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TITRE DE JURISDICTION.

P UIs que j’entreprends d’expliquer nôtre Coûtume, et que la Competence des Juges a été son premier object, il ne sera pas inutile de rechercher l’origine et l’antiquité de nos Loix et de nos Usages ; j’observeray aussi quelle fut la conduite de nos premiers Ducs pour rendre la justice, et de quels Officiers ils se servirent pour cet employ, aprés qu’ils furent devenus les maîtres de cette partie Occidentale des Gaules, à laquelle ils imposerent le nom de Normandie. Nous nous instruirons avec plus de certitude et de facilité de toutes ces choses, lors que nous sçaurons quel étoit en ce même temps le gouvernement de la France.

Lors que les François passerent le Rhin pour s’établir dans les Gaules, toutes ces Provinces-là étoient soûmises à la puissance des armes et des Loix Romaines. Quoy qu’ils ôtassent aux peuples qu’ils avoient vaincus la meilleure partie de leurs Terres, néanmoins ils les laisserent vivre en leur liliberté sans changer leurs Loix, leur nom, et leur langage. De sorte qu’il se forma un État composé de deux nations, la Françoise et la Gauloise, et cette distinction dura fort long-temps, et se perpetua par plusieurs races entre leur posterité.

Les François conserverent leur nom, et comme ils avoient de la peine à distinguer les noms de tant de peuples qui habitoient les Gaules, ils leur donnerent à tous sans distinction le nom de Romains, parce que c’étoit celuy de la Nation Dominante, et que la pluspart d’entr’eux parloient le l an-gage des Romains. Nous en avons les preuves dans Marculphe liv. 1. cap. 40. dans les Loix Saliques, et en plusieurs autres lieux, où par le terme de Romains, il faut entendre les Gaulois, et ceux qui tiroient d’eux leur origine. Monsieur Bignon sur cette formule de Marculphe : Romani autem veteres incolae appellabantur, et Conringius lib. 1. cap. 3. rapporte un Edit Roceswindus, de Origine juris Germanici connubio inter Gotthos et Romanos, id est priscos incolas coëundo.

Pour les Loix, les François continuerent l’usage de leurs Loix Saliques : mais les differens qui naissoient entre les Romains et les Gaulois étoient terminez par le droit Romain, comme je le prouveray dans la suite, et comme les manieres de vivre de ces Romains étoient beaucoup plus honnestes et plus polies, les François les imiterent en plusieurs choses qui regardoient la police et le gouvernement de l’Etat.

Sur tout nos premiers Rois affecterent de prendre les titres et les qualitez des Empereurs Romains. Ils se nommoient comme eux Consuls, Patrices, et Illustres. Ils donnerent aussi à leurs officiers les noms des Officiers Romains ; ils appellerent Ducs, Comtes, et Vicaires, les Gouverneurs des Provinces, et les Juges.

Les Comtes étoient les Juges ordinaires, sans être néanmoins perpétuels ; ce ne fut que sous Charles le simple qu’ils commencerent à se rendre perpétuels et hereditaires, et quelques-uns même usurperent la souveraineté.

Pour obliger ces Officiers à rendre la justice, et pour les punir quand ils ne s’acquittoient pas de leur devoir, les Rois de la première et de la seconde Race envoyoient dans les provinces des Juges extraordinaires qu’ils appelloient Missos Dominicos : leurs commissions étoient fort amples : ils avoient pouvoir de faire rendre la Justice, de corriger les abus et les fautes commises tant par les Comtes que par les Evesques mêmes : Ut si quid Episcopi aut Comites negligentios egissent, per eorum admonitionem corrigeretur, hisque quibus à Comite jus dictum non effet, illis dicerent, & pleraque negotia Régis nomine persicerent, aut ad eum referrent.Bignon , ad veter. formul. c. 7. le Pere Sirmond ad Capit. Caroli Cal vi ad Sylvacum. Et quoy que leurs pouvoirs ne fussent pas toûjours égaux, mais plus ou moins amples selon la volonté du Roy : ces députez avoient toûjours une tres-grande autorité, et leurs départe-ments étoient de grande étenduë. Charles le Chauve n’en fit que douze dans tout son Royaume, sans y comprendre l’Aquitaine qui avoit un Gouverneur particulier, et la Bretagne qui s’étoit alors révoltée. Capitulaires de Charles Le chauve, Tit. Missi & pagi per Missaticos qualiter possint ordinari.

Et ibiSirmond . Cette députation se faisoit ordinairement quatre fois l’année, ou plus souvent selon la nécessité des affaires publiques, le Pere Sirmond ai Cap. Car. Calvi ad Atiniacum c. 1. Propter afflictionem Aquitanicam, propter Normannorum et Britonum incursiones. Par un capitulaire de Charlemagne l. 3. c. 83. ils te-noient quatre mois l’année, et quatre fois par chaque mois. Ils avoient chacun leur departement dans les Provinces, ce qui s’appelloit Missaticum. Il y en avoit un à Roüen : Comes Donatus Rotomagum habeat.

Et dans les Capitulaires de Charlemagne, lib. 2. c. 25. nous trouvons un état et un denombrement de ces departements : De nominibus locorum in quibus Missi Dominici legatione funguntur. Dans cette partie de la Neustrie qui compose aujourd’huy la Normandie, il y en avoit trois, in pago Rodmensi, pro Rodamensi, Roüen. Bagisino, pro Baiocensi, Bayeux. Lisuino, pro Lexoviensi, Lizieux. Carol.

Cal. loco supra citato. Et, suivant l’explication duPere Sirmond , il faut y adjoûter Arques, car il a crû que Tellau, dont il est parlé dans ce departement, étoit le bourg et château d’Arques : inter agrum Caletensem et Vimacensem, que ce lieu avoit depuis été appellé le Comté de Taloge, dont Guillaume de Jumieges l. 2. c. 2. et Odericus Vitalis l. 6. ont fait mention dans leurs Histoires. Ils commencerent sous la première Race, et furent en grande vogue sous la seconde, jusqu’au temps de Charles le Simple, que les Ducs et les Comtes ne voulurent plus les souffrir. Et nous les avons veu renaître en quelque sorte en nos jours, par les Intendans et les Commissaires départis que l’on a envoyez dans les Provinces ; Mais le pouvoir de ces derniers n’est pas de si grande étenduë. On peut apprendre quelle étoit l’autorité et l’employ de ces Missi Dominici, dans le traitté que de Roye a fait de Missis Dominicis. C’étoit par ces officiers-là que la justice étoit renduë par tout le Royaume, quand les Normans forcerent Charles le simple à leur céder un si beau fleuron de la Couronne.

On ne peut pas dire que les Normans à leur arrivée traitassent les François aussi favorablement que les François avoient fait les habitans des Gaules. Sans doute leurs premieres incursions furent cruelles et barbares ; mais aprés la paix faite ils ne songerent plus qu’à cultiver et à rétablir les païs qu’ils avoient ruinez ; ils conserverent même plusieurs familles Neustriennes : Junctique Normanni novi cum pristinis eam regionem cultissimam, frrquentissinamque reddiderunt. Paul. AEmyl in Carol. 3.

Nous avons même encore aujourd’huy des familles qui se pretendent être d’une origine Neustrienne.

Toutes les Histoires rendent témoignage à Raoul, qu’il fut grand amateur de la justice, qu’il punissoit severement les crimes, et sur tout le larcin. Pour cet effet il ne manqua pas d’établir des Loix et des officiers pour rendre la justice ; on peut dire qu’il ne changea que les noms, et encore le changement ne fut pas general. Au lieu de ces Missi Dominici, il crea un Echiquier, et un grand Seneschal, des Comtes, des Baillifs, et des Vicomtes ; mais je ne pense pas que ces Comtes eussent l’administration de la justice, ce n’étoient que des deputez, ou des gouverneurs de certains cantons de la pro-vince, comme les Comtes d’Eu, d’Auge, de Côtentin, de Mortain, et d’autres.

Ce changement se fist vray-semblablement dans le même temps que la Normandie fut acquise au Duc Raoul ; etMaître Charles Loyseau , livre des Offices c. 14. n. 48. et des Seigneuries, c. 8. n. 40. n’a pas dû mettre les Ducs de Normandie entre ceux qui sous la troisième Race usurperent tout à fait la souveraineté, et qui ne voulurent plus souffrir que les Miffi Dominici residassent ni rendissent la justice dans leur païs, et qui obligerent les Rois à faire plusieurs Ordonnances, de n’envoyer plus d’officiers ni de Comtes dans leurs terres, comme firent les Ducs de Guyenne, de Bretagne, et de Bourgogne. Cela est vray pour les Seigneurs de France, mais pour la Normandie par la cession qui en fut faite à Raoul, il en devint le Souverain à la reserve de l’hommage : Ut teneret ipse et successores ejus ipsam terram quasi feudum et alodum. C’est à dire suivant la signification de ce mot alodum en pure proprieté et heredité. Et l’histoire a marqué que ; Statim Francorum coactus verbis, manus suas misit inter manus Regis, quod numquam pater ejus, avus, & proavus cuiquam fecit.

Dudo san. quint. Deca. l. 2. de Moribus Nor. Mais quand on voulut l’obliger à baiser les pieds du Roy, il le refusa fierement, et dit : Numquam cur vabo genua mea alicujus genibus, nec osculabor cujusquam pedem. Et en effet il commanda à un de ses Capitaines de baiser les pieds du Roy.

Il est si vray qu’il fit le Souverain en toutes manieres, qu’il divisa à ses officiers et à ses soldats sur le champ avec un cordeau toutes les terres qu’on luy avoit laissées, ibid. Terram suis Comitibus, et suis fideliter funiculo divisit ; securitatem omnibus gentibus in suâ terrâ manere cupientibus fecit : jura legesque sempiternas, voluntate Principum sancitas et decretas, plebi indixit.

L’Echiquier étoit la Justice Souveraine du Païs où tous les procez de la province étoient jugez en dernier ressort, et le mot prouve, qu’il fut établi au lieu de ces Comtes que l’on envoyoit avec une pleine autorité, car bien que l’on ait cherché diverses origines de ce mot d’Echiquier, il est sans doute qu’il vient du mot Allemand Skecken, qui signifie envoyer, parce que cette assemblée avoit suc-cedé aux envoyez, ou Miffis Dominicis, étant composée des Evesques et des Barons, et de plusieurs autres personnes qui étoient envoyées et ordonnées par le Duc pour rendre la justice, c’est aussi le sentiment dePithou , liv. des Comtes de Champ. Et deChopin , de Doman. l. 2. Tit. 5. n. 2.

Ménage au mot Echiquier,, de Roye Missis de Missis Dominicis ad Justitiam cap. 3. a Juridicis illis Mifforum Dominicorum con ventibus, omnes ferè docti des Origines de la langue Françoise yolunt qui post-modum appellari coeperunt Echiquier. Ceux qui cherchent ailleurs que dans l’antiquité de nôtre langue, ou dans la langue Teutonique, l’origine des vieux mots, peuvent bien faire paroître de l’esprit et de l’érudition, mais ils ne rencontreront pas leur véritable signification. Les Anglois et les Ecossois ont retenu ce terme. Skenaeus ad leg. Reg. l. 2. c. 45. Les Evefques et les Abbez avoient aussi leurs Envoyez ou Miffos ; mais j’en parleray ailleurs.

Comme l’Echiquier ne tenoit qu’en certaines saisons et pendant un certain temps, et que la convocation en étoit difficile à cause du nombre des personnes qui étoient obligez d’y assister, comme les Prelats, les Barons, et les Baillifs Royaux, leurs Lieutenans Généraux, les Avocats et Procureurs du Roy, et qu’on n’y expedioit que la moindre partie des affaires ; les Juges mêmes qui ser-servoient gratuitement, precipitans la separation de l’assemblée, le Roy Loüis XII. en l’an 1499. à la requeste des Estats du païs le fit perpetuel et ordinaire, pour avoir sa seance dans la ville de Roüen comme la capitale de cette Province.

Mais afin que durant la cessation de l’Echiquier la justice fût renduë plus exactement, les Ducs avoient creé un grand Officier à l’imitation de ces Commissaires extraordinaires dont on se servoit cn France, qu’ils appelloient Senechal, son pouvoir et ses fonctions étoient semblables : l’ancien Coûtumier, du Senechal au Duc, dit que, le Senechal au Prince corrigeoit ce que les bas Justiciers avoient delinqué, gardait la terre et les Loix de Normandie, et les faisoit garder : et ce qui étoit moins que deuëment fait par les Baillifs, il le corrigeoit, les ôtoit du service du Prince : ainsi en décourant par Normandie de trois ans en trois ans, il visitoit chacunes parties et Bailliages dudit Païs, et luy appartenoit d’enquerir en chacun Bailliage des injures faites par les sous-Justiciers, et des faits criminels diligemment il enqueroit, et de chacun il faisoit faire droit. Dans Robertus de Monte il est appellé Justitia totius Normanniaee : et par un Arrest de l’Echiquier tenu en l’An 1497. il fut dit qu’il pourroit juger l’Echiquier fini. Mais par les Lettres patentes qui rendirent l’Echiquier perpetuel, il fut ordonné que le decez arrivant du sieur de Brezé qui étoit pourveu de cette charge, elle seroit éteinte et supprimée.

Les Baillifs et les Vicomtes étoient les Juges perpetuels et ordinaires, il en sera parlé dans la suite.

Pour les lieux et les assemblées où la justice devoit être renduë, on observa encore en Normandie ce qui étoit pratiqué en France ; comme ils avoient leurs grandes assemblées malla et placita, les Normans avoient aussi leur Echiquier, leurs Assises et leurs Plaids.

Les Juges, et les Jurisdictions n’étoient pas alors en grand nombre, comme les Princes ont le pouvoir de changer et de supprimer leurs officiers, ils se donnent aussi la liberté d’en créer autant qu’il leur plaist : Justinien en usa plus mal qu’aucun autre Prince, comme on le peut remarquer par ses Novelles 20. 24. 29. 30. 31. et c’est avec justice que Procope in MOTGREC l’accuse d’avoir été un grand amateur de la nouveauté : ce mal a passé jusqu’à nous ; Multitudo Magistratuum provincaeae onerat.

Ce desordre n’est pas seulement pour le nombre des Juges, le mal devient encore plus grand par cette multitude de Jurisdictions differentes que nous avons en France : et connoître leur competence n’est pas aujourd’huy la moindre partie de nôtre jurisprudence : aussi-tost qu’une action civile ou criminelle est formée, la poursuite en est traversée par des conflicts de Jurisdiction. Chaque Juge est jaloux de sa competence, il la défend avec opiniâtreté comme son patrimoine, et les reglemens de Juges durent si long-temps, qu’un pauvre homme s’est épuisé avant qu’il puisse sçavoir le lieu où il doit plaider.

Il faut parler maintenant de nos Coûtumes, de leur origine, de leur antiquité, par qui elles ont été établies, et quand elles ont été rédigées par écrit.

La pensée de Philon Juif est véritable, que Dieu n’a permis la confusion des langues, et la diversité des Coûtumes que pour la punition du genre humain. Naturellement tous les hommes sont amateurs des moeurs et des Coûtumes de leur Païs : les Conquerans ont crû que le droit de faire garder leurs propres Loix aux peuples vaincus, étoit une suite et une dépendance de leurs victoires : tous ces peuples du Nord, qui chasserent les Romains des Gaules, n’eurent guere plus de respect pour leurs belles Loix, que ces Romains en avoient eu pour les Coûtumes des peuples qu’ils avoient soûmis à leur domination ; en tout cas s’ils leur en permettoient l’usage, ils ne vouloient pas s’en servir pour eux-mêmes.

Ils eurent tous une si forte passion de publier des Loix, que bien qu’ils n’eussent pas encore l’usage des lettres en leurs langues, ils ne laisserent pas de faire les Legislateurs. Conringius en son Traité de origine juris German. l. l. c. 1. dit que : gentes Germaaeiae initio suo litterarum non secreta tantùm, sed & usum omnem ignorarunt, ita nullas leges scriptas observaverunt. Et ce qui le prouve asseurément est, qu’il se servirent de la langue Latine pour les expliquer.

Cela commença environ l’An 401. et si la premiere publication que nous avons des Loix Saliques est véritable ( car elle est suspecte à plusieurs ) les François, selonConringius , ont été les premiers qui ont rédigé leurs Loix par écrit environ l’An 422. lors que les François se furent emparez de ces terres qui sont le long de la Moselle.

Les Wisigoths composerent ensuite leurs Loix fous le regne d’Evarix environ l’An 470. et son fils Alaric, qui tenoit sa Cour à Tolose, fit faire un abbregé du Code Theodosien par Anian son Chancelier environ l’An 504. Aprés parurent toutes ces autres Loix, dont on a composé un volume des Bourguignons, des Baioares, des Ripuaires, des Allemands, et des Lombards qui furent les dernieres.

On est en peine de sçavoir, qui étoient les peuples Auteurs de ces Loix Ripuaires. Quelquesuns croyent qu’ils s’appelloient Ripuaires, parce qu’ils demeuroient proche les rives de quelque fleuve. Conringius doute que cela puisse être, parce qu’il auroit fallu dire Riparii et non Ripuarii : Mais en ce siecle-là on ne sçavoit pas si exactement l’analogie de la langue Latine. Fauchet a écrit que les Ribarols auprés du Liege en sont venus, et que c’étoit un nom des François comme le nom des Saliens. L’Autheur de l’origine du Droit François a remarqué que dans la Loy même les François et les Ripuaires y sont nommez comme des peuples differents ; ils l’étoient en effet. Rheginon dans sa Chronique publiée pardu Chesne , de gestis Normanorum, environ l’An 891 : et 892. parle d’un peuple nommé Ribuarios, qui demeuroit proche de la Meuse, dans cette espace de terre qui est entre la Meuse et Cologne, et c’est apparemment la même chose que les Ribarols de Fauchet.

De toutes ces Loix la plus belle et la plus polie est celle des Wisigoths, parce qu’elle étoit plus aprochante du droit Romain, et celle des Lombards est la plus ample.Conring . c. 3. l. 1. La Loy Salique fut beaucoup augmentée dans la suite, par Clovis et par Childebert, par Clotaire et ses enfans, comme on le peut remarquer dans la premiere Préface. Idem. c. 7. Charlemagne y adjoûta plusieurs Articles, quand il la fit écrire en l’An 803. et plusieurs croyent que c’est la veritable et la pre-miere publication qui en ait été faite. Loüis le Debonnaire y fit aussi quelques additions.

Je n’ay parlé de l’origine de toutes ces Loix que pour découvrir quel étoit le droit qui s’observoit en France sous les Rois de la premiere et de la seconde Race, parce qu’on peut en tirer des lumie-res pour nôtre droit de Normandie.

Les François suivoient la Loy Salique et les Capitulaires de Charlemagne, de Loüis le Debonnaire, et de Charles le Chauve. Les Wisigoths et les Bourguignons avoient leurs Loix par-ticulieres, et pour les anciens habitans des Gaules, soit Romains ou Gaulois plusieurs sont de cette opinion qu’on leur avoit conservé l’usage de la Loy Romaine, et qu’elle n’avoit point été abolie par les Rois de France. Nous avons un Edit du Roy Clotaire de l’An 560. que le Pere Sirmond a mis dans le premier tome de ses Conciles de France, qui le porte expressément, Inter Romanos negotia causarum Romanis legibus censemus terminari : Dans le Synode tenu à Poissi sous Charles le Chauve on lit ces paroles dans le c 28. De illis qui secundùm legem Romanam vivunt nihil aliud quam quod iisdem legibus continetur definimus.

On prétend même que la langue Latine étoit la langue vulgaire et que sur tout les Ecclesiastiques, de quelque nation qu’ils fussent, s’attachoient soit à l’observation du droit Romain qui n’étoit pas sans doute celuy deJustinien , parce qu’il n’avoit pas encore paru : il semble même que le Code Theodosien, n’y devoit pas être bien connu, la publication n’en ayant été faite qu’en l’An 435. Plusieurs grands Autheurs neanmoins sont de ce sentiment que le seul Code Theodosien, étoit connu dans les Gaules, sous les Rois de la premiere Race, et que la Loy Romaine consistoit en ce seul livre-là.

Mais que sous l’Empereur Charles le Chauve le Code et les Novelles de Justinien commencerent à paroître ; Dadinus de Altâ serra l. 3. rer. Aquitan. De Roye de Miss. ad Just. c. 6. car pour le Digeste, Irnerius fut le premier qui le mit au jour dans l’Occident.

Ceux qui estiment que la Loy Romaine étoit gardée generalement sous les Rois de la premiere Race, et qu’on y dérogeoit seulement à l’égard des Barbares dans les cas où leurs Loix ordonnoient nommément quelque chose de different, disent que toutes ces Loix contenoient peu de matieres, et que par cette raison ils étoient obligez nécessairement en plusieurs rencontres d’avoir recours aux Loix Romaines ; et là-dessus on rapporte un passage d’Aimoin l. 4. c. 28. touchant les enfans de Sadragesile Duc d’Aquitaine, lesquels du temps du Roy Dagobert, pour n’avoir pas vangé la mort de leur pere, furent privez de sa succession, conformément aux Loix Romaines ; que d’ailleurs tous les Ecclesiastiques avoient grand interest de les faire valoir à cause des immunitez et des privileges qui leur étoient accordez par les Constitutions des Empereurs ; que Charlemagne même avoit fait écrire le Code Theodosien suivant l’Edition d’Alaric, ce qui montre que sous la seconde Race on gardoit aussi les Capitulaires de Charlemagne, de Loüis le Debonnaire, et de Charles le Chauve, et c’est pour cette raison qu’Eginard dans la vie de Charlemagne a écrit, que, Franci habent duos Leges plurimis in locis diversas. Et on explique ce passage en cette manière que de ces deux Loix l’une étoit la Salique et l’autre la Romaine et dans un Auteur anonyme, la noblesse de Languedoc supplie Loüis le Debonnaire, que les Commissaires, Missi Dominici, qu’il envoyeroit conservassent la Loy Romaine. On prétend néanmoins que le passage d’Eginard ne se doit pas entendre de cette façon et que ces paroles Franci habent duas Leges, ne signifient pas la Loy Salique et la Loy Romaine, mais les deux Loix Saliques, dont la premiere fut publiée en Allemagne environ l’An 422. et l’autre fut établie dans la Gaule par Childebert, Carloman et Loüis le Debonnaire, comme on le remarque par les additions faites à la Loy Salique.

Outre les autoritez remarquées par de Roye de Missis Dominicis, ad Justitiam c. 6. il en rapporte une autre dans le c. 8. qui est singulière ; Dans une assemblée tenue par les Commissaires dé-putez par l’Empereur, l’Avoüé, advocatus du Monastere de Fleury, prétendoit contre l’Avoüé de l’Abbave de S. Denis, que quelques esclaves appartenoient à ce Monastere, mais que l’affaire parût si difficile à ces Commissaires qui ne scavoient que la Loy Salique, et qui n’étoient pas instruits en la Loy Romaine pour les matieres Ecclesiastiques, qu’ils furent contraints de renvoyer l’assemblée à Orléans, où ils pourroient trouver des Docteurs de droit, parce qu’en ce temps-là il n’y en avoit point à Paris.

Plusieurs ont crû que les Rois de la premiere et de la seconde Race, ne furent pas moins jaloux de l’observation de leurs Loix que ceux de la troisiéme, qui n’ont point permis que le droit Romain fut enseigné dans les Universitez de leur Royaume, qu’avec cette protestation, qu’il ne pour-roit être allégué pour servir de Loy. La condamnation jugée contre les enfans de Sadragesile, pour être conforme au droit Romain ne prouve pas que ce fût le droit commun du Royaume ; et quand même le droit Romain eût servi de Loy, on ne pouvoit en faire conséquence pour les autres païs : quia ab antiquo lege Romanam utebatur Aquitania. Dadin de Alta serra, de Ducibus et Comit. provinc. c. 6. l. 1. Et les Loix des Wisigoths, qui étoient gardées dans le Languedoc étoient presque toutes tirées du droit Romain suivant l’observation deMonsieur Cujas , De feudis lib. 2 cap. 11.

Pour le passage d’Eginard il est expliqué diversement. Conringius entend par ces deux Loix, que les François qui habitoient la Neustrie ou la partie Occidentale des Gaules, avoient une Loy différente de celle des François ; qui demeuroient dans l’Austrasie ou France Orientale.

Pour la requête de la Noblesse du Languedoc, j’ay déja dit que le droit Romain y étoit gardé.

Quant aux Ecclesiastiques, comme ils étoient gens de lettres, ils avoient sans doute plus de penchant pour le droit Romain qui leur êtoit favorable, que pour des Loix conçûës en des termes barbares.

Il y a neanmoins beaucoup d’apparence que par ce long sejour que les Romains avoient fait dans les Gaules, et durant cette domination souveraine qu’ils y avoient exercée durant plus de 500. ans, les Gaules étoient devenuës Romaines, soit pour la langue, ou pour les coûtumes. Et bien qu’il fût de l’interest et de la politique de ces nouveaux Conquerans, d’éfacer toutes les marques de l’autorité Romaine, il étoit difficile de faire oublier à des peuples polis des Loix belles, amples, et équitables, pour leur faire embrasser des Loix dont à peine ils pouvoient entendre les termes, et qui paroissoient n’avoir été faites que contre des larrons, puisque la punition de ce crime en est le principal sujet.

Il ne faut pas douter que du moins, depuis que les Empereurs de la seconde Race se furent mélez des Loix Civiles, et Ecclesiastiques, comme l’authorité des jugemens êtoit en la main des François, ils ne fissent prévaloir leurs propres Loix ; mais enfin la foiblesse des Rois de cette seconde lignée ayant changé tout l’état du Royaume, comme la difference des François et des Gaulois étoit cessée les Loix saliques et Romaines commençoient aussi à perdre leur credit, et ce fut alors que le droit Coûtumier prit naissance ; mais parce qu’en ce même temps plusieurs Seigneurs usurperent la souveraineté, et s’attribuerent encore le pouvoir de faire des Loix : c’est de-là asseurément que procede cette diversité de Coûtumes que nous avons en France : quelques Provinces seulement, ont maintenu l’authorité du droit Romain.

Les Normans n’eurent pas moins d’ambition que tous les autres peuples du Nord, qui n’avoient pas voulu se soûmettre aux Loix des peuples qu’ils avoient vaincus, et peut-être qu’ils les surpassoient en esprit et en prudence : au moins on peut dire à leur avantage, que pour expliquer leurs Coûtumes et les reduire par écrit, ils sçûrent bien se servir de leur langue naturelle, et toutes ces autres nations dont les Loix sont parvenuës jusqu’à nous, furent contraintes d’emprunter la langue Latine.

On apprend même par l’Histoire qu’ils avoient si peu d’estime pour la langue ordinaire du païs qu’on appeloit la Romaine, et qui n’étoit qu’un mélange du Latin, du Gaulois et du François, que Guillaume premier fils de Raoul fit élever son fils Richard premier à Bayeux, et non point à Roüen, parce qu’on parloit Danois en cette Ville-là, et que dans Roüen la langue Romaine étoit plus en usage. Dudo in Rich. I. l. 3. En effet ceux qui se sont apliquez à rechercher l’origine des mots, ont remarqué que les noms de la pluspart des lieux de cette Province, ont une origine Allemande ou Danoise, quoy qu’avec le temps on leur ait donné un air, et une terminaison Françoise. Les Normans étendirent l’usage de leur langue, autant qu’il leur fut possible : ce leur étoit même une né-cessité de le faire, la langue du païs leur étant inconnuë. Il nous reste un exemple de cette Romance, ou langage Romain et François, dans le serment de Loüis et de Carloman frères, rapporté parNithard . l. 3. in quant Deus savir et podir mi donat. Ce qui est ailleurs exprimé par ces paroles, in quantum scire et posse Deus mihi donaverit, et dans un autre formulaire de fidélité, qui est dans les Capitulaires de Charles le Chauve page 117. on lit ces mots, fecundum meum savirum.

Raoul et ses Capitaines ayant fait durant toute leur vie un continuel exercice des armes, ne devoient pas être apparemment de grands legislateurs, cependant le bel ordre de leur Etat dés son premier établissement, la sagesse de leur Police, l’équité de leurs Loix, et leur pieté en la Religion Chrêtienne firent bien connoître, que ce n’étoit pas une troupe ramassée de Pirates desesperez, comme les Moynes de ces siecles-là nous les ont dépeints, il les faut excuser parce qu’alors ils voyoient encore leurs cloîtres fumans, par les feux que les Normans y avoient allumez ; mais au contraire cela prouve que les vertus politiques n’éclatoient pas moins en eux que les militaires.

Aussi entre celles de nos Coûtumes, qui passent pour les premieres et dont on peut conjecturer, que Raoul fut l’Autheur, on y remarque une prudence, et une Justice qui les éleva infiniment au dessus des Loix Saliques, Ripuaires, Baioares, &c. il en faut seulement excepter celle des Wisigoths, qui avoit emprunté toutes les belles lumières de la Jurisprudence Romaine.

Il n’y a pas d’apparence que Raoul eût appris ou apporté de Dannemarc toutes les Loix qu’il établit en Normandie ; comme il reünissoit deux peuples en un, il les rendit conformes aux moeurs et au génie de l’un et de l’autre, afin d’en rendre l’observation plus volontaire et plus durable.

Elles furent donc composées de quelques Coûtumes de Dannemarc et de quelques Loix Françoises : et sans doute les Normans n’apporterent pas des Loix écrites de Dannemarc, car l’Histoire de ce païs-là compte pour leurs premiers Legiflateurs leurs Rois Waldemar premier et second du nom, dont le premier publia les Loix Schoniques et Sialandiques ( Scanicas et Siaandicas ) en l’année 1163. et le dernier ne publia les Loix Cimbriques qu’en l’an 1240. et ces Loix étoient tirées en la meilleure partie ex speculo juris Saxonici, qui est le plus ancien Original du droit d’Allemagne,Conring . c. 4. et qui ne fut écrit neanmoins et compilé suivant l’o-pinion des plus Doctes, que vers l’an 1220. et c’est pourquoy Conringius refute avec raisonAndreas Bureus , qui a écrit que les Loix des Wisigoths tiroient leur premiere origine de celle des Goths. Et qu’autrefois dans la Suede chaque Province avoit ses Loix particulières, et ses Legislateurs differens. Mais Bureus auroit de la peine à persuader que quand les Goths sortirent de leur païs là premiere fois ils eussent quelques Loix rédigées par écrit ; car avant Gulphula les caracteres Runiques n’étoient pas encore en usage parmi les peuples du Nort. Or ce Gulphula étoit Evesque des Goths du temps de l’Empereur Valens.Conring . ibidem.

Il n’est pas possible toutefois, de parler avec certitude de toutes les Coûtumes qui furent établies par Raoul, ni d’asseurer si alors elles furent mises par écrit, ni de marquer certainement le temps où elles ont commencé d’être écrites, et sans doute elles n’étoient pas en grand nombre, comme ils ne commençoient qu’à posseder leurs terres, ils n’étoient pas encore en état de faire tous les reglemens, ou pour me servir de l’ancien mot, tous les établissements necessaires, pour regler l’ordre des successions, le partage des biens, les droits des femmes, et toutes les autres actions de la société civile.

Mais on ne peut douter aprés les exemples que l’Histoire nous en fournit, que Raoul n’ait établi des peines fort severes contre le larcin, et contre les perturbateurs du repos public ; ce crime étoit fort ordinaire parmy tous les peuples du Nort. Les soldats accoûtumez au pillage oublioient difficilement leurs vieilles habitudes. Dans la Loy Salique qui n’est pas fort ample suivant l’impression deHeroldus , il y a pour le moins treize titres, qui traitent des peines contre les larrons.

Ce fut un des plus grands soins de Raoul d’empescher ce desordre, ce qu’il ne pouvoit executer qu’en punissant severement le larcin ; ses soins, et ses ordres luy reüssirent fort heureusement, et chacun sçait ce que nos Chroniques ont écrit de luy sur ce sujet.

Nous apprenons par cette méme Histoire que l’usage de la preuve par le feu fut authorisée par Raoul, puisqu’on l’a pratiqua avec toute la rigueur possible, pour avoir connoissance du larcin dont un Païsan fut accusé. Qnand quelqu’un étoit suspect, ou accusé de quelque crime, et qu’il ne pouvoit être convaincu par témoins, on avoit recours à ces preuves extraordinaires, étant persuadez que Dieu manifestoit la vérité, comme autrefois parmy les Juifs, par Lurim et Thumim. Mos erat ad Judicium Dei compellere, ut ex ejus eventu condemnaretur aut liberaretur. Ut rei, judicio Dei credant absque dubitatione. Ces preuves se faisoient en quatre manières ; par le duel, par le fer chaud, par l’eau boüillante ou froide, ou par la croix. Il est étrange que ce mauvais usage ait non seulement duré, mais qu’il ait même été approuvé par des Princes Chrétiens, et que pour cet effet on se soit servi des foudres, des mysteres et des prieres de l’Eglise. On peut apprendre la manière de ces exorcismes, par les formules qui en sont rapportées dans le Glossaire qui est à la fin des Capitulaires de Charlemagne, de l’Edithion dePithou , in verbo aequae ferventis. Et d’Agobardus dans le Livre qu’il a composé conctre cet usage, qui fut enfin aboli par les Lois Ecclesiastiques et civiles. Le duel étoit la manière la plus ordinaire de décider les questions tant civiles que criminelles, et il ne faut pas s’étonner, que des peuples dont l’inclination étoit toute militaire, ne connussent point d’autres moyens pour vuider leurs differens, que par la voye des armes : on ne peut neanmoins imputer aux Normans cette manière barbare de rendre la justice, elle leur fut apprise par les François ; Et quoy que ces combats eussent été défendus dés l’An 855. par un Concile tenu à Valence, ils ont duré long-temps depuis ; et cela se prariquoit encore en Angleterre fous le regne de Henry Il. On peut voir dans Glanville l. 2. c. 3. les cérémonies qu’il falloir garder, et de quelle manière le combat se faisoit. Cet Autheur a remarqué qu’en ce temps-là le défendeur pouvoit le refuser et demander son renvoy à l’Assise, in electione ipfius tenentis erit, se versus petentem defendere per duellum, vel ponere se inde in magnam Assisam Regis. Voyez aussi Pasquier en ses recherches l. 4 c. 1. L’action en Haro commença aussi dés le temps de ce Prince, quoy que peut-être dans la suite on l’ait plus étenduë.

La manière de succeder et de partager les biens, soit à l’égard des heritiers, ou des femmes, fut introduite, presque conforme à celle que nous gardons encore aujourd’huy.

Les filles étoient excluses des droits successifs tant qu’il y avoit des mâles, soit que les Normans eussent retenu cet usage des Neustriens qui gardoient la Loy Salique, comme ils en conserverent encore beaucoup d’autres, ou que tous les peuples du Nord eussent une conformité de génie. Le pouvoir de reserver ou de rappeler les filles à la succession fe pratiquoit aussi en ce temps-là par les François, et par consequent par les Neustriens ; comme je le remarqueray sur les Articles qui traitent de cette matière.

L’institution d’heritier n’avoit point aussi de lieu, parce que comme ditGlanville , 1. 7. c. 1. solus Deus heredem facere potest, non homo, on ne pouvoit aussi donner de son fonds à un de ses enfans plus qu’à l’autre pour les biens que nous appelons Roture, demeurant neanmoins le principal manoir à l’aisné : ibid. Entre filles la succession se partageoit également, soit que ce fussent des héritages Nobles ou Roturiers.

La femme avoit le doüaire sur les biens de son mary, qui consistoit au tiers que le mary possedoit lors des épousailles, elle avoir aussi le tiers aux acquests, ce qui étoit ordonné auparavant par les Capitulaires de Charlemagne l. 4. c. 9.

La différence, entre les biens propres, fiefs, et acquests ; inter alodum, beneficium & comparata, est de ce même temps, et sans doute les Normans qui étoient d’un esprit fort provide embrassoient volontiers toutes les Coûtumes des Neustriens, qui conservoient les biens dans les familles.

On peut encore mettre dans le nombre de nos Coûtumes aussi anciennes que celles du Duc Raoul, plusieurs autres dispositions. Pour la preuve de leur antiquité, ce ne seroit peut-être pas assez d’alleguer le vieil Coûtumier, parce que n’ayant pas été rédigé par écrit dans ces siecles-là, il ne seroit pas une pleine foy : car depuis le Duc Raoul, jusqu’au temps de l’Auteur du vieil Coûtumier, il s’est écoulé plusieurs siecles. Ainsi il ne seroit pas impossible que plusieurs nouveaux Usages se fussent établis avec le temps, par les changemens arrivez dans le Gouvernement.

Nos anciennes Loix qui furent portées en Angleterre par Guillaume le Conquérant nous en fourniront plus d’éclaircissement ; les Anglois les ont conservées sans alteration, et l’Histoire ne nous marquant point que les autres Ducs de Normandie ayent fait de nouvelles Loix, il est vraysemblable que ces Coûtumes que Guillaume fit recevoir aux Anglois étoient les mêmes, au moins en la meilleure partie que celles qui avoient été établies par Raoul. Ainsi tout ce que nous observons maintenant, qui se trouve conforme à l’ancienne Coûtume d’Angleterre, peut être con-déré comme le premier droit des Normans.

Quoy qu’il en soit, le gouvernement et la Police d’un Etat ne se forme pas tout d’un coup, et souvent les plus sages Legislateurs selon l’exigence des cas, et la necessité des temps, sont forcez de revoquer leurs premieres Loix. Nulla lex neque senatusconsultum, in Repub. Romanâ visum est ad omnia ab initio sufficienter prolatum, sed multâ indigent correctione, ut ad naturae varietatem, & hominum machinationes sufficiat. Aussi nôtre Coûtume a eu ses âges et ses progrez : le temps les a polies, l’experience y a fait changer des choses, pour les rendre plus équitables ; et par le consentement tacite des peuples, on a introduit et autthorisé de nouveaux Usages.

C’est de cette maniere que nôtre Coûtume a été composée : nous n’avons presque rien emprunté de la Loy Romaine, et nôtre Droit y a fort peu de conformité. Elle est née parmy nous, et quoy que nous ayons conservé beaucoup de choses, qui se pratiquoient par les Neustriens, nous pouvons les reputer nôtres à cause du mélange et de l’union qui se faisoit de ces deux peuples.

Elle s’est augmentée par les Ordonnances de nos Rois, et par les Arrests de l’Echiquicr et du Parlement.

Il peut bien être aussi que par la conquête de l’Angleterre et par l’union de ces deux Etats sous un même Prince, nous avons pû emprunter quelque chose des Anglois, et il y a apparence que nous tenons d’eux le droit de garde-Noble : et il peut être encore que ce droit de viduité que nôtre Coûtume donne au mary est Anglois de son origine : Lithleton qui appelle ce droit la courtoisie d’An-gleterre, dit qu’il n’est en usage en aucun autre Royaume, fors qu’en Angleterre.

L’Auteur de la Préface sur le style de proceder qui se trouve à la fin de l’ancien Coûtumier pour acquerir plus d’estime et de veneration à nos Loix, a dit que les Coûtumes qui sont contenuës dans le Livre appelé communément la Coûtume de Normandie, y étoient observées de toute ancienneté, et avant que la Duché fût baillée par le Roy Charles le Simple au Duc Raoul : mais cela ne peut être vray que pour quelques Articles, et non pour tous ; car soit que dans la Neustrie l’on suivit la Loy Romaine, ou que l’on y observast la Loy Salique et les Capitulaires des Rois de France, nos Coûtumes ne peuvent être de cette antiquité-là, puisqu’elles n’ont presque point de conformité, ni avec le droit Romain, ni avec les Capitulaires. Roüillé dans sa Preface a écrit qu’Edoüard Roy d’Angleterre, surnommé le Saint, a fait la Coûtume de Normandie, et d’Angleterre, et la preuve qu’il en apporte, est la conformité qui se remarque entre ces Coûtumes-là, mais la raison de cette conformité procede d’ailleurs. Edoüard n’avoit point le pouvoir et l’authorité de donner des Loix aux Normans.

On ne peut parler avec certitude du temps où nos Coûtumes ont été rédigées par écrit pour la premiere fois. Il semble neanmoins que cela doit avoir été fait avant Guillaume le Conquérant, car au rapport de nos Historiens ce Prince aprés sa conquête voulant repasser en Normandie abrogea, comme pour une marque de sa Victoire, une grande partie des Loix Angloises, et introduisit en leur place d’autres Coûtumes, confirma celle de Normandie, tant pour la langue que pour les matieres, et il voulut que les causes se plaidassent en langue Normande, ce qui fut continué jusqu’au temps d’Edoüard III. et en l’an 1361. le Parlement d’Angleterre qui se tint à Westmunster ordonna que les Juges, Plaideurs, Avocats, Procureurs, et Commissaires, n’useroient plus de ce langage, et que tous les Actes de Justice, Plaidoyers, et Jugemens, seroient écrits en langue Angloise.

Cependant nous n’avons aucun recueil de nos Coûtumes qui ait été fait de ce temps-là. Ce livre que nous appelons la vieille Coûtume, et qui a été commenté parle Roüillé , a été composé depuis S. Louis. Car il fait mention de ce Prince dans le titre de Justiciement, en ces termes ; et pource le noble Roy Loüis qui fut le second aprés le Roy Philippe, &c. ce Roy Philippe étoit Philippe Auguste, et S. Loüis étoit son petit fils, ainsi le vieil Coûtumier ne fut pour le plûtost redigé par écrit que sous Philippe le Hardi.

Les Loix publiées en Angleterre par Guillaume le Conquérant, ont été recueillies et commentées par Lithleton depuis le regne de Richard I. qui commença à régner en l’an 1189. Glanville avoit publié ses Formules en l’an 1154. sous le nom de Loix d’Angleterre, par l’ordre d’Edoüard I. qui fut le Justinien et le grand Législateur des Anglois environ l’an 1270. et ce qui persuade que ces Loix n’étoient point différentes de nôtre ancienne Coûtume, est qu’elles sont écrites en vieil langage Normand, et qu’elles sont conformes en beaucoup de choses à nôtre Coû-tume. Et il n’est pas étrange que dans l’espace de trois cens ans il y soit arrivé beaucoup de changemens, surtout depuis le retour de la Normandie à la Couronne. Et d’ailleurs le Duc Guillaume n’avoit pas entièrement aboli les Loix d’Angleterre.

Le Roüillé ou celuy qui a écrit la Preface sur l’ancien style de proceder, estime que Philippe Auguste aprés avoir repris 1a Normandie sur les Anglois, s’informa des Coûtumes du païs, et qu’il fît écrire et mettre en plus bel ordre le Livre Coûtumier qu’il n’étoit auparavant : ce Livre ne paroist point, et il n’y a pas même d’apparence qu’il ait été fait par Philippe Auguste.

Il est vray que ce Prince aprés sa conquête confirma les anciennes Coûtumes de Normandie, à la réserve, ditGuillaume Brito , de ce qui étoit contraire aux anciens Canons, dont il cite un exemple en ces vers, l. 8. Philippi.

Moris enim extiterat apud illos hactenus, ut si Appellans victus in causâ sanguinis esset Sex solidos decies cum nummo solveret unos Et sic impunis omissâ lege maneret.

Quod si appellatum vinci contingeret, omni Re privaretur & turpi morte periret.

Injustum justus, hoc justè Rex revocavit, Reque pares Francis Romanos fecit in istâ.

Ce qui est conforme à un Ecrit fait par les Religieux de l’Abbaye de S. Oüen, pour prouver qu’ils n’étoient point sujets à financer pour leurs Fiefs, rapporté dans l’Histoire de cette Abbaye, où il est dit que le Duché de Normandie est gouverné par Coûtume, et en a plusieurs Coûtumes qui furent faites au temps des Ducs de Normandie, confirmées et corrigées du Roy Philippe.

Mais outre que ces Coûtumes écrites, avant et au temps de Philippe Auguste, ne paroissoient point, voicy deux preuves qui semblent fortes, pour montrer qu’il n’y en avoit point, ou qu’elles avoient été perduës par l’injure du temps.

Quand Philippe Auguste voulut connoître les droits appartenans aux Ducs de Normandie, il assembla les Barons du païs pour en être informé par eux, ce qui n’eust pas été nécessaire si les Coûtumes eussent été rédigées par écrit, les droits du Duc y eussent été employez, comme nous les trouvons dans nôtre ancien Coûtumier.

L’Auteur de cet ancien Coûtumier dans son premier Prologue dit ces paroles, parce que les Loix et les établissemens que les Princes de Normandie établirent par grande pourvoyance et par le conseil des Prelats, des Barons, et des autres sages Hommes qui n’étoient pas encore arrêtez en cer-tains sieges, ains failloient par diverses langues, si que nulle mémoire n’étoit des anciens, mais étoient ainsi comme en oubly, j’essayeray pour le commun profit à les rappeler et à les éclaircir.

Cet Auteur qui n’écrivoit pas long-temps aprés Philippe Auguste n’auroit pas parlé en cette manière, si ce Prince eut fait écrire en plus bel ordre le Livre des Coûtumes, et elles n’auroient pû tomber si-tost dans l’oubly. La Charte ou le Conseil que l’Auteur de la Preface cite pour prouver qu’il avoit fait mettre les Coûtumes en plus bel ordre, n’en fait aucune mention, elle parle seulement du Bref de Patronnage.

Aussi Maître Pierre des Fontaines qui étoit Maître des Requêtes du Roy S. Louis, dans la Preface du Livre premier de la Reyne Blanche, se vante qu’il est le premier qui a rédigé par écrit les Usages et Coûtumes de la France, et notamment du païs de Vermandois dont il étoit originaire, et celles de Normandie. Brodeau en sa Preface sur la Coûtume de Paris.

On lit dans Eginard que Charlemagne entreprit de faire rédiger par écrit, toutes les Coûtumes reçûës dans l’etenduë de son Empire. Ce dessein n’eût point de succez, et quand il auroit été executé, nôtre Coûtume n’eûr pû y être comprise, puisqu’alors les Normans étoient encore cachez dans les glaces du Nort. Aussi la premiere reduction des Coûtumes de France par autorité pu-blique fut faite en consequence de l’Ordonnance de Charles VII. de l’an 1454. et en l’année 1577. aux Etats de Blois la Noblesse de France demanda la reformation des Coûtumes, ce qui fut executé pour la nôtre en 1583.

Voila comment nos anciennes Coûtumes ont été composées, et qu’elles sont parvenues jusqu’à nous.

Nôtre Coûtume a cet avantage sur toutes celles de la France, que son pouvoir et son étenduë n’ont pas été renfermez dans les limites de cette Province, la generosité de ses habitans, leurs victoires et leurs conquêtes l’ont renduë célèbre par toute la terre. Ils l’ont fait dominer dans les Royaumes d’Angleterre, de Naples et de Sicile, et malgré les changemens et la vicissitude continuelle des choses du monde, elle y subsiste encore aujourd’huy en quelque façon.

Les Coûtumes de France n’ont pas une origine si ancienne, elles ont un même principe que la souveraineté des Ducs et des Comtes : Ceux-cy sur le déclin de la postérité de Charlemagne s’étant rendus perpétuels, et héréditaires, et usurpans en même temps la souveraineté, non seulement ils firent rendre par leurs Officiers la Justice, qu’ils exerçoient auparavant en personne ; mais aussi pour s’attribuer toutes les marques de la souveraineté, ils établirent chacun dans leurs Provinces de nouvelles Coûtumes, dont les peuples désirerent si fort la conservation, que quand le Guastinois retourna à la Couronne sous Philippe I. les habitans de ce païs-là ne donnerent leur consentement à la donation que leur Comte Fouques en avoit faite au Roy, qu’aprés une asseurance de maintenir leurs Coûtumes.Aimon . l. 8. Hist. c. 47. Rex autem juravit se servaturum consuetudines terra illius, aliter enim nolebant milites et facere hominia sua.Dadin de Alta serra , de Ducibus et Com. prov. l. 2. c. 3. mais cet Auteur n’a pas raison de revoquer en doute, an eodem jure, an injuriâ, Duces Normannorum suas Consuetudines vice legum prodiderunt : puisque la Normandie leur avoit été cédée par un Traité solemnel, en toute souveraineté, à la réserve de l’hommage.

La Coûtume ne définit point ce que c’est que Jurisdiction : l’ancienne Coûtume dit que Jurisdiction est la dignité qu’aucun a, pource qu’il ait pouvoir de faire droit des plaintes qui sont faites par devers luy ; mais toutes les Coûtumes de France usent de ce mot de Jurisdiction, pro omni notione que magistratus jure competit, vel cognitione, pronuntiatione, decreto in quacumque causâ sive sit civilis, sive criminalis : Argen. Ad rubr. Des Justices. La Nouvelle nous apprend d’abord la qualité des Juges, leur pouvoir et leur compétence ; et par cette méthode nos Législateurs ont fait paroître beaucoup de prudence, ils ont évité ces grandes questions si disputées entre les Docteurs du droit civil, et si difficiles à comprendre, quid sit merum ; mixtum imperium, et jurisdictio : vix est, ditMr Cujas , ut consentiant in definitione eorum, que sunt meri, mixti imperii, et juristidcio ; quidve in altâ, seu supremâ, mediâ vel inferiori jurisdictione sit annumerandum, quoy que tous conviennent de la définition de la Jurisdiction, ut sit potestas de publico introducta, cum necessitate juris dicendi, vel aequitatis staaeuendae. Neanmoins quand ils veulent expliquer ce qui appartient au merum imperium, ce qui convient ad mixtum imperium, et ce que c’est que Jurisdictio, leurs sentimens sont tout à fait opposés.Cujac . Ad l. 1. et 3. de Jurisdictione ; et lib. 21. cap. 30 observat. Goveanus l. 2 de Jurisdictione ad l. 3. Duar. de Jurisd. cap. 1. Gregor. Tolosa Syntag. l. 47. c. 21. Loyseau Des Offices l. 1. c. 6. et generalement tous les Docteurs sur la Loy imperium ff. de Jurisdictione.

Nos Praticiens ne sont pas moins embarrassés sur la définition et la distinction de la haute, moyenne, et basse Justice. Coquille sur la Coûtume de Nivernois ; Tit. des Justices, art. 14. dit que c’est une erreur de vouloir fonder la moyenne Justice sur le mixtum imperium du droit civil, où il n’y avoit que deux chefs de Justice, merum imperium et Jurisdictio.

Loyseau en sa Preface des Seigneuries, nous apprend que dans cette grande assemblée, qui fût faite pour la réforme de la Coûtume de Paris, où les Jurisconsultes François les plus celebres furent appelés ; quoy que d’abord on eût ébauché quelques Articles touchant les Justices, on n’osa les proposer à cette Assemblée, de peur d’émouvoir autant de procez et de reglemens, qu’il y avoit de Justices dans la Prevôté de Paris ; tant il est vray que les droits et les differences de toutes ces espèces de Justices, sont sans raison et sans fondement. Et en effet dans la Coûtume de Paris il ne se trouve point de titre de Jurisdiction.

