chapitre 40

capitulum XL

Tancrède et le sanglier

De Tancredo et apro

<1> Concernant Tancrède, qui engendra des fils de cette trempe, il ne serait pas hors de propos de faire état d’une action d’éclat digne de passer à la postérité1À propos de la place de cet épisode au sein du récit et de la valeur allégorique du sanglier, voir Sivo 2014, 245-246, n. 33, et « Introduction » de la version imprimée, n. 78 ; voir aussi p. 53.. En effet, après s’être formé, au temps de sa jeunesse, aux techniques de l’art chevaleresque, il passa de cour en cour en différentes régions, auprès de différents princes, et, réalisant prouesse sur prouesse par amour de la gloire, il acquit, outre la gloire elle-même, de très nombreux avantages. <2> Et alors qu’il se trouvait au service du comte de Normandie, Richard II2Richard II était effectivement, comme le dit Malaterra, le quatrième comte (ou duc) de Normandie. En effet, à Rollon, qui régna de 911 à c. 927/933, succédèrent Guillaume Longue Épée (932-942) et Richard Ier (942-996), père de Richard II. – qui fut le quatrième <souverain> depuis le duc Rollon3Sur les problèmes épineux posés par la traduction de duce, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 40-41. –, un jour où ce prince était allé chasser – c’était, en effet, une activité qu’il aimait passionnément, comme on le voit faire communément aux plus fortunés –, celui-ci leva un sanglier4La chasse au sanglier était particulièrement prisée à l’époque antique – bien plus que celle du cerf –, tant chez les Romains que chez les Germains et les Celtes, à cause de l’extrême vigueur de l’animal, qui en faisait un adversaire redoutable. Chez les Celtes, il est même « le gibier royal par excellence », et les textes littéraires des XIe-XIIIe siècles ne manquent pas de mettre en scène des chasses au sanglier menées par le héros épique (Pastoureau 2000, 9-10). C’est à partir du XIIe siècle qu’en France et en Angleterre la chasse de cet « animal diabolique » commence à être délaissée au bénéfice du cerf, « animal christologique » (ibid., 15-23). d’une taille prodigieuse, à qui l’on donne le nom de « solitaire ». Or, le comte avait instauré, comme plusieurs autres grands l’ont fait, l’usage que personne à part lui n’était autorisé à abattre le gibier qu’il venait à lever lui-même. <3> Or, comme les chiens s’étaient lancés à la poursuite du sanglier à toute allure, tandis que le comte était ralenti dans sa poursuite par la sombre épaisseur du sous-bois épineux, la bête, craignant, vu la hargne des chiens, de finir déchirée, avise un rocher, s’y adosse comme à un mur et leur présente pour se défendre sa hure armée de dagues. Ainsi, pendant que les chiens, sans chasseur pour leur venir en aide, se faisaient mettre en pièces par le sanglier qui les abattait en nombre de ses dagues écumantes, Tancrède tombe sur eux ; et bien qu’il soit au courant de l’usage instauré par le prince, cependant, quand il voit le massacre parmi les molosses, il se porte promptement au secours des chiens. Le sanglier, dès qu’il le voit, délaisse les chiens pour se ruer sur lui dans une charge foudroyante. <4> Mais Tancrède, vigoureux comme il l’était, le reçut hardiment l’épée <à la main>, non pas pour lui assener un coup, mais pour la passer au travers de son front si dur, jusqu’à ce que la pointe acérée de l’arme plongeât dans ses entrailles, la garde touchant le front, si bien que, en dehors de la poignée, aucune partie de la très longue épée ne dépassait le corps du sanglier. Et il s’éloigna précipitamment, laissant son arme dans le front de la bête qu’il venait d’abattre, ne voulant pas être surpris par le comte après ce qu’il avait fait. <5> Trouvant le sanglier mort, le comte, abasourdi, invite ses compagnons à examiner l’animal pour voir s’il ne présentait pas quelque blessure. Et quand on eut découvert l’épée que celui-ci portait encore fichée dans le front, il demeure pantois devant un tel coup ; il cherche à savoir à qui appartient l’épée ; pour éviter que l’auteur d’une telle action ne se déclare pas, il renonce à sa colère. Quand on eut découvert qu’il s’agissait de Tancrède, le comte et toute sa suite avec lui l’exaltent et le couvrent d’éloges ; et si auparavant il fut en haute estime, on lui témoigna, après cet exploit, une considération encore plus grande. Et par la suite, il servit à la cour du comte avec dix chevaliers sous ses ordres.

