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CCCCXXXIX.

Mineurs et autres êtans en puissance d’autruy, s’ils peuvent donner, et à qui ?

Les mineurs, et autres personnes étans en puissance de tuteur, gardain, ou curateur ne peuvent donner directement ou indirectement au profit de leurs tuteurs, gardains, ou curateurs leurs enfans ou presomptifs heritiers, meubles ou immeubles pendant le temps de leur administration, et jusques à ce qu’ils ayent rendu compte, ny mêmes à leurs pedagogues, pendant le temps qu’ils sont en leur charge.

La prohibition de donner aux tuteurs est fondée sur le pouvoir et l’autorité que les personnes nommées en cet Article ont sur ceux qui leur sont soûmis : la volonté libre est l’ame de la donation, mais la liberté n’est jamais presumée lors que le donateur dépend de celuy qui doit profiter de la donation, et à l’égard du don que le mineur seroit à son tuteur, cette proibition de donner est d’autant plus juste que le pupille n’agissant que par les organes de son tuteur, ce seroit luy à proprement parler qui feroit la donation.

Mr Jean Ricard en son Traité des Donations, p. 1. c. 3. sect. 3. n’approuve point cette raison, et il s’étonne que nos Auteurs se soient laissez emporter à dire aprés Mr Bourdin, que la raison de l’Ordonnance d’où cet Article est tiré procede de cette regle du Droit Civil, qu’un tuteur ne peut autoriser son pupille en son propre fait, et que si le mineur ne peut disposer au profit de son tuteur, c’est par la raison que le tuteur ne peut pas prêter son autorité pour les choses qui le concernent, puis que rien n’empesche que pour cette cause on ne uy crée un autre tuteur

Mais lintention de l’Ordonnance n’a pas été d’empescher absolument que le pupille ne donnât à son tuteur s’il y étoit obligé et que sa famille trouvat à propos de le faire, elle n’a dé-endu que les donations que le tuteur exigeroit luy seul de son pupille et en l’absence de toute sa parenté, et en ce cas il est vray de dire que cela ne se peut par cette raison, que le tuteur autoriseroit son pupille en son propre fait,

Cet Article n’étoit pas necessaire, lOrdonnance de François l. Article 131. y étant expresse, plusieurs autres Coûtumes contiennent une pareille disposition.

Lors que la qualité de tuteur se rencontre en la personne des peres et des meres, il ne faut pas la considerer pour en induire une nullité des donations qui leur seroient faites par sieurs propres enfans, car apparemment l’Ordonnance et la Coûtume ne parlent que des tuteurs étrangers et non des peres et meres tuteurs de leurs enfans, que l’on ne peut raison nablement soupçonner de vouloir profiter du bien de leurs enfans par de mauvaises voyes.

Mr Bourdin en son Commentaire sur l’Ordonnance de 1539. en a excepté les peres et les meres, et cette exception a paru si juste aux Reformateurs de la Coûtume de Paris, que par l’Article 276. aprés avoir étably cette même Loy que l’on ne peut disposer au profit de ses tureurs ont ajoûté ces paroles, peuvent toutefois difposer au profit de leurs pere et mere, encorep u’ils soient de la qualité susdite, pourvû que lors du testament et decez du testateur ledit pere et mere ne soient remariez

Je ne pense pas aussi qu’il faille étendre cette prohibition de donner au tuteur à celuy que nous appellons tuteur consulaire, car toute sa fonction consistant à donner avis au tuteur prinsipal lors qu’il en est requis, et n’ayant point l’administration des biens du pupille ny la con-duite de sa personne, et par consequent n’ayant aucun compte à luy rendre ny aucun pouvoir sur luy, la raison de l’Ordonnance et de la Coûtume cesse entièrement Quelques-uns sont de ce sentiment, que les enfans du tuteur sont capables de donations de la part du pupillesrs que leur pere est mort, bien qu’ils n’ayent pas encore rendu compre, Ordonnance ny la Coûtume ne comprenant point expressément les enfans du tuteur, et qu’elle n’a été étenduë jusqu’à eux par l’interpretation des Arrests qu’entant que par l’interposition de leurs personnes le tuteur pourroit en profiter directement ou indirectement ; de sorte que cette consideration cessant par sa mort l’effet en doit aussi cesser, puis que les persuasions et l’autorité ne sont plus à craindre

Mais la Coûtume ayant improuvé ces donations jusqu’à ce que le compte ait été rendu, l’on ne peut dire que le motif en ait cessé en la personne des enfans du tuteur jusqu’à ce que le compte ait été rendu. Ces donations ne sont pas défenduës par cette seule raison, que les persuasions et l’autorité du tuteur induiroient aisément le pupille à donner, on a encore con sidéré que le pupille avant la rendition de son compte ignore sa fortune, ce qui fait qu’il donne aveuglement ne sçachant pas ce qu’il fait, et s’il est en état de pouvoir donner. Or cette consideration doit valoir contre les enfans du tuteur comme elle auroit eu lleu contre leur peres aussi par cet Article la Coûtume ne prohibe pas seulement de donner aux tuteurs, elle étend sa prohibition à leurs enfans ou presomptifs heritiers, ainsi les enfans et les heritiers étant nommez en la prohibition, tout ce qui est défendu pour le tuteur est aussi prohibé pour eux.

