Chapitre 14

Capitulum XIIII1caput 13 1536.

Balaena [la baleine1Le terme latin balaena désigne de façon générique un grand mammifère marin et recouvre des espèces que la classification scientifique distribue aujourd’hui entre les cétacés à fanons (mysticètes) et les cétacés à dents (odontocètes). Les caractéristiques morphologiques ou comportementales des gros cétacés ont inspiré aux auteurs anciens des descriptions qui entremêlent des observations zoologiques exactes et des exagérations fabuleuses, par exemple sur le gigantisme des baleines ou la qualité de leur instinct maternel. Les citations réunies dans ce chapitre fournissent donc des données trop floues et trop déformées pour permettre le repérage d’espèces précises, dont les Anciens n’avaient sans doute pas une perception clairement différenciée. D’après les monographies rassemblées par Shirihai & Jarrett 2007, plusieurs gros cétacés peuvent être à l’origine des informations délivrées par les Anciens, en particulier par Pline, et leurs aires de répartition entrent bien dans les limites du monde connu par l’homme occidental à l’Antiquité et au Moyen Âge. Ainsi, parmi les cétacés à fanons, la baleine franche des Basques, Eubalaena glacialis Müller, 1776, la baleine à bosse, Megaptera novaeangeliae Borowski, 1781, le rorqual bleu (la baleine bleue), Balaenoptera musculus Linné, 1758 et, parmi les cétacés à dents, le cachalot, Physeter macrocephalus Linné, 1758. Les techniques de chasse moderne mises au point au milieu du XIXe siècle (avec, par exemple, le canon lance-harpon) ont entraîné une diminution considérable des populations de ces cétacés ; la baleine grise, Eschrichtius robustus Lilljeborg, 1861, qui a disparu de l’océan Atlantique au début du XVIIe siècle, vivait autrefois le long des côtes de la Baltique et de la Manche et était donc présente dans des eaux connues de l’homme antique et médiéval.] [+][VB 17, 34 De balaena [-]][+]

Balaena [+][VB 17, 34 De balaena [-]][+]

Renvois internes : Balaena : cf. Aspidochelon, ch. 5 ; Cetus, ch. 19.

Lieux parallèles : TC, De cetho (6, 6) ; AM, [Cetus] (24, 23 (14-19)).

poisson

[1] [] VB 17, 34, 1Isidore. [] Isid. orig. 12, 6, 7La baleine est une bête énorme, nommée de ce qu’elle lance et répand l’eau. En effet, elle projette l’eau plus haut que toutes les autres bêtes de la mer. Or, « lancer » se dit balin en grec.

[1] [] VB 17, 34, 1Isidorus. [] Isid. orig. 12, 6, 7Ballenae autem sunt inmensae magnitudinis bestiae, ab emittendo et fundendo aquas uocatae ; ceteris enim bestiis maris altius iaciunt undas : βάλλειν enim graece emittere dicitur.Balaena est immensae magnitudinis bestia, ab emittendo et fundendo aquas vocata. Ceteris enim bestiis maris altius jacit undas. Balin2L’étymologie proposée par Isidore de Séville, qui rapproche le latin ballaena (avec la géminée) du verbe grec βάλλειν, « lancer », est fantaisiste (voir De Saint-Denis 1947, 13-14 ; André 1986, 187, n. 338). Une autre étymologie, plus raisonnable, a été proposée dès l’Antiquité par Festus, cité par Paul Diacre (Paul. Fest. 26, 6), qui fait descendre le latin ballaena du grec φάλαινα, « la baleine ». Cependant, les dictionnaires étymologiques de Ernout & Meillet 1967, s. v. ballaena, et de Chantraine 1990, s. v. φάλαινα, préfèrent voir dans le latin ballaena et le grec φάλαινα deux mots de même origine mais sans emprunt du latin au grec. Ils suggèrent un rapport avec φαλλός qui désigne le pénis et supposent en amont une famille indo-européenne de mots signifiant « se gonfler ». autem Graece dicitur emittere.

