chapitre 39

capitulum XXXIX

L’exploit guerrier dudit Serlon

De militia Serlonis ejusdem

<1> Mais, au temps où le comte Robert avait mis le siège devant le château dit de Tillières1Tillières-sur-Avre (Eure, arr. Évreux) : sur les noms latins ayant servi à désigner Tilllières, voir E. P. Blosseville, Dictionnaire topographique du département de l’Eure, comprenant les noms de lieu anciens et modernes, rédigé sous les auspices de la Société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l’Eure, par M. le marquis de Blosseville, Paris, Imprimerie nationale, 1877, p. 277. Compte tenu que Serlon est le dernier fils de Murielle et que Guillaume, l’aîné, est arrivé en Pouille au début des années 1030, il est possible que Serlon ait atteint l’âge d’être armé chevalier à la fin du règne de Robert le Magnifique. Cependant, il paraît préférable de situer l’événement sous la minorité de Guillaume le Bâtard, après 1041. En effet, le château de Tillières, édifié par Richard II pendant la guerre qu’il mena contre le comte Eudes de Blois, resta au pouvoir du duc de Normandie et de Robert le Magnifique, qui en confia la garde à Robert Crespin. En revanche, le château fut rétrocédé au roi Henri Ier vers 1041 : ce dernier l’incendia, puis le restaura et y établit une garnison. Toutes ces informations sont données par Guillaume de Jumièges, Interp. GG, V, 10 et 12 = GND 2, 22-28 et VII, 2(5) = GND 2, 100, et ont été analysées par Bauduin 2004, 181-182 ; 186 ; 190-191., à la frontière de la Francie et de la Normandie, un chevalier français sortait du château chaque jour et demandait à rencontrer en combat singulier <un champion> de l’armée des Normands, qu’il jetait à bas l’un après l’autre. Le comte, craignant de perdre ses hommes, avait interdit à tous d’aller l’affronter, leur donnant ainsi une excuse toute trouvée : chaque fois qu’ils entendaient se soustraire à cette tâche dangereuse, ils mettaient leur refus sur le compte non de la peur, mais de l’interdiction du prince. <2> Quand Serlon, qui demeurait à ce moment-là en Bretagne, fut mis au courant de cette situation, ne supportant pas l’opprobre jeté sur son peuple, il partit pour Tillières, accompagné seulement de deux écuyers. Au point du jour, il est devant la porte, prêt au combat singulier, appuyé sur sa lance du haut de son cheval, et il attend. Alors, l’autre, celui qui avait jeté à bas tous ses adversaires, indigné <de ce défi>, se précipite au comble de la fureur, magnifique sous ses armes, monté sur un cheval frémissant : il veut savoir qui il est ; il l’engage à quitter la place, s’il veut avoir la vie sauve. Serlon lui découvre son nom, mais refuse de quitter la place ; ayant chargé violemment, celui qui terrassait tous ses adversaires est terrassé d’un vigoureux coup de lance2L’extrait est mentionné par Settia 2006, 117, comme témoin de l’utilisation de la lance baissée ; voir aussi I, 7, 7.. <3> Serlon sort victorieux pour la gloire des Normands, sous les regards de nombreux témoins de l’un et l’autre camp, mais sans que personne sache qui il est. Et ainsi, sa lance surmontée de la tête tranchée <du vaincu>, il passe par le milieu du campement sans adresser le moindre mot à quiconque de son peuple, se pressant de retourner en Bretagne. <4> Alors le comte, dépêchant un envoyé, lui enjoint de chercher à savoir qui est cet homme et de le prier de venir le rencontrer. Mais, quand il lui fut rapporté qu’il s’agissait de Serlon, fils de Tancrède, que, d’une part, celui-ci était venu de Bretagne pour éloigner de son peuple la honte dont il s’était couvert, que, d’autre part, il cherchait à éviter la colère du prince, vu que ce dernier demeurait animé envers lui de sentiments hostiles, et qu’il vivait loin de sa patrie, bien que dans la gêne, de son plein gré, conformément à la décision du prince, attendant que cette colère s’apaisât, le comte, ému de pitié et ne voulant pas se passer à l’avenir d’un homme de cette trempe, ordonne qu’on le fasse venir. À son arrivée, il va à sa rencontre, il lui accorde son pardon, il lui rend ses baisers sans arrière-pensée, il lui restitue les biens qu’il avait perdus, il lui donne pour épouse une femme dotée de nombreuses propriétés et il le fait entrer dans le cercle de ses familiers.

