Histoire culturelle de l'Europe

François Wallerich

La prédication en latin et en langue vernaculaire en Toscane vers 1300. Essai de comparaison de deux frères prêcheurs : Aldobrandino de Toscanella et Jourdain de Pise

Article

Résumé

Aldobrandino de Toscanella et Jourdain de Pise sont deux prédicateurs dominicains actifs en Toscane à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle. Tous les deux sont nourris par l’enseignement de Thomas d’Aquin, dont ils vulgarisent les contenus ; le premier le fait en latin, le second en toscan. Ce choix, motivé par le public visé, entraîne des conséquences sur la structuration du discours, le contenu dogmatique du propos, ou encore le choix des techniques rhétoriques déployées. L’article propose une comparaison de la production de ces deux frères prêcheurs, en se focalisant sur la thématique du péché, omniprésente dans la prédication de l’époque. Il s’agira donc de comprendre comment la compréhension thomiste du péché se déploie de manière différenciée en latin et en toscan, en se demandant dans quelle mesure le choix de la langue conditionne contenu et forme du discours, soit, in fine, la compréhension des contenus de la foi.

Abstract

Aldobrandino da Toscanella and Giordano da Pisa are two Dominican preachers active in Tuscany at the end of the 13th century and at the beginning of the 14th century. Both are influenced by the teaching of Thomas Aquinas, the contents of which they popularize: the first does it in Latin, the second in Tuscan. This choice, motivated by the target audience, impacts the structuring of the discourse, the dogmatic content of the subject, and even the choice of rhetorical techniques used. The article offers a comparison of the production of these two preachers, focusing on the theme of sin, which is omnipresent in the preaching of the time. The author explores how the Thomist understanding of sin is deployed differently in Latin and Tuscan. To what extent does the choice of language condition the content and form of the discourse, that is, ultimately, the understanding of contents of faith?

Texte intégral

Parmi les différents champs de l’activité religieuse, aucun ne peut se révéler aussi précieux que celui de la prédication pour tenter de saisir la dimension culturelle et linguistique de l’histoire du christianisme1.

1Cette affirmation d’ordre général se vérifie tout particulièrement pour des contextes de mutations profondes, comme le fut le XIIIe siècle, en particulier en Italie, où les ordres mendiants, franciscains comme dominicains, furent à l’origine d’un développement inédit de la production textuelle en langue vernaculaire, notamment par le biais des sermons2. On considère généralement que ce développement répondait à deux faits majeurs : la multiplication des hérésies, qu’il était nécessaire de combattre par le biais d’une prédication qui s’adressât aux masses ; la croissance des villes, où le prédicateur devait s’adresser à des couches sociales diverses, par le biais d’un langage simple3.

2Au sein de cette production homilétique, Carlo Delcorno a attiré l’attention sur le premier grand corpus de sermons en langue vernaculaire qui soit parvenu jusqu’à nous depuis la péninsule italienne : l’œuvre oratoire de Jourdain de Pise4. Probablement né vers 1260, Jourdain entre comme novice au couvent des dominicains de Pise en 1279. Il y reçoit sa première formation, avant d’être envoyé se parfaire dans les grands studia de l’ordre, à Bologne et à Paris, entre 1284 et 1286. Il enseigne ensuite lui-même à Sienne, Pérouse et Viterbe, avant d’être nommé, en 1303, lecteur à S. Maria Novella de Florence. C’est aussi à cette date qu’il est nommé prædicator generalis par le chapitre provincial de Spolète. Il déploie alors une double activité de prédicateur et de lecteur, principalement à Florence, avant de mourir en 1310. Nous avons conservé 726 sermons de Jourdain, dont 395 ont été prêchés à Florence, 95 à Pise, le contexte des autres étant plus incertain. Tous sont retranscrits en vulgaire5. Les conditions de la prédication et de sa mise par écrit doivent aussi être rappelées, tant elles sont indissociables de son contenu. Jourdain n’a pas écrit lui-même de recueils de sermons modèles ; les textes qui nous sont parvenus sont des reportationes, c’est-à-dire qu’ils sont le fruit de notes prises par des auditeurs présents au moment des homélies6. À S. Maria Novella, où il prêche dans l’église ou sur la place, Jourdain peut compter sur un public de laïcs cultivés, et notamment des membres de confraternités laïques, habitués à suivre des prédications plutôt relevées, et parmi lesquels il faut sans doute chercher les reportateurs des sermons7. On a pu faire valoir deux autres éléments pour tenter d’élucider l’identité de ces reportateurs : la présence probable dans l’auditoire de notaires, professionnels habitués à transcrire les témoignes oraux ; le fait que Jourdain ait pu quelquefois prêcher devant un public plus choisi de « personnes spirituelles » (« persone spirituali »), probablement des confrères dominicains8.

3Si l’œuvre de Jourdain a été en grande partie éditée et étudiée, son originalité pourrait être mieux cernée par comparaison avec un pendant plus classique, en latin. S’impose alors le nom d’Aldobrandino de Toscanella, dont Carlo Delcorno parlait déjà, au détour de son ouvrage classique sur Jourdain, comme d’« un personnage qui parcourt les mêmes étapes que frère Jourdain et qui représente dignement, avec d’autres prédicateurs, la première génération des disciples de saint Thomas9 ». La figure d’Aldobrandino est toutefois bien moins connue que celle de Jourdain, et presque aucun de ses écrits n’a fait l’objet d’une édition ; ce que l’on connaît à son sujet suffit néanmoins à le considérer comme un point de comparaison pertinent. D’Aldobrandino, nous savons seulement qu’il est originaire de Toscanella (aujourd’hui Tuscania), une localité non loin de Viterbe, et qu’il fut lecteur aux couvents dominicains de Pise (1287), Pistoia (1288), Sienne (1291) et Viterbe (1292)10. En revanche, nous avons conservé de nombreux manuscrits de ses écrits, qui se rapportent tous, peu ou prou, à l’art oratoire11. Contrairement à Jourdain, sa prédication est connue à travers des recueils de sermons modèles ; elle a été aussi réaménagée sous la forme de traités. Il ne s’agit donc pas de reportationes, mais d’un matériau écrit par le prédicateur lui-même. De toute évidence, la parole d’Aldobrandino ne s’adresse pas aux laïcs, mais aux étudiants des studia où il fut lecteur ; la mise par écrit, et le remaniement parfois profond de ses homélies, vise également avant tout un public de clercs12.

4Avec Aldobrandino et Jourdain, nous disposons donc de deux frères dominicains, tous les deux actifs à des époques rapprochées (vers 1290 pour le premier ; la décennie 1300 pour le second), dans une même zone géographique (la Toscane, même s’il n’est pas attesté qu’Aldobrandino ait prêché à Florence) et partageant une même doctrine : celle de Thomas d’Aquin, dans lequel l’un et l’autre puisent abondamment. En comparant les deux corpus, nous souhaiterions replacer le choix linguistique de l’un et l’autre dans une compréhension plus globale des modalités de diffusion des contenus dogmatiques.

5Le rapport entre la langue et la « vulgarisation » est ici cruciale13. « Vulgariser » consiste à mettre en langue vulgaire un discours, mais aussi le diffuser largement, le rendre accessible. Ces deux acceptions peuvent se recouper ou non. Ainsi, il existe une forme de vulgarisation latine dans la prédication d’Aldobrandino : en effet, ne cherche-t-il pas à diffuser un enseignement théologique, largement dépendant de l’Aquinate, en le rendant plus accessible ? À l’inverse, il peut exister des usages savants, ou réservés à certains initiés, de la langue vernaculaire, notamment quand celle-ci s’empare de questions théologiques. La problématique de l’usage des langues vulgaires dans la production d’un discours relatif au sacré a d’ailleurs connu d’importants renouvellements dans l’historiographie des dernières décennies. Dans les années 1990, la notion de « théologie vernaculaire » (vernacular theology) a été proposée pour la première fois au sujet des mystiques féminines du XIIIe siècle14. Un acquis majeur des travaux se fondant sur cette notion est que les textes en langue vernaculaire ne constituent pas nécessairement ou pas uniquement un moyen de vulgariser, en les appauvrissant, les contenus théorisés dans les textes latins. Dans l’espace français, il a par exemple été montré que les romans du Graal développaient un discours théologique par le biais de la narration15. Toutefois, les mystiques sont entrées en conflit avec l’institution et les romans du Graal ont suscité « le silence de l’Église16 ». Dans le cas de la prédication en langue vulgaire, au contraire, on a affaire à une parole qui « vulgarise » à tous les sens du terme, puisqu’elle rend accessible tout en traduisant en langue vernaculaire. Cette parole est, en outre, on ne peut plus autorisée et verticale, puisqu’elle est produite par l’institution et constitue un canal de diffusion des contenus de la foi pleinement approuvé et encouragé par l’Église. C’est la raison pour laquelle il est intéressant de voir comment ce nouveau discours en vulgaire reprend, et en même temps se distingue, de sa matrice latine.