La Coûtume n’ayant prohibé ces donations que jusqu’à ce que le compte soit rendu, est-il encore nécessaire que le reliqua en soit payé en cas qu’il s’y en trouve : On peut dite que le tuteur qui reste redevable a encore entre ses mains le bien de son pupille, ce qui le tient encore en quelque façon dans sa dépendance : aussi la Coûtume Reformée de Bretagne ne por ne pas sa prohibition jusqu’à ce que le tuteur ait rendu compte, il faut encore qu’il ait saisle mineur de ses biens et revenus ; mais la Coûtume ayant limité la prohibition de donner jusqu’aprés le compte rendu il ne faut point l’etendre plus avant : Aprés cela le pupille n’a rien à craindre de la part de son tuteur, et il est parfaitement instruit de l’état de ses affaires ; de sorte que sa volonté étant entièrement libre, on ne doit pas traiter le tuteur comme une personne indigne à qui il est toûjours défendu de donner. Par le Droit Civil le tuteur ne pou-voit point marier sa pupille avec son fils bien que la tutelle fût finie, mais seulement aprés voir rendu compte, l. Si patris, C. de interd. matrimon, aussi la prohibition de donner doit resser aprés le compte rendu, le pupille qui a fait rendre compte à son tuteur n’étant plus presumé capable d’indoction.

Bien que cet Article ne parle que de tuteurs, curateurs et gardiens, on a toutefois étendu la prohibition à plusieurs autres personnes : on y a compris les Novices ; car étant sous la dépendance de leurs Superieurs l’on a presumé qu’ils ne seroient pas capables de leur resister, et sur cette consideration on a déclaré nulles les donations qu’ils avoient faites à leurs Monasteres ; et j’ay remarqué sur l’Article CCCeXII. un Arrest du Parlement, par lequel le legs fait à un Convent dont un des Religieux avoit été le Confesseur de la testatrice avoit été déclaré nul. En effet les Arrests ayant étendu la disposition de l’Ordonnance et de la Coûtume, et aux Medecins et autres personnes qui pouvoient avoir de l’autorité sur les testateurs, il y avoit lieu de l’appliquer aux Novices et à ceux qui disposent en faveur de leurs Confesseurs ou Directeurs : la Loy 20. C. de Epist. et Cler. commença de retrancher ces sortes de Constantin liberalitez, peu de temps aprés qu’elles avoient été permises en faveur de la Religion par l’Empereur Constantin.

Les donations faites aux Juges, Avocats, Procureurs et Solliciteurs sont nulles par le Droit Civil et par la Jurisprudence des Arrests : Nam qui in potestate publica est positus & in honore potest esse terribilis ; mais l’Ordonnance d’Orléans y apporte ce temperament, qu’elles ne sont prohibées que lors qu’elles sont faites par les parties plaidantes devant eux ; de sorte que quand il n’y a plus de procez et qu’il est fini, ces personnes ne sont point incapables de donations : Titio Stichum do, quia patrocinio ejus liberatus sum ; la liberalité devient juste en ce temps. où la crainte et la necessité ont cessé.

On fait encore cette distinction pour les Avocats et les Procureurs, qu’il ne leur est pas ermis de traiter avec leurs Cliens par Contrats ou Promesses pendant le cours du procez mais pour les testamens qui ne sont confirmez que par la mort, ils en sont capables, leur miistere et leurs fonctions n’étant plus necessaires aux testateurs ;Boniface , t. 2. l. 1. Tit. 1. c. 2.