[2] [] VB 17, 34, 2Pline, livre 9. [] Plin. nat. 9, 12Dans l’océan de Cadix, elles ne se montrent pas, dit-on, avant le solstice d’hiver ; elles disparaissent au moment de l’été dans un golfe paisible et spacieux, où elles se plaisent étonnamment à mettre bas2Les cétacés à fanons effectuent des migrations entre les eaux froides, où ils passent l’été, et les eaux tempérées et chaudes, où ils se reproduisent : la baleine à bosse passe ainsi des eaux polaires aux tropiques. En revanche, on connaît moins bien les déplacements et les destinations des odontocètes, qui semblent effectuer des migrations plus modestes.. Ceci est bien connu des orques, leur ennemi, dont aucun autre portrait ne saurait mieux donner une idée : une énorme masse de chair, aux dents redoutables. [] Plin. nat. 9, 13Donc les orques font irruption dans les retraites des baleines, déchirent à coups de dents leurs petits, ou les mères qui viennent de mettre bas, ou les femelles encore pleines, et, se précipitant, les percent comme font les éperons des liburnes. Les baleines, incapables de tourner, inaptes à la contre-attaque et accablées par leur poids, alors qu’elles ont le ventre lourd ou qu’elles ne sont pas remises des douleurs de la parturition, ne connaissent d’autre ressource que la fuite en haute mer et l’abri de tout l’océan. Les orques s’efforcent de leur barrer la route, de les bloquer et de les massacrer dans des défilés étroits3Le texte original de Pline porte la leçon caueatas angustiis trucidare, « [les orques s’efforcent] de les massacrer dans l’espace étroit qui les emprisonne » (De Saint-Denis 1955, 41-42), avec le participe caueatas se rapportant aux baleines. La leçon cavatis angustiis, « dans des défilés étroits », héritée par l’Hortus sanitatis de Vincent de Beauvais, s’explique par une erreur de transmission banale et difficilement décelable puisqu’elle aboutit à un texte très recevable, que nous avons conservé., de les pousser sur des bancs de sable, de les jeter contre les rochers. Le spectacle de ces combats est comparable à celui d’une mer irritée contre elle-même ; pas de vent dans le golfe, et cependant des vagues que les halètements et les coups soulèvent, aussi hautes que nul cyclone n’en roule4L’orque ou épaulard (Orcinus orca Linné, 1758) est un cétacé à dents très largement répandu de la famille des dauphins. C’est un carnassier, que sa taille rend redoutable : le mâle peut atteindre 9 m, peser jusqu’à 5 tonnes et ses dents, qui sont au nombre de 20 à 26 sur chaque mâchoire, peuvent mesurer 12 cm. Les orques vivent en groupes solidement organisés, en particulier dans les eaux côtières. Les groupes de type migrateur sont des chasseurs de mammifères et réunissent de 5 à 30 individus qui s’entendent pour acculer sur le rivage des phoques ou des dauphins. L’orque fait l’objet d’une notice spécifique au chapitre 64 de l’Hortus sanitatis, qui résulte exactement du même passage de Pline, mais à travers le filtre de Thomas de Cantimpré.. [] Plin. nat. 9, 16Les baleines ont au front des évents, ce qui leur permet, quand elles nagent à la surface de l’eau, de souffler en l’air des trombes d’eau. [] Plin. nat. 9, 19Les baleines n’ont pas de branchies, les dauphins non plus ; ces deux espèces respirent par des conduits qui aboutissent au poumon ; les baleines les ont au front, les dauphins, sur le dos5Les cétacés respirent par un évent (unique chez les cétacés à dents, double chez les cétacés à fanons) situé sur le dessus de la tête. La phase d’expiration correspond à une ouverture partielle de l’évent et la phase d’inspiration à une ouverture totale ; l’expiration s’accompagne d’un souffle vertical, sauf pour le cachalot, chez lequel le souffle est incliné. Pline reproduit ici très fidèlement un renseignement donné par Arist. HA 489 b 2-5. En réalité, l’évent du dauphin n’est pas situé sur son dos, mais, par rapport à la baleine, un peu plus en arrière de la tête (voir De Saint-Denis 1955, 104, n. 1, à propos de Plin. nat. 9, 19 ; voir aussi, sur la respiration des cétacés, Plin. nat. 9, 16)..

[2] [] VB 17, 34, 2Plinius libro nono3L’Hortus sanitatis, via Vincent de Beauvais, puise ici ses informations dans Plin. nat. 9, 8-19, et les restitue fidèlement. Nous reprenons la traduction proposée par De Saint-Denis 1955, 41-44, sauf les expressions en romain qui rendent compte des variantes de l’Hortus sanitatis.. [] Plin. nat. 9, 12In Gaditano oceano non ante brumam conspici eas tradunt, condi autem statis temporibus in quodam sinu placido et capaci, mire gaudentis ibi parere ; hoc scire orcas, infestam his beluam et cuius imago nulla repraesentatione exprimi possit alia quam carnis inmensae dentibus truculentae.Balaenas in Gaditano oceano non ante brumam4brunam 1491 prunam Prüss1. conspici tradunt, condi autem aestatis temporibus in quodam sinu placido5placito Prüss1. et capaci, mire6miri 1536. gaudentes ibi parere ; hoc scire orcas7orchas VBd ut semper., infestam his beluam et cujus imago nulla representatione alia possit exprimi quam carnis immensae dentibus truculentae. [] Plin. nat. 9, 13Inrumpunt ergo in secreta ac uitulos earum aut fetas uel etiamnum grauidas lancinant morsu incursuque ceu Liburnicarum rostris fodiunt. Illae ad flexum inmobiles, ad repugnandum inertes et pondere suo oneratae, tunc quidem utero graues pariendiue poenis inualidae, solum auxilium nouere in altum profugere et se toto defendere oceano. Contra orcae occurrere laborant seseque opponere et caueatas angustiis trucidare, in vada urguere, saxis inlidere. Spectantur ea proelia ceu mari ipso sibi irato, nullis in sinu uentis, fluctibus uero ad anhelitus ictusque quantos nulli turbines uoluunt.Irrumpunt ergo in secreta vitulosque illarum aut8et 1536. fetas9fetus 1491 Prüss1 VB . vel etiamnum10etiam nondum 1491 Prüss1 VB etiam nimi 1536. gravidas morsu lacerant incursuque ceu Liburnicarum rostris fodiunt. Illae vero ad flexum immobiles, ad repugnandum inertes11inerte 1536 merces 1491 Prüss1. ac pondere suo oneratae12onerare 1491., tunc quidem in utero graves pariendive poenis invalidae, solum auxilium noverunt in altum perfugere13profugere VB. seque toto oceano defendere. Econtra14contra 1536. orcae laborant occurrere[Prüss1/vue 7] seque15seseque 1536. opponere et cavatis16cautium 1536. angustiis trucidare, in vada urgere17urgere iter. 1491., saxis18satis 1491 Prüss1. illidere. Spectantur hujusmodi proelia ceu ipso mari sibi irato, nullis in sinu ventis, fluctibus vero ad anhelitus ictusque quantos nulli turbines volvunt19volvant 1491 Prüss1 1536 VB.. [] Plin. nat. 9, 16Ora ballaenae habent in frontibus ideoque summa aqua natantes in sublime nimbos efflant.Ora balaenae habent in frontibus ideoque summa aqua annatantes20annotantes 1491 Prüss1. in sublime21summa 1491 Prüss1 VB. nimbos efflant. [] Plin. nat. 9, 19Branchiae non sunt ballaenis nec delphinis. Haec duo genera fistula spirant, quae ad pulmonem pertinet, ballaenis a fronte, delphinis a dorso.Balaenis branchiae non sunt, sicut nec delphinis. Haec duo genera fistulis spirant quae ad pulmonem pertinent22pertinet VB2., balaenis a fronte, delphinis23delphinas 1491 Prüss1 1536 delphinus VB2. a dorso.