6La rapide présentation des deux auteurs donne déjà à voir à quel point le choix de la langue va de pair avec des contextes de prédication différents. Chez Jourdain, la prédication en langue vernaculaire n’est pas directement mise par écrit, mais seulement dite par son auteur ; elle est prononcée en public, dans l’église ou sur la place ; elle s’adresse à des clercs mais aussi à certains laïcs et n’est connue que par les notes des auditeurs. Chez Aldobrandino, la prédication latine est couchée sur parchemin, puis retravaillée directement par l’auteur ; elle s’adresse à un public a priori exclusivement clérical ; elle figure dans des recueils de sermons modèles ou sous forme de traités. La différence de medium qui caractérise les conditions matérielles de la prédication se retrouve au niveau textuel. C’est ce que nous allons montrer.

Des différences rhétoriques ?

Des techniques du « faire croire » communes

7Pour diffuser les contenus religieux, Aldobrandino et Jourdain ont recours à des techniques de prédication similaires et caractéristiques de la formation des frères prêcheurs du XIIIe siècle17.

8Tous les deux construisent leurs homélies selon les canons du sermo modernus, qui se sont peu à peu établis au début du XIIIe siècle18. Chaque sermon est fondé sur un verset de l’épître ou de l’évangile du jour : c’est le thème. Aldobrandino le donne toujours en latin. Jourdain fait de même, ce qui introduit dans son propos une première occasion de diglossie. La traduction en langue vernaculaire de la Bible n’a certes pas suscité de réprobation ferme de la part des autorités religieuses au Moyen Âge central19, mais la citation de l’Écriture continue naturellement à se faire en latin, de même que l’exégèse en langue vernaculaire reste un domaine à peu près inexistant à cette époque20. Après une brève introduction, le propos est structuré en plusieurs axes, qui explicitent les différentes compréhensions d’un même mot du thème ou découpent ce thème en plusieurs sections, qu’il s’agit d’expliquer successivement21. C’est la diuisio de la matière. Jourdain utilise habituellement le latin dans l’énumération des différentes diuisiones. Un exemple parmi tant d’autres, extrait d’une prédication sur la Genèse à S. Maria Novella : « Tre cose fece il peccato in loro immantinente, cioè, expulsio, obscuratio et induratio, uel obstinatio22. » Ici, la diglossie s’explique sans doute par l’usage d’une technique intellectuelle « savante », qui s’est développée dans les milieux scolaires et cléricaux, milieu de litterati dont le latin est la langue écrite naturelle. Dans les cas où les diuisiones procèdent du découpage du verset biblique qui sert de thème au sermon, on peut aussi penser qu’il paraît plus naturel à Jourdain d’utiliser le latin pour diviser la matière, dans la mesure où le thème est lui-même cité en latin.

9Dans chaque partie, une idée centrale est développée à l’aide de différents procédés rhétoriques et pédagogiques. C’est la dilatatio. Aldobrandino et Jourdain utilisent globalement les mêmes techniques, notamment la narration d’exempla et l’utilisation de similitudines. Parmi les premiers, les deux prédicateurs puisent à plusieurs sources communes. Les Pères du désert, dont les anecdotes sont transmises par un corpus protéiforme désigné de manière générique du terme de Vitæ Patrum, constituent une référence partagée23. Aldobrandino et Jourdain citent même plusieurs récits similaires. On présente en regard les versions qu’ils donnent l’un et l’autre d’un même récit :

Aldobrandino de Toscanella, De domo spirituali (ms. Firenze, Bibl. Nazionale Centrale, Conv. Soppr. B VII 1166, fol. 57rb)

Jourdain de Pise, Prediche del beato…, éd. cit., vol. II, p. 113-114.

Exemplum habemus in beato Machario, cui dixit dyabolus humilitas tua sola me uincit24.

Siccome si legge di Santo Macario, a cui fu mostrato in visione tutto ‘l mondo, e vide tutto ‘l mondo pieno di lacciuoli da ogne parte, che considerando non vedde delle mille parti l’una, e non vide che persona nulla potesse campare, che non fosse presa ; e che se iscampava dell’uno cadeva nell’altro. Allora disse : Signore Iddio, chi camperà ? Fugli risposto : humilitas25.

10Comme le note Carlo Delcorno, Jourdain fond ici plusieurs récits des Vitae Patrum : une vision de saint Antoine et la réponse faite par le démon à saint Macaire26. Le discours oral est palpable dans le style de la reportatio, avec les répétitions et les hyperboles (« tutto ‘l mondo », « mille », « nulla »), et cette manière de rejeter à la fin la clef de l’histoire. L’usage du latin pour ce fin mot vise sans doute à renforcer la solennité de la parole de Dieu et à mettre davantage encore en exergue la leçon de l’histoire. Quant à Aldobrandino, il fait seulement allusion au récit de Macaire. Il suppose donc le texte connu du lecteur, ou la possibilité qu’aurait ce dernier d’aller le trouver. Les exempla sont, du reste, souvent cités de manière très allusive dans les sermons d’Aldobrandino, ce qui s’explique par le fait qu’il s’agit de recueils de sermons modèles, destinés surtout à l’usage d’autres prédicateurs27.

Une mise en œuvre différenciée

11On peut malgré tout mettre en évidence quelques différences dans l’usage de ces techniques rhétoriques. Les exempla d’Aldobrandino sont pratiquement tous livresques, et tirés des grandes compilations dominicaines du milieu du XIIIe siècle : le Tractatus de materiis prædicabilibus d’Étienne de Bourbon, la Summa uitiorum et uirtutum de Guillaume Peyraut, la Legenda aurea de Jacques de Voragine. Le corpus des Vitæ Patrum est aussi amplement mobilisé. Les histoires ne sont presque jamais ancrées dans un contexte proche, géographiquement comme historiquement, du prédicateur et de ses auditeurs28. À l’inverse, si Jourdain fait bien évidemment lui aussi usage de cette matière, il tire d’autres exemples de faits récents, qu’il connaît parfois par des témoins oraux. Dans le répertoire d’exempla narrés par Jourdain qu’a dressé Carlo Delcorno, figure une rubrique de récits « tirés de la vie commune ou de l’expérience personnelle du prédicateur », riche de 15 entrées (pour un total de 70 récits29). On trouve ainsi des récits situés dans l’hic et nunc de la prédication : un Florentin se serait jeté dans l’Arno par amour ; un autre, se croyant hydropique parce que tout le monde le lui laissait entendre, finit par le devenir réellement et mourut. Jourdain évoque aussi des faits dont il a eu vent, comme la profanation supposée d’une hostie à Röttingen (Franconie) en 1298. Il s’appuie sur sa propre expérience, comme lorsqu’il dit avoir vu les reliques des Rois mages à Cologne.

12Cela participe de la mise en scène d’une certaine proximité entre le prédicateur et son auditoire, que l’on retrouve plus globalement dans l’ensemble de la rhétorique de Jourdain. Il lui arrive, en effet, d’employer le « nous » et de s’inclure dans le discours, pour désigner notamment la communauté urbaine florentine : « Nous, les Florentins » (« Noi di Firenze30 »). Jamais Aldobrandino n’a recours à ce type de procédés – ce qui contribue à rendre son identité et les conditions de sa prédication mystérieuses. Jourdain multiplie aussi les questions rhétoriques, jusqu’à imaginer les objections de son public et, ainsi, à mettre en scène des petits dialogues contradictoires, dont il est le protagoniste : « Et si tu disais : "Frère, mon père ou les autres ont fait pire que moi", "Frère, tu ne peux pas parler ainsi, car pour un péché mortel tu es condamné à l’enfer31." » Ces scénettes sont absentes de l’œuvre d’Aldobrandino.

