La Coutume de Normandie


I. Le développement du droit coutumier
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Produit social par excellence, en perpétuel mouvement et en création continue, le droit s'adapte et change de forme selon les sociétés et les époques. Ce sont des sources du droit plurielles qui ont contribué et contribuent, au fil des âges, à en définir la substance. Coutumes, lois, jurisprudence et doctrine ont compté, dans les sociétés européennes, parmi les principales. Et si de nos jours, en France, la source principale du droit est désormais la loi, c'est la coutume qui en d'autres temps a joué un rôle essentiel.

Source de droit très ancienne, la coutume a marqué différentes époques tout ainsi que différentes sociétés. Sous l'ancien droit romain, elle est désignée sous le terme de mos maiorum (entendu comme les "mœurs des ancêtres"). Puis, à la fin de la République romaine, alors que la pensée juridique connaît d'importants développements et raffinements, elle prend le nom de consuetudo. C'est ce terme, passé dans le langage médiéval, qui donnera le mot de "coutume", attestant l'origine savante de la catégorisation qui s'opère, alors, autour du jus consuetudinarium ou droit coutumier. Car, si une ancienne tradition historiographique veut voir la coutume médiévale comme un usage non-écrit et répété, consacré par le temps, obligatoire et issu du groupe qu'il est appelé à régir, au plan territorial, les travaux contemporains démontrent aujourd'hui à quel point l'appréhension médiévale de la coutume est tributaire non seulement d'appareils institutionnels voire étatiques, mais aussi du développement du droit savant. Un exemple exceptionnel en est fourni par le duché de Normandie.

Description du païs de Normandie par Damien de Templeux, 1620
II. Les premiers coutumiers normands
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Voir notre billet « L'histoire d'une source du droit : la coutume de Normandie »

La Normandie est le premier territoire du royaume capétien à se doter d'un recueil de coutumes. Ces dernières commencent à être mises par écrit dans des textes que l'on qualifie généralement de coutumiers. Facilitant l'accès à la règle de droit et la rendant moins sujette à contestation, ces derniers sont selon toute vraisemblance au départ des écrits privés, réalisés le plus souvent par des praticiens, et se trouvent de ce fait en théorie dénués de valeur officielle.

Intervenue dès la fin du XIIe siècle, la rédaction de la coutume de Normandie néanmoins s'explique d'une part par l'unité du territoire qui se trouve alors réuni sous l'autorité du duc comme de l'autre par le contexte historique particulier qui se trouve lié à la conquête de la Normandie par Philippe Auguste en 1204, lequel contexte s'accompagne de la volonté de préserver des spécificités locales menacées par les Capétiens.

De fait, il y a eu deux étapes dans la rédaction de la coutume : avant et après 1204. Rédigé avant la conquête de la Normandie par Philippe Auguste, à la toute fin du XIIe siècle, le premier coutumier a été composé, semble-t-il, dans la région d'Évreux. Assez bref, il regroupe seulement 65 articles, lesquels traitent pour l'essentiel de droit privé, de droit pénal et de droit seigneurial. Vient ensuite une seconde rédaction, entre 1218 et 1223, dans la région de Bayeux, dans le cadre de laquelle sont introduits notamment des éléments de procédure. Ces deux textes réunis forment ce qu'on appelle le Très Ancien Coutumier. Mis à l'écrit initialement en latin, puis rapidement traduit en français, ce coutumier connaît un large succès jusqu'à devenir un texte juridique de référence.

Très ancien coutumier, Bibliothèque Sainte-Geneviève, MS1743

Il faut ensuite attendre le règne de Saint Louis pour qu'une nouvelle synthèse de la coutume normande soit faite. Celle-ci est connue sous le nom de Summa de legibus Normaniae. Rédigé en latin, vraisemblablement par un clerc, aux alentours de 1254, ce texte présente sous l'angle de sa forme une nouveauté. L'auteur en effet s'inspire du droit romain afin de présenter un résumé de la matière traitée (summa), puis il formule les différents problèmes que celle-ci aborde avant d'envisager les solutions qui lui semblent envisageables et de considérer leurs difficultés d'application.