Sans s’arrêter donc à donner des regles et des définitions generales, il est plus juste de s’attacher aux Usages et aux Coûtumes de chaque Province : Et un Auteut a fort bien dit, Jurisconsultos uti verbo moris & consuetudinis, ut commonstrent Jurisdictionum jura, maximè ad possessionem, modumque utendi referri oportere :Mornac . Ad l. more majorum ff. de Jurisd. La Coûtume de Bourges commence le titre des Justices et des Jurisdictions par ces paroles, selon l’usage ancien, et la commune observance : Consuetudo dat jurisdictionem ordinariam, dit Monsieur Boyer, ce qui est confirmé par les Docteurs ; apud quos reperies, per quos actus acquiratur Jurisdictio.

Par l’ancienne Coûtume il y avoit deux sortes de Jurisdictions, l’une Baillée, et l’autre Fieffale ; Elle appelloit Fieffale ; celle qu’on avoit à raison de son Fief, c’étoit la justice aux Barons. La Jurisdiction Baillée, celle qui étoit baillée par le Prince, comme du Baillif. Dans la nouvelle Coûtume il y a deux Justices ordinaires, l’une Royale, et l’autre Seigneuriale : La Royale est par-tagée entre le Vicomte et le Baillif, et leurs compétences sont nettement distinguées en ce titre.

La Jurisdiction seigneuriale est divisée en haute et basse Justice ; la Coûtume regle aussi en ce titre la fonction des unes et des autres.

Tous ces Juges ayans leur competence reglée, on peut douter si les particuliers ont la liberté de se choisir des juges et de proroger la Jurisdiction.

La Prorogation est approuvée par le droit civil, l. 1. de Judic. l. si convenerit, de Jurisd. om.

Jud. et tous les interpretes du droit conviennent que la Prorogation se peut faire in simili foro, non in dissimili, ut de seculari in Ecclesiasticum, et è contra.Loyseau , des Offices, l. 1. chap. 6. n. 86.

sur l Art. 11. n. 3. et Art. 44. not. 1. n. 18. de l Monsieur d’Argentré ancienne Coûtume de Bretagne, cum prorogari Jurisdictionem dicimus, intelligimus similem et quae prorogatur.

Nous en trouvons Art. exprés dans l’ancienne Coûtume de Bretagne Art. 11 et en la nouvelle, Art. 10 pourront toutes personnes se soûmettre à la Jurisdiction du Juge au dedans du détroit duquel ils ne sont demeurans, ni justiciables par prorogation ; et par soûmission expresse ; mais on a douté en consequence de cet Article, si on pouvoit proroger pour toutes causes, pour les réelles, comme pour les personnelles. Cette question a été décidée par un Arrest de ce Parlement, donné sur un Procez évoqué du Parlement de Rennes, entre Monsieur Maître Jean de la Touche, Seigneur de Querolan, Conseiller du Roy et Commissaire aux Requêtes du Palais du Parlement de Rennes, appelant comme de Juge incompetent, de la saisie et adjudication de la Terre de Lansquel par devant le Presidial de Rennes ; et Dame Jeanne Pelagie le Fauché, séparée civilement d’avec Sebastien de la Touche, Sieur de Lansquel son mary, intimé.

Monsieur de Querolan avoit vendu la Terre de Lansquel à Sebastien de la Touche, son frère.

Le Contract portoit une prorogation de Jurisdiction volontaire devant le Presidial de Rennes.

Monsieur de Querolan soûtenoit que le décret se devoitiaire en la Jurisdiction de l’Argonnet à Vannes, dans le district de laquelle cette terre êtoit située, et il s’appuyoit sur l’Art. 9. de la Coûtume de Bretagne, suivant lequel en actions pures, réelles, le Seigneur ou son Juge est competent pour toutes les terres ou heritages qui sont en son district ; et pour la prorogation de Jurisdiction, il répondoit qu’elle ne pouvoit avoir lieu que pour les actions personnelles, suivant le sentiment deMonsieur d’Argentré , sur l’Art. 11. de l’ancienne Coûtume, in rebus soli prorogari nequibat ; et pour prouver que c’étoit l’usage de Bretagne, il produisoit quantité d’actes de Notorieté et quelques Arrests, qu’il prétendoit l’avoir jugé de la sorte.

Je répondois pour la Dame de Lansquel, que l’on ne pouvoit pas dire que cette prorogation de Jurisdiction ne fût pas valable, puisqu’elle êtoit permise par l’ancienne et par la nouvelle Coûtume de Bretagne : l’Article 10. de la nouvelle contient, que toutes personnes peuvent se soûmettre à la Jurisdiction du juge dans le district duquel ils ne sont demeurans ni justiciables par prorogation et soûmission expresse ; cet Article qui suit immédiatement celuy dont Monsieur de Querolan veut s’aider en est une exception, et comme le précedent parloit des actions purement réelles, si la prorogation de Jurisdiction, qui est approuvée par l’Article suivant n’eut été permise que pour les actions personnelles, on n’auroit pas manqué à l’exprimer, vû les grandes oppositions qui furent formées contre cet Article par les Evefques de Bretagne, qui avoient des Justices de grande étenduë ; tous les Seigneurs qui avoient des Justices faisoient valoir cette raison qui a tant de vogue parmy nous, que les Jurisdictions sont patrimoniales, et que par conséquent on ne pouvoit proroger la Jurisdiction au préjudice des Seigneurs. Monsieur d’Argentré leur fit connoître que cette regle ne pouvoit être gardée que pour les causes féodales in quibus de feudo contro verteretur, et qu’au surplus latitudo voluntatis contrahentium impediri non debet, propter nimiam subtilitatem juris, aut praetextu Jurisdictionalium emolumentorum ; l. si convenerit. De Jurisdict. Il est vray que cet Auteur avoit dit que in rebus soli prorogari nequibat, mais en même temps il avoit ajoûté ces mots, quanquam audio contra judicatum, et qu’en effet l’ufage êtoit justifié par les Certificats des plus celebres Avocats du Parlement, et par plusieurs Arrests qui avoient décidé cette question. Par Arrest en la Grand-Chambre, du 2 d’Aoust 1673. au Rapport de Monsieur Fauvel, la Cour mit l’appellation au neant des saisies réelles et adjudication.

En Normandie on n’approuve point cette prorogation volontaire de Jurisdiction, et l’on fait valoir exactement cette règle que les Jurisdictions sont patrimoniales, parce que par cette prorogation le Roy ou les Seigneurs seroient privez des fruits civils, mulctis caeterisq ; fructibus civilibus, ad Dominum pertinentibus fieret praejudicium invito. Eguin. Baro. l. 4 c. 1. de jure benef. Vix est, dit un Auteur, ut quod adversus beneficii legem fit, infirmari tolliq ; non possit ; nam cliens ob praediù dominicae Jurisdictioni est obnoxius.

Ce raisonnement neanmoins semble n’être concluant que pour les causes réelles ; auffi Bartole in l. 1. V. et post operis ff. de op. nov. nunciat. avoit fait cette distinction, ut scilicet, Jurisdictioni subjectif ob vectigales fundos, et jure patrocinii constrictos, in vito Domino nequeant in alium judicem consentire. Possint autem ii, qui neque clientes sunt, neque obnoxia praedia possident.

Mais aujourd’huy, ditLoyseau , des Seig. cap. 14. n. 15. l’on observe que les sujets de la Justice primitive du Roy, ne peuvent proroger la Jurisdiction en autre Cour que la Royale, non pas même par un domicile contractuel, qui n’a son effet que pour les exploits et significations, et non point pour transférer la Jurisdiction, encore que par cette prorogation le Roy ne puisse rien perdre, mais parce que les Jurifdictions sont reglées et limitées, les particuliers n’y peuvent déroger, et nous gardons en France le c. si diligenti. Extra de foro competenti : Et non point la loy, si quus in conscribendo. C. de Epis et clerc. On peut fonder la différence de nôtre Usage avec le droit Romain, sur cette raison que la prorogation de Jurisdiction ne faisoit aucun préjudice aux Magistrats Romains, par ce qu’ils ne tiroient aucun profit des procez qui se poursuivoient devant eux. l. 1. c de offic ae praes. Praetorio. l. plebisc. ff. de offic. praes. Et c’est pourquoy, quand les parties êtoient d’accord, le Gouverneur d’une Province pouvoit juger en vertu de cette prorogation, vel invito unius proviaeciae praeside alaeerius praeses consensu rei adiri poterat qui communem reorum utilitatem suo unius incommodo renuntiabat l. si quis c. de pact.

Eguiner. Bar. l. 4 c. 1. Au contraire êtant permis à nos Juges de prendre des Rapports, et de se faire payer de leurs vacations par les parties ; on ne souffre point aux particuliers de se soustraire de la Jurisdiction de leurs Juges naturels. C’est aussi nôtre usage, et le Juge peut vendiquer son justiciable.

Il est vray neanmoins que suivant l’avis deCoquille , l’on a trop étendu cette regle, que les Jurisdictions sont patrimoniales, il semble injuste que pour l’interest pecuniaire des Juges, ceux qui plaident, soient privés de la liberté de pouvoir convenir d’une Jurisdiction qui leur soit plus commode. Le Droit civil en ce point est plus équitable, et c’est aussi le sentiment deMonsieur d’Argentré , que sine judicio & parum expensâ ratione traditur indefinitè jurisdictionem alienam in praejudicium Domini prorogari non posse. Cela est juste dans les matières réelles et feodales, propter feudi conditionem ex lege infeudationis : Mais cette raison cesse pour les actions personnelles, Et quae à personâ maximè dependent. Nam ex alieno dissidio quisquam non rationabiliter captat praedam. On devoit donc laisser en la liberté des Parties de convenir d’une Jurisdiction : voyez Faber sur la l. si qui C, de Episc.

audientiâ. Guido Papae decis. 275. sed alio jure utimur. Le sieur de la Luzerne Brevant, en achetant la terre de Mandeville du sieur d’Emeri Dorcher, avoit stipulé que pour les differens qui pourroient naître en execution de leur contract, ils se soûmettoient à la Jurisdiction du Juge de Bayeux. Le sieur Dorcher étant appelé pour garantir quelque terre dont la proprieté étoit disputée au sieur de Brevant, il demanda son renvoy devant le Juge de son domicile ; sur son appel du déni de renvoy, Durand son Avocat s’aidoit de ces raisons, que la prorogation de Jurisdiction ne se peut faire en Normandie, et que les Juridictions sont patrimoniales : de Cahagnes répondoit pour le sieur de Brevant, que la stipulation portée par son contract ne devoir point luy être inutile, et qu’étant question d’une garantie prétenduë pour un fonds, c étoit une action réelle, pat Arrest du 23. de Juillet 1676. en en l’Audience de la Grand-Chambre la Sentence fut confirmée.

C’est une question importante, sçavoir si les Ecclesiastiques au prejudice de leur caractère peuvent proroger la Jurisdiction et renoncer à leur privilège : car comme les sujets du Roy ne peuvent se soustraire de sa Justice pour se soûmettre à celle de l’Eglise, aussi les Ecclesiastiques ne peuvent proroger la Jurisdiction laïque, c’est l’opinion de Fevret fondée sur le c. si diligenti extra de foro competenti. Monsieur Cujas au contraire prétend qu’il faut entendre ce chapitre d’une simple renonciation, privilegio fori, mais qu’il n’a point de lieü, quand en chose civil et pécuniaire l’Eccle-siastique convient par un contract de plaider en la Cour seculiere, en ce cas cette renonciation fait partie du contract, elle ne blesse point le droit public ; et ne donne aucune atteinte au privilege qui qui est acquis toti ordini. Et Mornac sur la 1. si quis in conscribdeno 29. C. de pactis, dit, que tandem itum est ab omnibus in eam sententiam, ut si de crimine agatur, renunciare non possit clericus cleri privilegio, cùm dedecus ex eo inferatur ordini in cujus gratiam privilegium inductum est ; in civili autem negotio secus. Duaren ad l. si convenerit, de jurisd. est d’avis contraire, non potest nec tacitè, nec expressè expressè clericus in cauâ civili vel criminali privilegio clericali renunciare, et ista est communis sententia Doctorum,Boer . Coûtume de Bourg, Tit. 2.. Touchant l’établissement et le progrez de la Jurisdiction con-tentieuse des Ecclesiastiques, voyez Févret l. 4. c. 10. de l’Abus.Argentré , Coûtume de Bretagne, art. 44. touchant les entreprises de la Jurisdiction Ecclesiastique. Loyseau des Seig. c 15. n. 41. La Coûtume de Bretagne Tit. des Justices, contient plusieurs Articles touchant la competence des Jurisdictions seculieres et Ecclesiastiques, et même des personnes Ecclesiastiques.

Les Juges subalternes ne peuvent deleguer ny donner des Juges ; ils peuvent bien adresser une commission rogatoire à un autre Juge hors de leur ressort, pour quelque instruction de la cause dont ils retiennent la connoissance, et lors qu’ils sont récusez, et qu’il faut renvoyer les parties en un autre siege, ils n’ont pas le pouvoir de le faire, non pas même du consentement des parties ; mais ils doivent renvoyer les parties au Parlement, qui seul a l’autorité de donner des Juges par les Ordonnances. Les Ecoliers étudians aux Universitez peuvent évoquer leurs causes personnelles devant les conservateurs de leurs privileges : là-dessus cette question s’ofrit en l’Audience de la Grand-Chambre, si le tuteur d’un mineur étudiant à Caen pouvoit évoquer au nom du mineur, le tuteur proposoit, que s’agissant de l’interest du mineur on ne pouvoit luy empescher son privilege, la personne du tuteur n’étant point considerée ; autrement ce seroit aneantir entierement leur privilege, n’y ayant presque plus d’écoliers qui ne soient mineurs : on disoit au contraire que ce privilege ne leur avoit été accordé que pour empefcher qu’ils ne fussent distraits de leurs études, mais ceux qui étoient mineurs ne pouvant agir de leur chef, ni sister en Jugement que sous l’autorité de leurs tuteurs, puisque par ce moyen ils n’étoient point distraits de leurs études, et que la cause du privilège cessoit, il n’y avoit point de lieu de la leur accorder, qu’en tous cas ils ne pourroient s’en aider que dans les causes où leur presence étoit necessaire, comme és matières beneficiales ; sur l’appel du tuteur de la rétention, jugée par le Vicomte de S. sauveur Lendelin, la Cour mit les parties hors de Cour, le 4. de Juin 1649. plaidant Pilastre et Heroüet.

Bien que le juge Royal soit toûjours comptetent, il ne s’ensuit pas qu’il puisse prévenir le HautJusticier pour les matieres qui sont de sa competence, ni qu’il puisse pretendre un droit de de-volution fondé sur sa negligence ; car à proprement parler, la prevention ne peut avoir lieu qu’entre des Juges qui ont une puissance égale, l. si pluribus civibus, cum ibi notatis, per doctores de legatis primo :Boer . Coûtume de Bourges, Tit. 2. V. 3. on trouve neanmoins une Ordonnance de Charles VI. rapportée par Aufrerius dans le stile de Parlement, Tit. de Bailliage, par laquelle, Jurisdictio inferioris ad superiorem de volvitur ex negligentiâ, et c’est aussi la disposition de l’art. 31. de l’ancienne Coûtume de Bretagne, mais du Moulin a fort bien prouvé le contraire. De feudis §. 2. g. n. 11. et n. 12.

Le Juge competent peut être recusé pour causes justes et valables, ad l. 10. de Jurisd. Duaren étoit de cette opinion, qu’à Rome les Magistrats ne pouvoient être recusez, et que toutes les Loix qui parlent des recusations des Juges ne s’entendent, que de Judice dato, parce que la grandeur Romaine ne pouvoit souffir que ces Magistrats fussent recusez. Mais Monsieur Cujas a écrit le contraire, qu’il étoit bien vray que les Magistrats ne jugeoient pas eux-mêmes, l. 9. observ. c. 23. sed ubi extra ordinem judicant, non dubium est quin recusari possint, Nov. 96. vel collegram sive sundikasten accipere, Nov. 13. et 86.

Ces deux Docteurs conviennent que les Juges donnez par les Magistrats pouvoient être recusez aisément, olim, ditMonsieur Cujas , ibid. rejectio, sive recusatio, vel ut est in veterum glossis MOTGREC MOTGREC MOTGREC fiebat statim post sortitionem, ante litem contestatam, vel his verbis, hunc nolo ; licet exclamare, hunc nolo, timidus est, &c.

Nous en usons en quelque façon de la même manière, lors qu’une cause est évoquée de la

Jurisdiction ordinaire et renvoyée dans un autre siege, il suffit à celuy qui est évoqué de dire que ce Juge là luy est suspect, quia sine suspicione procedere omnes lites nobis cordi est, dit la Loy, apertissimè 14. de Judiciis, ad quam vide Mornac : et quoy que suivant cette Loy les recusations doivent être proposées, antequam lis inchoetur, non post litem contestatam, parce, dit-on, que eadem est recusationum, quae exceptionum dilatoriarum ratio, que in ipso limine litu opponende sunt ; toutesfois la Glose et les Docteurs conviennent que même aprés la contestation en cause, les recusations peuvent être proposées, si nolva quedam suspicionis causa supervenerit, si les causes de recusations sont nouvellement venuës à la connoissance, quod etiam jure Pontificio proditum est, Cujas et Morn . eodem. L’Ordonnance nouvelle touchant les recusations, apporte cette exception, que quand le Commissaire est sur les lieux, il n’est pas temps de le recuser, et qu’il saut qu’il acheve sa commission.

Les causes et moyens de recusations sont reglez par les Ordonnances anciennes et nouvelles, voyez Rebuffe en son Traitté des Recusations. On ne doute point que les Gens de Roy ne puissent être recusez, encore qu’ils soient les parties publiques et necessaires. Leur ministere peut être suppleé par des substituts, comme il arrive tous les jours, et Mornac in l. 1. de off. procur. cas. rapporte un Arrest du Parlement de Paris qui l’a jugé de la sorte, c’est aussi le sentiment de Monsieur Boyer decis. 258. Par un ancien Arrest de ce Parlement Me l’Avocat General Bigot fut recusé de connoître des causes du Cardinal d’Amboise. Monsieur Loüet let. p. n. 39 : et Monsieur le Prestre citent un Arrest con-traire par lequel on a fait cette distinction que quand le Procureur General est seul partie, il ne peut être recusé, mais qu’il peut 1’être quand il y a une partie jointe : Mornac atteste avoir appris des Juges que cet Arrest fut donné sur des circonstances particulières.

Par un ancien Arrest du 9. d’Aoust 1550. entre la Marquise de Rotelin et le sieur d’Alegre, le President de S. Autot ayant été recusé à cause qu’il tenoit à foy et hommage du sieur d’Anneville, dont le sieur d’Alegre avoit épousé la fille, il fut dit que la recusation n’étoit pas valable, le serment de foy et hommage ne s’étendant qu’à celuy qui le reçoit et non à la famille. Il a été jugé qu’un Conseiller ; fils de l’Avocat d’une des parties, ne pouvoit être recusé comme Juge ; mais il fut delibéré qu’il s’abstiendroit à relatu, On a aussi jugé qu’un fils pouvoit connoître en cause d’appel des jugemens rendus par son père : En un procez où Monsieur de Matignon étoit partie, il fut jugé que Monsieur le President de Franquetot n’en pourroit connoître, parce que Monsieur le Comte de Thorigni, fils et presomptif héritier de Monsieur de Matignon, avoit épousé sa parente ; et par cette même raison il fut dit au procez d’entre Monsieur le Duc de Roquelaure, et la Dame Marquise de Mirepoix, que Monsieur le President Bigot, et Monsieur de Cambremont Conseillers en la Cour ; s’abstiendroient d’en connoître, parce que le sieur Marquis de Mirepoix, fils et héritier de 1a Dame de Mi-repoix, avoit épousé leur parente. Par Arrest du 20. d’Avril 1663. en l’Audience de la Grand-Chambre, il fut jugé que la recusation proposée contre un Juge pour avoir donné le nom à l’enfant de la partie n’étoit point valable, plaidant Aubout et Theroude.

Apollon étant consulté touchant les bons Juges fit cette réponse, qu’il ne sçavoit s’il devoit les mettre entre les Dieux, ou entre les hommes : Cicero pro cluentio. Quid enim preclarius, digniusque inter homines excogitari potest, quàm unum hominem in rep. reperiri, qut communi utilitati serviat, qui communia prosuis, sua pro communibus habeat ; qui velit et sciat personam civitatis gerere, dignitatem et decus sustinere. Mais en considérant l’excellence et la dignité de leurs charges, ils doivent avoir toûjours devant les yeux ces belles paroles : Illud est magni atque sapientis hominis, cum illam judicandi tabellam sumpserit, non se putare esse solum, neque sibi quodcunque cupivit licere, sed habere in consilio, legem, Re ligionem, aquitatem, fidem ; libidinem autem, in vidiam, odium, cupiditatesque amovêre. Des qualitez requises pout être Juge, voyezGregoire Tholozani , Syntag. Jur. l. 47. c. 9. 10. 11. et l’ancienne Coûtume, titre des Jugemens.

En l’absence des Juges les Avocats postulans dans la Jurisdiction peuvent tenir la Chaire, et même hors la Jurifdiction, s’il y avoit quelque chose de provisoire, et qu’il ne se rencontrast point de Juge sur les lieux ; un Avocat pourroit ordonner sur la provision, et renvoyer au principal devant les Juges, et par Arrest en la Grand-Chambre du 3 Juillet, ou 3 d’Aoust 1674. le Juge de Cany ayant condamné Benard en amende, pour avoir ordonné quelque chose sur la contestation de deux Graduez qui vouloient prendre possession d’un Benefice la veille de Noël, sur l’Appel de Benard la sentence fut cassée.

L’antiquité de la Reception, l’immatriculation, et le service dans le Siege reglent ordinairement la seance entre les Avocats ; il faut neanmoins faire ces deux distinctions : la premiere que les Avocats reçûs en la Cour, qui ont plaidé et suivi le Barreau en icelle, conservent leur rang, du jour qu’ils ont été reçûs en la Cour, et précedent les autres Avocats reçûs depuis dans le Siege, bien qu’ils y soient immatriculez auparavant, cela a encore été jugé depuis l’Arrest rapporté par Berault pour Maître Tiron Avocat en la Cour, contre les autres Avocats du Pontlevesque en 1’Audience de la Grand-Chambre le 2 Décembre 1657. Pour avoir cette prerogative, il faut, comme j’ay dit, avoir plaidé, autrement ils ne précedent point ceux qui sont reçûs les premiers, jugé pour Poignant Avocat à Caudebec et postulant à Longueville, où il êtoit le premier immatriculé ; contre sinar reçû en la Cour, mais qui n’y avoit fait aucune fonction, par Arrest du 13 de Juin 1615.

La deuxième distinction est que les Avocats graduez précedent les non graduez, quoy que plus anciens en reception. Arrest en la Chambre de l’Edit du 8 de Mars 1662. pour les Avocats de Dieppe contre Brebion : et par autre Arrest en la Grand-Chambre du 10 d’Avril 1661. entre le Carpentier, Bonnel et des Perrois qui avoit êté Procureur au Pontdelarche pendant trente six années, il a êté juge que ledit des Perrois ne pourroit faire aucune fonction de Juge, bien que cela luy eût été permis par les Officiers du Pontdelarche ; et défences furent faites à tous Juges de ce Ressort d’admettre ni recevoir aucun Procureur au serment d’Avocat, pour en faire la fonction, dans les sieges Presidiaux et autres sieges de ce Ressort, qu’ils n’ayent fait apparoir de leurs licences, conformément au Reglement du 22 de Mars 1626. sur les peines au cas appartenans, et cassation de toute procedure. La Cour fait cette grace aux anciens Procureurs du Parlement de les recevoir au serment d’Avocat, mais il ne leur est pas permis d’en faire aucune fonction. Et Bretoc Procureur, aprés avoir êté reçû Avocat, ayant signé un Expedient, il fut ordonné qu’il seroit signé par un Avocat.

On a traitté cette question, s’il faut être reçû Avocat pour exercer un office de Judicature.

Vautier avoit pris des licences, et ayant traitté de l’office de Lieutenant en la Haute Justice de Condé sur Noireau, il y avoit êté reçû par le Bailly. Harel Avocat en ce même siege appela de sa reception, prétendant que Vautier n’avoit pû être reçû, avant que d’avoir la qualité d’Avocat ; l’Appel êtant pendant en la Cour, Vautier s’y fait recevoir Avocat, et ayant fait appeler sa cause, Castel son Avocat representa qu’il n’y avoit plus de lieu de 1’inquieter. La Cour le 10 Decembre 1655. prononça en cette manière : La Cour aprés la reception de Vautier et le serment prêté en la forme ordinaire, l’a maintenu et maintient en l’exercice de Lieutenant du Bailly de Condé.

Les Substituts de Messieurs les Gens du Roy peuvent aussi plaider pour les parties, quand le Roy ni le Public n’y ont point d’interest ; et par les Arrests du Parlement de Paris on a permis aux Officiers de plaider pour les parties en autres Jurisdictions que celles où ils sont Officiers, sans pouvoir être Juges des parties pour lesquelles ils auront plaidé.1

Nonobstant l’Arrest rapporté parBerault , par lequel il a êté juge que les Substituts de Messieurs les Gens du Roy ne pourroient tenir la Chaire au préjudice des Avocats, on a depuis jugé le contraire, et même ils ont fait dire, qu’ils presideroient au préjudice des Assesseurs, Enquêteurs, et Commissaires examinateurs, en toutes les causes où le Roy ni le public ne seroient point interessez ; et par Arrest donné au rapport de Monsieur Puchot du 3 de Fevrier 1653. pour Maître Pierre Petit Avocat Fiscal à Longueville, il fut dit qu’il tiendroit la Jurisdiction, au préjudice des Avocats postulans dans les causes civil, où il n’y auroit aucun interest du seigneur, du Public, des Mineurs, ni de la Police. Il a êté jugé entre 1 Avocat Fiscal, et le Procureur Fiscal de la Jurisdiction des Hauts-Jours de l’Archevesché de Roüen, que l’Avocat Fiscal devoit avoir la pressean-ce ; par Arrest du 12 de Decembre 1614. entre Maître Nicolas Boissel Avocat Fiscal appelant, et Maître Charles Aleaume Procureur Fiscal, on cassa la sentence qui àvoit ajugé la presseance au Procureur Fiscal.

Par Arrest du 19 de Juillet 1645, entre Maître Jacques Cousin Lieutenant General en la Vicomté de Mortain, d’une part ; Maître Robert samuel Lieutenant particulier dudit Vicomte, et entre Maître Alexandre Tonnelet, et Guillaume le Chauboix Avocat et Procureur du Roy au Siege du Bailliage et Vicomté à Mortain, Maître Guillaume de l’Espine, et George Gasteboix Enquêteur à Mortain, Maître Jean le Vant et Julien Fremin pour eux et les Avocats resseans à Mortain, et Maître Marc Delle et Jacques Guerout, auffi Avocats resseans hors la Ville. La Cour faisant droit, sur les conclusions des parties, ordonna qu’en l’absence du Lieutenant General et particulier dudit Bailliage, la Jurisdiction seroit tenuë pour le Vicomte dudit lieu, les Lieutenans, les Avocats, et Procureurs du Roy, les Enquêteurs qui seront graduez, et ensuite par les Avocats, selon l’ordre de leur reception, sans que la tenuë de la Jurisdiction des Officiers de Vicomté puisse préjudicier à la presseance des Avocats et Procureurs du Roy en toutes assemblées, tant generales que particulieres, à laquelle la Cour les a maintenus, au préjudice des Lieutenans du Vicomte ; a maintenu pareillement les Enquêteurs en la fonction de leurs Charges, conformément à leur Edit de creation, Arrests et Reglemens, et entant que la Jurisdiction du Vicomte, la Cour ordonne, qu’en l’absence du Vicomte et de ses Lieutenans, elle sera tenuë par les Avocats et Procureurs du Roy, les Enquêteurs graduez, et ensuite par les Avocats. Par autre Arrest du 10 de Mars 1644. entre N. Valet, Louis Heurtemate Robert Lucas, Denis Maillard, Jacques Bigot et du Ruslé pour eux et les autres postulans, au Bailliage et Vicomté du Pontdelarche demandeurs pour être maintenus au préjudice de tous Commissaires examinateurs et enquêteurs, en leurs honneurs et prerogatives, et d’être appelez les premiers aux assises Mercuriales, d’avoir la presseance au Bareau, et aux actes et ceremonies publiques, avec défences aux Juges de les admettre en autre ordre et de les souffrir opiner en aucun Procez, et notamment, en ceux sur lesquels lesdits enquêteurs auroient informé, et ausdits Commissaires examinateurs et enquêteurs, d’exercer office de Seneschal ni faire autre acte que de Commissaire et Enquêteur. Et N.

Claude Lyard Avocat enquêteur et examinateur au Bailliage et Vicomté du Pontdelarcne défendeur d’autre. Il fut dit que la Cour faisant droit sur le mandement de tous lesdits Avocats postulans des fins dudit mandement, en ce faisant a ordonné et ordonne que ledit Arrest 4 Aoust 1676. obtenu par ledit Lyard enquêteur, sera executé définitivement et suivant iceluy, que ledit Lyard enquêteur sera appelé aux assises Mercuriales, auparavant lesdits Avocats postulans, et aura presseance et voix deliberative à leur préjudice, en tous actes de Justice, et publics.

ARTICLE PREMIER.

Le Bailly ou son Lieutenant connoist de tous crimes en premiere instance.

On a beaucoup discouru sur 1’origine du nom de Bailly : Rebuffe l’a fait venir de ce mot Hebreu baali, qui signifie dominaris mihi, mais il n’est pas necessaire de remonter si haut pour en trouver l’origine, l’ancien Coûtumier nous en instruit nettement, en disant que Jurisdiction baillée est celle qui est baillée au Bailly, et dans le Chapitre precedent que les Hauts-Justiciers sont ceux à qui la Justice du Duc est baillée en garde. Bailly signifie donc un gardien ou un dépositaire : d’où vient que quelques Coûtumes de France appellent Baillifs, ou Baillistres, ceux qui ont la garde-Noble ou bourgeoisie de leurs enfans. VoyezLoyseau , des Seigneuries c. 8. n. 29. Coquille en sa Preface sur la Coûtume de Nivernois. Pasquiet en ses Recherches l. 2. et 3. c. 23. Menage en ses origines verb. Bailly, Bajulos vocaviae media aetas Juniorum Principum pedagogos, voyez-en les autoritez dansDadin de haute serre , l. 3. c. 23. de Duc. et comit. Provinciarum. Verum sub tertia Regum nostrorum stirpe, Bajulorum, sive Baillivorum nomen è scholâ transiit in forum ; id aest ad praetores et Juri dicos, quasi plebis rectores, unde et Baillivorum territorium Bali dixerunt.

On ne peut appliquer à nos Baillifs ce qu’on a dit de l’origine de ceux de France ; les Seigneurs de Normandie vivans sous des Ducs qui soûtenoient hautement leur autorité, ne pou-voient faire ce que les seigneurs de France firent ; en tirant avantage de la foiblesse des derniers Rois de la troisiéme Race, de sorte que le discours de Loyseau ne leur peut convenir lors qu’il rapporte l’origine des Baillifs, à l’usurpation de la souveraineté par les grands Seigneurs de France à l’exemple de Huges Capet, car ces Seigneurs ne voulant plus s’assujettir à tenir leurs Assises, ils mirent en leur place des Officiers qu’ils appeloient Baillis : Nos Ducs n’êtoient pas d’humeur à souffrir ces usurpations, ils établirent eux-mêmes leurs Baillifs, et ces autres Officiers qui subsistent encore à present, comme on l’apprend par le c 4. de l’ancien Coûtumier ; et bien que Pasquier assure, comme une chose vraye, que l’on ne commença d’user du môt de Bailliage, que sous le Roy Jean, l’usage de ce terme est neanmoins beaucoup plus ancien ; car dans le vieil Coûtumier c. 14. il est parlé de Baillie : les Baillifs sont de moindre pouvoir, car ils n’ont pas le pouvoir de faire justice hors de leurs Baillies. Et cet ancien Coûtumier a êté redigé par écrit long-temps avant le Roy Jean. Ce mot de Baillie êtoit deja bien commun du temps d’Innocent III . praeposituras quas vulgariter Baillius appellant. lib. 2. Epist. 252.

Le Bailly est maintenant dépoüillé de toute sa fonction, et toute l’autorité de cette Charge a êté transferée à son Lieutenant, dont l’un des plus beaux droits consiste au pouvoir qui luy est donné de connoître de tous crimes en premiere instance. Il ne faut point douter que les Baillifs n’eussent le pouvoir d’informer des crimes et de les punir, avant même que la Charge de grand Seneschal fut supprimée ; le vieil Coûtumier le porte en termes exprés : il est établi pour garder la paix, pour détruire les larrons, les homicides, et les autres mal-faicteurs ; ainsi les Baillifs ayans jus gladii, qui est le merum imperium des Romains, il semble que leur autorité soit plus grande que celle des Consuls à Rome ; nam merum imperium, est omnis gravior atrociorque animadveriso, vel coërcitio ; scilicet qui plectere potest ; vel aliquam atrociorem paenam infligere. Le merum imperium appartenoit à l’Empereur seul dans la ville de Rome ; les Consuls n’y pouvoient condamner à mort aucun Citoyen Romain sans la permission du peuple : illis solum relictum erat, ut coërcere possent, & in vincula duci juberent ; eaque secures in urbe Consulaebus non praeferebantur ; mais dans les Provinces le merum imperium leur êtoit accordé.Goveanus , lib. 2. de Jurisdict. ad l. 3.

Combien que les Baillifs connoissent des crimes, ce n’est qu’en premiere instance, et suivant la nouvelle Ordonnance ils ne peuvent même faire executer une condamnation de mort, qu’elle n’ait êté auparavant confirmee par la Cour ; il est vray de dire qu’ils n’ont que quandam causam sive partem imperii, qui n’est même que la moindre partie, ne pouvant juger en dernier Ressort ; non habent absolutè merum imperium summum, qui demeure en la main du Prince et de son Parlement ; sed habent merum imperium aliquâ lege determitiatum, et pour mieux dire ils ne l’ont point du tout, puisqu’ils ne peuvent condamner sans appel, et même par un ancien Arrest du 3 de Juin, 1559. il fut defendu aux Juges d’user de cette Clause, sans pour ce encourir aucune note d’infamie ; comme aussi par un autre ancien Reglement, il leur est defendu de prononcer l’appellation au neant, ou l’appellation et ce dont, mais qu’il a êté bien ou mal jugé : leur pouvoir neanmoins est important, puisqu’ils peuvent informer, instruire, ou condamner, et même bannir non seulement hors de leur Territoire, mais aussi hors du Royaume, ce que ne peut faire un Haut-Justicier, qui ne peut bannir que hors son Territoire. Morn. ad l. extra Territorium de Jurisdictione.

Nous ne connoissons point de Jurisdiction militaire, ce qui fut jugé le 17 d’Avril 1638. en la Chambre de la Tournelle, sur l’appel des Sieurs Ferriere, de Montgoubert et de Duranville l’abbé, l’un Capitaine, et l’autre Cornette de Chevaux legers en l’Armée que Monsieur le Duc de Longueville commandoit en la Franche-Comté : Ces deux Officiers avoient fait decretter en prise de corps par Monsieur de Miromesnil Commissaire départy en Normandie, un soldat qui avoit deserté : mais êtant mort quelque temps aprés, ses freres avoient porté l’assaire devant le Juge du Ponteaudemer. Les Sieurs de Mongoubert et de Duranville demanderent leur renvoy devant le Commissaire départi, comme s’agissant d’un cas militaire ; sur leur appel du dény de renvoy, on confirma la sentence, parce que leur action n’êtoit plus contre le deserteur, mais contre ses heritiers qui n’êtoient pas gens de guerre. Consule Vigel. de milit. Magist. l. 10.

Expil . plaid. 24.Rosin . antiq. Rom. l. 10. c. 25. Lipsium ad Polybium, lib. de milit. Rom. Loyseau des Offices. l. 4. c. 4. Par Arrest en la Tournelle du 20 de Mars 1631. un particulier ayant êté condamné par contumace comme deserteur par Messieurs les Mareschaux de France, il fut reçû appelant sans Lettres pour ester à droit, et faisant droit sur son appel il fut absous, et défence de mettre à execution le jugement des Mareschaux de France : il semble neanmoins que cette action êtoit de leur competence.

Nonobstant cetre competence de tous les crimes que la Coûtume attribuë au Bailly, il y a des Juges qui prétendent d en connoître en certains cas. Les Officiers des Eaux et Forests font valoir l’Ordonnance de 1669. comme ayant beaucoup amplifié leur competence pour les crimes.

Le Vicomte de l’Eau à Roüen reclame la connoissance de tous les crimes qui se commettent sur la riviere de seine depuis certaines limites ; les Officiers de l’Amirauté prétendent au contraire, que les Ordonnances leur attribuent la competence de tout ce qui se passe dans les navires, quoy qu’ils soient devant les Quais de Roüen, ou aillent sur la riviere de Seine. Le Vicomte de l’Eau alleguant en sa faveur un Arrest donné en la Chambre de l’Edit le 23 d’Aoust 1659. sur une contestation avenuë entre les Matelots, dont les navires êtoient à l’ancre devant les Quais de Roüen. Le Lieutenant General civil en avoit informé comme d’un fait de Police, et donné prise de corps contre Denis Pitreson, Maître de navire Hollandois ; et Guillaume le Sergeant, Maître d’un navire Anglois, dont ils avoient appelé comme d’incompetence ; Le Vicomte de l’Eau en avoit informé comme ayant la Police sur la Riviere, tant pour le civil que pour le crime ; et les Juges de l’Amirauté en avoient encore pris connoissance, comme d’un fait arrivé sur des navires. Tous les Officiers de ces trois Jurisdictions êtoient parties en la cause ; et par Arrest on on cassa tout ce qui avoit êté fait par les Juges du Bailliage et de l’Amirauté, et le Vicomte de l’Eau fut declaré Juge competent du Procez. Mais il y avoit cela de particulier, qu’il s’agissoit d’un ponçon de Vin qui avoit êté dérobé sur la Riviere ; et apporté daris un navire ; de sorte que le crime avoit êté commis sur la Rivière ; et ainsi la competence en appartenoit au Vicomte de l’Eau : mais cette question reste encore indécise entre ces Officiers touchant la connoissance d’un crime commis dans un navire, qui seroit sur les Quais de Roüen, ou sur la riviere de seine ; et les Officiers de l’Amirauté prétendent que la competence leur en est expressément attribuée par les Ordonnances de l’Amirauté.

La connoissance d’un crime commis sur le Quay appartient au Lieutenant Criminel.

Il a êté jugé que les Consuls sont incompetens de connoître d’un crime commis à la porte de leur Jurisdiction, hors icelle et dans la ruë : Larchevesque, Marchand à Roüen, avoit reproché à un autre Marchand qu’il êtoit un Juif, il en reçût un souflet, et cela se passa dans la ruë à la porte de la Jurisdiction des Consuls, qui informerent de cette action ; on appela comme d’incompetence de tout ce qu’ils avoient fait, parce que n’êtant point gradués ils ne pouvoient con-noître d’aucun crime, et quand même ils auroient quelque pouvoir de punir le mépris, qu’on auroit fait de leur Jurisdiction, il ne leur seroit permis que pour les actions qui se seroient passées dans l’enclos de leurs Pretoires, pourvû qu’elles fussent legeres, et qu’elles pûssent être terminées sur le champ. Par Arrest en la Chambre de la Tournelle du 23 de Juin 1656. il fut dit qu’il avoit êté nullement et incompetemment procedé, et tout ce qui avoit êté fait fut cassé, les parties renvoyées devant les Commissaires de la Cour. Depuis on a même jugé qu’ils êtoient incompetens de connoître d’une plainte criminelle renduë pour une action qui s’êtoit passée dans la Sale de la Bourse. Un nommé le seigneur, Courtier, ayant eu quelque contestation avec Mendez, Marchand Portugais, dans la Sale de la Bourse, et à l’heure de la Bourse, Mendez l’appela banqueroutier, aprés un démenty qui fut donné par le seigneur, ils se donnerent quelques coups. Les Consuls prétendirent que cette action s’étant passée en leur Maison et à l’heure de la Bourse, on ne pouvoit leur en ôter la connoissance, suivant la l. 1. ff. si quis judic. non obtemp. omnibus magistratibus concessum est suam Jurisdictionem paenali judicio defendere. Au contraire il fut dit par le Lieutenant Criminel que les Consuls n’avoient droit de Jurisdiction que par privilege, qu’il falloit le restraindre dans son cas ; que les Consuls qui ne sont point graduez ne peuvent instruire ni juger un Procez criminel : que par l’Ordonnance nouvelle, en permettant à tous Juges de connoître du crime êtant incident aux causes pendantes devant eux, on avoit excepté les Consuls ; et les bas et moyens Justiciers Art. 20. Tit. de la competence des Juges, au Code Criminel.

Par Arrest du 22 d’Octobre 1675. en la Chambre des Vacations, l’instance fut renvoyée devant le Lieutenant Criminel ; plaidant le Quesne pour Mendez, de Cahagnes pour le Seigneur, Theroude pour les Consuls ; et Durand pour le Lieutenant Criminel.

Les Vicomtes ont aussi prétendu la competence de l’action en injures civilement intentée, ce qu’on appelle à Paris le Petit Criminel ; sur cela il y a eu Arrest du 2 de May 1656. entre le Lieutenant Criminel et le Vicomte de Caen. Le Févre pour le Lieutenant Criminel soûtenoit, que suivant cet Article, le Bailly est seul competent de connoître de tous crimes, que les actions pour injures êtoient de cette qualité, qu’il avoit êté jugé de la sorte pour le Lieutenant Criminel d’Arques, et que c’êtoit l’usage dans tous les Bailliages de la Province :

Maurry pour le Vicomte de Caen, remontroit que les actions de cette qualité n’êtoient point comprises sous cet Article, qu’elles êtoient purement civil, et formées par la voye civil, que par la l. 2. de injuriis, elles n’êtoient pas comprises inter judicia publica, qui sont à vray dire les actions dont la connoissance est attribuée aux Juges Criminels. Et il ajoûtoit, que cette question devoit se décider principalement par la possession. Or il êtoit certain que le Lieutenant Criminel n’en avoit jamais pris connoissance, et au contraire le Vicomte en avoit toûjours connu.

Aussi l’Arrest donné pour le Lieutenant Criminel d’Arques êtoit fondé sur la possession, parce qu’il paroissoit que le Lieutenant Criminel en avoit toûjours eu la connoissance. Il êtoit même de l’interest public de conserver cette competence au Vicomte, parce qu’il terminoit sommairement ces affaires-là ; et au contraire le Lieutenant Criminel prolongeoit la procedure et en prenoit des rapports. Par Arrest la competence des actions pour injures civilement intentées, fut donnée au Lieutenant Criminel, à charge de les vuider sommairement, et sans préjudice de la competence attribuée au Vicomte par la Coûtume. Voyez un autre Arrest sur l’Article 11.

On a même ôté au Vicomte la competence des fautes, et des malversations commises par les Receveurs du Domaine et leurs Préposés, bien qu’ils connoissent des affaires domaniales ; et par Arrest en la Tournelle du 2. de Juillet 1664. on cassa l’information faite par le Vicomte de S. Sau veur l’Endelin contre Pezeril, Commis à la Recepte du Domaine de S. Sauveur, pour concussions dont il étoit accusé, le Bailly de S. Sauveur l’Endelin ayant êté reçû partie intervenante, et appelant de son chef. Le Vicomte pour fonder sa competence alleguoit qu’il étoit le Juge du Domaine, que les adjudications en êtoient faites devant luy, que la connoissance des comptes du Domaine luy appartenoit, et que par consequent la competence pour les fautes commises en faisant cette recepte du Domaine ne pouvoit luy être contestée.

Un particulier avoit rendu plainte au Lieutenant Criminel de Roüen pour une substraction de meubles en la succession d’un défunt. La veuve qui avoit renoncé étant chargée par une information, fut decretée en adjournement personnel : aprés l’interrogatoire prêté par cette veuve, le Lieu-tenant Criminel se desaisit de la cause, et la renvoya devant le Vicomte ; les Officiers du Bailliage s’en plaignirent à la Cour, disant que si la cause avoit commencé par une simple action elle auroit appartenu à la Jurisdiction du Vicomte, mais l’action étant criminelle dans son origine, quoy qu’on eut ordonné depuis qu’elle seroit traitée civilement, le Bailly n’avoit pû s’en désaisir. Le Vicomte au contraire, qu’encore que l’action eût commencé par une plainte, toutesfois n’étant plus poursuivie que civilement, elle étoit de sa competence. Par Arrest en la Grand-Chambre du 21. de Février 1673. les parties furent renvoyées devant le Lieutenant particulier Criminel.

Les Juges de l’Amirauté connoissent aussi des crimes commis sur la Mer, et sur les vaisseaux, et même le sieur Aveline Lieutenant en l’Amirauté de Dieppe s’êtant plaint des injures que le Clerc luy avoit dit en haine de ce qu’il faisoit le devoir de sa charge, et le juge de l’Amirauté en ayant informé, sur l’appel, comme d’incompetence de la part du Clerc, la procedure fut confirmée, et il fut debouté du renvoy qu’il demandoit devant le Juge ordinaire ; par Arrest en la Tournelle du 13 de May 1625. Nam cujusque judicis est, suam Jurisdictionem tueri.

Il y a même des personnes qui pretendent avoir un privilege pour decliner la Juridiction criminelle du Bailly. De seran, Chevalier de Marthe, êtant accusé de crimes atroces, demanda son renvoy devant ceux de son Ordre ; il fut jugé que les Chevaliers de son Ordre n’avoient point ce privilege, par Arrest du 3. de Janvier 1632.

On a disputé si l’Official êtant Juge en cause de mariage, peut recevoir, instruire, et juger l’inscription en faux, contre des personnes Laïques, qu’on avoit produites pour la preuve des promesses de mariage. Sur l’appel comme d’abus de la procedure de l’Official, on concluoit que l’inscri-ption en faux ne peut être de la Jurisdiction Ecclesiastique, que les produisans et les témoins êtoient des personnes Laïques sur lesquelles l’Official n’avoit aucune puissance, et qu’il n’y a point d’incident en ce qui est de diverses Juridictions, in his quae sunt alterius fori ; il falloit renvoyer devant le Juge Royal, et surseoir cependant l’instance principale, c. novit. De Judiciis. c. per venerab. qui filii sint legitimi, que l’Official ne pouvant juger de reparations ni d’interests, il etoit en obligation de se désaisir.

On répondoit que la cause principale êtant de la competence de l’Official, il pouvoit être Juge de l’incident pour détruire la preuve si elle êtoit fausse, et à l’effet de rejetter le temoignage, en reservant toutesfois le jugement de la peine au Juge seculier ; de la même maniere, que le Prestre peut être jugé pour le delict commun, et renvoyé pour le cas privilegié. L’Official qui est Juge du mariage, peut en consequence connoître de la legitimation. c. causam. De ordine cognit. s’il étoit tenu de renvoyer un incident devant le Juge Royal, cela causeroit un grand trouble en la Jurisdiction Ecclesiastique : par Arrest au Rapport de Monsieur Roque du 18. Juin 1633. on mit sur l’appel comme d’abus les parties hors de Cour. Entre la nommée Flamend demanderesse en promesses de ma-riage, et Loüis et Guillaume Jobart. Cette raison qui fut alleguée, que l’Official qui est Juge du mariage, peut en consequence connoître de la legitimation, peut être vraye selon le droit Canon ; mais la maxime des Parlemens est contraire, et le Juge Royal seul connoit de la legitimation, et non point l’Official, et cet Arrest merite une grande reflexion ; car suivant nos maximes l’Official ne peur decreter ni interroger un Laïque, ni par consequent connoître du fait, s’il n’y avoit d’autres moyens pour y parvenir.

Monsieur Olive traite cette question, l. 1. c. 4. si en matieres criminelles les Actes faits en la Jurisdiction Ecclesiastique peuvent faire foy en la Jurisdiction Temporelle, et il rapporte un Arrest par lequel on a jugé que ces Actes ne pouvoient servir, et la procedure en consequence fut declarée nulle ; secus, dit le même Auteur, en matiere civil.

Si l’accusé fait casser la procedure criminelle faite contre luy, le Juge qui a mal instruit le procez n’en doit plus connoître aprés un Arrest, qui annulloit toute la procedure ; un accusé avoit êté confronté devant ce même Juge ; et depuis aprés l’avoir recusé, il consentit qu’il en connût ; on jugea par Arrest donné en la Tournelle, au Rapport de Monsieur de Tierceville, le 6 Decembre 1629. que le consentement de la partie rendoit valable ce qui avoit êté fait.

Il a êté jugé au Rapport de Monsieur de Fermanel en la Grand-Chambre le 17 de Juin 1671. entre le Lieutenant General de S. Sylvin, et le Lieutenant Criminel du même lieu, que le Lieutenant Criminel ne pouvoit prendre qualité de Lieutenant General Criminel, et qu’il n’y avoit que le Lieutenant Criminel du Siege principal qui la pût prendre ; parce que leurs Offices n’avoient pas êté demembrez, mais qu’ils êtoient d’origine et de creation Lieutenans Generaux, et les Offices de Lieutenans Criminels dans les Sieges particuliers ayant êté démembrez de l’Office du Lieutenant General Criminel, ils ne pouvoient avoir la qualité de Lieutenans Generaux. J’avois écrit au Procez pour le Lieutenant General civil.

Cette multitude de Juridictions, dont la competence est si differente, cause un desordre étrange dans la Justice ; c’est pourquoy il ne sera pas inutile de rapporter quelques Arrests donnez entre differens Juges, sur la matiere de leur competence.

Le 2 Aoust 1657. en l’Audience de la Grand-Chambre, il fut jugé que l’Official n’êtoit point competent de connoître des limites de deux Paroisses. La maison du sieur de Sainte Colombe en cette Ville étant située sur les confins des Paroisses de Sainte Marie la Petite et de S. Vigor, elle est pretenduë par ces deux Curez. Le sieur de la Motte Papavoine qui l’occupoit alors, voulant faire baptiser un enfant, le Curé de S. Vigor obtint un Mandement de l’Official pour appeller le Curé de sainte Marie, et faire dire qu’il le baptiseroit par provision : Le Curé de sainte Marie n’ayant point comparu, l’Official ordonna que l’enfant seroit baptisé sans attribution de droit, et qu’au principal les parties en viendroient au premier jour. Sur l’appel comme d’abus relevé par le Curé de sainte Marie, il soûtenoit que l’Official n’avoit pû prendre connoissance des limites des Paroisses, et cette action êtant purement temporelle, il fut dit par l’Arrest qu’il avoit êté mal, nullement, et abusivement procedé par l’Official, et évoquant le principal, la Cour l’appointa au Conseil, et cependant elle permit aux locataires d’opter l’une des deux Paroisses, par provision.

On a douté si les Consuls de la ville de Roüen font competens de connoître des causes entre les parties, qui ont leur domicile hors la ville de Roüen.

