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CCLX.

Fille reservée à succession doit rapporter.

Fille reservée à la succession de ses pere ou mere, doit rapporter ce qui luy a êté donné ou avancé par celuy à la succession duquel elle prend part, ou moins prendre.

La fille ne doit pas seulement rapporter ce qui luy a été donné, mais aussi l’interest depuis la succession échûë, comme il a été jugé par Arrest du 2 de Mars 1657. au Rapport de Mr Damiens, sur un partage en la Chambre des Enquêtes.

On demande si c’est assez que la fille rapporte l’action qui luy appartient sur les biens du Tronçon nary : Troncon, sur l’Article 304. cite un Arrest du Parlement de Paris, par lequel il a été l ugé qu’une fille mariée venant à la succession de ses pere et mere, étoit tenuë de rapporter l ctuellement les deniers de son mariage, ou moins prendre : qu’elle n’étoit recevable à rapporter l’action qui luy appartenoit pour la repetition d’iceux cntre les heritiers de son défunt mary mort insolvable ; encore qu’elle mit en fait qu’elle avoit été mariée durant sa minorité, quia minus est actionem quam rem habere l. minus ff. de regul. jur. Cette difficulté ne pourroit naître en cette Province que dans le seul cas où le pere ne seroit point garand de la dot qu’il auroit payée au mary ; mais quand le pere et les freres sont sujets à cette garantie, la filleà n’est tenuë qu’à céder ses actions à ses freres.

Le rapport ordonné par cet Article, quand la fille ou ses enfans sont rappelez ou reservez fartage, est d’un usage presqu’aussi ancien que cette Monarchie : Nous l’apprenons d’unes Formule deMarculphe , l. 2. c. 10. où un ayeul maternel voyant que ses petits enfans sortis de sa fille étoient exclus de sa succession par le prédecez de sa fille, suivant la loy Salique, qui n’admêtroit aux successions que les plus proches, il les rappela à sa succession à charge de rapporter tout ce que leur mere avoit eu en mariage ; voicy les termes de cette Formule : Dulcissimis nepotibus illis, ille dum & peccatis meis facientibus genitrix vestra filia mea illa, quod non optaveram tempore naturae sux complente ab hac luce discessit : ego vero pensans consanguinitatis. casum, dum & per legem cam cateris filiis avunculis vestris in alode meo accedere minimè poteratis, lein per hanc Epistolam meam, dulcissimi mei nepotes, volo ut in omni alode meo post discessum meum si mihi superstites fueritis hoc est tum terris, domibus, mancipiis, vineis, solvis, campis, pratis, pascuis, aquis, aquarûmve decursibus mobilibus, immobilibus, peculio utriusque sexùs majore vel minore, et quodcumque dici potest ; quidquid supradicta genitrix vestra, si mihi superstes fuisset de alode meâ recipere potuerat, vos contra avuncinos vestros filios meos praefatam portionem recipere faciatis. & dum ipst filiae mez genitrici vestre quando eam nuptam tradidi, in aliquid de rebus méis mobilibus, drappis fabricaturis vel aliqua mancipia solitam dedi vobis hoc in parte vestrâ supputare contra filiis meis faciatis, et si quid amplius de prasidio nostro obvenerit tunc cum filiis meis avunculis vestris portionem ex his debitam recipiatis

Cette ancienne Formule fournit des lumières et des connoissances de nôtre ancien droit François : Premierement, suivant la loy Salique la representation n’étoit pas même reçûë en ligne directe ; car il y a plus d’apparence d’expliquer ces mots de la loy Salique per legem, que Justinien de la loy Romaine, suivant laquelle avant Justinien ( tertia pars ab intestato aviatica successionis nepotibus ex filiâ detrahebatur l. 4. C. Theodos. de legitim. hered. 2. en ce cas de rappel la fille devoit rapporter la dot qu’elle avoit euë, ut dotem mâtris conferant, si ad successionem accedere velint.

