecture,mis à jour le : 09/05/2022,URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=2387