[3] [] VB 17, 34, 2Même auteur. [] Plin. nat. 9, 41Ceux qui sont vêtus de poil sont vivipares, comme le poisson scie, la baleine, le veau marin6L’assertion de Pline est plutôt malheureuse. Il s’agit d’une réminiscence d’Aristote (Arist. HA 566 b 3-5), mais très malmenée par Pline : « Le dauphin, la baleine et les autres cétacés, qui n’ont pas de branchies mais un évent, sont vivipares, de même que le poisson-scie et le bœuf marin » (Louis 1968, 86). Aristote évoque bien des animaux vivipares, mais il ne fait pas mention d’animaux « à poil », et sous le terme βοῦς, « bœuf », il désigne la raie cornue (qu’on nomme encore la mante ou le diable de mer, une espèce de raie à fouet), et non le veau marin ou phoque (voir Louis 1968, 86 ; De Saint-Denis 1955, 109). Le poisson scie fait l’objet d’une notice de l’Hortus sanitatis : voir Pistris, ch. 69..

[3] [] VB 17, 34, 2Item24idem 1536.. [] Plin. nat. 9, 41Quae pilo uestiuntur animal pariunt, ut pristis, ballaena, uitulus.Quae pilo vestiuntur animalia pariunt, ut pristis25pristes 1536. balaena vitulus.

[4] [] VB 17, 34, 3Le même au livre 10. [] Plin. nat. 10, 210Les baleines et les dauphins dorment. En effet, on les entend même ronfler7Les baleines émettent une grande variété de sons de basse fréquence : gazouillis, ronflements, grognements, dans des chants qui varient selon les individus et les saisons, mais sont compréhensibles au sein d’une même espèce. Les dauphins communiquent entre eux par un système sophistiqué de sons et d’ultrasons. Les cétacés sont dépourvus de cordes vocales et leurs émissions sonores ne relèvent pas des mêmes mécanismes chez les cétacés à fanons (où ils sont encore imparfaitement connus) et chez les odontocètes, comme les dauphins (où interviennent des dispositifs complexes des fosses nasales)..

[4] [] VB 17, 34, 3Idem in libro decimo. [] Plin. nat. 10, 210Nam delphini ballaenaeque stertentes etiam audiuntur.Balaenae ac delphini dormiunt. Nam etiam stertentes audiuntur.

