chapitre 27

capitulum XXVII

Famine en Calabre

Fames in Calabria fit

<1> En l’an 1058, une terrible catastrophe et le fléau de la colère de Dieu, envoyé, à ce que nous croyons, par un arrêt du Ciel en réponse aux péchés <des hommes>, ruinèrent toute la province de Calabre au cours de trois mois – à savoir mars, avril et mai –, au point que, les habitants se voyant menacés de mort par trois maux quand un seul pouvait suffire à les faire périr, presque personne ne considérait qu’il était possible d’échapper à l’un de ces dangers, quel qu’il fût, à plus forte raison aux trois qui éclataient avec la même violence furieuse. <2> En effet, d’une part sévissait le glaive brandi par les Normands, qui n’épargnait presque personne ; d’autre part, la faim1La famine de 1058 décrite par Malaterra s’explique par le pillage et la destruction systématique des récoltes par les Normands. Loud 2000, 124, fait justement remarquer que l’arrêt brutal de la production diplomatique dans l’évêché d’Oppido, très actif jusqu’en 1057, suggère également que la région fut considérablement appauvrie dans les quelques années suivantes. torturait ces hommes à bout de forces, achevant de les épuiser ; quant au troisième mal, c’était un froid mortel, qui se répandait en suscitant la terreur, affectait presque tous ceux qu’il transperçait et courait tel un incendie auquel on a lâché les rênes fait rage au milieu de roseaux desséchés. <3> Les gens qui avaient de l’argent <ne trouvaient rien> à acheter ; quant à ceux qui n’en avaient pas, ils vendaient comme esclaves à bas prix leurs propres enfants nés libres, mais comme ils ne trouvaient pas où dépenser cet argent pour les besoins de leur subsistance, par la perte de leurs enfants dans cette vente inutile qui ne faisait qu’accroître leur douleur, ils étaient mis à la torture sous le coup pour ainsi dire d’un quatrième fléau. <4> La consommation de viande fraîche sans pain provoquait une dysenterie chez les personnes qui, n’ayant pas de vin, l’accommodaient en buvant de l’eau, et terrassait quantité de gens ou provoquait chez certains de graves anémies2Guillaume de Poitiers (Histoire de Guillaume le Conquérant, R. Foreville (éd. et trad.), Paris, Les Belles Lettres (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge), 1952, II, 27) fait aussi état d’une dysenterie causée par la consommation de viandes fraîches accompagnée d’eau : Milites illic recentibus carnibus et aqua utentes, multi profluvio ventris extincti sunt, plurimi in extremum vitae debilitati discrimen, « Nombreux furent les chevaliers qui, ayant consommé des viandes fraîches et bu de l’eau, y moururent de dysenterie ; plus nombreux encore furent ceux qui, débilités, se trouvèrent en péril de mort » (trad. p. 213). ; mais, si on l’accompagnait d’un vin trop fort, lorsque la chaleur naturelle du vin pur de ce pays se répandait à l’excès, l’estomac qu’on ne renforçait pas avec du pain était nécessairement indisposé, rongé par une sorte de feu intérieur. <5> La sainte observance du Carême, transmise universellement par les pères saints et pieux, se relâcha à cause de la disette, au point que même ceux qui semblaient jusque-là jouir de quelque honorabilité en transgressèrent la règle, consommant non seulement du lait ou du fromage, mais aussi de la viande, autorisée ou interdite aux autres époques de l’année3À propos des règles sur le jeûne pendant le Carême, voir Cabrol & Leclercq 1925, s.v. « Carême ». Les auteurs mentionnent un événement plus tardif, mais comparable à celui qui est rapporté ici par Malaterra et témoignant de la clémence d’Innocent III à l’égard des fidèles qui, souffrant de la faim, ont consommé de la viande durant le Carême.. <6> La stérilité du sol les avait privés des légumes verts4Pour l’agriculture en Calabre, voir Martin & Noyé 1989, en particulier 575-580. Les documents d’archives n’énumèrent pas les produits des jardins potagers, dont l’existence est pourtant évidente (voir Martin 1987, 120), contrairement à la production arbustive comme les châtaigniers et les mûriers ; voir encore Noyé 2000. qui servent habituellement d’accompagnement ; mais lorsqu’on en trouvait, comme ils étaient brûlés par le gel de l’air vicié, une fois consommés, ils faisaient manifestement plus de mal que de bien. Avec les carex des fleuves et les écorces de certains arbres, mêlés à des châtaignes et aux fruits des chênes ou des yeuses – que nous appelons glands –, dont ils privaient les porcs et qu’ils broyaient à la meule après les avoir fait sécher, ils tentaient de faire des pains en ajoutant un peu de millet5Sur l’importance des châtaignes et des glands dans l’alimentation des hommes comme des animaux en Calabre, voir Martin 1987, 121 et 129-130 ; Noyé 2000, 214. Au XIe siècle, les porcs étaient élevés dans les kastra et pouvaient fournir le tiers ou même la moitié de l’alimentation carnée de la population (Noyé 2000, 214 et n. 31).. Les racines crues, qu’ils n’assaisonnaient que de sel, faisaient gonfler le ventre, pâlir le visage et obstruaient les parties vitales. <7> Les mères, dans un geste d’amour, s’efforçaient d’arracher la nourriture de la bouche même de leurs enfants, avec une violence sans retenue, plutôt que de la leur donner. <8> Ainsi, les Calabrais furent accablés par trois fléaux jusqu’aux nouvelles moissons. Mais avec l’arrivée de celles-ci, si la faim disparut, le glaive de la mort se fit encore plus tranchant. En effet, les organismes, épuisés par les privations nées de la disette et ayant perdu l’habitude de se nourrir, étaient exposés à une mort d’autant plus rapide qu’on les restaurait sans aucune modération par une nourriture trop abondante au regard de leurs besoins.