Un Marchand de cette Ville avoit vendu du poisson salé à un Marchand demeurant en Basse Normandie, et pour le prix de cette marchandise, il avoit fait obliger la femme avec son mary ; sur l’ajournement fait aux debiteurs devant les Consuls de Roüen, aprés quelques procedures, la femme appella comme d’incompetence, et presenta Requête au principal. Elle disoit pour moyens d’incompetence, que la Jurisdiction des Consuls, êtoit bornee, et ne pouvoit s’étendre sur ceux qui n’êtoient point domiciliez dans Roüen ; qu’on ne pourroit appeler des parties éloignées sans une grande vexation, et que cette Jurisdiction qui n’êtoit établie que pour la facilité et l’utilité du commerce, produiroit un effet contraire. Au principal, que cette femme n’êtant point une Marchande publique, elle n’avoit pû s’obliger valablement, le debit qu’elle avoit fait de la marchandise, dont son mary faisoit commerce, ne luy attribuant point la qualité de Marchande publique.

Je répondois pour l’intimé que la cause se décidoit par cette distinction, que quand la vente et l’obligation avoient êté contractées en cette Ville, les debiteurs pouvoient être convenus devant les Consuls, que cette attribution leur êtoit donnée par l’Edit de leur établissement.

Au principal qu’elle seule ayant debité sa marchandise ; elle ne pouvoit éviter la condamnation personnelle. Par Arrest du 31 de May 1658. on mit sur l’appel et principal les parties hors de Cour. Par la jurisprudence du Parlernent de Paris ; la Jurisdiction des Consuls nc peut s’étendre au de-là du ressort du Bailliage où ils sont établis ; on en trouve un Arrest dans le Journal des Audiences 2. p. l. 2. c. 14. par lequel défenses furent faites aux Consuls de la ville d’Auxerre, de connoître à l’avenir des causes des Marchands, sinon de ceux du ressort du Bailliage d’Auxerre. Il seroit fort raisonnable, à mon avis, d’en user parmy nous avec le même temperament, et de borner la competence des Consuls pour les Marchands qui seroient resseans dans le ressort du Bailliage de Roüen, sans l’étendre plus loin, ce qui ne se peut faire sans vexation.

Un Maître de navire, nomme Piloquet, avoit chargé dans le Port de Dieppe des barils de farine pour les porter au Havre, avec pouvoir et commission de les y vendre. Une partie de ces barils de farine ayant êté soustraite par ce Maître de navire, il fut poursuivi par le Marchand devant les Consuls de Dieppe ; les Juges de l’Amirauté du même lieu en voulurent connoître, vû la qualite de Piloquet de Maître de navire, et qu’il s’agissoit de malversation commise dans sa charge. Mais comme l’action du Marchand n’êtoit que pour la restitution des marchandises, en vertu de la commission particuliere qu’il avoit donnée à ce Maître de navire, et qu’il n’y avoit point de contestation ni pour le fret, ni pour les avaries, on les renvoya devant les Consuls, par Arrest du 29 de Janvier 1660. plaidant le Fevre, Maurry, et Martin.

Le 13 de Juin 1626. en l’Audience de la Grand-Chambre, entre le Boucher et le Penitencier d’Evreux, il fut jugé que la Chambre du Tresor de Paris ne connoissoit point des affaires du Domaine du Roy, ni des Tresors de Normandie. Environ deux mois auparavant, il avoit êté dit pour le Baron de l’Aigle contre de la Fontaine, pour la confiscation pretenduë d’un nommé Baron, que cette Chambre du Tresor ne connoissoit point des confiscations. Et en l’an 1588. le Conseil du Roy êtant à Roüen, il fut aussi jugé que l’évocation prise par le seigneur d’Enneval, pour le démembrement prétendu de la terre de Motteville, n’y venoit point ; la Chambre du Tresor ne connoissant point des Domaines de Normandie, nonobstant l’opinion deBaquet , en son Traité du Domaine.

J’ay remarqué cy-devant, que les Avocats en l’absence des Juges peuvent tenir la Chaire et faire fonction de Juges ; mais on a fait cette difficulté, s’ils avoient ce même pouvoir en matiere criminelle, et s’ils pouvoient informer. Autrefois on tenoit au Palais qu’un Avocat pouvoit informer in flagranti delicto, en l’absence des Juges. Neanmoins en la Tournelle en l’an 1644. on cassa une information commencée par un Avocat et continuée par le Juge ; il est vray que cet Avocat exerçoit en une Haute-Justice, et non point dans un siege Royal ; mais l’Arrest ne pouvoit être fondé sur cette circonstance, parce qu’il avoit le caractère d’Avocat, et qu’ayant êté reçû par un Juge Royal, il pouvoit en faire la fonction par tout ; on faisoit cette distinction qu’un Avocat peut bien recevoir la déposition d’un homme mourant, mais qu’il ne pouvoit pas informer.

Par Arrest donné en la Chambre de la Tournelle du 18 de Novembre 1664. il fut dit qu’une action en simples injures, intentée par une femme contre un Prestre, êtoit de la competence du Juge Royal. Entre Maître Bindel Prestre, appelant d’une sentence du Juge d’Andely, qui le refusoit du renvoy par devant l’Official son Juge naturel : Durand son Avocat disoit, qu’il ne s’agissoit que de simples injures, et que le Juge Royal ne pouvoit connoître des delicts des Prestres, sinon dans les cas privilegiez. Theroude au contraire, pour l’intimée remontroit que pretendant faire condamner sa partie en ses interests, l’Official n’en devoit pas prendre connoissance. La Cour confirma la Sentence.

On a jugé que l’Official pouvoit informer des irreverences commises par un Religieux contre l’Evesque en faisant sa Visite. Arrest du 15 ou 16 Decembre 1662. sur un appel comme d’abus de la Sentence de 1’Official de Coûtance, contenant ordonnance d’informer des irreverences commises par un Chanoine Regulier de l’Hôtel-Dieu de Coûtance, contre l’Evesque du même lieu. Liout representoit à la Cour, que si ce Religieux avoit manqué à son devoir, la correction en devoit être faite sur le champ, de consensu fratrum, sans en faire un procez. Maurry pour le Promoteur intimé remontroit, que si l’action s’êtoit passée intra septa domus, suivant l’ordonnance la correction eust dû se faire en même temps, mais que l’irreverence avoit êté commise hors la clôture du Convent, et que d’ailleurs il avoit empesché par sa suite, que la correction n’en fust faite ; il n’êtoit pas raisonnable que les insultes, qu’il avoit commises contre son Evesque, demeurassent impunies. La Cour sur l’appel mit les parties hors de Cour et de Procez.

Il fut aussi prononcé le 1 de Mars 1667. que l’Official de Roüen avoit commis abus, ayant fait emprisonner le sieur de S. Vigor, Tresorier au Bureau des Finances à Caen, sur la seule representation d’un Contrat de mariage, quoy qu’il n’y eut apparence de grossesse, ni naissance d’enfant : entre ledit de S. Vigor et la Demoiselle de Pisle intimée. Durand alleguoit pour moyens d’appel qu’il y avoit abus, d’avoir ordonné que l’appelant entreroit en prison, en consequence d’un simple Contrat de mariage ; car ne paroissant point de grossesse, les promesses de mariage se resolvoient en interests, pour lesquels l’Official avoit dû renvoyer les parties devant le Juge Royal. Que la procédure êtoit abusive, même en l’execution, en ce qu’on s’êtoit servy du ministere d’un sergent Royal, sans avoir pris permission et attache du Juge Royal, ce qui êtoit necessaire pour mettre à execution les jugemens de l’Official sur des personnes Laïques. Castel pour l’intimé repondoit, que la permission d’emprisonner n’êtoit point abusive, autrement que l’Official n’auroit plus de Jurisdiction en ces sortes d’affaires, n’ayant point d’autre moyen pour obliger les parties à comparoître. La Cour dit qu’il avoit êté mal, nullement et abusivement procedé. Par ce même Arrest, quoy que la fille eut un Contrat de mariage, elle fut declarée non recevable à faire preuve par témoins, de la consommation, pour conclure au mariage ; on luy donna seulement des interests.

Autre Arrest du 8 Mars 1667. par lequel il fut dit que l’Official avoit commis abus, d’avoir pris connoissance de la presseance entre deux Confrairies, et qu’il avoit entrepris sur la Jurisdiction Royale, qui seule en êtoit competente, comme d’une police exterieure de l’Eglise, même entre personnes Ecclesiastiques.

L’Official ayant jugé un adjournement personnel contre une personne Laïque, quoy que ce fut pour desordre et scandale commis dans l’Eglise, sur l’appel comme d’abus du sieur de Calleville, on prononça mal, nullement et abusivement procedé ; par Arrest du 27 Février 1659.


II.

Connoit aussi en premiere instance de toutes matieres hereditaires et personnelles entre personnes nobles : De fiefs nobles et leurs appartenances entre toutes personnes, soient nobles ou roturieres.

Les Loix Romaines, et presque toutes les Coûtumes de France, ont traité de l’etat des personnes. Neanmoins nôtre Coûtume n’a rien ordonné sur ce sujet, quoy qu’il soit fort important, et quand dans cet Article et dans les suivans elle a parlé des nobles et des roturiers, elle n a eu desein que de regler la competence du Bailly et du Vicomte ; Au surplus elle n’etablit aucune autre diffe-rence entre leurs conditions, soit pour les droits successifs, ou pour le partage des biens nobles ou roturiers.

Cet Article établit deux regles generales en faveur du Bailly ; la premiere luy attribue la connoissance de toutes les matieres hereditaires et personnelles. Et suivant la deuxiéme il connoit des fiefs nobles et de leurs appartenances, entre toutes personnes soient nobles ou roturieres. Les nobles ont toûjours affecté cette prerogative, de ne pouvoir être jugez que par les Baillifs. Loyseau des Seigneuries c. 8. n. 58. temoigne qu’anciennement les Gentilshommes pretendoient ne pouvoit être jugez qu’en l’assemblée des Pairs de fief ou Francs-Hommes, c’est à dire Vassaux ou Gentilshommes comme eux, qui êtoit l’assemblée des Assises, ce qui se pratique encore en Lorraine ; c’est pour cette raison que les Baillifs en connoissent au prejudice des Vicomtes et des Prevots ; Ce privilege leur fut conservé par l’Edit de Cremieu Art. 5. qui attribuoit aux Juges ressortissans sans moyen au Parlement, la connoissance de toutes les matieres civil et criminelles, personnelles et possessoires des nobles.

Mais sur l’opposition des Seigneurs Haut-Justiciers, par un Edit donné à Compiegne, le Roy declara qu’il n’avoit entendu faire un reglement qu’entre ses Officiers, et non pas faire du prejudice aux Seigneurs, voulant que leurs Justices demeurassent en leur entier, de sorte que les Gentilshommes qui ont leur domicile dans le district d’une Haute-Justice, ne peuvent pas demander leur renvoy par devant le Bailly Royal.

Nous trouvons dans 1’ancienne Coûtume c. 9. que les Barons doivent être jugez par leurs Pairs : Le Glossateur estime que cela ne s’entend que des choses qui concernent leurs Baronnies, et non point des causes mobiliaires, desquelles le jugement pouvoit être fait par un Bas-Justicier. Nos anciens Normans neanmoins êtoient fort jaloux de cette prerogative, imitans en cela les citoyens Ro-mains, qui ne pouvoient être jugez à mort qu’en pleine assemblée de tout le peuple de Rome, et par le droit Romain : Illustres personae speciales habebant Judices l. 3. c. de dignitat. Et en Sicile ils obtinobtinrent un Edit de l’Empereur Frederic, par lequel en renouvelant leurs privileges, il ordonna que toutes leurs causes civil et criminelles ne pourroient être jugées que par les Comtes et les Barons, et par ceux seulement qui avoient des fiefs immediatement relevans du Roy.

Ces paroles, entre personnes nobles, ne comprennent pas seulement ceux qui sont nobles d’origine, mais aussi ceux qui joüissent des privileges et des prerogative, de noblesse, comme les Ec-clesiastiques et les Officiers de Cours souveraines, et autres. Mais à l’égard de ces derniers qui ne sont qu’en possession de la noblesse, il y a eu de la difficulté sur ce point ; si ce privilege finissoit par leur mort, comme n’êtant donné qu’à leurs personnes.

On l’a jugé diversement, car à l’égard des Ecclesiastiques lors qu’on vouloit proceder à la confection d’inventaire d’un Prestre de ce nom ; il se meut question entre le Bailly et le Vicomte du lieu, pour la connoissànce de l’opposition qui fut formée pour la confection de cet inventaire. On pretendoit que s’agissant de l’inventaire des meubles d’un Prestre, le Bailly en êtoit competent, puis que durant sa vie il eust connû de ses causes ; parce qu’il jouissoit du privilege des nobles, et comme la confection d’inventaire des meubles d’un Gentilhomme appartiendroit au Bailly, nonobstant que ses heritiers fussent de condition roturière, aussi s’agissant des biens d’un Prestre il falloit considerer seulement la qualité qu’il avoit euë durant sa vie : Le Vicomte soûtenoit que la consequence des nobles aux Prestres n’êtoit pas valable en cette rencontre, le Prestre n’êtoit reputé noble que par privilege, et ce privilege finissoit par sa mort ; mais par Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre le 16 de Novembre 1645. la connoissànce de la cause fut renvoyée au Vicomte de Vernon.

Au contraire par Arrest du 29 de Janvier 1672. l’ordre et la distribution des deniers provenus de la vente des meubles du sieur le Nouvel Tresorier de France à Roüen, fut renvoyée devant le Bailly, quoy que la veuve eust renoncé, et qu’il n’y eust point d’heritiers : On estima qu’un Officier conservoit encore quelque prerogative de sa dignité aprés son decez, et que le privilege du sieur le Nouvel, quoy qu’il ne fut pas de condition noble, subsistoit à l’effet d’attribuer au Bailly la discussion de ses biens-meubles ; plaidans de Cahagnes pour le Bailly, et le Bourgeois pour le Vicomte de Roüen.

Nous avons encore une Jurisprudence particuliere pour la Jurisdiction des Consuls : L’heritier d’un Marchand, quoy qu’il ne soit plus de cette profession, est tenu de plaider devant eux pour les effets qui luy sont demandez, resultans de marchandises faites par le defunt. Cela fut jugé de la sorte en l’Audience de la Grand-Chambre le 15 de Janvier 1669. contre les enfans de defunt Pouchet Marchand à Roüen, qui soûtenoient que n’êtant point Marchands et n’ayant qualité que de défendeurs on leur devoit accorder leur renvoy devant leur Juge naturel, suivant la règle : Actor sequitur forum rei. L’Arrest fondé sur ce que lors qu’il s’agit de marchandises, les Consuls en sont competans, tant en demandant qu’en défendant ; plaidans Maurry, Greard, et Aubout.

Un Gentilhomme heritier d’un Roturier ne pourroit être poursuivy devant le Vicomte en une cause personnelle.

Lors que la Coûtume donne au Bailly la connoissance de toutes matieres hereditaires et personnelles entre personnes nobles, son intention n’est pas qu’il puisse connoître de toutes les actions de cette nature, pourvû seulement qu’une des parties soit noble : Car si le defendeur êtoit Roturier, le Vicomte en seroit competent, ce que la Coûtume marque assez expressément par ces paroles entre personnes nobles, dont le sens est que quand le procez est entre personnes nobles pour des matieres hereditaires et personnelles, la competence en appartient au Bailly, soit que les biens dont il s’agit soient nobles ou roturiers, la raison est qu’en ce cas le Bailly est constitué Juge du demandeur et du défendeur ; mais lors que le défendeur est roturier, combien que la matiere soit hereditaire et personnelle, il peut demander son renvoy devant le Vicomte.

Cela resout la difficulté proposée parMe Jacques Godefroy , si le Bailly seroit competent de connoître d’une action en partage entre un noble et un roturier, la competence se regleroit par la qua-lité du défendeur ; car l’action en partage êtant mixte, reelle et personnelle, si le roturier êtoit le défendeur, il faudroit s’en tenir à la maxime generale, que Actor sequitur forum rei ; et par consequent le renvoyer devant son Juge naturel qui est le Vicomte.

Je sçay bien que par l’Article 7. de l’Edit de Cremieu, la matiere de partage de succession universelle entre personnes nobles, et entre personnes non nobles et roturieres ; quoy que les biens et heri-tages ou partie d’iceux soient roturiers, appartien aux Baillifs ; mais cette Ordonnance n’ayant point êté verifiée en la Cour, elle ne fait point de décision.

Et quand il se trouveroit un Fief dans la succession, le Vicomte n’en seroit pas moins competent, pourvû qu’il ne fût pas question de la qualité du Fief ou de ses droits et appartenances, car en ce cas la connoissance en est donnée au Bailly ; mais quand il ne s’agit que de le partager comme un autre corps hereditaire, la qualité feodale n’est point considerable pour la Jurifdiction ; et il suffit que l’action soit personnelle, pour obliger le demandeur à suivre la Jurisdiction du défendeur.

Sur ce principe Maître Josias Berault a écrit que s’il êtoit question des fermages d’un Fief noble entre le Seigneur et son Fermier qui soit défendeur, cette action êtant personnelle le Gentilhomme seroit obligé de suivre la Jurisdiction du Vicomte, cet Article ne pouvant être entendu que des choses appartenantes au Fief, comme Fief.

Si au contraire on poursuivoit la discussion de fermages de terres roturieres appartenantes à une personne noble, on ne pourroit agir que devant le Bailly : ce qui a êté ordonné par Arrest du 18 de Janvier 1655. sur ce que Monsieur le Procureur General remontra qu’il avoit êté proposé par le Lieutenant General de Caux, en la presence du Vicomte de Montivilliers, que pour la discussion des deniers des fermages des Gentilshommes provenans des terres roturieres, la competence en êtoit pretenduë par les Vicomtes, quoy que les Gentilshommes fussent défendeurs, et que l’action êtant personnelle, elle fût par consequent de la Jurisdiction du Bailly, comme Juge des causes personnelles des nobles ; c’est pourquoy il estimoit que l’action en devoit être poursuivie devant luy, requerant que si la Cour le trouvoit juste, il luy plust de donner Arrest qui pût servir de Reglement, sur quoy la Cour ordonna que les actions qui seroient introduites par voye d’Arrest, pour la discussion des deniers des meubles et des fermages des terres roturieres appartenantes aux nobles, seroient intentées devant le Bailly comme Juge naturel des actions personnelles des nobles.

Le Bailly et le Vicomte contestent encore souvent pour les plaids Royaux du Domaine du Roy.

Par l’ancienne Coûtume Tit. de justiciement, la connoissance en est donnée au Bailly ; Le Bailly, ditelle, est mis par dessus les autres pour garder la Justice au Duc. Par un Arrest du premier de Juin 1618.

Sur la Requête de Monsieur le Procureur General, il fut dit que les appellations des jugemens rendus par le Vicomte, en tenant ses plaids Royaux, seroient portées directement en la Cour.


III.

Des matieres beneficiales. Decimales. De Patronnage d’Eglise. De clameur de Loy apparente. De clameur revocatoire. Des privileges Royaux. De nouvelle dessaisine. De mariage encombré. De surdemande.

La Coûtume en cet Article donne une grande étenduë à la Jurisdiction du Bailly ; elle luy attribuë la connoissance des matieres beneficiales, ce n’est pourtant que pour le possessoire ; l’action pour le petitoire se traite devant le Juge d’Eglise. Mais cette question a êté decidée diversement, si celuy qui a êté declaré non recevable à son appel comme d’abus, peut par aprés appeler comme de grief ? Un appelant qui avoit êté debouté de son appel comme d’abus, se pourvût devant son Metropolitain, et ayant êté reçû appelant comme de grief, Monsieur l’Avocat General se porta appelant comme d’abus de la retention de la cause en la Jurisdiction Metropolitaine, et soûtint qu’un Prestre condamné par l’Official de l’un des Suffragans, ayant deux voyes pour se pourvoir, l’appel comme d’a-bus, ou l’appel comme de grief, quand il avoit choisi la voye de l’abus ; il ne pouvoit reprendre la voye d’appel comme de grief. Arrest du mois de Mars 1656. entre Me Neel Curé de Gesosse, contre le Substitut de Monsieur le Procureur General au Siege de Coûtance. Neel avoit êté condamné par l’Eves-que de Coûtance même, et non par son Official, à tenir prison durant sept ans ; et à jeûner trois fois la semaine, et privé de son Benefice. On le declara non recevable à appeler comme d’abus, sur un incident pour les arrerages de sa pension, qu’il avoit cedez au Geolier pour ses gîtes et gardes.

Ayant dit qu’il avoit relevé appel comme de grief au Metropolitain, Monsieur Huë Avocat General se leva et se porta appelant comme d’abus, de la reception de l’appel comme de grief, sur quoy il fut dit qu’il avoit êté mal, nullement, et abusivement procedé par l’Official de Roüen, et Neel declaré non recevable à son appel comme de grief. Et neanmoins le 31 du même mois et an, Maître Jacques le Carpentier condamné par sentence de l’Official de Roüen du mois de Juillet 1655. à un an de prison, et privé de son Benefice, ayant appelé comme d’abus de cette Sentence, la cause plaidée en l’Audience, on prononça sur l’appel hors de Cour, sauf à l’appelant à se pourvoir par appel comme de grief.

Ce dernier Arrest plus dans les regles, quand le Parlement prononce sur l’appel comme d’abus, il n’entre point au fonds, et ne prend point connoissance du grief qui peut avoir êté fait, et s’il a êté bien ou mal jugé. L’appel comme d’abus est préjudiciant, mais il n’ôte pas le moyen de se pourvoir par appel, comme de grief. Il ne seroit donc pas juste d’ôter à celuy qui pretend avoir reçû une injustice, les moyens de se pourvoir, bien qu’on ait jugé qu’il n’y ait point d’abus. Cela fut jugé en la cause de Me Gilles Cousin contre Magdeleine Roulier : cette femme avoit êté deboutée d’un appel comme d’abus ; depuis elle avoit obtenu des Lettres moratoires pour relever son appel comme de grief. sur l’appel de Cousin, d’une sentence du Bailly qui enterinoit les Lettres moratoires, il fut dit qu’il avoit êté bien jugé. Il est vray que quand la Cour a prononcé sur le possessoire d’un Benefice, on ne peut plus agir pour le petitoire devant l’Official, il y auroit abus si l’Official en prenoit connoiflance ; car quand la Cour juge le possessoire, on entre au fonds, et on discute le droit de la cause, et c’est pourquoy il ne seroit pas raisonnable de recommencer le procez devant le Juge d’Eglise. Hodie, dit Boyer sur là Coûtume de Bordeaux q. 4. Tit. des Justices, seculares iudices cognoscunt de omni possessorio etiam beneficiorum.

Le 3 d’Avril 1664. en l’Audience de la Grand-Chambre, sur une question de preference de deport, il fut ordonné que 1e Bailly en connoîtroit, et non l’Official, dont la procedure fut cassée. Et il fut dit aussi que le Curé ne pouvoit demander la preference, et qu’il êtoit seulement preferable pour desservir ; et par Arrest en la Grand-Chambre du 30 Juillet 1660. le Juge Royal fut declaré competent de connoître des reparations d’un Presbytere, quand l’action a êté formée contre l’heritier du Curé, nonobstant l’allegation faite que l’Official avoit êté le premier saisi. On tient que cette action est utriusque fori.

Suivant les Arrests remarquez parBerault , les comptes des Tresoriers d’Eglise doivent être rendus devant les Archidiacres, sauf en cas de contredit à se pourvoir devant le Bailly. Il y a divers Edits et Arrests du Conseil qui leur attribuent cette connoissance. Charles IX. par Edit du 3 Aoust 1571. Henry IV. par Lettres Patentes du 16 de Mars 1609. Loüis XIII. du 4 de Septembre 1619. Maître Charles Fevret de l’abus l. 4. c. 7. a écrit que nonobstant tout cela les Juges seculiers se sont maintenus au droit de connoître des comptes des deniers des Fabriques. Car s’agissant de biens temporels, et les comptables êtans personnes Laïques, on a crû qu’ils ne pouvoient être justiciables en choses profanes de la Cour Ecclesiastique. Outre que par l’Edit de Cremieu et par 1’Ordonnance de Blois Art. 52. et de Melun Art. 3. les Juges Royaux connoissent des disserents mûs pour le Temporel des Eglises de fondation Royale, ou qui ont Lettres de garde gardienne, et les autres Juges inferieurs des droits des autres Eglises. Il est même enjoint aux Juges, tant Royaux que Subalternes, de contraindre les Marguilliers à compter de leur manîment, pour en être les deniers employez aux ornemens et reparation des Eglises. C’est pourquoy, dit ce même Auteur, tous les Parlemens du Royaume declarent abusives les simples citations des Marguilliers devant le Juge d’Eglise, et toutes les procedures intervenuës en suite pour les obliger à rendre compte devant les Offi-ciaux ou Archidiacres.

Maître René Chopin aprés avoir examiné les raisons de l’un et de l’autre party, dit que, Quemadmodùm Sacerdorum ordini, edictis regiis sancita est profana jurisdictionis vacatio atque immunitas, ita in profanos quoque Episcopi, juridico prohibentur uti imperio : quocirca senatus pronunciavit abusivè profanarum fabrica rationum notionem sibi assumpsisse. Ce qui a êté jugé en la Grand-Chambre le 29 de Juillet 1655. L’Official d’Evreux avoit fait citer le Tresorier de la Paroisse de Sainte Genevieve de Vernon, qui sortoit de Charge, pour rendre compte devant luy ; le Tresorier se porta appelant comme d’abus de cette citation. Castel proposoit pour moyens d’appel, que les comptes êtoient de la competence du Juge Royal, quand il y avoit contestation ; il est vray qu’ils doivent être rendus premierement devant les Paroissiens, et examinez gratuitement par les Archidiacres en faisant leurs Visites, mais quand il y a du contredit, le Juge Ecclesiastique ne peut plus en connoître, l’affaire êtant purement temporelle, entre personnes Laïques ; que cela avoit êté jugé par les Arrests rapportez parBerault , et depuis au profit du sieur de Montchaton. Liout pour l’Official alleguoit des Arrests contraires ; on luy repliquoit que les Archidiacres n’avoient jamais êté autorisez à examiner les comptes, qu’en faisant leurs Visites, en la presence des Paroissiens, et lors qu’il y avoit contredit, la connoissance en appartient au juge Royal. Il fut dit mal, nullement, et abusivement procedé et ordonné, que le compte seroit rendu devant les Paroissiens, et en cas de contredit devant le Bailly.

Si l’heritier du défunt Titulaire est poursuivy par le Curé pour la reparation du Presbytere, la connoissance de cette action appartient au Juge Royal, et non à l’Official ; encore qu’il eut le premier saisi. Aprés la mort du Curé de Courbespine le Doyen Rural avoit fait adjourner son heritier devant l’Official pour la reparation du Presbytère. L’heritier avoit comparu devant l’Official, et consenti de faire travailler aux reparations, mais par sa negligence le nouveau Curé le fit adjourner devant le Juge Royal, où pour le profit d’un defaut contre cet heritier, on ordonna une descente sur les lieux à ses dépens, dont ayant appelé, et obtenu un Mandement en règlement de Juges, entre le Juge Royal et I’Official. De Ses Avocat pour l’heritier, et de l’Epiney pour le Promoteur, disoient que les actions formées pour la reparation des Presbytères, sunt utrisque fori, et que le premier saisi l’emportoit. Greard pour le nouveau Curé se défendoit par cette distinction, que quand le Doyen Rural agit contre un Curé pour l’obliger à reparer son Presbytere, il pouvoit en porter l’action devant le Juge d’Eglise, l’une et l’autre personne êtant Ecclesiastique, c’est en ce cas que la matiere est utriusque fori, le Juge Royal pouvant aussi en connoître par prevention. Mais il n’en est pas de même, quand l’heritier du défunt Curé est poursuivy par le nouveau Curé, le défendeur êtant une personne Laïque, il ne peut être traité que devant le Juge Royal, par l’Article 6. de l’Ordonnance de Blois.

La saisie du revenu des Ecclesiastiques pour reparations doit être faite par les Juges Royaux, à plus forte raison un Laïque ne doit plaider qu’en la Jurisdiction Royale. Que le mandement en reglement de Juges ne pouvoit échoir en ce cas, si le Juge d’Eglise pretendoit que le Juge Royal eut entrepris sur sa competence, il êtoit de l’ordre d’en appeler comme d’abus. La Cour par Arrest du 30 de Juillet 1660. sans s’arrêter au Mandement en reglement de Juges, mit l’appellation au neant, et confirma la procedure faite par le Juge Royal.

Des matieres Decimales.

P Our decider certainement la competence du Bailly sur les matieres decimales, il faut se souvenir que nous avons de deux especes de dixmes, l’une profane, et l’autre Ecclesiastique : On appelle profanes les dixmes qui peuvent être possedées par des personnes Laïques ; et l’on donne aux autres le nom d’Ecclesiastiques, parce qu’elles ne peuvent être perçûes que par les gens d’Eglise.

Le Bailly connoit des dixmes Ecclesiastiques quand il s’agit du possessoire ; le petitoire retourne à la Jurisdiction de l’Evefque. Mais pour les dixmes infeodées, la question tant pour le possessoire que pour le petitoire, ne peut en être traitée que devant le Juge Royal ; et pour lier les mains aux Juges d’Eglise, il suffit même d’alleguer l’infeodation, sans que l’on soit obligé d’en faire apparoir ; et sur cette seule allegation le Juge d’Eglise, sans entrer plus avant en connoissance de cause, doit renvoyer la matiere au Juge Royal, autrement il y auroit abus.Monsieur Loüet , et son Commentateur, let. D. n. 9.Monsieur le Prestre , cent. 1. c. 13.

Comme en cette Province il reste peu de dixmes infeodées, elles sont rarement la matiere d’un procez. On n’a point douté que les Laïques ne fussent capables de les posseder, pourvû que l’infeodation en eut êté faite auparavant le Concile de Latran, qui fut celebré sousAlexandre III . l’an 1179. Ils peuvent en disposer comme de leurs autres biens, et le commerce en est absolument libre, sans qu’il soit besoin d’aucun consentement de l’Evefque : In omnibus et per omnia eodem modo regulantur in hoc regno, sicut caetera bona patrimonialia, et caetera res profanae,Molin . de feudis 8. t. 8. n. 16. et seq.

L’article 63. de la Coûtume de Blois le porte expressément, sur lequel Pontanus reproche aux gens d’Eglise, qu’ils ont mauvaise grâce d’accuser les Laïques d’avoir usurpé leurs dixmes, puis qu’ils n’ont pas fait de scrupule de s’emparer des terres et des autres biens qui leur devoient demeurer en partage, suivant le commandement exprés de Dieu contenu dans la Loy de Moyse, nomb. 18. et Deut. 18. où Dieu ne donne que les dixmes aux Levites pour recompense du service qu’ils luy devoient rendre, mais il leur défend de posseder autre chose : Dixit Dominus ad Aaron, in terrâ eorum nihil possidebitis, nec habetitis terram inter eos. Filiis autem Levi dedi omnes decimas Israël. D’où il conclud que puisque l’Eglise possede aujourd’huy tant de belles terres et de dignitez temporelles qui ne devoient appartenir qu’aux Laïques : Non video, inquit, quâ ratione Laïcos ab hujusmodi decimis arceant, cui sanè rationi nusquam vidi à quoquam è Canonistis ESPERLUETTae hujusmodi farinae hominibus congruum datum responsum quod mihi aliquâ in parte satisfaceret.

Quoy qu’il en soit, il est certain que pour se maintenir en la possession des dixmes infeodées, il n’est point necessaire de justifier le tître primitif de l’infeodation, il suffit de prouver une possession immemoriale, car les possessions de cette qualité font presumer un tître : Vetustas possessionis vicem legis obtinet. l. 1. §. si de aq. et aq. pluv. arc. Par un Arrest donné en la Grand-Chambre le 27 Aoust 1675. au Rapport de Monsieur Sallet, entre les Religieux, Prieur et. Convent de Fescamp, et Charles le Cesne, Ecuyer sieur de Menilles, en consequence d’une possession immemoriale, ledit sieur de Menilles fut maintenu à prendre les pailles et feurres des dixmes de Menilles, en fournissant d’une grange pour ferrer lesdites dixmes.

Cette possession des dixmes infeodées a paru neanmoins si odieuse et si criminelle à quelques Ecrivains Ecclesiastiques, que les grandes victoires de Charles Martel, pour la défense du nom Chrétien, n’ont pû le mettre à couvert des calomnies, dont ils ont flétri sa memoire, parce qu’ils s’êtoient imaginez qu’il êtoit le premier qui les avoit usurpées. Ils ont feint qu’aprés la mort de ce Prince, saint Euchere Evesque d’Orleans avoit appris par une vision que son ame êtoit dans les Enfers, et que pour s’en mieux éclaircir il se transporta au sepulcre de Charles Martel avec Boniface et Fuldrade, Abbé de saint Denis ; dans cette vûë que s’il n’y trouvoit plus son corps, sa vision seroit veritable, et qu’ayant fait ouvrir son tombeau il en sortit un dragon, et que la cave parût toute noire comme si elle avoit êté brûlée par le feu.

Le Cardinal Baronius fut l’année 741. de nôtre Seigneur, refute cette fable, et montre qu’il êtoit impossible que saint Euchere eut eu cette vision aprés le decez de Charles Martel, parce qu’il êtoit mort plus de dix ans auparavant.

En effet nos Jurisconsultes et nos Historiens, qui n’ont pas ignoré l’antiquité Françoise, nous ont appris la veritable origine des dixmes infeodées, et qu’elle n’a point pour principe aucune usurpation ; car ils nous font remarquer, que sous les premiers Rois de la seconde Race, il êtoit ordinaire aux gens Ecclesiastiques, comme aux Laïques, de donner leurs terres à Emphyteose, par des Contrats qu’ils appelloient precaires, parce qu’il étoit en la liberté des Bailleurs de les revoquer quand il leur plaisoit. Solemnis fuit hac tempestate hujus Emphyteosis Ecclesiasticae contractus, ut inde nata sit origo beneficiorum Ecclesiasticorum, que nos hodie decimas infeodatas dicimus. Dominic. de praerog. alod. c. 11. n. 9. Et pour marque que ces infeodations se faisoient par des concessions volontaires, et non pas par des usurpations, le droit Canon même les a reconnuës et les appelle decimas in feudum datas c. tua 25. §. nec ex occasione ext. de decimis. c. statutum de decimis in 6.

Il peut bien être neanmoins, que quelquefois les Ecclesiastiques pour s’acquerir de la protection, ou peut-être forcez par les Princes, leur ont relâché quelques dixmes, et c’est le sentiment d’AlbertusCrantsius , lib. 1. metrop. c. 2. Ego aliam huic rei causam accessisse conjicio, cum non satis confiderent Pontifices sua jura à Principibus Laïcis tueri ; dedisse arbitror partem decimarum Principibus in manum per speciem feudi & beneficii, malentes amittere dimidium quàm totum, inde factum ut à Principibus transirent in ministeriales, quinimo militares appellantur. Mais la pluspart de ces infeodations de dixmes furent faites pour le Voyage de la Terre Sainte.

Pour les dixmes Ecclesiastiques, comme les choses sur lesquelles elles font pretenduës, ne sont pas toutes de même qualité, nous faisons aussi de deux especes de dixmes, d’ordinaires et d’insolites.

Si l’on en croit les Canonistes, toutes choses sont décimables. Rebuffe en son Traité des dixmes, a fait une pleine énumeration de toutes les choses qui sont sujetes au droit de dixmes. Mais comme on n’a pas suivi son sentiment par tout, non plus que celuy des Canonistes, et qu’au contraire suivant l’Ordonnance de Philippes le Bel, il faut avoir égard à la Coûtume des lieux ; je rapporteray plusieurs especes de dixmes insolites, et cotteray les Arrests qui en ont établi la redevance ou l’exemption.

Les dixmes insolites se reglent par la possession et par l’usage ; pour prouver cette possession il faut l’articuler précisément sur la chose contentieuse, suivant l’Art. 118. du Reglement de l’an 1666. il ne suffiroit pas de l’alleguer sur le plus grand nombre d’heritages de la même Paroisse ; et pour cet effet les preuves respectives sont reçuës, à sçavoir de la part du Curé de sa possession, et de la part du proprietaire de sa possession contraire. Arrest du 24 d’Avril 1659. entre Loüis le Tessier Ecuyer, appelant ; et Maître Gilles le Page Curé du Pontorzon, intimé. Ce Curé demandoit la dixme de quelque saules plantez sur le bord d’un marest ; et pretendoit que c’êtoit l’usage dans les Paroisses voisines, et qu’il en êtoit en possession : Le Juge sur de simples attestations, et sans aucune preuve, avoit condamné le proprietaire au payement de la dixme ; sur l’appel la Sentence fut cassée, et les parties reglées en preuves respectives ; quelques années aprés le même Curé, sans avoir fait aucune preuve, se fit encore adjuger la dixme, sur l’appel de Jehan Mahé, sieur des Moulins, ayant épousé Marie le Moyne, veuve de Loüis le Tessier, pour lequel je plaidois, il fut dit par Arrest du 8 de Janvier 1675. qu’il feroit sa preuve.

La question pour la dixme des bois, tant en haute fustaye qu’en taillis, a êté plusieurs fois disputée.

Pour la dixme des bois de haute fustaye, c’est à present une maxime, qu’elle n’est point dûë de la vente qui en est faite, car c’est plûtost une alienation d’une partie du fonds qu’un fruit et une joüissance. Depuis les Arrests rapportez parBerault , il fut encore jugé de la sorte en l’Audience de la Grand-Chambre, le 23 de Juin 1644. entre de Tournebu, et Maître du Jardin Curé de Briouse, plaidans Castel et dela Lande . Autre Arrest donné en la Chambre des Enquêtes du 7 de May 1638. entre Me Jacques Marests Avocat en la Cour, et Me Simon Papavoine Curé de Gomerville. Le Juge de Montivilliers avoit debouté le Curé de sa demande, et sur l’appel il avoit reduit sa demande à la dixme du bois qui avoit êté ébranché ; mais on mit l’appellation au neant ; et on ne fit point de difference entre le bois qui s’ébranchoit, et celuy qui n’avoit jamais êté coupé, soit qu’il fut planté en avenuës, ou en rangées, ou sur des fossez. Autre Arrest en la même année le 24 de Juillet, au Rapport de Monsieur du Moucel pour le sieur de Barville, contre Me le Carpentier Curé de Hernieville. Autre Arrest du 13 de May 1667. entre Me Jean l’Abbé Curé de Mery, et un particulier de la méme Paroisse, nonobstant la pretention de ce Curé, qu’encore que la dixme ne soit point dûë des bois de haute fustaye qui sont plantez pour l’ornement des maisons, il la devoit avoir des grands arbres qui se trouvent dans les hayes, quand ils sont abatus. Le Juge luy avoit permis de faire preuve de sa possession, et la sentence avoit êté confirmée par defaut en presence ; sur les Lettres de Requête civil on remit les parties en l’etat qu’elles êtoient auparavant ; et sur l’appel de la sentence, l’appellation et ce dont, le vendeur déchargé de la dixme, et les treiziémes adjugez au Receveur du Sei-gneur de Mery, plaidans Castel et Liout. On n’eut point d’egard au fait allegué par le Curé, que c’êtoit l’usage de payer la dixme du bois de haute fustaye, qui se coupe et qui se vend quand il est sur des fossez, et que pour avoir laissé croître cette sorte de bois, dont la dixme eut êté dûë s’il avoit êté coupé, le Curé ne devoit point être privé de son droit. Et le 12 de Juillet de la même année, aprés qu’il eut êté dit par la Cour entre le sieur de Fremont Poissy, et le Curé du Boisbenard, que le treiziéme des bois êtans en haye excedans quarante ans, êtoit dû au seigneur. Monsieur le Guerchois Avocat General, aprés la prononciation de l’Arrest, remontra que le treiziéme ni la dixme ne pouvoient être demandez des poiriers et des pommiers, sur quoy Me Castel Avocat du Curé declara qu’il ne la demandoit point, dont on luy accorda Acte.

Les bois coupez par le proprietaire pour son usage ou pour ses autres commoditez, soit qu’il les consume sur les lieux, ou qu’il les transporte ailleurs, ne sont point sujets au droit de dixme.

Arrest du 18 de Janvier 1658. entre Me Estienne le Bou Curé de Proussi, et Jacques du Guey sieur de la Fresnoye, le fait de possession mis en avant par le Curé ne fut point reçû, plaidans Theroulde et Durand. Autre Arrest du 27 de Mars de la même année, entre Guillaume le Page Bourgeois de Roüen, appelant d’une Sentence qui declaroit pertinent le fait posé par le Curé de la Trinité de Touberville, à sçavoir sa possession pour la dixme du bois usé par le proprietaire, et faute par le défendeur d’en avoir attendu la preuve, il avoit êté condamné à payer la dixme ; par l’Arrest la Sentence fut cassée, et sur l’action du Curé les parties hors de Cour. Et au procez d’entre Me Charles Gruin Seigneur de Preaux, et la Dame Abbesse de saint Amand, cette question fut fort contestée, si ledit sieur Gruin êtoit obligé de payer la dixme des bois qu’il prendroit dans ladite Forest de Preaux, tant pour son usage que pour les réedifications et reparations du Château de Preaux et des Fermes qui en dependoient ; et par Arrest au Rapport de Monsieur de Touvens, du 30 de Juillet 1672. la Dame Abbesse de saint Amand fut deboutée de sa demande sur les bois qui serviroient à ces usages-là, lesquels furent limitez pour le chauffage dudit sieur Gruin à cent cordes par chacun an ; et pour le bois merrein qui seroit necessaire pour le Château, Fermes et Moulins, il fut pareillement declaré exempt du droit de dixme : et par un autre Arrest entre les mêmes parties, et au Rapport dudit sieur de Touvens, du 14 d’Aoust 1673. il fut dit que la dixme des bois taillis seroit payée au dixiéme, en contribuant par ladite Dame Abbesse à la façon et ouvrage desdits bois, si mieux elle ne vouloit prendre ladite dixme à l’onziéme, ouvré et lié aux depens dudit Gruin, et que tous les bois seroient abattus aux frais dudit Gruin.

On avoit jugé la même chose long-temps auparavant entre Maître Michel le Preux Curé de CROCHETO XXX CROCHETF appelant, et Charles Denis sieur Desbois intimé ; l’appelant demandoit à l’intimé la dixme des bois taillis, on offroit de la luy payer des bois qui seroient vendus, mais on la refusoit pour ceux que le proprietaire couperoit pour son usage. Le Curé representoit que la dixme n’êtoit point dûë à cause de la vente, mais de la recolte ; autrement il n’en seroit point deub des bleds ni des autres fruits que les particuliers employent à leurs usages ; et comme la plus grande partie des terres de sa Paroisse êtoit plantée en bois, si ses Paroissiens êtoient exempts de la dixme de ce qu’ils consumoient en leurs maisons, il ne luy resteroit rien ; et c’est pourquoy il demandoit à prouver que suivant la coûtume du lieu la dixme êtoit payée de tous les bois taillis, même de ceux que l’on coupoit pour son usage. Par Arrest du 10 de Juillet 1610. on confirma la Sentence qui adjugeoit au Curé la dixme des bois vendus par le proprietaire, et qui le deboutoit de sa demande pour ceux que le proprietaire usoit, plaidans Giot et Belot.

Pour les dixmes insolites comme les bois taillis, la possession sur la plus grande partie de la Paroisse n’est pas suffisante, il faut la justifier particulierement sur la chose, et l’Article 118. du Reglement de l’an 1666. qui l’ordonne de la sorte, est fondé sur un Arrest donné le 19 de Juin 1663. entre Guillaume le Bienvenu Curé de Moulineaux, et Monsieur le Mareschal d’Estampes. Ce Curé demandoit à Monsieur le Mareschal d’Estampes la dixme des bois qu’il possedoit en sa Paroisse, et pour cet effet il alleguoit sa possession sur la plus grande partie des bois de la Paroisse ; Mais on luy repondoit que cette possession ne luy donnoit pas un droit sur les bois qui ne luy avoient jamais rien payé, que cette dixme êtant insolite, il falloit alleguer une possession sur la chose mêmae, tantum praescriptum quantum possessum. Par l’Arrest sur la demande du Curé on mit les parties hors de Cour. Par autre Arrest du mois de Juillet en la même année, plaidans de l’Espiney et Theroulde, bien que la possession du Curé sur les autres bois fut certaine, le Curé fut obligé d’entreprendre sa preuve sur le bois dont il êtoit question. Autre Arrest du 4 de septembre 1658. entre Minfant sieur de Craville, et le Curé de Palluel. Ce Curé maintenoit que c’êtoit l’usage de sa Paroisse et des Paroisses voisines de payer la dixme des bois taillis. Ledit de Craville alleguoit un usage contraire, et se défendoit par le defaut de possession sur ses bois ; par l’Arrest le sieur de Craville fut déchargé.

Neanmoins si le proprietaire de son côte alleguoit des faits contraires, et offroit de les prouver, il faudroit appointer les parties en preuves respectives, suivant l’Arrest donné en l’Audience de la

Grand-Chambre le 21 de Novembre 1619. entre du Quesne appelant, et le Curé de Sainte Opportune ; ce Curé offroit de prouver sa possession de la dixme sur les bois taillis de du Quesne. Au contraire du Quesne demandoit à prouver son exemption ; sur l’appel de la Sentence qui ajugeoit la dixme au Curé, il fut dit qu’il avoit êté mal jugé, et les parties furent appointées en preuves respectives.

Le droit de Tiers et Danger fait ordinairement une preuve contre le droit de dixme, comme au contraire le payement de la dixme est un argument d’exemption contre le Tiers et Danger : nous avons neanmoins des exemples des bois taillis, qui ont êté declarez sujets à la dixme en consequence de la possession, quoy qu’ils fussent chargez du droit de Tiers et Danger. Cela fut jugé en la Chambre des Enquêtes le 3 de Mars 1639. au Rapport de Monsieur du Fay. La dixme des bois de Franqueville fut ajugée à Me Quentin Benard, Curé du Mesnil, quoy que le proprietaire justifiast qu’il payoit au Roy douze livres de rente pour le Tiers et Danger ; mais le Curé avoit fait preuve de sa possession, sa partie êtoit Hippolyte de Bauqumare. La raison de douter êtoit que les bois sujets à la dixme, sont ordinairement plantez de main d’homme. Mais il n’est pas incompatible qu’un proprietaire qui a des bois à Tiers et Danger ne donne la dixme sur iceux, ou qu’il ne la constituë par quelque convention, et la possession par quarante ans fait présumer le tître.

Cette question fut mûë entre deux fermiers pour la dixme des bois taillis : La Dame du Quesne Bourneville avoit fait vente d’un bois taillis à Genevray, à condition de l’user en trois coupes consecutives : pour la premiere coupe Isaac des Ruës, fermier du temporel de l’Abbaye de Preaux, se fit payer de toute la dixme qui pouvoit être dûë pour la coupe du bois entier, mais avant la seconde coupe il fut dépossedé à cause de la mort de l’Abbé. L’Oeconome fait un nouveau bail à Philippe Marette, qui demanda à Genevray la dixme du bois qu’il avoit coupé durant sa joüissance. Des Ruës qui l’avoit reçûë s’en defendoit par cette raison, que les bois avoient profité et crû durant sa jouissance. Le Juge du Ponteaudemer ordonna que des Ruës auroit les deux tiers ; et Marette l’autre tiers. Sur l’appel de Marette, je disois que le temps de la coupe du bois, et non le temps de sa joüissance, devoit regler le droit de la perception de la dixme ; que les premiers hommes qui offrirent la dixme de leurs bleds, ne la donnerent que pour reconnoissance de l’heureuse recolte qu’ils en avoient faite ; que des Ruës ne pouvoit avoir plus de droit que le défunt Abbé, dont les heritiers ne pourroient demander cette dixme sur ce fondement que les fruits où les bois seroient crûs pendant sa joüissance ; il ne leur appartiendroit que ce qui êtoit en état d’être perçû au temps de sa mort ; et par la Coûtume le bois n’est reputé meuble qu’aprés être coupé, auparavant il fait partie du fonds, l. 9. ad l. falcidiam, dont la dixme n’est point duë ; et par la même Coûtume les fermiers et les femmes n’ont point de part aux pepinieres, que quand elles sont prêtes à lever ou à la fin de leur bail, ou au temps de la mort de leurs maris. Par Arrest du 26 d’Avril 1657. en la Grand-Chambre, on cassa la Sentence, et la dixme entiere fut ajugée à Marette.

Pour la dixme des pommes et des poires, quoy qu’elle semble solite, elle a êté reglée par la possession. Suivant cela par Arrest du 8 de Mars 1629. les habitans du village de Sigi furent déchargez de la dixme des pommes et des poires, parce qu’ils êtoient en possession de n’en payer point : Ce qui fut encore jugé en l’Audience de la Grand-Chambre le 16 de Juillet 1666. entre le Curé des Obeaux et ses Paroissiers. Et par ce même Arrest on décida cette autre question, que la dixme êtoit dûë des pepinieres pour ce qui en avoit êté vendu et transporté hors de la Paroisse seulement ; car il ne seroit pas juste que le Curé perçût la dixme des arbres plantez par le proprietaire, ou qu’il auroit vendus pour être plantez dans la Paroisse, et parcequ’un jour il en aura le profit ; et pour connoître le nombre qu’on en avoit vendu, il fut dit que le Curé en bailleroit une declaration : ce même Arrest apointa encore les parties en preuves respectives, à sçavoir le Curé qu’il êtoit en possession de percevoir la verte dixme, à l’onzieme gerbe, et les Paroissiens que c’êtoit l’usage de ne la payer qu’à la quinziéme.

Mais la dispute a êté grande touchant la dixme de ce qui croist dans les vergers et dans les jardins. Le Chapitre, non est. De decimii, veut que la dixme en soit payée ; et Rebuffe est d’avis qu’elle soit payée des herbes et des legumes, et de la premiere et de la seconde levée, de decim. l. 8. n. 7. L’on apprend de Monsieur d’Olive que dans le Parlement de Toloze on a fait cette distinction, que la dixme êtoit dûë des vins, des bleds, et des autres grains que les habitans recueillent dans leurs vergers et dans leurs jardins, et neanmoins qu’ils auroient exemption pour deux journées de terre ; et en interpretation de l’Arrest, qui le jugeoit de la sorte, si les deux journées êtoient d’hommes ou de bestes, il fut dit par un autre Arrest que cette exemption n’auroit lieu que pour deux journées d’homme. On a jugé la même chose dans ce Parlement là pour la dixme des jardins dont on se fert pour en tirer du profit, et dont les terres êtoient autrefois destinées pour le la-bourage ; mais on a exempté de ce droit les jardins clos et fermez, qui ne fervent que pour le plaisir, et pour I’usage des proprietaires : Cette occupation fait les delices des honnêtes gens, c’est le sujet d’une recreation innocente, pour delasser agreablement l’esprit accablé par la fatigue du travail et des affaires. Et c’est pourquoy Epicure qui sçavoit si bien goûter les honnêtes plaisirs de la vie, fut le premier qui commença de cultiver des jardins à Athenes. Primus hortos instituit Athenis

Epicurus orii magister, ufque ad eum moris non fuerat, in oppidis habitari rura. D’ailleurs c’est un secours et une commodité pour les pauvres gens ; hortus, ager paupeis est.