[5] [] VB 17, 34, 4Solin. [] Sol. coll. 52, 42Les mers de l’Inde abritent des baleines qui mesurent plus de quatre arpents8D’après les observations actuelles, les plus grands cétacés atteignent couramment jusqu’à 18 m pour la baleine grise, le cachalot, la baleine franche des Basques ; et jusqu’à plus de 30 m pour le plus grand d’entre eux, le rorqual bleu. Si on comprend jugerum comme l’unité de longueur valant 104 pieds romains, soit 30,75 m, on arrive à une taille de plus de 120 m, ce qui semble exorbitant. Voir De Saint-Denis 1955, 100, n. 1, à propos de Plin. nat. 9, 4.. Et celles qu’on appelle fascituras9La forme fascituras qu’on lit dans l’Hortus sanitatis est une déformation de la forme normalement attendue physeteras ; le terme latin physeter est un emprunt au grec φυσητήρ, qui signifie littéralement le « souffleur ». La description du physeter chez Pline et Strabon (Strab. 3, 2, 7) ne peut convenir qu’au rorqual bleu ou au cachalot, et il faut sans doute comprendre que ce sont les souffles de l’animal qui dépassent en hauteur la voilure des bateaux (voir De Saint-Denis 1955, 40 ; 102, n. 1). Le souffle du rorqual bleu s’élève verticalement en formant une colonne qui peut atteindre 12 m de hauteur, tandis que celui du cachalot, en forme de buisson, est oblique sur 1 à 5 m de hauteur. D’Arcy Thompson 1947, 280, s. v. φυσητήρ, remarque que seul le fait qu’on rencontre le cachalot en Méditerranée – alors que le rorqual bleu est présent dans les océans Indien et Atlantique, mais non en Méditerranée –, joue en faveur de l’identification traditionnelle du physeter avec le cachalot (Physeter macrocephalus Linné, 1758)., qui, énormes, sont plus grandes que d’immenses colonnes, se dressent hors de l’eau plus haut que les vergues des navires et soufflent l’eau qu’elles ont avalée par leurs conduits, si bien qu’elles font souvent couler les embarcations des marins dans un déferlement liquide.

[5] [] VB 17, 34, 4Solinus26Solin emprunte ses informations à Plin. nat. 9, 4 et Plin. nat. 9, 8.. [] Sol. coll. 52, 42Indica maria balaenas habent ultra spatia quattuor iugerum, sed et quos physeteras nuncupant, qui enormes supra molem ingentium columnarum, ultra antennas se nauium extollunt, haustosque fistulis fluctus ita eructant ut nimbosa alluuie plerumque deprimant alueos nauigantium.Indica maria balaenas ultra spatia quattuor jugerum habent. Sed quos fascituras nuncupant, qui enormes supra molem ingentium columnarum, ultra navium antemnas se extollunt, haustosque fistulis fluctus ita eructuant27eructant VB. ut nimbosa alluvie plerumque navigantium alveos deprimant.

[6] [] VB 17, 34, 5D’après le Liber de natura rerum. [] TC 6, 6, 18-19Les baleines, n’ayant pas de branchies, respirent par un conduit, ce qui se rencontre rarement chez les animaux marins. [] TC 6, 6, 12-18Elles portent leurs baleineaux quand ils sont malades et qu’ils sont faibles10Via Thomas de Cantimpré, ce renseignement remonte à Plin. nat. 9, 21 : Nutriunt uberibus, sicut ballaena, atque etiam gestant fetus infantia infirmos, « [les dauphins] les allaitent comme la baleine et même les portent quand ils ont la faiblesse du premier âge » (De Saint-Denis 1955, 44). Mais Pline évoque en ce passage les dauphins et ne mentionne les baleines qu’à titre de comparaison ; par ailleurs, il emprunte lui-même sa notice à des indications données par Arist. HA 566 b 16-23 sur le dauphin (δελφίς) et les marsouins (φώκαινα). Les remarques des Anciens sur l’attention portée par les cétacés à leur progéniture relèvent bien de l’observation et sont aujourd’hui confirmées : les femelles allaitent les petits, les assistent et les protègent du danger jusqu’à ce qu’ils aient acquis leur autonomie. et, s’ils sont petits, elles les prennent dans leur bouche. Elles agissent de même quand la tempête menace et elles les recrachent après la tempête11On trouve des allusions à cette faculté des cétacés dès l’Antiquité, par exemple chez Ambroise (Ambr. hex. 5, 7). Cela devient ensuite un lieu commun dans les encyclopédies médiévales. Cette tradition bien attestée semble remonter au développement qu’Aristote (Arist. HA 566 b 16-18) consacre aux phoques et aux marsouins, qui a été mal lue par les lecteurs et commentateurs d’Aristote, y compris ceux de l’époque moderne, comme l’a montré L. Bodson. Les traducteurs ont semble-t-il mal interprété le verbe grec εἰσδέχονται au sens de « retirer en eux-mêmes », d’où « cacher dans leur ventre », alors qu’il signifiait simplement « accueillir, accepter à leurs côtés » (Bodson 1983, 398, n. 19, 400-401, n. 30). C’est ainsi que par exemple Louis 1968, 87, traduit le texte d’Aristote : « le dauphin et le marsouin ont du lait et allaitent leurs petits, et ils les retirent en eux-mêmes tant qu’ils sont de taille réduite ». Une observation tout à fait juste d’Aristote sur le comportement parental des dauphins se retrouve, par sa formulation équivoque, à l’origine d’une tradition fabuleuse, qui est sans doute passée facilement aux baleines, dont la taille devait faire croire à leur capacité à ingurgiter leurs petits.. Dès l’instant que les petits sont empêchés de rejoindre leur mère, les eaux étant trop basses, la mère vomit dans leur direction l’eau qu’elle a conservée dans sa bouche, dans une sorte de fleuve qui délivre ainsi ceux qui se sont échoués. Les baleines accompagnent longtemps leurs petits, même adultes. Elles grandissent vite, et leur croissance dure dix ans12Cette information de Thomas de Cantimpré remonte, par l’intermédiaire de Pline, au développement d’Aristote sur les dauphins (Arist. HA 566 b 18-19, sur la croissance des petits ; Arist. HA 566 b 22-23, sur l’amour maternel) et ne concernait pas à l’origine les baleines. Le dauphin fait l’objet d’une description spécifique dans un chapitre de l’Hortus sanitatis : voir Delphin, ch. 27..