<1> Anno MLVIII clades permaxima [+] [permaxima ZB : proma- C. [-]] permaximapermaximapermaximapromaxima et flagellum irae Dei, ut credimus, peccatis [+] [peccatis om. B. [-]] peccatispeccatispeccatis[om.] exigentibus, divinitus immissum, totam Calabriae [+] [calabriae C ZBx : -iam B. [-]] CalabriaeCalabriaeCalabriae [+] [Bx : Calabriae [-]] calabriam provinciam curriculo [+] [curriculo C ZBx : cor- B. [-]] curriculocurriculocurriculo [+] [Bx : curriculo [-]] corriculo trium mensium, martii [+] [martii post videlicet transt. B. [-]] videlicetmartii videlicetmartii videlicetmartii videlicetvidelicet martii, aprilis et maii, in tantum attrivit ut, trino [+] [trino ZB : utrino C. [-]] trinotrinotrinoutrino morbo mortem [+] [mortem C Z : inesse B. [-]] mortemmortemmorteminesse sibi imminere [+] [imminere C Z : in memore B. [-]] imminereimminereimminerein memore cernentes [+] [cernentes C Z : -tis B. [-]] cernentescernentescernentescernentis, cum unus [+] [unus ego : unum C ZB edd. [-]] unuma'La phrase présente deux singularités. D’une part, la syllepse de nombre relevée par Desbordes 2005, 131, n. 51 : totam Calabriae provinciam… cernentes… aliquis… existimaret ; d’autre part, la construction des pronoms unus et quodvis horum. Tous les manuscrits ont le neutre unum, lequel ne semble pas avoir gêné les éditeurs précédents, bien que ce pronom ne puisse être rapporté qu’à morbus – d’où la correction. Quant à quodvis horum, il est mis pour quodvis horum periculorum, et il n’est pas impossible que pericula, vu sa place, ait subi l’attraction à l’accusatif de tria… detonantia. ad vitae periculum sufficere posset, vix aliquis [+] [aliquis C ZBx def. Desbordes : -quid B Pontieri ad ed. pr. [-]] aliquisaliquis [+] [Bx : aliquis [-]] aliquidad quodvis [+] [quodvis C Z : quod vix B. [-]] quodvisquodvisquodvisquod vixb'On trouve une autre occurrence de quodvis employé comme pronom en II, 29, 6. Cf. aussi quodlibet en II, 28, 5. Ailleurs, voir, par exemple, Benoît d’Aniane, Concordia regularum, P. Bonnerue (éd.), CCCM 168-168A, 1999, chap. 42, p. 359, l. 235 ; Bernard de Clairvaux, De consideratione libri V, in Sancti Bernardi Opera, J. Leclercq, H. M. Rochais (éd.), Rome, Editiones Cistercienses, 1957-1977, vol. III, livre V, 19, p. 483, l. 6. horum, nedum [+] [nedum C Z : nec dum B. [-]] nedumnedumnedumnec dum tria similiter [+] [similiter C def. Desbordes : simul ZB edd. [-]] similitersimul furiosissime detonantia [+] [detonantia C Z : de coran- B. [-]] detonantiadetonantiadetonantiade corantia pericula, se evadere posse [+] [posse Z : -set C B. [-]] posseposseposset existimaret [+] [existimaret C : -marent edd. -mavit Z extimare B. [-]] existimarentexistimavitextimare. <2> Nam una ex parte gladius a Normannis, vix alicui parcens, desaeviebat ; ex alia vero fames [+] [fames C Z : famis B. [-]] famesfamesfamesfamis, viribus exhaustis [+] [exhaustis C Z : ex altis B. [-]] exhaustisexhaustisexhaustisex altis, perlanguida aestuabat [+] [aestuabat C B : aestuebat Z. [-]] aestuabataestuabataestuabataestuebat ; <ex> [+] [ex add. Desbordes. [-]] tertia vero pruina [+] [pruina C Z : pugna B Pontieri. [-]] pruinapruinapugna mortalitatis, horribiliter defluens, vix aliquem [+] [aliquem om. Z ed. pr. [-]] aliquemaliquem[om.] intactum pertransiens [+] [intactum pertransiens C : i. percutiens Z ed. pr. permittens evadere in tantum pertransiens B intactum permittens evadere Pontieri. [-]] intactum percutienspermittens evadere in tantum pertransiensintactum permittens evaderec'L’emploi transitif de pertransire avec un nom animé est