Ce qui étoit imité du droit Romain, ut mixtis matrum suarum dotibus hereditatem pro ratâ parte quam lex Divalis censuit cum avunculis partiantur l. 4. C. Theodos. de legitim. hered. et non seulement il faloit rapporter la dot, mais aussi tous les meubles et hardes, cum drappis fabricaturis, et si amplius de presidio nostro obvenerit. M Bignon sur ce mot ( cum presidio nostroy estime que Rpresidii nomine ) pecuniam numeratam, aurum, argentum, & id genus aliâ intelligi, ce qu’il prouve Celsus par l’autorité de Celsus en la l. si Chorus 79. si de leg. 3. ubi ait Proculum referre audisse se rusticos senes ita dicentes pecuniam sine peculio fragilem esse ; peculium appellantes quod presidii causâ seponeretur.

En effet l’argent est le rempart le meilleur et le plus assûré dans les necessitez Il est certain que les filles mariées quand elles n’ont eu que de fargent et des meubles, et qu’elles ne sont point heritieres, ne peuvent être forcées à les rapporter, car laction en rapport ; n’a lieu qu’entre coheritiers. J’ay traité cette question sur l’Article 434. Sur cela Bérault propose cette difficulté, si un pere n’ayant que des filles en marie quelques-unes, et qu’il leur donne de ses biens, et qu’en suite il vienne à mourir sans avoir marié les autres, et sans laisser dequos les pourvoir ces dernieres pourront obliger leurs seurs mariées à remettre en partage ce qui leur a été donné ; Et il conclud que suivant la plus commune opinion cela n’est point sujet à rapport, parce que ce qui leur a êté donné ne peut être reputé un avancement d’herédité, puisqu’elles ne succedent point, et qu’elles renoncent à la succession de leur pere, ce motsde rapporter, ne pouvant être appliqué qu’à une personne qui veut venir à la succession de celuy qui a donné avec ceux qui sont ses cohéritiers ; de sorte que les filles mariées doivent joüir de leur bonne fortune, et qu’il est de linterest public de le juger de la sorte, autrement les filles ne pour roient jamais trouver de maris si leur dot demeuroit toûjours incertaine, et dépendoit de la bonne ou mauvaise fortune du pere.