Cette question fut mûë en cette Province entre les Religieux Recollects de Rouen, et le Curé de saint Godard, et décidée par Arrest du 2 de May 1631. qui condamna les Recollects à payer la dixme de leurs jardins, parce que les terres en avoient êté labourées auparavant.

Sur cette matiere de dixmes insolites, le Parlement de Paris a donné un Arrest conforme à nos Maximes, du 23 d’Aoust 1664. contre Demoiselle Magdeleine Bunache, et Me Jacques Langlois Curé de saint Just, par lequel aprés des preuves respectives de possession, ledit Curé de saint Just fut maintenu au droit de percevoir la dixme des bois taillis, de sain-foin, des vins, des arbres fruitiers, des legumes, et des autres grains croissans dans les clos et les jardins, à l’exception des autres potagers. Journal des Audiences, seconde partie, l. 6. c. 44. La dixme des choux et des panets qui ont êté semez à la campagne est dûë au Curé : par Arrest de l’année 1655. plaidans Herruet et moy.

On doutoit autrefois si les sarrasins ou bleds noirs devoient être comptez entre les grains sujets à la grosse dixme, ou si c’êtoit une dixme insolite. Par Arrest du 2 de Mars 1629. ils surent jugez grosse dixme. Entre les Doyen et Chanoines du Chapitre de Coûtance, et le Curé de S. Vigor les Monts, les deux tiers furent ajugez au Chapitre, et l’autre tiers au Curé. Autre Arrest précedent du 27 de Novembre 1621. entre Me Jean l’Aumônier Curé de Couleuvré, et la Dame Prieure du Prieuré Blanc prés Mortain, la dixme des sarrasins fut ajugée à ladite Prieure. Autre Arrest du 29 de Juillet 1538. donné au Rapport de Monsieur de Gallentine, entre les Curez de Sahurs et Alexandre et Mignot, ausquels la dixme infeodée de la Curé de sahurs appartient, la dixme des sarrasins fut aussi ajugée ausdits sieurs Alexandre et Mignot. Ces Arrests font fondez sur ces raisons, que le sarrasin est un bled dont on fait du pain, et qu’il s’en faisoit quantité dans les champs où la grosse dixme se recueilloit.

De toutes les dixmes insolites, celle du poisson qui se prend en la mer paroist la plus extraordinaire ; cette pesche se faisant avec tant de hazards et par de pauvres pescheurs qui exposent leurs vies à l’inconstance et à la fureur des ondes et des vents, il est rigoureux de l’exiger d’eux : la mer où cette pesche se fait êtant commune et publique, elle ne peut recevoir aucune servitude. Mari, quod natura omnibus patet, servitus imponi non potest. l. conditor D. commorun. praed. et cette liberté naturelle est si legitime, que celuy qui s’y voit troublé a droit de s’en plaindre en Justice ; si quis in mari piscari prohibeatur, aciione injuriarum uti potest, l. 3. 59. ne quid in loco publ. l. injuriarum 13. §. ult. de injur. Ainsi cette dixme êtant insolite et inusitée, le Curé est non recevable à la demander ; on disoit au contraire, que suivant le droit commun la dixme du poisson êtoit dûë, et que c’êtoit peut-être la premiere quia êté confirmée par le C. 1. extrav. de decimis : de stagnis et piscariis decima solvitur : et Rebufe en sa quest. 8. n. 10. de decimis, est aussi d’avis que la dixme est dûë des poissons qur se prennent en la mer, quasi ex lucro illi Ecclesiae ubi divina audiuntur. Par Arrest donné au Rapport de Monsieur de Toufreville le Roux, entre les habitans de S. Vaast en Côtentin, dont j’êtois Avocat, et Me Hamelin Curé de ladite Paroisse ; ledit Curé fut maintenu en la possession de percevoir la dixme du poisson pesché en la mer, à sçavoir la douziéme, raye en essence, et s’il s’en pesche moins que douze, le douziéme denier du prix auquel le poisson sera vendu.Pausanias , in Photicu p. 624. a remarqué que tous les ans on envoyoit à Jupiter Olympien, et à Apollon à Delphes, la dixme de la pesche des Thons.

Rebufe au lieu preallegué, n. 17. veut aussi que la dixme puisse être exigée du gibier que l’on prend, alleguant pour fondement que l’on doit la dixme de tout le profit que l’on fait, et parce que le Jurisconsulte en la l. item si fundi §. si insula ff. usuf. a dit aucupiorum usum fructum ficut piscationum et venationum esse fructuarii. Il conclut de là que si l’on en tire du profit, si fructus aucupii excipiantur, que la dixme en est dûë. On n’a pas toûjours crû les Docteurs Canonistes sur cette matiere, et l’on n’a point approuvé cette doctrine que la dixme soit exigible de tout le profit que l’on peut faire ; et quoy que ces Auteurs ayent fait deux especes de dixmes, les prediales et les personnelles, nous ne connoissons que les prediales, et l’on n’a point l’usage des personnelles, qu’ils font consister en la dixme de tout le profit que l’on peut faire. C. ex transmissa de decimis, aux decret. Et quoy que ce Chapitre n’obligeast les Fidéles qu’à payer la dixme de ce qui êtoit acquis justement, neanmoins la Glose veut que la dixme soit payée des choses acquises par des voyes illicites, et sic meretrix, histrio ; simoniacus, et qui de mammona iniquitatis vivunt, tenentur decimam dare. Elle y apporte seulement ce temperament, que le Curé ne la doit pas recevoir directement de la main de la femme débauchée, afin qu’il ne paroisse pas luy accorder l’impunité de son vice.

Le sain-foin a êté aussi declaré sujet à la dixme, par Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre du 4 d’Aoust 1620. entre Maître Guillaume le Vendengeur, Curé de Versanville, et Jean Jean fieur dudit lieu, par lequel le Curé demandoit la dixme du sain-foin qu’on avoir semé sur des terres labourables auparavant, et sur lesquelles il percevoit la dixme ; les parties avoient êté reglées à écrire et à produire, et sur l’appel du Curé, la Cour aprés sa declaration, qu’il ne pretendoit le droit de sain-foin que sur les terres qui êtoient auparavant labourées et sujettes au droit de dixme, luy accorda la dixme sur les terres semées en sain-foin qui êtoient auparavant labourées.

Autre Arrest du 15 de janvier 1637. en l’Audience de la Grand-Chambre, entre le Curé de Urigni et Coisserel, plaidans Morlet et le Marchand.

Pour la dixme des foins et de prairies, comme elle est insolite, elle se regle aussi selon l’usage et la possession. Dans la Paroisse de saint Clair, proche de Gournay, il y avoit quantité de marests qui furent assechez ; le Curé demanda la dixme des fruits qu’on y recueilloit quand ils êtoient enlevez hors de sa Paroisse, disant que c’êtoit I’usage de la payer. Madame la Duchesse de Longueville alleguoit pour sa defense l’Article 118. du Reglement de l’an 1666. suivant lequel les dixmes insolites, comme des foins et des prez, devoient être reglées par la possession sur le fonds dont il êtoit question : or le Curé n’offroit pas de justifier cette possession ; par Arrest du 10 de Decembre 1666. le Curé fut debouté de sa demande. Mais comme en cette Province il y a nombre d’herbages, et que les proprietaires laissent souvent en pâturage les terres qu’ils labouroient auparavant, soit pour les rendre plus fertiles, ou pour la necessité qu’ils en ont pour la nour-riture de leur bétail, cela a fait naître un grand nombre de procez ; et quoy qu’on ait donné plusieurs Arrests sur cette matiere, on peut dire que toutes les difficultez ne sont pas encore decidées, et que la jurisprudence n’en est pas tout à fait certaine.

Pour les herbages qui n’ont point êté labourez depuis quarante ans, ils ne sont point decimables ; et pour ceux qui ont êté labourez depuis ce temps-là, la dixme peut regulierement en être demandée, et neanmoins on y a fait plusieurs exceptions. Par un Arrest donné en la Chambre des Enquêtes l’11 d’Avril 1639. au Rapport de Monsieur Lamy, entre Huet et Me Pierre Barey, Curé de Corbon, cette question fut decidée. Ce Curé de Corbon demandoit la dixme de quelques pieces de terres, qu’il justifioit avoir êté labourées depuis quarante ans. Huet s’en defendoit pour n’avoir jamais payé la dixme de ces terres-là, outre qu’elles servoient pour la nourriture des boeufs et des chevaux qu’il employoit pour son labourage, que le Curé êtoit hors d’interest, êtant recompensé par la dixme des fruits qui croissoient sur ces terres-là, et par la dixme des agneaux et des veaux qui provenoient des brebis et des vaches lesquelles y êtoient nourries, et c’est pourquoy si le Curé obtenoit sa demande il auroit deux dixmes ; l’une de la terre, et l’autre des bestiaux qui la dépoüillent. Le Juge du Pontlevefque avoit condamné Huet à payer la dixme de l’herbe desdites terres, suivant l’estimation qui en seroit faite ; sur l’appel de Huet la Cour mit l’appellation, et ce dont êtoit appelé au neant, et ledit Huet fut declaré exempt de la dixme demandée, à la reserve du bétail qu’il engraisseroit daris lesdits herbages pour revendre, ou qu’il allouërait pour y herbager, et qu’il payeroit aussi la dixme de ses bestiaux domestiques. Lors de cet Arrest furent vûs plusieurs anciens Arrests ; un du 13 de Fevrier 1517. pour les Religieuses du Plessis Grimout, contre Fouques qui avoit mis en herbage soixante vergées de terre qu’il labourait auparavant. Il fut neanmoins exempt de la dixme des herbages servant à la nourriture des bestiaux qu’il employoit à son ménage, vû qu’il payoit la dixme des choses provenantes de ces mêmes bestiaux.

Depuis quelques années plusieurs proprietaires d’heritages profitans plus à les laisser en pâturage, qu’a les labourer, la dixme leur en fut aussi-tost demandée par les Curez, ce qui causa une infinité de procez. Pour y donner quelque reglement, la Cour en la cause de Me Jacques André Curé de Fresville, contre Guillaume Dossier, et plusieurs autres habitans de Fresville, ordonna par Arrest du 28 Février 1647. que le Curé seroit payé de la dixme des terres labourées depuis quarante ans, quoy que reduites en nature d’herbages, si mieux les proprietaires n’aimoient laisser en labourage le tiers de toutes leurs terres, et payer les choses naturellement decimables des bestiaux qui pâtureroient sur leurs heritages.

Ce Reglement ne plût pas aux Curez ni aux gros Decimateurs, ils ont entrepris plusieurs fois d’exiger la dixme des terres reduites en herbages, quoy que le proprietaire labourât le tiers de ses terres. Me le Vaillant Chanoine Prebendé de Gueron, avoit fait condamner par le Juge de Bayeux Jacques du Vivier, Ecuyer sieur de Croüay, à luy payer la dixme des terres qu’il avoit nouvellement reduites en pâturage. sur l’appel je soûtenois pour luy, suivant le Reglement donné pour le Curé de Fresville ; que labourant plus que le tiers de ses terres, il en êtoit exempt.

Ce qui fut jugé aux Enquêtes le 23 de Decembre 1654. après que le sieur Croüay eut justifié qu’il labouroit plus que le tiers de ses terres. Et en l’année 1670. les sieurs Doyen et Chanoine du Chapitre de Bayeux, ayant formé la même question contre Jacques le Prevost Ecuyer, sieur de Gramnont, et obtenu sentence à leur benefice sur l’appel par un Arrest interlocutoire, les parties furent appointées en preuves respectives de l’usage du païs. En execution de cet Arrest, le sieur de Grammont ayant prouvé I’usage par le témoignage des Curez des Paroisses voisines, par Arrest du 18 de Fevrier 1672. on cassa la sentence, et le sieur de Grammont fut déchargé de la dixme dont êtoit question, en labourant neanmoins le tiers de ses terres. Je plaidois pour luy.

Nonobstant ces Arrests on tâche encore de rendre cette jurisprudence douteuse, et on prétend que le Reglement donné pour le Curé de Fresville, ne doit avoir lieu que pour la Basse Normandie, à cause du grand nombre d’herbages qui sont en ce païs-là, et qu’il a êté particulierement fait pour le Bailliage de Côtentin ; et pour cet effet on allegue un Arrest donné le 16 de Juillet 1666. sur ce fait entre Me Nicolas Houssaye Prestre, Curé de Livet, et Christophe Hali Ecuyer, sieur de la Cour de Livet. Ce Curé êtoit appelant d’une sentence qui le deboutoit de sa demande, pour la dixme de certaines terres reduites en nature de pré. Clouet son Avocat conclut qu’il avoit êté mal jugé, parce qu’une partie des terres dont êtoit question, avoit êté labourée depuîs quarante ans, et qu’on en avoit payé la dixme ; et l’autre partie êtoit en masure, logée et plantée d’arbres fruitiers, ce qui luy produisoit la dixme des fruits, et les dixmes domestiques ; que pour en avoir changé la nature, et les avoir appliquées en prairies, il ne devoit pas être privé de son droit qui est réel, qui affecte le fonds, et qui n’en peut être affranchi, suivant cette maxime, que mutata superficie soli, non mutatur jus decimandi : Outre la preuve qu’il offroit faire de sa possession, sur tous les habitans, de la dixme des terres nouvellement reduites en prez, soit qu’elles eussent êté labourées auparavant, ou qu’elles fussent en masure, que cela avoit êté jugé de la sorte, par un Arrest rapporté parBrodeau , pour 1e Curé d’Issoudun, à qui la dixme du foin fut ajugée sur les possesseurs du fonds. De l’Epiney pour le sieur de la Cour repondoit, qu’il y a des terres de trois differentes qualitez ; les premieres sont des anciennes prairies, sur lesquelles on avoit fait des bàtimens pour des blanchissages de toiles ; et sur celles-là, bien qu’on en ôte les bâtimens, et qu’on les remette en leur premiere nature, la dixme ne peut être dûë. La deuxiéme est des masures qui ont êté converties en prairies, dont il disoit que l’on ne pouvoit aussi demander la dixme, mais seulement celle des fruits ; ainsi quand le proprietaire voudroit laisser toute sa masure en herbe, le Curé ne pourroit l’en empescher. La troisiéme est des terres labourables changées en prairies, dont il n’en possedoit aucunes, et par ces raisons il concluoit qu’il n’etoit dû aucune dixme. Par l’Arrest la dixme fut ajugée au Curé des terres labourables mises en prairies, et debouté des deux autres articles, la dixme des prez êtant insolite ; donc il n’avoit aucune possession sur aucun pré de la Paroisse.

Mais depuis on a jugé contre le Curé de s. Estienne l’Aillier, qui est de la Vicomté du Ponteaudemer, qu’il ne pouvoit demander la dixme d’une portion de terre que son Paroissien avoit reduite en herbage et plant pour la commodite de son ménage, quoy qu’auparavant il en eust payé la dixme ; cet Arrest fut donné en l’Audience de la Grand-Chambre le 9 de Juillet 1671. plaidans Lyout et de Cahagnes. On a voulu comprendre la dixme du sain-foin dans le Reglement fait pour les herbages. Me Michel Poulain Curé d’Aubry le Pantou, ayant demandé la dixme du sain-foin à Noël de Launay, il pretendit ne la devoir point, n’ayant fait ce sain-foin que pour la commodité de son ménage, et mettant en labour plus que le tiers de ses autres terres, voulant justifier que c’êtoit l’usage du païs, et conformément à ses conclusions le Juge l’avoit déchargé du payement de la dixme : sur l’appel du Curé, de l’Epiney disoit que le sain-foin êtoit semé et labouré comme les autres grains, et que partant c’êtoit une dixme ordinaire, contre le payement de laquelle on ne pouvoit alleguer aucune prescription ni usage, offrant en tout cas verifier sa possession sur la chose même : Louvet pour de Launay pretendoit qu’il pouvoit laisser des terres en sain-foin comme en herbages, et qu’en labourant le tiers de ses autres terres il ne devoit point de dixme, et que c’êtoit l’usage du païs. Par Arrest du 9 de Juillet 1675. la Sentence fut cassée, et de Launay condamné au payement de la dixme.

Par un ancien Arrest du 4 de Juillet 1520. on jugea au profit des Religieux du Plessis Grimout, que Hunot ayant mis en étang des terres auparavant labourées, et cinq ans aprés ayant fait pescher cet etang il en devoit la dixme. Par leg. pervenit de decimis, aux Decret. La dixme est dûë des pescheries et des étangs, et elle est payable au Curé de la Paroisse, in cujus territorio stagnum consistit. Rebuffe de decim. q. 8 n. 10.

Il arrive souvent de la difficulté pour la maniere de percevoir la dixme des agneaux et des laines.

Pour les agneaux on a demandé en quel temps le Curé etoit tenu de les prendre ; cette question s’offrit entre les Paroissiens de Colombelle et leur Curé : ils soûtenoient que leur Curé devoit se contenter à deux sols pour chaque agneau, suivant l’usage, ou les prendre à la S. Jean. Par Arrest en la Grand-Chambre du 27 de May 1639. il fut dit qu’il les prendroit à la S. Jean. Le temps auquel le Curé doit prendre les agneaux se regle suivant l’usage des lieux, et c’est ordinairement lors que l’agneau peut quitter sa mere. Il y a eu particulierement de la contestation entre les Curez, tant pour les agneaux que pour les laines, lorsque la bergerie étoit sur une Paroisse, et que la maison du maître, et la meilleure partie de ses terres étoit sur un autre : La dixme a êté ajugée au Curé dans la Paroisse duquel la bergerie étoit située. Arrest du 8 de May 1653. contre le Curé de Tour, pour la Demoiselle de Tour. Et le 17 de May 1661. on proposa une Requeste civil, contre un Arrest par expedient, qui portoit que la dixme des laines seroit partagée entre le Curé du Mesnil, dans la Paroisse duquel la maison du maître, et la pluspart des terres étoient situées, et le Curé de Verquelives, dans la Paroisse duquel la bergerie étoit bâtie. Le demandeur en lettres de requeste civil s’aidoit de cette seule raison, que l’Arrest par expedient étoit contraire à tous les Arrests : le defendeur convenoit de la regle generale, alleguant seulement que le maître avoit placé sa bergerie en cet endroit-là par un motif de haine contre son Curé. Les parties furent remises en tel état qu’elles étoient avant l’Arrest. Et faisant droit au principal, la dixme entiere des laines et des agneaux fut ajugée au Curé de Verquelives.

C’est une maxime que la dixme ordinaire est imprescriptible, on peut seulement prescrire la quotité ; pour faire valoir cette prescription, ce n’est pas assez qu’elle soit alleguée par un particulier, il faut prouver l’usage de toute la Paroisse. Ainsi jugé pour les Religieux de saint Lo, con-tre le sieur de Plaine-Sevete, le premier de Juin 1657. plaidans Lyout et Castel. Autre Arrest au Rapport de Monsieur salet le 17 de Juillet 1666. entre Demoiselle Anne de Valembras, veuve de François de la Masure sieur de Castillon, appelante du Bailly d’Evreux, et Me Henry

Liberge Curé de Moyaux, et Monsieur Feydeau Conseiller au Parlement de Paris, intimez. Il fut jugé qu’une personne ayant un fief dans la Paroisse, et qui de temps immemorial n’avoit payé la dixme qu’à l’onziéme gerbe, quoy que tous les autres habitans la payassent à la dixiéme, ne pouvoit se prevaloir de cette prescription, la possession d’un seul particulier n’êtant point considerable. La quotité des dixmes solites se regle donc par la possession sur le plus grand nombre d’heritages ; comme au contraire ; pour les dixmes insolites, il faut justifier sa possession sur la chose. Un particulier soûtenoit qu’il ne devoit la dixme qu’à la trentiéme gerbe, et le Juge avoit prononcé conformément à sa defense faute par le Curé de vouloir attendre la preuve de cette possession. sur l’appel du Curé la sentence fut cassée, et le particulier condamné à payer suivant l’usage de la Paroisse, par Arrest du 29 de Novembre 1667. plaidans de l’Epiney et Louvet.

Entre le Curé de Goupillieres et un habitant de sa Paroisse, par Arrest du Parlement de Provence il a êté jugé que quand la quote de la dixme est incertaine et obscure, elle doit être reglée sur celle des lieux circonvoisins. Bonis. Tome premier, l. 2. Tit. 12. c. 2.

Mais quand un particulier allegue que c’est l’usage de toute la Paroisse, ou que les habitans luy donnent adjonction, si cet usage est contredit par le Curé ; les parties doivent être appointées en preuves respectives de leurs faits. Me Osmont Curé du saussey soûtenoit qu’il êtoit en possession de dixmer à l’onziéme gerbe, et les Paroissiens alleguoient leur possession contraire de ne payer la dixme qu’à la quatorziéme gerbe ; par Arrest du 18 de Juin 1675. les parties furent appointées en preuves respectives de leurs faits, parce que la gerbe des aoûteurs n’y seroit point comprise ; C’est aussi l’ufage que la dixme des aoûteurs ne diminuë point le droit du Curé, et on appelle la dixme des aoûteurs la gerbe qui est payée à ceux qui servent à recueillir les grains, pour leur salaire, et en plusieurs lieux le maître pretend que cette gerbe qui demeure aux aoûteurs doit être prise avant la dixme du Curé, comme êtant obligé de contribuer aux frais de la recolte.

Quoy qu’une dixme eût êté payée en argent durant plus de quarante ans, il fut jugé par Arrest du 13 de Fevrier 1649. que le Curé pouvoit la demander en essence ; cette question s’offrit au Rapport de Monsieur de Vigneral, entre le sieur de Villars tuteur de ses enfans, heritiers en partie de feu Monsieur de la Mailleraye d’une part, et Me Michel Bicherel Curé du Pontlevesque, d’autre. Les mineurs êtoient proprietaires de six pieces de terres en herbages, pour la dixme desquelles on avoit payé tantost six livres, tantost huit, et tantost dix, pour chaque piece ; en l’an 1641. le Curé voulut être entierement payé de sa dixme, et comme il ne le pouvoit être en essence, parce que c’êtoient des herbages, il demanda l’estimation suivant les baux ; sur le renvoy fait par le Juge en la Cour, le sieur de Villars opposoit qu’êtant une dixme insolite, il avoit prescrit la faculté de ne la payer qu’à une certaine somme d’argent. Le Curé se défendoit par cette raison, que les Curez precedens n’avoient pû faire de préjudice à leurs successeurs par cette amodiation, et qu’ils ne s’y êtoient contentez que par l’autorité des Seigneurs de la Mailleraye ; par l’Arrest il fut dit, que la dixme seroit payée sur le prix du vingtiéme denier du prix des baux.

Aprés avoir parlé des choses qui font decimables, j’ajoûteray quelques Arrests touchant les Decimateurs.

Quand les dixmes d’une Paroisse sont recueillies par differens Decimateurs, elles doivent être partagées sur le champ, suivant l’Arrest donné le 22 d’Aoust 1656. contre le Curé de Heugleville, qui soûtenoit que toutes les dixmes devoient être apportées en la grange du Presbytere, pour être en suite partagées.

Quand il s’agit de partager les dixmes entre le Curé et les gros Decimateurs, c’est au Curé à choisir, suivant l’Arrest du 17 de Juillet 1671. entre Me Jacques Ribet Prestre Curé de Coqueneauville, appelant de Sentence renduë par le Bailly de S. Sauveur le Vicomte, entant que par icelle il êtoit ordonné qu’il seroit fait trois lots des grosses dixmes, pour en être les deux tiers choisis par les Abbez et Religieux de Montebourg, prenans dixme en icelle Paroisse, et l’autre tiers demeurer par non-choix audit Ribet et défendeur en Lettres, d’une part : et lesdits Abbez et Religieux intimez, et demandeurs en Lettres en forme d’appel, au neant, pour être restituez contre l’offre faite par leur Avocat, d’accepter le partage des dixmes. Greard pour l’appelant remontroit que suivant la jurisprudence des Arrests, il étoit le premier Decimateur, et que les intimez ne pouvoient avoir que le non-choix, et sur la pretention qu’ils avoient, que l’appelant devoit engranger toutes les dixmes qui leur appartenoient, il soûtenoit n’y être obligé ; que si quelques Curez precedens en avoient usé autrement, soit qu’ils fussent fermiers des intimez, ou qu’ils ne le fussent pas, ils n’avoient pû obliger les successeurs à cette servitude. Maurry pour les intimez répondoit, qu’êtant en possession d’avoir une grange commune, dans laquelle la part du Curé étoit mise de temps immemorial, et en suite les grains battus, et partagez, et le Curé à ce moyen obligé à sa part des reparations, il ne pouvoit changer cet ancien ordre : par l’Arrest la Sentence fut cassée, et le Curé déchargé de mettre ses grains dans la grange des intimez, et ordonné que les dixmes seroient perçûës par cantons, dont le partage seroit fait de trois ans en trois ans par l’Abbé, pour en être choisi un par chacun an par le Curé, et joüir alternativement de tous les trois, pendant les trois ans. Cet Arrest est conforme à un autre donné auparavant, le 3 d’Aoust 1647. entre Me René Manduit Prestre Curé de Routot demandeur, et Jacques Grave fermier des deux tiers des grosses dixmes appartenans à l’Abbé du Bec.

Les habitans de Mery soûtenoient que le Curé avant que de lever sa dixme, devoit à ses frais faire assembler les gerbes ; et prendre en suite la dixiéme suivant l’usage du païs. Le Curé, au contraire, disoit que sa dixme luy êtoit dûë sur le champ, sans aucuns frais. Par Arrest du 29 de Novembre 1664. la Cour ordonna que la dixme seroit prise sur le champ par le Curé.

Il y avoit aussi different pour le troupeau, les habitans ne voulans point permettre qu’il en eut aucun. Il fut dit qu’il en auroit un à proportion des terres qui luy appartenoient dans la Paroisse, et en attendant qu’il auroit quarante moutons, sans en pouvoir avoir d’autres que ceux qui proviendroient des dixmes de sa Paroisse.

Celuy qui n’est point Paroissien peut prendre les dixmes à ferme, à la charge de les engranger dans la Paroisse, et de vendre les pailles aux Paroissiens qui en demandent. Arrest du 3 de Mars 1662.

Par Arrest du 9 de Mars 1624. entre Me Pierre Auvray Curé de Giverville, appelant contre les Chartreux de Gaillon intimez ; la Cour confirma la Sentence qui gardoit les Chartreux en la possession des deux tiers des dixmes de verdage, et des dixmes domestiques, et en reformant ledit Auvray fut maintenu en la perception desdites dixmes, au prejudice des Chartreux.

Autre Arrest du 27 de Juin 1654. entre l’Abbé du Bec et Thomas Lissot, Curé de Cerquigny, par lequel ce Curé fut maintenu en la possession des dixmes novales, closages et verdages.

Sur la question muë entre les Religieux de Fescamp et Me Abraham Rillé, Curé du Vaudreüil, pour sçavoir si à cause que les habitans avoient fait plus de verdages qu’à l’ordinaire, les gros Decimateurs, qui avoient les quatre quints des grosses dixmes, s’en pouvoient plaindre.

Il fut ordonné par un Arrest interlocutoire, que Procez verbal et information seroient faites des terres dont on avoit changé la culture. Regulierement le changement de culture ne doit point faire de procez entre les Curez et les gros Decimateurs : Ce changement neanmoins pourroit aller à un tel excez, qu’il seroit juste d’y pourvoir, comme on le pratiqua en cette rencontre, où l’on n’ordonna pas seulement la preuve, mais aussi l’arpentage des terres. Cette question si celebre et si souvent agitée au Parlement de Paris, si un Curé peut demander la portion congruë sur les dixmes infeodées tenuës par gens Laïques, fut decidée en la Grand-Chambre le 10 d’Aoust 1650. et il fut jugé que les dixmes de cette qualité ne sont point sujettes à la portion congruë des Cures ; quia in omnibus et per omnia eodem modo regulantur in hoc regno, sicut caetera patrimonialia.

Entre le Curé de Turi, et le pourvû à une Chapelle par le sieur de Coüillibeuf. Voyez Loüet etBrodeau , l. D. n. 8.

Les Chevaliers de Malthe, suivant les privileges de leur Ordre, sont exempts de payer dixmes, tant pour le regard des terres de l’ancien domaine de leurs Commanderies, que de celles qu’ils baillent à ferme. VoyezLoüet , l. C. n. 8. et l. D. n. 57. On a même étendu ce privilege aux dixmes domestiques, par Arrest du 5 de Juillet 1630. donné au Rapport de Monsieur Roques, entre le Chevalier de Serigné Commandeur de Villedieu, et Me Jacques de Videgrain Curé de S. Romain : le Commandeur, et même ses fermiers en furent déchargez, aprés avoir vû les Arrests rapportez parMonsieur Loüet , et les privileges de l’Ordre.

Autre Arrest du 13 d’Aoust 1610. un Curé demandoit les dixmes des heritages appartenant au Commandeur de Breteville, Chevalier de Malthe, qui remontroit que sans cela il ne luy resteroit pas cent livres pour sa subsistance, l’Abbé de Troüard prenant les deux tiers, et par Sentence la dixme avoit êté ajugée au Curé sur l’appel du Commandeur : Maignard son Avocat disoit que par les privileges accordez à leur Ordre, ils êtoient exempts de dixmes pour toutes leurs terres, quelques possessions qu’on pûst alleguer au contraire, parce qu’elles ne pouvoient prevaloir contre leurs privileges. Monsieur du Viquet Avocat General, conclut que leur privilege ne pouvoit s’étendre que pour les terres dont ils joüissoient par leurs mains, et non pour les terres qu’ils bailloient à ferme : Par l’Arrest on declara le Chevalier exempt de dixme. Leurs vassaux n’ont pas le même privilege, comme il a êté jugé par Arrest du 16 de Decembre 1673. au Rapport de Monsieur Labbé, entre Me Guillaume Vastine Curé de Plasnes, et Jean Huë et ses joints, et le sieur Commandeur de Coupigny ; les vassaux dudit Commandeur nonobstant leur allegation d’une possession immemoriale de l’exemption de la dixme, y furent condamnez.

Le Haut-Justicier ne connoit point des matieres decimales : Arrest entre le Curé de Mauny appelant, et Bariolet intimé, du 9 de Janvier 1665.

Du Patronnage d’Eglise, et de Loy apparente.

C Omme ces deux matieres sont traitées par deux tîtres particuliers, je les referve en leur lieu.

Je remarqueray seulement un Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre le 27 de Février 1676. sur cette question. Madame la Duchesse de Longueville avoit baillé par échange la terre de Bourré à Louvet, Ecuyer sieur de Monmartin, lequel en contre-échange luy avoit cedé la terre de Monmartin. La terre de Bourré n’êtant qu’une Roture, on y avoit annexé un droit de Patronnage, auquel on donnoit pour glebe neuf livres de rente Seigneuriale, avec permission de pouvoir ériger en fief cette Roture. Robert le Cour, sieur de sainte Marie, fit saisir réellement cette terre de Bourré devant le Vicomte de Gauré ; mais quelque temps aprés le sieur de Monmartin bailla pour decreter par augmentacion le droit de Patronnage avec sa glebe, et la faculté de pouvoir ériger en fief cette terre de Bourré ; et en consequence il demanda que le tout fût decreté par devant le Bailly au Siege de Coûtance. Le Bailly ayant retenu la connoissance de la cause, les Officiers de Gauré obtinrent un Mandement de la Cour pour être reglez sur la competence. Je remontray pour eux que les Jurifdictions êtoient patrimoniales, et qu’il falloit conserver à chaque Juge la competence qui luy est attribuée par la Coûtume ; que celle dont il êtoit question, ne pouvoit être disputée au Vicomte. Il est vray que suivant cet Article, le Bailly connoit de Patronnage d’église ; et l’on convient que s’il êtoit question du droit de Patronnage, la connoissance en appartiendroit au Bailly ; mais le Patronnage n’êtoit point en debat. On pretend seulement decreter sa glebe, et cette glebe êtant une Roture, on ne pouvoit en faire une abstraction pour en donner la competence au Bailly : C’êtoit une maxime incontestable que le Patronnage n’êtoit point un droit feodal ; qu’en soy il n’avoit rien de noble, qu’il pouvoit bien subsister sans une qualité feodale, et qu’il pouvoit être separé du fief et attaché à une Roture, les Patronnages êtans même plus anciens que les fiefs. On pourroit aussi soûtenir qu’il n’a pû être détaché du fief que comme universitate feudi, suivant le sentiment de plusieurs Docteurs, et que par consequent le detachement qu’on avoit pretendu en faire êtoit nul, et pour la rente seigneuriale de neuf livres qu’elle avoit perdu cette qualité, êtant separée du fief, et elle êtoit devenuë une simple rente fonciere, qui devoit être saisie et ajugée devant le Vicomte. Le consentement donné par Madame de Longueville pour l’erection de cette terre en fief n’êtant point considerable, puisque cela étoit demeuré sans execution. Du Hecquet pour le sieur de Monmartin decreté, et du Val pour les Officiers du Bailliage rendoient leur cause favorable par cette raison ; que l’on éviteroit beaucoup de frais en gagnant un degré de Jurisdiction ; que la Coûtume en cet Article attribuë la connoissance de Patronnage au Bailly, et par consequent qu’il devoit connoître de tout ce qui le composoit ou qui en dépendoit, qu’il y avoit quelque chose de spirituel annexé au Patronnage, et puisque le Bailly connoit seul des matieres beneficiales, la competence du Patronnage luy appartenoit aussi ; et qu’encore que le Patronnage pût subsister sans la qualité feodale, il avoit toutefois quelque chose de noble : cc qui est si vray qu’en aucun cas le Vicomte ne connoit point de Patronnage.

La Coûtume a fait un partage entre le Vicomte et le Bailly, et le Vicomte ne peut connoître directement des choses et des personnes nobles. Il n’en est pas de même du Bailly pour les choses roturieres, son partage seroit trop foible s’il en êtoit ainsi : outre la competence sur les personnes et sur les choses nobles, on luy attribuë encore la connoissance de plusieurs matieres qui sont declarées par l’Article 3. de la Coûtume ; ainsi il n’est pas necessaire qu’une chose soit parfaitement noble pour être decretée devant le Bailly, il suffit qu’elle ait quelque commencement de noblesse. Greard pour Madame de Longueville ajoûta qu’elle avoit interest que son Contrat d’échange fût pleinement executé, et qu’il falloit que le sieur de Monmartin obtint dans un temps des Lettres d’érection de fief, ce qui feroit cesser toute la dispute : Par l’Arrest on accorda à Madame de Longueville Acte de sa protestation, et on renvoya la connoissance du decret devant le Bailly, et il fut dit que le sieur de Monmartin obtiendroit dans le mois des Lettres d’érection de fief.

De la Clameur revocatoire.

Es Contrats de vente et d’achapt êtant si communs dans la societé civil, ils sont aussi le L sujet le plus ordinaire des procez, et c’est avec raison que le droit Romain nous a donné tant de loix et de décisions sur une matiere qui est d’un si grand usage. Nôtre Coûtume n’a rien ordonné là-dessus, et quand en cet article elle a fait mention de la clameur revocatoire, ce n’a pas êté pour nous instruire de la nature de cette action, mais pour nous apprendre seulement qu’elle est de la competence du Bailly.

Le mot de clameur est assurément un vieil mot Normand, qui passa la mer avec nos Conquerans ; et qui s’est étendu jusques dans l’Ecosse : on trouve dans les loix d’Ecosse au tître quoniam attachiamenta, cap. 57. art. 7. formam clamei seu petitionis de terra, ce qui est la même chose que nôtre Loy apparente ; et en effet il signifie proprement demande, requête, complainte, Ragueau poursuite.Bouteil . dans sa Som. Rur. Ragneau ind. des droits Royaux. Et il n’est rien de plus frequent dans les loix d’Angleterre ; ceux qui ne sont point de cette Province ne doivent point trouver étrange que je me serve d’un mot qui est si souvent employé dans nôtre Coûtume.

La clameur revocatoire a le même effet parmy nous que la l. 2. de reso. vend. au c. Cette Loy si celebre a fait naître plusieurs grandes questions : 1. à l’égard des personnes : 2. touchant la lesion qui donne ouverture à cette action, et en quoy elle doit consister : 3. si la récision fondée sur la lesion a lieu en toutes sortes de contrats : 4. dans quel temps il faut se pourvoir.

Puisque l’on peut acheter une chose par un prix excessif, comme on peut vendre par un prix tres modique, et que les contrats de vente et d’achapt sont de bonne foy. Il semble que la condition de l’acheteur et du vendeur doit être égale ; aussi tous les anciens interpretes du droit ont êté de ce sentiment : Du Moulin a tenu cette opinion en deux endroits de ses oeuvres, Article 20. de la nouvelle Coûtume de Paris, glos. n. 56. et usur. q. 14. EtMr Cujas , cette grande lumiere du Droit, êtoit tombé d’abord dans cette même erreur, mais depuis en ses Comment. sur le tître de reso. vend. c. il l’a combatuë par des raisonnemens si beaux et si forts, que tout le monde est convenu que la l. 2. observ. c. 18. n’avoit êté faite qu’en faveur du vendeur, et que la raison des correlatifs ne pouvoit y être appliquée : la difference en est apparente, la necessité force le plus souvent le vendeur à se dépouiller de son bien et au prix qu’il en peut tirer : Il n’est pas en état de vendre ou de ne vendre point, et c’est pourquoy l’Empereur en luy accordant un secours use de ces termes, humanum est, comme s’il vouloit dire que dans la rigueur il ne pourroit être restitué contre un Contrat volontaire, et neanmoins qu’il faut en avoir commiserarion, non ratione ulla juris, aut aeaeuitatis, aut bonae fidei, sed miserationis tantùm et subvenire.

Toutes ces raisons cessent en la personne de l’acquereur, qui n’acquiert que de son abondance, et souvent pour son plaisir, ou pour sa commodité :Cujac . ibidem ; plerumque emit pretio immenso et immodico, vel quod illic educatus sit, vel parentes sepulti, vel quod majorum ejus fuerit, qua cupiditate incensus, ultro projicit saepe ingentia & immensa pretia : La plainte que feroit un acheteur n’auroit point de pretexte : invidia penes emptorem, ditsalvian , de provid. Dei l. 5. inopia penes venditorem, quod emptor emat ut suam substantiam augeat, venditorem inopiam juvat : La Loy ne donne point son secours aux étourdis ni à ceux qui se trompent en droit, stultis vix est ut unquam subveniatur, quomodo nec iis qui errant in jure, l. Regula 8. penul. de jur. et fac. ign. Il n’y a que le dol personnel du vendeur qui donne lieu à la récision du Contrat de la part de l’acheteur, mais en ce cas on ne considere point la lesion : Le PresidentFabri , de erro. pragmat. decad. 8. Article 7. a suivi l’opinion deMr Cujas . Le Parlement de Paris l’a jugée plus raisonnable que celle dedu Moulin .

Mr Loüet , lit. L. n. 10. Et le Journal des Audiences 2. p. l. 1. c. 55. et c’est aussi la jurisprudence certaine de cette Province suivant l’Arrest de Ferriere contre le sieur du Montier, Lieutenant General à Vallognes, rapporté parBerault . Ainsi l’on peut dire que c’est une maxime établie par la Loy, par les Docteurs, et par les Arrests, qu’un acquereur n’est point recevable à demander la resolution d’un Contrat de vente sur le fait de la lesion d’outre moitié de juste prix.

La lesion requise pour donner lieu à cette acion, doit être ultradimidiaire, comme une exacte et parfaite estimation des choses seroit fort difficile, et que s’il êtoit necessaire, pour la validité d’un Contrat de vente, que la chose eût êté achetée à son juste prix, pour éviter aux difficultez qui naitroient perpetuellement sur l’examen de cette juste valeur, on a trouvé plus à propos pour la facilité du commerce, de permettre quelque inegalité entre le prix de l’achapt et la valeur de la chose venduë, suivant le sentiment deCovar . variar. resol. l. 2. c. 3. maximè commereiis humanis necesse fuit modicam à summa illa prerii aequalitate defectionem permittere, sine quibus res commodè non possunt in communi & promiscuo usu haberi, comme du Moulin l’a fort bien expliqué, de usur. q. 14.

C’est sur ce fondement que les Jurisconsultes ont établi cette regle, que licet vendentibus et ementibus invicem se decipere. Ceux qui ignorent les principes du droit et les mauvais plaisans se sont moquez de cette regle, qu’il est permis aux contractans de se tromper l’un l’autre. Cet Auteur qui s’est efforcé de prouver les defauts et la vanité de toutes les sciences, n’a pas manqué de reprocher aux Jurisconsultes cette regle, comme êtant contraire à l’équité naturelle.

Agrippa , cap. 91. Cependant il n’y a rien plus équitable ni de vanit. scient plus justement étably, pour éviter aux difficultez qui se formeroient perpetuellement, à cause de l’incertitude de la veritable valeur des choses. Cette deception neanmoins ne doit pas exceder les bornes de la justice commutative, ni renverser l’équité naturelle, et c’est pourquoy on a fixé jusqu’à quel point cette deception peut s’étendre. La l. 2 C. de resc. vend. la permet jusqu’au de-là de la moitié du juste prix.

Du Moulin , de usur. q. 114. l’a blâmée comme trop dure et trop défavorable aux vendeurs. Et neanmoins il a fort bien repris salebrosâ licet et inconditâ oratione, dit MrCujas , obser. l. 16. c. 18. l’erreur de plusieurs interpretes du Droit, qui s’êtoient persuadez qu’il y avoit une lesion d’outre moitié de juste prix, quand ce qui valoit saize livres avoit êté vendu pour dix livres. La lesion ultradimidiaire, est lors que ce qui vaut vingt livres dix fols, a êté vendu pour dix livres. Ce qui s’observe exactement suivant l’Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre, du 28 de Mars 1669. entre Buhot appelant, et Dupuis intimé. Un heritage avoit êté vendu par 62 livres, et 40 sols de vin, outre le treiziéme, dont l’acquereur fut chargé ; le vendeur s’êtant pourvû contre ce Contrat par Lettres de récision, les Experts estimerent l’heritage à 126 livres, et en consequence on prononça à bonne cause la clameur revocatoire sur l’appel de Buhot : Theroude soûtenoit que le treiziéme payé par l’acquereur faisoit partie du prix du Contrat, et qu’êtant ajoûté au prix de la vente il ne s’y renconrroit point de lesion d’outre moitié de juste prix, au contraire 1’intimé soûtenoit qu’en y comprenant les lots et ventes, il n’y manquoit que quatre livres que la lesion ne fust ultradimidiaire, quoy que le vendeur demandast une nouvelle estimation, il fut debouté de ses Lettres de récision, et la Sentence fut cassée, lex dura scripta tamen. Ce qui est confirmé par un Arrest du Parlement de Paris, rapporté parMonsieur le Prestre , cent. 1. c. 12. par lequel, quoy que l’heritage qui n’avoit êté vendu que 410 livres en valust, suivant l’estimation faite par Experts, 804. et qu’ainsi il n’y eust que sept livres à dire que la lesion ne fust ultradimidiaire, neanmoins, parce qu’elle n’y êtoit point entiere, le demandeur fut debouté de ses Lettres. On infere de cet Arrest du Roy que Godefroy sur cet article s’est trompé, quand il a dit que pour juger si la lesion est ultradimidiaire, il suffit de considerer le prix touché par le vendeur, et que les deniers payez par l’acheteur pour les droits seigneuriaux ne doivent point entrer dans cette estimation. L’Arrest de Buhot a jugé le contraire, ce qui est fort juste ; car pour juger si l’acquereur a eu trop bon marché, on doit considerer ce qu’il a êté obligé de débourser pour acquerir la proprieté de la chose venduë ; de sorte que quand il est chargé du treiziéme, il faut luy en tenir compte comme d’un denier qu’il a deboursé. Et il ne faut pas argumenter des Arrests du Parlement de Paris, à cause de nôtre different usage, car en cette Province le treiziéme est dû par le vendeur, et à Paris il doit être payé par l’acheteur.

Cette grace que la loy fait aux vendeurs qui ont êté contraints par la necessité de leurs affaires de vendre à trop bon marché est si favorable, qu’on ne peut les en priver en les y faisant renoncer par le contrat de-vente, quoy que cette renonciation soit confirmée par serment. Quelques Auteurs ont estimé qu’en consequence de cette renonciation confirmée par serment, le vendeur n’êtoit pas recevable à se plaindre.Le President Fabri , de erro. prag. deca. 2. err. 8. est de cette opinion, s’attachant à la rigueur de la loy qui n’a point exprimé ce cas : mais en son Code sur cette loy 2. defin. 1. il avouë que les contrats de bonne foy, non facilè tàm iniquas admittunt conditiones. En effet un vendeur s’engage à consentir à toutes ces conditions, avec la même facilité ou imprudence qu’il a euë à consentir à une vente desavantageuse, et par consequent la même équité et rencontre à le restituer contre cette renonciation, comme contre la vente même.

C’est aussi le sentiment de Covar l. 2. varia. resol. c. 4. voyez Tiraq. in l. si unquam c. de reu. donar.

C’est par cette même raison que les renonciations faites par les femmes au vellejan font inutiles.

Et quoy qu’on suivist autrefois la disposition du droit contre le mineur qui s’êtoit dit majeur en haine de sa fraude, on a depuis changé cette jurisprudence avec beaucoup de raison ; n’êtant rien plus aisé que de faire passer à des mineurs de telles declarations.

La Loy laisse en la liberté de l’acquereur de remettre l’heritage, ou de suppléer le juste prix ; que s’il choisit le premier parti, le vendeur ne le peut contraindre à suppléer le juste prix : cette option est en faveur de l’acquereur, qui peut choisir ce qui luy est le plus commode, ainsi jugé l’onziéme de Mars 1660. plaidans Lyout et Caruë.

Il y a neanmoins des contrats de vente où la deception n’est point considerée pour donner lieu à la recision, comme en la vente de droits universels et hereditaires, à cause de l’incer-titude de la valeur des choses venduës, et que l’acquereur d’une succession ne peut être à couvert des dettes qu’aprés trente et quarante ans. On ne peut pas se plaindre d’être trompé, quand le seul hazard fait le profit ou la perte ; non tam res emitur quàm alea : voyez la l. 11. si ea lege c. de usur. l. nec emptio de contrah. empt. Voyez Loüet et nos autres Auteurs qui ont traité cette matiere. Par Arrest du 12 de Juin 1663. on confirma une Sentence qui deboutoit le vendeur d’une clameur revo-catoire, contre deux contrats de vente de droits universels, entre Pierre Nicolas, et Me Jacques Henry, plaidans Theroude et de l’Epiney. Neanmoins quand dans les circonstances du fait, on trouve quelque moyen pour taire prévaloir l’équité contre la rigueur du droit, les Juges prennent volontiers ce parti. Elle n’a point de lieu pour la vente des choses douteuses. Arrest du 26 de Janvier 1660. entre Françoise de la Ruë, et Charles de la Ruë.

Le Bail fait par le proprietaire ne tombe point aussi dans le cas de la clameur revocatoire, bien que ce contrat comme celuy de vente soit de bonne foy, et que l’un et l’autre, comme dit la l. 2. D. locat. iisdem fere regulis consistat ; il y a neanmoins beaucoup de difference pour n’étendre pas aux baux à ferme le benefice de la clameur revocatoire, et il ne seroit pas possible d’appliquer au fermier cette option que la Loy donne à l’acheteur, ou de remettre la chose, ou de suppléer le juste prix : comment un fermier pourroit-il suppléer le juste prix, puisque ce juste prix ne peut être certain à cause du douteux évenement de la valeur des fruits ? l. si ea lege c. de usur. et puisque suivant la disposition du droit, le fermier dont le bail est pour plusieurs années, ne peut pas demander de diminution pour les premieres années, encore qu’il n’ait recueilli que peu de fruits ; il doit attendre la fin de son bail, pour sçavoir si la sterilité des premieres années sera recompensée par la fertilité des dernieres. l. ex conducto §. Papinianus alias l. si uno anno D. locat.

Le proprietaire par la même raison ne pourroit se plaindre de lesion qu’aprés la fin de son bail : mais comment pourroit-on en faire l’estimation, cette valeur êtant incertaine et dépendant de tant d’accidens ? C’est le raisonnement duPresident Fabri , de err. pragmat. dec. 8. err. 8. Loüet l.

L. n. 11. plerumque vacuis avenis seges fallax avaaei vota lusit agricolae, et aepem rusticae plebus quaesita sulvis fruges herba destituit.

Pour les contrats d’échange, deux grands Auteurs,Monsieur Cujas , obser. l. 16. c. 18. de feud. 8. 33. gl. t. 2. 41. etMaître Charles du Moulin , ont tenu que la clameur revocatoire y pouvoit être reçûë, quia uterque emptor, uterque venditor, & ideo permutatio venditioni equiparatur. Mais du Moulin ne juge pas raisonnable que l’acquereur ait la faculté de suppléer le juste prix ; il en rapporte cette raison, que dans les contrats de vente, l’intention des contractans a êté de vendre et d’acheter ; ainsi le supplément de prix a du rapport à la nature du contrat, et au desir des contractans : au contraire dans les contrats d’échange ils n’ont eu d’autre dessein que d’avoir un heritage pour un autre, et non point d’acheter et de vendre ; ils ont voulu seulement subroger une chose en la place d’une autre. sic uterque vult haebere pensationem rei suae in re similis qualitatis.

Ce raisonnement combat, à mon avis, fortement l’opinion de ceux qui étendent aux contrats d’échange la clameur revocatoire. si les permutans se proposent uniquement de rencontrer leurs commoditez, et de se satisfaire reciproquement par la possession des choses échangées, sans s’attacher à leur valeur, on ne doit point considerer la deception, puis que le plaisir et la satisfaction qu’ils rencontrent aux choses prises par échange, et les avantages qu’ils en esperent, les recompensent de ce qui peut manquer au veritable prix de la chose.

L’échange, suivant le sentiment d’Aristote , Polit. l. 1. c. 9. n’est point une negociation pour avoir de l’argent, mais pour avoir ce qui nous est necessaire ou commode ; c’est un commerce par le moyen duquel nous pouvons avoir les choses qui nous manquent, en baillant celles qui nous sont moins propres ; ainsi l’affection et la commodité tenant lieu de prix dans l’échange, la lesion ne doit jamais y être considerée.