attesté dans Ps. 104, 18 : ferrum pertransiit animam eius et Luc. 2, 35 : et tuam ipsius animam pertransiet gladius (voir Blaise & Chirat 1993, s.v.), si bien que le témoignage de C n’a rien d’incertain. L’idée négative contenue dans vix porte sur aliquem : littéralement, l’expression signifie « presque personne » (cf. supra I, 27, 1 : vix aliquis). Une traduction littérale serait : « le froid ne transperçant presque personne sans l’affecter ». On a ainsi trois verbes de mouvement successifs (defluens, pertransiens, percurrebat), qui traduisent de façon très imagée la force fatale du troisième fléau (voir « Introduction » de la version imprimée, p. 56)., ut in [+] [in om. B. [-]] ininin[om.] arenti arundineto laxis habenis furens [+] [furens C dubitanter Z2 : feruens dubitanter Z2B fruens Z. [-]] furensfurens [+] [Z2 : furens aut feruens dubitanter [-]] fruens incendium, percurrebat [+] [percurrebat C Z2B : percrebat Z. [-]] percurrebatpercurrebatpercurrebat [+] [Z2 : percurrebat [-]] percrebat. <3> Pecunias habentes, quod [+] [quod C : quid ZB edd. [-]] quid emerent <…> [+] [lacunam ind. Desbordes. [-]] d'Desbordes 2014, 153, a défendu à juste titre la leçon de C, autem, et a montré qu’il fallait conséquemment supposer une lacune après emerent, dont on ne peut connaître l’importance ni la nature. Cependant, les informations données précédemment par Malaterra indiquent que les Calabrais les plus fortunés étaient tout autant frappés par la disette que les plus pauvres. La traduction proposée pour combler la lacune ne sert qu’à faciliter la lecture. ; non habentes autem [+] [autem C def. Desbordes : at Z om. B atque edd. [-]] autemat[om.]atque, ipsos [+] [ipsos C Z : suos B. [-]] ipsosipsosipsossuos liberos ex ingenuitate procreatos [+] [procreatos C Z : plorantes B Pontieri. [-]] procreatosprocreatosplorantes vili pretio in servitio [+] [servitio C : -tium ZB edd. [-]] servitium venundantes, dum ubi [+] [ubi C B : ibi Z. [-]] ubiubiubiibi illud ad victus utilitatem expenderetur [+] [expenderetur C : -rentur Z -rent B. [-]] expendereturexpendereturexpenderenturexpenderent non inveniebant, ad augmentum [+] [augmentum ZB : augum- C. [-]] augmentumaugmentumaugmentumaugumentum doloris sui amissione [+] [amissione ed. pr. : -nem C Z propter amissionem B Pontieri. [-]] amissionempropter amissionem incassa [+] [incassa C Z : in cussa B. [-]] incassaincassaincassain cussa venditione liberorum quasi quarta calamitate cruciabantur. <4> Recentis carnis [+] [recentis carnis C B : rescentis carnibus Z vescentibus carnibus ed. pr. [-]] Recentis carnisRecentis carnisRescentis carnibusVescentibus carnibus absque panepanepanepane [+] [C1 : pane [-]] pene comestio, quibusdam [+] [quibusdam — condiebatur del. Pontieri. [-]] quibusdamquibusdamquibusdam... *post comestio del. Pontieri vinum non habentibusαCapitani 1977, 70, n. 16, propose de reconnaître dans le syntagme quibusdam vinum non habentibus une réminiscence scripturaire (Jo. 2, 3 : Et deficiente vino dicit mater Iesu ad eum : « Vinum non habent »), adaptée au contexte religieux du fléau divin. ubi [+] [ubi om. B. [-]] ubiubi[om.] aquae potu condiebatur [+] [condiebatur C Z : conducebantur B. [-]] condiebaturcondiebaturconducebantur dysenteriam [+] [dysenteriam ego : dys(s)enteriem C Z ed. pr. deus sententiam B dyssenteriam Pontieri. [-]] dyssenteriem [+] [Z1 : dyssenteriem [-]] dyssentemdeus sententiamdyssenteriam faciens, multos dejiciebat, quosdam autem spleneticos [+] [spleneticos C Z def. Desbordes : -niticos B Pontieri. [-]] spleneticosspleneticosspleneticosspleniticos