chapitre 35

capitulum XXXV

Guiscard devient duc

Guiscardus dux efficitur

Ainsi, Robert Guiscard qui, avec la prise de la ville, venait de se voir complètement exaucer dans ce qu’il désirait depuis longtemps, est proclamé duc dans la gloire du triomphe1À l’instar de Malaterra, d’autres sources affirment qu’à la suite de la prise de Reggio, Robert se fait proclamer duc. Ainsi, Aimé IV, 3 : « il la [Rege] vainchi par force. Et pour ce, Robert sailli en plus grant estat qu’il non se clame plus conte, mes se clamoit duc » ; Leo Ost. III, 15, p. 377, l. 26 - p. 378, l. 1 : Regium urbem obsidens capit et extunc cepit dux appellari ; la continuation de la Synopsis de Skylitzès par Georgius Cedrenus (Historiarum compendium, t. II, p. 724) évoque cette élection sans préciser qu’elle intervient après la prise de Reggio, mais plus largement après la conquête de la Longobardie et de la Calabre : « […] ἑαυτοὺς μὲν κόμητας τὸν δὲ ῾Ρούμπετρον δοῦκα προσωνομάκασιν », « […] les puissants seigneurs […] prirent eux-mêmes le nom de comtes et Robert, celui de duc » ; voir encore Romuald de Salerne (Romualdi Salernitani Chronicon, p. 184, 10-13, cité dans l’« Introduction » de la version imprimée, n. 123). À l’exception de Guillaume de Pouille (voir infra) et des chroniqueurs du pape comme Bonizon (Bonizonis episcopi Sutrini Liber ad amicum, E. Dümmler (éd.), MGH Ldl, t. I, Hanovre, Hahn, 1891, VI, p. 593), les sources, dont fait partie l’œuvre de Malaterra, s’accordent à dire que le titre ducal fut donné à Robert sur une initiative normande à Reggio (voir Tramontana 1986, 59 ; Enzensberger 1990, 67, pour une étude des titres portés par Guiscard dans les actes et les diplômes). Selon Malaterra, Guiscard obtient cette nouvelle titulature sur le champ de bataille, comme un imperator romain. Il ne fait pas de lien direct entre le titre et l’étendue du territoire qui lui est attaché, peut-être pour ne pas revenir sur ce qu’il a prétendu être déjà acquis par les Hauteville au lendemain de la victoire de Civitate (voir I, 14, 5). En revanche, Guillaume de Pouille (II, 400-403) rapporte que Nicolas II confirme Robert dans son duché au concile de Melfi (3-25 août 1059), et il précise les limites du duché : « Alors toute la Calabre lui fut concédée, ainsi que toute la Pouille, et le gouvernement (dominatio) sur ses compatriotes en Italie » (trad. Mathieu 1961, 155, retouchée). Pour le texte du serment de fidélité prêté par Robert au pape lors du concile de Melfi, voir Le “Liber Censuum” de l’Église romaine, P. Fabre, L. Duchesne (éd.), Paris, Fontemoing – Thorin, 1910, t. I, chap. 162-163, p. 421-422 ; Recueil des actes des ducs normands d’Italie…, p. 30-31 ; Das Papsttum und die süditalienischen Normannenstaaten (1053-1212), J. Deér (éd.), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht (Historische Texte. Mittelalter ; 12), 1969, p. 17-18. Le nouveau titre de Robert avait été porté en 1051 par Argyros : « μάγιστρος καὶ δούξ Ἰταλίας, Καλαϐρίας, Σικελίας καὶ Παφλαγονίας » (Martin 2006a, 313). Le sens de δούξ ne diffère pas réellement de celui de catépan dans l’Empire byzantin ; mais l’emploi de ce premier terme au détriment du second, lequel était inconnu en Occident, a pu faciliter pour Robert l’accès au titre ducal. Le commandement d’Argyros s’étendait à toute l’Italie byzantine, y compris théoriquement à la Sicile musulmane, mais le Lombard reçut probablement cet honneur trop tardivement pour exercer son pouvoir ailleurs qu’en Pouille (Martin 1993, 704). La situation a bien changé en 1059 : la conquête de la Calabre est presque achevée, et l’autorité de Guiscard est sur le point d’être reconnue de tous. Le titre ducal, porté pour la première fois par un fils de Tancrède et confirmé par le pape, lève définitivement l’ambiguïté qui caractérisait jusqu’alors le rôle joué par les aînés de Robert auprès des autres comtes normands de Pouille. Il reste cependant à Guiscard à conquérir la Sicile, sur laquelle il n’a encore qu’une autorité purement théorique (voir Tramontana 2003, 19 ; Andenna 2006, 384-392 ; Martin 2006a, 314-317).. Et, tout en accordant des récompenses, en retour des services rendus, à son frère ainsi qu’à toute l’armée, il leur témoigna chaleureusement sa reconnaissance, eux qui lui avaient donné les moyens de parvenir au faîte du plus insigne honneur. Puis il envoie son frère avec l’armée dans les différentes villes et places fortes de toute la région, pour qu’elles reconnaissent son autorité, pendant que lui se remettait à Reggio des fatigues <de la campagne>.