[6] [] VB 17, 34, 5Ex Libro de naturis rerum28La matière du long développement que Thomas de Cantimpré accorde au cète, tel qu’on peut le lire dans l’édition Boese du Liber de natura rerum, est distribuée, dans le Speculum naturale, entre le chapitre que Vincent de Beauvais consacre à la baleine (ch. 34) et ceux qu’il consacre au cète (ch. 41, 42, 43). L’édition Boese témoigne cependant d’un état de la tradition manuscrite qui comportait, en plus du chapitre De cetho du livre 6 De monstris, un chapitre intitulé De cetho uel ballena au livre 7 De piscibus (entre TC 7, 18 et 7, 19) ; c’est peut-être à cet état de l’œuvre de Thomas de Cantimpré que remonte la répartition observée dans le Speculum naturale, plus qu’à un tri opéré par Vincent de Beauvais lui-même. L’Hortus sanitatis, via Vincent de Beauvais, reproduit fidèlement le contenu de la notice de Thomas de Cantimpré, mais il en modifie l’organisation interne en déplaçant le fragment TC 6, 6, 18-19, en début de citation. Le texte de Thomas de Cantimpré résulte ici de la combinaison de deux sources : Pline, auquel Thomas de Cantimpré renvoie pour le fragment TC 6, 6, 12-13, et l’Experimentator, dont la référence ouvre la séquence TC 6, 6, 13-19. La nature de l’œuvre désignée par Thomas de Cantimpré sous le nom d’Experimentator et les formes possibles sous lesquelles elle est parvenue jusqu’à nous font encore aujourd’hui l’objet de vifs débats (voir le traitement très récent de la question dans Van den Abeele 2011 ; avec de fortes réserves, en particulier sur l’analyse et la restitution proposées par Deus 1998). Thomas de Cantimpré présente l’Experimentator, l’une de ses sources privilégiées pour les livres 4 à 9 sur les animaux, comme une compilation contemporaine : Inveni etiam librum quendam suppresso auctoris nomine, quem modernis temporibus compilatum audivi (TC, Prologue, 36-39), et les fragments qui sont mis au compte de l’Experimentator laissent entrevoir un traité qui faisait la part belle aux usages médicinaux et magiques tirés des animaux.. [] TC 6, 6, 18-19Balaenae, branchias non habentes, fistula spirant, quod raro in marinis animalibus invenitur. [] TC 6, 6, 12-18Fetus suos gestant cum infirmantur et invalidi sunt ; et si parvi sunt, eos in ore suscipiunt. Hoc idem imminente tempestate faciunt, et post tempestatem illos evomunt. Quoniam29quando VB. propter defectum aquae fetus impediuntur ne matrem sequantur, mater aquam in ore receptam instar fluvii ad eos ejicit ut sic inhaerentes terrae liberet30L’emprunt à l’Experimentator se poursuit avec ce nouvel exemple de la sollicitude maternelle des baleines, peut-être inspiré des phénomènes d’échouage sur le rivage. On trouve chez Barthélemy l’Anglais une notice similaire, placée sous le patronage de Iorach, qui laisse supposer que l’Experimentator et Iorach ont puisé à une même tradition, qui a sans doute circulé entre Orient et Occident : catulos suos amore mire diligit et eos in pelago longo tempore circumducit ; quod si eos ab arenarum cumulis impedire contigerit, aquae multitudinem in ore collectam super eos fundit, et sic eos a periculo liberans ad profundum pelagi reuocat (De proprietatibus rerum, livre XIII, De aqua, ch. 26, De piscibus, 1650, p. 587). Voir, pour ce rapprochement, Draelants 2000, 266.. Adultos etiam diu comitatur. Adolescunt autem celeriter et decem annis crescunt31Thomas de Cantimpré n’enferme pas ses citations dans des limites strictes, et ce passage, bien qu’intégré dans un renvoi à l’Experimentator, semble bien remonter à Pline, invoqué par Thomas de Cantimpré juste auparavant (à moins qu’il ne s’agisse d’une transmission indirecte via l’Experimentator). La similitude est en effet très claire avec Plin. nat. 9, 21 : Quin et adultos diu comitantur magna erga partum caritate. Adolescunt celeriter, X annis putantur ad summam magnitudinem peruenire..