faciebat ; ubi [+] [ubi — cogebat om. B Pontieri. [-]] ubiubi... *del. Pontieri praeeunte B vero vino fortiori intemperate superfundebatur naturalis [+] [naturalis post calor transt. Z ed. pr. [-]] calor [+] [calor Z : color C. [-]] naturalis colorcalor naturalis ejusdem provinciae [+] [provinciae C Z : perniciem ed. pr. [-]] provinciaeperniciem meri [+] [meri C : lueri Z ed. pr. [-]] lueri, cor quod panis non confirmabat interius [+] [interius C Z : internis ed. pr. [-]] interiusinternis quadam aestuatione corrodens [+] [corrodens C Z2 : como- Z concedens ed. pr. [-]] [+] [Z2 : corrodens [-]] comodensconcedens debilitari cogebatcogebatcogebat. <5> Quadragesimae sanctam observantiam [+] [sanctam observantiam ZB : -ta -tia C. [-]] sanctam observantiamsanctam observantiamsanctam observantiamsancta observantia a [+] [a — angustia om. B. [-]] aaa... sanctis et religiosis patribus catholice contraditam [+] [contraditam Z : contra dictam C contractam Pontieri. [-]] contraditamcontra dictamcontractam angustia [+] [angustia Z : -iam C. [-]] angustiaangustiaangustiam dissolvit in tantum [+] [in tantum — I, 27, 8 periclitabantur C Z : crudis carnibus et fructibus arborum vel corticibus utebantur in cibis B. [-]] in tantumin tantumin tantumcrudis carnibus et fructibus arborum vel corticibus utebantur in cibis uti [+] [uti C : ut Z edd. [-]] ut non solum lactis vel casei verum etiam carnis comestione [+] [comestione C : -nem Z. [-]] comestionecomestionecomestionem  [C/f.7v-8r] reliquis temporibus concessae [+] [concessae C Z : -sa Pontieri. [-]] concessaeconcessaeconcessa et inconcessae [+] [et inconcessae om. Z edd. [-]] [om.] etiam ab ipsis qui alicujus honestatis antea videbantur [+] [videbantur C : -batur Z. [-]] videbanturvidebanturvidebatur violata sit [+] [violata sit C : violata sic Z violaretur sic Z2 edd. [-]] violata sicviolaretur sic [+] [Z2 : violaretur sic [-]] . <6> Herbarum virentia olera quibus pulmentaria fieri solent terrae sterilitas subtraxerat [+] [subtraxerat Z : -xente C. [-]] subtraxeratsubtraxeratsubtraxente ; ubi vero inveniebantur quaedam [+] [quaedam C : quadam Z edd. [-]] quadam, pruina vitiati aeris decocta plus [+] [plus C : post Z ed. pr. [-]] pluspost obesse quam prodesse degustata [+] [degustata Z : degusta C. [-]] degustatadegustatadegusta videbantur. Fluvialibus [+] [fluvialibus Z : flua- C. [-]] FluvialibusFluvialibusFlualibus carectis et quarundam arborum corticibus cum castaneis et quercinis sive ilicinis nucibus, quas glandes dicimus, porcis subtractis et mola [EP/p.20-21] post exsiccationem tritis, panes facere, modico [+] [modico Z : modio C. [-]] modicomodicomodio milii admixto, tentabant. Crudae radices cum solo sale degustatae, ventris tumorem cum pallore vultus excitantes, vitalia intercludebant. <7> Matres [+] [matres C : matris Z. [-]] MatresMatresMatris pietatis [+] [pietatis C : pietate Z ed. pr. [-]] pietatispietate affectu [+] [affectu C Z : astu ed. pr. [-]] affectuaffectuastu ab ipso liberorum ore cibum rapere potius quam administrare impudenti [+] [impudenti C Z2 : impru- Z. [-]] impudentiimpudenti [+] [Z2 : impudenti [-]] imprudenti violentia satagebant. <8> Sic trino flagello usque ad novas fruges attriti sunt. Sed, novis frugibus supervenientibus, fames quidemquidemquidem [+] [Z1 : quidem [-]] quidam propulsa est, gladius vero mortalitatis acutior factus est. Nam corpora famis penuria vacuata et cibo insueta quanto abundantiori cibo contra usum intemperanter reficiebantur, tanto citius periclitabanturpericlitabanturpericlitabanturpericlitabantur.