Pour refoudre cette difficulté, il faut considerer si les filles ont été mariées comme heritieres soit que par leur contrat de mariage elles ayent été reservées à partage, ou qu’on leur ait donné par avancement de succession, en ce cas elles ne peuvent se dispenser de remettre en partage ce qu’elles ont eu, nonobstant leur renonciation à la succession de leur pere ; car suivant l’Article 454. les peres ne peuvent avancer lun de leurs enfans plus que les autres, et toutes donations. faites par les peres et meres à leurs enfans sont reputées avancement de succession, et par l’Art. 45. du. Reglement de l’an 1666. sa promesse de garder la succession faite par le pere à l’un de ses enfans a aussi son effet pour les parts qui doivent revenir aux autres enfans, Si au contraire la fille lors de son mariage avoit des freres, et qu’on ne l’ait point reservée à partage, en ce cas bien qu’au temps de la mort du pere il n’y eût plus de frères, la fille ne peut être forcée de remettre en partage ce qui luy a été donné pour son mariage avenant, parce qu’alors la donation du pere n’est point reputée un avancement de succession, la fille n’étant pas mariée comne héritière, mais comme creanciere, ainsi le pere est reputé n’avoir acquitté qu’une dette Pour une plus grande explication de cet Article je remarqueray une question qui fut agitée dans une espèce singulière le 14 de Juillet 167S. Par le contrat de mariage de Marie Herberon vec Jean Antoine de S. Denis, Ecuyer, sieur de la Touche, son pere luy donna quelques serres qu’il avoit acquises depuis son mariage, et le contrat portoit que le pere et la mere les donnoient par avancement de leurs successions : depuis ils marierent leur autre fille Madeleine Herberon à François de Nollet, et luy donnerent aussi des terres et des rentes par avancement de succession : Le pere étant tombé dans le desordre de ses affaires, sa femme se fit separer de biens, et le pere étant mort ses enfans renoncerent à sa succession, et ses biens ayant été saisis réellement, le sieur de S. Denis demanda la distraction des terres qui luy avoient été données par son contrat de mariage, ce qui ne pût être empesché par le poursuivant criées, parce que sa dette étoit posterieure ; mais à l’égard de l’autre fille étant dépossedée de ce qui uy avoit été donné, elle demanda sa part au tiers coûtumier, qui étoit une moitié, l’autre part demeura au profit des créanciers, et elle fut decretée et ajugée avec le surplus des biens Deux ans aprés Madeleine Herberon, separée de biens d’avec de Nollet son mary, poursuivit te sieur de S. Denis pour avoir part à ce qui luy avoit été donné par son contrat de mariage, et pour partager la succession de la mère ; cette dernière demande ne recût point de contredit, mais à l’égard de la première le sieur de S. Denis soûtint que puisqu’elle avoit eu son tiers coûtumier, elle n’avoit aucun droit sur ce qui luy avoit été donné, parce que ce bien-là avoit été acquis depuis le mariage de son pere, et par consequent il n’étoit point sujet au tiers ooûtumier Cela fut jugé de la sorte par le Juge d’Alencon. Sur l’appel Theroulde tiroit avantage des termes du contrat de mariage, que le pere et la mere avoient donné par avancement de successions d’où il concluoit que suivant cet Article la Dame de S. Denis devoit rapporter tout ce qui luy voit été donné ; il s’aidoit aussi de l’Article 434. et de l’Article 45. du Reglement de l’an 1666. d’où il concluoit que le pere ne pouvant avancer un de ses enfans au préjudice des autres, et’avancement fait à l’un d’iceux profitant à tous les autres, elle pouvoit demander part à cet avancement, en rapportant cette moitié du tiers coûtumier qui luy avoit été ajugée. se répondois pour le sieur de S. Denis que l’on ne pouvoit tirer consequence des termes du ontrat de mariage, parce que l’appelante avoit renoncé à la succession de son pere, et par la même raison elle citoit inutilement cet Article et l’Art. 434. et le Reglement, qui ne parlent que de coheritiers, ce qui paroit par cet Article, qui porte que la fille reservée doit rapporter ce qui luy a été donné ou avancé par celuy à la succession duquel elle prend part, et par l’Article 434. l rapport n’est ordonné qu’entre coheritiers, et c’est aussi de cette maniere qu’il faut entendre l’Article 45. du Reglement ; or il est sans difficulté que l’appelante et l’intimée ne sont point coheritieres, ni même heritieres.

