Chapitre 82

Capitulum LXXXII1caput 81 1536.

Serra [la « scie »1Chez Pline les dénominations serra et pistris désignent le poisson scie (Pristis pristis Linné, 1758), d’après De Saint-Denis 1947, 104, qui précise aussi que la première est moins fréquente que la seconde. Les descriptions qui nous sont données ici ne correspondent cependant pas à cet animal. Par ailleurs, tous les paragraphes de l’Hortus sanitatis ne semblent pas décrire le même poisson, le premier étant pourvu d’une crête dorsale acerée, le second d’ailes gigantesques. Ce dernier, qualifié de monstrum, selon le terme emprunté à Thomas de Cantimpré (TC 6, 44), est un poisson presque mythique, l’un des rares animaux marins à être traités individuellement dans les bestiaires du Moyen Âge. Animal fabuleux, gigantesque et effrayant, la terrible serra déploie ses ailes pour entraîner les navires dans les profondeurs. Voir notamment George & Yapp 1991, 202-205, et surtout 204, fig. 153 ; avec l’aspidochelon, c’est le seul poisson qui ait droit à une représentation figurée dans les premiers bestiaires. On comprend mieux pourquoi on a jugé pertinent de l’associer ici à la scilla, autre poisson redoutable. Sur la serre, voir James-Raoul 2002, 178-179 ; 190-191.] et scilla2Dans la tradition gréco-romaine, Scylla est un monstre mythologique effrayant, évoqué par Homère au chant XII de l’Odyssée. Ce monstre redoutable dévora six des compagnons d’Ulysse alors que celui-ci longeait le détroit de Messine et qu’il venait d’échapper à la fureur de Charybde (Hom. Od. 12, 66-91). Selon la légende, rapportée par Ovide (Ov. met. 14, 1-74), Glaucos aimait la jeune Scylla que, pour cette raison, Circé jalousait. Celle-ci répandit des herbes magiques dans la fontaine où se baignait Scylla, ce qui eut pour effet de transformer la partie inférieure de son corps en d’ignobles molosses, qui dévoraient tout ce qui passait à leur portée. La description est ici purement fantaisiste, empruntant dans une large mesure aux caractères des sirènes, et accumulant – dans le souci probable d’impressionner le lecteur – des détails sans rapport aucun avec l’imagerie traditionnelle de la figure mythologique. Il est difficile de savoir si l’auteur parle ici du monstre antique ou d’une espèce de monstre marin. [+][VB 17, 127 De scilla et serra [-]][+]

Serra et scilla [+][VB 17, 127 De scilla2scylla VBd ut semper. et serra [-]][+]

Renvois internes : Serra : cf. Pistris, ch. 69.

Lieux parallèles : Serra dans TC, De serra (6, 44) ; De serra alterius speciei (6, 45) ; AM, [Serra] (24, 117 (54)) ; [Serra minor] (24, 118 (54)).
Scilla dans TC, De scilla (6, 47) ; AM, [Scilla] (24, 120 (55)).

poisson

[1] [] VB 17, 127, 2Isidore. [] Isid. orig. 12, 6, 16La scie est ainsi dénommée parce qu’elle porte une crête en forme de scie et qu’elle éventre les navires en nageant par-dessous.

[1] [] VB 17, 127, 2Isidorus. [] Isid. orig. 12, 6, 16Serra nuncupata, quia serratam cristam habet et subternatans nauem secat.Serra dicta3denta 1491 Prüss1 1536. est quia serratam4serratum 1536. habet cristam et subtus natans navem secat.

[2] [] VB 17, 127, 3Physiologus. [] Physiol. B 4La scie est une bête marine pourvue d’ailes gigantesques. Quand elle voit un navire faire voile sur la mer, elle déploie ses ailes et, rivalisant avec lui, elle fait voile à ses côtés. Lorsqu’elle a parcouru trente ou quarante stades, elle relâche son effort et abandonne, abaisse ses ailes et les replie le long de son corps. Les flots de la mer la ramènent, lasse désormais, à l’endroit d’où elle était venue, dans les profondeurs.

