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XCIII.

Après l’Adjudication faite du Bénéfice d’Inventaire, doit faire apprécier par la Justice, les Meubles, Fruits & Levées de la Succession, & bailler caution au Sergent de la Querelle du prix de l’estimation.

Il semble qu’il est du devoir du Juge, d’ordonner incontinent aprés l’Adjudication du bénéfice d’Inventaire, que l’appréciation portée par cet Article, soit faite devant lui, dans un bref délai, par Experts dont les créanciers & l’héritier conviendront, ou qui seront nommés d’office, parce qu’un Juge doit pourvoir à ce que toutes choses qui se font en exécution de ses Jugemens, soient faites dans un ordre convenable, pour conserver le bon droit à un chacun, & pour prévenir les abus qu’on peut commêttre en conséquence. Cette appréciation ou estimation, n’est que des meubles, & des fruits & levées qui sont encore sur les héritages dépendans de la succession. Or, la caution qu’exige la Coutume, n’est precisément que du prix de cette appréciation ; sauf aux créanciers à veiller pour leurs intérêts, comme il leur est permis par l’Artiele.

XCVI. L’héritier ne se doit point saisir des meubles, qu’apres lesdites appreciation & caution. C’est pourquoi on peut proposer sur cet Article une ques-tion tres-importante, qui est, si cet héritier peut vendre les meubles & immeubles de la succession, sans solemnité ou sans le consentement des créan-ciers. Du Moulin & Loyseau sont d’avis qu’il le peut ; & se sont fondés, tant sur l’autorité de ladite Loi deJustinien , au S. sin vero, qui déclare que ceux qui ont acheté de l’héritier qui a fait un bon Inventaire, ne peuvent être inquiétés par les créanciers de la succession, que sur les propriétés de la qua-lité d’héritier, qui sont de représenter la perlonne du défunt, d’avoir le même pouvoir que lui sur les biens héréditaires, & par conséquent d’en être propriétaire : ce qui a fait dire, que pro hoerede se gerere, est pro Domino se gerère.

Or l’héritier bénéficiaire est véritablement héritier ; la confection d’Inventaire, ne constituant point une espece différente d’héritiers, mais ne devant pro-duire d’autre effet, sinon de décharger l’héritier du payement des dettés qui excodent la valeur des biens qui composent la succession. Mais ces grande Auteurs ont raisonné sur ce qui devroit être, mais non point sur ce qui est : ils reconnoissent que par le Droit Coutumier on a fort abusé de cette invention deJustinien , en autorisant des différences essentielles & spécifiques entre Ihéritier bénéficiaire & le légitime : car l’héritier bénéficiaire n’est point reputé dans le Pays coutumier, être héritier simplement & absolument, d’autant qu’il n’est point obligé personnellement au payement des dettes héréditaires, qu’il est tenu de rendre compte, & qu’il peut renoncer à la succession, qui sont trois conséquences qui ne peuvent convenir au véritable hiéritier, c’est pourquoi on l’appelle simple & absolu, pour le distinguer du bénéficiaire : dont il s’est ensuivi que les Auteurs qui ont écrit sur le Droit coutumier, & même la Coûtume de Paris, en l’Article CCCXLIV, ont comparé l’heritier bénéficiaire à un Curateur des biens vacans, pour signifier qu’il n’avoit que l’ad-ministration & non la propriété des biens héréditaires. Il semble donc qu’il faut décider la question proposée par le Droit qui est en usage, & qui bien qu’il ait été introduit par un abus manifeste, prevaut à celui qui est fondé sur de bonnes maximes ; mais qui est comme abrogé par une pratique contraire & universelle dans le Pays coutumier. Or il est évident que dans ce Pays, l’héritier bénéficiaire ne représente qu’imparfaitement la personne du défunt, qu’il n’est point obligé personnellement aux dettes, qu’il n’est point propriétaire, & qu’il n’est en possession des biens que comme un Tuteur ou Cura-teur, à la charge d’en rendre compte. De sorte que par la Coûtume de Normandie, en cet Article XCIII, il doit aprés l’adjudication qui lui a été faite du bénéfice d’Inventaire, faire apprécier par la Justice les meubles, fruits & levées de la succession, & bailler caution du prix de l’estimation. La Coutume de Paris audit Article CCCXLIV, est encore plus formelle ; car cet