Pour sçavoir quand l’action en rapport doit avoir lieu, on examine la nature et la qualité des biens qu’il faut rapporter, les personnes qui doivent faire ce rapport, et au profit de qui co rapport doit être fait ; on ne peut demander le rapport que des biens ausquels on peut prendre part, car on rapporteroit inutilement des choses où celuy qui les veut faire rapporter n’a point de droit ; les biens dont il s’agit sont de cette qualité : c’étoient des acquests où l’appelante n’a point de part, puisqu’elle a renoncé à la succession de son pere, et elle n’y peut avoir de tiers coûtumier, son pere n’en étant point saisi lors de son mariage le rapport ne peut être demandé que par des coheritiers ; l’appelante et l’intimée ne sont point coheritieres, au contraire leurs qualitez sont incompatibles ; il est sans doute qu’en Normandie on ne peut être heritier et legitimaire, c’est à dire demandeur en tiers coûtumier ; car nous avons deux sortes d’heritiers, l’heritier naturel et l’heritier legal ; l’heritier naturel succede en tous les droits du défunt, mais le droit de l’heritier legal n’est pas d’une si grande étenduë, il ne s’étend que sur ertains biens, et sur une portion limitée ; car le tiers coûtumier que nous appelons aussi legitime, n’est dû que sur les biens dont le pere êtoit saisi lors de son mariage, et il consiste feule-ment au tiers de ces bien-là ; pour obtenir le tiers coûtumier il faut renoncer à la succession du pere et de la mère : Par l’Article 401. de la Coûtume, les enfans ne peuvent accepter le tiers, si tous ensemble ne renoncent à la succession paternelle, et ne rapportent toutes donations et autres avantages qu’ils pourroient avoir ; d’où il resulte qu’il est incompatible que l’on soit heritier ; et legitimaire, puisqu’on ne peut avoir le tiers coûtumier que sous deux conditions, en renonçant et rapportant toutes les donations et avantages que l’on auroit eus, et c’est pourquoy l’appelante demandoit inutilement de prendre part à la donation faite à sa seur ; elle avoit option de renoncer ou de prendre le tiers coûtumier, elle a consommé son droit d’option en prenant le tiers coûtumier, et en ce faisant elle s’est engagée de rapporter même ce qui luy avoit êté donné ; ce seroit donc en vain qu’elle voudroit participer à la donation faite à sa seur, vû qu’elle ne pourroit la conserver, et que les creanciers la forceroient à la leur abandonners ce qu’elle ne pourroit empescher en consequence de cet Article, qui ne permet point aux enfans de prendre leur tiers coûtumier, et de retenir les avantages qui leur ont été faits, ainsi ce qu’elle prét endoit arracher à sa seur luy seroit ôté par les créanciers.

On oppose inutilement l’égalité, que la Coûtume veut être conservée entre les enfans, et que la soeur ainée ne doit point profiter seule de sa bonne fortune, et comme l’appelante veut bien luy faire part de sa moitié du tiers, elle doit l’admettre reciproquement à profiter de l’avancement qui luy avoit été fait par leur pere commun : Il est vray que la condition des filles doit être égale, quand elles possedent les biens de leurs peres et meres à même titre et en même qualité, mais quand leurs droits sont differens on ne considere plus cette égalité, l’appelante est legitimaire, l’intimée doit être considérée à son égard comme une véritable heritière. La Cour en expliquant l’Ar-ticle 401. qui sembloit n’accorder le tiers aux enfans qu’en cas qu’ils renonçassent tous à la succestion, a décidé dans l’Article 89. du Reglement de l’an 1666. que les enfans n’ont pas le tiers entier, si tous n’ont renoncé, mais celuy qui a renoncé n’a que la part audit tiers qu’il auroit euë, si tous avoient renoncé : et suivant cet Article c’est un usage certain qu’encore qu’un des enfans renonce, ou même la plus grande partie des enfans, les autres peuvent accepter la succession et se porter heritiers de leur pere, et quoy que leur part se trouvàt plus grande que celle de ceux qui auroient accepté le tiers, ces legitimaires ne pourroient pas demander aux heritiers qu’ils fissent une masse du tout, pour la partager également entr’eux ; c’est neanmoins la conclusion de l’appelante, car à cause que sa moitié du tiers est d’une moindre valeur que la donation faite à l’intimée, elle veut reduire les choses dans l’égalité, ce qui n’est pas raisonnable, l’intimée étant une veritable heritière à l’égard de l’appelante, parce que toutes donations faites par les peres et meres sont reputées avancement de succession, ainsi quod fuit donatio fit hereditas : la Cour, pour la consequence, appointa les parties à écrire et produire : Les sentimens du Barreau étoient differens, les uns voulans que cet avancement fût rendu commun pour rendre égale la condition des filles ; les autres ne trouvoient pas à propos que l’appelante, qui avoit opté le tiers coûtumier, troublât sa seur dans la possession du bien, où l’appelante n’auroit rien si elle declaroit abandonner son avancement pour s’arrêter à la moitié du tiers coûtumier.