Summa de Legibus Normanniae, ca. 1300, fol. 26v, Harvard law school, MS 220
III. Le Grand coutumier de Normandie
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Traduit en français à la fin du XIIIe siècle (entre 1270 et 1300), ce texte prend ensuite le nom de Grand Coutumier de Normandie. S'il s'agit bien à l'origine, une nouvelle fois, d'une œuvre privée, les juges et administrateurs ne cessent de s'y référer et d'invoquer son autorité.

La question reste de savoir qui a pu produire ce recueil. Selon Ernest-Joseph Tardif (1855-1923), historien du droit spécialiste de la coutume normande, c'est du côté des îles anglo-normandes que se trouve la réponse.

Carte particulière des côtes de Normandie par Herman Van Loon, 1753.

En effet, dès le début du XIVe siècle, les insulaires se réclament de leur coutume pour affirmer leur autonomie face au droit britannique. Issue d'un "Summe de Maukael" (suivant un patronyme identifié par Tardif comme celui d'une famille fortunée de Valognes), cette coutume ne serait autre que le Grand coutumier.

C'est ainsi par son influence sur les îles anglo-normandes, comme par la singularité de son rapport direct au souverain britannique en tant que duc de Normandie, que s'explique le rayonnement extraordinaire du Grand coutumier, dont des copies se retrouvent dans toutes les grandes bibliothèques du monde de langue anglaise, telle la bibliothèque de l'université de Toronto ou encore celle de New York.

Coutumier de Normandie (début XIIIe). Fonds de la Bibliothèque Universitaire de Toronto, MSS01124 (lien).

Sur le continent, le Grand coutumier connaît également une popularité exceptionnelle. Les Normands y sont très attachés, et un grand nombre de manuscrits nous en sont parvenus. À l'heure actuelle, plus de 80 sont inventoriés dans le monde, dont une quarantaine dans les fonds de la Bibliothèque nationale de France.

Manuscrit in-8° 10 de la Bibliothèque Municipale de Caen, XVe siècle.

Cette popularité est en phase avec un droit qui se professionnalise, et dans lequel les décisions de l'échiquier, qui prend le titre de parlement de Rouen en 1515, prennent une place de plus en plus importante. Cela s'accompagne de traités de procédures tel les Instrucions et ensaignemens daté de 1386-1390.

Dès la fin du Moyen Âge puis plus encore sous l'Ancien Régime, alors que l'édition s'empare du phénomène normatif et culturel que constitue la coutume, nombreux sont les juristes qui, à l'instar de Guillaume Le Rouillé (1494-1550) ou encore de Guillaume Terrien († 1574), produisent des versions commentées du Grand Coutumier.

Guillaume Le Rouillé, Le Grand Coustumier du pays et duché de Normandie très utile   profitable à tous praticiens, Rouen, N. Le Roux ; Paris : F. Regnault ; Caen : G. Anger, 1539
Guillaume Terrien, Commentaire du droict civil tant public que privé, observé au pays et duché de Normandie, Paris, Jacques du Puys, 1573
IV. Coutume et matérialité textuelle et iconographique
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Si notre époque est riche d'informations visuelles, il ne faut pas croire que l'époque médiévale en soit démunie, bien au contraire. Le goût profond pour l'image qui constitue alors non seulement un possible régal visuel, mais aussi un essentiel signifiant se déploie via l'architecture tout aussi bien que via le livre.

Les manuscrits du Moyen Âge, et notamment les coutumiers, constituent l'un des supports privilégiés de telles images. Langage symbolique, empreint de christianisme, textes et images s'entremêlent pour n'y faire qu'un. Venant compléter le discours, les images peuvent diffuser un certain imaginaire, tout comme servir à instruire, à se projeter, voire à émouvoir le lecteur.

Bien sûr, tous les coutumiers ne sont pas enluminés. Le coût des enluminures comme leur savoir-faire les réserve à une certaine élite, et à certains usages du livre. Bien souvent, le coutumier reste un outil de travail à destination de praticiens du droit, l'un des nombreux volumes qui s'entassent dans leurs cabinets. Les images et le decorum n'y tiennent alors qu'une place modeste.

Grand Coutumier de Normandie (format 8°10, Bibliothèque Municipale de Caen)

Ces usages pratiques sont attestés par diverses annotations manuscrites. Dans certains spécimens, des passages du texte peuvent être signalés par une manicule, qui peut être définie comme la représentation typographique d'un index tendu en marge du manuscrit pour attirer l'attention du lecteur.