Il n’en seroit pas de même pour les rentes hypotheques dans les Coûtumes qui en autorisent l’échange contre un fonds, sans payer lots et ventes ; l’affection ne peut point tenir lieu de prix dans un échange de cette qualité, celuy qui reçoit les rentes ne pouvant y trouver d’autre commodité que le prix d’icelles. C’est la jurisprudence du Parlement de Paris, Jour. des Aud. 1. p. l. 4. c. 32. de l’impression de l’an 1652. C’est un usage aussi fort ancien en cette Province, dont on trouve un Arrest du 17 de Decembre 1573. par lequel on jugea que la clameur revocatoire n’êtoit point recevable pour les contrats d’échange. Autre Arrest en la Chambre de l’Edit du 7 de Decembre 1620. entre Pierre le Févre, appelant du Bailly de Longueville, et Pierre d’Alençon sieur de Mireville. Autre Arrest au Rapport de Monsieur de Bonissent, du 18. de Novembre 1625.

Autre du 4 de May 1631. par lequel un demandeur en clameur revocatoire contre un contrat d’échange d’une succession contre un heritage, fut debouté de son action. Autre Arrest contre Philippes de Tourlaville sieur du Rosel, pour de Hennot sieur de la Londe, et le Bas sieur des Castelets, pour lesquels je plaidois avec Me Louis Greard. Autre Arrest du 12. de Février 1658. entre Feron, et les heritiers du sieur Beuzelin. On a jugé que cette action en clameur revocatoire n’appartenoit pas seulement au vendeur, mais aussi à sa caution, par Arrest en la Chambre de l’Edit du 12. de Mars 1649. entre Duton et du Bousquet ; lacaution fut reçûë à prendre clameur revocatoire d’une chose venduë par le principal obligé ; le supplément que le vendeur peut tirer faisant une partie de son bien, ses creanciers peuvent exercer toutes les actions qui luy appartiennent.

Le preneur à fieffe n’est point reçû à se plaindre par cette voye. Arrest en l’Audience de la Grand Chambre du 26. d’Avril 1667. entre Jacques Roger et Michel Quillette. Roger avoit pris à fieffe de Quillette un heritage par dix livres de rente fonciere et irrachetable : Quillette pretendant que son heritage valoit plus de trente livres de rente, se pourvût par Lettres de clameur revocatoire, l’affaire portée en la Cour, sur l’appel d’une Sentence du Juge de Domfront, qui prononçoit que l’herirage seroit estimé. Barbier Avocat de l’appelant, remontroit que le contrat de vente êtoit le veritable sujet de la clameur revocatoire, il y avoit un prix suivant lequel on pouvoit regler la valeur de la chose venduë, et connoître s’il y avoit de la deception. Dans un con-trat de fieffe ou bail d’heritage il n’y avoit point de prix, le bailleur à rente demeuroit en quelque sorte le proprietaire de l’heritage, en vertu de l’action directe et fonciere qu’il pouvoit exercer ; il pouvoit même expulser le preneur s’il ne payoit point, et aprés tout, le veritable fondement de la clameur revocatoire cessoit en la personne du bailleur à rente : on avoit commiseration du vendeur, parce que l’on presumoit qu’il n’avoit vendu que par la necessité de ses affaires, urgente aere alieno. Le bailleur à rente ne contractoit que pour avoir plus de profit, ou pour une plus grande commodité, se déchargeant par cette voye de tous les cas fortuits et de la perte des fruits qui tomboit toute entiere sur le preneur, qui ne s’en pouvoit décharger qu’en déguerpissant le fonds et payant les arrerages. Il est vray que Monsieur Loüet rapporte un Arrest, par lequel un bail à rente pour une lesion énorme fut resolu, mais il y avoit du particulier, comme cet Auteur le témoigne, Lettre l. n. 11. Et Brodeau en cet endroit dit, que regulierement la Loy deuxiéme n’a point de lieu, in locatione aut venditione fructuum, tant de la part du bailleur que du preneur.

Voyez ce même Auteur en ses Commentaires sur les art. 78. et 109. de la Coûtume de Paris. On cita un Arrest du 23. de Janvier 1660. qui avoit jugé la même chose entre Abraham et le Gué ; on répondoit que la raison êtoit égale pour les contrats de fieffe, comme pour les contrats de vente, et que cette équité, qui ne permet pas que l’on s’enrichisse au dommage d’autruy, ne peut souffrir qu’un bailleur, pour s’être surpris, ne joüisse pas de la même grace que la Loy fait au vendeur.

Si la commiseration qu’on a euë pour les vendeurs qui êtoient decûs extraordinairement a êté assez forte pour leur accorder le remede de la Loy deuxiéme, cette même grace ne devoit pas être refusée à ceux qui sont dépossedez de leurs biens par une vente forcée ; on ne reçoit point neanmoins en ce cas la clameur revocatoire, propter authoritatem judiciorum ; ce qui sera expliqué sur l’Art. 583.

Pour prouver la deception, la preuve de la valeur de l’heritage se doit faire par experts et gens à ce connoissans, qui seront convenus entre les parties, et à leur defaut par le Juge, suivant l’Art. 162. de l’Ordonnance de Blois, et l’estimation de la chose doit aussi être faite par experts, suivant sa valeur au temps du contrat.

Cette action ne dure pas toûjours, elle êtoit limitée par le droit Romain à quatre ans, et par nos Ordonnances à dix ans ; cela ne reçoit point de difficulté, quand il n’y a point de faculté de rachapt stipulée par le contrat, mais quand le vendeur a retenu une condition de pouvoir retirer l’he-ritage vendu dans un certain temps, on ne s’accorde pas sur ce point, si le temps court du jour du contrat ou du jour seulement que la faculté est expirée. Le Parlement de Paris a jugé que les dix ans ne courent que du jour que la faculté est expirée ; Loüet l. R. n. 46. L’opinion contraire a prévalu dans le Parlement de Tholoze ; et Monsieur Mainard dit, l. 1. c. 68. que c’est aussi la jurisprudence du Parlement de Bordeaux, bien que la Coûtume de Bordeaux, Tit. de retrait. §. 12. porte que le lignager peut retirer l’heritage vendu sous faculté de remere dans l’an et jour de la condition expirée. Feron sur cet article approuve l’avis de Faber et deGuy Papé , que le temps du re-trait doit courir du jour du contrât, non ineptè quidem, dit cet Auteur, cùm odiofus sit retractus.

La Cour a decidé cette question conformément à l’Arrest du Parlement de Tholoze. Hoüel avoit vendu un heritage à Marou moyennant 250 liv. avec faculté de remere pendant cinq années ; cette condition fut prolongée par Marou pour cinq autres années, mais Hoüel n’usa point de cette faculté. Aprés les dix années s’êtant pourvû par lettres de clameur revocatoire, on le soûtint non recevable. Il opposoit à cette fin de non recevoir, que la prescription n’avoit commencé que du jour que la condition êtoit expirée, comme elle faisoit une partie du contrat, et qu’elle diminuoit la valeur de l’heritage vendu, la lesion ne pouvoit pas être connuë qu’aprés la faculté ex-pirée, lors que le vendeur n’êtoit plus en pouvoir de le retirer ; l’Ordonnance qui limite à dix années le temps pour se pourvoir ; ne s’entendant que des contrats parfaits, qui ne peuvent plus être resolus ; et qui sont pleinement consommez, ce qu’elle signifie par ces paroles, s’il n’y avoit empeschement de droit ou de fait : En effet tant que la faculté dure le vendeur n’a pas besoin de ces remedes extraordinaires ; autrement la condition qu’il avoit retenuë luy deviendroit inutile en quelque façon, puisque pour se pourvoir il ne pourroit attendre sans peril qu’elle fust expirée, le contract êtoit si peu parfait que les dettes contractées par l’acquereur durant le temps de la condition seroient resoluës par le retrait de l’heritage. Marou répondoit que la condition n’êtoit considerable, que si les dix ans ne couroient que du jour qu’elle seroit expirée : on pourroit se pourvoir jus-qu’aprés cinquante ans, pour les contrats où il y auroit faculté de retirer toutefois et quantes : par Arrest du 8 de Mars 1664. donné au Rapport de Monsieur Fermanel, le demandeur en lettres de récision en fut debouté, en confirmant la Sentence qui l’avoit jugé de la sorte. Il y avoit eu un Arrest pareil en la Grand-Chambre, donné au Rapport de Monsieur de Malherbe, le 10 de Février 1659. entre de la Rouverie appelant, et le Biençois intimé.

Il est sans doute qu’un contrat de vente à faculté de rachapt n’est point conditionnel ; non ideo minus quid nostrum esse vindicabimus, quod abire à nobis dominium speratur, si condition legati vel libertatis extiterit. l. non ideo minus, ff. de rei vindicatione. Cette raison neanmoins ne semble pas décisive pour exclure la clameur revocatoire aprés les dix années, quand il y a faculté de rachapt stipulée par le contrat ; car la condition faisant une partie de la chose, le prix de la vente est reputé plus grand ou moindre à proportion de sa durée, pendant laquelle la lesion ne se peut connoître, et le vendeur ne s’inquiete point, parce qu’il a une voye ouverte et preparée pour reparer sa perte ; or durant ces induces qu’il a ménagées, la grace que la loy luy a donnée ne doit point être racourcie, au contraire il est juste de luy conserver ce temps entier, du jour que la condition a fini ; parce qu’avant et durant ce temps-là il n’avoit point besoin du secours de la loy, sa précaution donc ne luy doit point être inutile : nôtre jurisprudence est neanmoins contraire, et elle est appuyée sur l’Article 193. de la Coûtume, par lequel les acheteurs sont tenus de faire la foy et hommage, de bailler adveux, et payer tous droits seigneuriaux, encore que par le contrat il y ait condition de rachapt. Ainsi la Coûtume considere l’acheteur à faculté de rachapt comme un parfait proprietaire, cette faculté de rachapt ne le dispensant point de faire tous les devoirs où les proprietaires incommutables sont obligez.

La question proposée parBerault , s’il suffit pas que les lettres soient obtenuës et signifiées dans les dix ans ; quoy que l’assignation n’échée qu’aprés ce temps expiré, ne reçoit point de difficulté pour l’affirmative, la restitution des fruits ne peut être aussi demandée que du jour de l’action.

Nôtre Coûtume par ces mots de privileges Royaux, entend ce que les autres Coûtumes appellent cas Royaux. Cas Royaux sont ceux ausquels le Roy a interest comme Roy, pour la conserva-tion de ses droits, ou comme répondit Loüis Hutin aux Gentilshommes de Champagne, ce qui de droit et d’ancienne Coûtume appartient à un souverain Prince.

L’ancienne Coûtume, Tit. de Cour et de Jurisdiction, dit que le Duc de Normandie doit avoir la Cour de tous les torts qui sont faits contre sa personne, ou qui appartiennent à sa dignité ; comme de la monnoye, foüage, et de telles choses, ou qui luy sont faits en choses mouvables ou non mouvables, ou contre ceux qui tiennent de luy, ou qui sont faits à ses Baillifs, ou Sergents, ou à ses Atournez. Les Anglois ont retenu de nous cette Coûtume, et tous ces cas Royaux sont pleinement expliquez par Stanfort c. 1. Il appelle les cas Royaux, plaids de la Couronne, et il les fait de même nature que les nôtres.

Me Charles Loyseau , c. 14. des Seig. a fort bien fait la difference, entre les droits Royaux, et les cas Royaux. Les droits Royaux sont ceux qui concernent la souveraineté en toute son étenduë ; les cas Royaux sont ceux où il a interest comme Roy, pour la conservation de ses droits, et parce qu’il ne seroit pas de la bien-seance qu’il demandast justice à ses sujets ; pour cette raison toutes les causes de cette nature doivent être traitées dans les Justices Royales ; mais comme tous les Juges ont naturellement une forte inclination à augmenter leur competence, les Officiers Royaux ont donné une grande étenduë à ces cas Royaux : ce même Auteur en fait une longue énumeration dans ce même Chapitre, et Tronçon sur l’Article 96. de la Coûtume de Paris, Chopin 1. 2. t. 16. du dom. Baquet des droits de Justice c. 7. Bouteiller en sa Somme Rurale t. des droits Royaux. Joannes Galli en sa question 141. estimoit que le crime de sortilege êtoit un cas Royal ; cela n’est pas veritable, car 1e Haut-Justicier en connoît.

Par l’Ordonnance de Henry IV. le crime du duel est declaré un cas Royal, et en consequence la competence en est pretenduë par le Juge Royal : sur l’entreprise du Bailly de Longueville qui vouloit en connoître, et l’opposition des Juges d’Arques, l’affaire ayant êté portée en l’Audience de la Tournelle ; par Arrest du 17 de Juillet 1646. la connoissance en fut renvoyée aux Juges d’Arques ; plaidans Coquerel pour Monsieur le Duc de Longueville, et moy pour les Juges d’Arques.

Le Bailly en vertu de cet Article qui le declare Juge des cas Royaux, connoît aussi des lettres Royaux ; et par Arrest du 25 de Juin 1660. un procez pour des lettres de récision fut renvoyé devant le Bailly, quoy qu’entre roturiers et pour chose roturiere.

La competence des lettres de maintenuë et saisine est attribuée au Bailly par la Coûtume de Berri, t. des Just. §. 4.

Ce bref de nouvelle dessaisine que la Coûtume de Paris appelle complainte, en cas de saisine et de nouvelleté, est subrogé à tous les interdits et actions extraordinaires du droit Romain, pour se maintenir en son bien et pour en recouvrer la possession, retinendae, recuperandae, adipiscendae possessionis interdict. toto titul. de interd. instit. et ibiJoan. Faber .

Le bref de nouvelle dessaisine est une plainte que rend en Justice celuy qui a êté troublé en sa possession, et parce qu’il a êté dessaisi ; il demande à être rétabli en la saisine et possession de ses droits, Brodeau en sa Preface sur le tître 4. de la Coûtume de Paris ; pour fonder la complainte ou le bref de nouvelle dessaisine, il faut être en possession, cet interdit uti possidetis n’ap-partient qu’au possesseur, ce qui s’entend d’une possession réelle, actuelle, civil, ou naturelle, de fait ou de droit : Monsieur Loüet l. c. n. 10. Il n’est point necessaire que le possesseur communique de tîtres ; c’est l’avantage de la possession ; non tenetur de suo docere l. ult. c. de rei vend. l. cogi de petit. hered. c. Il suffit de justifier sa possession en la derniere année, qualiscumque enim possessor, hoc ipso quod possessor est, plus juris habet quam ille qui non possidet l. juxt. ff. uti possidetis. La proprieté n’a rien de commun avec la possession : proprietas & possessio permisceri non debent. Dans les matieres profanes le petitoire ne doit être formé regulierement qu’aprés le possessoire vuidé, Ordon. de Charles VII. Article 72. en certains cas neanmoins ils se peuvent accumuler, Glos. in in l. 18. D. de vi et vi armatâ, et Monsieur Cujas sur le §. eum, qui l. cum fundum, du même Tit. Il en est autrement en matiere beneficiale, où le possessoire et la pleine maintenuë se jugent en même temps. Nos causes possessoires mixtam habent causam proprietatis annexam, et quand le proprietaire produit des titres incontestables, alors on juge ensemble l’un et l’autre.

Dans les Institutes coûtumieres de Me Antoine Loifel, l. 5. t. 4. Article 13. il est dit qu’au Roy ou à ses Baillifs et Seneschaux, appartient par prévention la connoissance des complaintes de nouvelleté en chose profane ; et privativement à tous autres Juges en matiere beneficiale, par re-connoissance même des Papes de Rome.

Maître Paul Chaline en ses observations sur cet Article, ajoûte que les Juges des Seigneurs Hauts-Justiciers ont la connoissance des instances possessoires et petitoires des benefices qui sont à la collation de leurs Seigneurs Hauts-Justiciers, comme du Moulin l’a remarqué, ad regul. de infirm. resign. n. 419. Mais en Normandie les Juges des Hauts-Justiciers ne connoissent jamais des matieres beneficiales, quoy que les benefices dont il s’agit soient à la collation des Seigneurs Hauts-Justiciers.

En matiere de complainte autrefois le Roy seul en connoissoit, parce que c’est proprement à luy à proteger le foible, le pauvre, la veuve, et l’orphelin. Depuis, dit Theveneau sur les Ordonnances de l’instruction des Procez civils, t. 10. Article 14. le Parlement seul en pouvoit connoître ; mais il permit que les Baillifs et Seneschaux en prissent connoissance ; et enfin les Baillifs ont laissé usurper ce droit aux Juges subalternes, lesquels y ont êté maintenus par les Arrests du Parlement de Paris.

En Normandie le bref de nouvelle dessaisine appartient au Bailly au préjudice du Vicomte, mais les Hauts-Justiciers ne sont pas exclus d’en connoître aux matieres qui sont de leur competence.

C’est nôtre usage conforme à celuy de France, que dessaisine, et saisine faite par les contrats passez devant Notaires, vaut et équipolle à tradition, et nous avons rejetté toutes ces vaines formalitez du droit Romain, et ces traditions civil et fictives, car nos contrats sont translatifs de proprieté.

C’est une précaution necessaire dans les procez, en cas de nouvelleté, de ne dire pas que l’on

a êté depouillé, on doit simplement se plaindre que l’on a êté troublé ou dejetté de sa possession, par force, car le demandeur doit soûtenir sa possession et conclure à ce qu’il y soit maintenu, l. ait. 83. ff. uti possidetis.

Il n’y a point de nouvelleté ni de complainte contre le Roy, pour les cas ausquels on ne peut presumer contre luy comme pour les droits de souveraineté, parce qu’où il n’y a point de prescription il n’y a point aussi de possession ; et Chaline en ses observations sur les Institutes coûtumieres deLoysel , 1. 5. t. 4. art. 20. dit qu’il a même êté jugé qu’elle n’a point de lieu contre les appanagers.

Lors que les preuves des possessions sont incertaines, ou qu’il y a sujet de craindre que les parties n’en viennent aux mains, les choses contentieuses doivent être sequestrées. Theveneau sur les Ordonnances touchant l’instruction du Procez civil, t. 11. art. 1. dit que regulierement le sequestre n’a point de lieu par le droit civil et canonique, mais que l’Ordonnance l’admettant il le faut étendre aux cas portez par la Glose sur la l. 1. c. de prohib. seq.

On se servoit autrefois de ce mot de Bref en toutes actions ; et l’ufage s’en est conservé en Angleterre. Toutes les lettres de Prince adressées aux Juges s’appellent Bref, breve. Glanville en rapporte plusieurs formules, et Bracton 1. 3. c. 12. t. de action. Dicitur breve, quia rem de qua agitur & intentionem petentis breviter enarrat, sicuae facit aeegula juris quae rem quae est breviter enarrat, et ideo videtur quod sive brevi, sive libello, non debet quis experiri in judicio, ne mutari possit petentis intentio vel modus.


IV.

a aussi la connoissance des lettres de mixtion, quand les lettres contentieuses sont assises en deux Vicomtez Royales, encores que l’une soit dans le ressort d’un Haut-Justicier.

En consequence de cet Article qui donne au Bailly la connoissance des lettres de mixtion, quand les terres contentieuses sont situées en deux diverses Vicomtez, plusieurs croyoient que quand on comprenoit dans une même saisie des terres et des rentes constituées, dont les debiteurs êtoient domiciliez en diverses Vicomtez, il falloit prendre des lettres de mixtion pour decreter le tout devant 1e Bailly ; mais les Vicomtes s’êtant plaints que par cette voye on leur ôteroit la connoissance de tous les decrets, par un premier Arrest du 26 de Novembre 1667. donné pour Me Simon de Fontaines, Vicomte de Caen, un dectet d’heritages et de rentes constituées fut renvoyé devant le Vicomte, quoy que les obligez aux rentes demeurassent en diverses Vicomtez, et le 16 de May 1670. par un autre Arrest un decret fait devant le Bailly de Roüen, et parfait jusques à l’adjudication definitive exclusivement, et lequel avoit êté renvoyé devant le Bailly, par un Arrest d’expedient fut attribué au Vicomte comme luy appartenant, quoy qu’il y eût des rentes, et que les obligez fussent demeurans en la Vicomté de Lyon : Les Arrests sont fondez sur cette raison, que les rentes constituées n’ont point de situation réelle.2

La pluspart des Vicomtes de cette Province ayant êté démembrez en consequence d’un Edit de l’an 1636. il fut arrêté que les lettres de mixtion obtenuës pour faire saisir réellement des terres situées en diverses Vicomtez nouvelles, appartiendroient à l’ancien Vicomte, et non point au Bailly, parce qu’autrement il ne se fût plus passé de decrets dans les anciennes Vicomtez, leurs districts êtant maintenant si resserrez, qu’il ne se feroit point de saisies réelles, dans laquelle il ne se trouvast des terres situées en diverses Vicomtez : Arrest en la Grand-Chambre du 6 de Septembre 1646, pour l’ancien Vicomte de Falaise : Heroüet plaidoit pour luy entre Torquet et Guillebert, et conformément à cet Arrest l’Article 8 du Reglement a êté fait, suivant lequel les lettres de mixtion ne luy sont attribuez, que quand une partie des heritages est située dans son District.

Quand les terres que l’on veut saisir réellement sont situées en divers Bailliages, il n’est pas necessaire de faire autant de saisies, mais on obtient un Arrest de la Cour, par lequel on renvoye poursuivre la saisie devant celuy des Baillifs dans le District duquel la plus grande partie des heritages est située.

Suivant un Arrest rapporté parBerault , sur ce qu’on avoit fait saisir en vertu de lettres de mixtion des heritages ; dont la meilleure partie êtoit située dans la Vicomté de Roüen, et le reste dans la Haute-Justice de Longueville, pour être vendus et ajugez devant le Bailly de Roüen, on renvoya ce qui êtoit dans la Vicomté de Roüen, pour être ajugé devant le Vicomte de Roüen, et ce qui êtoit dans le District de la Haute-Justice de Longueville, pour être ajugé devant le Bailly du lieu. On donna un pareil Arrest en la Grand-Chambre le 4 de Decembre 1642. le sieur du Busc Marguerit avoit saisi reellement les terres du sieur de Lamberville Sovin, dont l’une êtoit située dans le Bailliage de Charleval, et l’autre dans la Haute-Justice de Longueville, et pour éviter multiplicité de decrets, il en avoit fait attribuer la connoissance au Bailly de Charleval, comme êtant un Juge Royal ; sur l’opposition de Monsieur le Duc de Longueville, on donna à chacun de ces deux Juges ce qui êtoit de leur competence. On pretend que les Arrests ont êté donnez pour sa Haute-Justice de Longueville, parce que c’etoit autresfois une Justice Royale.

Il doit paroître étrange que des Hauts-Justiciers ayent plus de prerogatives que les Baillifs Royaux, quand il y a des terres saisies situées en differens Bailliages, on ne fait point de difficulté d’attribuer à un seul ce qui auroit appartenu à plusieurs si le decret avoit êté poursuivi se-parément, et puis qu’on en use de cette maniere en faveur du saisi et des creanciers pour éviter la multiplicité de decrets ; pourquoy leur faire ce préjudice, lors qu’il s’agit de l’interest d’un HautJusticier au préjudice du saisi et de ses creanciers, qui sont beaucoup plus favorables.


V.

Jurisdiction du Vicomte.

Au Vicomte ou son Lieutenant appartient la connoissance des clameurs de Haro civilement intentées. De clameur de gage-plege pour chose roturiere. De vente et dégagement de biens. D’interdits entre roturiers. D’Arrests. D’executions. De matiere de namps, et des oppositions qui se mettent pour iceux namps. De dations, de tutelles et curatelles de mineurs. De faire faire les inventaires de leurs biens. D’oüir les comptes de leurs tuteurs et administrateurs. De vendues de biens desdits mineurs. De partage de succession et des autres actions personnelles, reelles et mixtes en possessoire et proprieté : Ensemble de toutes matieres de simple desrene entre roturiers, et des choses roturieres, encores qu’esdites matieres échée vûe et enquête.

Nos Vicomtes de Normandie ne peuvent avoir l’origine queLoyseau , c. 7. des Seig. leur attribuë : cet Auteur a remarqué fort à propos que les grands Magistrats, tant à Rome qu’en France, se déchargoient des petites affaires sur leurs Lieutenants, qu’ils appelloient en France tantost Vicomtes, quasi Comitum vicem gerentes ; taaetost Prevosts, quasi praepositi Juridicundo ; tantost Viguiers, quasi vicarii ; et tantost Châtelains, quasi castrorum custodes ; et qu’il y a grande apparence que ces Vicomtes êtoient mis dans les Villes au lieu des Comtes, comme en toutes les villes de Normandie il y eut des Vicomtes établis par les Ducs, d’où vient que même encore à present en Normandie les Juges primitifs des Villes sont appelez Vicomtes. Or il est à présumer qu’au même temps que Hugues Capet se fit Roy de France, et que les Ducs et les Comtes usurperent la proprieté de leurs charges, à leur exemple, aucuns de leurs Lieutenants en firent de même, notamment la pluspart des Vicomtes et des Châtelains des villages, et que neanmoins il y eût des Vicomtes qui ne pûrent se faire Seigneurs, et entr’autres ceux de Normandie ; c’est la remarque de cet Auteur.

Les Officiers, ni mêmes les Seigneurs de Normandie, ne peuvent avoir imité cet exemple des Ducs, des Comtes et Vicomtes de France, qui vivoient au temps de Huges Capet, puisqu’ils n’êtoient pas alors sous la domination des Rois de France ; au contraire ils avoient des Ducs qui scavoient bien maintenir tous les droits de leur souveraineté, la remarque de Dadin de Haute Serre est bien plus probable, il dit l. 3. c. 18. de Duc. et Comit. Provin. que comitum exemplo viceComites in Galliae praefecturas in rem privatam convertêre, at in Angliâ vice-Comites Magistratuum et Juridicorum lineam non excesseruat, unde justitias et justiciarios nuncuparunt. Il pouvoit dire la même chose aussi veritablement des Vicomtes de Normandie, puis qu’apparemment les Normans établirent les Vicomtes en Angleterre.

Il faut donc chercher ailleurs l’origine et l’établissement de nos Vicomtes ; il est certain qu’on ne doit pas entendre ces mots de Ducs et de Comtes dans le sens qu’ils ont maintenant, les uns et les autres n’êtoient que des Magistrats, et selon le sentiment dePithou , des Comtes de Champagne ; il n’y avoit pas grande difference entre ces Etats, quant au pouvoir ordinaire le Gou-vernement des Ducs êtoit neanmoins d’une étenduë beaucoup plus grande, aussi on êtoit élevé de la dignité de Comte à celle de Duc, comme êtant la plus éminente ;Dadin de alta Serra , l 1. c. 4. de Duc.

Les François avoient emprunté et le nom et la chose des Romains ; et quoy qu’en ces siecles-là ils donnassent le nom de Comte à plusieurs Magistrats, il fut donné particulierement aux Juges, et aux Gouverneurs des Villes, et c’est pourquoy Suidas a fort bien défini l’Office des Comtes : MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC, Comes, populi Magistratus. Le pouvoir et l’Office des Comtes sont pleinement expliquez dans les Capitul. 1. 2. c. 6. et 1. 4. 5. VoyezDadin de Haute Serre , de ducibus Comit.de Roye , de missis dominicis, l. 1. c. 45.

Comme les Rois avoient leurs Envoyez ou missos dominicos, les Comtes se donnerent aussi la liberté d’en établir, qui êtoient appelez missi Comitum, de Roye c. 4. ils furent depuis appelez vicarios centenarios et vice-Comites ; et Odericus Vitalis lib. 5. hist. Eccl. vicariam vice-Comitiam interpretatur, suivant la remarque deHaute Serre , de vice-Com. l. 3. c. 1. de Duc. qui prouve aussi que ce mot de Vicomte est fort ancien, et qu’il êtoit en usage du temps même de Charlemagne.

La competence des Comtes êtoit distincte de celle de leurs Lieutenans ou Vicomtes : Inter Comites et eorum missos distincta erat Jurisdictio ; Comites de gravioribus negotiis cognoscebant, & eorum missi de humilioribus. C’est de là apparemment que procede nôtre usage, que les Vicomtes ne connoissent point des matieres criminelles.

C’êtoient-là les Juges ordinaires établis dans la Neustrie, comme dans les autres Provinces de France, lors qu’elle fut conquise par les Normans les Commissaires députez par le Roy avoient la souveraine Justice, quamlibet justitiam, les Comtes êtoient aprés eux, et mediam justitiam habuisse videntur inter missum dominicum & suos missos, ac eandem missus Comitis infimam, et de-là dit de Roye c. 6. de offic. miss. dominic. et potestate, on pourroit présumer que cette division des Justices en haute, moyenne, et basse, a pris son origine.

Cet ordre fut changé par les Ducs et par les Seigneurs, comme je l’ay déja remarqué. Les Comtes ne firent plus la fonction de Juges, et les Seigneurs n’avoient garde de les recevoir et de les reconnoître pour gouverneurs dans les terres, et dans les villes qui leur furent baillées. Ce ne furent plus que des tîtres et de simples dignitez : mais le Duc, à qui seul il appartenoit de fairre rendre la justice et d’établir des Juges, commit des personnes ausquelles il bailla sa Justice, qui furent appelez Baillifs, et l’étenduë de leur District Baillie : Et comme ces Baillifs succedoient aux Comtes qui avoient leurs Vicomtes ou leurs Lieutenans, on conserva ces moindres Officiers, qui furent soûmis aux Baillifs, comme auparavant ils l’êtoient aux Comtes. Dans le tître de justiciement les Vicomtes de l’ancienne Coûtume sont subalternes aux Baillifs, c’est pourquoy ce que Loyseau a dit que les Vicomtes en Normandie sont les Juges primitifs des Villes, n’est pas veritable, les Baillifs y ont la principale autorité ; et même en quelques villes de cette Province certains Officiers qui s’appelloient Maires, et qui apparemment avoient êté instituez dés le temps de la premiere Race, furent conservez par les Ducs, et se sont maintenus en la possession de quelque espece de Jurisdiction, comme à Verneüil, à Falaise, et Bayeux. Il est vray qu’en ces deux dernieres Villes l’Office de Maire est reüni à celuy de Vicomte, et autrefois ils êtoient les Juges des Bourgeois, et c’est par cette raison que dans les lieux où ils subsistent encore, ils president dans 1’Hôtel de Ville, ce qui donne lieu à cette opinion que la Jurisdiction des Vicomtes êtoit limitée dans les Villes, et qu’ils êtoient ainsi appelez tanquam vicorum Comites, comme Juges des Bourgeois, et non point parce qu’ils êtoient Lieutenans des Comtes.

Quoy qu’apparemment les Vicomtes ayent êté établis en Angleterre par les Normans, leur autorité y est beaucoup plus grande qu’en cette Province ; ils sont les Juges ordinaires, les lettres de Justice obtenuës du Prince leur sont adressées, comme on l’apprend par les formules queGlanville , Justicier d’Angleterre sous Henry Il. en a recueillies, où nous reconnoissons encore nos vieilles Coûtumes. Ce qui me fait dire qu’on chercheroit avec plus de raison l’origine de nos anciens Usages, et l’explication de nos Coûtumes dans les anciennes Loix d’Angleterre, que dans le Droit Romain, ou dans les Coûtumes de France. Le commerce et le mélange qui s’est fait de nos Loix avec les leurs, nous y faisant trouver beaucoup plus de convenance, tous ces peuples du Nord ont eu d’ailleurs quelque conformité de genie pour leurs loix, et le gouvernement de leurs Etats.

En quelques lieux de cette Province il y a des Prevosts avec les Vicomtes, comme dans le Bailliage de Gisors. François I. en l’an 1544. créa dans les quatre Sieges de Vicomte du Bailliage de Gisors quatre Offices de Prevost, et il leur attribua la connoissance des actions personnelles, mobiliaires, et reelles, dans les villes et fauxbourgs de ce Bailliage, et on prit pour pretexte de cette creation de Prevosts, qu’autrefois il y avoit une Jurisdiction de Prevost, mais confuse et mal reglée.

La Coûtume donnant au Vicomte la clameur de gage-plege, pour choses roturieres, il sembloit que sous ces termes on ne devoit pas comprendre le retrait feodal, quoy qu’il ne fust question que d’une roture ; on a jugé neanmoins, suivant l’Arrest remarqué par Berault sur l’Article 2. que cela êtoit de la competence du Vicomte, et sic habita ratio potius rei servientis quàm dominantis. On a encore depuis jugé la même chose, et c’est l’usage, suivant l’Arrest que j’ay remarqué sur l’Article 2. que les prerogatives de noblesse, dont on ne joüissoit qu’en vertu de quelque privilege, cessoient par le decez de la personne, et que l’inventaire des meubles d’un Prestre se devoit faire devant le Vicomte. On a aussi jugé en la Grand-Chambre en l’an 1621. que l’institution d’un tuteur aux enfans de Février seroit faite devant le Vicomte, quoy que leur pere eût exercé un office Royal : Et par Arrest du 13. de Février 1653. entre Me Antoine le Normand, Vicomte de Vernon intimé, et Nicolas Fermel’huis, Lieutenant de Robbe Courte, appelant du Prevost de Vernon, il fut dit que Fermel’huis, à cause de sa qualité de Lieutenant de Prevost, n’avoit point droit d’évoquer devant le Bailly, et il fut renvoyé proceder devant le Vicomte.

Quoy qu’il soit dit en cet Article que le Vicomte a la connoissance des clameurs de Haro civilement intentées, il ne s’enfuit pas qu’il ait la connoissance de toutes les actions en Haro, cela n’a lieu que quand les personnes ou la chose qui donne lieu au Haro sont de sa competence.

Les adjudications des fermes du Domaine doivent être passées devant le Vicomte, et non devant le Bailly : Godefroy sur 1’Article 2. a remarqué les Arrests qui l’ont jugé de la sorte.

On a même jugé que pour les Domaines engagez il en faut faire les adjudications devant le Vicomte ; Arrest du 16 de Juillet 1656. entre Barrou joüissant du Domaine de Montereüil, qui vouloit en faire des baux en particulier, et sans formalité, et de la même maniere qu’il auroit fait les baux de son propre bien ; et Me Loüis Guerrier, Vicomte de Montereüil, qui soûtenoit que l’adjudication en devoit être faite publiquement devant luy. Il fut ordonné que l’adjudication s’en feroit publiquement en la presence du Procureur du Roy, et de Barrou, que les terres y seroient declarées par bouts et côtez, et que l’adjudication ne se feroit au plus que pour neuf ans, et sans prendre salaire par livre, mais seulement par taxation moderée par le Vicomte et son assistance, qui ne pourroit exceder 30 fols par chacune adjudication : ce qui avoit êté déja jugé par deux Arrests des 9 de Decembre 1631. et 13 d’Aoust 1638. pour le Vicomte d’Andely, contre le fermier general du Comté de Gisors.

Le Bailly et le Vicomte de Roüen disputent depuis long-temps la competence des curatelles : Le Bailly la pretend en vertu de l’Article qui luy attribuë la connoissance des lettres Royaux, et il se fonde outre cela sur une longue possession, et quoy que cet Article comprenne les curatelles des mineurs entre les choses dont il donne la competence au Vicomte, cela n’a lieu que ratiaene hereditatis, non personae, lors qu’il s’agit de l’état de la personne ; le Vicomte au contraire se sert du même Article, et soûtient qu’au surplus les lettres de curatelle n’êtant qu’une formalité inutile, et dont on peut même se passer, cela ne suffit point pour luy ôter la Juridiction ; Cette question a êté appointée au Conseil, toutes les fois qu’elle s’est offerte, mais on a donné la provision au Bailly.

Quoy que les tutelles soient si frequentes et de si grande importance en cette Province, où les parens deliberans sont garands de leur nomination, la Coûtume n’a fait aucune décision sur cette matiere ; la Cour a supplée à ce defaut par un Reglement nouveau qu’elle a fait le 7 de Mars 1673. et parce qu’il ne contient pas toutes les difficultez qui peuvent naître, ou qui ont êté même déja décidées, j’ajoûteray quelques Arrests et quelques Maximes notables.

En cette Province les tutelles font presque toutes datives ; nous ne connoissions autresfois qu’une seule tutelle legitime, celle du frere aîné établie par la Coûtume : par le premier article du Reglement pour les tutelles, la Cour a declaré que le pere êtoit aussi tuteur naturel et legitime de ses enfans. Il ne l’est pas toutesfois si absolument que les parens ne puissent en nommer un autre en sa place.

Les parens sont obligez de faire instituer un tuteur ; ce soin neanmoins regarde principalement la mere et l’ayeule. Terrien a écrit qu’autrefois le Droit Romain n’êtoit point en usage en cette Province, en ce qu’il prive la mere de la succession de ses enfans, quand elle a negligé de leur faire nommer un tuteur, l. omnem ad 5. C. Tertull. mais qu’on pouvoit la contraindre à s’acquiter de ce devoir par la saisie de ses biens et par amende. Par l’Art. 5. du Reglement pour les tutel-les, on impose cette charge à la mere et à l’ayeule, et il leur est ordonné de faire assembler les parens pour nommer un tuteur dans les trois mois du jour que la mort du pere aura êté sçûë communément, à peine de répondre de la perte que les mineurs souffriront par cette negligence.

Le nombre des parens qui doivent deliberer est de douze, cet ordre fut étably par un ancien Arrest du 12 de Decembre 1550. On peut neanmoins augmenter le nombre des parens deliberans ; on le pratiqua de la sorte pour la tutelle des enfans mineurs de Michel Barberie, sieur de S. Contest, et cet exemple a êté suivi en d’autres rencontres.

Il seroit peut-être encore à propos d’admettre l’ufage de Paris, où l’on instituë un tuteur honoraire, et un tuteur oneraire, car l’on épargneroit beaucoup de dépenses aux mineurs, lors qu’on leur don-ne pour tuteur une personne de qualité. En cette Province, où les tutelles sont fort onereuses, on refuse plûtost qu’on n’affecte cette qualité de tuteur, et le desir qu’on en fait paroître est souvent la marque d’une mauvaise volonté contre les mineurs : cette demande neanmoins est favorable et bienseante de la part de la mere, quand elle n’a point oublié ses premieres affections, et suivant l’art. 2. du Reglement, elle doit être preferée en baillant bonne et suffisante caution ; auparavant elle ne pouvoit demeurer tutrice qu’en vertu de la nomination des parens, comme on le peut remarquer par l’Arrest suivant. Thomas Auvray Receveur des Tailles à Caen êtant mort, une partie des parens jetta les yeux sur Thomas Auvray, frere du defunt et Receveur des Tailles à Caen, les autres parens donnerent leurs suffrages à la mere : sur l’appel de la mere devant le Bailly, on ordonna qu’il seroit fait une autre deliberation, vû la qualité du sieur Auvray de Receveur des Tailles. Donc ayant appelé, Baudri son Avocat remontroit que sa qualité de Receveur des Tailles ne devoit point l’exclure de la tutelle, non plus que les procez qu’il avoit contre les mineurs ; qu’il y avoit sujet au contraire d’en exclure la mere, à cause des substractions dont elle êtoit convaincuë, qu’on luy reprochoit inutilement qu’il êtoit insolvable, puisque les nominateurs êtoient ses garands.

Je disois pour Anne Falaise, mere des mineurs, que la tutelle de ses entans ne pouvoit luy être refusée, suivant l’auaehent. matri & aviae C. quando mulier tutelae officio fungi potest : que la nomination de l’appelant ne pouvoit subsister, parce qu’il êtoit redevable de sommes considerables aux mineurs ; minoris debitor, vel is cui minor tenetur, aut qui minoris res tenet, à curatione prohibetur ; authent. minoris. C. qui dare tutores vel curatores possunt. Il étoit même en procez avec eux : si ut allegas, tutor his datus es, cum quibus disceptationem hereditatis tibi esse propaenis, adire praesidem prinvinciae potes, l. 16. C. de excus. tut. Que si on objecte qu’en ces loix hereditas, se prend pro jure hereditario, & quando agitur de statu, on répond que la loy 21. du même titre, à laquelle les Commentateurs renvoyent, dit propter litem quam quis cum pupillo habet excusare se à tutela non potest, nisi de omnibus bonis aut fortè de plurimâ parte controversia sit. J’ajoûtois que ce parent avoit de grands procez contre les mineurs, que les nominateurs êtoient insolvables, qu’aprés tout quand il seroit vray que les procez ne pourroient servir d’excuse à un parent pour se décharger de la tutelle, c’êtoit un sujet legitime pour l’empescher d’être tuteur contre la volonté d’une partie des parens : et qu’enfin sa qualité de Receveur des Tailles êtoit suffisante pour luy donner l’exclusion, ses biens êtant hypothequez au Roy. Par le droit civil, il êtoit défendu par un tître exprés, ne tutor vel curator vectigalia conducat, ne pupillus oneretur ex causâ fiscali, aut ne pupiaeli praelato fisco tacitae hypothecae amittantur ; que par plusieurs Loix principis coloni, vel patrimoniales coloni à tutelà vacationem habent. l. 8. §. 1. ff. de vacat. l. 5. §. 11. de jure immun. ff. Tit. qui dare tut. vel curatores possunt : Quoy qu’en France les Officiers des Finances n’ayent point ce privilege pour s’exempter des tutelles, il y a lieu de les en exclure, à cause de l’hypotheque privilegiée du fisc ; par Arrest du 12 de Juin 1650. on cassa la Sentence du Bailly, parce qu’elle por-toit ces termes, vû la qualité de Receveur des Tailles, et on renvoya proceder devant le Vicomte à nouvelle deliberation ; suivant cet Arrest les Officiers des Finances peuvent être instituez tuteurs par les parens.

Pour regler le nombre et la qualité des parens qui doivent entrer dans la déliberation, il y avoit souvent de grandes contestations. Suivant le Reglement pour les tutelles Article 14. les ascendans, les freres, ou oncles du mineur doivent être appellez à l’élection du tuteur, et par l’Art. 15 à l’égard des autres parens collateraux, on doit appeller seulement l’ainé de chaque branche, ce qui avoit êté jugé de la sorte par l’Arrest du Tavernier et de Brifaut, au mois de Novembre 1661.

Ceux qui ne sont point appellez à l’election du tuteur, ne peuvent être contraints d’accepter la tutelle. Article 17. du Reglement ; c’est aussi la jurisprudence du Parlement de Paris ; du Fresne en son Journal d’Audiences 1. 3. c. 41. de l’impression de l’an 1652.

Nonobstant la proximité de la parenté on peut quelquefois s’excuser de la tutelle et d’entrer dans la déliberation, mais l’excuse qui sert pour l’un n’est pas toûjours valable pour l’autre : entre les personnes qui pretendent avoir parmy nous une excuse legitime, on met les Prestres qui possedent des benefices à charge d’ames, car pour les simples Prestres ils n’en sont pas dispensez.

Me Adrien Jean, Prestre ; ayant êté nommé tuteur, il appella de sa nomination ; Me Loüis de Brinon, maintenant Conseiller en la Cour, se fondoit sur les Loix Presbyteros & generaliter, et sur l’authent. de sacris Enisc. 8. Deo autem ; coll. 9. Tit. 15. il rapportoit les decrets du Concile de Carthage et le droit Canon, et il argumentoit par l’exemple des Levites ; qui n’avoient point eu de portion, en la Terre Sainte, afin qu’ils ne fussent point distraits du service divin. Voyez Lep. 9.

D. Cyp. l. 1. L’intimé répondoit que toutes ces autoritez ne pouvoient s’appliquer qu’aux Prestres qui avoient charge d’ames, parce qu’autrefois on ne faisoit point de Prestres sans tître, et que la l. generaliter, que Gratian avoit inferée dans son decret, n’avoit lieu que pour les Prestres qui êtoient attachez à quelque Eglise : par Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre du 24 de Janvier 1662. on mit sur l’appel hors de Cour. Un Prestre êtant institué tuteur, on demanda en consequence si pour le reliqua du compte, on pourroit decreter son tître ; par un autre Arrest du 5 de Decembre 1536. on condamna un Prestre par corps pour le reliqua du compte ; mais on jugea que son tître ne pouvoit pas être decreté. Mais à l’égard de la condamnation par corps, quoy que la nouvelle Ordonnance de l’an 1667. la permette pour un reliqua de compte, on la jugeroit difficilement contre un Prestre, parce qu’on a même de la peine à prononcer cette condamnation contre une personne Laïque.

Messieurs du Parlement ne pretendent point avoir exemption de tutelle, et le sieur de Brasdefer s’êtant condescendu sur Monsieur Voisin, Conseiller en la Cour, il fut dit à bonne cause la condescente ; et Monsieur Voisin condamné de gerer la tutelle des enfans du sieur Haley ; plaidans Coquerel pour Brasdefer ; par Arrest en la Grand-Chambre de 1’an 1631. il est vray que cet Arrest porte sans tirer à consequence.

Mes de la Chambre des Comptes pretendent avoir ce privilege par deux Declarations du Roy, la premiere est de Henry Il : en l’année 1556. elle contient que le Procureur General de la Chambre des Comptes de Paris ayant remontré au Roy, qu’à cause du service continuel et assidu que les Officiers sont obligez de luy rendre, ils ne doivent être nommez aux tutelles et autres charges personnelles, qui pourroient les détourner du service, pour cette cause le Roy leur accorda l’exemption des tutelles : cette Declaration ne fut point verifiée au Parlement de Paris, elle fut lûë seulement au Chârclet. Par un autre Declaratien Charles I7. en l’an 1570. accorde aux Presidens et aux Maîtres des Comptes seulement l’exemption des treizièmes. Cette Decla ration fut verifiée au Parlement pour en joüir bonnement et raisonnablement, ce sont les termes.

Enfin en l’an 1580. Henry III. ayant créé la Chambre des Cemptes de Roüen, Me ssieurs de la Chambre des Comptes obtinrent en l’an 1610. une Declaration, par laquelle le Roy leur accordoit les mêmes privileges qu’à ceux de Paris, et la Cour en fit la vérification en ces termes, pour en joüir tout ainsi qu’en ont cy-devant joùi les gens des Comptes de Paris. Et pour justifier cette possession, j’ay vû un Arrest du Grand Conseil donné pour un Secrétaire et un Auditeur exercant, Voila les titres que j’ay vûs en faveur de Messieurs des Comptes ; cependant Me Antoine de la Mare qui avoit été Auditeur en la Chambre des Comptes, ayant été nommé tuteur des enfans le son frère, il s’en porta appelant en la Cour. Je plaidois pour Dame Marguerite de Fouilleuse, veuve de feu sieur du Chesne Varin et mère des mineurs, et pretendois faire confirmer la sentence par ces deux raisons. La première, que la Declaration de Henry Il. qui attribuoit l’exemption de tutelle aux Officiers de la Chambre des Comptes de Paris n’avoit point été verifiée en aucun Parlement. En second lieu, que quand ce privilege feroit bien établi il n’appartiendroit qu’à ceux qui seroient en fonction et non pour les honoraires. Les Empereurs Romains. n’accordoient pas aisément l’exemption des tutelles ; la condition des mineurs est si favorable, que ceux que la Nature oblige à leur protection, ne doivent point s’en dispenser que pour des causes tres-legitimes. Le sieur de la Mare ne soûtint point son appel, et il laissa confirmer la Sentence par defaut en presence, le 22 d’Avril 1649. en l’Audience de la Grand. Chambre, mais quelques mois aprés cette question touthant l’exemption des Officiers de la Chambre des Comptes s’offrit pour le sieur de Bihorel, Correcteur êtant en charge ; et par Arrest du 16 de Decembre 1649. il fut déchargé ; Heroüet plaidant pour le y, et de Cahaignes pour les parens.

Il a été jugé par Arrest du Parlement de Paris, en l’Audience de la Grand-Chambre, le 3 de pecembre 1652. contre un Medecin de l’Université de Rheims, que la disposition du droit Romain touthant le privili ge des Medecins, n’est point gardée en France à l’égard des tuti lles, et que a qualité de Medeem n’est pas une excuse legitime pour pretendre une exemption de cette charge.

Quelquefois l’éloignement du demicile de celuy qu’on veut charger de la tutelle, luy fournit une excuse valable ; du Fresne l. 1. c. 29. assure que c’est une jurisprudence certaine au Parlement de Paris, que les tuteurs doivent être pris et choisis dans la Province, c’est à dire dans le ressort du Bailliage ou Seneschaussée où les biens des mineurs sont situez, et qu’il l’a vû tenir ainsi au Palais ; Cela est juste à cause des frais des voyages que les tuteurs pourroient employer dans leurs comptes, l. ult. de excus. tut. sed & hoc genus est exemptionis, siquis se dicit ibi domicilium non pabere, ubi ad tutelam datus est. Il ne seroit pas raisonnable d’en faire une regle generale, et de regler toûjours l’éloignement par les Bailliages : Il pourroit arriver que le domicile du tuteur que l’on auroit nommé, et les biens des mineurs quoy qu’en divers Bailliages, seroient si proches que le tuteur pourroit faire sa charge sans aggravation pour les mineurs ; elle doit être reglée par les circonstances du fait, et quand l’éloignement est considérable, l’excuse est recevable. Ce qui fut jugé en la cause de Me Dorglandes, Baron de Pretor, que les parens avoient nommé pour gerer la tutelle des enfans mineurs de Monsieur de la Porte, President aux Requêtes du Palais, et parce qu’il demeuroit en Côtentin, et que les mineurs et la plus grande partie de leurs biens étoient à Roüen, et qu’ainsi les voyages d’un Gentilhonme de qualité eussent ruiné les mineurs, la Cour ordonna qu’il seroit procedé à la nomination d’un autre tuteurAutre Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre, du 28 de Février 1653. Le sieur de la Motte-le-Lou, Enseigne des Gardes du Corps, et qui étoit originaire de Bretagne, fut décharge de la tutelle des enfans mineurs de feu Monsieur Morant. En procedant à l’institution d’un tuteur aux enfans de Me Charles Barbé, Seneschal de Fescamp, Me François Danisi, Avocat en la Cour, qui avoit épousé la tante des mineurs, fut nommé tuteur par quelques parens, les suffrages des autres tomberent sur Me Adrien de la Votte, ayant épousé la cousine germaine des mineurs, et d’Adrienne Roussel, veuve dudit défunt et mère des mineurs ; les parties ayant été renvoyées en la Cour, le sieur Danisi remontroit que son domicile étoit éloigné de cinquante lieuës de celuy des mineurs et de leurs biens, et qu’il ne pourroit vaquer à cette tutelle sans un extrême préjudice pour eux, étant Gentilhomme ; il se défendoit arssi par le nombre de ses enfans, qui étoient au nombre de dix tous mineurs, et ajoûtoit qu’il étoit resque sepruagenaire, et qu’ainsi quoy qu’il fût plus proche d’un degré que ledit sieur de la Motre, Il n’y avoit lieu de le charger de cette tutelle, qui pourroit être administrée à leurs frais par le sieur de la Votte, qui avoit son domicile sur le lieu. La mere remontroit qu’elle étoit la partie la plus considérable de la cause t étant obligée de conserver l’interest de ses enfans, et par cette raison elle avoit lieu d’empescher que ledit Danisi ne demeurast tuteur, parce qu’il consumeroit en voyages le revenu de ses mineurs. Heroüet pour de la Votte concluoit que la nomination de Danisi étoit valable, et que l’intervention de la veuve et des parens ne pouvoit changer l’état de la cause, étant constant que Danisi avoit été nommé par la plus grande part’e des parens. De la Votte remontroit qu’il n’étoit qu’allié des. mineurs, et que le Bieur

Danisi étoit leur oncle paternel. La mère des mineurs pour la conservation de leur bienempeschoit de son chef que le sieur Danisi ne fût institué tuteur. Par Arrest du 17 de May 1657. il fut dit qu’il seroit procedé à la nomination d’un autre tuteur que lesdits Danisi et de la Votte.

