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CCCXII.

Le frere uterin succede également avec le frère de pere et de mere.

Cet Article a toûjours fort déplû en cette Province, ce grand panchant que nous avons à conserver non seulement les propres, mais aussi les meubles et les acquests dans les familles d’oû ils procedent, a fait trouver fort étrange que les meubles et les acquests d’un mineur, qui ne pouvoient avoir été faits que du bien provenant de son pere, fussent partagez également entre e frère de pere et de mère de ce mineur, et un frere uterin : La mere en se remariant avoit fait assez de préjudice à ses enfans du premier lit, sans entichir encore de leur dépoüille ceux l’un second mariage ; ce double lien unit plus étroitement les freres tara est gratia fratrum,

Matre diversorum, ainsi Joseph avoit plus de tendresse pour Benjamin, et luy faisoit donner une plus grande portion ; il est vray qu’il luy devoit être aussi plus cher, parce qu’il n’étoit pas coupable ni complice de la barbatie de ses autres frores, et c’est peut-être de-là que la loy du dou-ple lien a pris son origine.

Cependant comme en l’Article precedent on s’étoit déja départi du double lien on a eu moins de peine à recevoir les uterins au partage de ces biens, qui n’ont point encore fait souche comme les meubles et les acquests.

On appelle uterins les freres et sours qui sont nez d’une même mere, ex eodem utero nati, non a d’un même pere, comme au contraire consanguinei & germani sunt fratres ex eodem patre nati, a l. 1. 5. penult. de suis et leg. hered. consanguineos effe qui sanguine inter se conjuncti sunt, sic accipiendum est ( sanguine. ) idest semine, eodem.Cujac . Ad l. Adoptivus, de adopt.

Par l’aversion que l’on avoit contre les uterins, on voulut limiter leur droit de succeder aux meubles seulement acquis par le défunt ; car il sembloit injuste qu’ils prissent part avec ceux qui étoient provenus de leur pere. Berault sur cette question a remarqué deux Arrests, celuy d’Alorge dans l’espece qu’il en propose, a jugé que les meubles venans du pere appartiennent aux freres de pere et de mere seulement, et que les uterins sont exclus d’y prendre part : Au contraire il fut dit par l’autre Arrest que les uterins succedoient sans distiuction aux meubles avec les frrres de pere et de mêre-

Pour l’éclaircissement de cette matiere et pour concilier ces deux Arrests ; il faut en recherther la difference et les motifs sur lesquels celuy d’Alorge peut avoir été fondé, on en allégue trois ; le premier, qu’il n’y avoit aucun immeuble en la succession d’Alorge, et que ces meubles qu’il avoit laissez tenoient lieu de propre aux mineurs ; le second, que Marie Toustain leur mere et leur tutrice ; avant que de se remarier en secondes nopces au Testier, avoit eu longtemps en ses mains les deniers des mineurs sans en faire un remploy en fonds, et ainsi étant de-meurez meubles par sa negligence, il n’étoit pas juste que les enfans de son second mariage en profitassent : mais cette raison a peu de poids, car quand le remploy eût été fait, c’auroit été un acquest, auquel les uterins auroient succedé comme aux meubles. Le motif le plus consiérable fut que Marie Toustain avoit eu le tiers des meubies d’Alorge son premier mary, et par consequent le tiers de tous ses biens, puisqu’il n’avoit que des meubles, et les ayant portez u Testier son second mary, il eût été dur que deux enfans du premier lit étant depuis décedes nineurs, les enfans du Testier eussent pris part à leurs meubles, c’eût été un double profit que de Testier et ses enfans eussent fait sur les biens du défunt Alorge.