Coutume de Normandie avec commentaire de Charles Morisse - BMR – Y 194a f°36v

À l'inverse, certains volumes sont plus imposants et plus soignés. Révélant une iconographie parfois somptueuse, ils attestent la place ornementale, culturelle et politique désormais prise par le livre.

Grand coutumier de Normandie, BNF, département des manuscrits, Français 5961
Grand Coutumier de Normandie – BNF, département des manuscrits, français 5959

La clientèle à laquelle de tels ouvrages sont destinés a son importance, les membres des élites sociales et culturelles les plus hautes rivalisant pour commander aux meilleurs artistes les enluminures les plus raffinées. L'enlumineur est ici appelé à poursuivre le travail du copiste, lequel lui laisse l'espace nécessaire à l'insertion de lettrines et vignettes, voire celui dédié à la réalisation d'une enluminure de pleine page.

Dans cet exemplaire du Grand coutumier de Normandie, assis sur son trône, portant son sceptre et sa couronne, le roi de France est appelé à remettre un manuscrit, que l'on imagine aisément être le coutumier de Normandie, à l'archevêque de Rouen accompagné de six suffragants et de représentants de la province. L'image, somptueuse, est aussi politique, intégrant le coutumier dans l'ordre normatif et politique du royaume de France.

Grand Coutumier de Normandie, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, folio 11.
V. La coutume rédigée, et "réformée" de 1583
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À l'aube des Temps Modernes, l'insertion des coutumes dans l'ordre juridique et politique du royaume doit être précisée. En 1454, dans l'ordonnance de Montils-lès-Tours, en son article 125, Charles VII demande la rédaction officielle de toutes les coutumes du royaume. Complexe, cette rédaction n'est pas effective immédiatement dans les différentes provinces, loin s'en faut. En Normandie, il faut néanmoins constater qu'elle sera particulièrement longue. Il faut dire que, de longue date dotée d'un coutumier d'une grande qualité, à laquelle les praticiens ont l'habitude de se référer, la province n'en voit pas l'utilité, voire s'y montre hostile. Maintes fois porté à l'édition, c'est le Grand Coutumier de Normandie issu des écritures privées du XIIIe siècle qui reste ainsi en usage jusqu'à la fin du XVIe siècle.

Si, à l'échelle du royaume, le processus officiel de rédaction est engagé dès la fin du XVe siècle, en Normandie, tel ne sera le cas que près d'un siècle et demi après l'ordonnance royale, en 1583. Cette "rédaction officielle" prend alors – à tort – le nom de "coutume réformée" car au même moment, les autres coutumes du royaume sont en train de subir une seconde rédaction connue sous le nom de "réformation des coutumes". Selon les membres de la commission établie pour la rédaction de la coutume normande, un tel travail désormais s'imposait, le Grand Coutumier de Normandie ayant alors presque 300 ans ! Le procès-verbal de rédaction daté de 1577 le constate : "les coutumes, usages et stil… ne se trouvent escrites qu'en un livre fort ancien, composé de langage et mots peu intelligibles estants la pluplart d'iceux hors d'usage et peu ou point entendus des habitants du pays". Il le précise dès lors : il est impératif que "ladite coutume soit réduite, accordée et rédigée par escrit, en retranchant ce qui est antiqué, adjoutant ce qui est depuis receu…"

M. Charles A. Bourdot de Richebourg, Nouveau coutumier général, ou Corps des coutumes générales et particulières de France et des provinces connues sous le nom de Gaules, Paris, tome 4, 1724.

Il serait faux de croire que, du texte du Grand Coutumier, n'est alors oublié ou supprimé que ce qui est alors jugé obsolète ou désuet. Cette rédaction est, clairement, l'occasion d'une révision de fond, plusieurs dispositions inédites se trouvant ici nouvellement introduites, notamment en matière de régime successoral et matrimonial.

Le procès-verbal se termine en indiquant qu'il donne à cette nouvelle rédaction le "nom et titre [de] Coutumes du pays de Normandie, anciens ressorts et enclaves d'icelui".