<1> [C/f.9v-10r] At [+] [at AC : et ZB edd. [-]] [C/f.9v-10r] AtEt cum quodam tempore idem comes Robertus in confinio [+] [confinio ego : -finie AC -fine Z -finibus B -fini edd. [-]] confinieconfineconfinibusconfinia'La leçon confine de Z et l’accord des manuscrits AC sur confinie permettent de supposer que le subarchétype portait un -e final, bien que l’emploi de l’accusatif pour l’expression du lieu soit ici très improbable. Nous avons préféré la correction confinio à celle de nos devanciers, en raison de la fréquence – hors du De rebus gestis Rogerii, mais durant toute la latinité – de l’expression in confinio suivie du nom des terres avoisinantes. Franciae et Normanniae castrum quod Teulerias [+] [teulerias AC Z : tuileranas B taule- ed. pr. [-]] TeuleriasTeuleriasTeuleriasTuileranasTaulerias dicitur obsedisset [+] [obsedisset C Z : -disse A -dit B. [-]] obsedissetobsedissetobsedissetobsedisseobsedit, miles quidam Francigena [+] [francigena (-cimgena C) C ZBx : frangigena A francigenam B. [-]] FrancigenaFrancigena [+] [Bx : Francigena [-]] FrancigenamFrancimgenaFrangigena, a castro diatim [+] [diatim AC Z2 : dicatum Z de die in die B Pontieri. [-]] diatimdiatim [+] [Z2 : diatim [-]] dicatumde die in die exiens [+] [exiens om. B. [-]] exiensexiensexiensexiens[om.] et singulare certamen ab exercitu Normannorum expetens, multos prosternebat [+] [prosternebat B : -trenebat A -ternabat C Z. [-]] prosternebatprosternebatprostrenebatprosternabat. Comes vero, damnum suorum timens, omnibus interdixerat ne aliquis illi obviaret [+] [obviaret AC Z : obviet B. [-]] obviaretobviaretobviaretobviaretobviet, sic suis excusationem tribuens, ut [+] [ut om. B. [-]] utututut[om.], cum quod [+] [quod AC Z : quid B. [-]] quodquodquodquodquid periculosum erat refugerent [+] [refugerent AC Z : -giens B. [-]] refugerentrefugerentrefugerentrefugerentrefugiens, non hoc jam timori [+] [timori C ZB : -re A. [-]] timoritimoritimoritimoritimore sed principis interdictioni ascriberent [+] [ascriberent AC Z : iscribebat B. [-]] ascriberentascriberentascriberentascriberentiscribebat. <2> Quod cum Serloni [+] [serloni A ZB : serboni C. [-]] SerloniSerloniSerloniSerloniSerboni in Britannia, ubi tunc temporis morabatur, relatum fuisset [+] [fuisset A ZB : fuisse C. [-]] fuissetfuissetfuissetfuissetfuisse, ignominiam populi [+] [populi AC Z : proelii B. [-]] populipopulipopulipopuliproelii sui non ferens, duobus tantum armigeris comitatus, Teulerias [+] [teulerias A1 : telerias A taule- Z ed. pr. theole- B teleurias C. [-]] [+] [A1 : Teulerias [-]] TeleriasTauleriasTheoleriasTeleurias venit. Summo diluculo ante portam singulare [+] [singulare AC Z : -lis B. [-]] singularesingularesingularesingularesingulis certamen offerens, de equo [+] [de equo AC Z : quem B. [-]] de equode equode equode equoquem hasta innixus [+] [innixus AC B : iıııixus Z. [-]] innixusinnixusinnixusinnixusiıııixus expectat. Porro ille qui alios dejicere [+] [dejicere C ZB : -ret A. [-]] dejiceredejiceredejiceredejiceredejiceret solitus erat, indignatus, cum maximo furore, splendidus in armis, frementi [+] [frementi AC : ferventi Z ed. pr. om. B. [-]] frementifrementiferventi[om.] equo advolat : qui [+] [qui AC B : quis Z edd. [-]] quiquiquisb'L’accord AC B invite à reconnaître dans qui la leçon authentique. Un autre exemple de refus du sigmatisme se trouve en II, 5, 2 : versum se. Cf. Sall. Cat. 44, 5, qui sim ex eo quem ad te misi cognosces, où la séquence qui sim a donné lieu aux mêmes hésitations (Ernout & Hellegouarc’h 1994, 96). sit requirit, ut [+] [ut AC Z : ac B. [-]] ututututac a loco recedat vitam tuendo hortatur. Illo [+] [illo AC B : ille Z. [-]] IlloIlloIlloIlloIlle nomen revelante, sed a loco recedere nolente, dum fortiter congreditur, aliorum prostrator forti hastili prosternitur [+] [prosternitur C ZB : -netur A. [-]] prosterniturprosterniturprosterniturprosterniturprosternetur. <3> Serlo, pluribus utriusque partis aspicientibus [+] [aspicientibus AC Z : prospic- B. [-]] aspicientibusaspicientibusaspicientibusaspicientibusprospicientibus, non tamen quis esset [+] [quis esset post scientibus transt. B. [-]] scientibusquis esset scientibusquis esset scientibusquis esset scientibusquis esset scientibusscientibus quis esset, victor ad gloriam Normannorum efficitur. Sicque caput abscissum lanceae superponens [+] [superponens C B : suppo- A Z ed. pr. [-]] superponenssuperponenssuperponenssupponens, per medium castrorum [+] [castrorum post gentis transt. Z ed. pr. [-]] , suae gentiscastrorum, suae gentiscastrorum, suae gentiscastrorum, suae gentissuae gentis castrorum nulli verbum faciens, in Britanniam redire accelerat. <4> Comes ergo [+] [ergo AC Zx : namque Z tamen B. [-]] ergoergoergo [+] [Zx : ergo [-]] namquetamen, legatum mittens, quisnam sit [+] [sit AC Z : esset B. [-]] sitsitsitsitesset percontari [+] [percontari AC : -trari B perscrutari Z edd. [-]] percontaripercontrariperscrutari jubet et ut [+] [ut… veniat AC Z : venire B. [-]] utututut[om.] ad se veniatveniatveniatveniatveniatvenire praecipere [+] [praecipere ego : -cipue AC Z -cepit B -cipit edd. [-]] praecipuepraecepitpraecipit. Sed, cum renuntiatum [A/f.13v-14r] fuisset hunc Serlonem, filium TancrediTancrediTancrediTancrediTanchrediTrankedi, esse [+] [esse AC Z : fuisse B. [-]] esseesseesseessefuisse et a Britannia [+] [a britan(n)ia A Z : a britaniam C arbitrania B. [-]] a Britanniaa Britanniaa Britaniaa Britaniamarbitrania causa [+] [causa A ZB : tam C. [-]] causacausacausacausatam improperium [+] [improperium prop. Desbordes : imperium AC ut vid. Pontieri -rii Z ed. pr. vituperium B. [-]] imperium*imperium ut vid.imperiivituperium a populo suo propellendi venisse, se autem iram principis, quia infensus [+] [infensus AC Z : offensor B offensus Pontieri. [-]] infensusinfensusinfensusoffensoroffensus erat, declinare [+] [declinare AC ZBx : -ret B. [-]] declinaredeclinaredeclinaredeclinare [+] [Bx : declinare [-]] declinaret et patria [+] [patria AC Z : patriae B. [-]] patriapatriapatriapatriapatriae, quamvis penuriosum, libenter, donec principis [+] [principis om. B. [-]] principisprincipisprincipisprincipis[om.] ira sedetur, dum ipse jusserit, exulare, comes, pietate motus et tanto viroviroviroviroviro [+] [B1 : viro [-]] vir ulterius [+] [ulterius post nolens transt. B. [-]] carere nolens [+] [nolens AC Z : volens B. [-]] ulterius carere nolensulterius carere nolensulterius carere nolensulterius carere nolenscarere volens ulterius, ad [+] [ad C ZB : a A. [-]] adadadada se jubet accersiri [+] [accersiri AC Z : accesiri B. [-]] accersiriaccersiriaccersiriaccersiriaccesiri. Venienti occurrit, gratiam suam indulget [+] [indulget om. B. [-]] indulgetindulgetindulgetindulget[om.], oscula [+] [oscula B : -lo C Z edd. -li A. [-]] osculoosculi secure [+] [secure Z : -ri AC B. [-]] securesecuresecuric'La finale -i donnée par les manuscrits AC B vient probablement d’une confusion e/i courante, en particulier dans le manuscrit C ; voir Desbordes 2005, 125-126, n. 36. reddit, quae habita amiserat restituit, uxore [+] [uxore ego : -ri AC ZB edd. [-]] uxorid'Nous n’avons pas trouvé d’attestation de augeo, es, ere, construit avec le datif. La faute vient sans doute de la confusion e/i déjà constatée à propos de secure dans la phrase précédente. cui plures [+] [plures AC Z : plerumque B. [-]] plurespluresplurespluresplerumque possessiones competebant [+] [competebant AC B : -bat Z. [-]] competebantcompetebantcompetebantcompetebantcompetebat auget [+] [auget A ZB : augit C. [-]] augetaugetaugetaugetaugit, inter sibi familiariores [+] [familiariores Z : familiatiores C familiarios A famulantes B. [-]] familiarioresfamiliarioresfamiliatioresfamiliariosfamulantes retinet.

