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CCLXXVIII.

Creanciers sont subrogez à accepter la succession échûë à leur debiteur.

Avenant que le debiteur renonce, ou ne vueille accepter la succession qui luy est échûë, ses créanciers pourront se faire subroger en son lieu et droit pour accepter, et être payez sur ladite succession jusques à la concurrence de leur dû selon lordre de priorité et posteriorité, et s’il reste aucune chose les dettes payées, il reviendra aux autres heritiers plus prochains aprés celuy qui a renonce

La disposition portée par cet Article est singulière, et dans toutes les Coûtumes de France il ne s’en trouve point. de pareille ; elle est neanmoins tres raisonnable, et cet Article est conçû, d’une maniere qui fait cesser tous les inconveniens que lon opposoit au contraire : Le Parlement de Paris fa jugé plus équitable que la jurisprudence de ces Jurisconsultes Roinalns, qui n’estimoient pas qu’un debiteur fasse fraude à ses creanciers, lorsqu’il repudie une succession opulente : Is non videtur facere in fraudem creditorum, qui non utitur occasione adquirendi, sed id tantùm agit ne locupletetur, non etiam ut patrimonium suum diminuat. l. 6. qua in fraud. Si le Droit ne s’êtoit point expliqué davantage, cette loy eût pû être entenduë des acquisitions que le debiteur auroit negligé de faire mais elle ajoûte le cas de renonciation à une succession ; si hereditaiem repudiaverit 5. 2. dicta. l. 8. La raison de cette jurisprudence êtoit que lon ne peut compter entre nos biens ce qui ne nous a point encore appartenu, et les creanciers en prétant leur argent ne peuvent avoir eu en vûë la succession qui pouvoit échoir, puisqu’elle êtoit incertaine, soit que le debiteur fût heritier ab intestat, ou qu’il ne le fût pas, puisque le défunt pouvoit choifir un autre heritier, et disposer de ses biens à sa volonté : C’étoit aussi le sentiment dedu Moulin , que quand le creancier renonçoit simplement à une succession, pour la laisser à celuy qui êtoit le plus proche heritier, en ce cas les créanciers ne pouvoient se plaindre ni empescher leffet de cette renonciation ; que si toutefois on luy avoit denné quelque chose pour faire cette renonciation, les créanciers pouvoient user d’arrest : Secus tamen sdit ce même Auteur ) s’il avoit renoncé en faveur de celuy, qui aliâs non vocatur jure communi vel étatuto loco, nisi renuntians acceptet et transferat in eum aliâs non habiturum, quia ista non est Castro renunciatio, sed aditio, negotium justum & alienatio ; de quo in l. si actionem. Paulus de Castro C. de Pact.Molin . de feud. 8. 1. gl. 3. n. 15. Vide l. in fraudem, que in fraud. credit.

Toutes ces raisons ne sont pas équitables, et nous avons rejetté avec justice cette différence entre bona quesita et bona non quesita ; nous comptons assurément entre les biens d’un debiteur l’esperance d’une succession à échoir, spem futurae hereditatis : Il est vray que nous le faisons avec plus de sûreté que les Romains, parce que l’institution d’heritier est reprouvée par nô tre Coûtume, et que le plus proche et le plus habile parent est toûjours, s’il luy plaist, l’heritier certain et infaillible, c’est pourquoy le creancier peut dire qu’il s’est assuré sur la legitime qui ne pouvoit être ôtée ni diminuée à son debiteur. Daviron a suivi en quelque façon la distinction. du droit civil, lorsqu’il a estimé que cet Article devoit s’entendre des successions de propre et non des acquests ; mais cette opinion n’est pas suivie, puisque la succession des acquests n’est pas moins assurée à l’heritier presomptif que celle des propres, et cet Article étant general il a lieu pour toutes sortes de successions de propres et d’acquests, directes et collaterales ; et bien qu’il soit véritable que nul ne soit heritier qui ne veut, et que d’ailleurs il ne soit pas juste d’engager l’heritier presomptif à toutes les charges d’une succession contre fa volonté, on répond que la Coûtume a sagement prévû à tous ces inconveniens, sans forcer le debiteur à prendre une succession qu’il croit onèreuse ; on permet aux créanciers de se faire subroger en sa place, ainsi il-n’est point necessaire d’emprunter son nom, il ne peut être poursuivi en qualité d’heritier, mais en vertu de la subrogation, ses créanciers exercent tous les droits et les actions hereditaires pour se rembourser seulement de leurs créances, nôtre Coûtume ayant sagement ordonné que s’il reste du bien aprés les dettes acquitées, il retourné au plus proche héritier.

