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CCLXVIII.

Provision de la fille ayant vingt-cinq ans.

Fille ayant atteint lage de vingt-cinq ans, aura provision sur ses freres équipolent au mariage avenant, dont elle joüira par usufruit attendant son maria-ge, et en se mariant elle aura la proprieté.

Cet Article contient deux dispositions : par la premiere, il regle ce que la fille peut demander aprés qu’elle est parvenuë à l’âge de vingt-cinq ans ; et par la seconde, il ne donne qu’un simple usufruit à la fille de la somme qui est arbitrée pour son mariage avenant.

C’est un usage certain qu’avant l’âge de vingt-cinq ans la seur ne peut demander à ses freres qu’une pension, et qu’il suffit qu’ils luy ayent fourni sa nourriture et son entretien ; mais aprés e vingt-cinq ans elles ont une provision qui équipole à l’interest de la somme qui leur appartient pour leur mariage avenant

On apprend par cet Article que les filles ne sont pas seulement excluses des successions, mais aussi qu’elles n’ont qu’un simple usufruit sur la portion qui leur est accordée pour leur legitime jusques à ce qu’elles se marient, et c’est par cette raison qu’elles ne peuvent l’hypothequer ni P’aliener : on peut en faire comparaison avec les fils de famille, qui jure civili, etiam si liberam L habeant peculii administrationem, donare tamen non possunt ; on n’a pas laissé de douter si dans un cas favorable il ne seroit pas raisonnable de laisser à la fille la liberté d’engager toute sa portion, ou partie d’icelle à l’exemple du même fils de famille, lequel bien qu’il ne puisse donner, tamen si justâ ratione motus donat, potest dici locum esse donationi, l. filius 5. 1. ff. de donation. On n’a point donné cette liberté aux filles, quelque favorable que fût la cause de la donation, comme il paroit par les Arrests donnez entre le Pelletier et Richard, Longchamp et le sieur Dincarville Biard, contre les legataires par le testament de sa seur, en l’Audience de la Grand-Chambre du 22 d’Aoust 1662. on plaida cette question, si le frère sercit tenu de payer la somme laquelle on avoit arbitrée pour le mariage avenant de sa serur pour son entrée en Religion ; la cause fut appointée au Conseil, mais auparavant on avoit décidé cette question. Bradechal, Commis au Greffe de la Cour, ayant un fils et plusieurs filles, il arbitra par son testament le mariage de ses filles à chacune deux mille cinq cens livres ; sur la reduction prétenduë par le frère, les parens ugerent qu’il n’y avoit point d’excez en cette arbitration. Françoise Bradechal, l’une des filles, voulant faire Profession de Religion dans le Convent de S. Loüis de Roüen, par un contrat fait en la presence de la pluspart de ses parens, à la réserve de son frère, donna au Convent les deux mille cinq cens livres qu’elle avoit pour sa legitime : Les Religieuses ayant saisi les fermages. du frere pour les arrerages, ils en eurent main-levée, nonobstant son opposition par Sentence les Requêtes : Sur son appel, Dudit, son Avocat, concluoit que la donation êtoit nulle, C. quoniam simoniaca extravag. de Simoniâ, et autres textes qui défendent de prendre aucune chose pour l’entrée en Religion, et le C. si periculoso de statu regul. in 6. défend de recevoir un plus grand nombre de Religieux que le Monastere n’em peut nourrir, ce qui prouve qu’ils ne peuvent pas même prendre une pension. Les Ordonnances d’Orléans, Article 10. et de Blois, Article 28. condamnoient pareillement ces donations ; aussi la Cour par plusieurs Arrests avoit annullé ces sortes de donations, et particulierement par celuy de Favier du 18 de Juin 1649. qe si l’on avoit quelquefois approuvé les pensions, c’étoit lorsqu’elles avoient été promises par le pere ou par les parens, et non pas lorsque la donation est faite par celle qui doit faire Profession.