~

1Le terme latin balaena désigne de façon générique un grand mammifère marin et recouvre des espèces que la classification scientifique distribue aujourd’hui entre les cétacés à fanons (mysticètes) et les cétacés à dents (odontocètes). Les caractéristiques morphologiques ou comportementales des gros cétacés ont inspiré aux auteurs anciens des descriptions qui entremêlent des observations zoologiques exactes et des exagérations fabuleuses, par exemple sur le gigantisme des baleines ou la qualité de leur instinct maternel. Les citations réunies dans ce chapitre fournissent donc des données trop floues et trop déformées pour permettre le repérage d’espèces précises, dont les Anciens n’avaient sans doute pas une perception clairement différenciée. D’après les monographies rassemblées par Shirihai & Jarrett 2007, plusieurs gros cétacés peuvent être à l’origine des informations délivrées par les Anciens, en particulier par Pline, et leurs aires de répartition entrent bien dans les limites du monde connu par l’homme occidental à l’Antiquité et au Moyen Âge. Ainsi, parmi les cétacés à fanons, la baleine franche des Basques, Eubalaena glacialis Müller, 1776, la baleine à bosse, Megaptera novaeangeliae Borowski, 1781, le rorqual bleu (la baleine bleue), Balaenoptera musculus Linné, 1758 et, parmi les cétacés à dents, le cachalot, Physeter macrocephalus Linné, 1758. Les techniques de chasse moderne mises au point au milieu du XIXe siècle (avec, par exemple, le canon lance-harpon) ont entraîné une diminution considérable des populations de ces cétacés ; la baleine grise, Eschrichtius robustus Lilljeborg, 1861, qui a disparu de l’océan Atlantique au début du XVIIe siècle, vivait autrefois le long des côtes de la Baltique et de la Manche et était donc présente dans des eaux connues de l’homme antique et médiéval.

2Les cétacés à fanons effectuent des migrations entre les eaux froides, où ils passent l’été, et les eaux tempérées et chaudes, où ils se reproduisent : la baleine à bosse passe ainsi des eaux polaires aux tropiques. En revanche, on connaît moins bien les déplacements et les destinations des odontocètes, qui semblent effectuer des migrations plus modestes.

3Le texte original de Pline porte la leçon caueatas angustiis trucidare, « [les orques s’efforcent] de les massacrer dans l’espace étroit qui les emprisonne » (De Saint-Denis 1955, 41-42), avec le participe caueatas se rapportant aux baleines. La leçon cavatis angustiis, « dans des défilés étroits », héritée par l’Hortus sanitatis de Vincent de Beauvais, s’explique par une erreur de transmission banale et difficilement décelable puisqu’elle aboutit à un texte très recevable, que nous avons conservé.

4L’orque ou épaulard (Orcinus orca Linné, 1758) est un cétacé à dents très largement répandu de la famille des dauphins. C’est un carnassier, que sa taille rend redoutable : le mâle peut atteindre 9 m, peser jusqu’à 5 tonnes et ses dents, qui sont au nombre de 20 à 26 sur chaque mâchoire, peuvent mesurer 12 cm. Les orques vivent en groupes solidement organisés, en particulier dans les eaux côtières. Les groupes de type migrateur sont des chasseurs de mammifères et réunissent de 5 à 30 individus qui s’entendent pour acculer sur le rivage des phoques ou des dauphins. L’orque fait l’objet d’une notice spécifique au chapitre 64 de l’Hortus sanitatis, qui résulte exactement du même passage de Pline, mais à travers le filtre de Thomas de Cantimpré.

5Les cétacés respirent par un évent (unique chez les cétacés à dents, double chez les cétacés à fanons) situé sur le dessus de la tête. La phase d’expiration correspond à une ouverture partielle de l’évent et la phase d’inspiration à une ouverture totale ; l’expiration s’accompagne d’un souffle vertical, sauf pour le cachalot, chez lequel le souffle est incliné. Pline reproduit ici très fidèlement un renseignement donné par Arist. HA 489 b 2-5. En réalité, l’évent du dauphin n’est pas situé sur son dos, mais, par rapport à la baleine, un peu plus en arrière de la tête (voir De Saint-Denis 1955, 104, n. 1, à propos de Plin. nat. 9, 19 ; voir aussi, sur la respiration des cétacés, Plin. nat. 9, 16).

6L’assertion de Pline est plutôt malheureuse. Il s’agit d’une réminiscence d’Aristote (Arist. HA 566 b 3-5), mais très malmenée par Pline : « Le dauphin, la baleine et les autres cétacés, qui n’ont pas de branchies mais un évent, sont vivipares, de même que le poisson-scie et le bœuf marin » (Louis 1968, 86). Aristote évoque bien des animaux vivipares, mais il ne fait pas mention d’animaux « à poil », et sous le terme βοῦς, « bœuf », il désigne la raie cornue (qu’on nomme encore la mante ou le diable de mer, une espèce de raie à fouet), et non le veau marin ou phoque (voir Louis 1968, 86 ; De Saint-Denis 1955, 109). Le poisson scie fait l’objet d’une notice de l’Hortus sanitatis : voir Pistris, ch. 69.

7Les baleines émettent une grande variété de sons de basse fréquence : gazouillis, ronflements, grognements, dans des chants qui varient selon les individus et les saisons, mais sont compréhensibles au sein d’une même espèce. Les dauphins communiquent entre eux par un système sophistiqué de sons et d’ultrasons. Les cétacés sont dépourvus de cordes vocales et leurs émissions sonores ne relèvent pas des mêmes mécanismes chez les cétacés à fanons (où ils sont encore imparfaitement connus) et chez les odontocètes, comme les dauphins (où interviennent des dispositifs complexes des fosses nasales).

