HOMME ET LOUP

2000 ans d'histoire


version française

Rabid wolves: a local scourge

 

Notes and References

Rabid wolves indiscriminately attacked all living beings unlucky enough to get in their way. Did they enter villages? Did they slip into houses? A vicious struggle drove the furious animals to true mass carnage. There are endless horrifying and horrific examples of this behaviour in the archives. Almost everywhere, rabid wolves caused havoc as they invaded the daily activities of populations, highlighting the solidarity between men. With rabid wolves, ecology calls for an anthropology of the moment. The whole drama was over in minutes, as was the case in the hamlet of Tourneville (Eure), near Louviers, on Friday 12 February 1768, ravaged by a rabid wolf (document 1).

 

Document 1.

Massacre by a rabid wolf in Tourneville (Eure) in 1768

Source : Arch. dép. Eure, III F 361, « Notes et remarques de MM. Les curés de la paroisse de Tourneville relevées par Roger Groménil, instituteur à Brosville ». Témoignage de Pierre Chemin, curé de Notre-Dame-de-Tourneville, cité par Jean-Pierre Suau, « Quelques histoires vraies de loups dans la région d’Évreux aux XVIIe et XVIIIe siècles, Connaissance de l’Eure, 10, décembre 1973, p. 12.

« Sur les six heures du soir, un vieux loup enragé est venu à Brosville, au hameau de Brofontaine, près l’église dudit lieu de Brosville, où il a trouvé proche de la maison d’un nommé Mathieu Delamare quatre petits enfants de différents âges. L’un d’eux l’ayant aperçu venir, autant qu’il pouvait être vu, dit aux autres : “ Sauvons-nous ! voilà venir une Bête ”. Il n’y en eut que deux d’entre eux qui se sauvèrent. Le loup se jeta sur la petite-fille de Jean Glutron, garde de Penette, la mordit au bras et la renversa par terre. Il se jeta sur l’autre qui était un garçon de cinq ans environ, fils dudit Mathieu Delamare, et l’emporta loin de la maison de deux portées de fusil, lui mangea ou plutôt lui déchira le visage, lui coupa les deux mains à l’exception du pouce de la main gauche. Après l’avoir laissé, il fut mordre le chien d’un nommé Leconte du même hameau. Ce malheureux homme, ayant entendu gouspiller son chien, sortit avec sa chandelle. Le loup se jeta sur lui, le mordit au bras et le traîna hors de la barrière. Sa fille aînée, âgée d’environ vingt ans, vint à son secours ; le loup quitte le pauvre homme et se jette sur elle, lui dévora la main et les joues jusqu’au point que les chairs étaient pendantes... »

Once infected with rabies, Canis lupus becomes furiously driven in a mad chase from one inhabited place to the next, until it dies. Unlike man-eating wolves, which are always difficult to follow and which often strike over several weeks, a rabid wolf is easy to locate, because it is isolated and tends to attack everything that moves.

However, the tragedy caused by such a wolf is concentrated within a few hours, spread over a day or two. In Brittany, the incident in Plounéour-Ménez in 1777 is a textbook example. The account by the rector of Commana summarizes the effects that rabies can have on Canis lupus (document 2).

Document 2.

Rabid wolves: a scourge for Breton farmers in 1777

Source : Arch. dép. Finistère, C 155, lettres du recteur de Commana, près Morlaix à Mr Caze de La Bove, intendant en Bretagne

Commana le 2 juin 1777 : « Le lundi 21 d’avril dernier un loup sorti des bois du Coetloquet, en la paroisse de Plounéour-Ménez, à environ 8 heures et demi du matin, traversa cette même paroisse de Plounéour-Ménez et pénétra dans celle de Comanna, dans le même diocèse, en assaillant tout ce qu’il rencontrait de vivant sur son passage, hommes et bestiaux. Cet animal a mordu beaucoup de bestiaux à Plounéour-Ménez et huit à dix personnes sans compter celles qu’il a attaqués et qui s’étant trouvés armés de quelque instrument de labourage ont pu s’en défendre. Enfin environ les 10 heures du matin, il se jeta sur un troupeau de moutons dans la paroisse de Comanna. Ceux qui le virent de loin crièrent. Un ménager, nommé Jean Quemener, qui chargeait près de l’endroit où étaient ses moutons, sa charrette de landes et bruyères, courut vers les moutons comptant faire fuir le loup. Mais, au lieu de fuir, le loup quitta un mouton qu’il hachait de ses dents et se jeta sur cet homme. Un jeune homme, nommé François Lehir, valet du nommé Hervé Proust, courut au secours de Jean Quemener et essaya avec ses mains d’ouvrir les mâchoires du loup, qui tenait dans sa gueule le poignet de Quemener. Le domestique de ce dernier, accourut avec un croc en fer qu’il enfonça dans la gueule du loup pour devoir lui faire lâcher prise, a quoi il ne put pas réussir et c’en était fait de Jean Quéner, si Catherine Pouligner, femme de Hervé Proust, n’était pas accourue avec une fourche de fer, de laquelle son domestique, François Lehir, se saisit et qu’il enfonça dans le corps du loup entre les deux épaules. Alors l’animal lâcha prise, et le domestique de Jean Quemer, ayant pu dégager son croc de fer, en donna des coups sur la tête du loup, qui en fut étourdi, et enfin assommé à coups de croc et de fourches de fer… »