Sur ce principe l’on confirma la donation faite à Me Adrian Dehors Avocat en la Cour : La Dame de Bacqueville aprés la mort du sieur de Freulleville son mary commit le soin de toutes ses affaires à Me Adrian Dehors qui étoit son conseil, et auquel elle confla tous les titres de son bien : Pour recompense des services qu’il luy avoit rendus elle luy donna le tiers de ses biens, et par son testament qu’elle fit deux jours seulement avant sa mort, aprés quelques legs particuliers elle fit son legataire residuaire le frère dudit sieur Dehors, et donna à la fille tinée dudit sieur Dehors Avocat la somme de mille livres : Francier, sieur de Jumigni heritier de cette Dame, contesta la donation et le testament : sur son appel qui declaroit l’un et fautre valable, Dubose son Avocat fondoit la nullité de ces donations sur la qualité de Me Adrian Dehors, étant l’Avocat et le depositaire de toutes les écritures de la donatrice, ce qui le rendoit incapable de la donation, suivant cet Article qui devoit être étendu aux Avocats qui n’ont pas moins de pouvoir et d’autorité sur les personnes qui ont besoin de leb secours que les Medecins en ont sur leurs mâlades, et c’est pourquoy la donation d’un malade à son Medecin st nulle, l. Medicus de variis, et Extraor. Cognit. et Peleus a remarqué un Arrest du Parlement de Paris contre un Solliciteur qui étoit saisi des pieces, que Me Dehors n’étoit point plus favora le, ayant en ses mains tous les titres du bien de la Dame de Bacqueville, et même la pluspart de ses biens étoient encore litigieux : Me Adrian Dehors défendant sa Cause represent qu’il n’y avoit aucune loy qui déclarât les Avocats incapables de donations, et puis que le Droit Romain ne les avoit prohibées que pour les Medecins, il s’ensuivoit qu’elles étoient permises pour les Avocats, nam qui de uno negat, de aliis affirmat, la seule paction de quota litis est improuvée : d’ailleurs cette donation avoit été faite sans sa participation, et l’on ne pouvoit luy reprocher qu’il l’eût suggerée, et sa qualité de parent plûtost que celle d’Avocat en avoit été le véritable motif, et bien que la donation faite par un malade à son Medecin soit prohibée, outefois celle de parent s’y étant trouvée jointe elle avoit été jugée assez forte pour valider une donation, ce qui devoit avoir lieu à plus forte raison pour celle dont il s’agissoit : Par Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre du 28. d’Avril 1654. la Sentence fut confirmée. La même chose fut jugée au Parlement de Paris le 30. d’Avril 1640. la donation faite par une femme veuve de tous ses biens au profit de Me Charles Thomas son cousin, et son Procureur en toutes ses Causes dans le temps même qu’il occupoit pour elle fut confirmée, n’y ayant en ce cas particulier aucune incapacité en la personne du donataire.

La fonction des Medecins et des Apoticaires étant plus necessaire, on a étendu contr’eux la disposition de l’Ordonnance : la Loy Archiatri, C. de Profes. et Medic. ne leur a pas même permis de traiter avec leurs malades de leurs salaires qu’aprés leur guerison ; cela neanmoins ne se doit entendre que du Medecin ordinaire, car un autre Medecin ne seroit pas incapable de donation pour avoir été appellé quelquefois à visiter le donateur en sa maladie, comme le Parlement de Paris l’a jugé, 2. partie du Journal des Audiences, l. 1. c. 40.Cambolas , l. 2. c. 3.

Mais comme les Medecins, les Chirurgiens et les Apoticaires ne doivent pas se prevaloir du besoin que l’on a de leurs fonctions pour exiger des presens ou des obligations de leurs malades, il seroit honteux d’autre côté de payer d’ingratitude le secours et l’assistance qu’ils uroient renduë dans un grand peril et une exirême nécessité. Un Chirurgien en s’étant engagé dans le peril de la maladie contagieuse pour assister un Laboureur nommé le Sage et sa femme, il travailla si heureusement par ses soins et par ses remedes qu’il leur redonna la santé, le Sage pour recompense de ses services luy fit une obligation de quatre cens livres ; mais depuis il en prit des Lettres de récision qui furent entérinées par le Vicomte de Gisors, et bi ordonna que les medicamens fournis par le Chirurgien seroient estimez : Sur lappel le Bailly avoit cassé la Sentence et debouté le Sage de ses Lettres de récision ; le Sage pour ses moyens d’appel disoit que ce Chiruigien étoit déja engagé dans le peril, et qu’il ne luy avoit fait cette obligation que dans la crainte d’être abandonné, ce qui la rendoit nulle ; car si le malade qui n’avoit point d’argent comptant ne promettoit pas ce qui luy étoit demandé, il demeureroit destitué de tout secours, c’est par cette raison que les obligations de cette qualité ont été défenduës ; si Medicus cui curandos oculos qui eis laborabat periculum amittendorum eorum per adversa medicamina inferendo compulit, ut et possessiones suas ager venderet, incivile factum Preses Provinciae coerceat, rém-que restitui jubeat, l. Si Medicus de Extraor. Cognit. D. C’est aussi la decision de la Loy Archatri, c. de Profes. et Medic. La Medecine et la Jurisprudence ont ce rapport qu’elles tendent à la felicité de la vie ; l’une conserve les biens du corps, l’autre les biens de la fortune ; et comme dans les fonctions des Jurisconsultes toute paction sordide est défenduë avant le procez terminé, litis causa malo more pecuniam tibi promissam ipfe profiteris, si vero post causam actam pecunia causa est honoraria summa peti potest usque ad probabilem quaotithuem : De même dans la Medecine c’est une paction illicite d’engager un malade au é payement d’une certaine somme ; ce célèbre Medecin Paracelse ayant exigé une pareille obligation d’un malade dont la guerison étoit fort difficile elle fut declarée nulle, et son falaire fut modéré à une somme proportionnée à son travail : Le Chirurgien reprochoit à l’Appellant son ingratitude, qu’il n’y avoit point d’obligation proportionnée au service qu’il luy avoit rendu, mences officii & eximii laboris inastimabilis, que cessant sa promesse il ne se fût pas engagé dans un si grand peril, siquis aliquem à latronibus vel hostibus eripuerit, & aliquid ab eo pro ipfo accipiat t hec donatio irrevocabilis est, nam merces eximii laboris appellanda, quod saluti contemplatione certo modo astimmari non placuit, l. Si pater, 5. 1. D. de donat. la maladie contagieuse est encore quolque, chose de plus terrible qu’un voleur ou qu’un ennemy : La Cause ayant été appointée au Conseil, par Arrest du 5. de Février 1635. la Sentence du Bailly fut confirmée.