[2] [] VB 17, 127, 3Physiologus. [] Physiol. B 4, 1-4Est belua in mari quae dicitur serra, pennas habens immanes. Haec, cum uiderit in pelago nauem uelificantem, eleuat pennas suas et contendit uelificare cum naue. Vbi uero currerit contra nauem stadiis triginta uel quadraginta, laborem non sustinens, deficit ; et, deponens pennas, ad se attrahit eas ; undae uero maris iam lassam reportant eam ad pristinum locum suum profundum.Serra est marina belua pennas habens immanes. Quae5qua 1491 Prüss1 1536. cum viderit in mari navem velificantem, elevat pennas suas et contendit velificare cum nave. Ubi autem cucurrerit stadiis XXX vel XL, laborem <non6non addidimus ex Physiol.> sustinens deficit et pennas deponens ad se trahit. Undae7undae — eam : unde navem maris causa 1491 Prüss1 1536. vero maris eam jam lassam reportant ad pristinum suum8suum om. 1536. locum in profundum.

[3] [] VB 17, 127, 4D’après le Liber de natura rerum. [] TC 6, 45La scie a une crête en forme de scie dont elle se sert pour découper le fond des navires sous lesquels elle nage furtivement ; ainsi, grâce à cette fourberie, elle provoque la noyade des hommes lorsque l’eau envahit le navire, et elle se repaît de leur chair. [] TC 6, 44, 2-4Il y a aussi un autre monstre marin énorme qui porte le même nom et qui est pourvu de très larges nageoires, grâce auxquelles il fait voile auprès des navires, pour rivaliser avec eux.

[3] [] VB 17, 127, 4Ex Libro de naturis rerum9Vincent de Beauvais a regroupé dans un même paragraphe deux notices de Thomas de Cantimpré, qui distinguait deux espèces de serra (voir les lieux parallèles). La source est ici recopiée presque à l’identique : il ne manque que la mention d’Isidore de Séville et de Pline.. [] TC 6, 45Serra cristam habet serratam qua10quasi VBd., navibus occulte subternatans11subternatans correximus ex TC : supernatans 1491 Prüss1 1536 VB., eas in fundo secat, ut, intrante aqua, homines astutia dolosa mergat eorumque carnibus satietur. [] TC 6, 44, 2-4Alia quoque est ejusdem nominis marina belua ingens pinnasque latissimas habens, quibus contra naves velificare contendit12Vincent de Beauvais n’a emprunté ici qu’une phrase à la notice de Thomas de Cantimpré, sans doute parce que les informations qui suivaient étaient les mêmes que celles déjà énoncées sous le nom du Physiologus..

[4] [] VB 17, 127, 1D’après le Liber de natura rerum. [] TC 6, 47La scilla est un monstre qui vit dans la mer qui sépare l’Italie et la Sicile. Il est assurément l’ennemi des marins et de tous les êtres humains, dont le sang et la chair font son régal. Il a la tête et les pieds semblables à ceux d’une jeune fille, comme les sirènes, et une gueule large et béante, des dents effrayantes, le ventre d’un monstre et la queue d’un dauphin. Il a une force prodigieuse, et dans l’eau, il est presque invincible, tandis que sur la terre ferme il est à peu près inoffensif. Il a aussi une voix passablement mélodieuse, et le monstre lui-même est étonnamment sensible au chant.

[4] [] VB 17, 127, 1Ex Libro de naturis rerum13Le texte de Vincent de Beauvais reprend presque à l’identique celui de Thomas de Cantimpré, à cette différence près que le premier compare « la tête et les pieds », pedes, « à ceux d’une jeune fille », là où Thomas de Cantimpré avait écrit – peut-être plus judicieusement – pectus, « la poitrine ».. [] TC 6, 47Scilla14silla Prüss1 scylla VBd.[1491/vue 48] monstrum est habitans in eo mari quod Italiam15italiam : ytaliam vocant VB2 italum vocant VBd. et Siciliam16siliciam 1491. intercludit. Nautis quidem et omnibus hominibus inimicum17inimicus 1491 Prüss1. est, et eorum sanguine carnibusque18carnibus 1536. delectatur. Caput et pedes19manus corr. 1536. habet ad modum virginis formata, sicut sirenes20syrenes VBd., et rictus et oris hiatum21La redondance rictus et oris hiatum nous incite à voir dans oris hiatum une glose. ac dentes horridos, uterum bestialem et delphini caudam22Comparer avec Verg. Aen. 3, 426-428 : Prima hominis facies et pulchro pectore uirgo / pube tenus ; postrema immani corpore pistrix, / delphinum caudas utero commissa luporum ; voir aussi Ov. met. 13, 732 sq.. Mirae fortitudinis est nec in aqua facile vincitur ; in terra vero prope imbellis23post imbellis hab. est VB.. Habet et vocem aliquantulum musicam, ipsaque belua carmine mirifice delectatur.