Comme la Coûtume de Paris n’avoit rien disposé sur cette matière, la question s’y est offerte plusieurs fois ; mais nonobstant l’autorité Droit et l’opinion dedu Moulin , qui a tenu que alia est ratio debitorum qui adquirere nolunt, alia eorum qui patrimonium diminuunt, les Arrests sont intervenus conformes à la disposition de cet Article, non seulement pour les successions directes, mais aussi pour les collaterales :Loüet , l. R. n. 19. et 20.Tronçon , sur l’Article 310.

Le Prestre Prestre ; Centurie 1. c. 90.

L’Arrest remarqué parRobert , l. 3. c. 14. rerum ind. ne détruit point cette maxime ; il s’agissoit du legs d’un simple usufruit qu’un mary faisoit à sa femme de tous ses biens, le creancier du fils fut debouté de sa demande, pour obliger le fils à demander sa legitime déchargée de cet usufruit, car outre que l’usufruit s’éteint et se perd, et que la proprieté demeure au debiteur, ce méme Auteur remarque que par un autre Arrest un fils fut obligé de demander sa legitime.

Il faut neanmoins observer que cette subrogation n’appartient qu’aux créanciers anterieurs à a renonciation, et il a été jugé par Arrest du 7 de Juillet 1644. qu’un creancier posterieur à la renonciation ne pouvoit demander de subrogation ; il ne peut se plaindre que la renonciation soit faite à son préjudice, et quand même la succession seroit encore jacenté, le droit en étant acquis à un autre, ne pourroit être aneanti par ce créancier posterieurs Nous sommes fort éloignez d’approuver la rigueur du droit civil, qui favorise plus le droit du fisc que celuy des créanciers legitimes ; un debiteur trompeur, pour frustrer ses créanciers, bandonne une succession qui pourroit liberer sa foy par le payement de ses dettes : La loy Romaine veut neanmoins que ce ne soit point une fraude, et lorsqu’il s’agit de Iinterest du fisc, qui certat de lucro captando, cette même loy repute que c’est une tromperie, si l’on neglige d’accroitre son bien, l. 45. D. de jure fisci-

Nôtre jurisprudence est tout à fait opposée, la renonciation ne nuit point au creancier, qui seut se faire subroger ; mais pour le fise il n’a pas cette prerogative, et par un Arrest en la Chambre de la Tournelle du 21 de Juillet 1635. entre Mr le Duc de Longueville, Madame la Presidente e S. Aubin, et le sieur de Criquetot-Lenneval, qui prétendoient en qualité de Seigneurs feodaux la succession repudiée par le nommé Barentin, prisonnier à Montivilliers, pour vol de grand chemin, et depuis condamné à mort ; il fut jugé que cet Article ne s’étend point au Seigneur confiscataire : ce n’est plus aujourd’huy un problême aprés le Reglement de la Cour, Arricle 53. Jay remarqué plus au long cet Arrest sur l’Article 143.