On a formé depuis cette autre difficulté, si la raison de l’éloignement étoit suffisante pour empescher la condescente du tuteur nommé par les parens sur un parent plus proche. Pierre de Neuville, Ecuyer, sieur de Danvilliers, étoit appelant à la Cour d’une Sentence renduë par le Juge de Vire, par laquelle sur l’assignation faite aux parens paternels et maternels des enfans mineurs de feu Gabriel de Neuville, pour leur instituer un tuteur, vû qu’ils avoient nommé pour tuteur Pierre Loüis sieur du Maillot ; sur la remontrance du Substitut de Monsieur le Procureur General, que ledit du Maillot étoit éloigné du bien et de la personne des mineurs de vingt-quatre lieuës, et qu’à cause de cet éloignement ils seroient chargez de grands frais, requerant que les parens eussent à proceder à une nouvelle nomination. Sur quoy les parens ayant nommé ledit Danvilliers pour tuteur principal, et le sieur Comte de Pontavice pour tuteur particulier, ledit sieur Danvilliers en ayant appelé, Aubout son Avocat concluoit que l’intimé devoit être établi tuteur comme ayant été premièrement nommé par les parens, et étant le presomptif heritier, et en tout cas il maintenoit qu’il pouvoit se condescendre sur luy. Maurry Avocat pour le sieur Loüis intimé, conclut au contraire, que la même raison qui avoit engagé les parens à revoquer leur première déliberation fondée sur l’éloignement de son domicile, rendoit encore l’appelant non recevable à son action en condescente, puisque le même préjudice en arriveroit aux mineurs ; par Arrest du 22 de Decembre 1671. en l’Audience de la GrandChambre, la Cour sans avoir égard à l’action en condescente, mit l’appellation au neant. Et en l’année 1676. au mois de Novembre, Monsieur le Boucher Conseiller en la Cour des Aydes, qui avoit été nommé tuteur aux enfans du sieur Boullais ; ayant fait juger par Sentence du Bailly. de Roüen, à bonne cause son action en condescente contre le sieur de la Mare Anger, qui étoit domicilié en la Vicomté de Vallogne, sur l’appel dudit sieur de la Mare Anger, l’affaire ayant été portée au Parquet, on ne fit point de difficulté à casser la Sentence.

Au reste il faut que l’éloignement soit considérable, autrement l’excuse ne seroit pas admissible.

Un Bourgeois de Bayeux, aprés avoir été nommé tuteur, agit en condescente contre un Libraire de Caen, et ayant été debouté de son action, sur son appel le Tellier soûtenoit que la condescente étoit juste puisque ce Libraire étoit plus proche parent ; Je défendois pour le Libraire par deux raisons, la premiere fondée sur l’éloignement, et la seconde sur l’imbecillité de sa vuë ; mais cet éloignement n’étant que de six lieuës, et n’étant pas entièrement aveugle ; il fut condamné. de gerer. Je ne doute point que la perte entière de la vûë ne fût une excuse legitime, luminibus captus tutela excusationem habet ; l. un. qui morbo exc. pas. Par un Arrest du 12 de Decembre 1550.

Simon Baudoüin âgé de 65 ans et chargé de quatorze enfans fut déchargé d’une tutelle. Par le droit Romain, numerus liberorum excusat à tutelâ. Papon l. 15. t. 15. rapporte un Arrest conforme à la disposition du droit, mais il n’estime pas que cela fût gardé en Frante ; et en effet cette excuse n’est pas recûë en cette Province.

Le mary n’est pas obligé d’accepter la tutelle des parens de sa femme, quand elle est morte sans enfans, mais s’il luy en reste, il peut être institué tuteur : C’est la disposition de l’Article 19. du Reglement pour les tutelles. Il fut même jugé en la Grand. Chambre le 5 d’Avril 1658. entre Noël Vautier appelant, Jean Hervieu et les autres parens des enfans mineurs de Jacques Behier, qu’un mary pouvoit être nommé tuteur aux enfans de sa femme, issus d’un autre mariage, quoy qu’il soûtint que ses enfans étans majeurs, et étans les véritables parens, ils devoient entrer en sa place ; et l’on confirma la Sentence qui l’avoit jugé de la sorte, si ce pere avoit déclaré qu’il remettoit à ses enfans la joüissance du bien de leur mere, son excuse eust été juste.

Puisque les parens sont garands de leur nomination, il étoit raisonnable de leur laisser cette liberté de choisir celuy des parens qu’ils estiment le plus solvable, combien qu’il ne soit pas le plus proche ni le plus habile à succeder ; d’autre part aussi n’étant pas juste de luy faire porter cette charge ; quand il se trouve un autre parent plus proche, on luy permet. de se décharger sur luy ; ce que nous appellons une action en condescente ; cela ne se fait toutefois qu’aux perils de celuy qui a été nommé, qui demeure toûjours obligé envers les mineurs. Si celuy sur lequel il s’est condescendu n’est pas solvable, les mineurs sont tenus de discuter celuy qui a geré, quand le tuteur nommé le demande, suivant. l’Arrest du 28 de Novembre 1671. Beaussier ayant été institué tuteur agit en condescente contre Lenfant qui gera la tutelle : Le mineur aprés sa majorité poursuit le tuteur nommé pour luy rendre compte, il appelle en garantie Lenfant qui avoit géré, le Vicomte condamna Beaussier à faire diligence contre le second tuteur pour rendre son compte ; sur l’appel le Bailly cassa la Sentence et renvoya le demandeur en compte contre Lenfant à la garantie de Beaussier. Le demandeur en compte en ayant appelé, de Cahaignes. son Avocat disoit qu’il avoit une action directe et legitime contre celuy que les parens luy avoient donné pour tuteur, qu’il n’en devoit pas connoître d’autre, et qu’on n’avoit pû empirer fa condition en luy donnant un autre tuteur, car s’il n’étoit pas solvable il seroit contraint d’entreprendre une deuxième discution, ainsi par cette multiplicité de tuteurs et de discutions on le reduiroit à l’impossible, et on rendroit son action inutile, et qu’en tout cas ce tuteur nommé ne pouvoit se dispenser d’en faire les diligences, comme il avoit été jugé par la Sentence du Vicomte. On répondoit que l’usage de cette Province autorisant l’action en condescente elle devoit profiter en quelque chose à celuy qui s’en étoit prévalu, que si nonobstant la condescente, on pouvoit artaquer directement le tuteur nommé par les parens cette action devenoit inutile, bien qu’elle fût favorable, que si pour une plus grande seureté des biens des mineurs on avoit permis aux parens de choisir celuy qu’il leur plairoit, on avoit en même temps donné cette liberté à celuy qui étoit nommé de se décharger sur celuy qui étoit le plus proche, ou le plus habile à succeder, que cela ne faisoit aucun préjudice aux mineurs, puisqu’il geroit aux perils du demandeur en condescente, que celuy sur lequel on s’étoit condescendu êtoit le véritable tuteur ayant administré la tutelle, et par consequent tenu de rendre compte ; par l’Arrest la Sentence du Bailly fut confirmée.

Cette action en condescente doit être formée régulièrement contre un plus proche et plus habile à succeder, cela n’a pas laissé de produire plusieurs difficultez. Du Gard avoit eu de son pre-mier maringe Jacques et Pierre du Gard, et d’une deuxième femme il eut Claude, Paul, Jacques, et Jean : Jacques issu du premier lit mourut et laissa des enfans majeurs : Jacques sorti du second lit mourut aussi, il laissa des enfans mineurs, les parens nommerent pour tuteur le fils de Jacques sorti du premier lit, il agit en condescente sur Claude son oncle sorti du second mariage, et nonobstant la cendescente le sils de Jacques l’ainé ayant été condamné de gerer, il en appela : Caruë, son Avocat, soutenoit que Claude étant oncle êtoit obligé de se charger de cette tutelle, plûtost que Claude qui n’étoit que cousin germain ; que cet oncle d’ailleurs êtoit conjoint aux mineurs, ex utroque latere, et le cousin ne l’étoit que du côté paternel seulement, que les tutelles étoient déférées comme les successions, qu’en celle des mineurs l’oncle excluroit le cousin aux meu-bles et acquests, parce qu’en cette sorte de succession la representation n’avoit lieu qu’au premier degré, et que s’agissant de la succession des mineurs qui étoient des cousins germains, on êtoit hors le premier dégré. Castel pour l’oncle remontroit qu’il faloit faire valoir le choix et le jugement des parens, lesquel pour leur propre interest n’avoient pas manqué à choisir le plus capable et le plus asseuré, que ce fils representant l’ainé, la nomination êtoit dans l’ordre ; que l’ainé ou ses representans ayant tous les avantages de la famille, ils étoient obligez de porter les charges ; que pour les successions l’appelant en pouvoit autant esperer que luy, parce que le seul bien paternel étoit considérable, et pour la succession aux meubles et acquests il ne faloit pas la mettre en compte, les biens des mineurs êtant à peine suffisans pour leur nourriture : Par Arrest du 18 de May 1650. en l’Audience de la Grand. Chambre, la Sentence fut confirmée, et en ce faisant il fut dit, à bonne. cause l’action en condescente. Par un autre Arrest du 31 Janvier 1657. il fut jugé qu’un cousin germain avoit l’action en condescente contre l’oncle, plaidans Theroude et Lyout ; l’oncle est plus proche que le cousin d’un demy degré, selon le droit Canon, et il l’exclut de la succession aux meubles et acquests ; il fut neanmoins jugé que la condescente d’un oncle sur le fils ainé de son frère ainé en Caux, êtoit valable, parce que le neveu succedoit à son préjudice en la meilleure partie.

Quand le plus proche parent a des procez importans contre les mineurs, où il s’agit de summâ bonorum, il ne peut être institué tuteur. Mais on demande si son fils et son presomptif heritier peut être nommé en sa place, ou si l’action en condescente peut être formée contre luy. Catherin et Guillaime Cheron, frères, aprés avoir vécu long-temps en communauté, se separerent en procedant à lrurs partages, ils eurent des grandes contestations : Guillaume Cheron mourut, et laissa un enfant mineur : les parens sçachant que Catherin son oncle à qui la tutelle tomboit en charge, avoit de grands procez contre le mineur, et que par consequent il n’étoit pas utile de luy confier la tutelle, nemmerent en sa place Lucas qui étoit son gendre, qui préta serment par provisien, fauf à luy à se faire décharger : Lucas use de condescente sur son beau-frere Vincent Che-ron, fils de Catherin, qui fut condamné à se charger de la tutelle, dont il appella à la Cour.

Caruë soûtenoit que Catherin Cheron son pere ayant une excuse legitime, à cause des grands procez qu’il avoit contre le mineur, suivant la l. propter litem de excus. tut. le fils qui étoit son presomptif heritier ne pouvoit être nommé, s’agissant de son propre interest, car il seroit soupçonné d’agir collusoirement avec son pere, au préjudice de son pupille, ou il faudroit qu’il aban-donnast sen prepte interest. Cequerel pour Lucas répondoit qu’il avoit les mêmes excuses, un gendre étant comme un autre fils qui doit les mêmes respects à son beau-pere ; Parentis locum obtinet l. 6. ff. sol. mat. et la l. suivante, ex diverso si socer à marito ex promissione conveniatur, folet queri, an idem honor habendus sit, Neratius & Proculus scribunt hoc justum efse. Sur tout ce respect et cette amitié doivent demeurer en leur vigueur, lors que les causes et les liens de l’affinité subsistent, comme décident les mêmes loix ; jusques-là même que le gendre manente matri-monio, ne peut exiger la dot promise par le beau-pere, que in quantum facere potest, l. pen. de jure dot. l. 22. de re judic. Or d’engager le gendre à se charger d’une tutelle remplie de procez contre son beau-père, ce seroit le forcer à rompre avec luy, et luy faire perdre ses affectione. Maunourry pour Catherin Cheron, remontroit aussi qu’ayant tant de démélez avec le mineur, il seroit bien étrange que ses propres enfans prissent les armes contre luy, au sortir de sa table. Cahaignes plaidant pour les parens nominateurs, soûtenoit que la nomination étant faite d’un tuteur solvable elle devoit subsister, et puis qu’ils étoient garans de la nomination et qu’ils n’en connoissoient point de plus capable, on ne pouvoit leur ôter la liberté de pourvoir à leurs interests, ou qu’autrement on les devoit décharger de la garantie. Pilastre. pour le Vaigneur beau-frere du défunt, et qu’on avoit appelé en la cause pour se. charger de la tutelle, se défendoit par la raison de l’éloignement de son domicile, qui étoit de faize ou dix-sept lieuës : Par Arrest du 9 de Mars 1651. il fut dit qu’il seroit fait une nouvelle assemblée pour proceder à la nomination d’un tuteur.

L’action en condescente a lieu non seulement d’un parent éloigné contre un plas proche, mais aussi quelquefois contre, celuy qui est en parité de degré, ou même plus éloigné, quand tout le profit de la tutelle regarde celuy que l’on poursuit en condescente : Il fut ainsi jugé le 5 de Juin 1652. que la condescente d’un oncle sur le fils de son frère ainé dans la Coûtume de Caux êtoit valable, le neveu succedant à tout l’ancien propre au préjudice de son oncle ; et sur ce même principe on a recû la condescente en parité de degré ; et par Arrest du 16 de May 1639. dans la Coû-tume de Caux on prononca à bonne cause la condescente d’un puisné contre son ainé, à cause du grand avantage dont cet ainé joüit dans les successions, et sur tout dans les successions collaterales de l’ancien propre qui luy appartiennent entierement. Autre Arrest du 18 de Novembre 1667. contre les nommez l’Archer, aprés la mort du frère ainé le dernier puisné qu’on avoit institué tuteur à ses enfans, ayant été debouté de son action en condescente sur l’ainé des puisnez, il en appella, et pour causes d’appel il disoit que quo cedit hereditas, ibi & tutela perveniat, que ce premier puisné auroit toute la succession, si les mineurs mouroient ; ce qui fut jugé, plaidans Theroude et de l’Epiney.

La même chose avoit été jugée dans la Coûtume generale entre les nommez le Prestre, le 7 de Decembre 1649. plaidans Lesdos et Lyout ; et afin qu’on n’en doutast plus, la Cour en a fait un Reglement, Art. 237. du Reglement pour les tutelles, dont voicy les termes : Celuy qui a été nommé tuteur, peut se décharger de la tutelle sur celuy qui est l’heritier presomptif, soit qu’ils soient parens en pareil degré, ou en degré plus éloigné. Et par l’Article suivant, ceux qui peuvent succeder également aux mineurs, ne peuvent se décharger de la tutelle les uns sur les autres, mais seulement sur celuy qui prend plus grande part en la succession.

Ces Articles n’ont pas décidé toutes les difficultez ; les biens êtant de differente nature et confistant en propres, acquests et meubles, il peut y avoir divers heritiers, les uns aux propres, les autres aux meubles et acquests. En ce cas plusieurs pouvans participer à la succession, on peut douter sur quelles personnes la nomination d’un tuteur où la condescente doivent valoir, puisque la succession des meubles et des acquests, et même le reliqua du compte, qui est meuble et qui procede de l’administration de la tutelle appartenant toûjours au plus proche parent, cet heritier ne peut regulierement se dispenser de-la tutelle ; neanmoins suivant l’Article du Reglement pour les turelles, si l’heritier au propre prenoit la meilleure part en la succession, l’action en condescente pourroit être reçûë contre luy. La condition des seurs étant égale, et l’ainée n’ayant d’autre prerogative que celle de pouvoir choisir, l’action en condescente n’est point reçûë entr’elles, suivant l’Arrest du 25 de May 1653. en la Grand Chambre, entre Vincent Gaulete ap-pelant d’une Sentence qui le deboutoit de la condescente sur Roger d’Artois, qui avoit épousé la soeur ainée de sa femme, et Roger d’Artois intimé, par l’Arrest la Sentence fut confirmée, plaidans Morlet pour l’appelant, et moy pour l’intimé.

Si l’alliance ou la parenté est survenuë depuis l’institution de tutelle, le tuteur n’est pas recevable à demander la condescente : Rousselin nommé tuteur aux enfans du Tondu, ayant fait épouser à Jacques Morel la tante des mineurs, il forma peu de temps aprés une action contre Morel, pour le charger de la tutelle, parce qu’il se trouvoit alors le plus proche parent, sa demande n’ayant pas été jugée raisonnable, il appela de la Sentence : Heroüet son Avocat concluoit, que vû la proximité, son action êtoit dans les regles : Je répondois pour Morel, que cette défense eust été bonne, si Rousselin l’avoit euë lors qu’il fut institué tuteur ; mais cette parenté n’étant survenuë que depuis, elle ne luy pouvoit servir, les excuses qui arrivent aprés l’institution de tutelle n’étant point considérables, autrement cela pourroit proceder à l’infini : la disposition du droit Romain y est expresse, l’âge de 70. ans excusat à tutela ; sed excessisse oportet tempore illo, quo tutores creantur, non intra tempora administrationis, l. 2. de excus. le nombre de trois enfans donne aussi l’exemption de tutelle, numerum autem esse oportet unicuique tunc cum creatur, et si post creationem generantur non auxiliantur : Il faut donc que le Droit qui donne lieu à l’exemption ou à la condescente, soit acquis tempore delatae tutelae ; une cause nouvelle, et qui survient aprés l’institution, ne sert point, surtout quand le tuteur en a déja fait les fonctions, post susceptam, administrationem non excusatur. l. 4. si tutor fals. all. se exc. C. Cela même feroit préjudice au mineur, le nouveau tuteur faisant reftire compte au premier on aggraveroit le mineur en frais ; par Arrest en l’Audience de la Grand Chambre du 7 de Juillet 1648. la Sentence fut confirmée.

Cela ne reçoit plus de doute aprés l’Article 34. du Reglement, suivant lequel le tuteur ne peut se demettre de la tutelle sur celuy qui a épousé la seur du mineur depuis son institution, mais seulement sur les freres du mineur, devenus majeurs depuis cette institution. Autre Arrest lonné contre le Vavasseur, lequel voyant son frère mort, prit une commission pour les Eauës et Forests d’arpenteur dans les Bois, laquelle par la nouvelle Ordonnance excuse de la tutelles mais on n’y eut point d’égard, parce que cette excuse ne luy appartenoit pas au temps de la tutelle échuë, plaidans de Cahaignes pour le Vavasseur, et Greard pour les parens.

La destitution du tuteur peut être demandée par les parens nominateurs, s’ils craignent qu’il ne soit, ou qu’il ne devienne insolvable ; ou ils peuvent l’obliger à bailler caution, en cas qu’ils prouvent qu’il en a mal usé.

Le remploy que le tuteur doit faire des deniers de ses mineurs est l’acte le plus perilleux de la tutelle ; il doit s’y conduire avec toute la prudence et l’exactitude possible, sur tout quand il le fait de son chef, et sans en avoir consulté les parens. Par Arrest du 14 d’Aoust 1618. donné au Rapport de Monsieur Bretel, quoy qu’un tuteur eût baillé l’argent de son mineur à une personne tres-solvable, et qui n’avoit perdu son bien que par le malheur de la guerre, il en fut neanmoins jugé responsable, pour avoir fait cette constitution sans l’avis des parens : il y avoit cela de particulier que le debiteur n’avoit que des meubles, lesquels étant fort perissables par leur nature, le tuteur n’avoit pas dû fonder là-dessus la seureté de cette rente : Le droit Romain ne rend point les tuteurs garands des cas fortuits, tutoribus & curatoribus casus fortuitos adversus quos caveri non potuit, imputari non, oportere ; saepius rescriptum est. l. tutoribus. 4. c. de peric. tut. à l. si reo de admin. tut. D. Si toutesfois il a pû les prévoir, ou les éviter, il n’est plus excusable, et il doit s’imputer, si par son imprudence, il s’est exposé à ces risques-là. l. 3. de per. tut. si res pupollares quas in horreo conditas habere aut menundare debuistis, in hosbitio tuo vi ignis absumpte sunt, culpam seu segnitiem tuam non ad tuum damnum, sed ad pupilli tui spectare dispendium minus probabili gatione deposcis. Le tuteur donc qui baille de l’argent à rente à celuy qui n’est riche qu’en meubles, ne doit pas être déchargé sous pretexte que l’obligé a été ruiné par un cas fortuit, ou par une force majeure.

On l’a pratiqué de la sorte non seulement contre un tuteur, mais même contre les parens nominateurs, dans l’exemple suivant : les maisons d’un tuteur Bourgeois du Ponteaudemer, ayant été brulées, les nominateurs furent poursuivis pour répondre de son insolvabilité, et pour payer le reliqua du compte, l’affaire ayant été partagée en la Grand. Chambre et aux Enquêtes, elle fut décidée, les Chambres assemblées, au Rapport de Monsieur Auber ; le mois de Février 1663. et les nominateurs furent condamnez : il y avoit quelque chose de particulier qui aidoit fort aux nominateurs, et neanmoins on jugea la These generale, on fe fonda sur ces raisons qu’on ne, manqueroit point à trouver toûjours quelque pretexte pour décharger les nominateurs, et l’on estima que les parens n’avoient point eu assez de soin et de précaution, lors qu’ils avoient confié cette turelle à un homme dont la meilleure partie du bien consistoit en meubles. Cet Arrest sembla rigoureux, si le tuteur eût été vivant et que le malheur fut arrivé sans sa faute, il y auroit eu lieu de le décharger du compte, ou au moins de ne l’obliger pas à rendre un compte fort exact, aprés la perte qu’il avoit faite de tous ses papiers ; mais il étoit extrêmement dur de faire tomber ce malheur sur dé pauvres parens nominateurs, qui ne devroient pas être garands d’un cas fortuit, puisqu’ils ne font qu’office de parens, et qu’ils en tirent aucune utilité, et ce n’est pas une faute d’avoir nommé pour tuteur un hommes dont la pluspart des biens consistoit en meubles, n’ayant la liberté d’en prendre un que dans le nombre de douze parens, ils sont forcez de s’arrêter au plus apparent, quoy que sa fortune ne soit pas fort assurée, ainsi ils se sont acquittez de leur devoir, en choisissant celuy des parens, qui paroissoit le plus solvable. Cette question à sçavoir si le tuteur est garand de la rente qu’il a constituée sur une personne reputée riche par le bruit commun, est décidée fort diversement.

Le Jurisconsulte en la l. si res pupillaris 50. P. de admin. tut. dit que si argentarius, cui tutor pecuniam dederat ; cûm fuisset celeberrimus, reddere non possit ; nihil eo nomine tutor prestare cogitur.

Mais suivant nôtre Usage, un tuteur n’en seroit pas quitte, pour alléguer que le debiteur êtoit reputé fort solvable, et il ne se peut garantir de la mauvaise collocation qu’il a faite des deniers des mineurs que quand il a pris l’avis des parens.

Cette précaution et cette exactitude requise en un tuteur, ne le décharge point de l’interest des deniers otieux et inutiles qui restent en ses mains, et même de l’interest des interests.

La manière de regler ces interefts a été fort differente, et même incertaine se trouvant des Arrests contraires ; mais enfin par le dernier Reglement, on a mieux éclairci cette matiere, et on a beaucoup moderé cette grande rigueur, dont on usoit contre les tuteurs : neanmoins pour un plus ample éclaircissement je rapporteray l’ordre que l’on y agardé jusques à present.

L’interest des deniers provenans de la vente des meubles, commence à courir six mois aprés l’institution du tuteur, ou du jour que les payements sont échûs, et dans les autres six mois il est tenu d’en faire le remploy, ce qui est conforme à la disposition de droit : Il étoit juste de donner ce temps au tuteur pour faire proceder à la vente des meubles, recevoir les deniers et les remployer ; si toutesfois il arrivoit des obstacles et des empeschemens legitimes, le tuteur ayant fait des diligences valables pour le payement des obligations et des autres dettes mobiliaires, il est déchargé du remploy d’icelles, Article 43. et pour l’argent comptant : trouvé dans les coffres, lors du decez, et les deniers provenants du rachapt des rentes, ventes d’héritages, et offices, il en doit faire le remploy dans le même temps de six mois, Article 42.

Pour les arrerages des rentes, loyers de maisons, et fermages, autresfois l’interest commençoit à courir un an aprés l’institution du tuteur ; mais par l’Article 44. il n’est tenu d’en faire le remploy que dix-huit mois aprés que les termes des payemens sont échus.

Tous ces interests étoient deubs au denier quatorze, aprés les delais expirez ; maintenant on les a reduits au denier vingt pour les tutelles commencées depuis le Reglement, et tous ces interests sont joints aux sommes dont le tuteur se trouve redevable de cinq ans en cinq ans, pour en faire un capital, qui produit interest, et pour les tutelles anterieures il court au denier quatorze, pour ces interests d’interests ; c’est ce que nous appelons en cette Province interests pupillaires.

Ces interests des sommes capitales, et les interests des interests, ne cessent point par la seule majorité des pupilles, le tuteur n’en est déchargé que par la presentation de son compte ; mais depuis la presentation d’iceluy, et durant l’examen, il ne doit plus l’interest qu’au denier vingt, pour les turelles anterieures du Reglement, et aux deniers vingt-cind pour les autres, et les interests des interests cessent aussi de courir de ce jour-là ; que si le tuteur pratique des refuites, le Juge qui procede à l’examen peut pourvoir sur l’augmentation d’interests : Avant le Reglement pour les tutelles, les interets cessoient aprés la majorité, quoy que le compte n’eût point été presenté, suivant un Arrest de l’année 1632. rapporté par Berault C. Il faut voir si c’est sur cet Article 1. et la raison de cette jurisprudence êtoit que le pupille devenu majeur, êtoit aussi-bien obligé de demander un compte, comme un tuteur de le rendre.

Au procez de Cauchois et de Godebin, il se mût une question qui peut renaître aujourd’huy, par le changement du prix de la constitution des rentes, à sçavoir si un tuteur qui a recù le rachapt de rentes au denier quatorze, a dû employer ces deniers-là au rachapt de rentes au denier dix, dont les mineurs êtoient redevables, et si pour ne l’avoir pas fait il doit tenir compte de l’interest au denier dix ; un tuteur pour s’acquitter de son devoir en l’administration des biens pupillaires, doit agir avec toute l’exactitude d’un pere de famille, prudent et diligent. Or il commet une faute en gardant ou constituant de l’argent au denier quatorze, quand il peut le faire valoir au denier dix : On excusoit le tuteur par cette raison qu’il ne doit pas toûjours se dessaisir des deniers de ses mineurs, se trouvant des occasions où il leur est plus utile qu’ils demeurent en ses mains, et qu’aprés tout les mineurs ne souffrent pas de préjudice, puisqu’on leur paye l’interest, et l’interest de l’interest des deniers qui se trouvent otieux, cette question fut partagée aux Enquêtes et en la Grand-Chambre, et décidée les Chambres assemblées, Monsieur de la Place Ronfeugere Rapporteur, Monsieur Salet Compartiteur, il passa à l’avis de Monsieur le Rapporteur, que le tuteur avoit pû garder les deniers et n’en payer l’interest qu’au denier quatorze. Suivant l’Article 45. du. Reglement pour les tutelles, le tuteur peut retenir en ses mains une demie année entière du revenu annuel du mineur, pour l’employer aux affaires d’iceluy, sans qu’il soit tenu d’en faire aucun interest.

Nous avons encore un usage particulier en cette Province, et qui est favorable au tuteur, car on luy donne un article general, lequel on regle à proportion du bien du mineur, et suivant d’Article 66. du Reglement on luy donne la somme de cinquante livres, à raison de mille livres du revenu annuel du pupille.

Il est vray neanmoins que par l’Article 67. du même Reglement, cette somme peut être augmentée ou diminuée, suivant la facilité ou difficulté de l’administration. Mais quand il n’y a rien de particulier, on allouë toûjours cinquante livres à raison de mille livres de rente, de sorte que si le revenu annuel du mineur êtoit de trois mille livres, on donneroit au tuteur pour son article general cent cinquante livres par an.

L’Article 77. du Reglement pour les tutelles ne permet point au tuteur de transiger avec son mineur, s’il ne luy a presenté le compte de son administration, et avec les pieces justisicarives d’iceluy, et qu’il n’y ait eu contredits et salvations baillées. Et pour retrencher aux tuteurs tous les moyens de surprendre leurs pupilles, on a fait encore deux autres Reglemens par les Art. 78. et 79. suivant lesquels le tuteur ne peut transiger avec son mineur dans l’an aprés sa majorité, sinon en la presence de deux de ses parens, qui doivent être nommez et choisis par les autres parens qui ont procedé à la nomination d’un tuteur, et aprés l’an expiré depuis la majorité, le tuteur n’est point valablement déchargé par la restitution des pieces, énoncées par la transaction, qu’ils pourroient passer entr’eux, si cette restitution de pieces n’a été faite en la presence des deux parens nommez et choisis.

Aprés la tutelle finie, si le tuteur abusant de la facilité et du peu d’experience de son pupille, de fait transiger sur son compte, sans connoissance de cause, suivant la Maxime generale, toutes ces transactions faites, non visis, nec dispunctis rationibus, sont nulles. Il reste en suite cette question, si le mineur est obligé de se pourvoir dans les dix ans du jour de la transaction, ou s’il y est recevable aprés ce temps-là : elle a été fort debattuë depuis quelques, années, et décidée au Rapport de Monsieur du Plessis-Puchot, le 28 de Février 1670. entre Morin Frappier et les heritiers du Cercle. Ces heritiers ne furent inquietez qu’aprés la mort de leur pere, n’ayans aucune connoissance de ce qui s’étoit passé ; une des quittances du reliqua du compte êtoit de l’année 1637. et l’autre en l’an 1651. et les Lettres de récision ne furent obtenuës qu’en l’an 1666. l’affaire fut partagée en la Grand-Chambre, et décidée aux Enquêtes, suivant l’avis de Monsieur Sales

Compartiteur, qui êtoit que la nullité n’étoit point couverte par lesdix ans, et que l’Ordonnance n’avoit point de lieu en ce cas : il y avoit déja eu deux Arrests pareils, l’un pour le Fevre, et l’autre contre le Vicomte de Bayeux.3

Cette autre question s’offrit en la Grand Chambre, le 15 de Mars 1672. entre Coulon et Brifaut. Une mere tutrice traitant avec son fils et sa fille du compte de leur tutelle, non visis rationibus, et depuis ils passerent une seconde transaction sur les Lettres de récision, que le fils et la fille vouloient prendre, par laquelle elle leur payoit encore une somme, cette transaction fut encore depuis ratifiée par eux ; on demanda si ce fils et cette fille aprés l’an 35. de leur âge étoient restituables contre tous ces Actes. Par l’Arrest de Morin on avoit jugé l’affirmative, ces sortes de transactions étant des ouvrages de surprises et des pieges qu’on avoit tendus à des mineurs, qui traitoient aveuglément de leurs droits sans avoir vû au’unes pieces, le mineur ouvoit même dans les trente ans bailler des omissions ; on répondoit qu’en cette espece on n’ôtoit point dans les termes des Arrests, la première transaction ayant été ratifiée plusieurs fois, le vice et la nullité en êtoit effacée par tant d’Actes volontaires, car autrement il seroit impossible de finir les affaites, ni d’assurer le repos des familles, quand ils avoient ratifié volontairement la premiere transaction, ils n’ignoroient point qu’ils avoient droit de se faire restituer, et sur la foy de cette ratification, qui purifioit tous les defauts du premier Acte, on avoit negligé de conserver les pieces necessaires pour rendre un compte. Par l’Arrest les demandeurs furent deboutez de leurs Lettres, plaidans Cabeüil et Poulain.

La jurisprudence du Parlement de Paris a été fort diverse sur ce sujet, les premiers Arrests étant conformes aux nôtres : depuis on fit distinction entre les simples quittances et les transactions. Chenu cent. 1. q. 22. 23. 24. 27. et 28. Monsieur Bouguier l. R. n. 14. 2. edit.

Enfin par les derniers Arrests on a jugé sans distinction, que les pupilles doivent se pourvoir dans les dix ans aprés leur majorité contre les transactions qu’ils ont faites avec leurs tuteurs pour la reddition de leurs comptes, cela semble fort équitable, quoy qu’un tuteur ne doive pas profiter de sa fraude ; neanmoins quand le pupille aprés sa majorité a pû pendant dix ans s’informer de ses affaires, et qu’il demeure dans le silence, c’est tenir trop long-temps les choses dans l’incertitude, que de donner à cette action la durée de trente ans : Il n’est pas juste de renouveler une action qu’il semble avoir remise sur tout contre les heritiers du tuteur, qui se trouvent reduits par cette négligence frauduleuse dans l’impuissance de rendre compte : c’est aussi la pensée du Jurisconsulte en la l : maximéque S. D. de admin. tut. periniquum est eum qui post viginti annos in mentem non venit tutelam reposcere, et qui n’a pas songé dans l’espface de dix ans à contester la transaction qu’il a faite, soit recû à troubler une famille, qui se croyoit en repos sur l’autorité de l’Ordonnance, qui ne permet point de se pourvoir aprés les dix ans.

Cependant comme il arrive rarement qu’il y ait de la bonne foy de la part d’un tuteur, on ne doit point restreindre au préjudice du mineur le temps, ni les moyens de reparer cette surprise, et de faire annuller un Acte qui blesse l’interest public : c’est un crime et un vol de la part d’un tuteur, que la prescription de dix ans ne peut effacer. Arq. l. ubi lex. de usurp. Le Parlement de Tholoze a tenu ce parti, et jugé que le mineur avoit trente ans pour se pourvoir. Mr d’Olive l. 4. c. 16. Mainard l. 2. c. 99. Ces raisons paroissent bonnes contre le tuteur, mais il est rigoureux de prolonger le temps contre l’heritier ; c’est une peine personnelle contre le tuteur, qui ne doit passer contre l’heritier, que quand l’action a été formée contre le tuteur. Il seroit juste, à mon avis, d’y apporter ce temperament en cette Province, où lors que le tuteur est insolvable, les parens nominateurs en sont responsables. On étendoit autrefois cette garantie si loin, que les nominateurs êtoient tenus de l’insolvabilité les uns des autres, et condamnez solidairement. Cela fut jugé par Arrest du 34 de May 1621. on a depuis corrigé fort justement cette durété ; les plus proches étant obligez de déliberer, et les parens n’ayant pas la liberté de choisir, ni de rejetter les pauvres ou les insolvables ; il êtoit fort injuste de leur faire porter cette perte, et c’est pourquoy par l’Article 70. du Reglement pour les tutelles, les parens nominateurs ne sont garands de l’administration du tuteur, que chacun pour leur part, et non point solidairement, et même ils ne peuvent être poursuivis que subsidiairement et aprés la discussion des meubles et des immeubles du tuteur, Article 11.

Il fut imême jugé au Rapport de Monsieur du Moucel en l’an 1621. aux Enquêtes, que si au temps de la tutelle finie le tuteur êtoit solvable, le mineur avoit negligé d’intenter son action en compte dans les dix ans, il n’étoit plus recevable à inquieter les nominateurs, qui depuis sa majorité n’étoient plus en obligation de s’informer de ses affaires.

On trouve un Arrest du 6 de May 1619. donné au Rapport de Monsieur Bigot, sur un partage. de la Grand-Chambre du 4. du même mois, vuidé aux Enquêtes ; par lequel il fut dit que les mineurs oyant compte étoient tenus solidairement envers leur tuteur de l’executoire qui luy avoit été ajugé pour avoir plus mis que reçù ; les parties étoient le sieur Boivin de Bonnetot, et le Sauvage.

Cet Arrest est de consequence, la tutelle semble n’être qu’un seul acte, bien qu’il y ait plusieurs mineurs, et par cette raison la dette du tuteur ne doit pas être divisée pour ne luy denner pas autant de procez qu’il auroit eu de pupilles. D’ailleurs aussi comme il peut arriver que la dépense pour les mineurs n’avoit pas été faite également, il seroit injuste que celuy qui a moins dépensé fût obligé solidairement pour le tout, et que sa portion hereditaire fût ajugée au tutear pour l’engager à poursuivre une recompense peut-être inutile contre ses autres freres. Nonobstant cet Arrest, l’usage est certain que chaque oyant compte n’est tenu qu’à proportion de la dépense que de tuteur a faite pour luy.

Du partage de succession.

M Aître Josias Berault cite un Arrest du 14 de Mars 1608. par lequel il fut ordonné, que les lettres d’une succession seroient representées, pour sçavoir où la plus grande partie d’icelle étoit située, pour en être le partage fait entre les coheritiers au lieu où la plus grande partie de la succession se trouveroit assise. Si l’on suivoit cet Arrest, on engageroit des heritiers dans un grand embarras, et souvent la succession se trouveroit consumée en frais, pour sçavoir seulement le lieu où il la faudroit partager. Il est plus dans les regles d’attribuer la connoissance de l’action en partage au Juge du lieu, où celuy de la succession duquel il s’agit est decedé, parce que les titres s’y trouvent, et qu’il est plus facile de les voir en ce lieu-là, que de les porter ailleurs.


VI.

Peut ledit Vicomte faire faire toutes criées, bannissemens, interpositions et adjudications de decret des héritages roturiers et non nobles.

Cet Article eust été mieux conçû en ces termes ; peut ledit Vicomte connoître de toutes criées, &c. Car le Vicomte ne fait pas les criées, bannissemens, &c. Cela dépend de la fonction des Sergents ; mais elles sont rapportées devant luy pour juger de leur validité, ou invalidité.


VII.

Connoist aussi des oppositions et differens qui aviennent sur lesdites saisies et criées entre personnes nobles, et entre personnes non nobles, pour dettes, et autres choses mobiliaires, arrerages de rentes roturieres et hypotheques.

Un decret s’étoit fait devant le Vicomte de Bayeux ; sur l’appel de l’adjudication elle avoir été cassée ; et lors qu’on commença de proceder à la distribation des deniers, Me Magloire Bailleul, son Lieutenant, voulut faire l’ordre au préjudice du Vicomte, par cette raison que par l’Arrest, qui avoit cassé l’adjudication, on avoit renvoyé proceder à une nouvelle adjudication par devant un autre Juge que celuy dont êtoit appelé. MeIfaac le Bedé, Vicomte de Bayeux, répondoit, que l’Arrest n’avoit lieu que pour l’adjudication, et qu’ayant été faite, et l’ordre des de-niers étant un nouvel acte, où il se presentoit de nouvelles parties, il ne pouvoit être privé de son droit, qu’il n’avoit pas commis plus de faute que ce Lieutenant, puis qu’il avoit jugé par l’avis de l’assistance ; par Arrest du 6 de Mars 1664. il fut dit que la distrsbution des deniers seroit faite par le Vicomte, plaidans Greard et le Févre. Il seroit juste d’abolir cet usage, suivant lequel, lors que la Sentence est infirmée, l’on renvoye devant un autre Iuge que celuy qui a presidé, car il peut arriver que l’on a jugé contre son sentiment, et qu’au contraire celuy devant lequel on renvoye, a été du mauvais avis.


VIII.

Appartient aussi audit Vicomte la connoissance des lettres de mixtion, pour les héritages situez dans le ressort de sa Vicomté, encores qu’ils soient de diverses Sergenteries, ou assises dans le ressort d’un Haut-Justicier, qui est dans les enclaves. de sa Vicomté, pourvû qu’il n’y ait rien noble.

Le mot de ressort est employé fort improprement en cet Article. Suivant l’usage general de la France, le Juge de ressort est celuy qui connoist d’une cause par appel, ressortum nihil est aliud quam jus primarum appellationùm.Guy Papé , decision 518. etFerrerius , sur cette decision, ressortum vocamus apud Gallos juridicum quoddam imperium., & facultatem cognoscendi de primis appellationibus intra certum tervitorium. Cependant les Vicomtes ne connoissent d’aucunes appellations ; ce mot est emprunté, comme : l’estimeBudée , ab antiquo more, priscorûmque sortibu judiciorum, quia olim litigantes judices sortiebantun.Ferrer . ibidem,Budae . in annot. prior. er. et past. Ad Pandectas. Nec verâ sine sorte data, sine judice sedes, quesitor urnam movet. Il n’y a que les Baillifs parmy nous qui connoissent des premieres appellations, et qui soient Juges de ressort ; on auroit mieux parlé en disant qu’ils connoissent des lettres de mixtion dans l’etenduë de leur Vicomté, ou dans les enclaves.

Par Arrest donné en la Grand. Chambre, au Rapport de Monsieur Deshommets, du 30 d’Avril 1661. il a été jugé qu’encore que deux Hauts-Justiciers ressortissent à la Cour, cela ne chan-geoit point : l’ordre des lettres de mixtion attribuées au Vicomte.

La Coûtume, en donnant au Vicomte la connoissance des lettres de mixtion des terres assises dans le territoire du Haut-Justicier, ne distingue point si le Siege principal d’une Haute-Justice, ou quelqu’autre Siege, est assis dans l’etenduë de la Vicomté ; elle dit simplement, si les héritages sont assis dans le ressort d’un Haut-Justicier ; en explication de cet Article on a donné cet Arrest Me Adam Rousseau, Avocat au Conseil, fit saisir reellement les héritages de Me Pierre Artus, situez dans la Vicomté de Bayeux, mais en diverses Sergenteries, et il y en avoit même quelque portion située dans l’étenduë de la Haute-Justice de Maisi : il avoit obtenu des lettres de mixtion pour faire ajuger le tout devant le Vicomte de Bayeux. Aprés les criées et le record fait des dilisences du decret, Demoiselle Marie Mustel, veuve de Canivet, Ecuyer, sieur de Col-leville, ayant acquis quelque portion des héritages decretez, appela de la saisie et de tout ce qui fait avoit été, soûtenant que le Vicomte de Bayeux êtoit incompetent, parce que la Haute-Justice de Maisi étoit un Siege de celle de Varanguebec, qui êtoit dans les enclaves du Bailliage de Côrentin ; ainsi ces héritages étant situez en divers Bailliages, Rouss : au avoit dû se pourvoir par devers la Cour, et non pas prendre des lettres de mixtion, que cela avoit été jugé de la sorte en la Chambre de l’Edit, le 21 de Mars 1638. entre le Roux et autres, pour le decret des héritages de Suhard, qui avoit été renvoyé à Bayeux. Rousseau s’aidoit de deux Arrests donnez en la même Chambre, le 20 d’Aoust 1636. au Rapport de Monsieur d’Eri, contre de Melun, appelant et decreté ; et fautre du 27 de Janvier 1634. contre de Rupalé : Par ces Arrests on avoit confirmé les decrets faits en vertu de lettres de mixtion, d’héritages situez en partie dans la HauteJustice de Maisi ; on trouva que le Vicomte étoit competent, et que ces deux Arrests êtoient formels, et qu’en celuy de Suhard il y avoit du particulier ; et par Arrest du 9 de Septembre 1639. au Rapport de Monsieur d’Eri, le decret fut confirmé.

Par Arrest sur Requeste, au Rapport de Monsieur Auber, on a jugé qu’un creancier voulant saisir les héritages situez en deux diverses Hautes-Justices, il les pouvoit saisir et faire ajuger par un seul et même decret, et pour cet effet on le renvoya en la Jurisdiction où la plus grande partie des héritages étoit située : la raison de douter étoit, qu’un Haut-Justicier n’a de Jurisdiction que dans l’étenduë qu’il a plû au Roy de luy donner, et qu’il n’est pas au pouvoir des Parlements de l’étendre au de-là de ses limites, qu’il n’en est pas comme de deux Vicomtez ou de deux Bailliages, dont les Officiers ont leur caractere du Roy, et par consequent ils ont pouvoir de rendre justice en son nom à tous ses sujets, ce qui ne peut être dit d’un Haut-Justicier. On remontroit au contraire qu’il y alloit du bien de tous les creanciers, en évitant la multiplicité de decret, que les frais étroient moindres dans les Hautes-Justices, et que lautre Haut. Justicier n’y êtoit point préjudicié, puis qu’en une autre rencontre on luy feroit fattribution, lors que la plus grande partie seroit située dans sa Haute Justice.

On avoit saisi reellement plusieurs héritages, situez en partie sous la Haute-Justice de Longueville au Siege de Halsboc, et en partie sous la Haute-Justice de Maulevrier, qui toutes deux sont dans letenduë de la Vicomté Royale de Caudèbec ; et il y avoit aussi quelque portion des heritages saisis qui étoient dépendans de cette Vicomté.

Pour parvenir à ce decret, on avoit obtenu des lettres de mixtion, qui étoient adressées à ce Vicomte, mais sur une opposition, aux fins de distraire tout ce qui étoit de la competence du Vicomte de Caudebec, on avoit jugé la distraction : ainsi les terres situées dans ces HautesJustices restoient seules comprises dans ce decret ; ce qui donna lieu à soûtenir, que le Vicomte n’étoit plus competent du decret, et qu’il devoir être renvoyé dans la Haute-Justice, ubi major pars ; mais nonobstant ce soûtien, le Vicomte avoit procedé à l’adjudication finale et définitives sur l’appel, la cause fut plaidée par Castel, pour Madame de Longueville, et Dutand pour Monsieur Côté, Doyen de la Cour ; ils soûtenoient que quand les héritages sont situées en deux Hautes-Justices, il faut renvoyer le decret ubi major pars, et non devant le Juge Royal, n’étant pas le cas de cet Article, qui parle de deux Sergenteries, ou d’une Haute-Justice.

Me Cavelier, Vicomte de Caudebec, plaida luy-même sa cause, pour mon absence et remontra que c’étoit la même chose, que ces héritages fussent situez en deux Sergenteries, ou en deux Hautes-Justices, que cet Article en attribuant la connoissance au Vi-comte, lors qu’il y en a dans une Haute-Justice, on devoit ordonner la même chose lors qu’il s’en trouve en deux Hautes-Justices ; ce qui avoit été ainsi jugé par un Arrest rapporté parBerault , sur cet Article ; que d’ailleurs les choses n’étoient plus entieres, le decret ayant été commencé et continué devant luy jusqu’à l’adjudication finale. Monsieur l’Avocat General le Guerchois donna adjonction au Vicomte, et remontra que tout dépendoit de la comperence du Vicomte, que quand il y avoit des héritages en deux Hautes. Justices, assises dans une même Vicomté, le Vicomte devoit connoître du decret, comme il connoitroit des héritages de deux Sergenteries : et ce qui favorisoit fort la cause, êtoit que ce decret s’étoit achevé devant luy, il s’en rapportoit neanmoins à la Cour, vù les Arrests que l’on disoit avoir jugé le contraire, et qui pouvoient avoir êté donnez sur des circonstances particulieres. Par Arrest en l’Audience de la Grand-Chambre du 30 d’Aoust 1667. on ordonna qu’il seroit procedé à nouvelle adjudication, et on renvoya la connoissance du decret devant le Juge de Longueville. Cet Arrest semble contraire à celuy rapporté parBerault , la distraction des héritages dépendans du Juge Royal, n’étoit point un sujet valable pour le dessaisir l’un decret qui luy appartenoit en son origine, sur tout vû que les Hauts-Justiciers et Monsieur Côté n’avoient reclamé qu’aprés l’adjudication définitive. Cet Arrest non plus que celuy donné sur Requête, au Rapport de Mr Auber, ne doivent point être tirez en consequence, le Haut : Justicier ne doit connoître que de ce qui est situé dans l’etenduë de sa Seigneurie, et si pour éviter une multiplicité de decrets ; lors que les terres sont situées en diverses HautesJustices, l’on trouve à propos d’en faire l’attribution à un Juge seul, elle ne peut être faite qu’à un Juge Royal, sans s’arrêter à cette regle ubi major pars, qui ne doit être pratiquée qu’entre les Officiers Royaux. Aussi autant de fois que l’occasion s’est presentée d’attribuer le decret d’héritages situez dans deux Hautes-Justices, enclavées dans l’etenduë d’un même Bailliage ou l’une même Vicomté, on en a toûjours fait le renvoy devant le Juge Royal. Godefroy a fort bien remarqué sur cet Article, que les lettres de mixtion étoient véritablement necessaires, quand il y a des terres assies dans le Territoire d’un Haut-Justicier, mais qu’il n’y avoit raison ni nécessité d’en obtenr pour les terres qui sont toutes dans les limites de sa Vicomté, car à l’égard de la Haute-Justice, il y a raison, parce que le Vicomte n’a point de pouvoir nors de son Térritoire ; mais pour le Vicomte, puisque son pouvoir et sa Jur-sdiction s’étendent également sur les uns comme sur les autres, et que le plus souvent les Pleds de plusieurs et diverses Sergenteries se tiennent en un même lieu, c’est une formalité tres-fupersluë, que de prendre des lettres de mixtion.


IX.

Doit ledit Vicomte faire paver les ruës, reparer les chemins, ponts, passages ; et faire tenir le cours des eaux et rivieres en leur ancien état.

Inter regales Principum prarogativas, publicorum quoque itinerum tuitio reponitur, c. 1. quae sint Regul. Les Romains commettoient le soin des chemins à certains Magistrats. Publicé enim ntile est sine metu ac periculo per itinera commeare, l. 1. 8. summâ de his quidem ;Lampride , en la Vie d’Alexandre Severe, dit que les personnes de la premiere qualité dans l’Empire Romain, se chargeoient du soin de faire reparer les chemins.

Dans le temps que les Comtes administroient la Justice en France ; ils laissoient à leurs Lieutenans le soin de faire tenir les chemins en bon état ; Sangallensis, de gestis Caroli magni, uit consuetudo illis temporibus, ut ubicumque opus aliquod imperiali precepto faciendum, esset si quidem pontis, vel navis, vel trajecti, sive purgatio ; sive stramentum, vel impletio cenoforum itinerum, ea Comites per Vicarios et Officiales suos assequerentur. Depuis ce temps-là les Vicom-tes se sont maintenus en la possession de connoître des choses contenuës en cet Article.

Il faut sçavoir en suite, par qui et comment ées reparations doivent être faites ; cette charge regarde ordinairement le proprietaire : annumeratur enim hec prastatio inter onera realia, et pradialia.Mornac , sur la l. si fructus pendentes ; S. si quid cloacarii, D. de usuf. dit que le premier pavé des rués doit être payé conjointement par le Seigneur censier et le proprietaire, et suivant ce §. si quid cloacarii nomine debeatur ; vel si quid ob formam aquaeductus, qui per agrum transit, pendatur, ad onus fructuarii pertinebit ; et par cette raison la doüairiere et tous les autres usufruitiers y sont sujets. Voyez Chopin ; par. 2. c. 2. l. 2. t. 2. des biens d’Anjou. Par frrest en l’Audience de la Grand. Chambre du 13 de Decembre 1635. sur l’appel de Me Jean Dubose, Chappelain de la Chappelle de S. Martin, de plusieurs Sentences données par le Vicomte et les Eschevins de Roüen, il fut condamné de reparer le pavé de la rué, le long de sa maison, quoy qu’il alléguast, que les canaux des fontaines passassent par dessous : les Eschevins avoient consenti de reparer de qu’ils démoliroient, mais ils soûtenoient que le surplus du pavé étoit à la charge du proprietaire.Bacquet , des droits de Just. c. 2.Berger , en son Traité des grands chemins et l’Empire Romaini.