13Sans que cela ne nous étonne, Jourdain est aussi plus attentif aux aspects linguistiques dans les explications qu’il fournit à son auditoire. En témoigne cette explication étymologique, qui illustre à merveille le talent de vulgarisation du prédicateur :

Le "Je crois en Dieu" est appelé symbole. Bolus signifie bouchée ; symbolus de nombreuses bouchées. Et c’est pour cela qu’il est appelé symbole, c’est-à-dire "nombreuses bouchées", car chaque article est une bouchée. Mais une bouchée aussi grande qu’un pain, que l’on ne peut manger en une seule bouchée. Et c’est pourquoi qui veut mettre en bouche de trop grandes bouchées, c’est-à-dire trop en savoir sur Dieu – ce dont il n’est pas nécessité –, pourrait s’étouffer32.

14Bien sûr, l’étymologie des médiévaux ne correspond pas aux critères scientifiques actuels, mais le passage est intéressant à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il montre le prédicateur s’employer à expliciter un terme latin aux fidèles. En outre, le sujet n’est pas anodin. Le Credo contient le « minimum de foi explicite33 » que l’Église attend de l’ensemble des laïcs, qui doivent pouvoir le réciter, de même qu’ils doivent savoir le Pater et l’Ave. Au-delà de la récitation, il est aussi attendu une compréhension, au moins sommaire, des articles du Credo. C’est la raison pour laquelle ces derniers sont expliqués aux fidèles, en langue vernaculaire, lors de la messe dominicale, et plus précisément à deux occasions : lors des prières du prône et, comme c’est le cas ici, au cours de l’homélie34. Les grands dominicains de la seconde moitié du XIIIe siècle, Thomas d’Aquin en tête, ont d’ailleurs largement fondé leur programme d’inculcation des vérités de la foi aux laïcs sur des explications du Pater et du Credo35. Enfin, en ne rechignant pas à parler des plus hautes vérités de la foi par le truchement des réalités les plus quotidiennes, Jourdain aborde un point crucial de l’enseignement aux laïcs : jusqu’où doit-elle aller la connaissance du simple fidèle ? Ne faut-il pas, ayant inculqué les vérités essentielles de la foi, limiter le raisonnement des simples, de peur de les voir verser dans l’hérésie36 ? C’est un problème dont Aldobrandino n’a, de son côté, pas à se préoccuper directement. Cette différence de traitement de la matière en fonction de la langue et du public se retrouve dans la manière dont le discours est référé à des autorités.

Le traitement des autorités

15Aldobrandino cite beaucoup d’auteurs qu’il ne connaît que de seconde main, la plupart du temps via Thomas d’Aquin, mais il donne la référence première et précise de chacun d’entre eux. Prenons l’exemple du de peccatis, un recueil de collationes qui est le fruit d’un cycle de prédication de Carême, au sujet duquel nous avons procédé à une étude exhaustive des citations dont les résultats sont à paraître37. On y trouve 139 citations, référés à 17 auteurs différents38. Tous sont des auteurs antiques (chrétiens et profanes), à l’exception de saint Bernard et Hugues de Saint-Victor (XIIe siècle). Aucun auteur du XIIIe siècle n’est cité. Très souvent, non seulement l’auteur est cité, mais aussi l’ouvrage. Ainsi, dans la première collatio, on lit : Dyonisus dicit in libro de diuinis nominibus (« Denys dit dans le livre des Noms divins » ; il s’agit du pseudo-Denys l’Aréopagite) et dicit Ugo de Sancto Victore in libro de Arra anime (« Hugues de Saint-Victor dit dans le livre Des Arrhes de l’âme39 »). L’Écriture est régulièrement utilisée. Aldobrandino introduit ses citations par le livre duquel il les a extraites : unde dicitur in Ecclesiastici [libro] (« c’est pourquoi on dit dans le livre de l’Ecclésiastique »), ou Psalmista (« le psalmiste : »), pour ne citer que quelques exemples40.

16Chez Jourdain, quand le discours est référencé, il l’est la plupart du temps à des autorités désignées de manière extrêmement générique. Le garant du propos est très souvent « les saints » (« i santi »), l’expression « ainsi disent les saints » (« così dicono i santi ») revenant constamment dans les différents cycles de prédication. Une variante intéressante de cette expression est « les sages » (« i savii »), qui redouble parfois la précédente : « les sages et les saints disent que… » (« dicono i savii, ed i santi, che41… »). Laissons pour l’heure de côté les quelques cas où Jourdain cite un nom précis, et attardons-nous sur ces formules. Le pluriel défini permet d’affirmer une unanimité d’un discours, sur lequel se sont accordés « les saints ». Notons d’ailleurs que le latin, qui ne possède pas d’articles, ne distingue pas le pluriel défini de l’indéfini : sancti renverraient aussi bien à « i santi » qu’à « santi ». Le propos du prédicateur n’est pas seulement référé à une autorité, ni à des autorités mais aux autorités. Or, si l’on reprend les analyses anthropologiques qu’a proposées Michel de Certeau, on peut considérer que la croyance est d’autant plus forte qu’elle peut compter sur un nombre élevé d’autres fidèles :

Le processus du croire marche non à partir du croyant lui-même, mais à partir d'un pluriel indéfini (l'autre/des autres), supposé être l'obligé et le répondant de la relation croyante. C'est parce que d'autres (ou beaucoup) y croient qu'un individu peut tenir pour fidèle son débiteur et lui faire confiance. Une pluralité répond du répondant42.

17Ici, le processus va même plus loin, avec le pluriel défini. La langue vernaculaire permet ainsi d’absolutiser, en quelque sorte, l’ancrage de la parole dans une universalité de « saints » et de « sages ». Si Jourdain omet de préciser la référence, c’est sans doute aussi parce qu’il estime que son auditoire doit connaître les vérités de foi, sans se soucier, ni des auteurs ni des courants théologiques qui en sont à l’origine. Le schéma qui préside implicitement à son propos est bipartite : il y a, d’un côté, ceux dont la parole est autorisée (les sages et les saints) ; de l’autre, les récepteurs de cette parole. Et, parmi ces derniers, il y a des fidèles qui se signalent tout particulièrement comme des modèles des choses à ne pas faire. Jourdain les appelle « gli schiocchi », un terme qu’environ à la même époque, Dante (†1321) utilise également pour parler de ceux qui manquent de discernement, en particulier moral43. Entre « i savi » et « gli schiocchi », les canaux de diffusion du message permettent la communication verticale des premiers aux seconds : c’est là l’office des prédicateurs, que remplit Jourdain. Même si les laïcs présents à S. Maria Novella proviennent des couches les plus éduquées du popolo florentin, ils n’en restent pas moins des récepteurs de la parole. Il est donc inutile, voire dangereux de leur donner les instruments qui leur permettraient d’approfondir les références, de confronter les autorités. En réalité, ce schéma vertical ne tient pas, dans la mesure où les catégories sont poreuses et où les échanges entre elles se font dans les deux sens ; mais dans l’esprit d’un clerc de l’époque, la communication ne peut avoir lieu que selon ce modèle. Rarement, Jourdain va plus loin et cite un nom d’auteur. C’est par exemple le cas le 2 août 1304, à S. Maria Novella : « saint Augustin dit : qu’est-ce que le péché ? le péché n’est rien d’autre qu’un acte contraire à la loi éternelle », « saint Denys dit que le péché n’est rien d’autre qu’un acte contraire à la raison et à ta conscience44 ». Dans ces exemples, suivent en effet des citations classiques d’Augustin et du pseudo-Denys l’Aréopagite sur le péché, que Jourdain a sans doute reprise de Thomas d’Aquin, comme Aldobrandino45. Toutefois, le fait que l’ouvrage ne soit pas cité montre, là encore, que le but n’est pas de préciser une référence mais d’autoriser la parole, le terme de « santo » étant sans doute plus important que le nom qui suit.

Orthodoxie et orthopraxie

Intérioriser la doctrine

18Les deux prédicateurs peuvent être considérés comme des vulgarisateurs de la doctrine chrétienne sur le péché, mais selon des procédés différents. On vient de voir la manière dont la rhétorique dominicaine était déployée avec quelques nuances par l’un et l’autre : il s’agit ici de « faire croire », de susciter l’adhésion à des contenus. Mais, comment faire pour que cette adhésion débouche sur un « faire » tout court, sur un changement de vie des auditeurs ? Il faut d’abord donner à l’auditoire les moyens de mémoriser le propos et de le faire sien.

