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CCCCXLI.

Tiers donné de tous les biens comme se prend.

Celuy auquel donation a été faite du tiers de tous les biens doit avoir la tierce partie du propre, et la tierce partie des acquests et conquests du donateur.

Suivant l’Arrest de du Cesne rapporté par Berault sur cet Article, on a jugé que la donation de certains biens, certorum corporum, étoit bonne quand elle n’excedoit point le tiers de tout de bien, encore bien qu’elle emportât tous les biens maternels, et le donataire dans son plaidoyé sembloit demeurer d’accord que si le donateur avoit donné la totalité de ses biens naternels, en ce cas la donation eût été reductible au tiers du bien maternel ; cela peut être soûtenu par argument tiré de l’Article precedent, où lors qu’il y a diversité d’heritiers ar propre et aux acquests le don de la totalité des acquests ne vaut que jusqu’à la concurrence du tiers des acquests : mais il y a quelque difference, car la Coûtume ne fait à l’égard d’une même personne que de deux sortes de biens, les propres et les acquests, et comme on succede diversement à ces biens-là, quand il y a diversité d’heritiers, elle n’a point permis qu’on s-pûst donner entièrement tous ses propres ou tous ses acquests ; mais étant deux successions différentes en deux manieres par la nature des biens et par la qualité des personnes, en ce cas pour ne donner pas ouverture à frustrer entièrement un heritier de la succession qui luy revenoit, on a trouvé juste de ne permettre que la donation du tiers du propre ou des acquests, comme si le défunt n’avoit eu qu’une sorte de bien du propre ou des acquests. On ne peut dire la même chose des heritiers paternels et maternels ; la succession est véritablement fort differente pour les personnes, mais pour le bien à l’égard du défunt ce n’est qu’un propre, unicum patrimonium, par consequent il peut en disposer du tiers, autrement on seroit diverses sections du bien d’une même personne pour l’empescher de donner le tiers quoy que la Coûtume luy donne cette liberté. C’est neanmoins le sentiment de Godefroy ; mais la Coûtume n’a point obligé les donateurs à conserver une égalité entre les heritiers paternels et maternels.

Mr d’Argentré dit que cette même question fit grand bruit en Bretagne, pour une donation faite par Messire Jean de Laval Comte de Châteaubriand, de certaines terres, ce qui n’excedoir pas le tiers de son bien : les heritiers du côté et ligne d’où procedoient les choses données pretendoient la faire reduire au tiers des biens de cette ligne, et Mr d’Argentré appuye ce party : Il convient que quoad donationes onerosas et jura creditorum unicum est hominis patrimonium, il ne faut point faire de distinction, tous les biens sont également obligez, mais qu’il n’en est pas de même quoad dispositiones lucrativas quo titulo plus tertia de unaquaque hereditati alienare non licet ; sa raison est que la prohibition de donner plus que le tiers est établie à l’égard des heritiers, nec alia fuit mens consuetudinis, quam ut fortunae avitae cuique genti firma starent, sed in eo nullam rationem dici posse, cur de pluribus hereditatibus et jure eodem alteri, aut Argentré uni jus suum periret, Argent. Art. 218. gl. 9. n. 12.

Ricard , des Donat. 2. p. c. 1. sect. 3. n’a pas été de ce sentiment ; il est permis, dit-il, d’appliquer une donation sur les biens d’une nature seulement, et laisser les autres biens à hheritier qui les doit prendre, sans que celuy auquel appartient l’espèce de biens sur lesquels e legs a été laissé puisse pretendre son recours ; Cela a été jugé par l’Arrest de du Cesne, et par les autres dont je parleray dans la suite.

Mais pour le recours auquel les heritiers au propre paternel et aux acquests furent condamnez envers les heritiers maternels, c’est ce qui ne paroit pas raisonnable, et Mr d’Argentré Je prouve fort bien, nam praterquam quod uni heredi nulla actio contra alium dari potest, de eo quod facto communis auctoris accidit, ita multo majorem rationem habet non decedere quod lege desertur, quam recuperatorias actiones dari heredibus inter se. Ces actions en recours ne restituent as en essence les propres qui ont été donnez, l’estimation qu’il faut faire pour obtenir cette recompense a de longues suites ; elle ne se fait point sans peine et sans dépense, iniquissima aepe et empta astimatorum arbitria, cur ergo hac in re intemperantiae donatoris, potius quam justae heredis querelae obsequi lex voluerit, ibid. Ricard n’approuve point aussi ce recours ; dautant que a Coûtume ne charge pas cette sorte de biens du payement des legs comme d’une dette necessaire, mais elle permet d’en disposer par un donateur à sa volonté comme il auroit pû faire par vente ou autres dispositions ; de sorte qu’étant distraits de la succession par une donation ou un testament, l’heritier ne peut pretendre aucune recompense, parce qu’il n’a jamais rien eu de present en la proprieté, pour raison dequoy il puisse intenter une action en recoursRicard , ibid.

