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Pensées 108 à 112

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

108

{p.100}

De plusieurs idées que j’avois voicy celles qui n’ont pu entrer dans mon  [...]

[Passage à la main D] Nous devons a la vie champêtre que l’homme n’ai n’ait n’est menoit dans les premiers tems cet air riant repandu dans toute la fable[2], nous lui devons ces descriptions heureuses, ces avantures naives, ces divinités gracieuses, ce spectacle d’un etat assés different du notre pour le desirer

Vie champêtre

et qui n’en est pas assés eloigné pour choquer la vraisemblance, enfin ce melles ce melange de passions et de tranquilité, notre imagination rit a Diane a Pan a Apollon, aux Nimphes, aux bois, aux prés, aux fontaines, si les premiers hommes avoient vêcu comme nous dans les villes les poëtes n’auroient pu nous decrire que ce que nous voyons tous les jours avec inquietude ou que nous sentons avec degoût, tout respireroit l’avarice l’ambition et les passions qui tourmentent {p101} il ne seroit question que de regle de police, de loix, de soins et enfin de tout le detail fatigant de la societé
Les poëtes qui nous decrivent la vie champêtre nous parlent de l’age d’or qu’ils regrettent, c’est à dire nous parlent d’un tems encore plus heureux et plus tranquille[3]

- - - - -

Passage de la main M à la main D

109

Il n’y a gueres jamais eu de legislateur qui pour rendre

Legislateurs usant de mystere

ses loix ou sa religion respectables n’ait eu recours au mystere ; les Egyptïens qui sont les auteurs de toute sainteté cachoient leur culte avec un tres grand soin[1] , ;
Il etoit deffendu chés les Grecs de decouvrir les ceremonies de Ceres, et les Romains regardoient comme un sacrilege inexpiable d’avoir revelé les misteres de cette divinité {p.102} grecque et ceux des divinités egyptiennes[2].
Il y avoit une autre espece de mystere qui consistoit a cacher le nom de la divinité

Cacher le nom des divinités

qu’on adoroit, il etoit deffendu aux juifs sous peine de mort de prononcer le nom de Dieu[3], et il etoit deffendu aux Romains sous la même peine de prononcer celui des dieux de leur ville et meme je croy le vray nom de la ville
La raison de cette deffence n’etoit pourtant pas la même pour les deux nations, une crainte religieuse l’interdisoit aux juifs, et une crainte politique l’interdisoit aux Romains ;

Mysteres religieux

Les juifs regardoient le nom comme le principal attribut de la chose, aussi Dieu qui agissoit toujours conformément aux idées que ce peuple devoit avoir, eut un soin {p103} particulier d’imposer un nom aux choses a mesure qu’il les créoit et de changer le nom des patriarches a mesure qu’ils changeoient de situation et de fortune : nom
Mais les Romains craignoient que si les etrangers sçavoient le nom des dieux de leur ville ils ne les evoquassent et ne les privassent par la de leur secours et de leur presence[4].
Il y a une autre sorte de mystere religieux qui consiste a attribuer a de certains lieux une sainteté qui doit en exclu exclure les profanes.

Chrétiens

Les chretiens ont aussi leurs mysteres qui ne consistent pas comme ceux des anciens dans de certaines ceremonies cachées, mais dans une soumission aveugle de la raison a de certaïnes verités revelées[5], {p.104} ce seroit ici une question : sçavoir si les mysteres des anciens qui consistoient a cacher le culte frapoit plus que ceux des chretiens qui consistent a cacher le dogme ; quoiqu
Quoiqu’il en soit toutes les religions ont eu leurs mysteres et il semble que sans cela il n’y auroit point de religion

- - - - -

Main principale D

110

J’avoüe mon goût pour les anciens cette antiquité m’enchante[1], et je suis toujours porté a dire avec Pline, c’est a Athenes ou vous allés respectés leurs dieux[2]

- - - - -

Main principale D

111

J’aime a voir les querelles des anciens et des modernes, cela me fait voir qu’il y a de bons ouvrages parmi les anciens et les modernes[1]

- - - - -

Main principale D

112

Il y a dans le sistême[1] des juifs beaucoup d’aptitude pour le

Systeme des juifs

sublime[2] {p.105} parce qu’ils avoient coutume d’attribuer toutes leurs pensées et toutes leurs actions a des inspirations particulieres de la divinité, ce qui leur donnoit un tres grand agent, mais quoi que Dieu y paroisse agir comme un etre corporel aussi bien que dans le sistême payen

Systeme payen

, cependant il ne paroit agité que de certaines passions ce qui ôte non seulement le gracieux mais encore la varieté du sublime et d’ailleurs un agent unique ne peut donner de varieté, il laisse a l’imagination un vuide etonnant au lieu de ce plein que formoit un nombre inombrables de divinités payennes.
Le sistême chretien

Relig. chretienne

(je me sers de ce terme tout impropre qu’il est) en nous donnant des idées plus saines de la divinité, semble nous donner un plus grand agent {p.106} mais comme cet agent ne permet ni n’éprouve aucune passion, il faut necessairement que le sublime y tombe d’ailleurs les mysteres sont plutôt sublimes pour la raison que pour les sens[3], et c’est des sens et de l’ima l’imagination qu’il s’agit dans les ouvrages d’esprit.
Mais ce qui acheve de perdre le sublime parmi nous et nous empêche de fraper et d’etre frapés c’est cette nouvelle philosophie

Nouvelle philosophie

qui ne nous parle que de loix generales et nous ôte de l’esprit toutes les pensées particulieres de la divinité reduisant tout à la communication des mouvemens, elle ne parle que d’entendement pur, d’idées claires, de raison, de principes de consequences cette philosophie qui est decenduë jusqu’a ce sexe qui ne ne semble etre fait que pour l’imagination[4] diminuë le gout que l’on a naturellement {p.107} pour la poesie, ce seroit bien pis si quelque peuple alloit s’infatuer du sistême de Spinosa[5], car outre qu’il n’y auroit point de sublime dans l’agent il n’y en auroit pas seulement dans les actions.