Coutumes du pais de Normandie, Rouen, Thomas Mallard, 1588, Bibliothèque Municipale de Rouen, cote E-469-1

En vigueur jusqu'à la promulgation du Code civil, ce coutumier va faire l'objet, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, de nombreux commentaires. Présentant la coutume, ces derniers permettent non seulement d'en donner une interprétation, mais aussi d'informer de ses applications jurisprudentielles. Dans les nombreux volumes que donne l'imprimerie, les commentaires de coutume mêlent ainsi, inextricablement, coutume, jurisprudence et doctrine, tout en prenant aussi compte, évidemment, des lois royales qui viennent sans cesse davantage compléter l'ordre normatif du royaume. De ce fait, c'est une activité très féconde que le fait de commenter la coutume de Normandie. De manière non exhaustive, s'illustrent dans ce cadre Josias Bérault, Jacques Godefroy, Pierre de Merville, Pesnelle, Henri Basnage, David Hoüard ou encore Jean-Baptiste Flaust, dont les ouvrages contribuent alors à enrichir considérablement la compréhension du droit normand.

Portrait de Josias Berault âgé de cinquante-et-un ans, issu de son ouvrage La Coustume réformée du pays et duché de Normandie...
Basnage, Henri, Œuvres (...) Contenant ses Commentaires sur la Coutume de Normandie, et son Traité des Hypothèques. Quatrième édition, Augmentée de Notes relatives à la Jurisprudence du Palais, Tome 1, Paris, Knappen, 1778

L'histoire particulière du duché de Normandie faisant ressortir certaines spécificités, sa coutume présente différents caractères originaux.

VI. Quelques spécificités juridiques normandes
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Les coutumiers normands contiennent certaines dispositions qui révèlent tout particulièrement l'originalité du droit local.

Parmi celles-ci, citons la clameur, ou cri, de Haro. Ce cri a le pouvoir de suspendre immédiatement l'action qu'il dénonce, notamment dans le cadre de questions immobilières. Il aurait été utilisé en 1087 par le fils d'un maréchal nommé Asselin pour suspendre l'enterrement du duc Guillaume dans l'abbaye aux Hommes dont le terrain aurait été pris à son père sans juste rétribution. Au fils des âges, ses modalités varient, mais d'un point de vue général, la clameur de Haro doit être, en Normandie, prononcée devant deux témoins. Elle doit être portée à la cour dans les 24 heures, et son usage illégitime est sanctionné d'une amende. Cette spécificité n'est pas exclusivement normande. De telles clameurs publiques sont attestées dans diverses traditions juridiques et d'autres droits coutumiers, y compris jusqu'au Liban ! La clameur de Haro reste néanmoins particulièrement réputée qui aurait été, selon certains témoignages, la plus fréquemment employée.

« La pompe funèbre de Guillaume le Conquérant interrompue par la clameur de haro d'Asselin », La Normandie historique, 1858, C. Lemercier, C. Rossigneux, F. Godefroy.

Parmi les spécificités normandes, il faut aussi citer le droit de varech. La Normandie donnant sur la mer, ce droit de varech règle l'appartenance des biens qui sont rejetés par l'eau sur les terres, "de si près qu'un homme à cheval puisse toucher avec sa lance", par exemple après un naufrage. En principe, ces biens sont censés revenir au seigneur du fief de la terre concernée. Toutefois, si le véritable propriétaire fait la preuve de son droit dans l'an et jour de la découverte, il pourra les récupérer. Il en va aussi différemment des choses précieuses, l'article 92 adjugeant au roi "l'or et l'argent, lorsqu'il vaut plus de 20 livres les chevaux de service, francs-chiens, oiseaux, ivoire, corail, pierres, écarlate, le vair, le gris, les peaux zibelines non encore appropriées à usage d'homme, les pieces de draps et de soie, le poisson royal", comme le rapporte Diderot dans L'Encyclopédie.

Aujourd'hui, certains considèrent que ce droit trouve quelque écho dans le "droit de bris" dont la protection a été renforcée après la seconde guerre mondiale lorsque André Malraux était ministre de la culture, puis en 1989, avec la volonté de mieux protéger les biens naufragés qui, depuis l'antiquité, attirent les pilleurs de toutes sortes.

« Les Pilleurs de la mer », Octave Penguilly, 1848, L'Haridon.
VII. Au-delà de la Normandie d'Ancien Régime
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Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la Révolution française n'entraîne pas dès 1789 l'abolition de toutes les coutumes. En principe, seules sont abrogées celles qui sont remplacées par de nouvelles lois. Tel sera par exemple le cas en matière successorale avec la loi du 17 nivôse an II. Toutefois, l'affirmation de nouveaux principes, tels ceux officiellement inscrits dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, s'avère rapidement inconciliable avec de nombreuses règles coutumières. Puis ce sera l'Empire, et la promulgation du Code civil des Français par l'Empereur Napoléon le 21 mars 1804, qui signera l'abrogation officielle de toutes les coutumes locales.