Il est certain que cessant ces considerations l’Arrest d’Alorge seroit contraire à la Coûtume en cet Article ; aussi la même question avant été renouveléerentre Dubuse appelant, et Guillaume et Michel le Picard intimez, la Cour jugea le contraire. Jeanne Langlois épousa en remieres nopces Michel le Picard, et de ce mariage nâquirent Guillaume et Michel le Picard. lle contracta un second mariage avec Robert Dubusc, dont elle eut trois enfans qui partagerent la succession de leur père ; six mois aprés Gefroy Dubusc l’un de ces enfans, étant mort, Guillaume et Michel le Picard, ses freres uterins, demanderent part à ses meubles, les Juges de Louviers les en ayant réfusez, sur leur appel aux Hauts. Jours de l’Archeveché de Roüen, ils obrinrent Sentence à leur profit, dont Robert Dubusc ayant appelé, il prétendit qu’il faloit faire distinction entre les meubles que le défunt avoit acquis par son industrie et ceux qui luy étoient échûs de son pere ; pour les premiers les freres uterins pouvoient être admis au partage d’iceux, mais pour les meubles qui appartenoient au défunt de la succession de son pere, et qui étoient encore en essence, ils tenoient lieu de propre, et il seroit injuste que des uterins eussent part à ce qui procedoit de leur pere, et que ce paternel passât en une autre famille, sieur pere n’auroit travaillé que pour d’autres, ils emporteroient le fruit de ses peines, et leur mere leur feroit encore ce préjudice par son second marlage. Ils appuyoient ces raisons sur l’auorité des choses jugées, et s’aldoient de l’Arrest d’Alorge qui avoit nettement décidé la question à leur avantage, nonobstant toutes les differences que l’on s’efforçoit d’y trouver, à quoy ils ajoûtoient encore la faveur du double lien, et que par la disposition de droits les conjoints ex utroque latere, sont preferez aux uterins ; Authent. itaque mortuo. C. communia de Success.

Les intimez répondoient que la loy étant expresse, il n’en faloit point chercher les motifs, que suivant cet Article le Jrere uterin succede avec le frère de pere et de mere, et par le suivant les enfans même du frere uterin succedent avec les enfans de pere et de mere ; que l’Arrest d’Aloige. ne pouvoit être tiré en consequence, ayant été rendu sur des circonstances particulieres, mais que leur cause êtoit favorable, leur mere aprés la mort de leur pere ayant emporté tous leurs meubles qui luy furent laissez outre sa part par les parens à tres-vil prix, qu’elle a portez à un second mary avec un grand doüaire, de sorte que les intimez peuvent dire que les meubles dont il s’agit ont été acquis de leur propre bien : au surplus la Coûtume ne fait point de distinction des meubles, elle ne dit point qu’il y ait des meubles propres et des meubles acquests, et neanmoins suivant le raisonnement de l’appelant il faudroit necessairement admettre cette distinction. La Coûtume dans le Titre des Successions au Propre a parlé de la succession au propre, tant en ligne directe que collaterale, sans faire aucune mention du meuble, et dans ce Titre des Successions Collaterales aux meubles et acquects, elle a joit les meubles aux acquests, pour montrer qu’on succede aux uns et aux autresaen une même manière ; s’il y avoit des meubles tenant nature de propres et des meubles tenant nature d’acquests, quand un homme laisseroit des meubles et divers heritiers, il faudroit lever sur ses meubles ceux qui seroient provenus du pere ou des parens paternels, avant que l’heritier aux meubles pût avoir delivrance d’aucuns neubles : les meubles se perdent, se changent et se consument, ils n’ont point de situation fixe et certaine, par consequent on ne peut leur faire prendre fouche dans une famille, ils n’ont point de suite, et les heritiers au propre n’ont point d’action pour en demander le remploy, et cependant en admettant cette distinction de meubles propres et de meubles acquests, I faudroit fairé un remploy de meubles sur des meubles : On tomberoit encore dans cette absurdité, que les meres seroient privées de la succession aux meubles de leurs propres enfans, car si les meubles d’un mineur procedans de la succession de son pere luy tiennent lieu de ropre, s’il prédecede sa mere, ils retourneront aux parens paternels contre la Coûtume et l’Ordonnance.

La raison qui porta nos Législateurs à donner part aux uterins en la succession de leurs freres, fut que les meubles des freres venus de la succession de leur pere n’ont pas été acquis par leur pere seul, mais aussi par la mère, par le travail commun, par l’industrie et le soin de l’un et de l’autre constant leur mariage, ex collaboratione, ex industria, ex solertia utriusque constante matrimonio.