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1La famine de 1058 décrite par Malaterra s’explique par le pillage et la destruction systématique des récoltes par les Normands. Loud 2000, 124, fait justement remarquer que l’arrêt brutal de la production diplomatique dans l’évêché d’Oppido, très actif jusqu’en 1057, suggère également que la région fut considérablement appauvrie dans les quelques années suivantes.

2Guillaume de Poitiers (Histoire de Guillaume le Conquérant, R. Foreville (éd. et trad.), Paris, Les Belles Lettres (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge), 1952, II, 27) fait aussi état d’une dysenterie causée par la consommation de viandes fraîches accompagnée d’eau : Milites illic recentibus carnibus et aqua utentes, multi profluvio ventris extincti sunt, plurimi in extremum vitae debilitati discrimen, « Nombreux furent les chevaliers qui, ayant consommé des viandes fraîches et bu de l’eau, y moururent de dysenterie ; plus nombreux encore furent ceux qui, débilités, se trouvèrent en péril de mort » (trad. p. 213).

3À propos des règles sur le jeûne pendant le Carême, voir Cabrol & Leclercq 1925, s.v. « Carême ». Les auteurs mentionnent un événement plus tardif, mais comparable à celui qui est rapporté ici par Malaterra et témoignant de la clémence d’Innocent III à l’égard des fidèles qui, souffrant de la faim, ont consommé de la viande durant le Carême.