De Cahagnes, pour la Superieure de S. Louis, prétendoit que cette cause se devoit décider par des circonstances particulières ; la donation êtoit faite tant pour l’entrée en Religion que pour les frais de la reception, et l’ameublement qui luy êtoit necessaire, et pour lequel on avoit déboursé mille livres, suivant le mémoire qui en ctoit representé : de sorte que ne restant plus que quinze cens livres pour luy fournir ses alimens, on consentoit de les remettre en donnant une pension honnête. Mr Hue, Avocat General, conclud à la nullité de la donation, et qu’il fut ajugé deux cens livres aux Religieuses pour les frais de la reception : Par Arrest du 13 de Mars 1650. la donation. fut annullée, le frere fut condamné de payer quatre cens livres pour les frais, et cent vingt livres pour la pension, avec les arrerages depuis l’entrée en Religion. Cette jurisprudence a souvent changé, et les Arrests du Conseil ont confirmé ces sortes de contrats.

J’ay vû souvent consulter cette difficulté ; ceux qui veulent acquerir d’un frère, chargé du mariage de ses soeurs, pensent trouver leur sûreté en faisant intervenir la soeur, et luy payant une somme pour sa legitime, quoy que cela se fasse du consentement du frère, la fille n’est point rivée de demander ce qui luy appartient, ne pouvant avant son mariage dissiper sa legitime et disposer d’une somme dont elle n’a qu’un usufruit, aussi le plus souvent ce n’est qu’une tromperie.

Il faut neanmoins remarquer que cette prohibition d’aliener cesse lorsque la soeur est reçûé à partage, quoy qu’elle ne soit pas mariée ; car toutes les fois que le frere recoit sa seur à partage, ou par sa volonté, ou par punition de sa négligence, elle devient sa coheritiere, et par consequent elle acquiert la proprieté et la libre disposition de tout ce qui tombe dans son partage : La Coûtume ne reduit les filles au simple usufruit que dans le cas du mariage avenant, et comme elle est rigoureuse, il ne faut point l’etendre au-de-là de ses termes, et puisque le rappel à partage semer les filles dans le droit commun, on ne peut leur disputer le titre de propriétaire. Il fut ugé de la forte en la Chambre des Enquêtes, au Rapport de Mr de Boivin-de-Montmorel, le p de Juin 1646. Le sieur de Cressanville-Bailleul ayant reçû ses deux seurs à partage, elles eurent la terre de Tournay et cinq mille livres à prendre sur leur frère ; il échût à la puisnée quatre mille cinq cens livres, du prix de la terge de Tournay qu’elles avoient venduë, et pour les cinq mille livres dûs par le frere, sur la demande qu’elle luy en fit, il offrit d’en faire la rente, qu’il avoit interest de luy conserver le principal pour sa nourriture, et qu’il y avoit pareille raison pour le partage que pour le mariage avenant, tous deux faisans la legitime de la fille, qu’il êtoit juste d’en constituer le capital, dont elle ne pouvoit recevoir le rachapt : La fille prétendoit que cet Article ne s’entendoit que du mariage avenant, qu’une fille majeure comme un fils ; pouvoit disposer de son bien, que le mauvais ménage ne se présume point, nemo praesumitura actare suum. Par l’Arrest le frere fut condamné de payer les cinq mille livres dans six semaines.

La même chose fut jugée en la Grand-Chambre le 7 de Juillet 1665. entre François le Roy, appelant du Juge de Bayeux, et Guillaume le Coû, intimé

Mais une vieille fille s’imagina qu’encore qu’elle n’eût pas été admise à partage, elle avoit acquis la liberté de disposer de son mariage par le grand nombre d’années qu’elle avoit vécu.