Le Parlement de Tolose a étendu l’Ordonnance jusqu’aux apprentifs ; mais par Arrest donné en la Chambre des Enquêtes au Rapport de Mr d’Anviray, l’on confirma une donation faite par un serviteur à son maître de tous ses biens, à la charge de le nourrir et de payer ses dettes et de le faire enterret ; cet apprentif en ayant pris des Lettres de restitution il en fut debouté.

Cet Article défend de donner directement ny indirectement aux tuteurs, curatenrs et aux autres personnes de cette qualité, ny à leurs enfans et presomptifs heritiers. On donne indirectement en deux manieres, ou par déguisement de Contrats, ou par interposition de per-sonnes : Pour découvrir le déguisement d’un Contrat il ne faut pas s’arrêtes à la forme ou à la denomination que les contractans luy ont donnée ; car s’ils ont déguisé sous le nom de vente une véritable donation, et que cela paroisse par des preuves certaines ou des presomptions violentes, ce Contrat sera pris pour un avantage indirect et sujet à la prohibltion de la Loy si la donation se trouve faite à une personne prohibée et interdite par les Loix de la recevoir, l. 5. 8. si donationes, et S. Circa venditiones, l. 22. 8. Si inter virum & uxor. De donat. inter virum & uxor

L’autre moyen de donner indirectement est par l’interposition de personnes ; mais on demande en quel cas lon doit presumer cette interposition de personnes, et jusqu’à quel degré de parenté elle doit être étenduë à l’effet de rendre une donation nulle ; Par le Droit Romain. cette interposition de personnes n’étoit presumée que contre ceux qui étoient sous la puissance de la personne à laquelle il étoit défendu de donner, l. 3. l. 5. 8. Generaliter, l. 22.

S. Oratio, D. de donat. inter virum & uxor. et régulierement nous ne considerons que deux sortes de personnes qui sont tellement conjointes que leurs interests ne peuvent être separez, comme le pere et les enfans, le mary et la femme : mais la Coûtume n’a pas toûjours suivi ette regle : à l’égard de la femme mariée elle n’a pas restreint l’interposition de personnes et la prohibition de luy donner à elle ou à ses enfans seulement, elle l’a étenduë par l’Artie CCCCXXII. à ses parens generalement, et par cet Article elle borne cette prohibition de donner aux tuteurs et aux autres personnes qu’elle marque à leurs enfans et leurs presomptifs heritiers, hors ces personnes il n’est point défendu de donner à leurs autres parens ; ce n’est pas neanmoins que l’interpofition de personnes ne soit toûjours défenduë lors que la donation est faite pour tourner au profit de la personne prohibée, en ce cas quelque nom que l’on ait emprunté soit de parens ou d’antres la donation ne peut subsister, mais nos Coûtumes ne défendent pas seulement de donner directement ; il n’est pas permis de le faire indi-cectement par l’interposition de personnes, et l’on passe encore quelquefois plus avant, car il est même défendu en quelques rencontres de donner non seulement aux enfans et heritiers presomptifs de celuy qui est interdit de recevoir la donation, mais encore à ses parens.