Depuis l’Arrest de du Cesne la question a été plaidée deux fois, tant pour la validité de la donation que pour l’action en recours. Une femme nommée Charles avoit des biens paternels et maternels, et aussi divers héeritiers ; elle donna au nommé le Clerc un héritage qui composoit tout le bien maternel : Tiais son heritier maternel forma action contre le Clerc devant le Vicomte du Pontdelarche pour faire reduire la donation au tiers des biens mâternels, fauf à faire porter le surplus sur les biens paternels ; le Vicomte du Pontdelarche le jugea de la sorte, et Tiais ayant appellé du Bailly sur un incident, il representoit au principal que bien que les biens paternels et maternels fussent confondus en la personne de la do-natrice, néanmois entre ses heritiers ils devoient être considèrez comme deux differentes successions, et comme si déja elles étoient possedées par deux differentes personnes elle n’avoit pû en donner que le tiers, la Coûtume ayant voulu sagement conserver le bien dans chaque famille, ces successions étoient tellement distinctes que l’on avoit jugé que l’on pouvoit disposer du tiers de ses biens paternels en faveur de l’heritier maternel comme à un étrangers ainsi cette donation ayant épuisé tout le bien maternel elle devoit être reduite au tiers, et le bien paternel en porter sa part au sol la livre et à proportion du bien dont il héritoit ; la donatrice n’avoit pu disposer de son bien que collective non distributive, c’est à dire donner le tiers des biens paternels et le tiers des biens maternels, suivant l’Article precedent. De Cahagnes pour le Glerc s’aidoit de l’Arrest de du Cesne, il mettoit différence entre la donation d’un certain bien, certi corporis, et la donation generale de tous les biens paternels ou maternels, per universitatem, auquel cas il faudroit la reduire au tiers des biens maternels, comme la donation de la totalité des acquests se reduit au tiers desdits acquests, mais cette donation étant pecifique et n’excedant point le tiers elle étoit valable : Bigot sur lequel on demandoit ce recours soûtenoit qu’il n’en devoit point, la donatrice n’ayant point eu l’intention de le charger de cette donation, et ayant pû donner telle sorte de bien qu’il luy a plû, pourvû qu’il n’y eût point d’excez : Par Arrest du 17. de Juin 1655. on cassa la Sentence, et en reformant le Clere fut maintenu en la possession et proprieté de lhéritage à luy donné, et sur la recompense demandée par Tiais les parties appointées à écrire et produires Mais la question fut decidée en la Chambre de l’Edit le 29. de Juillet 1665. entre le Perit, sieur de S. Jean, et Baudard ; il fut jugé qu’encore qu’un particulier eût donné tout son bien naternel, les heritiers maternels n’avoient point de recours sur les heritiers paternels, parce l’il faut prendre la succession en l’état où elle se trouve. Les deux Arrests cu-dessus ont été donnez pour des donations, j’en ay remarqué un autre sur l’Article CCCCVIII. pour une lienation du bien maternel faite par le défunt, dont on demandoit recompense sur le paternel Voicy une autre espèce assez difficile : Nicolas Talus, sieur d’Amertot, avoit donné à ses deux niéces quatre cens livres de rente à prendre sur tous ses biens en general ; il déceda et aissa pour son heritier Robert Talus frere de ces niéces : il se mût question entre la veuve et Robert Talus, pour sçavoir sur quels biens les quatre cens livres de rente devoient être payées : Robert Talus soûtenoit qu’il les falloir lever sur les acquests en general, et partage. entr’eux ce qui resteroit : la veuve l’empeschoit, disant que cette donation ne pouvoit diminuer ses droits, et qu’elle ne pouvoit être executée que sur la part de l’heritier, sans être obligée d’y contribuer. Le Bailly de Roüen ayant jugé au profit de la veuve, sur l’appel la Sentence fut confirmée par Arrest en la Chambre des Enquêtes le 20. de Juillet 1606. et l’Arrest prononcé le 27. la raison de douter étoit que par cet Article celuy auquel donation été faite de tous les biens doit avoir la tierce partie du propre et la tierce partie des acquests ; d’où il s’ensuit que le donataire de quelque rente sur tous les biens la doit prendre tant sur le propre que sur les acquests sans que la part de la veuve en puisse être exemptée, puis que le mary de son vivant peut disposer de ses acquests, et les termes de cet Article semblent être precis contre la veuve, car il contient que celuy auquel donation est faite de tous les biens doit avoir la tierce partie du propre et la tierce partie des acquests et conquests, la Coûtume n’ayant pas parlé seulement du tiers des acquests, mais ayant fait aussi mention des conquests, elle a fait entendre que le mary peut donner de ses conquests au prejudice de sa femme, autrement le mot d’acquests seroit superslu ; on jugea neanmoins le contraire par l’Arrest, et c’est aussi une jurisprudence certaine que le mary ne peut donner par testament ses conquests u prejudice des droits de sa femme ; la raison est que le testament n’ayant son execution qu’aprés la mort du testateur, le droit est pleinement acquis à la veuve. Ces mots, de tous ses biens s’entendent seulement de ceux qui sont presents et qui appartenoient au donateur au temps. de la donation, et non des biens à venir et qui sont échûs ou acquis depuis la donation, quia non potest videri donatum, quod non est donantis, l. Absenti, de donat.