Le sieur Vautier avoit cinq fils et trois filles, les frères en mariant une de leurs seurs luy donnerent quatre mille livres, et les deux freres ainez avoient pris chacun un fief par préciput, qui valoient les deux tiers de tout le bien, de sorte qu’il ne restoit que le tiers pour les trois autres puisnez, et le frère ainé étant mort, le second frere luy succeda : cette fille qui restoit à pourvoir êtant âgée de soixante et douze ans, presenta Requête à la Cour pour les faire condamner à luy payer quatre mille livres pour son mariage, dont elle auroit la proprieté. Le Tellier, son Avocat, soûtenoit que bien que la Coûtume ne donnât que l’usufruit en attendant le mariage, cela ne s’entendoit que des filles qui sont encore en âge et en état d’être matiées, mais puisque sa partie ne devoit plus avoir d’espérance ni de pensées pour le mariage, il n’y avoit plus de pretexte, le luy refuser la proprieté, le frère ainé étant d’intelligence avec sa seur y donnoit son consentement par Pilastre son Avocat. Caruë, pourles autres freres, répondoit que cette prétention êtoit contraire à cet Article, qu’il étoit ridicule de demander cette proprieté sous pretexte de ses années, et il dit agréablement que si cela êtoit on ne devoit plus lappeler mariage avenant, mais mariage passé ; que si les freres étoient obligez de payer avant le mariage, comme le plus pouvent il ne se paye qu’en deniers, elles le consumeroient et retourneroient à la charge de leurs reres, ce que la Coûtume a sagement prévû ; aussi la Cour avoit déja décidé une pareille question entre de la Fosse et Bouchard. Bouchard avoit marié une de ses seurs avec de la Posse, qui exigea des promesses d’une autre foeur non mariée, qui demeuroit avec luy ; aprés la mort de cette fille il prétendit s’en faire payer sur fon mariage avenant : Bouchard soûtint qu’elle n’avoit pû engager sa legitime, ce qui fut jugé de la forte : Par Arrest du 9 de Decembre 1650. cette vieille fille fut deboutée de sa Requête.

Ce n’est pas dans le seul cas du partage que la fille acquiert la proprieté et qu’elle en peut disposer : on a jugé la même chose pour celle qui avoit obtenu le tiers du bien au préjudice du fisc ou du creancier subrogé, par Arrest en la Chambre des Enquêtes du 24 de May 1659. au Rapport de Mr Clement, ce qui doit avoir lieu en cas de decret.

Au procez d’entre Adrien de Bailleul, sieur de Blangués, appelant, et Charles de Bailleul et Mr de Toufreville-le-Roux Conseiller en la Cour, on agita cette question. Robert de Bailsieul avoit cinq fils et quatre filles, dont une restoit à marier ; par le partage des meubles et des immeubles du pere, il fut arrêté que les deniers des fermages provenans des terres appartenantes aux puisnez leur demeureroient, et pour les autres meubles l’ainé en fut saisi à condition d’en payer quinze mille livres à Aldonce leur seur pour son mariage avenant depuis cette fille donna au sieur de Blangués son second frere quatre mille livres, et à Mrde Toufreville mille livres ; aprés la mort de cette fille sans avoir êté mariée, le sieur d’Angerville contredit la donation en vertu de cet Article : Il s’aidoit aussi de l’Article 431. qui défend de donner à son heritier immediat, et que d’ailleurs cette fille ayant remis l’effet de sa donation aprés sa mort c’étoit une donation à cause de mort, qui étoit nulle suivant l’Article 427. cette somme qui étoit destinée pour son mariage étant un propre, Article 511. on avoit jugé nulle la donation faite audit sieur de Blangués, vû sa qualité d’heritier, et on avoit confirmé celle du sieur de Toufreville : Sur l’appel à la Cour le sieur d’Angerville consentit l’effet de la donation faite à Mr de Toufreville, et pour le sieur de Blangués il maintenoit aussi la donation à luy faite, soit que les quinze mille livres fussent tenus comme un propre et comme un immeuble, ou qu’ils fussent reputez un meuble, et quand elle n’en auroit pas eu la disposition il y devoit avoir part ou par reversion ou par succession, si cette somme étoit meuble elle en pouvoir disposer suivant les Articles 414. 415. et 425. si elle étoit immeuble la donation étoit valable suivant l’Article 431. et pour l’Article 268. il n’étoit point de la Coûtume de Caux et s’entendoit des filles dont le mariage est payé sur les immeubles ; mais en cette rencontre cette somme ayant été tirée de la succession mobiliaire pour la payer à leur seur lors de son mariage, dés ce moment elle luy êtoit acquise définitivement, et quand l’Article auroit lieu dans la Coûtume de Caux, la consequence en seroit contraire à l’intiné ; car si leur seur n’avoit eu qu’un simple usufruit, la proprieté en seroit demeurée à ceux qui l’avoient fournie et qui l’avoient laissée en dépost entre les mains de l’ainé, et aprés la mort de la fille cet usutruit auroit été consolidé à la proprieté, l. 3. et 14. ff. de usufruct. ainsi quand l’appelant ne seroit heritier ni propriétaire il pouvoit repeuar ce qu’il avoit fourni, causâ datâ, causâ non sequuiâ. Il ne resteroit donc que de voir ce qu’il avoit conféré pour composer les quinze mille livres, et en ce faisant on trouveroit que les quatre mille livres n’excederoient point ce qu’il voit contribué du sien, l’Article 303. qui donne à l’ainé en Caux l’ancienne succession des et collateraux ne s’entend point de la succession des freres ni des seurs, comme il paroit par l’Article 300. qui admet les puisnez à la succession du frère décedé sans enfans, d’où il s’ensuit qu’ils doivent aussi succeder à leurs seurs puisque la raison en est pareille, l. illud 32. Ad l. Aquil. casus quos nectit, paritas aequitatis et identitas rationis, non sunt quoad juris dispositionem separandi. nais c’est un meuble qui doit être partagé suivant l’Article 318.