<1> De TancredoTancredoTancredoTancredo [+] [C1 : Tancredo [-]] TranchedoTrankedo vero, tantorum filiorum patre, aliquid memoria dignum dicere [+] [dicere AC B : ducere Z. [-]] diceredicerediceredicereducere haud [+] [haud C : haut A aut B nec Z ed. pr. [-]] haudhautautnec absurdum [+] [absurdum AC B : ob- Z. [-]] absurdumabsurdumabsurdumabsurdumobsurdum est. Tempore [+] [tempore AC Z : temptare B. [-]] TemporeTemporeTemporeTemporetemptare quippe [+] [quippe AC Z : quidem B. [-]] quippequippequippequippequidem juventutis suae militaribus exercitiis deditus [+] [post deditus add. est Z et ed. pr. [-]] deditusdeditusdeditus estdeditus et, diversarum [+] [diversarum AC Z : -sorum B. [-]] diversarumdiversarumdiversarumdiversarumdiversorum regionum et principum [+] [principum AC Z : -pium B. [-]] principumprincipumprincipumprincipumprincipium curias [+] [curias AC Z : cura B. [-]] curiascuriascuriascuriascura perlustrans, multa strenue [+] [strenue AC Z : strenua B strenuae ed. pr. [-]] strenuestrenuestrenuestrenuastrenuae laudis [+] [laudis AC Z : laude B. [-]] laudislaudislaudislaudislaude avidus agendo cum ipsa [+] [ipsa AC dubitanter Z2B : omni vel vera dubitanter Z2 Z non legitur. [-]] ipsaipsaipsaipsa [+] [Z2 : omni aut vera aut ipsa dubitanter [-]] [non legitur] laude etiam [+] [etiam AC B : et Z ed. pr. [-]] etiametiametiamet plurima lucratus est. <2> Cum autem esset in familia comitis Normannorum, Ricardi [+] [ricardi Z : riccardi C B Pontieri recardi A. [-]] RicardiRiccardiRecardi secundi, qui [+] [qui om. AC B Pontieri. [-]] qui[om.] quartus a Rodlo [+] [rodlo B : rollo AC Z rhollo ed. pr. [-]] RodloRolloRhollo duce fuit, quadam die idem princeps, venatum pergens – tali enim [+] [enim AC Z : cum B. [-]] enimenimenimenimcum exercitio, ut mos est divitibus, non minimum delectabatur [+] [delectabatur AC Z : -bat B. [-]] delectabaturdelectabaturdelectabaturdelectabaturdelectabat –, aprum mirae enormitatis, quem [+] [quem AC B : qui Z. [-]] quemquemquemquemqui singulare [+] [singulare AC : singlare Z edd. singlerium B. [-]] singularesinglaresingleriuma'L’adjectif singularis, e, « unique, seul, solitaire », a été employé en particulier en latin médiéval pour qualifier le substantif porcus et désigner littéralement le « porc qui vit seul », c’est-à-dire le sanglier (voir Rey 1992, s.v. ; Niermeyer 1997, s.v.). De fait, une fois atteint l’âge adulte, vers deux ans, le sanglier vit le plus souvent en solitaire et ne recherche la femelle qu’au moment du rut. dicunt, movit [+] [movit om. B. [-]] movitmovitmovitmovit[om.]. Erat autem sibi mos, sicut et pluribus aliis potentibus [+] [potentibus AC Z : peten- B. [-]] potentibuspotentibuspotentibuspotentibuspetentibus est [+] [est om. B. [-]] estestestest[om.], ut venationem quam ipse moveret [+] [a moveret usque ad II, 10, 2 re[fugeret def. A. [-]] moveretmoveretmoveretmoveret...  nullus [+] [nullus C Z : nullo B. [-]] nullusnullusnullusnullo praeter ipsum occidere praesumeret. <3> Porro, canibus aprum velocius insequentibus, cum comes prae opaca densitate spinosi saltus [+] [spinosi saltus C B : spinosis saltibus Z ed. pr. [-]] spinosi saltusspinosi saltusspinosis saltibus tardius [+] [tardius C Z : demensius B. [-]] tardiustardiustardiusdemensius insequeretur [+] [insequeretur C Z : -quentur B. [-]] insequereturinsequereturinsequereturinsequentur, canibus infestioribus aper timens a fine [+] [fine C Z : cauda B Pontieri. [-]] finefinecauda lacerari [+] [lacerari om. B. [-]] lacerarilacerarilacerari[om.], rupe quadam inventa, ipsa pro muro a cauda utitur et dentosum caput ad se tuendum canibus offert. Sicque [+] [sicque C Z : sic B. [-]] SicqueSicqueSicqueSic canibus venatoris auxilio destitutis [+] [destitutis C ZBx : destinatis B. [-]] destitutisdestitutisdestitutis [+] [Bx : destitutis [-]] destinatis, cum jam aper de ipsis spumanti [+] [spumanti C B def. Desbordes : -te Z edd. [-]] spumantispumantispumante dente [+] [dente C ZBx : dentes B. [-]] dentedentedente [+] [Bx : dente [-]] dentes multas strages faceret, casu TancredusTancredusTancredusTancredusTrankedus supervenit [+] [supervenit ZB : -nis C. [-]] supervenitsupervenitsupervenitsupervenis, visaque strage molossorum [+] [molossorum C Z2 : molorosum Z canuum B. [-]] molossorummolossorum [+] [Z2 : molossorum [-]] molorosumcanuum, quamvis morem [+] [morem om. B. [-]] moremmoremmorem[om.] principis [+] [principis C Z : -ceps B. [-]] principisprincipisprincipisprinceps non ignoraret, tamen [+] [tamen C Z : tunc B. [-]] tamentamentamentunc succurrendum canibus [+] [canibus ZB : carribus C. [-]] canibuscanibuscanibuscarribus accelerat. Aper vero, ipso viso, canibus spretis, firmo [+] [firmo Z : fermo C B. [-]] firmofirmofermo impetu super eum irruit. <4> Sed TancredusTancredusTancredusTrancredusTrankedus, cum esset fortis viribus, audaci ense illum suscipiens, non quidem [+] [post quidem iter. illum Z ed. pr. [-]] quidemquidemquidem illum ictu feriendo, sed acuto mucrone per durissimam frontem usque ad praecordia impingendo capulum fronti adjunxit, nihilo [+] [nihilo C : nihil ZB ed. pr. [-]] nihilonihil ex longissimo ense praeter capulum extra corpus apri remanente. Sicque dejecto ensem [+] [ensem C Z : ense B. [-]] ensemensemensemense in fronte [+] [fronte C : -tem ZB. [-]] frontefrontefrontem linquens [+] [linquens C Z : rel- B Pontieri. [-]] linquenslinquensrelinquens, ipse, ne a comite [+] [post comite add. nec C. [-]] comitecomitecomitecomite nec hoc fecisse deprehenderetur, longius avulsus est. <5> Comes vero inveniens [+] [inveniens C B : veniens Z ed. pr. [-]] inveniensinveniensveniens aprum mortuum, miratus [+] [miratus C Z : iratus B. [-]] miratusmiratusmiratusiratus, utrum vulnus aliquod habeat socios lustrare jubet ; deprehensoque ense adhuc [+] [adhuc ZB : ad hunc C. [-]] adhucadhucadhucad hunc in fronte fixo [+] [fixo C B : defixo Z ed. pr. [-]] fixofixodefixo, impulsum miratur ; cujus ensis sit requirit [+] [requirit Z : -tur C B. [-]] requiritrequiritrequiriturb'La leçon requiritur de C et B a sans doute été suggérée indépendamment par les formes miratur et condonatur, entre lesquelles elle est placée. Cependant, on peut hésiter, car il n’est pas impossible que Malaterra ait cherché à accentuer la dramatisation de la scène par la succession de trois homéotéleutes. Dans ce cas, il faut aussi reconnaître dans miratur un emploi passif, attesté tardivement (voir Flobert 1975, 373). ; ne [+] [ne B : nec Z vel C. [-]] nenenecvel se hujus facti actor [+] [actor ZB : acto C. [-]] actoractoractoracto celet, ira [+] [ira C ZB : ita Pontieri. [-]] irairairaita condonatur [+] [condonatur ZB : -tor C. [-]] condonaturcondonaturcondonaturcondonator. At [+] [at C Z : ac B. [-]] AtAtAtAc, cum a [+] [a om. B. [-]] aaa[om.] TancredoTancredoTancredoTrancredoTrankedo factum deprehensum fuisset, a comite et ceteris omnibus plurima laude extollitur [+] [extollitur C Z : excognitus B. [-]] extolliturextolliturextolliturexcognitus et, cum antea in pretio fuerit, majori [+] [majori C Z : major B. [-]] majorimajorimajorimajor deinceps habitus est. Et [+] [et… postea del. Pontieri. [-]] EtEtEt[del.] demum [+] [demum C : deinde ZB denum Pontieri dudum ed. pr. [-]] deindedenumdudum posteaposteaposteapostea[del.] in curia comitis, decem milites sub se habens, servivit [+] [servivit Z : serviverint C finivit B. [-]] servivitservivitserviverintfinivit.