On ne doute point que le creancier ne puisse demander cette subrogation pour tous les biens ui sont acquis à son debitenr ipfo jure, et sans aucun ministere de fait : On a mêine jugé que l’ayeul ne pouvoit faire avancement de son bien à ses petits-enfans au préjudice de son fils, et à l’effet de frustrer de sa succession les créanciers de son fils : Par Arrest du mois d’Avril 1622. au Rapport de Mr Huë, sans avoir égard à l’avancement, il fut permis aux creanciers du fils de se faire subroger suivant cet Article, il paroissoit de la collusion entre le pere et le fils ; par la l. bumanitatis intuitu. 9. C. de impuberum et aliis substitut. il est permis aux peres et meres, s’ils ont des heritiers presomptifs, qui soient mente capti, relictâ eis legitimâ portione, quos voluérant ubstituere ; mais cela ne se peut faire selon nos Usages, qui n’admettent point les institutions d’heritiers ni les substitutions. On fait difficulté pour les préciputs qui appartiennent à l’ainé, foit en la Coûtume generale ou en celle de Caux ; par la Coûtume l’aine peut prendre par préciput tel fief que bon luy semble en chacune des successions, tant paternelle que maternelle, Article 337 et neanmoins le fisc ou le creancier subrogé de l’ainé n’ont pas ce privilege de prendre ce préciput vant le partage fait, ils ont seulement une part égale avec les autres freres, Article 345.

Le créancier subrogé ne succede point à la prerogative que la Coûtume attache à la personne des freres, en l’Article 263. Les préciputs accordez à l’ainé dans la Coûtume generale, sunt mera facultatis, il peut y renoncer expressément ou tacitement.

Il faut mettre de la difference entre les preciputs dont la Coûtume generale fait mention et le préciput de la Coûtume de Caux : par l’Article, 37. l’ainé peut prendre un fief par préciput au lieu de son partage. ; il faut donc qu’il déclare son intention, s’il veut choisir un préciput ou partager avec ses freres ; quand il n’a point declaré sa volonté, et qu’elle demeure inconnuë et incertaine, ce privilege du préciput ne passe point à ses créanciers, parce qu’il n’étoit acquis à leur debiteur qu’en consequence d’une déclaration qu’il n’a point faite, il faut en dire autant du préciput, dont il est parlé en l’Aiticle 356. si l’ainé ne fait point sa declaration, ses créeanciers e succedent point à son droit qui ne luy est attribué qu’en vertu du choix qu’il doit faire, s’il l’avoit fait cette action seroit transmise à les créanciers, et ces déclarations de l’ainé pour acquerir le préciput sont si neceffaires, que par l’Article 347. les successions paternelles et maternelles étant échûës avant qu’il ait fait sa declaration de prendre un préciput, elles sont reputées confuses à son préjudice

Toutes cearaisons cessent pour le préciput de Caux, par les Articles 279. et 295. l’ainé a ses deux tiers avec le Manoir et pourpris, sans aucune estimation ou recompense ; il luy appartient dés l’instant de la mort du pere, et pour se l’acquerir il ne luy est point necessaire de faire aucune déclaration, de sorte que s’il décede ou confisque avant le partage fait avec ses frères, le créancier e ou le fise succederont à ses droits : ainsi jugé en l’Audience de la Chambre de l’Edit pour un créancier, par Arrest du 20 de Novembre 1624. rapporté par Berault sur l’Article 345.

Quand je dis que le fisc succedera, cela s’entend, pourvû que l’ainé n’ait point renoncé à la succession de son père ; car le préciput ne luy étant dû qu’en qualité d’heritier, le fic n’y peut rien reclamer aprés la renonciation, puisqu’il n’a pas le privilege accordé aux creanciers par cet Article, suivant l’Arrest rapporté cy dessus, les biens de Barentin étant situez en la Coûtume de Caux.

Loyset Apothicaire étant fort endeté, et ne luy restant d’autres biens que la seule espérance de succeder à sa mere, riche de douze cens livres de rente, voulut faire Profession de Religieux acobin, pour faire passer la succession de sa mère à ses enfans ; quelques parens, qui l’avoient nommé tuteur, et qui éroient garands de sa gestion, s’opposerent à sa Profession, alléguans que les Canons défendoient de recevoir Moyne celuy qui n’embrassoit ce genre de vie qu’en fraude de ses créanciers, néanmoins les parens furent deboutez de leur opposition, par Arrest en la Grand : Chambre du 6 de Février 1643. plaidans Eustache pour les parens, et Chrétien pour les Jacobins.