4Pour l’agriculture en Calabre, voir Martin & Noyé 1989, en particulier 575-580. Les documents d’archives n’énumèrent pas les produits des jardins potagers, dont l’existence est pourtant évidente (voir Martin 1987, 120), contrairement à la production arbustive comme les châtaigniers et les mûriers ; voir encore Noyé 2000.

5Sur l’importance des châtaignes et des glands dans l’alimentation des hommes comme des animaux en Calabre, voir Martin 1987, 121 et 129-130 ; Noyé 2000, 214. Au XIe siècle, les porcs étaient élevés dans les kastra et pouvaient fournir le tiers ou même la moitié de l’alimentation carnée de la population (Noyé 2000, 214 et n. 31).

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a'La phrase présente deux singularités. D’une part, la syllepse de nombre relevée par Desbordes 2005, 131, n. 51 : totam Calabriae provinciam… cernentes… aliquis… existimaret ; d’autre part, la construction des pronoms unus et quodvis horum. Tous les manuscrits ont le neutre unum, lequel ne semble pas avoir gêné les éditeurs précédents, bien que ce pronom ne puisse être rapporté qu’à morbus – d’où la correction. Quant à quodvis horum, il est mis pour quodvis horum periculorum, et il n’est pas impossible que pericula, vu sa place, ait subi l’attraction à l’accusatif de tria… detonantia.

b'On trouve une autre occurrence de quodvis employé comme pronom en II, 29, 6. Cf. aussi quodlibet en II, 28, 5. Ailleurs, voir, par exemple, Benoît d’Aniane, Concordia regularum, P. Bonnerue (éd.), CCCM 168-168A, 1999, chap. 42, p. 359, l. 235 ; Bernard de Clairvaux, De consideratione libri V, in Sancti Bernardi Opera, J. Leclercq, H. M. Rochais (éd.), Rome, Editiones Cistercienses, 1957-1977, vol. III, livre V, 19, p. 483, l. 6.

c'L’emploi transitif de pertransire avec un nom animé est attesté dans Ps. 104, 18 : ferrum pertransiit animam eius et Luc. 2, 35 : et tuam ipsius animam pertransiet gladius (voir Blaise & Chirat 1993, s.v.), si bien que le témoignage de C n’a rien d’incertain. L’idée négative contenue dans vix porte sur aliquem : littéralement, l’expression signifie « presque personne » (cf. supra I, 27, 1 : vix aliquis). Une traduction littérale serait : « le froid ne transperçant presque personne sans l’affecter ». On a ainsi trois verbes de mouvement successifs (defluens, pertransiens, percurrebat), qui traduisent de façon très imagée la force fatale du troisième fléau (voir « Introduction » de la version imprimée, p. 56).

d'Desbordes 2014, 153, a défendu à juste titre la leçon de C, autem, et a montré qu’il fallait conséquemment supposer une lacune après emerent, dont on ne peut connaître l’importance ni la nature. Cependant, les informations données précédemment par Malaterra indiquent que les Calabrais les plus fortunés étaient tout autant frappés par la disette que les plus pauvres. La traduction proposée pour combler la lacune ne sert qu’à faciliter la lecture.

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αCapitani 1977, 70, n. 16, propose de reconnaître dans le syntagme quibusdam vinum non habentibus une réminiscence scripturaire (Jo. 2, 3 : Et deficiente vino dicit mater Iesu ad eum : « Vinum non habent »), adaptée au contexte religieux du fléau divin.