* Ab igitur robertus guiscardus incipit capitulum XXXVI in Z.* Ab igitur robertus guiscardus incipit capitulum XXXVI in C.* Ab igitur robertus guiscardus incipit capitulum XXXVI in ed. pr.Igitur Robertus Guiscardus, accepta [+] [accepta AC ZBx : iter. B. [-]] acceptaacceptaacceptaaccepta [+] [Bx : accepta [-]] accepta accepta urbe, diuturni desiderii sui compos [+] [compos AC Z : opes B. [-]] composcomposcomposcomposopes effectus, cum triumphali gloria dux efficitur. Magnasque gratias cum meritorum recompensatione [+] [recompensatione C Z : compen- A repen- B. [-]] recompensationerecompensationerecompensationecompensationerepensatione fratri et reliquo exercitui [+] [exercitui C ZB : -tu A. [-]] exercituiexercituiexercituiexercituiexercitu, quorum auxilio tanti [+] [tanti A ZB : tam C. [-]] tantitantitantitantitam culmen honoris attigerat [+] [attigerat AC B : attingerat Z. [-]] attigeratattigeratattigeratattigeratattingerat, referens, fratrem cum exercitu per urbes et castra totius provinciae, ut [+] [ut AC ZBx : et B. [-]] utututut [+] [Bx : ut [-]] et suo imperio subdantur, dirigit [+] [dirigit om. A. [-]] dirigitdirigitdirigitdirigit[om.], ipse interim [+] [interim AC Z : iterum B. [-]] interiminteriminteriminterimiterum a labore se [+] [se AC Z : suo B. [-]] sesesesesuo apud RegiumRegiumRegiumRegiumRegiumRhegium recreans.

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1À l’instar de Malaterra, d’autres sources affirment qu’à la suite de la prise de Reggio, Robert se fait proclamer duc. Ainsi, Aimé IV, 3 : « il la [Rege] vainchi par force. Et pour ce, Robert sailli en plus grant estat qu’il non se clame plus conte, mes se clamoit duc » ; Leo Ost. III, 15, p. 377, l. 26 - p. 378, l. 1 : Regium urbem obsidens capit et extunc cepit dux appellari ; la continuation de la Synopsis de Skylitzès par Georgius Cedrenus (Historiarum compendium, t. II, p. 724) évoque cette élection sans préciser qu’elle intervient après la prise de Reggio, mais plus largement après la conquête de la Longobardie et de la Calabre : « […] ἑαυτοὺς μὲν κόμητας τὸν δὲ ῾Ρούμπετρον δοῦκα προσωνομάκασιν », « […] les puissants seigneurs […] prirent eux-mêmes le nom de comtes et Robert, celui de duc » ; voir encore Romuald de Salerne (Romualdi Salernitani Chronicon, p. 184, 10-13, cité dans l’« Introduction » de la version imprimée, n. 123). À l’exception de Guillaume de Pouille (voir infra) et des chroniqueurs du pape comme Bonizon (Bonizonis episcopi Sutrini Liber ad amicum, E. Dümmler (éd.), MGH Ldl, t. I, Hanovre, Hahn, 1891, VI, p. 593), les sources, dont fait partie l’œuvre de Malaterra, s’accordent à dire que le titre ducal fut donné à Robert sur une initiative normande à Reggio (voir Tramontana 1986, 59 ; Enzensberger 1990, 67, pour une étude des titres portés par Guiscard dans les actes et les diplômes). Selon Malaterra, Guiscard obtient cette nouvelle titulature sur le champ de bataille, comme un imperator romain. Il ne fait pas de lien direct entre le titre et l’étendue du territoire qui lui est attaché, peut-être pour ne pas revenir sur ce qu’il a prétendu être déjà acquis par les Hauteville au lendemain de la victoire de Civitate (voir I, 14, 5). En revanche, Guillaume de Pouille (II, 400-403) rapporte que Nicolas II confirme Robert dans son duché au concile de Melfi (3-25 août 1059), et il précise les limites du duché : « Alors toute la Calabre lui fut concédée, ainsi que toute la Pouille, et le gouvernement (dominatio) sur ses compatriotes en Italie » (trad. Mathieu 1961, 155, retouchée). Pour le texte du serment de fidélité prêté par Robert au pape lors du concile de Melfi, voir Le “Liber Censuum” de l’Église romaine, P. Fabre, L. Duchesne (éd.), Paris, Fontemoing – Thorin, 1910, t. I, chap. 162-163, p. 421-422 ; Recueil des actes des ducs normands d’Italie…, p. 30-31 ; Das Papsttum und die süditalienischen Normannenstaaten (1053-1212), J. Deér (éd.), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht (Historische Texte. Mittelalter ; 12), 1969, p. 17-18. Le nouveau titre de Robert avait été porté en 1051 par Argyros : « μάγιστρος καὶ δούξ Ἰταλίας, Καλαϐρίας, Σικελίας καὶ Παφλαγονίας » (Martin 2006a, 313). Le sens de δούξ ne diffère pas réellement de celui de catépan dans l’Empire byzantin ; mais l’emploi de ce premier terme au détriment du second, lequel était inconnu en Occident, a pu faciliter pour Robert l’accès au titre ducal. Le commandement d’Argyros s’étendait à toute l’Italie byzantine, y compris théoriquement à la Sicile musulmane, mais le Lombard reçut probablement cet honneur trop tardivement pour exercer son pouvoir ailleurs qu’en Pouille (Martin 1993, 704). La situation a bien changé en 1059 : la conquête de la Calabre est presque achevée, et l’autorité de Guiscard est sur le point d’être reconnue de tous. Le titre ducal, porté pour la première fois par un fils de Tancrède et confirmé par le pape, lève définitivement l’ambiguïté qui caractérisait jusqu’alors le rôle joué par les aînés de Robert auprès des autres comtes normands de Pouille. Il reste cependant à Guiscard à conquérir la Sicile, sur laquelle il n’a encore qu’une autorité purement théorique (voir Tramontana 2003, 19 ; Andenna 2006, 384-392 ; Martin 2006a, 314-317).