Pour autant, cela ne signifie pas non plus la fin de leur application. En effet, le principe de non-rétroactivité de la loi impose aux magistrats de se prononcer selon les anciennes coutumes sous la domination desquelles les parties ont pu contracter et acquérir des droits. Ainsi, les tribunaux comme la Cour de cassation doivent-ils durant un certain temps, au XIXe siècle, appliquer encore la coutume de Normandie. Divers exemples en sont attestés par la jurisprudence comme l'atteste en 1856 l'ouvrage que consacre à la question Victor Panier, Les ruines de la coutume de Normandie, dans lequel "ruine" renvoie davantage aux subsistances qu'à la déliquescence.

Ruines de la Coutume de Normandie, 1856, M.V. Pannier, Rouen : A. Le Brument.

Par ailleurs, bien qu'en voie de disparition sur le continent français, certaines des dispositions de la coutume de Normandie ont perduré ou perdurent ailleurs.

Un temps, l'application de la coutume normande a été attestée hors de Normandie. Au moment de la colonisation de la Nouvelle-France, après les voyages de Cartier au XVIe siècle, une "abitation" est établie par Samuel de Champlain à Québec, en 1604. Parmi les usages qu'emportent avec eux les colons, la coutume de Paris, mais aussi la coutume normande du Vexin se trouvent alors appliquées. L'importance de la population normande parmi les premiers colons, la subordination en appel de la prévôté de Québec au parlement de Rouen, comme le fait que la coutume du Vexin s'avère favorable au droit de propriété, ce qui avantage la Compagnie des Cent Associés chargée de développer la colonie, peuvent en expliquer le choix. La référence au droit normand ne sera toutefois là que provisoire, se trouvant éteinte en 1664 au profit de la coutume de Paris par décision de Louis XIV.

En revanche, dans les îles anglo-normandes, l'usage du droit normand perdure encore. Ces îles ont été rattachées au duché de Normandie en 933, sous Guillaume Longue-Épée, mais par le traité de Paris, en 1259, le roi de France a renoncé à leur possession. Ainsi sont-elles demeurées régies par la coutume normande, appliquant encore, y compris en nos temps contemporains, les dispositions du Grand coutumier !

La vigueur de ce droit dans le domaine britannique justifie l'intérêt qu'il suscite en Grande-Bretagne et dans le Commonwealth, comme la présence de nombreuses copies du Grand coutumier dans diverses bibliothèques publiques et privées. Encore aujourd'hui, il faut s'y référer non seulement pour comprendre l'histoire du droit îlien, mais aussi pour la pratique contemporaine de ce droit. Certaines des dispositions, même les plus spécifiques, de la coutume de Normandie restent là en usage. Les Îliens peuvent, ainsi, encore, se prévaloir de la clameur de haro. Et la coutume continue donc d'être enseignée aux juristes anglo-normands, dont la formation comprend un séjour à l'université de Caen, même si le respect des droits de l'homme et de certaines grandes règles internationales impose désormais la désuétude d'un certain nombre de ses antiques règles.

Extrait d'un article de journal de 2018 : une résidente de Guernesey s'est servie de la clameur de Haro pour interrompre des travaux de voirie (lien en anglais)
VIII. Aujourd'hui : la Coutume numérique
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Plus de huit siècles plus tard, la Coutume de Normandie s'installe, d'une façon inédite, sur Internet grâce au projet RIN ConDÉ. Les ressources modernes nous offrent des perspectives stimulantes pour l'histoire des idées et l'histoire du droit, l'histoire de la langue française et les humanités numériques. Le site que vous consultez, fruit du travail d'une équipe composée de linguistes, d'humanistes numériques, d'historiennes et d'historiens, participe à la perpétuation de ce patrimoine inédit, d'une immense richesse culturelle, juridique, linguistique.

Par ce projet, nous espérons contribuer à l'enrichissement des bases de données textuelles outillées présentes en ligne, ainsi qu'à l'étude de la coutume de Normandie.


Exposition virtuelle réalisée par P. Larrivée, G. Cazals, M. Goux et G. Callemein