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1Tillières-sur-Avre (Eure, arr. Évreux) : sur les noms latins ayant servi à désigner Tilllières, voir E. P. Blosseville, Dictionnaire topographique du département de l’Eure, comprenant les noms de lieu anciens et modernes, rédigé sous les auspices de la Société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l’Eure, par M. le marquis de Blosseville, Paris, Imprimerie nationale, 1877, p. 277. Compte tenu que Serlon est le dernier fils de Murielle et que Guillaume, l’aîné, est arrivé en Pouille au début des années 1030, il est possible que Serlon ait atteint l’âge d’être armé chevalier à la fin du règne de Robert le Magnifique. Cependant, il paraît préférable de situer l’événement sous la minorité de Guillaume le Bâtard, après 1041. En effet, le château de Tillières, édifié par Richard II pendant la guerre qu’il mena contre le comte Eudes de Blois, resta au pouvoir du duc de Normandie et de Robert le Magnifique, qui en confia la garde à Robert Crespin. En revanche, le château fut rétrocédé au roi Henri Ier vers 1041 : ce dernier l’incendia, puis le restaura et y établit une garnison. Toutes ces informations sont données par Guillaume de Jumièges, Interp. GG, V, 10 et 12 = GND 2, 22-28 et VII, 2(5) = GND 2, 100, et ont été analysées par Bauduin 2004, 181-182 ; 186 ; 190-191.