Il est donc juste que les uterins conjoints par le côté de la mere en profitent aussi-bien que les frères de pere et de meres

Mr d’Argentré , Article 661. de la Coûtume de Bretagne, a touché cette question ; il dit avoir été jugé que les meubles appartiennent aux parens paternels, cum constabat per inventaria, ea pervenisse ad filium de successione paterna, aut materna, ajoûtant parem esse rationem mobilium et immobilium : Mais la Coûtume de Bretagne he dispose pas expressément comme la nôtre, que le frere uterin succede avec le frère de pere et de mere aux meubles et acquests. Par la loy quod scitis. C. de bon. que lib. in por. pat. const. dominium eorum que à matre vel ab ejus lineâ pervenerint ud nepotem non ad avum, sed ad patrem pertinet, usufructu tûmen avo reservato.

La raison peut être pareille que les meubles venus du côté du pere appartiennent à la mere ou à ceux qui sont conjoints au défunt du côté de la mère-

Par Arrest du 7 de Mars 1617. le frere uterin fut reçû à partager avec son frere uterin les meubles venus du côté du pere.

La même chose a été encore jugée depuis. Aubert Marchand à Roüen laissa un fils et une fille, tout son bien consistoit en meubles sans aucuns immeubles, dont sa veuve nommée Dugay eut le tiers, les deux autres tiers furent pour les enfans mineurs : du second mariage de cette veuve avec Alexandre nâquirent deux filles ; le fils du premier lit étant mort en minorité. e tuteur de la soeur de pere et de mère demanda tous les meubles appartenans à son frère conjoint ex utroque latere, comme procedans de la succession de leur pere : Alexandre, pere des soeurs uterines, soûtenoit qu’ils devoient être partagez également avec les soeurs uterines, le Vicomte ajugea la succession à la soeur de pere et de mêre ; le Bailly ordonna au contraire que les seurs uterines y auroient part égale : Sur l’appel de la seur de pere et de mere l’intimé répondoit que la Sentence étoit conforme à la Coûtume ; puisque la seur uterine succede également axec a seur de pere et de mere, Article 316. qu’il n’y avoit aucune distinction entre les meubles par Arrest en l’Audience de la Grand : Chambre du 17 de Juillet 1636. on mit sur l’appel nors de Cour ; les parties étoient Raulin Aubert et Alexandre, plaidans Deschampts et de Cahagnes.

bien que la representatlon ait lieu au premier degré, néanmoins puisque le droit des uterins n’est point favorable, on ne rétend point au-de-là des dispositions formelles et expresses de la Coûtume, c’est par cette raison que l’on a jugé que les enfans du frere uterin ne peuvent s’éjoüir du benefice de la representation pour succeder avec leurs oncles.

Jeanne Limare, femme en premieres

nopces de Guillaume Cavelier

Et en secondes nopces de

Nicolas Theodale.

Nicolas Cavelier, Estienne Cavelier.

Nicolas demande la succession de son

frere Estienne.

Michel Theodale.

Charlote Theodale qui pré-

tend avoir part égale à la

succession d’Estienne son on-

cle uterin.