8D’après les observations actuelles, les plus grands cétacés atteignent couramment jusqu’à 18 m pour la baleine grise, le cachalot, la baleine franche des Basques ; et jusqu’à plus de 30 m pour le plus grand d’entre eux, le rorqual bleu. Si on comprend jugerum comme l’unité de longueur valant 104 pieds romains, soit 30,75 m, on arrive à une taille de plus de 120 m, ce qui semble exorbitant. Voir De Saint-Denis 1955, 100, n. 1, à propos de Plin. nat. 9, 4.

9La forme fascituras qu’on lit dans l’Hortus sanitatis est une déformation de la forme normalement attendue physeteras ; le terme latin physeter est un emprunt au grec φυσητήρ, qui signifie littéralement le « souffleur ». La description du physeter chez Pline et Strabon (Strab. 3, 2, 7) ne peut convenir qu’au rorqual bleu ou au cachalot, et il faut sans doute comprendre que ce sont les souffles de l’animal qui dépassent en hauteur la voilure des bateaux (voir De Saint-Denis 1955, 40 ; 102, n. 1). Le souffle du rorqual bleu s’élève verticalement en formant une colonne qui peut atteindre 12 m de hauteur, tandis que celui du cachalot, en forme de buisson, est oblique sur 1 à 5 m de hauteur. D’Arcy Thompson 1947, 280, s. v. φυσητήρ, remarque que seul le fait qu’on rencontre le cachalot en Méditerranée – alors que le rorqual bleu est présent dans les océans Indien et Atlantique, mais non en Méditerranée –, joue en faveur de l’identification traditionnelle du physeter avec le cachalot (Physeter macrocephalus Linné, 1758).

10Via Thomas de Cantimpré, ce renseignement remonte à Plin. nat. 9, 21 : Nutriunt uberibus, sicut ballaena, atque etiam gestant fetus infantia infirmos, « [les dauphins] les allaitent comme la baleine et même les portent quand ils ont la faiblesse du premier âge » (De Saint-Denis 1955, 44). Mais Pline évoque en ce passage les dauphins et ne mentionne les baleines qu’à titre de comparaison ; par ailleurs, il emprunte lui-même sa notice à des indications données par Arist. HA 566 b 16-23 sur le dauphin (δελφίς) et les marsouins (φώκαινα). Les remarques des Anciens sur l’attention portée par les cétacés à leur progéniture relèvent bien de l’observation et sont aujourd’hui confirmées : les femelles allaitent les petits, les assistent et les protègent du danger jusqu’à ce qu’ils aient acquis leur autonomie.

11On trouve des allusions à cette faculté des cétacés dès l’Antiquité, par exemple chez Ambroise (Ambr. hex. 5, 7). Cela devient ensuite un lieu commun dans les encyclopédies médiévales. Cette tradition bien attestée semble remonter au développement qu’Aristote (Arist. HA 566 b 16-18) consacre aux phoques et aux marsouins, qui a été mal lue par les lecteurs et commentateurs d’Aristote, y compris ceux de l’époque moderne, comme l’a montré L. Bodson. Les traducteurs ont semble-t-il mal interprété le verbe grec εἰσδέχονται au sens de « retirer en eux-mêmes », d’où « cacher dans leur ventre », alors qu’il signifiait simplement « accueillir, accepter à leurs côtés » (Bodson 1983, 398, n. 19, 400-401, n. 30). C’est ainsi que par exemple Louis 1968, 87, traduit le texte d’Aristote : « le dauphin et le marsouin ont du lait et allaitent leurs petits, et ils les retirent en eux-mêmes tant qu’ils sont de taille réduite ». Une observation tout à fait juste d’Aristote sur le comportement parental des dauphins se retrouve, par sa formulation équivoque, à l’origine d’une tradition fabuleuse, qui est sans doute passée facilement aux baleines, dont la taille devait faire croire à leur capacité à ingurgiter leurs petits.

12Cette information de Thomas de Cantimpré remonte, par l’intermédiaire de Pline, au développement d’Aristote sur les dauphins (Arist. HA 566 b 18-19, sur la croissance des petits ; Arist. HA 566 b 22-23, sur l’amour maternel) et ne concernait pas à l’origine les baleines. Le dauphin fait l’objet d’une description spécifique dans un chapitre de l’Hortus sanitatis : voir Delphin, ch. 27.

~

1caput 13 1536.

2L’étymologie proposée par Isidore de Séville, qui rapproche le latin ballaena (avec la géminée) du verbe grec βάλλειν, « lancer », est fantaisiste (voir De Saint-Denis 1947, 13-14 ; André 1986, 187, n. 338). Une autre étymologie, plus raisonnable, a été proposée dès l’Antiquité par Festus, cité par Paul Diacre (Paul. Fest. 26, 6), qui fait descendre le latin ballaena du grec φάλαινα, « la baleine ». Cependant, les dictionnaires étymologiques de Ernout & Meillet 1967, s. v. ballaena, et de Chantraine 1990, s. v. φάλαινα, préfèrent voir dans le latin ballaena et le grec φάλαινα deux mots de même origine mais sans emprunt du latin au grec. Ils suggèrent un rapport avec φαλλός qui désigne le pénis et supposent en amont une famille indo-européenne de mots signifiant « se gonfler ».