19Un moyen commun aux deux prédicateurs repose sur les antiques procédés mnémotechniques de spatialisation de la pensée46. À l’époque médiévale, ces techniques ont connu des évolutions liées au développement de la vie intérieure, notamment consécutive à l’essor de la pratique de la méditation47. L’assimilation de l’intériorité humaine à une maison est un motif fort ancien, qui figure déjà dans la Bible48. Elle est réinvestie, d’abord dans le monde des cloîtres49, puis, comme nous allons le voir, dans l’univers plus large de la prédication des ordres mendiants. Aldobrandino et Jourdain proposent en effet une comparaison entre l’âme du fidèle et un espace clos afin de structurer un vaste propos sur la vie chrétienne. Chez Aldobrandino, l’image est celle de la maison. Le De domo spirituali, un autre traité dans lequel le dominicain « recycle » certains de ses sermons, débute ainsi :

Ma maison sera appelée maison de prière (Is 56, 7 ; Mt 21, 13). Au sujet de l’édification et la description de la maison spirituelle dans laquelle l’esprit (mens) de l’homme se réjouira et se reposera, on aura principalement recours à sept choses, par analogie avec la maison matérielle, dans laquelle on adore et on rend un culte au Dieu de gloire. En effet, en premier lieu, elle doit avoir des fondations ; deuxièmement, elle doit s’élever en hauteur ; troisièmement, elle doit être bien couverte ; quatrièmement, elle doit être ornée de différentes sculptures ; cinquièmement, elle doit être illuminée ; sixièmement, elle doit être desservie ; septièmement, elle doit être bien gardée50.

20Dans la suite, Aldobrandino fait correspondre à chaque caractéristique de la maison une vertu ou des attitudes que le fidèle doit avoir : l’humilité, la longanimité, la charité, la contemplation des images du Christ et des saints, le témoignage de sa foi, l’assiduité dans la prière, la fermeté.

21Chez Jourdain, on trouve aussi une grande « image classificatrice51 », qui assimile l’âme du fidèle à un jardin. Elle est développée dans le grand cycle de sermons sur le deuxième chapitre de la Genèse52. Le modèle de ce jardin est l’hortus delitiarum, le paradis perdu, que l’homme doit reconstruire en son âme. Pour cela, il doit faire pénitence, c’est-à-dire retirer tout ce qui gâte ce jardin (sermon 6). Une série d’analogies est développée : il faut se débarrasser des nuisibles, c’est-à-dire des péchés mortels ; chasser les mauvais oiseaux, ou les démons ; arracher les mauvaises herbes, soit se détourner des biens de ce monde ; éradiquer les vers, ou les péchés véniels ; protéger les plantes des vents mauvais (les mauvaises pensées) et des eaux stagnantes (les douleurs mondaines). On peut alors planter dans l’âme l’arbre de vie (sermon 7), c’est-à-dire le Christ, qui a des feuilles (la doctrine), des fleurs (les bonnes œuvres) et des fruits (le salut). On doit aussi y planter l’arbre de la connaissance du bien du mal (sermon 8), ici interprété comme les commandements divins et la doctrine : il faut apprendre, dans les écoles ou en assistant aux prédications. Jourdain décrit ensuite les fleuves qui coulent dans l’hortus delitiarum. La source principale (l’amour de Dieu, sermon 9), alimente quatre grands fleuves : le Phison (aimer Dieu, sermon 10), le Nil (aimer son âme, sermon 11), le Tigre (aimer son prochain, sermon 12), l’Euphrate (aimer son corps, sermon 13). Ainsi la série d’homélies propose une véritable carte mentale, qui est autant celle du Paradis que celle de l’âme du bon fidèle en marche vers son salut.

22Le recours aux images mentales53, qui permettent de spatialiser les éléments du discours, caractérise donc autant Aldobrandino que Jourdain. En revanche, pour marquer la mémoire de l’auditeur, celui-ci paraît avoir recours à d’autres procédés, plus frappants sans doute, que celui-là. Le recours à l’expérience, aux émotions et à des sensations qui ont pu laisser une marque durable chez l’individu est en effet parfaitement maîtrisé par Jourdain. Un bel exemple de ce procédé est sa manière de donner une idée des peines de l’Enfer à son auditoire :

Or, si tu avais mal à une dent, images-tu la douleur ? Et si tu avais mal à toutes ? Tu ne pourrais pas le souffrir. Or, qu’en est-il en Enfer ? La moindre petite parcelle du corps fait mal de la pire des manières au damné, plus que l’on ne pourrait se l’imaginer54.

23L’expérience à laquelle le prédicateur fait appel est parfaitement choisie, car elle est aussi banale (tout un chacun a dû souffrir d’une dent malade) que traumatique. Elle permet d’illustrer un point de doctrine développé notamment par saint Thomas : les corps ressusciteront dans leur intégralité, afin de subir intégralement les peines infernales55. On reconnaît l’ensemble des procédés qui rendent le propos de Jourdain plus frappant que celui d’Aldobrandino : l’adresse directe à l’auditoire, les questions rhétoriques, le sens de l’analogie, l’appel à l’imagination du fidèle fondé sur le recours aux expériences le plus banales. Tout cela doit certes convaincre, mais surtout laisser une trace durable dans l’esprit, afin de provoquer un changement de vie.

Les modalités diverses de l’appel à la pénitence

24Il est classique dans ce contexte que la prédication sur le péché débouche sur un appel à la pénitence, elle-même fondée sur le triptyque : contrition, confession, satisfaction56. Néanmoins, l’appel à la pénitence ne se fait pas exactement selon les mêmes modalités chez Jourdain et chez Aldobrandino.

25Jourdain prend soin de guider avec précision les fidèles auxquels il s’adresse. Ainsi, l’image du jardin de l’âme qu’il développe dans son cycle de prédications sur le deuxième chapitre de la Genèse le conduit à appeler ses auditeurs à la confession de la manière suivante :

Et c’est pourquoi toi, pécheur, qui es resté une année sans te confesser, tu fais très mal. Si tu laissais ton jardin une année sans le cultiver, sans en retirer les ronces ni les autres mauvaises herbes qui y poussent, songe à quoi il ressemblerait. Et, à plus forte raison, songe comment toi, qui as dans l’âme une terre putrescible, sur laquelle poussent continuellement des orties, tu peux laisser ton âme ainsi ? Tu devrais donc te confesser au moins une fois par mois, afin de retirer de ton âme les orties des péchés, de sorte que le jardin fût, comme il devrait l’être, propre et bien entretenu. Et si tu le pouvais, tu devrais confesser tes péchés chaque semaine, car plus tu arracheras ces orties des péchés, plus ton âme sera pure57.

26Le discours ne reste pas sur le plan théorique : il se déplace sur les modalités pratiques de la pénitence. Cela passe par l’adresse directe à un type de fidèle (« tu peccatore »), son admonition (« pessimamente fai ») et, surtout, l’injonction à agir selon des modalités précises. Ici, c’est la fréquence de la confession qui est spécifiée, avec une hiérarchie graduée : du « très mal » (moins d’une fois par an) au très saint (chaque semaine), en passant par la norme acceptable (chaque mois). Notons, d’ailleurs, que Jourdain propose une norme qui va bien au-delà des exigences de l’Église à l’endroit des laïcs. Le canon 21 Utriusque sexus du concile de Latran IV (1215) demandait aux fidèles une communion annuelle à Pâques, précédée d’une confession58. L’écart s’explique sans doute par le public auquel s’adresse Jourdain : souvent membres de confraternités, les auditeurs de ses homélies doivent se signaler par une dévotion plus intense que celle de l’ensemble de la population.

27L’attention du prédicateur aux réalités concrètes explique que des développements sur des points a priori fort théoriques n’en débouchent pas moins sur des conseils pratiques, orientés vers la praxis de chaque fidèle. Ainsi, dans un sermon sur le premier chapitre de la Genèse prêché à S. Maria Novella en 1305, Jourdain propose un raisonnement casuistique in abstracto : peut-on dire qu’un homicide est un péché plus grave qu’un vol ? Non, dit Jourdain. Même si, en soi, l’homicide est plus grave que le vol, l’intention avec laquelle l’acte est commis peut inverser la hiérarchie : le premier peut être involontaire ; le second, au contraire, perpétré par pure malice59. Aldobrandino propose une réflexion similaire sur l’évaluation de la gravité des péchés dans une collatio sur le thème Adolescentior filius abiit in regionem (Lc 15, 13), tiré de l’évangile du mardi qui suit le premier dimanche de Carême60. Il affirme que cette gravité doit être évaluée en fonction de cinq critères : les fins poursuivies (ex obiectis), les circonstances (ex circumstantiis), les causes (ex causis), les dommages (ex nocumentis) et les personnes (ex personis). Cette question a été traitée par Thomas d’Aquin dans la Somme de théologie, à laquelle Aldobrandino reprend ces catégories61. Il y a une première différence importante entre les deux frères prêcheurs : Jourdain énonce un principe général (la gravité du péché ne dépend pas que de l’acte en soi), qu’il illustre par un exemple ; Aldobrandino détaille les différentes catégories, en reprenant de manière exhaustive celles de Thomas. Mais il y en a une seconde plus intéressante encore, puisque Jourdain en tire une conséquence pour la praxis des fidèles. Il dit en effet :

Et cela, les hommes devraient le révéler et le dire en confession. Car la confession ne consiste pas simplement à dire quel est l’acte du péché, mais il convient d’indiquer quelle mauvaise volonté y présidait, ainsi que les circonstances qui entourent le péché lui-même, dans la mesure où cela l’aggrave fortement62.