Commana le 23 juin 1777 : « Malgré tous les secours que l’on a procuré aux gens mordus du loup enragé, il en est mort deux dans la paroisse de Plounéour-Ménez et un dans ma paroisse. L’on craint beaucoup pour tous les autres qui ont été blessés par le même animal. Ainsi, Monseigneur, la perte des bestiaux est définitivement le moins cruel des maux qu’il a causés. »

Commana, le 31 juillet 1777 : « Les loups sont un fléau pour les agriculteurs et ce fléau devient tous les jours plus terrible par la multiplication de ces animaux dangereux, et par la rageà laquelle ils deviennent fort sujets et dont les effets sont si funestes. Combien de gens ont péri depuis peu d’années dans les campagnes de Léon et de Tréguier pour avoir été mordus ! »

The virulence of the disease, combined with the muscular strength of certain large wolves, transformed the animals that attacked into monsters. On 31 July 1773, a rabid wolf attacked the people of Septème and Moidieu (Isère) in the Viennois countryside. One of the victims, 14-year-old Antoinette Villard, suffered terrible bites to her neck, both thighs and one arm: the attacker tore her nose off at the base and left her right cheek hanging off. One can imagine how she must have suffered before dying on 17 August in Vienne hospital1. On Thursday 16 June 1785, the rabid wolf which was crossing the lands of Créancey (Haute-Marne) seemed to witnesses to be an extraordinarily large specimen. As well as having the aforementioned physical characteristics, it was impressively impetuous :

"When it caught someone, it would pant horribly, leap around them, draw back and bear down on them again and again with renewed fury."2

When it attacked a victim, the situation was terrifying. It skinned an 8-month pregnant, 32-year old woman alive (document 3).

Document 3.

Hell in Créancey (Haute-Marne) in 1785:
"the eyes, ears and human face gone"

Source : Arch. dép. Haute-Marne, état civil Créancey, relation du curé de Créancey (Haute-Marne), 1er janvier 1786

« Deux cent ou trois cent pas plus loin, toujours dans les vignes en avançant du côté du village, le féroce animal se jeta sur Nicole Poissenot, femme de Jean Bouteille, vigneron qui travaillait seule avec son mari. Cette femme, âgée de 32 ans, était enceinte de huit mois. Le loup la mordit d’abord fortement dans le côté, l’étendit par terre, la quitta plusieurs fois et revint aussi plusieurs fois à la charge, pendant qu’elle faisait des efforts pour se relever. Il lui rongea et déchira tout le visage et généralement toute la tête, lui cassa les dents etc. le souvenir seul fait frémir : plus d’yeux, plus d’oreilles, plus de joues, plus de lèvres, plus de front, plus de figure humaine ; il n’en restait rien que quelques morceaux de chair hérissés çà et là en forme de pointes ; la bouche n’était plus qu’un trou toujours ouvert, noir et hideux.

Il ne lui était pas possible d’avancer la langue quoiqu’elle parlait bien haut et aussi distinctement, plus de chair sur la nuque du col, plus de peau sur la tête, le mari effrayé, hors d’état de résister à une bête si furieuse, vint se réfugier auprès d’un homme, d’une femme et d’un enfant de 10 ans qui, tous les trois, étaient assis dans les vignes et goûtaient à 200 pas environ toujours du côté du village. Il se présentait à eux plus mort que vif. Quand ils le virent interdit, sans parole et d’une pâleur qui annonçait une frayeur extraordinaire, ils se levèrent, entendirent le souffle épouvantable de l’animal, aperçurent ses bonds, ses écarts, la fureur qu’il exerçait contre l’infortunée victime qui l’occupait, ils ne pensèrent comme le mari que chercher leur salut dans la fuite. »

The degree of horror attached to the attacks left contemporaries in shock, and they left us numerous descriptions. Priests were in a delicate situation, at the heart of events: victims came to them for first aid, advice and remedies. Cultural intermediaries between their parishioners and the royal authorities, with access to many assistance or information networks, they were the first to be faced with the victims' distress. In 1775, the priest of Confrançon (Saône-et-Loire), who was responsible for "consoling" whole families and providing "prompt" assistance, confided his distress to the Bishop of Mâcon, asking him to intervene to organise a hunt (document 4).