- - - - -

Main principale D


108

n1.

Première référence, pour les nº 108 à 135, au projet d’un ouvrage sur le goût, encore limité ici aux belles-lettres (Annie Becq, « Les Pensées et l’Essai sur le goût », RM, nº 7, 2004, p. 58-59).

108

n2.

« Se prend aussi dans un sens collectif, pour signifier “Toutes les Fables de l’Antiquité Payenne” » (Académie, 1694, art. « Fable »).

108

n3.

Réflexion publiée dans les Œuvres posthumes de 1783 (Londres – Paris, Bure fils aîné, p. 178-179), sous le titre « Autre effet des liaisons que l’âme met aux choses » (OC, t. 9, p. 501, apparat critique.). La phrase « Il ne serait question que de tout le détail fatigant de la société » y est omise. L’éloge de la noble simplicité des mœurs primitives est fréquente parmi les partisans des Anciens. Montesquieu fait ainsi écho aux propos de Pope (Traduction de la première partie de la préface de l’Homère anglais de M. Pope [1re éd. fr. 1718-1719], dans La Querelle des Anciens et des Modernes, XVIIe-XVIIIe siècles, A.-M. Lecoq (éd.), Paris, Gallimard, 2001, p. 574), de Fénelon (Lettre à l’Académie, X, 10, dans Œuvres, J. Le Brun (éd.), Paris, Gallimard, 1997, p. 1163) ou encore de Fontenelle (Discours sur la nature de l’églogue [1708], dans Œuvres, Paris, M. Brunet, 1742, t. IV, p. 125-169).

109

n1.

Hérodote, II, 61.

109

n2.

L’interdit concernant les mystères d’Éleusis en l’honneur de Déméter-Cérès est évoqué par Horace (Odes, III, 2, 26 et suiv.). Sur le secret entourant l’initiation au culte d’Isis, voir Apulée, XI, 23.

109

n3.

Le nom de Jéhovah, considéré comme ineffable, est remplacé par Adonaï (« mon seigneur ») dans la lecture du texte hébreu de la Bible. Voir nº 860 et suiv.

109

n4.

Macrobe, Saturnales, III, 9, 2-5 (Catalogue, nº 1912-1913) ; voir aussi Plutarque, Les Demandes des choses romaines, dans Œuvres morales et mêlées, LI, Paris, M. de Vascosan, 1575, t. II, p. 469 – Catalogue, nº 2793. Par l’evocatio, les Romains cherchaient à attirer dans leur patrie les dieux tutélaires de leurs ennemis dont ils craignaient les mêmes tentatives à leur égard. La dimension sociale et politique de la religion romaine a été présentée par Montesquieu lors de sa première intervention à l’académie de Bordeaux en 1716 (Dissertation sur la politique des Romains dans la religion, OC, t. 8, p. 83-98).

109

n5.

Cf. nº 112 : dans « le sistême chrétien […] les mysteres sont plutôt sublimes pour la raison ».

110

n1.

Cf. nº 117. Dans la seconde phase de la Querelle des Anciens et des Modernes (1714-1716), c’est aux partisans des Anciens de démontrer que les œuvres de l’Antiquité sont encore dignes d’être lues (Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 708 et suiv. ; Christophe Martin, « Une apologétique “moderne” des Anciens : la Querelle dans les Pensées », RM, nº 7, 2004, p. 67-83).

110

n2.

Montesquieu traduit librement un passage de Pline (Épîtres, VIII, 24 ; [Genève], P. Stephanus, 1600 – Catalogue, nº 2301) : « […] te missum in provinciam Achaiam, […] reverere conditores deos […] ».

111

n1.

La remarque, recopiée ci-après (nº 171), sera développée pour opposer à la critique et aux querelles littéraires pleines de prévention, la tendance de l’auteur à ne considérer, dans les ouvrages, que l’admirable (nº 1315). Usbek jugeait la Querelle futile (LP, 34 [36], p. 226-227). L’impartialité exprimée ici correspond à un renouvellement des mentalités (voir Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 759).

112

n1.

Le mot système est employé ici au sens de doctrine (voir nº 118 et 132).

112

n2.

Les articles nº 112 à 116 sont des éléments d’une réflexion sur les rapports entre religion, mœurs et poésie, peut-être conçue d’abord pour les Lettres persanes, développée dans un ensemble intitulé « Réflexions sur les premières histoires » (nº 1601-1608) et à rapprocher du manuscrit 2519 (BM Bordeaux, reproduit dans LP, p. 594-597).

112

n3.

Cf. nº 109 : les mystères des chrétiens consistent « dans une soumission aveugle de la raison à de certaines vérités révélées ».

112

n4.

La philosophie cartésienne est diffusée auprès d’un public mondain et féminin, par le biais d’ouvrages comme les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle [1686].

112

n5.

Ce système est alors assimilé à l’athéisme.