28Le « savoir » divulgué va de pair avec un « savoir-faire » : ici, la connaissance des mécanismes du péché est pensée dans la perspective de la bonne confession.

29Le calendrier liturgique explique très largement cette orientation pratique du propos. Le sermon prononcé le 7 juin 1303, jour de la Fête-Dieu, à Florence, est un bon exemple d’articulation du discours théorique sur le péché à la pratique sacramentelle des fidèles63.Jourdain consacre une longue partie de son homélie au péché originel, en en présentant les différentes caractéristiques : son universalité ; sa persistance après le baptême ; ses conséquences. Les images qui lui viennent figurent aussi chez Aldobrandino, notamment celle du poison (« veleno »)64. Mais le discours ne peut pas être extrait de son contexte liturgique. Il permet à Jourdain d’insister sur la pureté du Christ, le seul être qui, pleinement homme, a néanmoins échappé au péché originel65. L’eucharistie, vrai corps du Christ que célèbre la liturgie alors récente de la Fête-Dieu66, présente les mêmes caractéristiques et doit donc être approchée avec le plus grand respect :

Lorsque nous communions et que nous allons prendre ce sacrement, qui est exactement la même chair que celle qui, très pure, se trouva ainsi sur la croix pour nous, nous devons y aller avec grande pureté et, au moins, être exempts de péché mortel67.

30La présentation dogmatique de la transsubstantiation, attendue pour la Fête-Dieu, permet l’articulation d’un discours théorique sur le péché originel dans la perspective de la communion.

31Pour faire « changer de vie » les fidèles, Aldobrandino et Jourdain ont recours, encore une fois, à une série de procédés qui relèvent d’une même matrice : les techniques de spatialisation de la pensée qui relèvent, notamment, de la mnémotechnie ; l’exploration de l’intériorité par le biais d’analogies classiques (la maison, le jardin) ; l’appel à la pénitence. Là encore, Jourdain se montre toutefois plus proche du « terrain », comme le montrent les conseils pragmatiques qu’il prodigue, le lien étroit entre son discours et le temps liturgique, ou encore la familiarité de ses images.

Conclusion

32Au tournant du Duecento et du Trecento, deux phénomènes contribuent à modifier les rapports entre les langues et la diffusion des contenus religieux en Italie. D’un côté, on commence à penser la possibilité de parler de Dieu et du sacré en langue vulgaire. Dante est le représentant le plus célèbre de ce mouvement. Après avoir cherché à définir un « vulgaire illustre » unique, susceptible de s’imposer à l’ensemble des Italiens, dans le De uulgari eloquentia (1304)68, Dante a lui-même choisi la langue vernaculaire pour explorer l’au-delà et les plus hautes vérités de la foi dans la Commedia. C’est un mouvement, en quelque sorte, ascendant, puisqu’il s’agit de hisser le vernaculaire à la hauteur des sujets sacrés. D’un autre côté, exactement au même moment et au même endroit, on met pour la première fois par écrit une documentation d’ampleur qui atteste un mouvement descendant, puisqu’il s’agit d’utiliser le vulgaire pour diffuser plus largement les contenus de la foi.

33Comparer les sermons en vernaculaire de Jourdain de Pise à la prédication latine d’Aldobrandino de Toscanella permet de souligner à quel point les techniques intellectuelles savantes, habituellement mobilisées en latin, sont réinvesties en vulgaire. Dans la construction du discours, qui reprend les codes du sermo modernus, dans l’utilisation d’anecdotes édifiantes, tirées des compilations dominicaines et des Vies des Pères, ou encore dans le développement d’images destinées à mieux ancrer le discours dans l’esprit des auditeurs, la prédication en vulgaire est comparable à son homologue latine. En revanche, elle s’en distingue dans la mesure où ses conditions d’énonciation sont aussi différentes. L’oralité et l’hic et nunc de la prédication sont plus palpables chez Jourdain : ses anecdotes personnelles, sa manière d’impliquer davantage l’auditoire dans le discours, ses injonctions précises et tournées vers la praxis donnent mieux à voir la dimension pragmatique d’un propos qui doit conduire les fidèles à changer de vie. Ce qui ressort avant tout est que l’usage du latin ou du vernaculaire est inséparable des modalités de production du discours (support, public, oralité). D’une manière générale, les sermons en vulgaire paraissent davantage incarner les contenus de la foi, énoncés sur un mode généralement plus abstrait dans la prédication latine. On est notamment frappé par l’évocation du corps dans ses aspects les plus triviaux : Jourdain n’hésite pas à parler du mal de dent ou de la déglutition des bouchées de pain pour traiter des peines de l’Enfer et des articles du Credo. Ce faisant, il cherche à provoquer une traduction concrète et quotidienne de l’enseignement chrétien dans la vie des fidèles.

34Si la nouveauté du corpus de Jourdain réside dans sa mise par écrit plus que dans son existence effective – la prédication en langue vernaculaire étant attestée depuis le haut Moyen Âge69, le phénomène n’en reste pas moins significatif, puisque l’on a ainsi jugé digne de conserver ces homélies, ce qui permet une diffusion plus large que la simple énonciation orale. On peut l’expliquer par l’alphabétisation croissante des couches urbaines en Italie, un mouvement dont Florence est certainement la fine pointe70. Ces laïcs, ignorants du latin mais sans doute de plus en plus nombreux à avoir accès à l’écrit, peuvent ainsi non plus seulement entendre, mais aussi lire les discours en vulgaire produits par l’institution religieuse71. Précisons toutefois que les manuscrits des prédications de Jourdain ont aussi et surtout circulé au sein des établissements religieux, masculins ou féminins72.

35Si l’on retrouve bon nombre de techniques utilisées par la prédication latine dans la prédication vulgaire, pourrait-on retrouver les procédés déployés par Jourdain dans des textes latins ? Nous pouvons envisager deux cas assez différents. D’abord, celui où une prédication réalisée en langue vernaculaire a fait l’objet d’une reportatio en latin, ce qui est très fréquent, en Italie ou ailleurs. Il est alors naturel de retrouver les procédés mis en évidence dans l’œuvre de Jourdain, puisqu’il s’agit en réalité d’une parole dite en vernaculaire mais transcrite en latin – avec une syntaxe et un lexique souvent très proches de la langue source73. Pour donner une idée du degré de la complexité des situations, nous pouvons quitter l’Italie et prendre l’exemple des sermons de Robert de Sorbon, en nous fondant sur l’étude de la prédication parisienne qu’a proposée Nicole Bériou74. Nous avons conservé deux sermons de Robert pour lesquels le reportateur a indiqué : « faits en latin », en ajoutant : « aisément transposables en langue romane ». Ou encore, nous avons la trace d’un même sermon prononcé par Robert en latin puis, le même jour, en langue vernaculaire, le passage de l’un a l’autre s’expliquant manifestement par la composition de l’auditoire. En outre, au-delà de la prédication « effective » connue par les reportations, il existe aussi des sermons modèles latins qui se rapprochent de la prédication en vernaculaire. Citons, pour la Toscane du XIIIe siècle, le cas d’Ambroise Sansedoni (†1287), prédicateur dominicain actif à Sienne75. On lui connaît un cycle de sermons de tempore, dont le latin est très entremêlé de langue vernaculaire76. Cette langue macaronique, qui mêle latin et vulgaire, nous permet de conclure sur la nécessité de penser le rapport entre les langues et le discours religieux en fonction d’un continuum, et non selon une opposition binaire. Il existe certes deux pôles, que représenteraient les prédications respectives d’Aldobrandino et de Jourdain, mais entre les deux se déploie tout un éventail de situations qui se rapprochent plus ou moins de l’un ou de l’autre, tant sur le plan linguistique que rhétorique.