3L’Hortus sanitatis, via Vincent de Beauvais, puise ici ses informations dans Plin. nat. 9, 8-19, et les restitue fidèlement. Nous reprenons la traduction proposée par De Saint-Denis 1955, 41-44, sauf les expressions en romain qui rendent compte des variantes de l’Hortus sanitatis.

4brunam 1491 prunam Prüss1.

5placito Prüss1.

6miri 1536.

7orchas VBd ut semper.

8et 1536.

9fetus 1491 Prüss1 VB .

10etiam nondum 1491 Prüss1 VB etiam nimi 1536.

11inerte 1536 merces 1491 Prüss1.

12onerare 1491.

13profugere VB.

14contra 1536.

15seseque 1536.

16cautium 1536.

17urgere iter. 1491.

18satis 1491 Prüss1.

19volvant 1491 Prüss1 1536 VB.

20annotantes 1491 Prüss1.

21summa 1491 Prüss1 VB.

22pertinet VB2.

23delphinas 1491 Prüss1 1536 delphinus VB2.

24idem 1536.

25pristes 1536.

26Solin emprunte ses informations à Plin. nat. 9, 4 et Plin. nat. 9, 8.

27eructant VB.

28La matière du long développement que Thomas de Cantimpré accorde au cète, tel qu’on peut le lire dans l’édition Boese du Liber de natura rerum, est distribuée, dans le Speculum naturale, entre le chapitre que Vincent de Beauvais consacre à la baleine (ch. 34) et ceux qu’il consacre au cète (ch. 41, 42, 43). L’édition Boese témoigne cependant d’un état de la tradition manuscrite qui comportait, en plus du chapitre De cetho du livre 6 De monstris, un chapitre intitulé De cetho uel ballena au livre 7 De piscibus (entre TC 7, 18 et 7, 19) ; c’est peut-être à cet état de l’œuvre de Thomas de Cantimpré que remonte la répartition observée dans le Speculum naturale, plus qu’à un tri opéré par Vincent de Beauvais lui-même. L’Hortus sanitatis, via Vincent de Beauvais, reproduit fidèlement le contenu de la notice de Thomas de Cantimpré, mais il en modifie l’organisation interne en déplaçant le fragment TC 6, 6, 18-19, en début de citation. Le texte de Thomas de Cantimpré résulte ici de la combinaison de deux sources : Pline, auquel Thomas de Cantimpré renvoie pour le fragment TC 6, 6, 12-13, et l’Experimentator, dont la référence ouvre la séquence TC 6, 6, 13-19. La nature de l’œuvre désignée par Thomas de Cantimpré sous le nom d’Experimentator et les formes possibles sous lesquelles elle est parvenue jusqu’à nous font encore aujourd’hui l’objet de vifs débats (voir le traitement très récent de la question dans Van den Abeele 2011 ; avec de fortes réserves, en particulier sur l’analyse et la restitution proposées par Deus 1998). Thomas de Cantimpré présente l’Experimentator, l’une de ses sources privilégiées pour les livres 4 à 9 sur les animaux, comme une compilation contemporaine : Inveni etiam librum quendam suppresso auctoris nomine, quem modernis temporibus compilatum audivi (TC, Prologue, 36-39), et les fragments qui sont mis au compte de l’Experimentator laissent entrevoir un traité qui faisait la part belle aux usages médicinaux et magiques tirés des animaux.

29quando VB.

30L’emprunt à l’Experimentator se poursuit avec ce nouvel exemple de la sollicitude maternelle des baleines, peut-être inspiré des phénomènes d’échouage sur le rivage. On trouve chez Barthélemy l’Anglais une notice similaire, placée sous le patronage de Iorach, qui laisse supposer que l’Experimentator et Iorach ont puisé à une même tradition, qui a sans doute circulé entre Orient et Occident : catulos suos amore mire diligit et eos in pelago longo tempore circumducit ; quod si eos ab arenarum cumulis impedire contigerit, aquae multitudinem in ore collectam super eos fundit, et sic eos a periculo liberans ad profundum pelagi reuocat (De proprietatibus rerum, livre XIII, De aqua, ch. 26, De piscibus, 1650, p. 587). Voir, pour ce rapprochement, Draelants 2000, 266.

31Thomas de Cantimpré n’enferme pas ses citations dans des limites strictes, et ce passage, bien qu’intégré dans un renvoi à l’Experimentator, semble bien remonter à Pline, invoqué par Thomas de Cantimpré juste auparavant (à moins qu’il ne s’agisse d’une transmission indirecte via l’Experimentator). La similitude est en effet très claire avec Plin. nat. 9, 21 : Quin et adultos diu comitantur magna erga partum caritate. Adolescunt celeriter, X annis putantur ad summam magnitudinem peruenire.

Annotations scientifiques

  • Donec tempor euismod sagittis
  • Cum sociis natoque penatibus
  • Morbi tempus nulla sed quam vestibulum
  • Donec eleifend aliquam interdum