2L’extrait est mentionné par Settia 2006, 117, comme témoin de l’utilisation de la lance baissée ; voir aussi I, 7, 7.

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a'La leçon confine de Z et l’accord des manuscrits AC sur confinie permettent de supposer que le subarchétype portait un -e final, bien que l’emploi de l’accusatif pour l’expression du lieu soit ici très improbable. Nous avons préféré la correction confinio à celle de nos devanciers, en raison de la fréquence – hors du De rebus gestis Rogerii, mais durant toute la latinité – de l’expression in confinio suivie du nom des terres avoisinantes.

b'L’accord AC B invite à reconnaître dans qui la leçon authentique. Un autre exemple de refus du sigmatisme se trouve en II, 5, 2 : versum se. Cf. Sall. Cat. 44, 5, qui sim ex eo quem ad te misi cognosces, où la séquence qui sim a donné lieu aux mêmes hésitations (Ernout & Hellegouarc’h 1994, 96).

c'La finale -i donnée par les manuscrits AC B vient probablement d’une confusion e/i courante, en particulier dans le manuscrit C ; voir Desbordes 2005, 125-126, n. 36.

d'Nous n’avons pas trouvé d’attestation de augeo, es, ere, construit avec le datif. La faute vient sans doute de la confusion e/i déjà constatée à propos de secure dans la phrase précédente.