Notes

1 « Tra i vari settori dell’attività religiosa, nessuno può, quanto quello della predicazione, rivelarsi prezioso nel tentativo di cogliere la dimensione culturale e linguistica della storia del cristianesimo. ». Vittorio Coletti, Parole dal pulpito. Chiesa e movimenti religiosi tra latino e volgare nell’Italia del Medioevo e del Rinascimento, Milano, Humanæ litteræ, C.U.S.L, 2006, p. 54

2 Sur l’essor de la langue vulgaire au-delà de la prédication, voir : Cesare Segre, Lingua, stile e società : studi sulla storia della prosa italiana, Milano, Feltrinelli, 1963, p. 19-77 : « I volgarizzamenti del Due e Trecento ».

3 Carlo Delcorno, « Predicazione volgare e volgarizzamenti », Mélanges de l’École française de Rome, 89e année, no2, 1977, p. 679-689, aux p. 679-680.

4 La présentation de Jourdain se fonde sur : Carlo Delcorno, Giordano da Pisa e l’antica predicazione volgare, Firenze, Biblioteca di lettere italiane, Leo S. Olschki, 1975 et Id., « Giordano da Pisa », Dizionario Biografico degli Italiani, t. 55, 2001. Consultable sur : GIORDANO da Pisa in "Dizionario Biografico" (treccani.it)

5 C’est ce qui fait l’originalité du corpus. En effet, dans la Toscane du XIIIe siècle, d’autres cas de prédications en langue vernaculaire sont attestés, mais les homélies nous sont parvenues reportées en latin. C’est par exemple le cas des sermons de Federico Visconti : Nicole Bériou (dir.), Les sermons et la visite pastorale de Federico Visconti, archevêque de Pise, 1253-1277, Roma, Sources et documents d’histoire du Moyen Âge, École française de Rome, 2001.

6 Sur les reportationes, les reportateurs et les problèmes de méthode que pose cette mise par écrit, voir en particulier les différents articles parus dans : Medioevo e Rinascimento. Annuario del Dipartimento di Studi sul Medioevo e il Rinascimento dell’Università di Firenze, no 3, 1989, Dal pulpito alla navata. La predicazione medievale nella sua ricezione da parte degli ascoltatori (saec. XIII-XIV).

7 Carlo Delcorno, Giordano…, op. cit., p. 19 et p. 66-80 : « Gli uditori ».

8 Ces deux hypothèses sont rappelées dans : Cecilia Iannella, Giordano da Pisa. Etica urbana e forme della società, Pisa, Studi Medioevali, Edizioni ETS, 1999, p. 23-24.

9 Ibid., p. 11-12 : « un personaggio che percorre le stesse tappe di fra Giordano e con altri predicatori rappresenta degnamente la prima generazione dei discepoli di S. Tommaso. »

10 Synthèse des informations biographiques dans : Thomas Kaeppeli, « La tradizione manoscritta delle opere di Aldobrandino da Toscanella », Archivum Fratrum Praedicatorum, no8, 1938, p. 163-192, aux p. 163-165 ; Letizia Pellegrini, I manoscritti dei predicatori. I Domenicani dell’Italia mediana e i codici della loro predicazione (secc. XIII – XV), Roma, Dissertationes historicae, Angelicum University Press, 1999, p. 272-273.

11 La liste la plus complète de manuscrits publiée à ce jour est celle qui figure dans : Thomas Kaeppeli, Scriptores ordinis Praedicatorum, Roma, Typispolyglottis Vaticanis, 1970, t. 1, p. 40-46. Une liste (incomplète également) de sermons figure dans : Johannes Baptist Schneyer, Repertorium der lateinischen Sermones des Mittelaltersfür die Zeit von 1150-1350, Münster, Beiträgezur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, Aschendorfsche Verlagsbuchhandlung, 1969, p. 222-269.

12 La provenance de quelques manuscrits est connue. Outre les ordres mendiants, possesseurs attendus de ces textes, le monde monastique est également bien représenté.

13 Sur ce point, on pourra consulter par exemple : Violaine Giacomotto-Charra, « Peut-on tracer les frontières de la vulgarisation ? », in Ead., Chrisine Silvi (dir.), Lire, choisir, écrire. La vulgarisation des savoirs du Moyen Âge à la Renaissance, Paris, Études et rencontres de l’École des chartes, École des Chartes, 2014, p. 5-22.

14 Bernard McGinn, Meister Eckhart and the Beguine Mystics : Hadewijch of Brabant, Mechthild of Magdebourg and Marguerite Porete, New York, 1994. L'ouvrage reprend le séminaire tenu en 1993 par Bernard McGinn sur le thème « Eckhart and the Women Mystics ».

15 Jean-René Valette, La Pensée du Graal. Fiction littéraire et théologie, XIIe-XIIIe siècle, Paris, Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge, Honoré Champion, 2008.

16 Id., « Le Graal et le silence de l'Église », Revue d'histoire de l'Église de France, 101e année, no2, 2015, p. 261-276.

17 Sur la formation des frères mendiants, voir surtout : Studio e studia : le scuole degli ordini mendicanti tra XIII e XV secolo. Atti del XXIX Convegno internazionale, Assisi, 11-13 ottobre 2001, Spoleto, Atti dei convegni della Società internazionale di studi francescani e del Centro interuniversitario di studi francescani, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 2002.

18 Sur ce processus, voir : Nicole Bériou, « Les sermons latins après 1200 », in Beverly Mayne Kienzle (dir.), The Sermon, Turnhout, Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 2000, p. 363-447, aux p. 394-402.

19 Eligius Dekkers, « L’Église devant la Bible en langue vernaculaire », in Willem Lourdaux, Daniël Verhelst (dir.), The Bible in Medieval Culture, Louvain, Mediaevalia Lovanensia, Leuven University Press, 1979, p. 1-15.

20 Gilbert Dahan, « L’exégèse de la Bible et l’usage du vernaculaire (XIIe-XIIIe siècles) », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 93e année, no 2, 2013, p. 181-201.

21 Pour une vue d’ensemble des techniques de divisio utilisées par Jourdain de Pise, voir : Carlo Delcorno, Giordano…, op. cit., p. 83-111.

22 Jourdain de Pise, Prediche sulla Genesi recitate in Firenze nel 1304 dal beato fra Giordano da Rivalto dell’ordine dei Predicatori, éd. D. Moreni, Milano, per Giovanni Silvestri, 1839 [1ère éd. 1830], p. 214 : « Le péché produit immédiatement trois choses, à savoir : l’expulsion, l’obscurcissement et l’endurcissement, ou l’obstination. »

23 Sur l’importance et l’usage des Vitae Patrum chez les Dominicains au XIIIe siècle, voir : Alain Boureau, « Vitæ fratrum, Vitæ patrum. L’Ordre dominicain et le modèle des Pères du désert au XIIIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome, 99e année, no 1, 1987, p. 79-100.

24 « Nous avons l’exemple du bienheureux Macaire, auquel le diable dit : "Seule ton humilité me vainc." »

25 « Comme on peut lire au sujet de saint Macaire, auquel il fut montré en vision le monde entier, qu’il vit rempli de pièges de tout côté. En les examinant, il n’en vit même pas le millième. Et il vit que personne ne pouvait s’en libérer sans être pris et que, si on s’échappait de l’un, on tombait dans l’autre. Il demanda alors : "Seigneur Dieu, qui s’en échappera ?" Il lui fut répondu : "l’humilité". »

26 Carlo Delcorno, Giordano…, op. cit., p. 248.

27 Par exemple, dans un sermon pour le premier dimanche de l’Avent sur le thème Ecce rex tuus uenit (Mt 21, 5), on lit : « miraculum de Iudeo qui latuit in templo Apollonis in Campania » (ms. Troyes, Bibl. mun., 1263, fol. 13v : « miracle du juif qui se cacha dans le temple d’Apollon en Campanie »). Le récit, donné de manière très allusive, correspond sans doute à : Étienne de Bourbon, Tractatus de diversis materiis prædicabilibus, vol. II, Secunda pars. De dono pietatis, éd. Jacques Berlioz, Turnhout, « Corpus Christianorum. Continuation Mediaevalis, 124A », Brepols, 2015, p. 167 [no 630]. Aldobrandino l’a repris aussi dans son propre recueil d’exempla, la Summula exemplorum (ms. Assisi, Bibliotecadel sacro convento di S. Francesco, 635, fol. 25vb).