Article porte, que l’héritier benéficiaire est comme un Curateur aux biens vacans, & qu’il ne peut vendre les meubles, sans garder la solemnité qui est prescrite par le même Article. Si donc cet héritier vend de son autorité, il fait ce qu’il ne peut faire : ou au moins, suivant la Coutume de Normandie, il ne fait pas ce qu’il doit faire ; & partant il n’a pas un pouvoir légitime pour aliéner les meubles, ni conséquemment les immeubles, qui sont beaucoup plus importans dans l’estimation qu’on fait des biens d’une succession. C’est ce que la Coutume d’Orléans a expliqué en l’Article CCCXLIII, en ces termes : Et quant aux immeubles, ils n’en peuvent Cles héritiers bénéficiaires faire vente, sinon en gardant les formalites requises en matière de criées d’hetages. En s’arrétant donc constamment à ces principes du Droit coutumier, & aux expressions des Coûtumes qui ont été référées, il faudroit conclure que l’héritier bénéficiaire ne peut vendre sans solemnité, ou sans le consentement des créanciers ni meubles ni immeubles, & partant que la vente qu’il en auroit faite de sa seule autorité, seroit nulle, & n’attribueroit à l’acheteur au-cun titre légitime, pour devenir possesseur & propriétaire. Mais parce qu’il sembleroit qu’il y auroit de l’absurdité à soutenir que des meubles vendus par un héritier bénéficiaire, pussent être vendiqués comme une chose furtive, ou qu’ils eussent suite par hypotheque ; & que d’ailleurs la vente des immeubles ne peut préjudicier aux créanciers, qui peuvent faire saisir réellement les immeubles qui leur sont hypothéqués, aussi-bien quand ils sont passés en la main d’un acquereur, que s’ils étoient demeurés dans la masse de la succession : on peut dire, suivant l’interprétation que donne Loyseau audit Article CCCXLIV de la Coutume de Paris, que ces termes, ne peut, ne signifient dans ledit Artiticle qu’une exclusion de la puissance de droit ; c’est-à-dire, que l’héritier ne peut vendre, sans s’assujettr à rendre compte de la vente qu’il a faite, & sans s’obliger personnellement envers les créanciers de la succession, ou indéfiniment comme ayant fait un acte, qu’on ne peut faire sans le nom & la qualité d’un véritable héritier, suivant l’expression de l’Article CexxXV de la Coutume, où au moins pour le prix du Contrat ou pour la juste valeur de la chose venduë, comme étant obligé personnellement à rendre compte de son administration1. Il faut voir Loyseau au 3 chapitre du 2 Livre du

Deguerpissement, où il représente les injustices que commettent ordinairement les héritiers bénéficiaires, qui, quoiqu’ils ayent recueilli une succession opusente, n’en veulent point payer les dettes, de forte que le bénéfice d’Inventai-re, de la manière qu’on en use souvent dans les Pays coûtumiers, n’est qu’un moyen pour éluder la poursuite des créanciers, qui pour éviter les artifices qui sont mis en usage pour les tromper, sont obligés d’abandonner ce qui leur est du, ou d’en perdre une bonne partie, pour sauver le reste des mains de l’héritier, qui par ces moyens profite de sa mauvaise foi & de sa tromperie. I11 ajoute, qu’il y a long-temps qu’on cherche un remede à toutes les absurdités, & aux inconvéniens qui proviennent du bénéfice d’Inventaire, & qu’il ne peut y en avoir un meilleur, que de prescrire un temps à l’héritier bénéficiaire, comme d’un an ou de deux, dans lequel il seroit tenu de faire discuter ou appréoier les biens de la succession, & de rendre son compte ; autrement, & ce temps passé, qu’il fût tenu de payer toutes les dettes comme héritier simple, aux nombres quatorzieme & dernier du chapitre ci-dessus cité : lisez de plus, le chapitre & du Livre 4 du même Traité, & du Moulin sur l’Article XXx de la Coutume de Paris, in verbo, qui dénie le Fief, num. 169.2


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L’opinion de Pesnelle peut être combattue par de puissans moyens. L’Heritier bénéficiaire est un véritable Héritier : l’Héritier bénéficiaire, en alienant les fonds dépendans de la succession acceptée sous cette forme, ne fait aucun préjudice aux Créanciers de la succession, qui ont tous indifféremment une Hypotheque sur les immeubles du défunt du jour de son déces, en faisant reconnoître les obligations sous signature privée : aprés la vente les Créanciers sont en droit de demander compte du prix, personnellement à l’Héritier béneficiaire, ils peuvent même se plaindre de la modicité du prix de la vente, ils conservent toujours leurs Hypotheques ; & s’ils sont remplis, ils retirent de la vente cet avantage de ne point supporter les frais d’un Decret toujours trés-onéreux. Voyes Ferrière sur Paris 34z, Ricard &Fortin , le Brun des SuccessPesnelle auroit eneore pu ajouter une difficulté à la question qu’il propose, si la succes-sion bénéficiaire consiste, pour la meilleure partie, en rentes actives constituées, & si l’héritier peut en recevoir l’amortissement, les Créanciers sont obligés, pour prévenir le danges de son insolvabilité, de faire signifier à chaque des débiteurs de la succession, des défenses d’amortir, qui les constitueront formellement en mauvaise foi ; mais les frais de ces significations seront pris en privilége & à leur perte. Notre style de procéder exige que la Justice fasse apprécier les biens de la succession, & qu’avant aucune délivrance l’héritier bénéficiaire donne cau-tion du prix des biens contenus dans l’Inventaire & appréciationsl’Art. XII des Arrêtés de Lamoignon, veut que cet héritier donne caution de tout : par-là les Créanciers sont dispenses de beancoup de frais, & ne se précipitent pas dans le labyrinthe d’un Décret. On pourroit prendre un tempérament en assujettissant l’héritier bénéficiaire à donner caution de la valeur des rentes constituées dues à la succession, & lesquelles ne sont immeubles que par fiction.


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L’Ordonnance de 1629, citée par l’Auteur au même Article CXXVIII, veut que le compre du benéfice d’Inventaire soit clos dans les dix ans, à peine d’être l’héritier bénéficiaire condamné au payement de toutes les dettes de la succession, de même que l’héritier absolu cette disposition lui est plus favorable que l’opinion deLoyseau , qui, suivant Pesnelle, tend à fixer un délai d’un ou de deux ans, pour faire vuider le benéfice ; il y a des successions si embarrassées, qu’il ne seroit pas possible de les liquider dans un aussi court intervalle,