La Police des Romains sur le fait des chemins êtoit parfaitement belle ; ils travailloient également à l’ornement et à la commodité : il ne se vit jamais d’ouvrage plus parfait que celuy d’Appius. Aprés plus de neuf cens ans il n’y avoit pas un pavé qui fût sorti de sa lace, quoy que dans la construction il n’y eût entré ni chaux, ni ciment : la distance des. lieues y étoit marquée, et l’on avoit placé d’espace en espace des sieges, tant pour asseoir : les passans, que pour y décharger les fardeaux. Dans l’Ordonnance d’Orléans de l’année 1560. sur le fait de la Police generale, on trouve aussi plusieurs beaux Reglemens pour les maisons, d les ruës et les chemins. Si les Ecclesiastiques sont tenus de contribuer à la reparation des chemins, des ponts, des murailles, et des fossez des Villes, voyezOlive , llvré 1. c. 18.


X.

Ledit Vicomte doit tenir ses Pleds de quinzaine en quinzaine : en tenant lesquels Pleds il peut diligemment enquerir de tous crimes et en informer, pour l’information faite être jugée par le Bailly.

Plusieurs Auteurs ont traité de l’origine de ce mot de Pleds : Colligitur, dit Chopin l. l. c. 46. de Jurisd.Andeg . ex hac vetusta phrasi legum francicarum Caroli magni, nec placitum habeat Comes, nisi jejunus : quod igitur prisci Romani conventum, vel forum agere dixerunt, id nostri placitum tenere dictitant. Ménage en ses Origines de la langue Françoise, in verbo Bleds, a fait plusieurs remarques sur ce mot. Les Anglois et les Escossois ont emprunté ce terme de nous, et disent Pley ;Skenaeus . l. l. c. 1. etGlanville , possim, et Mr Connan a fort bien remarqué que, quod latini dicunt litigare, Galli placitare, et litigatores, placitatores vocant.

Loyseau des Seig. rend la raison, pourquoy les Vicomtes ne connoissent point des crimes, disant que les Gentilshommes ne vouloient être jugez que par les Pairs et par les Barons ; ce qui se prouve aussi par nôtre Coûtume, mais la véritable raison étoit, que les Vicomtes n’étant en cette Province que des Juges inferieurs, soûmis aux Baillifs, il n’étoit pas raisonnable de leur commettre le merum imperium : il y avoit pourtant quelqué ambiguité dans les Textes de l’ancienne Coûtume de l’Office au Vicomte, pour sçavoir s’ils pouvoient pas informer des dimes, et punir les coupables. Il est dit en ces termes que le Vicomte enquière diligemment, et en secret des malfaicteurs ; et ceux qu’il trouvera coupables par le serment de loyaux hommes, qui ne soient pas soupponneux, il les doit tenir en prison tant qu’ils irrendent enquête, ou tant qu’ils soient delivrez par la Loy du païs. Il semble par ces termes, qu’il ust pouvoir d’informer et de punir les coupables. L’ancien Glossateur estime néanmoins que le jugement en êtoit reservé au Bailly. Maintenant l’usage est certain qu’ils ne peuvent informen des crimes, sinon en tenant leurs Pleds ; et j’ay rapporté sur le premier Article les Arrests qui luy ont même ôté la connoissance des actions en injures, quoy qu’intentées civilement. Un Vicomte tenant ses Pleds, à l’appel d’un Sergent, un païsan se plaignit que ce Sergent êtoit entré seul dans sa maison, où il avoit pris plusieurs meubles sans avoir baillé d’exploit d’execution ; le Vicomte en informa, et aprés les recolemens et les confrontations interdit le Sergent de sa charge avec amende : il appela comme d’incompetence, et quoy qu’il eust procede volonfairement, et que le Vicomte fust juge de l’opposition, et que l’appel des Sergents, qui se fait devant luy, ne soit établi que pour pouvoir plus aisément fe plaindre contr’eux, et afin que le Vicomte puisse informer de leurs malversations, néanmoins on cassa tout ce qui avoit été fait depuis l’information ; par Arrest donné en la Chambre de la Tournelle, au Rapport de Mr de Sonissent, le s’de Decembre 1624 Par Arrest du 23 de May 1656. défenses furent faites aux Juges de Domfront, et à tous autres, de se faire taxe pour recevoir les déclarations des Censives, droits, et devoirs dûs au Roy et à Mademoiselle d’Orléans, proprietaire du Domaine de Domfront et Passais. Mr Coupel, Lieutenant du Vicomte, ayant fait publier une Ordonnance qui enjoignoit à tous les Censiers et Vassaux du Domaine de Domfront, de bailler leurs déclarations pour dresser un Papier terrier, taxoit huit sols pour chaque déclaration, dont plusieurs vassaux avoient appelé : Heroüet, leur Avocat, soûtint que c’étoit une vexation, les Officiers étant tenus de recevoir les declarations sans exiger aucune taxe, suivant l’Edit de l an 1550. et quoy que Mademoiselle d’Orleans fust propriétaire de ces Domaines-là, ils retenoient toûjours leur premiere qualité. Le Petit répondoit pour Coupel, que Mademoiselle ne pouvoit obliger des Officiers Royaux à travailler gra-tuitement pour elle, et qu’ils ne devoient service qu’au Roy ; par Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre les taxes furent cassées, Coupel condamné à la restitution de ce qu’il avoit recû, et en cent livres d’amende.

Le premier d’Avril 1664. il fut jugé en la Grand. Chambre que le Vicomte doit tenir les Pleds Royaux, qui sont pour le Domaine du Roy, au préjudice du Bailly ; plaidans Castel pour Mas dame la Duchesse de Nemours, Maurry pour le Vicomte d’Andely, et Heroüet pour le Lieu-tenant du Bailly.


XI.

Et incidemment peut connoître et juger de tous crimes.

Cet Article me paroit difficile : Je ne sçache point de cas où le Vicomte puisse incidamment connoître et juger de crimes, que de celuy de faux, quand il est incident en un procez pendant en Vicomté. Berault et Godefroy alléguent des Arrests contraires, et ce dernier tache à les concilier, par cette distinction qui’est aussi remarquée parBérault , que quand on a commis rebellion contre une Sentence interlocutoire du Vicomte, il en peut connoître ; que si la Sentence êtoit definitive, le procez fait sur la rebellion seroit de la competence du Bailly, parce que le Vicomte ifficio suo functus erat, & desierat esse judex ; mais sans s’arrêter à cette distinction, je croy que de Bailly est seul competent de connoître et d’informer extraordinairement des rebellions commises contre les Sentences du Vicomte, soit qu’elles soient interlocutoires ou definitives. Il est ray qu’autrefois le Vicomte pretendoit que la competence des actions en preuves et en simples njures luy appartenoit, et sa pretention êtoit conforme à une loy qui se trouve dans le Code Theodosien l. 2. t. 1. par laquelle la connoissance des moindres crimes étoit laissée aux moindres uges, de parvis criminibus ad médiocres judices vindictam pertinere decernimus, et néanmoins on luy a ôté la competence de ces actions là par les Arrests que j’ay remarquez sur l’Article 2.


XII.

Et sont tous Juges, tant Royaux que Subalternes, sujets et tenus de juger par l’avis et opinion de l’assistance.

Les Juges pour s’acquiter de leur devoir, ne doivent pas seulement prononcer par l’avis de l’assistance, ils doivent aussi donner leurs jugemens avec connoissance de cause, nam in eo maximae aequitas consistit. Suivant les loix Saliques, les Comtes ne jugeoient pas feuls ; Comites non soli, sed ad sidentibus ut plurimum septem consiliariis jus dicebant, qui Racimburgi vel Rachimburgi dicebantur tunc graphio congreget secum septem Rachimburgos. MBignon , ad veteres form. l. l.

C’est en consequence de cet Article, qui oblige les Juges à juger par l’avis de l’assistance, que la Cour refusa de proceder à la verification de l’Art. 27. de l’Ordonnance de Roussillon, par lequel les Seigneurs sont condamnez en l’amende, pour le mal-jugé de leurs Officiers, parce qu’en Normandie les Juges étant tenus de prononcer par l’avis de l’assistance ; il n’étoit pas raisonnable. de faire payer aux Seigneurs l’amende du mal-jugé.

Il étoit fort necessaire de borner le pouvoir et lautorité de celuy qui preside, ou du Juge en chef, en ne luy laissant pas la liberté de juger à sa volonté. Homere en a si bien reconnu la consequence, que son Jupiter dans les affaires importantes, fait toûjours assembler le conseil des autres Dieux, ce que Virgile a pareillement imité.

Le Juge ne doit jamals prononcer contre l’avis de l’assistance, mais en quelques rencontres il peut juger sans assistance, comme en matière de compte et de liquidation : Arrest en la GrandChambre du 19 de May 1650. sur la prise à partie de Mr Coupel, Lieutenant du Vicomte de Domfront, parce que dans une liquidation d’acquits, où il ne s’agissoit que de 400. livres, il n’avoit appelé aucune assistance, le domandeur en prise à partie fut condamné en dix livres d’amen-de et aux interests, moderez à cent livres ; l’Arrest est fondé sur cette raison, que si pour une matière si legere, il avoit appelé de l’assistance, il auroit consumé les parties en frais, plaidans Lyout et le Perit.

Il y a même des choses qui peuvent être expediées sur une simple requeste, ou de l’autorité seule du Juge. On juge en connoissance de cause en deux manières : la premiere consiste en un demandeur, un défendeur, et un Juge, et on l’appelle Jurisdiction contentieufe, l. de unoquoque D. de re judic. l’autre espece, que imperiosa est magis quam juridica ; consiste en toutes les choses que le Magistrat peut ordonner de son autorité, et sans entendre les parties ; et c’est pourquoy Goncanus ad l. 4. de Jurisd. a remarqué que hujus muneris quod jurisdictio apoellatur, pars quedam magis imperiosa est, quedam magis juridica : illa & interdum quod iniquum est imperat, hec semper quod aequum est causâ cognitâ constituit ; c’est pourquoy ce que le Juge ordonne de son chef et sans connoissance de cause, n’a pas l’effet et la vertu d’un jugement contradictoire, et il se retracte aisément ; celuy qui est donné aprés une pleine discution du fait et du droit, ne peut être aneanti que par la voye de l’appel. Cette distinction est necessaire pour entendre plusieurs loix du droit Romain : Lors que le Jurisconsulte répond en la l. quod jussit. D. de re judic. quod jussit vetuitve praetor, contrario edicto tollere potest, il parle de ces Ordonnances du Preteur, que magis sunt imperii quâm jurisdictionis. Au contraire la loy qui porte que possquam judex sententiam dixit, desinit esse judex l. judex 54. de re jud. lib. 42. t. 1. s’entend de ces jugemens, que sine cause cognitione expediri non possunt.

Nos Docteurs ont traité cette question, si celuy qui preside, voit que les assistans errent manifestement en droit ; est obligé de juger selon leur, sentiment, ou s’il doit s’y opposer ; plusieurs estiment qu’il ne doit point s’attacher au plus grand nombre, quia sententia non jure profferetur, si specialiter contra leges lata fuerit ; et Bodin en sa Republique a remarqué qu’à ITholoze, Mr Barthelemy, President aux Enquêtes, voyant que les Juges jugeoient contre TOrdonnance, il fist assembler les Chambres et les obligea de juger conformément à la loy. Mais. puisque nôtre Coûtume leur prescrit de prononcer suivant la pluralité des opinions, ils ne peuvent contrevenir à cet ordre, et neanmoins pour faire connoître qu’ils ne sont pas tombez dans ferreur, il seroit juste de leur permettre d’employer qu’il a passé contre leur avis.

C’est encore une question fort douteuse et décidée fort diversement par les Jurisconfultes, comment le Juge en doit user ; lors qu’il sçait en sa conscience que les titres et les preuves, dont on se sert, ne sont point véritables, s’il doit juger selon la connoissance particuliere qu’il pa de la vérité, ou s’il doit prononcer selon les titres et les preuves qui sont au procez.

Les Interpretes du Droit civil, sur la l. l. illicitas S. veritas. D. de offic. presid. Et les Canonistes sur le c. pastoralis 28. S. quin vero Extr. de offic. dilig. ont amplement traité cette ma-tière ; les uns ont suivi l’opinion deMartin , qui soûtenoit que le Juge êtoit obligé de prononcer plûtost selon sa consciente, que selon des preuves qu’il sçavoit assurément être fausses : Les autres, et particulierement les Canonistes, ont pris le parti de Jean, qui vouloit que le Juge s’attachast aux titres et aux preuves, qui étoient produits : Hotoman en ses questions illustres, quest. 27. estime qu’à l’égard du Juge d’appel, lors qu’il est pleinement issuré de la vérité du fait, plûtost que de juger contre sa conscience, il doit s’abstenir d’en connoître, ou se rendre témoin, et principalement dans les Procez criminels, suivant l’exempla le Julius Decemuir, accusator apud populum maluit esse ejus rei, cujus judex legitimus erat, et deScipion l’Africain , lequel offrit de quitter sa fonction de Censeur, pour servir de témoin contre Licinius, qu’il sçavoit certainement avoir commis un parjure ; et le Juge d’appel en roit user de cette manière ; car en cas d’appel, les Juges superieurs, qui n’auroient pas ses connoissances, n’auroient égard qu’aux preuves et aux pieces du procez. Mais pour les Juges ep dernier ressort, et sur tout pour les aibitres, ausquels les parties ont donné un plein pouvoircet Auteur est d’avis qu’ils peuvent juger selon leur conscience : Au contraire Mr Cujas a crû que le Juge doit prononcer suivant les pieces et les preuves, ou quitter la fonction de Juge, pour rendre témoignage à la vérité, quia tutior est hec ration finiendarum litium, quam si obtentu scientiae judicis licere permiseris, nullam habere probationum ratiodem. Il peut souvent arriver que les preuves sont fausses, et que le Juge est beaucoup mieux informé de la vérité, mais comme dans les Jugemens le plus mauvais parti l’emporte sur le meilleur, lors que les voix sont en plus grand nombre, et qu’on n’est pas recevable à peser les suffrages, afin de donner force et autorité aux choses jugées, et pour ne laisser pas flotter les choses dans lincertitude, aussi il est plus à propos que le Juge s’attache aux preuves, qu’à ses lumières et à ses connoissances particulières, afin qu’il ne fasse pas les fonctions de Jugé et de témoin.Cujac . l. 12. obser. c. 19. Le sentiment de Mr Cujas me paroit le plus raisonnable.

Cette assistance doit être composée de sept Juges en matiere criminelle, qui doivent être commez et signez en la Sentenee, suivant le Reglement du 2 Mars 1613. et quand les Juges rdinaires ne se trouvent pas en ce nombre-là, il doit être suppleé par d’autres ; mais le supément ne doit pas être fait aux dépens des parties, car le Roy doit la justice à ses sujets, comme aussi celuy à qui le droit de Jurisdiction a été donné. Cependant c’est un abus fort commun dans les Hautes-Justices, où les Juges font garnir les parties pour appeler des Juges en nombre suffisant Si le pere et le fils font partie de lassistance, lors que leurs avis sont conformes, ils ne font qu’une voix, comme il fut jugé en la Grand. Chambre le 23 de Decembre 1660. entre les officiers d’Evreux, et s’étant rencontré qu’en un même siege, le pere, le fils et l’oncle, ui étoit le beau-frere du pere, étoient Officiers, on ordonna qu’en cas que ces trois Officiers fussent de même avis, leurs trois voix ne seroient comptées que pour deux, mais que les suffrages des cousins germains seroient comptez : et j’ay aussi remarqué cet Arrest sur l’Article 558. on a même étendu plus loin ces sortes de recusations, pour les déliberations des communautez et des mêtiers.

Les Bourgeois de Verneüil ont la liberté de nommer un Maire, qui est le Juge politique.

Cette Mairie est compolée d’onze Eschevins et d’un Maire, et lors qu’un Eschevin meurt, on en supplée un autre qui est pris d’un nombre des Bourgeois, que lon appelle les vingt-quatres de sorte que pour parvenir à l’Eschevinat, il faut être du nombre des vingt-quatre, et pour fourvir ces vingt-quatre, Il faut être des Cinquantaines c’est à dire des cent Bourgeois qui sont choisis pour entrer dans les vingt-quatre, quand il en manque quelqu’un et quand ils sont nommez. En l’an 1674. deux places étant vacantes dans les vingt-quatre, il y eut contestatiom entre Jean Langlois, et Pierre Mauduit, sieur de S. Simon, Receveur des Tailles à Verneüils Langlois eur le plus grand nombre des voix, mais le Juge Royal qui n’assiste en cette assemblée que pour prononcer, voyant que la nomination de Langlois avoit été faite par caballe, il ordonna que la nomination dudit Mauduit prévaudroit, et qu’à l’avenir on seroit tenu de choisir un Officier pour la premiere fois, et deux Bourgeois en suite ; sur l’appel de Langlois, Maurry, son Avocat, soûtenoit que le Juge Royal n’avoit eu le pouvoir de faire un Reglement, qui donnast atteinte à la liberté des Bourgeois, et que lappelant ayant le plus grand nombre des suffrages, il devoit l’emporter ; qu’en ces sortes d’assemblées publiques les parens ne pouvoient être recusez. Je répondois pour l’intimé, que pour le Reglement fait par le Juge, il n’y avoit point d’interest, que la nomination de l’appelant ne pouvoit être bonne, ayant été faite par son pere, son frère, son beau-frère, et son onele, et que pour les autres suffrages qu’il avoir eus, c’êtoit leffer d’une caballe, composée de parens, qui ne vouloit point souffrir que les Officiers entrassent dans la Mairie ; par Arrest du 30 d’Avril 1675. il fut dit qu’il seroit procedé à nouvelle élection, et que les voix du pere, du fils, du frère, et du neveu, ne seroient comptées que pour une voix. Et par Arrest du 4 de Mars 1664. entre les Maîtres Selliers, pour lesquels e p’aidois, et les Gardes de ce mêtier, on cassa une Sentence qui avoit confirmé l’élection de leurs Gardes, et on ordonna qu’il seroit procedé à une nouvelle élection, et que les peres, fils, fteres, oncles, et ne veux, ne pourroient être nommez Gardes ensemble, de Lespiney plaidoit pour les Gardes intimez Tous Juges doivent être graduez, suivant le Reglement donné pour lUniversité de Caen.

Nôtre Coûtume n’a point parlé des arbitres, quoy que l’usage en soit fort commun : fuit hac componendaram litium ratio sapientissimis hominum valde probata, dit Mr d’Argentré C’étoit autrefois une opinion fort commune, qu’on ne pouvoit compromettre sur le Juge ordinaire des parties, et par la Coûtume de Brétagne sur l’Article 18. les parties peuvent libre ment compromettre sur telles personnes que bon leur semble, excepté sur leurs Juges ordinaires, qui ne peuvent être arbitres entre leurs sujets. Cette Coûtume avoit pris son origine du droit, Romain, en la l. si servum S. si judex ff. de arbitris. Si quis judex sit, arbitrium suscipere, ejus rei de que judex est, in se compromitti jure prohibetur. Mr d’Argentré sur cet Article 18 de sa Coûtume, nota 4. a fort bien montré qu’en cette loy ce mot de judex ne s’entendoit que de cettains Commissaires, qui étoient députez pour le jugement de certaines causes, qui in causâ tantùm commissâ judicare jubebantur, par consequent ils ne pouvoient accepter le compromis fait sur eux : Mais pour les Magistrats ordinaires, on pouvoit compromettre sur eux. l. 3. et sequent. de arbitris.

Quant aux Canonistes ils tiennent indistinctement in ordinarium compromitti posse.Febur . l. 4. c. n. 45. et sed. Et c’est aussi nôtre Usage, et tous les jours on compromet sur Messieurs les Presidents, et Conseillers de la Cours Pour regler toutes ces questions, qui naissent ordinairement sur la matière des arbitres, ces regles sont fort utiles : La premiere, que celuy qui n’est point capable de sister en jugement, ne peut compromettre : La seconde, que celuy qui ne peut contracter, ne peut aussi compromettre : et la troisième regarde les personnes sur lesquelles on peut compromettre : Suivant la premere de ces regles, les mineurs et les femmes mariées ne peuvent compromettre. Par la seconde, les Ecclesiastiques et les tuteurs ne peuvent compromettre de leur autorité, quia res Ecclesia et mimorum alienare non possunt. Si le compromis avoit été commencé par le pere, le tuteur pourroit de continuer par favis des parens, parce que l’on présume que le pere avoit eu raison de compromettre. Arrest en la Grand. Chambre du premier de Février 1667 On peut compromettre sur tous ceux qui n’en sont point exclus par le droit, comme sont les Mornes, les pupilles, deportati, relegati, damnati ad metallum. Monsieur d’Argentré tient qu’un infame peut être arbitre, et que cela est aussi permis aux femmes illustres, c. Quintavallis, extravaganti de jure-jurando.


XIII.

Le Haut-Justicier peut informer, connoître et juger de tous cas et crimes, hormis des cas Royaux.

De l’origine des Hautes-Justices, de leur competence, et de leurs Officiers.

C’est assurément un abus et un déreglement dans un Etat, que la distribution de la Justice soit commise à d’autres Officiers, qu’à ceux du Prince ou de la Republique ; quoy que fautorité des Hauts-Justiciers soit émanée de la Royale ; il est neanmoins important que la puissance publique ne soit exercée que par ceux qui reçoivent immediatement du Souverain leur caractere et leur pouvoir ; parce qu’elle est presque inseparable de la Souveraineté : Ea que sunt jurisdictionis, et pacis ; et que paci, et justitia annectuntur, ad nullum pertinent nisi ad coronam Regiam, nec à coronâ separari possunt, cum faciant ipsam coronam. Henricis Bracton de leg. Angl. l. 1.

On ne rencontre aucun exemple contraire dans toute l’antiquité, qui a precedé l’usage des fiefs : les Romains n’ont pas ignoré cette Politique. Dans toute l’étenduë de leur vaste Empire aucun particulier de quelque condition qu’il pût être n’avoit droit de Jurisdiction : la Justice ne s’exerçoit en aucun lieu que sous le nom de la Republique ou de l’Empereur. Perpetua hac et ordinariae Dominorum Jurisdictio à veteri Romanorum jure aliena est, nec Augustus quidem ipse propriam Jurisdictionem in heredes suos transmisit :Eguin. Baro , de judic. ad benef. pert. l. 4. c. 1.

s’étoit donné la gloire d’avoir observé le premier, que Mr Charles du Moulin temps de, et même sous les Empereurs precedens, les proprietaires des terres avoient une Justinien publique sur leurs domestiques, et sur leurs fermiers, et que pour cet effet ils avoient des Juges en premiere instance. de feud. 83. n. 9.

Mais trois celèbres Jurisconsultes François ont fortement combattu son opinion : Mr d’Argentré fait voir, que quand son observation seroit véritable, il n’en seroit pas l’auteur, et que Balde l’avoit déja faite auparavant, et neanmoins que tous deux avoient été surpris pour n’avoir pas sentendu la Novelle 80. deJustinien , et s’être atrachez à une mauvaise version de cette Novelle : Maître Charles Loyseau a dit la même chose des Seign. c. 10. n. 47. Depuis Maître Didier Heraut a pleinement traité cette question, et nous a donné le véritable sens de cette Novelle, fort opposé à l’explication deMaître Charles du Moulin , et : il conclut qu’il faut chercher ailleurs que dans cette Novelle lorigine de ces Jurisdictions, que les Seigneurs feodaux exercent sur les personnes qui habitent, ou qui possedent des terres dans l’etenduë de leurs Seigneuries. quoy que ces Justices feodales soient inconnuës dans le droit Romain, leur introduction et leur établissement sont fort anciens en France, et l’on peut dire que leur origine est aussi vieille que celles des fiefs ; il peut être arrivé, que dans la suite des temps elles soient devenuës llus amples et plus étenduës qu’elles n’étoient dans leur principe : mais leur pouvoir est si porné qu’elles ne peuvent produire de mauvais effets contre l’Etat : l’abus en est plus grand aujourd’huy à l’égard des particuliers qu’à l’égard du Souverain : car ces deux seigneuries ou uissances publiques ne peuvent jamais être si bien reglées l’une avec l’autre, qu’il ne se forme rontinuellement des contestations par leurs entreprises reciproques, et tous ces conflicts de Jurisdiction se font toûjours à l’oppression des parties.

C’origine de ces Justices est si cachée, qu’on a de la peine à la découvrir, et parce que les Justices temporelles des Ecclesiastiques, me paroissent avoir cemmencé d’une autre manière que celles des Laiques, je tacheray de montrer comment elles se sont établies Les gens d’Eglise ayant profité si heureusement de la simplicité des peuples, et leurs rithesses étant devenuës immenses, ils chercherent les moyens de les conserver. Car quoy que outes les Eglises de France fussent sub Mundiburde Regia, c’est à dire sous la protection du Roys. es grands Seigneurs souffioient avec regret que les plus belles terres du Royaume fussent entre les mains de gens d’Eglise, dont l’Etat ne tiroit aucun secours ; cela les obligea de chercher la protection de quelques particuliers, qu’ils appellerent leurs Advoüez et leurs Deferseurs. In Germania ESPERLUEaeTE Gallia Ecclesiae ob pinguiorem cenaeum et Doynastarum frequentiam obviae, Defensores sive Advocato. expetivêre.Dadinus de Alta-serra , de Ducib. et Comit. Gal. l. l. c. 6 On jugea même que ces Avocats, ausquels nos anciennes Histoires ont donné le nom d’Advoüez des Moustiers, étoient si necessaires, que dans un Concile tenu à Mayence, Can. 50. sous Charlemagne, il fut enjoint aux Evesques, aux Abbez, et à tout le Clergé, ut continuo ViceDominos, Prapositos et Advocatos sive Defensores haberent ; de Roye in proleg. Ad rit. de jure pat. c. 11.

Car encore que quelques-uns mertent de la différence entre les Vidames, et les Avocats, néannoins la pluspart des Auteurs de ce siecle-là les ont confondus ; Pithou des Comtes de Champagne, page 472, et 473 Ces Défenseurs ne pouvoient accepter cet employ que par la permission du Roy : ce qui procedoit apparemment de cette ancienne Coûtume de France, dont Marculphe l. 1. c. 21. nous a conservé la formule, suivant laquelle l’on ne pouvoit plaider par Procureur, sans la pernission du Roy. De sorte qu’à l’effet de pouvoir exercer cette qualité d’Advoüez et de Défen-seurs, il leur falloit obtenir l’aggrément du Roy. L’Histoire nous apprend que dans la suite ces Vidames et ces Avocats en userent fort mal ; mais cela n’est pas de mon sujet.

Les gens d’Eglise obrintent encore une seconde grate, qui fut qu’aucun Juge public, ni seculier ne tiendroit ses Assises, ou ses Pleds dans les maisons qui leur appartenoients t nullus judex publicus ad causas audiendas, aut freda undique exigenda a quocumque tempore non presumat ingredi ; Marculp. de immunit. Regia. Dans le t. de immun. aux Decret. on n’a pas manqué d’employer ce privilege, ut in domibus Ecclesiarum, neque Missus, neque Comes vel udex publicus, quasi pro consuetudine placita teneant, sed in publicis locis domos constituant quibus placitum teneant.

Le Pere Pommeraye , en son Histoire de l’Abbaye de S Oüen, a donné au public la Charte d’une donation faite par Charles le Chauve, où cette exemption de la Jurisdiction Royale est contenuë. Statuimus, aut jubemus nt. nullus judex publicus, aut quilibet exercens judicantis potestatem, aut ullus fidelium nostrorum tam instantium quém futurorum in Ecclesias, aut loca, vel agros ceu reliquas possessiones, quas moderno tempore infra imperii nostri ditionem possident, ad caufas audiendas, vel freda exigenda audeat ingredi.

Nous trouvons dans Marculphe l. 1. c. 17. la confirmation d’une donation de certains heritages fiscaux, faite en ces termeé, absque ullius introitu judicum, de quibustibet caufis ad frecta exigenda.

Ces paroles, absque introitu judicum, se : rencontrent souvent dans les anciens titres, mats on ne peut pas fonder là-dessus l’établissement des Justices privées, ni même une exemption generale, et absoluë de la Jurisdiction Royale. On défendoit seulement aux Juges Royaux l’entrée des Monasteres et des Abbayes pour y tenir leurs Audiences, iou pour exiger le payement des amendes qu’ils avoient prononcées rontre les Ecclesiastiques ; car freda ou fredum signific une amende, et il faut remarquer qu’alors on ne punissoit les crimes que par des peines pecuniaires, thaque crime êtoit taxé. à une certaine fomme, et ce qui en appartenoit au Fisc ctoit appelé fredum, et ce qui étoit ajugé à l’offensé ou à ses heritiers virgildum Or il y a grande différence entre un privilege ou une exemption, et un droit de justice ; les rens d’Eglise qui souffroient difficilement que les personnes Laiques exercassent quelque autorité sur eux, et qui d’ailleurs étoient executez jusques dans leurs maisons, pour les amendes ausquelles ils étoient condamnez, eurent assez de credit pour obtenir que l’entrée de leurs Monasteres fust nterdite aux Juges, à l’effet d’y tenit leurs Audiences, ou pour y executer leurs Sentences pour Je payement des amendes.

Et ces immunitez fournissent même une preuve, qu’à la réserve de l’entrée dans leurs Abbayes, et de l’execution pour les amendes, ils demeuroient soûmis à la Justice Royale. est vray que l’Empereur Conrard accorda cette grace à une certaine Abbaye d’Allemagne, Monasterio Laurismahensi, que les Juges de quelque qualité qu’ils fussent n’auroient droit de Jurisdiction sur les esclaves et les serviteurs de cette Abbaye, ut nullus Comes, Vicecomes, vel quelibet ilia judiciaria persona in mancipiis Monasterii aliquam haberet jurisdictionem. Et l’Empereur Henry IV. accorda un pareil privilege à l’Abbaye de Hirshaugen, pour leurs personnes et pour leurs piens. Loüis Hutin qui commença de régner en l’an 1138. promit à l’Abbé de S. Martin des Champs, que ni luy, ni ses successeurs, ne feroient arrêter les gens dépendans de cette Abbaye, s’ils n’étoient pris en flagrant délict : mais tous ces Princes ayant vécu depuis Hugues Capet, et en un temps où les Justices seigneuriales étoient en grand nombre, on ne peut pas conclure de ces autoritez que sous la premiere et la seconde Race, les gens d’Eglise eussent un droit de Justice, en vertu de ces privileges qui défendoient aux Juges l’entrée de leurs Eglises Il y a beaucoup d’apparence qu’aprés avoir eu le credit de fermer la porte de leurs maisons aux Officiers Royaux, ils tacherent d’usurper quelque Jurisdictien sur leurs Esclaves et sur les autres personnes qui étoient soûmises à leur pouvoir, ce qui leur êtoit d’autant plus aisé que leurs Advoüez étoient particulièrement établis pour la protection de leurs biens et de leurs ersonnes POINaeV Advocatorum fuit temporalem Ecclesiae Jurisdictionem in colonos & servos ejus, exercere ; Duc. et Comit. Provinc. l. 1. c. 6. et Dadin. de Alta-Serra Orig. feude c. 13. De sotte gue ces Advoüez ne les protegeoient pas seulement contre les étrangers, ils étoient encore les Juges de leurs domestiques, et quoy que cette Jurisdiction fût fort bornée, et qu’elle n’eûr aucun térritoire dans l’etenduë duquel ils pussent exercer une puissance publique sur les biens et sur les personnes de ceux lesquels y étoient domiciliez, ce qui compose la Justice feigneuriale, cela pourtant leur servit de pretexte pour profiter du temps ; car les Laiques ayant ob-tenu la proprieté et l’heredité de leurs benefices ou fiefs, et en suite s’étant attribuez quelque Jurisdiction sur leurs vassaux, les Ecclesiastiques qui possedoient des fiefs suivirent leur exemple, et se formerent des Justices plus grandes ou plus mediocres, selon la dignité des fiefs, qui étoient en leur possession, comme je l’expliquerayplus particulierement dans la suite.

On ne peut rapporter l’origine de nos Justices seigneuriales à cet ancien usage des Gaules remarqué par Cesar en ses Commentaires ; Principes Regionum, arque pagorum inter suos jus ditunt, controversiasque dirimunt ; Car outre que ce pouvoir êtoit attaché à leurs personnes, et non point à leurs terres, c’étoient les plus nobles et les plus puissans qui étoient choisis par Je peuple pour faire entr’eux la fonction de Juges et de Magistrats ; mais cette autorité ne passoit point à leurs successeurs, quoy qu’ils possedassent les mêmes biens ; Loyseau des Seig c. 1. n. 20.

On trouveroit plûtost un crayon de nos Justices de village dans une Comedie Latine, que les sçavans estiment avoir été composée du temps de Theodose, ou Querolus le principal versonnage, et qui donne le titre à cette piece conjure Lar, de le faire devenir Gentilhommes et il luy répond ae vade ad Ligerim, illic sententiae capitales de robore proferuntur & scribuntur in ussibus : illic etiam rustici perorant et privati judicant : ibi totum licet. Mais l’Auteur de cette Comedie ne se proposoit par ce discours, que de faire une peinture de la violence, et de s’injustice des Nobles, et ce n’a pas été sa pensée de nous enseigner que dés ce temps-là, les Nobles avoient un droit de Jurisdiction sur les particuliers.

D’Arerac dans son Irenarchie a écrit, que les Goths furent les premiers qui accorderent aux Gentilshommes le droit de Justice, mais cette opinion n’a point de vray-semblance ; aussi eurs Loix n’en font aucune mention, et même l’usage des fiefs leur êtoit inconnu.Maître René Chopin , ayant tenu que l’invention des fiefs étoit dûë aux Lombards, il a crû qu’en même temps ils y avoient annezé le droit de Justice : Il n’est pas vray que les Lombards ayent été les premiers formateurs des fiefs ; il est certain toutesfois que ce que nous avons de plus ancien touchant les Coûtumes, et les Usages feodaux, nous a été appris par deux Milanois ; mais quand ces Auteurs ont écrit, il y avoit plus de deux cens ans qu’en France les Seigneurs feodaux êtoient en possession des droits de Justice : Me Charles Loyseau a été de ce sentiment, que cette usurpation avoit commencé dés le temps des Maires du Palais. Il ne paroit neanmoins par aucun titre, qu’avant Charlemagne il y eût en France aucune Jurisdiction que la Royale.

Entre nos Auteurs qui ont joint la connoissance de l’Histoire avec la science des Loix, quelques-uns ont été de ce sentiment, que si sous la première Race de nos Rois, ces Justices sei-gneuriales n’étoient pas encores connuës,’au moins sous la seconde, et du temps même de Charlemagne, les particuliers avoient des Justices C’étoit l’opinion deMr Bignon , en ses Nottes sur Marculphe, l. 1. c. 3. dont il rapporte ces deux preuves ; la premiere est tirée d’une Charte d’indemnité octroyée par le Roy Dagobert à l’Abbaye de S. Denis : Et ut ab omnibus optimatibus et judicibus nostris, et judicibus publicis, & privatis, meliùs et certiùs credatur : L’autre se trouve dans les Capitulaires de Charlemagne, l. 2. c. 44. Admonendi sunt Domini subditorum, ut circa suos pié et modestè agant, nec eos qualibet opinione injustâ condemnent, nec eos opprimant, nec eorum substantiolas injustè tollant, nec issa debita que à subditis reddenda sunt impiè ac crudeliter exigantur.

De Roye veut même que ces Justices fussent si bien établies, que sous la seconde Race les Seigneurs feodaux avoient déja Omninodam Jurisdictionem, haute, moyenne, et basse Justice ; ce qu’il entreprend de prouver par trois moyens ; premierement par le Capitulaire 31. deCharles le Chauve , in Edicto Pistensi, unusquisque Comes de suo comitatu, & nomina eorum, et qui sint Seniores eorum describi faciat, & ad Senioratum suum unusquisque redeat, & usque ad medium Majum, propter seminationem ibi maneat. En second lieu, il cite un Edit de Clotaire Il. ad Concilium Parisiacum quintum ; où il louë Missos Potentum, eosque judices et discussores vocat, qui de raptu cognoscant ; et par le mot Potentum, de Roye entend Seniores : Sa troisième preuve semble plus expresse, c’est l’Extrait d’une lettre d’Hincmarus, Archevesque de Rheims , à Anselme, auquel il donne la qualité d’homme illustre, viro illustri, en faveur d’un Prestre qui avoit été accusé devant luy, et lequel n’y avoit point comparu, ad denominatum placitum non convenerat, luy declarant qu’il avoit absous canoniquement ce Prestre du crime qui luy êtoit imputé, en la presence des Commissaires d’Anselme même, coram Missis ipsius Anselmi.

Mr le Févre qui a sans doute étudié fort exactement la matière des fiefs, assure fortement au contraire, qu’au temps de Hugues Capet, ou pour le plûtost sous Charles le Simple, les firefs n’étoient plus ce qu’ils avoient été dans leur premiere origine, et que les Jurisconsultes s’étoient abusez, lors qu’ils avoient confondu le benefice avec le fief, et qu’ils étoient tombez dans cette erreur, pour n’avoir pas assez penetré dans l’antiquité Françoise, n’ayant consideré le benefice que dans le moment de sa fin, et lors qu’il commençoit à devenir une proprieté hereditaire, qui le faisoit changer de nature, et au temps que le fief prenoit naissance, qui n’étoit autre chose que cette proprieté héreditaire du fief, qui fut formée et accruë par l’augmentation des droits, que depuis on a appellez seigneuriaux, comme sont ceux de Justice.

Il ajoûte que sur tout il falloit observer cette différence essentielle entre le benefice et le fief, que le fief étoit conféré par un seigneur particulier, le benefice au contraire n’étoit tconféré que par le Souverain ; comme parmy les Romains, l’Empereur seul faisoit la distribution des terres frontieres aux gens de guerre, ce qui n’eût pas été permis à leurs Généraux ; et par cette raison il concluoit que les possesseurs des benefices n’avoient pas le pouvoir de bailler en fief une portion de leurs benefices, n’êtans que de simples usufruitiers, d’où il s’ensuit que n’ayans point de vassaux, ils ne pouvoient avoir de Justice ; les droits de Justice de cens et rentes n’étans deubs en ce temps-là qu’à la Souveraineté, et n’ayant été connus que depuis la possession des fiefs. En effet il paroit par l’Histoire que les Ducs et les Comtes en qualité de Gouverneurs et de Lieutenants Généraux des Provinces, exercoient toute l’autorité du Souverain en l’etenduë de leur Duché ou Comté, et particulierement ils prononçoient par ejugement souverain sur les appellations des Centeniers, qui étoient les Juges ordinaires établis par le Roy ; de sorte qu’il n’y avoit point d’autre Jurisdiction que la Royale dans toute l’étenduë de la domination Françoise, depuis l’établissement de la Monarchie : aussi c’est la mar-que la plus essentielle de la Royauté que la distribution de la Justice.

Mais la puissance des grands Seigneurs du Royaume étant beaucoup augmentée sous Charles le simple, et davantage encore depuis la mort de Loüis le Bégue, parce qu’il n’y eut plus que des usurpat eurs, ou des Rois foibles et mal-servis, on ne pût empescher durant les troubles, qui durerent plus de So ans, que les Gouverneurs des Provinces ne laissassent à leurs heritiers, leurs Duchez et leurs Comtez en proprieté hereditaire. Ce que Hugues Capet fut obligé de souffrir, pour n’être point troublé en la possession de la Couronne.

Ce fut alors que ces mêmes Seigneurs supprimerent les Juges Royaux, et qu’ils établirent en leur place des Baillifs, des Prevosts, et des Châtelains, avec divers pouvoirs et ressorts, selon les conditions qu’ils apposerent dans les investitures des fiefs, accordans aux uns la Haute-Justice, aux autres la moyenne.

Il est mal-aisé de prendre parti dans un sujet qui fait naître tant d’opinions differentes, cependant tout le monde convient de deux principes, qui contribuent beaucoup à l’éclaircissement de la verité.

Le premier est que les Justices seigneuriales ne peuvent avoir d’autre origine que celle des fiefs ; ils en font le principe et le fondement, les Justices n’en sont qu’une suite et une dépendance, jus feudorum ex supremo dominio delibatum hac omnia invexit.Herald . l. 1. quest. quot c. 12. de forte. Pour connoître la source de ces Justices, on ne peut remonter plus haut qu’à l’établissement des fiefs.

On pose encore comme un principe infaillible, que pour exercer un droit de Jurisdiction, il faut avoir necessairement des hommes et des vassaux, qui en soient dépendans, et contre lesquels on puisse user d’un droit de superiorité, autrement ces Justices seroient chimeriques, s’il n’y avoit des gens que l’on pût obliger à s’y soûmettre volontairement, ou par contrainte : Or parce que les fiefs ont eu leurs âges et leurs progrez, et que dans la suite des temps ils ont reçû beaucoup de changement, c’est assurément le point le plus curieux et le plus difficile de cette contro-verse, que de montrer en quel temps les possesseurs des fiefs ont eu le pouvoir d’infeoder une partie d’iceux avec des conditions de fidelité, de service, et de superiorité ; que si cela peut être clairement prouvé, il sera vray de dire que les Justices feodales ne peuvent avoir commencé, que depuis que les particuliers ont eu la liberté de s’assurer du service et de la fidelité des vassaux, par se moyen des infeodations qu’ils leur faisoient de leurs terres.

Il n’est pas vray-semblable que lors que les benefices ou fiefs n’étoient encore que de simples usufruits, qui finissoient par la mort, les possesseurs d’iceux eussent le pouvoir ou la volonté de les infeoder avec les mêmes conditions qui ont été pratiquées depuis que les fiefs furent donnez en proprieté : Il y a même de l’apparence que cela ne leur eust pas été permis, et que toutes sortes d’alienations ou de dispositions leur en étoient défenduës. Il faut donc dire que le droit d’avoir les vassaux, et d’exercer sur eux quelque espèce de Jurisdiction, n’a commencé d’être en usage, que quand les fiefs ont commencé d’être possedez proprietairement et héréditairement.

On ne peut pas marquer précisément le temps où ce changement est arrivé ; selon l’opinion l plus commune et la plus apparente, cela ne se fit que depuis Loüis le Debonnaire, comme je le prouveray plus amplement sur le Titre des fiefs ; car la Postérité de ce Prince tomba dans une l rande foiblesse, que la pluspart des Princes de cette Maison, ou se laisserent dépoüiller de leurs Etats, ou souffrirent l’usurpation des plus beaux droits de leurs Couronnes ; Ce fut donc alors qu’en France, en Allemagne, et en Italie les plus puissans usurperent les hautes dignitez, et les autres usurperent, ou se firent donner la proprieté de leurs benefices, et y joignirent plusieurs droits, qui jusqu’alors n’avoient appartenu qu’au Souverain.

On peut objecter, que le droit de feodalité et celuy de Justice n’ont rien de commun, et que les Seigneurs feodaux ont pû avoir des vassaux, sans avoir neanmoins aucune Justice, et qu’encore que ce droit de Jurisdiction soit inutile, s’il n’y a des vassaux, il ne s’ensuit pas que le droit de Justice ait été établi aussi-tost qu’il a été permis d’infeoder, et de bailler en fiefe ne conteste point que cela ne soit véritable, mais il en resulte aussi que les Iustices des par-ticuliers n’ont pû commencer que depuis que les fiefs ont été donnez en proprieté, et qu’il a été permis de les infeoder.

Il ne reste donc plus qu’à montrer, que les Seigneurs ne furent pas long-temps sans s’attribuer quelque Iurisdiction ; cela fut en usage aussi-tost que les fiefs tomberent dans un libre commerce, et que les possesseurs d’iceux purent les donner en fief, ou en censive, ou pour user des anciens termes, quand les Ducs, les Marquis, et les Comtes commencerent d’avoir Majores valvassores, et les Châtelains et autres moindres Seigneurs valvassinos : Car alors les Seigneurs ne faisans ces nfeodations qu’avec obligation de services, de fidelité, et de plusieurs autres devoirs, ils retenoient par ce moyen quelque superiorité sur leurs vassaux La foiblesse des Carlovingiens ou l’ambition de Charles Capet, ne furent point la seuls ause de ce changement, puis que la même chose fe pratiqua dans l’Allemagne, et dans l’Italie ; et si l’on fuit le sentiment de quelques Auteurs, les possesseurs des benefices n’ont jamais été sans avoir quelque espèce de Iurisdiction, jure beneficiorum fere Jurisdicundi potestas sequitur bene ficium,Eguiner. Baro . in méthodo de jure benef. l. 1. c. 1. Et un Historien a écrit qu’en Lombardie. et sous Alboin et ses successeurs, jusqu’à Charlemagne, cela s’observoit en Italie, Paulus Diacon.

Il est vray que ce droit de Iustice est étably par les livres des fiefs, composez par Obretus etGerardus Niger . Si inter duos vassallos de feudo sit controversia, Domini sit cognitio, & controversia per eum terminetur ; De feud. l. 2. 1. de prohib. feud. Alienat. per Fredericum. Et par une autre loy de l’Empereur Conrard, si inter Capitaneos controversia sit, coram rege finiatur : si inter val. vassores coram Paribus curiae : C’est à dire que quand deux vassaux du Roy avoient procez entr’eux touchant les fiefs mouvans du Roy, le jugement s’en devoit faire en la presence du Roy : mais lors que deux vassaux avoient quelque dispute, elle devoit être terminée par les Pairs des fiefs, 8. praterea de prohib. feud. alien. per fréder. On ne peut douter que l’on n’en usast de même en France, puis que dans les Coûtumes de France, et dans nos anciennes Histoires, on fait souvent mention de ces Pairs de fief : et par le Chap. ex transmissa, et le Chap. Verùm eod. les questions de fief doivent être jugées par le Seigneur de fief, quoy que le vassal même fust un Ecclesiastique.

Il faut neanmoins observer que l’on ne peut pas induire de ces autoritez : une grande antiquité de ces Iustices feodales, parce que les Auteurs ont vécu depuis Hugues Capet : il est vray que l’on peur dire qu’ils n’établissoient pas un droit nouveau, ils declaroient seulement quel étoit l’usage. que l’on observoit depuis long-temps.

Ces mêmes autoritez nous servent à découvrir quelle étoit l’etenduë de ces Iustices, et en quoy consistoit leur compétence : Il semble qu’ils ne connoissoient que de matieres purement feodales.

Suivant le droit des fiefs de Lombardie, toutes les contestations qui naissoient entre les vassaux, pour leurs fiefs, ou pour leurs dépendances, devoient être terminées par le Seigneur superieur dles deux contendans, et par les Pairs de fiefs : Si le procez étoit entre le seigneur et le Vassal, 1 le Seigneur n’en pouvoit connoître, les Pairs de fiefs en jugeoient seuls ; que si un Seigneur seodal demandoit quelque droit au particulier, qui ne le reconnoissoit pas pour son seigneur, en ce cas le Seigneur ne le pouvoit retenir en sa Justice, mais il falloir plaider en la Cour du Prince, Baro l. 4. t. 3.

On peut bien soûtenir que par les loix des fiefs, les Seigneurs feodaux avoient une Justice plus ample que celle qui appartient à nos Bas-Justiciers, puisqu’ils connoissoient entre leurs vassaux de toutes les matieres feodales et de leurs dépendances ; mais on ne remarque point qu’ils eussent la puissance du glaive, et qu’ils fussent competens de connoître de toutes matieres civil et criminelles, ce qui compose le droit de Haute-Iustice.

Il y a beaucoup d’apparence qu’avant le regne de Hugues Capet, ces Iustices de fiefs n’avoient pas plus de competence, et que ce fut alors que les Seigneurs profiterent de l’occasion pour amplifier leurs droits, et que selon leur pouvoir et leur autorité leur usurpation fut plus grande, ou de moindre étenduë. Cette opinion peut être confirmée par cette difference, qui se remarque entre les Justices dont les droits sont si differens, selon la diversité des Coûtumes ; ce qui ne peut proceder apparemment que de la qualité des Seigneurs, dont les plus puissans entreprirent davantage, tant au préjudice du Roy, que de leurs propres vassaux.

Cette distinction de haute, moyenne, et basse Iustice, ne peut avoir commencé que depuis l’établissement des Iustices, quoy que de Roye estime qu’elle peut proceder de ce que sous la première et seconde Race, il y avoit trois sortes de Cour, ou Iurisdiction Royale ; la première des Commissaires envoyez par le Royaume, qui étoit souveraine ; la seconde des Comtes et Gouverneurs des Provinces, qui étoit la moyenne ; et la troisième de ces Commissaires ou deléguez des Comtes, Missi Comitum, qui êtoit la basse ; de Roye de mis. dom. l. l. c. 6.

Mais cet Auteur reprend avec raison ceux qui attribuent au Iurisconsulte Oldradus l’invention de cette distinction des Iustices. Car pour prouver qu’il ne pouvoit en être l’Auteur, il rapporte une Charte de l’an 1146. de Gaucher de Châtillon, que du Chesne a donnée au public dans son Histoire de la Maison de Châtillon, l. 2. c. 12. qui contient ces termes : Item do comnem justitiam & homines quos habeo apud Castellionem, cum omni justitia alta, media et bassaz Or Oldradus n’a vécu que plus de deux cens ans aprés.

Mais apparemment le titre de Haute-Justice ne fut attribué à ces Justices seigneuriales, que depuis que le pled de l’épée ou la puissance du glaive y fut annexée, et que l’on commença de punir les crimes par le dernier supplice : Car jusqu’au temps de Charlemagne, excepté le crime de leze-Majesté, on ne punissoit tous les crimes que par des peines pecuniaires, qui étoient si mediocres, qu’on étoit quitre de la mort d’un Evesque pro poo solidis.

Quoy qu’il en soit, il ne faut point chercher d’autre cause de cette distinction de Justice, que dans la seule volonté des Ducs, des Comtes, et des Seigneurs, qui eurent assez de pouvoir pour se maintenir en l’usurpation de tous ces droits-là ; nos Rois même en accordant le droit de Justice, en ont quelquefois excepté le pled de l’épée. Le Pere Pommeraye rapporte la Charte d’une donation faite par le Roy S. Loüis à l’Abbaye de S. Oüen, où la puissance du glaive est expressément reservée retento nobis Spadae placito.

Il faut enfin remarquer que les Seigneurs feodaux rendoient la Justice en personne, assistez de leurs Pairs de fief, de feud. l. 2. t. 16. de controversia feudi, apud pares terminanda. Ces Pairs de fiefs étoient d’autres vassaux qui étoient choisis par le Seigneur, et par le vassal, qui plaidoit contre luy ; mais enfin les Seigneurs étant devenus plus puissans, et ne voulant plus se donner la peine de juger eux-mêmes, ils établirent des Officiers en leur place.