28 Font exception les récits de la Summula exemplorum relevés dans : Laetizia Pellegrini, « Exempla della fine del XIII secolo », in Giovanni Grado Merlo (dir.), I frati predicatori nel Duecento, Verona, Quaderni di storia religiosa, 1996, p. 203-242, à la p. 242. Dans l’un des exempla, notamment, Aldoborandino cite trois localités ombriennes : Pérouse, Foligno et Spello.

29 Carlo Delcorno, Giordano…, op. cit., p. 279-288.

30 Ibid., p. 39.

31 Jourdain de Pise, Prediche sulla Genesi…, op. cit., p. 123 : « E se tu dicessi : - Frate, lo padre mio overo li altri feceno più male di me, - frate, questo non puoi tu dire, per ciò che per uno peccato mortale tu se’ dannato in inferno. »

32 Jourdain de Pise,Prediche del beato fra Giordano da Rivaltore citate in Firenze dal 1303 al 1306, éd. D. Moreni, Firenze, per il Magheri, 1831, vol. I, p. 14 : « Il Credo in Deo è detto Simbolo ; bolus si è il boccone, Symbolus si sono di molti bocconi, e però è detto Simbolo, cioè, di molti bocconi ; chè ogno articolo è uno boccone, e tale, e sì grande, che non si può mangiare uno pane a uno boccone ; e però chi vuole mettersi in bocca troppo grandi bocconi, troppo sapere di Dio quelle, che non è mistieri, potrebbe affogare. »

33 Jean-Claude Schmitt, « Du bon usage du "Credo" », in Faire croire : modalité de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècle, Roma, coll. de l’École française de Rome, École française de Rome, 1981, p. 337-361, à la p. 341.

34 Ibid., p. 345 et n. 27 pour la définition des prières du prône.

35 Une analyse comparée des commentaires du Credo, du Pater et du décalogue par trois dominicains (Thomas d’Aquin, Aldobrandino de Toscanella et Huges de Prato) est donnée dans : Silvana Vecchio, « Le prediche e l’istruzione religiosa », in La predicazione dei frati dalla metà del ‘200 alla fine del ‘300. Atti del XXII Convegno internazionale. Assisi, 13-15 ottobre 1994, Spoleto, « Atti dei convegni della Società internazionale di studi francescani e del Centro interuniversitario di studi francescani. Nuova serie, 5 », Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 1995, p. 301-335.

36 Sur cette problématique caractéristique de la pastorale, voir : Jean-Claude Schmitt, art. cit., à la p. 355.

37 « Une prédication quadragésimale d’Aldobrandino de Toscanella à l’origine d’un traité pseudo-bonaventurien », dans Mélanges de l’École française de Rome, à paraître.

38 Dans l’ordre décroissant d’importance : Aristote (dans la plupart des cas appelé sapiens, plus rarement philosophus, jamais Aristoteles), saint Augustin, saint Grégoire, le pseudo-Denys, Cicéron, Isidore de Séville, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Bernard, Sénèque, saint Jean Chrysostome, Boèce, Végèce, Galien, Cyprien de Carthage, Hugues de Saint-Victor, Prosper d’Aquitaine.

39 Ms. Firenze, Bibl. nazionale Centrale, Conv. Soppr. B. VII. 1166, fol. 76va.

40 Ibid., fol. 81rb.

41 Par exemple Jourdain de Pise, Prediche del beato…, op. cit., vol. I, p. 78.

42 Michel de Certeau, « Une pratique sociale de la différence : croire », in Faire croire…, op. cit., p. 363-383, à la p. 374.

43 Voir : Domenico Consoli, « Sciocco », in Umberto Bosco (dir.), Enciclopedia Dantesca, Roma,Orsa Maggiore, Istituto della enciclopedia italiana, 1984. Consultable sur : sciocco in "Enciclopedia Dantesca" (treccani.it)

44 Jourdain de Pise, Prediche del beato fra Giordano…, op. cit., vol. I p. 273 :« dice Santo Augustino ; che è peccato ? peccato non è altro se non fare contro alla legge eterna. » « dice Santo Dionigio, che peccato non è altro se non fare contro alla ragione, e alla coscienza tua ».

45 Aldobrandino cite en effet exactement les mêmes passages, mais en les référant de manière plus précise : « secundum Augustinum in libro contra Faustum peccatum est dictum uel factum uel concupitum contra legem diuinam » (ms. Firenze, Bibl. nazionale centrale, Conv. Soppr. B. VII. 1161, fol. 77va) ; « sicut dicit Dyonisus in libro de diuinis nominibus : malum hominis est contra rationem esse » (ms. cit., fol. 77vb).

46 John B. Friedman, « Les images mnémotechniques dans les manuscrits de l’époque gothique », in Bruno Roy, Paul Zumthor (dir.), Jeux de mémoire. Aspects de la mnémotechnie médiévale, Montréal-Paris, Presses de l’Université de Montréal-Vrin, 1985, p. 169-184.

47 Sur le développement des pratiques de méditation, voir l’introduction de : Cédric Giraud (éd.), Écrits spirituels du Moyen Âge, Paris, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 2019 et Id., Spiritualité et histoire des textes entre Moyen Âge et époque moderne. Genèse et fortune d’un corpus pseudépigraphe de méditations, coll. des études augustiniennes. Série Moyen Âge et temps modernes, Paris, Institut d’études augustiniennes, 2016.

48 Jean Gaillard, « Domus Dei », in Dictionnaire de spiritualité. Ascétique et mystique, doctrine et histoire, t. 3, Paris, Beauchesne, 1957, col. 1551-1567.

49 Gerhard Bauer, Claustrum Animæ. Untersuchungenzur Geschichte der Metaphervom Herzen als Kloster, vol. I, Entstehungsgeschichte, Munich, Wilhelm Fink, 1973.

50 Aldobrandino de Toscanella, De domo spirituali (ms. Firenze, Bibl.nazionale centrale, Conv. Soppr. B VII 1166, fol. 57ra) : « Domus mea domus orationis uocabitur (Is 56, 7 ; Mt 21, 13). Circa hedificationem et descriptionem domus spiritualis in qua mens hominis delectabitur et quiescet septem principaliter requiruntur iuxta similitudinem domus materialis in qua Deus gloriosus colitur et adoratur. Nam primo debet esse fundata, secundo debet esse in altum eleuata, tercio debet esse bene cohoperta, quarto debet esse uariis sculpturis depicta, quinto debet esse illuminata, sexto debet esse officiata, septimo debet esse bene custodita. »

51 Jean-Claude Schmitt, « Les images classificatrices », Bibliothèque de l’École des Chartes, 147, 1989, p. 311-341.

52 Jourdain de Pise, Prediche sul secondo capitolo del Genesi, éd. S. Grattarola, Roma, Istituto storico domenicano, 1999, p. 58-119.

53 Sur cette notion, voir en dernier lieu : Marie-Anne Polo de Beaulieu, « Prêcher en images à la fin du Moyen Âge », Archives de sciences sociales des religions, no 187, 2019, p. 27-48, spécialement p. 30 sq.

54 Jourdain de Pise, Prediche sul secondo capitolo…, op. cit., p. 166 : « Or, se tu avessi male in uno dente, che dolore ti parrebbe ? E se in tutti ? Non potresti sofferire. Or che è in inferno ? Che ogne particella del corpo duole al dannato pessimamente, più che pensare non si potrebbe. » Le verbe duolere est aussi employé dans la Commedia de Dante pour désigner les souffrances des damnés (Inferno, XXX, v. 127 : « Tu hai l’arsura e ‘l capo che ti duole »).

55 Francesco Santi, « Un nome di persona al corpo e la massa dei corpi gloriosi », Micrologus. Natura, scienze e società medievali, 1, 1993 [dossier « I discorsi dei corpi »], p. 273-300, aux p. 277-279 : « Il quadro compiuto da Tommaso d’Aquino ».

56 Les liens entre prédication et pénitence au Moyen Âge ont été très largement abordés, notamment dans l’historiographie italienne. Voir par exemple : Roberto Rusconi, « Dal pulpito alla confessione. Modelli di comportamento religiosi in Italia tra 1470 circa e 1520 circa », in Paolo Prodi, Peter Johanek (dir.), Strutture ecclesiastiche in Italia e in Germania prima della Riforma, Bologna, Annali dell’Istituto Storico Italo-Germanico, Mulino, 1984, p. 259-315 ; Id., « De la prédication à la confession : transmission et contrôle des modèles de comportement au XIIIe siècle », in Faire croire, op. cit., p. 67-85. Ou encore, sur un prédicateur franciscain du XIIIe siècle : Carla Casagrande, « "Predicare la penitenza". La Summa de pœnitentia di Servosanto da Faenza », in Dalla penitenza all’ascolto dei confessioni : il ruolo dei frati mendicanti. Atti del XX Convegno internazionale. Assisi, 12-14 ottobre 1995, Spoleto, Atti dei convegni della Società internazionale di studi francescani e del Centro interuniversitario di studi francescani. Nuova serie, Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 1996, p. 59-101.