<6> Mais à présent, comme nous avons consigné, dans un style simple, j’en conviens, non pas assurément tous les faits d’armes qui devraient passer à la postérité parmi ceux qui ont été accomplis par les <deux> frères en Pouille et en Calabre, mais le petit nombre de ceux que nous avons appris par la renommée, tournons notre attention vers les faits qui ont eu pour théâtre la Sicile infidèle5L’histoire de la conquête de la Sicile commence au livre II, dans lequel sont rapportées les deux premières étapes : l’expulsion des Musulmans de la pointe septentrionale du Val Demone, jusqu’à la capitulation de la région située entre Troina et Castrogiovanni, et l’occupation de la zone septentrionale du Val di Mazara, jusqu’à la prise de Palerme avec l’aide de Guiscard (1072). Dans les livres III et IV, la conquête de la Sicile se poursuit avec les différentes étapes de la guerre contre Benarvet, qā’id de Syracuse et maître du Val di Noto (III, 1, 7-12, 15-18, 30-32 ; IV, 1, 2, 5-6), et la soumission du Val di Noto en 1091 (IV, 12 et IV, 15)., c’est-à-dire comment elle a été soumise après avoir longtemps refusé de déposer les armes, avec cette réserve cependant que, quand la chronologie l’exigera, les faits qui se sont produits ensuite en Pouille6Il reste surtout à conquérir Bari, dont le siège est rapporté en II, 41 et 43. Les villes placées sous la domination des deux Hauteville en Pouille et en Calabre se révoltent les unes après les autres, si bien que les deux frères doivent veiller à renforcer leurs positions et à les étendre : ils font ensemble le siège de Gerace (II, 23-27). Robert devra notamment réprimer la révolte de Geoffroi de Conversano (II, 39) et celle de son neveu Abélard (III, 4-6). Roger soutiendra ensuite son neveu Roger Borsa contre les prétentions du demi-frère de ce dernier, Bohémond, et contre celles des autres comtes rebelles (IV, 9-11 ; 21-23)., à Rome et en Grèce7C’est au livre III que l’on voit Guiscard pousser ses ambitions jusqu’en Grèce. Malaterra fait le récit de sa campagne en Romania (III, 13-14 ; 24-29), puis celui de son retour précipité pour porter secours au pape Grégoire VII, assiégé dans Rome par les Allemands d’Henri IV (III, 33-38). Il retourne alors en Grèce, mais ne peut terminer sa conquête, car il meurt en 1085 (III, 40-41). ne seront pas passés sous silence aux endroits du récit où ils sont à leur place.