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1Chez Pline les dénominations serra et pistris désignent le poisson scie (Pristis pristis Linné, 1758), d’après De Saint-Denis 1947, 104, qui précise aussi que la première est moins fréquente que la seconde. Les descriptions qui nous sont données ici ne correspondent cependant pas à cet animal. Par ailleurs, tous les paragraphes de l’Hortus sanitatis ne semblent pas décrire le même poisson, le premier étant pourvu d’une crête dorsale acerée, le second d’ailes gigantesques. Ce dernier, qualifié de monstrum, selon le terme emprunté à Thomas de Cantimpré (TC 6, 44), est un poisson presque mythique, l’un des rares animaux marins à être traités individuellement dans les bestiaires du Moyen Âge. Animal fabuleux, gigantesque et effrayant, la terrible serra déploie ses ailes pour entraîner les navires dans les profondeurs. Voir notamment George & Yapp 1991, 202-205, et surtout 204, fig. 153 ; avec l’aspidochelon, c’est le seul poisson qui ait droit à une représentation figurée dans les premiers bestiaires. On comprend mieux pourquoi on a jugé pertinent de l’associer ici à la scilla, autre poisson redoutable. Sur la serre, voir James-Raoul 2002, 178-179 ; 190-191.

2Dans la tradition gréco-romaine, Scylla est un monstre mythologique effrayant, évoqué par Homère au chant XII de l’Odyssée. Ce monstre redoutable dévora six des compagnons d’Ulysse alors que celui-ci longeait le détroit de Messine et qu’il venait d’échapper à la fureur de Charybde (Hom. Od. 12, 66-91). Selon la légende, rapportée par Ovide (Ov. met. 14, 1-74), Glaucos aimait la jeune Scylla que, pour cette raison, Circé jalousait. Celle-ci répandit des herbes magiques dans la fontaine où se baignait Scylla, ce qui eut pour effet de transformer la partie inférieure de son corps en d’ignobles molosses, qui dévoraient tout ce qui passait à leur portée. La description est ici purement fantaisiste, empruntant dans une large mesure aux caractères des sirènes, et accumulant – dans le souci probable d’impressionner le lecteur – des détails sans rapport aucun avec l’imagerie traditionnelle de la figure mythologique. Il est difficile de savoir si l’auteur parle ici du monstre antique ou d’une espèce de monstre marin.

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1caput 81 1536.

2scylla VBd ut semper.

3denta 1491 Prüss1 1536.

4serratum 1536.

5qua 1491 Prüss1 1536.

6non addidimus ex Physiol.

7undae — eam : unde navem maris causa 1491 Prüss1 1536.

8suum om. 1536.

9Vincent de Beauvais a regroupé dans un même paragraphe deux notices de Thomas de Cantimpré, qui distinguait deux espèces de serra (voir les lieux parallèles). La source est ici recopiée presque à l’identique : il ne manque que la mention d’Isidore de Séville et de Pline.

10quasi VBd.

11subternatans correximus ex TC : supernatans 1491 Prüss1 1536 VB.

12Vincent de Beauvais n’a emprunté ici qu’une phrase à la notice de Thomas de Cantimpré, sans doute parce que les informations qui suivaient étaient les mêmes que celles déjà énoncées sous le nom du Physiologus.

13Le texte de Vincent de Beauvais reprend presque à l’identique celui de Thomas de Cantimpré, à cette différence près que le premier compare « la tête et les pieds », pedes, « à ceux d’une jeune fille », là où Thomas de Cantimpré avait écrit – peut-être plus judicieusement – pectus, « la poitrine ».

14silla Prüss1 scylla VBd.

15italiam : ytaliam vocant VB2 italum vocant VBd.

16siliciam 1491.

17inimicus 1491 Prüss1.

18carnibus 1536.

19manus corr. 1536.

20syrenes VBd.

21La redondance rictus et oris hiatum nous incite à voir dans oris hiatum une glose.

22Comparer avec Verg. Aen. 3, 426-428 : Prima hominis facies et pulchro pectore uirgo / pube tenus ; postrema immani corpore pistrix, / delphinum caudas utero commissa luporum ; voir aussi Ov. met. 13, 732 sq.

23post imbellis hab. est VB.

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