57 Jourdain de Pise, Prediche sul secondo capitolo..., op. cit., p. 74-75 : « Unde tu peccatore, che stai uno anno che non ti confessi, pessimamente fai. Se tu lassassi uno tuo giardino uno anno, che tu nol coltivassi e nol purgassi delle spine e dell’altre male erbe che vi nascesseno, pensa quello che sarebbe a vedere. Quanto maggiormente tu, che ài nell’anima tua la terra corruttibile a fare ortiche e a farle continuamente, come tieni l’anima così piena ? Unde almeno ogna mese ti dovresti confessare una volta, acciòche tu purgassi l’anima tua dall’ortiche de’ peccati, sì che lo giardino fusse, come dé’ essere, netto e mondo. E se tu potessi, ogne settimana ti dovresti confessare de’ peccati tuoi, peròche, quanto più taglierai da te queste ortiche de’ peccati, più netta sarà l’anima tua. »

58 Sur ce canon et son influence, voir l’article classique du père Pierre-Marie Gy, « Le canon 21 de Latran IV et la pratique de la confession et de la communion au XIIIe siècle », Bulletin de la société nationale des antiquaires de France, no 22, 1995, p. 338-344. Les canons de Latran IV ont été publiés dans : Raymonde Foreville, Latran I, II, III et Latran IV, Paris, éd. de l’Orante, 1965.

59 Jourdain de Pise, Prediche sulla Genesi…,op. cit., p. 212-213.

60 Elle figure dans le ms. Firenze, Bibl. Nazionale centrale, Conv. Soppr. B. VII. 1166, fol. 80ra-b.

61 Thomas d’Aquin, Summa theologiæ, Ia-IIae, q. 73, a. 3 : utrum gravitas peccatorum attendatur secundum obiecta, a. 7 : utrum secundum circumstantias, a. 6 : utrum secundum causas peccatorum attendatur gravitas peccatorum, a. 8 : utrum secundum quantitatem nocumenti, a. 9 : utrum secundum conditionem personæ in quam peccatur.

62 Jourdain de Pise, Prediche sulla Genesi…,op. cit., p. 213 : « e questo è quello che gli uomini doverebbono aprire, e dire in confessione ; chè non è pura la confessione dicendo pur l’opera del peccato, ma conviensi dimostrare quanto fu la mala volontà che ci ebbe, e le circostanzie che vi sono con esso peccato ; perocchè questo aggrava fortemente il peccato. »

63 Jourdain de Pise, Prediche del beato…, op. cit., vol. I, p. 76-88.

64 Voir, che Aldobrandino, la collatio no 10 de peccatis : « peccatum mortale est sicut morsus serpentis, que ueneno hominem interficit » (« le péché mortel est comme la morsure du serpent, qui tue l’homme par son venin »). Ms. cit., fol. 78va.

65 Nous sommes bien sûr avant la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception par Pie IX (1854). L’idée d’une exemption du péché originel de la Vierge n’est néanmoins pas inconnue des médiévaux, loin de là. Voir : Marielle Lamy, L’immaculée conception : étapes et enjeux d’une controverse au Moyen Âge (XIIe-XVe siècle), Paris, coll. des Études augustiniennes. Série Moyen Âge et temps modernes, Institut des Études augustiniennes, 2000.

66 Sur cette festivité, voir : Barbara Walters, Vincent Corrigan, Peter Ricketts (dir.), The Feast of Corpus Christi, University Park, Pennsylvania State University Press, 2006 ; Jean-Pierre Delville, André Haquin (dir.), Fête-Dieu (1246-1996), 2 vol., Louvain-la-Neuve, 1999 ; Miri Rubin, Corpus Christi. The Eucharist in Late Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 164-212 : chapitre 3 : « A Fest is Born : Corpus Christi – the Eucharistic Feast ».

67 Jourdain de Pise, Prediche del beato…,op. cit., vol. I, p. 79 : « quando noi ci comunichiamo, ed andiamo a prendere quello Sacramento, ch’è tutta quella medesima carne, che fu in su la croce per noi così, purissima, dovemo iandare con grande puritade, e con grande netezza almeno di peccato mortale. »

68 L’édition qui fait autorité est : Dante Alighieri, Opere minori, t. 2, De vulgari eloquentia, éd. et trad. it. Pier Vincenzo Menegaldo, Milano, Ricciardi, 1979.

69 Il est classique de citer le fameux canon 17 du concile de Tours de 813, qui enjoignait aux évêques de traduire leurs homélies « dans le latin des illettrés ou bien en germanique, de manière à ce que tous sans exception puissent comprendre plus facilement ce qui leur est dit » (in rusticam Romanam linguam aut Thiotiscam, quo facilius cuncti possint intelligere quæ dicuntur). Nous avons repris la traduction qui figure dans l’ouvrage suivant, auquel nous renvoyons aussi le lecteur pour le commentaire de cette mesure : Michel Banniard, Viva voce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Paris, coll. des Études augustiniennes. Série Moyen Âge et temps modernes, Institut des Études augustiniennes, 1992, p. 410-419.

70 Franco Cardini, « Alfabetismo e cultura scritta nell’età comunale : alcuni problemi », in Alfabetismo e cultura scritta nella storia della società italiana. Atti del Seminario tenutosi a Perugia il 29-30 marzo 1977, Perugia, Pubblicazioni degli Istituti di storia della Facoltà di lettere e filosofia, Università degli Studi, 1978, p. 147-186. L’auteur met en avant des données empiriques significatives au sujet de Florence, comme un testament autographe rédigé en langue vulgaire en 1279 par une femme, la comtesse Béatrice, fille du comte Rodolfo de Capraia (document cité p. 165).

71 Sans qu’il y ait de corrélation directe, il existe un parallèle entre cette diffusion des discours par l’institution religieuse et le domaine politique. À Sienne, en 1309-1310, on traduit le Statut de la Commune, après que le choix du vernaculaire s’est imposé dans plusieurs domaines de l’administration publique. Nora Giordano, Gabriella Piccini (dir.), Siena nello specchio del suo costituto volgare del 1309-1310, Pisa, Dentro il Medioevo, Pacini, 2014.

72 Pour des exemples de manuscrits copiés à destination de moniales : Cecilia Iannella, op. cit., p. 24.

73 Voir : Nicole Bériou, L’avènement des maîtres de la Parole. La prédication à Paris au XIIIe siècle, Paris, coll. des Études Augustiniennes. Série Moyen Âge et Temps modernes, Institut d’Études Augustiniennes, t. 1, p. 231 : « Le latin et la langue vulgaire ».

74 Ibid., p. 126-127.

75 Michele Pellegrini, « beato Ambrogio Sansedoni », in DizionariobiograficodegliItaliani, t. 90, 1997. Consultable en ligne : SANSEDONI, Ambrogio, beato in "DizionarioBiografico" (treccani.it)

76 Sur le mélange du latin et du vernaculaire, notamment chez Ambroise, voir : Carlo Delcorno, « La lingua dei predicatori. Tra latino e volgare », in La predicazione dei frati…, op. cit., p. 19-46.

Pour citer ce document

François Wallerich, «La prédication en latin et en langue vernaculaire en Toscane vers 1300. Essai de comparaison de deux frères prêcheurs : Aldobrandino de Toscanella et Jourdain de Pise», Histoire culturelle de l'Europe [En ligne], Revue d'histoire culturelle de l'Europe, Langues et religions en Europe du Moyen Âge à nos jours, Langues vernaculaires et langue liturgique au long Moyen Âge (XIVe-XVIIIe siècles),mis à jour le : 08/05/2022,URL : http://www.unicaen.fr/mrsh/hce/index.php?id=2262

Quelques mots à propos de : François Wallerich

Membre de l’École Française de Rome, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, agrégé d’histoire, docteur en histoire du Moyen Âge de l’Université Paris-Nanterre, François Wallerich mène actuellement un projet de recherches post-doctoral sur le prédicateur dominicain Aldobrandino de Toscanella, actif en Italie centrale à la fin du XIIIe siècle et auteur d’une dizaine de textes inédits. Il est l’auteur d’une dizaine d’articles portant sur la vie religieuse au Moyen Âge central.