<6> Nunc vero, quia [+] [quia C ZB : qui Pontieri. [-]] quiaquiaquiaqui non [Z/f.17v-18r] quidem [+] [quidem ZB : quid C [-]] [Z/f.17v-18r] quidem [Z/f.17v-18r] quidem [Z/f.17v-18r] quidemquid omnia quae memoranda forent, sed pauca quae fama didicimus ab ipsis fratribus in Apulia [+] [apulia… certe calabria ed. pr. def. Desbordes : apuliam… certe calabriam C Z apuliam (-a Pontieri)… circam (circa Pontieri) calabriam B Pontieri. [-]] vel certe CalabriaApulia vel certe CalabriaApuliam vel certe CalabriamApuliam vel circam CalabriamApulia vel circa Calabriamc'Pour l’expression du lieu, c’est essentiellement à propos de la question quo que Malaterra « s’écarte significativement de l’usage classique » (Desbordes 2010, 200, n. 27, et sur cet extrait, voir ibid., 201, n. 30 ; voir aussi des exemples, supra, I, 8, 2). Pour les emplois non classiques de in avec l’ablatif ou l’accusatif, d’origine populaire, voir García de la Fuente 1994, 305-306. facta quamvis rustico stilo exaravimus, ad ea quae apud incredulam Siciliam gesta sunt qualiterve [+] [qualiterve C Z2 : -terne ZB. [-]] qualitervequaliterve [+] [Z2 : qualiterve [-]] qualiterne diu rebellis subjugata sit intentionem vertamus, ita tamen ut, cum opportunitas expetierit [+] [expetierit C ZB : experierit Pontieri. [-]] expetieritexpetieritexpetieritexperierit, illa quae postea in Apulia vel Roma sive Graecia facta sunt suo in [+] [in om. B Pontieri. [-]] inin[om.] loco oblivione [+] [oblivione C Z : -ni B. [-]] oblivioneoblivioneoblivioneoblivioni non praetereantur [+] [praetereantur Z : -reatur C -reunte B. [-]] praetereanturpraetereanturpraetereaturpraetereunte.