Document 4.

Lumps of flesh scattered over 40 paces.

Picture of distress after a rabid wolf attack in Charolais in 1775.

Source : Arch. dép. Saône-et-Loire, 12 décembre 1775, lettre du curé de Confrançon à l’évêque de Mâcon.

« Ma paroisse vient d’être le théâtre du plus horrible et affreux spectacle par le passage d’un loup excessivement enragé, il a tellement mis en pièces une de mes paroissiennes, qu’on a été obligé de ramasser dans l’espace d’environ quarante pas tous ses morceaux de chair, pour lui pouvoir donner la sépulture ecclésiastique*. Plusieurs autres, soit hommes, garçons, filles ont eu le visage emporté et autres parties du corps cruellement lacérées. À l’égard des bestiaux utiles au bien public, surtout bœufs, plusieurs ont été mordus par cette cruelle bête. Bien des paroisses de mon voisinage ont eu le même sort.

En conséquence, Monseigneur, je viens prier votre grandeur aussi attentive qu’intéressée pour le bien général et pour la conservation des droits de l’humanité, de vouloir solliciter Monsieur le Prévôt de la maréchaussée de Mâcon, plein de zèle pour son état, de commander des chasses aux loups depuis les bois de Cluny, jusqu’à la partie qui joint le Charolais ; attendu que dans ce temps-ci, les loups étant en rage ou fureur de leurs nature, plusieurs ont été vraisemblablement mordus, et par la suite nous feraient éprouver toute l’horreur dont je tremble, frémis et tombe encore en syncope quand j’y pense. Cette épouvantable scène est arrivée le 9e du présent mois dans ma paroisse et ledit jour heureusement cet animal carnassier a été tué dans la paroisse de Marizy-en-Charolais, à la faveur d’une paisson considérable de porcs, qui l’ont beaucoup affaibli et ont facilité sa défaite ; cela n’a pas empêché qu’une douzaine de personnes de cette dernière paroisse n’aient été les victimes de ses dents pleines de rage.

Jugez, Monseigneur, si dans la position ou je me trouve, je peux être tranquille, il faut consoler des familles entières ; des malades presque désespérés et procurer à des malheureux de prompts secours ; j’ay adressés tous ceux qui sont en état de soutenir un voyage à Madame la supérieure de l’Hôtel-Dieu de Charolles que je connais, elle a un excellent remède contre la rage, elle a bien reçu mes pauvres malades et leur a déjà administré les secours ; mais il en reste qui par la lacération de leurs bouches, ne peuvent prendre aucun remède ; ce qui fait que l’avenir m’épouvante pour le moins autant que le présent.

J’ay l’honneur de faire des vœux pour la conservation des jours de votre grandeur et d’être avec un très profond respect Monseigneur,

Votre très humble et très obéissant serviteur. »

*Témoignage confirmé par celui du docteur Blais, qui soigna les victimes (Arch. dép. Côte-d’Or, C 25, lettre du 3 janvier 1776) : « À Confrançon […] cet animal féroce a fait un dégât épouvantable […]. Il a dévoré, déchiré et mis en pièces la femme d’un nommé Barat : cette malheureuse était seule, sans défense et trop éloignée des maisons pour avoir du secours. Cet animal cruel lui a rongé toute la tête jusqu’aux dents ; il lui a déchiré les seins, arraché les entrailles et traîné les boyaux à plus de 40 pas. Cette scène horrible se passait encore pendant la nuit. Quel fut l’effroi des pauvres habitants de cette paroisse lorsqu’instruits des ravages de ce loup par ceux qu’il fit bientôt à Cortevaix, ils trouvèrent les membres épars de cette femme ! Ils reculèrent d’horreur et se mirent à crier affreusement. Personne n’osa plus approcher de cet endroit funeste. Le mari de cette malheureuse fut obligé de venir lui-même et de ramasser avec une fourche les os et les restes affreux de la voracité de ce loup ; lui-même les traîna sur un mauvais drap et bientôt après on leur donna la sépulture. Douze jours après, le lieu où cette pauvre femme a été dévorée était encore teint de son sang que la gelée avait conservé » ; on y voyait un paquet de cheveux et un morceau de la peau du crâne collée contre une motte de terre. »

In Confrançon, Barat collecting the remains of his wife's body with a fork and the collective psychosis attached to the site of the tragedy, tell us much about the enduring local impact of a lightning attack by a rabid wolf. A general inventory would overwhelm the reader. We will therefore content ourselves with a few of the more recent examples, to give an idea of the individual impact of rabid wolf attacks up to the contemporary period. At midday on 17 January 1831, in Chagny (Saône-et-Loire), a furious wolf attacked and devoured a 12-year-old child, who was playing at breaking the ice in a ditch, in a wood referred to as "Au Creux de la Canne". "The child was devoured: only his legs were left intact; the rest was nothing but a hideous mass of shredded, quivering flesh"3. A crop farmer from Rully, Edme Bligny, who was loading wood, held the wolf, and it was killed by a neighbour with an axe, but our man, his hand pierced right through and his nose torn off, died of his injuries on 24 Februaryr4.