La Coûtume en l’Article 310. établit une regle generale, qu’en parité de degré les paternels preferent les maternels ; elle y apporte une exception en l’Article 312. ou elle fait concurrer le frere uterin qui n’est que parent maternel, avec le frère de pere et de mère, mais elle en demeure là, et n’admet point le neveu maternel en concurrence avec oncle qui le précede de ligne et de degré : La representation introduite en l’Article 304. n’a lieu qu’aux successions où l’on est appelé. directement, et où il n’y a que la seule difference du degré, mais en cette espèce il s’en remarque deux, l’une que l’on feindroit les enfans du frere uterin ejusdem stemmatis. Pour être dispensez de l’Article 310. où le paternel précede le maternel, et par l’autre on feindroit encore qu’elle seroit en même ligne, comme representant son pere ; or il est impossible que deux, fictions concurrent à la même chose, impossibile est autem duas fictiones concurrere circa idem. Par cette raison Charlote Theodale fut deboutée de sa demande, et la succession des meubles et acquests d’Estienne Cavelier ajugée à Nicolas son frère, par Arrest au Rapport de Mr le Brun, du 23 de Mars 1637. Pareil Arrest sur ce fait : Jean Germain avoit un frère de pere et de mere, et un autre frère de mere seulement, nommé Halbout ; Jean Germain étant mort, le fils de Halbout prétendit partager sa succession avec son oncle, frère de pere et de mere ; pour soûtenir son droit il alléguoit que la Coû-tume admet la representation au premier degré, et puisque la Coûtume appelle les enfans des freres uterins pour succeder avec les enfans de pere et de mere, à plus forte raison les enfans des uterins pouvoient venir à la representation de leur pere, que la difference entre les personnes conjointes par un double lien, et celles qui ne l’étoient pas n’étoint point reçûës Loüet en cette Province, non plus qu’à Paris, Loüer etBrodeau , l. 5. n. 12. sublatum erat duplicis vinculi beneficium. Germain répondoit qu’on n’avoit. apporté que deux exceptions à la regle generale établie par l’Article 310. la premiere pour les uterins, et la seconde pour les enfans des uterins ; hors ces deux cas il s’en faloit tenir à la regle, sans en faire une extention pour un sujet défavorable, comme sont les uterins : Par Arrest en la Grand. Chambre du 23 d’Aoust 1647. la succession fut ajugée à Germain, plaidant pour luy Coquerel, et le Févre pour Halbout.

Au procez d’entre Me François Vautier Prestre, et Jean Vautier, contre Me Guillaume Grip Assesseur à Valloigne, on jugea qu’aprés dix-neuf ans lesdits Vautier n’étoient pas recévables à se pourvoir contre un partage, par lequel on avoit admis les. enfans d’un frere uterin à succeder avec leur oncle frère depere et de mère, de celuy de la succession duquel il s’agissoit.

Sur cette matière de la succession des uterins, cette question singuliere s’offrit en l’Audience de, la. Tournelle le 24 de May 1624. les sieurs de Creulet, de Couvert, et le Prieur de S. Gabriel, étoient frères de pere et de mère, et le sieur de Meautix êtoit leur frere uterin. ce Prieur de S. Gabriel ayant été tué, les sieurs de Creulet et de Couvert, ses freres, poursuivirent la vengeance de sa mort, et obtinrent une condamnation d’interests contre les cou-pables : le sieur de Cpuvert étant mort, Meautix prétendoit part à cette portion d’interests qui eût appartenu au sieur de Couvert, comme à un droit qu’il avoit transmis à ses heritiers, I. qui injuriarum. ff. de injur. qu’il ne faloir plus considerer la cause et l’origine de ses interests, que ce n’étoit plus le prix du sang, pretium sanguinis, mais un pur meuble en fétat qu’il se trouvoit lors de la succession échûë ; le sieur de Greulet répondoit que cet interest ne regarloit que ceux de la famille, donc le sieur de Meautix n’en étant point il ne pouvoit y prendre art, l. quesitum D. de sepulehro,Molin . il fut dit par l’Arrest que les sommes ajugées pour les provisions et frais funeraires seroient partagées également, et pour les interests de hhomicide Meautix en fut debouté. Par Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre du 17 de De-cembre 1649. un frere uterin a été préféré en la succession des meubles et acquests au pere, et déchargé de rapporter les meubles dont il étoit saisi : l’Arrest fondé sur cette raison, que succedant avec le frère de pere et de mere il doit exclure le pere, parce que le frere uterin excluant la soeur paternelle, et icelle excluant le pers, il le doit aussi exclure ; car si je suis reféré à celuy qui vous est preferé, à plus forte raison vous suis-je preferé, nam si vinco vincentem te, potiori ratione vinco te, plaidans Coquerel et Mr Giot, maintenant Conseiller en la Grand. Chambre.