C’intimé pour prouver que c’étoit un immeuble alléguoit l’Article 511. mais cet Article n’avoit point de rapport au fait dont il s’agissoit : pour faire que les deniers donnez à une fille soient un immeuble et un propre, deux choses sont requises ; l’une qu’ils soient donnez pour son mariage, l’autre qu’ils soient destinez pour sa dot ; de sorte que si les deniers sont donnez simplement pour son mariage, sans destination de dot ni destination d’employ en rente ou héritages, ils demeurent toûjours meubles. Bacquet des droits de Justice, c. 21. n. 309. et l’Article 511. faisant un immeuble d’un meuble par une fiction, elle ne peut avoir lieu qu’entre heritiers de diverses lignes

L’intimé s’appuyoit principalement sur les Articles 511. et 303. ausquels il n’étoit dérogé qu’au cas de l’Article 300. sous lequel les seurs n’étant pas comprises il faloit suivre la disposition de l’Article 303.

Pour la resolution de cette question il semble que les deux donations étoient nulles, que ous les freres ne pouvoient rien prétendre à cette somme à droit successif ; ainsi ces questions.

si cette somme êtoit meuble ou immeuble, et comment les successions fe partagent en Caux étoient inutiles, puisque la soeur n’en avoit aucune proprieté, et que les freres en liquidant cette somme n’avoient eu d’autre intention que de luy regler son mariage avenant, ce qui luy ôtoit la liberté d’en disposer ; ils pouvoient donc prétendre cette somme à proportion de ce qu’ils y avoient contribué, comme en étans toûjours les maîtres, et toute la difficulté consistoit à sçavoir d’où elle étoit provenuë : Par la Coûtume de Caux, Article 297. le mariage les filles est pris sur les meubles, et s’ils ne suffisent pas sur les immeubles, ce qui est fort avangageux à l’ainé, qui ne contribué par ce moyen que pour sa part, quoy qu’il ait les deux tiers de limmeuble ; or en cette succession le mariage ayant été pris sur les meubles, tons les freres y avoient contribué également ; il étoit donc raisonnable qu’il leur retournât à proportion, et le dépost qu’ils en avoient fait entre les mains de lainé êtoit à condition de le payer, lors de son mariage, lequel ne s’étant point ensuivi cette somme n’avoit point changé de nature, ce qui fut jugé de la forte au Rapport de M. Labbé, le mois de Decembre 1620.

Comme le mary qui joüit à droit de viduité des biens de sa femme peut se dispenser de remettre le tiers à ses enfans, lorsque d’ailleurs ils ont dequoy subsister, on a demandé si les freres pouvoient se décharger de la provision entière qu’ils doivent à leurs soeurs, lorsqu’elles ont du bien du côté de leur mere : Il fut jugé en la Chambre des Enquêtes le 2 d’Avril 1659. au Rapport de Mr de Guibray, que quoy que des filles sorties d’un premier mariage possedassent des biens du côté de leur mere dont elles pouvoient s’entretenir, leur pension toute-çois devoit être prise et sur le bien des frères, et sur celuy de la mère à proportion et du bien maternel et du mariage avenant. Le tuteur des freres leur avoit mis en dépense la pension entière de leurs seurs : le Juge en avoit alloüé la moitié sur le bien des freres, et l’autre moitié sur celuy de la mère ; sur l’appel des frères la Sentence fut cassée, et en reformant il fut dit que les freres n’en porteroient qu’un tiers, et les deux autres tiers seroient pris sur le bien maternel, ayant égard à la valeur d’iceluy.