In addition to the statements of priests, mayors and journalists, extra information is provided about those doctors called upon to attempt the impossible. In 1851, Doctor Chabanon took responsibility for treating wolf victims in Uzès (Gard). Despite being accustomed to the "disgusting spectacles" often caused by "surgical illnesses", he was unable to contain his emotion when describing the state of young, 18-year-old harvester (document 5).

Document 5.

Aggravating circumstances: night of horror in La Capelle-et-Masmolène (Gard)
11 to 12 July 1851

Source : Docteur Chabanon, Mémoire sur le traitement de la rage, 1851, chap. IX.

« De Masmolène, cette louve se dirigea vers La Capelle, et, comme précédemment, ce fut aux aires [à battre] qu’elle exerça ses ravages. Deux frères se trouvaient couchés, gardant leur récolte : l’aîné, Pierre Mathon, âgé de dix-huit ans, et Louis Mathon, âgé de seize ans.

Pierre Mathon, profondément endormi, avait le corps entièrement couvert de paille, sa tête seule se trouvait en dehors. Il était couché sur le dos et avait le visage découvert. Ce furieux animal se précipita sur lui dans un accès violent de rage et lui mordit différentes parties du visage.

Le nombre des morsures était incalculable : des sourcils au menton perpendiculairement, et de la commissure des lèvres jusqu’à la partie antérieure des oreilles, ce n’était réellement qu’une plaie. Les chairs étaient mâchées et de nombreux lambeaux existaient sur diverses parties. Le nez, partagé par le milieu, se trouvait compris dans une de ces plaies par arrachement de la pommette droite, de la commissure gauche de la bouche à l’oreille ; un lambeau de chair pendant sur la mâchoire inférieure, laissait à découvert l’intérieur de la bouche ; la commissure droite et la joue étaient presque mâchées en entier.

Enfin, la multiplicité des plaies, les nombreux lambeaux qui existaient, l’intérieur de la bouche entièrement à découvert, la narine droite tout-à-fait séparée, la pommette du même côté entièrement détachées, donnaient à la physionomie de ce jeune homme l’aspect le plus hideux ; il est impossible de dépeindre le sentiment pénible qu’il inspirait à ceux qui l’approchaient. Nous même, habitué aux tableaux dégoûtants que nous offrent souvent les maladies chirurgicales, nous fûmes frappé de la désorganisation du visage du pauvre Mathon… »

For over a century, the memory of these tragedies has been fading, but it has not disappeared. It is necessary to look far outside the national context to find comparable situations today. As emphasised by Pierre Georgen, the novice cannot help but be strongly affected by the contemporary medical imagery concerning victims of rabid wolves in Eastern Europe or in Turkey :

"They are nothing more than shredded limbs, broken jaws, literally scalped hair, faces torn away to reveal the skull and bare bones of the face. It is easy to imagine the horror felt by other witnesses of these carnages, especially when the victims are neighbours or relatives."5

Reserved for specialist medical journals, the photographs of some rabid wolf victims' faces, in the Near or Middle East, are enough to make 21st-century readers shudder6. For wolf attacks that took place in an already distant past, the violence of the attacks and collective nature have certainly contributed to clouding later perception, and to creating a certain confusion with other types of wolf attacks.


Notes and References

1 Pierre Malet, « Contribution à l’histoire du loup en Dauphiné », Évocations, 3, 1976, p. 98.
2 Note du curé à la fin du registre paroissial de 1785 (Arch. dép. Haute-Marne, état civil Créancey) ; Jean Gigot, « Le loup enragé de Créancey », Cahiers Haut-Marnais, 6, [1947], p. 133-134.
3 Supra, citation en épigraphe.
4 Journal de Saône-et-Loire du 28 janvier 1831.
5 Philippe Goergen « Enragés et lycanthropes : les animalités contagieuses », in Véronique Campion-Vincent, éd., Des fauves dans nos campagnes…, 1992, p. 96.
6 Parmi bien d’autres exemples, Corinne Lévy, La Peur du loup : origines et évolution…, 1988, p. 112-113.