Fin du livre I

Primi libri finis [+] [subscriptiones primi libri finis C explicit liber primus Z ed. pr. subscriptio deest in B. [-]] Primi libri finisExplicit liber primus

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1À propos de la place de cet épisode au sein du récit et de la valeur allégorique du sanglier, voir Sivo 2014, 245-246, n. 33, et « Introduction » de la version imprimée, n. 78 ; voir aussi p. 53.

2Richard II était effectivement, comme le dit Malaterra, le quatrième comte (ou duc) de Normandie. En effet, à Rollon, qui régna de 911 à c. 927/933, succédèrent Guillaume Longue Épée (932-942) et Richard Ier (942-996), père de Richard II.

3Sur les problèmes épineux posés par la traduction de duce, voir « Introduction » de la version imprimée, p. 40-41.

4La chasse au sanglier était particulièrement prisée à l’époque antique – bien plus que celle du cerf –, tant chez les Romains que chez les Germains et les Celtes, à cause de l’extrême vigueur de l’animal, qui en faisait un adversaire redoutable. Chez les Celtes, il est même « le gibier royal par excellence », et les textes littéraires des XIe-XIIIe siècles ne manquent pas de mettre en scène des chasses au sanglier menées par le héros épique (Pastoureau 2000, 9-10). C’est à partir du XIIe siècle qu’en France et en Angleterre la chasse de cet « animal diabolique » commence à être délaissée au bénéfice du cerf, « animal christologique » (ibid., 15-23).

5L’histoire de la conquête de la Sicile commence au livre II, dans lequel sont rapportées les deux premières étapes : l’expulsion des Musulmans de la pointe septentrionale du Val Demone, jusqu’à la capitulation de la région située entre Troina et Castrogiovanni, et l’occupation de la zone septentrionale du Val di Mazara, jusqu’à la prise de Palerme avec l’aide de Guiscard (1072). Dans les livres III et IV, la conquête de la Sicile se poursuit avec les différentes étapes de la guerre contre Benarvet, qā’id de Syracuse et maître du Val di Noto (III, 1, 7-12, 15-18, 30-32 ; IV, 1, 2, 5-6), et la soumission du Val di Noto en 1091 (IV, 12 et IV, 15).

6Il reste surtout à conquérir Bari, dont le siège est rapporté en II, 41 et 43. Les villes placées sous la domination des deux Hauteville en Pouille et en Calabre se révoltent les unes après les autres, si bien que les deux frères doivent veiller à renforcer leurs positions et à les étendre : ils font ensemble le siège de Gerace (II, 23-27). Robert devra notamment réprimer la révolte de Geoffroi de Conversano (II, 39) et celle de son neveu Abélard (III, 4-6). Roger soutiendra ensuite son neveu Roger Borsa contre les prétentions du demi-frère de ce dernier, Bohémond, et contre celles des autres comtes rebelles (IV, 9-11 ; 21-23).

7C’est au livre III que l’on voit Guiscard pousser ses ambitions jusqu’en Grèce. Malaterra fait le récit de sa campagne en Romania (III, 13-14 ; 24-29), puis celui de son retour précipité pour porter secours au pape Grégoire VII, assiégé dans Rome par les Allemands d’Henri IV (III, 33-38). Il retourne alors en Grèce, mais ne peut terminer sa conquête, car il meurt en 1085 (III, 40-41).

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a'L’adjectif singularis, e, « unique, seul, solitaire », a été employé en particulier en latin médiéval pour qualifier le substantif porcus et désigner littéralement le « porc qui vit seul », c’est-à-dire le sanglier (voir Rey 1992, s.v. ; Niermeyer 1997, s.v.). De fait, une fois atteint l’âge adulte, vers deux ans, le sanglier vit le plus souvent en solitaire et ne recherche la femelle qu’au moment du rut.

b'La leçon requiritur de C et B a sans doute été suggérée indépendamment par les formes miratur et condonatur, entre lesquelles elle est placée. Cependant, on peut hésiter, car il n’est pas impossible que Malaterra ait cherché à accentuer la dramatisation de la scène par la succession de trois homéotéleutes. Dans ce cas, il faut aussi reconnaître dans miratur un emploi passif, attesté tardivement (voir Flobert 1975, 373).

c'Pour l’expression du lieu, c’est essentiellement à propos de la question quo que Malaterra « s’écarte significativement de l’usage classique » (Desbordes 2010, 200, n. 27, et sur cet extrait, voir ibid., 201, n. 30 ; voir aussi des exemples, supra, I, 8, 2). Pour les emplois non classiques de in avec l’ablatif ou l’accusatif, d’origine populaire, voir García de la Fuente 1994, 305-306.