Les gens d’Eglise qui possedoient des Justices temporelles, eurent plus de peine à se défaire de leurs Advoüez, et de leurs Vidames. Ils étoient devenus si puissans, que les Ecclesiastiques demanderent comme un privilege de n’en avoir qu’un, qui ne pourroit avoir qu’un Lieutenant : On le prouve par un Concile tenu à Ratisbonne en l an onze cens trois, sous lEmpereur Henry III. qu’on laissoit à ces Advoüez, pour leurs gages, la troisième partie des bans et des amen-des, à la charge de les garantir de toutes sortes de pertes et d’injures, et de leur faire payer ce qu’ils appelloient veregildum, c’est à dire les reparations et amendes. Pithou des Comtez de Champ. p. 272. Ainsi quoy que ces Vidames ne fussent établis au commencement, que pour un temps, ils se firent hereditaires, et à la fin ces emplois se donnerent en fief. Du Chesne en rapporte les preuves en son Histoire de la Maison de Châtillon.

Aprés cela il n’est pas vray-semblable que lors que les Benefices étoient si peu de chose, et qu’ils étoient si peu prisez en comparaison des Alodes, qu’ils eussent toutes ces prerogatives, qui sont maintenant annexées aux fiefs ; aussi les preuves contraires que j’en ay rapportées, paroissent foibles et obseures, et il est aisé de les concilier.

La Charte du Roy Dagobert qui parle de Juges publies, et privez, se peut expliquer aisément par l’autorité de Mr Bignon même ; car en ses notes sur Marculphe, il avoué qu’il avoit crû autrefois que ces paroles, Judices publici, fignifioient les Juges Royaux, et ceux qui exerçoient la Jurisdiction Royale : et Judices privati, qui privatorum Dominorum loco jus dicerent ; mais que depuis il avoit reconnu qu’il s’étoit trompé, et qu’il falloit donner à ces paroles-là une meilleure explication ; sur quoy il nous apprend que lon appelloit le Juge Royal Judicem publicum, à la diffe-rence du Juge d’Eplise, ce qu’il prouve par ce Capitulaire de Charlemagne, l. 5. c. 114. et l. 6. c. 106. ut omnes justitiam faciant tam publici quâm Ecclesiastici : et en un antre endroit, ut Episcopus Judices publicos commoneat.

C’étoit si fort l’usage de donner ce titre de Judex publicus aux Magistrats, qu’Anian se servit de ce terme dans son Code Theodosien, specialiter prohibetur ne quis audeat apud Judices publicos Episcopum accusare, l. 12. de Epis. et Cleri L’autre passage paroit d’abord plus formel, parce qu’il y est fait mention de Domini, & subditi : mais en ce siecle-là on n’employoit point ces paroles pour exprimer le Seigneur, et son Vassal, ou Sujet ; lors qu’on parloit du Benefice ou Fier, et du Vassal, on usoit de ces mots, Beneficium, et Miles : VoyezMr le Févre , l. 2. c. 3.

Aprés tout on pourroit induire seulement de ce passage, que dés ce temps-là les possesseurs des Benefices avoient des Vassaux, car il ne fait aucune mention de Iustice, et l’Empereur leur défend seulement d’user de violence contre leurs Sujets : ce que l’on enjoint encore tous les jours aux Seigneurs de fiefs, qui ne pourroient pas fonder là-dessus un titre de Justice. On peut bien aussi entendre ces paroles des maîtres et de certains esclaves, qui étoient attachez à la culture de certaines terres.

Et pour réponse aux argumens dede Roye , je dis contre le premier, que sous lEmpereur Charles le Chauve, les Normans donnoient tant de frayeur à tous les François, qu’ils abandonnoient leurs maisons, et leurs terres, pour se refugier dans les lieux, où ils esperoient trouver un asyle. Sur cela cet Empereur enjoint aux Gouverneurs de Province de faire un rolle, et un dénombrement des personnes, et de prendre leurs noms et ceux de leurs Seigneurs, et qu’à l’égard de ceux qui s’y étoient habituez du temps de son pere et de son ayeul, ils leur permissent d’y continuer leurs demeures, mais pour ceux que la fureur des Normans avoient forcez de s’y retirer, ils les obligeassent à s’en retourner, ad Senioratum suum unusquisque redeat, & suo Seniori seruiat.

Ces mots de Senior, et de Senioratus, ne doivent point faire d’équivoque : On s’en servoit en plusieurs significations en ce siecle-là : ils sont remarquez parMr le Févre , des fiefs, l. 2. c. 2. et c. 4. Selon son opinion, senioratus signifioit l’exercice de la puissance publique ; et en ce sens quand Charles le Chauve renvoyoit ces pauvres fugitifs ad suum Seniorarum, c’étoit devant le Juge de leur Province.

L’explication du mot de Potentum par celuy de Seniorum ne prouve rien, puis que plusieurs Scavans estiment que Seniores étoient les Juges publics ; et d’ailleurs il y a peu d’apparence que du temps de Clotaire Il. on donnast le titre de Potentum aux possesseurs des Benefices, qui n’étoient que de simples usufruits, revocables toutes les fois qu’il plaisoit au Prince.

Le passage de Flodoard ne porte pas qu’Anselme fust un seigneur particulier, au contraire il en resalte évidemment que cet Anselme êtoit un Officier Royal, parce qu’un Prestre avoit été accusé devant luy. Et Hinemarus bien loin de contester sa competence, il appella ses subdeléguez au jugement de la cause.

Ce que j’ay remarqué de lorigine des Justices seigneuriales de France, ne peut être entierement appliqué à nos Justices de Normandie. Elles ont cet avantage sur celles de France, que l’ufurpation faite par les Ducs et les Comtes, ne peut être leur titre et leur fondement.

On se prévaloit en France de la foiblesse des Rois, mais les Seigneurs de Normandie ne furent jamais en état de faire la même chose : Ils vivoient alors sous la domination de leurs Ducs, qui soûtenoient avec vigueur leur autorité, et qui châtioient rigoureusement les revoltes et les desobeissances de leurs sujets : Aussi l’Histoire nous les represente comme des Princes belliqueux, qui furent l’amour et les délices de leurs peuples, et la terreur de leurs voisins. De a sorte que nos Justices ne peuvent avoir qu’un titre fort legitime, soit qu’elles ayent commencé dés le Traité de paix, qui assura la Normandie au Duc Raoul, ou que nous en rapportions e l’établissement à nos Rois ; depuis le retour de la Normandie à la Couronne : car depuis ce temps-là nos Rois ayant été puissans et fort grands politiques, il n’y a point d’apparence qu’on fit rien entrepris à leur préjudice.

Je traiteray donc seulement de ces deux points, si dés le temps de nos Ducs, les Seigneurs de fiefs ont eu droit de Iustice, et quel étoit le pouvoir et la comperence de leurs Justices : Nous tirerions beaucoup d’éclaircissement de nôtre ancien Coûtumier, si l’Auteur de cette Collection avoit écrit avant Philippe Auguste, nous serions assurez que ce seroit nôtre ancien Droit Normand dans sa pureté, et sans aucun mélange ; mais cet Ouvrage étant posterieur au regne de S. Louis, puisqu’il contient des Ordonnances de ce Prince, on ne peut pas faire un discernement juste et certain de ce qui avoit été établi par nos Ducs, ou introduit par uns long usage, d’avec ce qui fut depuis adjoûté par les Rois de France.

Pour donner plus de lumière à nôtre sujet, il est necessaire d’observer quelle êtoit la nature des fiefs dans le Royaume de France, et par consequent dans cette partie de la Neustrie, qui devint le prix de la victoire et des conquôtes des Normans, par cette cessiou qui leur en fut faite par Charles le Simple. ay montré cu-dessus que les benefices de France avoient alors changé de nature, et que sous le nom de fiefs ils avoient été convertis en de pures proprietez héreditaires, et qu’on y avoit ajoûté plusieurs droits et particulièrement celuy de Jurisdiction.

Les choses étoient en cet état, lors que le Duc Raoul fit le partage et la distribution des terres à ses parens, à ses Officiers, et à ses gens de guerre, qu’il leur quitta en pure proprieté et heredité. Il ne fut pas possible que plusieurs grandes seigneuries et plusieurs fiefs de dignité, qui appartenoient auparavant aux Seigneurs Neustriens, ne tombassent au partage des principaux Normans, qui ne manquerent pas d’en conserver les anciennes prerogatives, et de les posseder même comme de petits Souverains ; car êtans pour la pluspart les proches parens de Raoul, comme Malahulcius, qui étoit son oncle, et grand Capitaine, ou personnes de grande autorité, ils ne reçûrent pas ces biens-là, pour en joüir comme de simples vassaux, mais comme une recompense qui étoit due à leur naissance et à leurs services, et par cette raison ils se conserverent un droit de superiorité sur tous ceux qui se trouverent dans l’etenduë de leurs partages ; d’autre part comme le Duc êtoit un sage Prince, et qu’il voyoit sa Province toute desolée, par la mort ou par la suite des anciens habitans, il ne dépoüilla pas de leurs biens ceux qui étoient restez, au contraire il rappella les fugitifs, et conserva dans leurs anciennes possessions ceux qui voulurent retourner.

Ainsi l’on peut dire que par la venuë des Normans, les fiefs ne changerent point de qualité, et qu’au contraire ils augmenterent en dignité, selon le credit et l’autorité de ceux qui les possederent. Le droit de Iurisdiction ne fut pas oublié, ce qu’on appella dans. la suite, la Justice aux Barons, dont ils demanderent la confirmation à Philippe Auguste, aprés sa conquête.

Mais parce que dans l’explication, que ces Barons donnerent à ce Prince, des droits dont cette Iustice aux Barons êtoit composée, la Haute-Justice n’y est point employée, on peut douter si avant Philippe Auguste, il y avoit des Fautes-Justices en Normandie.

L’ancienne Coûtume fait mention d’une Iustice fiefale, qu’elle définit être la Iurisdiction, qu’aucun a à raison de son fief, parquoy il doit faire raison des plaintes qui appartiennent à son fief.

Suivant cette définition, cette Justice fiefale n’est autre chosé que la Basse-Justice, ou Etout au plus la moyenne. L’ancienne Coûtume en plusieurs endroits fait mention des Offit ciers de Justice, et de leurs fonctions : Dans le titre de Justiciement, elle nous propose la division des Iurisdictions, dont l’une est baillée, et l’autre fiefale. Sil y en avoit eu d’autres, elle n’auroit pas manqué d’en faire mention ; comme dans la Coûtume nouvelle, on a fait la distinction de toutes les Iurisdictions ordinaires de la Province.

Dans le titre des Justices, elle parle de tous les Juges, des plus grands, des moindres, et des subalternes ; et il n’y en a pas un qui ne soit un Juge Royal : et dans le titre de Justiciement, toute Justice de corps d’homme appartient au Duc en Normandie. Et dans le titre de Jurisdiction, le prince seul a planiere Jurisdiction de toutes les plaintes, qui luy viennent, qui appartiennent à la Cour-Laie, et en peut faire droit à tous ceux qui s’en plargnent. Sur quoy le Glossateur a crû que ce Texte s’entend des Bas-Justiciers ; car au temps. que ce Texte fut fait, il n’appert pas qu’il fût aucun Haut-Justicier. Il est vray qu’il est dit dans le même endioit, si la Cour ne luy en est demandée par celuy qui la doit a-oir.

Aprés la Charte aux Normans inserée à la fin du vieil Coûtumier, on a mis une piece, qui porte pour titre la Justice aux Barons, où il est fait mention des Hautes-Justices : mais c’est un Reglement, qui fut fait du temps de Philippes Auguste, pour les Basses-Justices : Que si les Hautes-Justices avoient été établies en Normandie, du temps des Ducs, on en trouveroit quelques preuves dans l’ancienne Coûtume, qui fut portée en Angleterre. Or tant s’en faut qu’il y ait des Hautes-Justices, que les vassaux même des Seigneurs ne peuvent plaider touchant leurs héritages en la Cour de leur Seigneur seodal, sans en avoir obtenu la permission du Roy, ou de son Giand Justicier.Glanville , en ses Formules, l. 12. c. 6. dit bien que, quedam sunt placita quae in curiis Dominorum, vel eorum qui Dominorum loco habentur, deducuntur, fecundum rationiabiles consuetudines ipsarum curiarum. Mais il ajoûte dans le c. 15. que secundum consuetudinem regni, nemo tenetur respondere in curia Domini sui super aliquo libero tenemento, sine pracepto Domini Regis, vel capitalis ejus Justitiarii. Et S. Germain qui écrivoit au commencement de ce siecle dans son Dialogue, de fundamento legum Anglicarum, fait une exacte énumeration de tous les Officiers de Justice, qui sont en Angleterre, sans parler de HautesJustices.

Les preuves dont on se sert, pour montrer que les Hautes Justices ont. commencé du temps. l. des Ducs de Normandie, me paroissent plus fortes. L’ancienne Coûtume, dans le titre de Cour, dit que, le Duc de Normandie a le pled de l’épée, si comme de roberie, de meurdre, d’homicides, de treves enfraintes, et excepté ceux, ausquels les Ducs de Normandie, ont octroyé ce droit d’avoir la Cour de telles choses, si comme il est apparoissant par Chartes, par longue tenué, par échange, ou par autre raison apperte ; et dans le titre de Jurisdiction, par ce même Article, où lon donne au Duc, une Jurisdiction planiere, on y apporte cette exc ption, si la Cour ne uy en est requise par tel qui la doive avoir. l’ay vû des Chartes sans datte, de donations faites à l’Abbaye de Châtillon de Conches, par les Seignéurs de Thoni, qui contiennent ces termes : siquis hominum Abbatis in terra sua vel in aliqua villarum mearum, vel oppidorum, seu alibi aliquem hominum meorum percusserit, vel sanguinem fecerit, vel occiderit, quod absit ; si famulus Abbatis. ( le croy qu’il faut lire Bajulus, car ce mot dans le Latin de ces siecles-là signifioit Baillyy vel ejus Prapositus, prius quâm meus vadimonia ab illis quesierit, inde fiat placitum, concordia, vel duellum, si acciderit in curiâ Abbatis.

Et dans une autre donation de Ranulphe de Thoni, fils de Roger, fondateur de cette Abbaye, aepredicte Abbatiae concedo ut eandem libertatem, & dominationem & consuetudinem habeat Abbas super suos homines, & etiam super advenas in terra sua habitantes ubique, per totum feofum meum, quam libertatem, quam dominationem, quam consuetudinem habeo super meos homines & advenas in terra mea manentes.

Ces Chartes ne prouvent pas seulement le droit de Haute-Iustice, elles nous marquent encore que les Seigneurs de Normandie s’attribuoient une si grande autorité dans l’etenduë. de leurs terres, qu’ils octroyoient à d’autres personnes le droit de Justice. En effet ils se reputoient égaux à leur Duc ; et quand Hastine fut envoyé vers les Normans par le General de l’armée Françoise, pour sçavoir le nom de leur Chef, ils répondirent fierement, qu’ils n’en avoient point, quia potestatis aequalis sumus ; Dudo sancti Quintini deca. l. 2. Sur tout on ne doit pas s’étonner que ces Seigneurs de Thoni en usassent avec tant d’autorité, car ils étoient descendus de Malahuleius, oncle paternel de Raoul, dontGuillaume de Jumieges , 1. 7. c. 3. a écrit que, cum Rolone Francos fortiter atterens, Normaniam acquisierat, vir potens et superbus, ac totius Normaniae Signifer erat.

L’antiquité des Hautes-Justices peut encore être prouvée par un exemple, qui se trouve dansOdericus Vitalis , l. 3. où les Moynes de S. Evrout firent le procez à un Gentilhomme, qui leur avoit caché une donation qu’on leur avoit faite ; sed monachis, dit l’Historien, juste conquerentibus justo judicio determinatum est, ut omnem feudum quem reus de sancto Ebrulfo tenebat mitteret ; cette action se passa l an mil cinquante-cinc Par la Capitulation faite en l’année 1207. entre Philippes Auguste et les habitans de Roüen, ce Roy confirme le droit de Iustice, qui avoit été accordé aux Maire et Eschevins de la ville, par Richard, Roy d’Angleterre, concedimus quod ipsi habeant communiam et banleugam ad metas, quas Richardus quondam Rex Anglix eis concessit, & justitiam suam juxtâ metas, salvo tamen jure Dominorum, qui ibi terras habuerint, qui Domini habent curias hominum suorum in villas, renendas usque ad recoonitionem. D’où il paroit évidemment qu’il y avoit alors, et même danse l’étenduë de la ban-lieue de la ville de Roüen, plusieurs Justices seigneuriales, qui sont apparemment les mêmes qui subsistent encore aujourd’huy.

Il est notoire que depuis Philippes Auguste, plusieurs Seigneurs de Normandie ont obtenu de droit de Haute-Iustice, dont ils sont en paisible possession.

En cas de trouble pour le droit de Haute-Iustice, on demande comment on doit le justifier, et s’il est nec-ssaire de representer le titre de l’érection s Suivant nôtre ancienne Coû-tume il suffit d’établir son droit, ou par Chartres ; ou par longue teuuë, c’est à dire par une longue possession ; autrement les plus anciennes Iustices seroient le plus en hazard d’être supprimées, puis qu’aprés tant de siecles d’une paisible possession, il ne seroit pas possible de representer le titre primitif de leur érection : la possession vérifiée par le continuel exercice de la Iustice, les Aveux et dénombremens sont des titres suffisans ; et suivant l’opinion deBacquet , des droits de lust. c. 5. les Aveux reçûs et verifiez en la Chambre des Comptes, font une preuve entière contre le Roy, mais pour la preuve par témoins elle ne seroit pas feule admissible sans quelques adminicules ; comme M’Charles Loyseau le soûtient contreBacquet .

Aprés cela l’on proposeroit inutilement cette question ; an concesso feudo sit concessum terri torium et jurisdictios L’affirmative pourroit être vraye parmy nous, pour les simples Justices de fief ; et neanmoins comme le fief peut subsister sans Justice, et même que le droit de Justice peut en être separé, suivant cetté maxime que le fief et la Justice n’ont rien de commun, il est plus seur dans les lettres d’érection de fief, d’y employer ce droit de Justice Pour la Haute-Justice ; on peut répondre assurément pour la negative, que la concession de fief ne comprend point le droit de Haute-Justice, quia in jurisdictione feudi, nemo prater Regem uam intentionem fundatam habet : nisi prabet,Molin . de feud. 8. 1. glos. 5. n. 40. Et c’est une maxime que, Jurisdictio nihil habet commune cum proprietate.

Le droit de Haute-Justice peut dont être prouvé ou par un tre, ou par une longue possession ; nam hujusmodi possessiovim habet tituli. l ae hoc jure. S. ductus-aquae. D. de aqua et a4. plu. are. La longue possession est fort considérable en ce cas, car l’exercice en étant public on ne peut presumer que les Officiers Royaux en eussent souffert si long-temps la continuation, sans s’opposer à cette usurpation, omnium consensu receptum est, merum, mixtum imperium, jurisdictionem criminalem et civilem prescriptione acquiri posse, modo semper excepta sit apud Regemt uprema illa jurisdictio ;Covarr . 2. par. pral. 8. 3. ce qu’il confirme en ses quest. practid. c. 1. n. 8.

La distinction de ces Justices feodales en haute, moyenne, et basse, procede assurément de la difference des fiefs : Les Duchez, les Marquisats, et les Comtez étant appelez feuda Regalia, êtans les premiers en noblesse et en dignité, on leur attribua le merum imperium, ou pour parler en nôtre langage le pled de l’épée, c’est à dire le pouvoir de condamner à mort, ce qui donna lieu à cette dénomination de Haute-Justice : les Barons tenant le second rang eurent une moyenne Justice qui fut d’une plus grande ou moindre étenduë ; selon le credit et lautorité desn

Seigneurs en Normandie, la Justice de nos Barons n’étoit gueres plus ample que celle des Bas-Justiciers ; les Châtelains et les Seigneurs de fiefs de Haubert ne purent obtenir en Normandie. qu’une simple Justice fiefale, que nous appelons Basse-Justice.

Le temps et les usages differens de chaque païs ont causé de grands changemens en ces especes de Justices ; la dignité des fiefs n’est plus considerée pour leur érection ; le Prince en accorde le droit à qui bon luy semble, et pour leur compétence il seroit impossible d’en donner une définition generale, parce qu’elles sont reglées si diversement par les Coûtumes qui en ont parlé, que le plus seur et le plus utile est de s’attacher à ce que nôtre Coûtume en a définiLe droit de Haute-Justice étant fondé sur la grace du Prince, on ne peut l’étendre au de-là des termes de sa concession ; le seigneur Haut-Justicier ne peut augmenter le nombre de ses Officiers.

Cela fut jugé de la sorte en l’Audience de la Grand. Chambre le et de Juillet 1643. contre lEvesque de Bayeux, lequel vouloit établir en sa Haute-Justice un office nouveau de Sergent ; et dans le Journal du Palais on a rapporté un Arrest du Parlement de Provence, par lequel il a été jugé que le seigneur Haut-Justicier ne peut instituer deux Iuges, lun en cher et lautre par subrogation generale : Il peut avoir suivant nôtre usage un Bailly et un Lieutenant, mais par abus plu-sieurs instituent des Lieutenans particuliers, des Procureurs, et des Avocats fiscaux, quoy qu’ils ne puissent avoir qu’un Procureur fiscal.

C’estst une question célèbre, si le seigneur Haut-lusticier peut diviser sa Iustice et la separer de son fief, ou en tout cas s’il peut se donner du ressort, et multiplier les degrez de Iurisdiction : Quelques Auteurs ont estimé que lun et fautre luy êtoit permis, se fondans sur cette raison, que les Iurisdictions étant devenuës patrimoniales, aussi-bien que les Fiefs, Jurisdictiones et feuda aeer omnia aequiparantur, cum utraque sint ad instar patrimoniorum ; et comme on peut diviser les Fiefs, on peut aussi en separer la Iustice ; le Seigneur peut retenir la Iustice directe, et conceder la Iurifdiction utile, et même la regler par divers ressorts, et ut ita dicunt, dividere per inferius & superius, id est, quod vulgo dicitur per ressortum : nam jurisdictio jurisdictionis esse potest. Pontanus sur la Coûtume de Blois, t. 3. art. 9. Bald. in C. uno delegatorum col. ult. extr. de officio deleg.

Pour refoudre cette difficulté, il faut distinguer ces deux points, diviser la Justice d’avec le fief, et multiplier le ressort et les degrez de Jurisdiction. La Justice est véritablement attachée au fief, elle n’y est pas neanmoins tellement inherente, qu’elle n’en puisse être separée, parce qu’elle n’y est pas comme une qualité essentielle, mais comme une qualité accidentelles aussi c’est une Maxime certaine, que le fief et la Justice n’ont rien de commun, et qu’il peut y avoir une Justice sans fief, comme il y a des fiefs sans Justice, et ces deux parties qui par leur union forment un cerps de Seigneurie, peuvent neanmoins subsister étant separées.

Mais on pretend que cette Maxime n’est véritable, que pour les fiefs de haute dignité, comme les Duchez et Pairiez, qui doivent être conservez tous entiers, sans pouvoir être divisez par aucun partage, et que telle est la disposition de plusieurs Coûtumes de Francez et comme la Justice en fait un des plus nobles attributs, ce seroit les dépoüiller de leur principal ornement, que d’en separer le droit de Jurisdiction.

Cette separation ne fe peut valablement faire qu’à l’égard des fiefs simples, qui ne sont relevez par aucune prerogative, ou qui n’ont qu’une dignité médiocre.

Pour le second point, il est certain que le Seigneur Haut-Justicier ne peut multiplier les degrez de Jurisdiction, et se faire un ressort nouveau. C’est une marque des plus importantes de la Souveraineté, de pouvoir ériger des Justices et instituer des Officiers ; et il y a long-temps que son ne le permet plus aux grands Seigneurs, et il ne nous reste plus aucuns vestiges de cette ancienne usurpation, que dans les Coûtumes de Touraine et de Loudunois, qui permettent aux Barons d’ériger des Justices. Conformément à ces raisons le Parlement de Paris a jugé qu’un Duc et Pair ne pouvoit diviser le droit de Justice, ni multiplier les degrez de Jurisdiction ; par Arrest rapporté dans la seconde partie du Journal des Audiences, l. 6. c. 11.

S’il n’est pas permis au Haut-Justicier d’instituer de nouveaux Offices, il semble au moins qu’il doit avoir le pouvoir de les destituer ad nutum, lors qu’ils ne luy sont plus agreables, et qu’ils n’ont point été pourms à titre onereux, ou pour recompense de services. Comme cette question de la destitution des Officiers est encore problematique en Normandie, il ne sera pas superslu d’examiner ces trois points, quels Officiers sont destituables, quels Seigneurs peuvent les destituer, et les causes qui peuvent empescher la destitution.

Il ne faut pas mettre au nombre des Officiers, qui peuvent être revoquez, ceux qui ont été pourvûs par le Roy. Depuis l’Ordonnance de Loüis XI. les Officiers Royaux joüissent de cette prerogative, de ne pouvoir ôtre ôtez de leurs charges, que dans les cas de mort, de resignation volontaire, et de forfaiture.

La destitution dont ne peut être pratiquée que contre les Officiors des Seigneurs Laiques, et Ecclesiastiques ; mais comme leur condition n’est pas toûjours pareille, les uns ne possedans leurs Offices que par la pure liberalité de leurs Seigneurs, les autres n’en ayant été pourvûs qu’à titre onereux, et pour des causes remunératoires, aussi leur droit n’est pas égal, et il n’est pas indistinctement permis à ceux qui les ont pourvûs de les revoquer sans cause.

La principale difficulté est à l’égard de ceux qui ont été pourvûs gratuitement, et pour séclaircir il est necessaire de sçavoir si les Seigneurs les peuvent destituer sans cause, et s’il est utile au public de leur accorder cette liberté.

La destitution des Officiers peut être soûtenue par raison et par autorité.

Il y a cette différence entre les Magistrats de la Republique Romaine, et les Officiers du Roy, et des Seigneurs, qu’à légard des premiers, toute la puissance et l’autorité de la Republique leur êtoit transferée ; mais en France les provisions d’un office ne donnent à celuy qui en est pourvû qu’un simple titre pour exercer, mais la puissance publique et le droit de Jurisdiction demeurent toûjours au Roy, et aux Seigneurs Hauts-lusticiers, Jurisdictiones penes Regem et Dominos feudales, quibus in feudum fuerunt concesse ; Pontanus sur la Coûtume de Blois, Article 9. t. 3. Balde pour prouver que les Officiers sont revocables, a dit que, provisio officiorum jus tantum tribuit ; non causam tituli perpetuam, Baldus c. cum omnes. col. 4. extra. de Const. En effet la Iustice ne s’exerce pas au nom des Officiers, mais des Seigneurs ; de sorte que le Seigneur retient et conserve toûjours son droit de Iustice, et l’Officier n’est considéré, que comme son fermier ( comme parlent quelques Auteurs ) Dominus per judicem jus retinet sieut et Dominus fundum per colonum adscriptitium possidet item et ipsum servum, & uterque à Domino quasi possessus intelligitur, ille ratione jurisdictionis, hic ratione dominica potestatis : quo fit ut jurisdictionem, & Magistratum possit à se repellere, Pontanus ibid. la glose sur la Clement. et si principalis in verboElectionem, in 6. y est expresse, Officialis ad nutum removeri potest ab Episcopo.

Et cet usage est aussi ancien que la Monarchie, tous les offices tant du Roy que des Seigneurs étoient revocables : Philippes de Valois entreprit le premier de les rendre perpétuels, mais il ne pût en venir à bout ; ils demeurerent revocables jusqu’à Loüis X. lequel, afin que son Ordonnance ne fût point violée par ses successeurs, obligea par serment Charles VIII. son fils de la garder inviolablement.

Mais cette Ordonnance ne regardoit que les Officiers Royaux ; les Seigneurs Hauts-lusticiers continuerent d’en user comme auparavant, et ils furent aussi maintenus en cette liberté par HOrdonnance de Roussillon, Article 27. qui leur permit de revoquer leurs luges et de les destituer de leurs charges, à leur plaisir et volonté, sinon en cas qu’ils eussent été pourvûs pour recompense de services, ou à titre one reux.

On leur objecte sans fondement qu’ils ne furent maintenus en cette liberté qu’à cause que par cette même Ordonnance, ils étoient condamnez en amende pour le malejugé de leurs Juges, et par consequent il n’eût pas été raisonnable dé les contraindre à se servir d’Officiers qui s’acquitteroient mal de leurs charges.

Si lOrdonnance n’eût été fondée que sur ce motif, le Parlement qui l’a verifiée, et lequel neanmoins ne condamne jamais les Seigneurs en l’amende du malejugé, ne leur permettroit pas de destituer leurs Officiers, puisque la cause pour laquelle on leur avoit accordé ce pouvoir n’avoit aucun effet.

Cependant ces destitutions ont été confirmées par plusieurs Arrests du Parlement de Paris, rapportez par le Commentateur de M.Loüet , 1. 0. n. 2. et par du Fresne Fresne en son Journal d’Audiences. Cette jurisprudence n’est pas singuliere pour le Parlement de Paris, le privé Conseil et le grand Conseil ont donné des Arrests conformes.

Ce qui confirme que famende du mal-jugé. n’a point été le véritable motif de l’Ordonnance.

La difference qu’il s’est conservée entre les offices Royaux et les offices des Seigneurs dont les premiers sont perpétuels, et les autres revocables, procede de ce que ceux-là ne sont devenus perpetuels que depuis qu’ils ont commencé d’être venaux ; car alors il n’eût pas été raisonnable que le Roy eût dépoüillé les Officiers, dont il avoit reçû l’argent, et pour ceux des Seigneurs ils sont toûjours demeurez revocables, lors qu’ils les ont donnez gratuitement, i mais lors qu’il les ont vendus on n’a plus fait de difference entre les uns et les autres, et les Seigneurs non plus que le Roy, n’ont plus eu le pouvoir de les destituer. C’est la disposition expresse de l’Ordonnance, qu’ils ne pourront les destituer à leur volonté, lors qu’ils auront été pourvûs à titre onereux, ou pour recompense de services.

Tous offices originairement étoient revocables, on a vécu plusieurs siecles dans cet usage, et si les Rois par des considerations d’état y ont apporté du changement, ils n’ont pas neanmoins imposé la même loy aux Seigneurs Hauts-Justiciers : Aussi le public n’en reçoit aucun préjudice, quand un Seigneur en use si genereusement, que de ne tirer aucun profit des offices, qui luy appartiennent, pourquoy luy ôter la liberté de les changer ; on doit présumer qu’il a fait choix d’un sujet digne de sa liberalité, mais s’il arrive qu’il se soit trompé, et que cet Officier ne s’acquitte pas de son devoir, il seroit rigoureux que le Seigneur ne pût pas s’en défaire, sur tout quand il ne s’est engagé avec luy que par les voyes de l’honnêteté, s’il en êtoit autrement, on forceroit les Seigneurs à ne plus disposer gratuitement de leurs offices, et on les contraindroit à pratiquer cette honteuse venalité, qui est si fort détestée par les gens de bien.

Ceux qui n’approuvent point les destitutions, qui se font sans cause, disent qu’elles sont odieuses et défavorables : elles flétrissent toûjours en quelque façon celuy qui la souffre, parce que l’on présume qu’il en a donné le sujet à son seigneur par sa mauvaise conduite, et on la doit moins souffrir en Normandie, qu’en aucun autre lieu ; l’Article 27. de l’Ordonnance de Roussillon n’ayant point été vérifié en ce Parlement, la Cour ayant mis sur iceluy qu’il seroit sursis, et fait remontrance, parce que suivant la Coûtume de cette Province, tous Juges tant Royaux, que subalternes, sont tenus de juger par l’avis de l’assistance On ne peut pas à la vérité conclure de cette modification, que la Coux n’a point approuvé la destitution des Officiers ad nutum, son intention n’ayant été que de n’autoriser point la condamnation d’amende en cas de mal jugé ; mais on peut bien soûtenir que la permission donnée par cette Ordonnance, aux Seigneurs de pouvoir revoquer leurs Officiers à leur volonté, n’a point eu d’autre fondement, que l’amende pour le mal jugé, ce qui paroit évidemment par la suite, et par la haison de ces paroles, lesquels aussi pourront revoquer, &c. dont le sens est que les Seigneurs sont déclarez responsables de la faute de leurs Juges, parce qu’aussi ils pourroient les destituer à leur volonté.

La destitution donc ne leur étant permise, que pour une cause qui n’a jamais eu d’execution, on ne leur doit plus souffrir de s’en prévaloir mais il faut reduire les choses dans le droit general, suivant lequel le Roy même s’est privé de revoquer ses Officiers.

C’est déja un grand avantage qu’ils participent à l’autorité souveraine du Prince, et qu’ils ayent le pouvoir de donner la seigneurie publique en instituant des Officiers, qui rendent la Justice en leur nom, mais aprés avoir obtenu, pour ne pas dire usurpé, ce droit de conferer des offices publies, ce qui ne devoit appartenir qu’au Souverain, au moins ils doivent se contenter du pou-voir de les conferer en la même maniere et sous les mêmes conditions que leur SouverainLa raison de l’utilité publique a porté nos Rois à se lier volontairement les mains ; fi donc il est pareillement utile et avantageux pour le bien de la Justice, que les Seigneurs en usent de la même maniere, ils n’ont pas sujet de se plaindre, si on leur rettanche une liberté dont ils pourroient abuser au préjudice du public.

En effet quelle justice peut-on efperer, lors que l’on plaide contre un Seigneur en sa propre Justice, et que son Officier est retenu par la crainte d’être chassé, s’il ne fuit pas ses mouremens, et s’il n’execute aveuglément ses passions ; cette frayeur ne luy laisse aucune liberté de bien faire : il tremble à chaque moment qu’un valet ne luy vienne apporter son congé, de la part de son Seigneur.

Collige sarcinulai, dicit libertus, & exi.

Cet inconvenient n’étoit pas à redouter de la part du Roy : sa puissance est si fort élevée qu’il ne prend point de part aux affaires particulieres, et son autorité souveraine n’empesche point que ses Officiers ne rendent librement la Justice, dans les affaires mêmes où il peut avoir interest ; il est donc raisonnable de faire prévaloir l’utilité publique contre les raisons que l’on oppose au contraire.

Me Charles Loyseau des Offic. l. 5. c. 4. a fortement appuyé ce party. Il a montré par des raisons solides que l’on ne peut permettre ces destitutions sans cause, sans un grand abus, et l’Histoire qu’il fait de ce Prelat, qui destitua son Juge, parce qu’il avoit fait diminuer son greffe en accordant les procez, est une véritable peinture de la pluspart des Hauts-Justiciers.

Et il est si véritable que la crainte de la revocation precipite les Juges dans une si lache complaisance, que le plus souvent il seroit plus avantageux de prendre le Seigneur pour Iuge dans son proprée interest. Ces Officiers dont la condition est incertaine, ne songent qu’à pro fter du temps : non parcit populis regnum breve. Tibere ne rappella que fort rarement les Magistrats qu’il avoit établis, et pour montrer qu’il n’étoit pas à propos de le faire pour l’interest public, il se servoit de la parabole d’un malade, qui défendit que l’on chassast les mou-ches, qui s’étoient saoulées de son sang, parce qu’il en viendroit d’autres en la place, lesquelles étant affamées acheveroient d’épuiser ses veines : les autres Empereurs ménageoient si delicatement la reputation de ceux qu’ils rappelloient, qu’ils n’usoient point des termes de revocation ou de destitution, sed è Brovinciâ decedere dicebantur, ut Budaeus notat, l. c. ad leg. Jul.

Majest. Maître Didier Heraut a été du même sentiment queMaître Charles Loyseau , quoy qu’il avoue aussi-bien queLoyseau , que l’usage du Parlement de Paris est contraire, et son railonnement est que, puisque l’Ordonnanée de Roussillon n’est plus en usage pour l’amende de mal-jugé, elle doit pareillement être abrogée pour la destitution des Officiers, cum hodie planè obsoleta sit, & MOTGREC, quà cessante, et si cessare debeat constitutioni effectus, vix est tanen, ut id persuaderi queat obstantibus arestis,Herald . quest. quot. l. 1. c. 5. On peut encore mettre au nombre des Auteurs du Parlement de Paris, qui n’approuve point les destitutions sans cause, Mr Loüet l. D. n. 2. aprés avoir parlé de l’Ordonnance qui a rendu perpétuels les Officiers Royaux, sans pouvoir être destituez qu’en ces trois cas, de mort, de resignation, et de forfaiture, il ajoûte que cette Ordonnance n’a point été gardée par les Archevesques et les Evesques, n’y ayant point été dénommez, mais que cette Ordonnance ayant été faite pour le bien public, et pour ôter aux Officiers la crainte d’être destituez sans cause, et qui par ce motif n’ofoient desobeir aux commandemens de leurs Seigneurs, il y auroit grande pparence de la faire garder aux Archevesques et aux Evesques.

Quoy que l’Ordonnance de Roussillon ne permette aux Seigneurs de revoquer leurs Officiers, que lors qu’ils n’ont point été pourvûs pour recompense de services, ou à titre onereux ; néanmoins les Seigneurs, et particulierement les Ecclesiastiques, ont entrepris plusieurs fois d’éluder lette disposition : car à légard de ceux qui se pretendent pourvûs pour recompense de services ils alléguent que ce n’est pas assez de les avoir énoncez, et que non seulement ils doivent en rapporter les preuves, mais qu’il est encore nécessaire qu’ils fussent de telle qualité, que pour en obtenir recompense on pûst avoir une action civil ; que s’ils produisoient seulement une action d’honneur, que le Jurisconsulte appelle une obligation naturelle, ad antidora, en l. l. c sed si lege, S. consuluit D. de petit. hered. le Seigneur même qui les a reconnus n’a point les mains liées par cette reconnoissance.

Et à l’égard de ceux qui n’ont obtenu leurs Officés qu’à titre onereux, les Ecclesiastiques répondent que l’Ordonnance n’a lieu, que quand celuy qui a pourvû à titre onereux, a eu pouvoir de le faire ; mais comme le fait de leurs predecefseurs ne les oblige point, n’ayant pû faire de préjudice à leurs successeurs, les pourvûs à titre onereux sont de la même condition que ceux qui les ont eus gratuitement, si leurs services n’ont été rendus ou leurs deniers employez au trofit de l’Evesché, ou de l’Abbaye Pour décider cette question, on fait distinction entre les Seigneurs qui pretendent avoir le pouvoir de destituer, et les Officiers que l’on pretend être destituables Les Seigneurs peuvent être de differente qualité : Il y en a de Laiques, il y en a d’Ecclesiastiues ; mais les Ecclesiastiques ont de deux sortes de Jurisdiction, l’une temporelle qui leur ap-partient, à cause de leurs fiefs, l’autre Episcopale et Ecclesiastique. tous ces Seigneurs possedent leurs Justices par un titre commutable, ou incommutable ; les Ecclesiastiques sont toûjours commutables, mais les Laiques peuvent être Seigneurs incommutables ou commutables Les Officiers que l’on pretend destituables peuvent avoir été pourvûs par une pure gratifi cation, ou par une cause remunératoire et à titre onereux Pour déméler ces diverses espèces de destitution, et ne confondre pas les droits differens des Seigneurs, et de leurs Officiers, je traiteray premierement des Seigneurs Lasques, soit qu’ils soient proprietaires incommutables ou commutables.

Si un Laique qui seroit proprietaire incommutable de sa Seigneurie vouloit destituer un Officier qu’il auroit pourvù purement et simplement, cette destitution seroit valable, suivant la urisprudence certaine du Parlement de Paris. On peut en voir les Arrests dans les Reglemens deChenu , dans le Commentateur deMr Loüet , 1. 0. n. 2. et dans le Iournal de du Fresne Fresne. ais en Normandie on ne souffriroit point une destitution, qui n’auroit d’autre cause que le plaisir et la volonté du Seigneur, parce que ces destitutions sont odieuses, et que le plus souvent n Officier ne devient l’objet de la haine et de l’aversion de son Seigneur, que pour avoir fait son devoir. Un Seigneur peut pourvoir un Officier sans connoissance de cause, mais il ne doit pas le destituer sans connoissance de cause. Pour admottre un’Officier on informe de son mérite et de a capacité, à plus forte raison pour le destituer on doit entrer en connoissance de son demerite, ut sine causâ amare, ita sine causa odisse non licet ; Tertull. despect Nous avons si peu de panchant à favoriser ces destitutions ad nutum, que l’on pretend que par plusieurs Arrests on a maintenu l’Officier, que le successeur à un Benefice vouloit démettre, quoy que son droit fût beaucoup plus foible, parce que le precedent possesseur n’avoit pû nuire au successeur, au lieu que le Laique est tellement maître de son Office, qu’il en peût disposer si absolument, que son successeur soit universel, ou singulier, ne peut jamais contrevenir. à son fait : Aussi il est sans exemple que les Seigneurs Laiques ayent entrepris ces destitutions.

Me Iosias Berault sur l’Article 190. rapporte un Arrest par lequel on a confirmé la destitution d’un Seneschal, faite par un Seigneur : Mais outre que ces offices de Seneschaux sont de si peu d’importance, que rarement ils prennent des provisions, et que par consequent il n’y a rien qui empesche leur destitution, n’étans que de simples mandataires. On a depuis jugé le contraire en l’Audience de la Grand. Chambre, le 8 de Iuillet 1622. pour Me Huré, Seneschal de la Sci mneurie d’Echaufour, contre la Dame d’Echaufour. Il est vray qu’il alléguoit avoir été pourvû pour recompense de services rendus par son pere, mais il n’en rapportoit point de preuves, on cassa la Sentence qui prononçoit sa destitution.

Et quand même les provisions contiendroient cette clause, tant qu’il nous plaira, elle ne signifie autre chose à l’égard des Seigneurs, sinon ce qui est selon raison et justice, et refertur ad arbitrium boni viri : de sorte que quand un seigneur, auquel le plaisir absolu ne peut convenir, comme au Roy, pourvoit, un Officier pour en joüir tant qu’il luy plaira, cela veut dire tant qu’il luy devra plaire, c’est à dire tant que l’Officier vivra en homme de bien, et que le Seigneur n’aura point de cause legitime pour le destituer. Il n’est donc pas necessaire en cette Province, comme au Parlement de Paris, que les provisions ayent été accordées pour une cause remunératoire, ou à titre onereux, les Officiers des Seigneurs Laiques non plus que ceux du Roy, ne peuvent être destituez sans cause.

Ce qui est si véritable en cette Province, qu’il a même été jugé que le vendeur, qui rentre en a possession de sa terre en vertu de la faculté de rachapt, qu’il avoit retenuë, ne peut destituer l’Officier qui a été pourvù par Iacquereur à faculté de rachapt : la question s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre, le 1s de Juin 1657. Mie de Pelvé, Comte de Flers, avoit engag é à Mi le Prince de Guimené sa terre de Condé sur Noireau, avec faculté de rachapt pendant un certain temps ; l’Office de Bailly ayant vaqué dés la première année de la joüissance de Mr de Guimené il y pourvût M de Prepetit, moyennant vingt mille livres. Il est considérable qu’en ce même temps le sieur Comte de Flers s’étoit pourvù par lettres de récision contre le Contrat, dont il avoit été debouté, sauf à luy à exercer la faculté de rachapr, et Prepetit avoit été maintenur Depuis ayant retiré sa terre, il destitua Prepetit, disant que Mr de Guimené n’étant qu’un Seigneur commutable ; il n’avoit pû pourvoir aux Offices, et que l’on ne pouvoit tirer avantage de l’Arrest qui l’avoit maintenu, parce qu’alors Mr le Prince de Guimené êtoit encore en joüissance, mais son droit ayant cessé par le retrait qui avoit été fait, il falloit remettre les choses au premier état, n’étant pas juste que pendant un engagement, le véritable proprietaire fût prive de pourvoir aux Offices, et quoy que l’acheteur fist les fruits siens, cela ne pouvoit s’entendre que des fruits qui naissent chaque jour, qui par consequent luy appartiennent comme échûs durant sa joüissance, mais il ne pouvoit vendre les Offices à son préjudice, non plus qu’un Eccle iastique ne peut faire de tort à son successeur. On répondit pour Mr le Prince de Guimené, que la Cour avoit déja préjugé que les Offices étoient in fructu, puis qu’elle avoit déja confirmé la nomination qu’il en avoit faite, l’acheteur à faculté de rachapt étant véritable proprietaire, et ar consequent il peut conferer irrevocablement les Offices qui sont à vendre ; par l’Arrest le pourvû par Mr le Prince de Guimené fut maintenu, plaidans Greard et de la Lande : Ainsi la pour jugea que l’Office êétoit in fructu, et que l’acheteur à faculté de rachapt, étant un veritable proprietaire, il avoit pû conferer l’Office ; Maître Charles Loyseau a été d’un sentiment contraire. Il estimoit que l’acheteur à faculté de rachapt, pouvoit conferer jusqu’au rachapr les Offices non venaux, mais qu’il ne les pouvoir conferer sous cause, qui empeschast le vendeur ou le successeur de les pouvoir retirer : Loyseau des Seig. l. 5. c. 2. n. 15. et c. 5. n. 34. Mais comme nous n’admettons pas les destitutions sans cause, on a jugé que l’Officier qui avoit été pourvû par celuy qui avoit un titre translatif de proprieté, ne pouvoit être dépossedé par le vendeur, l’acte étant pleinement consommé, et l’Office étant un fruit et un profit qui appartenoit irrevocablement à l’acheteur à faculté de rachapr.

Quoy que par la jurisprudence du Parlement de Paris, il soit permis au Seigneur de destiguer lOfficier qu’il a pourvù gratuitement, néanmoins on y fait cette justice aux Officiers, ue la seule énonciation de services employée dans les provisions accordées par le Seigneur, orment un empeschement legitime à la destitution, et qu’il n’est pas necessaire de rapporter s preuves de ces services. Car le Seigneur ayant une fois reconnu les services, c’est assez qu’il ait témoigné qu’il s’en sentoit obligé, et qu’il ait declaré qu’il vouloit les recompensers de pouvant plus aprés cet aveu venir contre son propre fait, ni demander des preuves d’une reconnoissance qu’il a faite luy-même : ce qui a été jugé au Parlement de Paris, en l’Audience de la Grand-Chambre, le 24 de Janvier 1651. contre le grand Prieur de France, qui avoit donné à un particulier les provisions de la charge de grand Voyeur du Temple, pour recompense de services à luy rendus et à ses predecesseurs, grands Prieurs, avec la clause or-dinaire, tant qu’il nous plaira ; ce grand Prieur avant baillé cette charge à un autre, il y eut pposition formée par le premier pourvû, qui soûtenoit qu’ayant été pourvû pour recompense de services, Il n’étoit point sujet à destitution, et quoy qu’il n’en rapportast d’autres preuves que l’énonciation portée par ses lettres, il fut maintenu-Autre Arrest semblable rapporté dans la seconde partie du Journal des Audiences, l. 5. c. 24.

La provision accordée par le Seigneur Laique ne luy lie pas seulement les mains, elle oblige aussi son heritier, et son successeur qui ne peut venir contre le fait de son auteur, lequel étant proprietaire de la chose et capable de l’aliener, le successeur ne peut alléguer qu’il ne pouvoit rien faire à son préjudice.

Ce qui n’a pas lieu seulement à l’égard de l’heritier universel, mais aussi du successeur à titre ingulier, comme celuy qui possede à titre de vente, échange, ou autrement, parce que c’est une espèce de charge reelle et fonciere, qui suit la chose en quelque main qu’elle passe, bien que l’acquereur n’en soit point chargé par clause expresse. C’est le raisonnement de Brodeau sur Mr Loüet, l. 0. n. 2. qui cite un Arrest du Parlement de Paris, qui l’a jugé de la sortes et neanmoins lors que ce même Auteur propose la question, si l’adjudicataire par decret pourroit destituer les Officiers anciens, qui ne se seroient point opposez, quand l’adjudication n’es point faite à cette condition-là, il conclut pour l’affirmative, parce que le decret purge tou es sortes d’hypotheques et droits reels et fonciers ; mais en Normandie, où par la Coûtume ts droits reels et fonciers ne se perdent point, à faute de s’être opposé en posant pour une maxime que le droit de l’Officier fuit la seigneurie, en quelque main qu’elle passe, comme étant un droit reel et foncier, il en faut conclure que ces droits n’étant point purgez par le decret, l’adjudicataire non plus qu’un successeur à titre singulier, n’a point le pouvoir de changer les anciens Officiers. bli le Seigneur Laïque, combien qu’il soit proprietaire incommutable, ne peut destituer l’Officier qu’il a pourvû purement et simplement, il n’y a pas d’apparence de donner cette liberté aux

Seigneurs commutables ; et sur ce principe il faut dire que le mary constant le mariage ne pourroit changer l’Officier pourvù par sa femme ; l’usufruitier, ni le gardien noble ne pourroient aussi revoquer ceux qu’ils avoient trouvez établis : il faut mettre en ce rang l’acquereur à faculté de rachapr. Tous ces Seigneurs commutables n’ayant pas plus de droit que les vrais proprietaires, que nous avons montré ne pouvoir destituer, soit que les provisions ayent été données gratuitement, ou à titre onereux, ils sont obligez de maintenir les choses en l’état qu’ils les ont trouvées.

En ôtant aux Seigneurs commutables le pouvoir de destituer, on demande si le droit de conferer les offices vacans pendant leur joüissance, peut leur appartenir sans que le successeur revoque leur collation : Maître Charles Loyseau propose cette question, et fait distinction entre les offices venaux, et non venaux, et il estime que pour les offices venaux, le successeur ne peut en revoquer la collation : mais pour les non venaux, que la doüairière, le gardien, l’usufruitiere, et tout autre usufruitier, l’acquereur du Domaine du Roy, et l’acquereur à faculté de rachapt, et enfin celuy qui est chargé de substitution et de toute autre restitution ne peuvent les conferer sous cause qui empesche le successeur de les revoquer. Loyseau des Seign. 5. c. 5. n. 11. 43. et suivans.

Comme nous n’admettons point les destitutions ad nutum, nous tenons indistinctement en Nonmandie que les offices sunt in fructu, et tournent au profit du Seigneur commutables comme tous les autres revenus d’une terre : Le droit de presentation à un benefice n’est par moins important qu’un office de Haute-Justice ; cependant les doüairieres presentent aux benefices vacans, lors que le Patronnage est compris dans le lot dont elles joüissent pour leur loüaire : il semble que le vendeur rentrant en la possession de la chose venduë, en vertu de la faculté de rachapr, l’acquereur soit tenu de remettre les choses en leur premier état, et toutesfois il a été jugé par l’Arrest donné contre le Comte de Flers, que l’acquereur avoit pû donner irrevocablement la collation d’un office qui avoit vaqué durant sa joüissance.

Cette matière de la destitution est beaucoup plus difficile à l’égard des Seigneurs Ecclesiastiques.

Nous tenons en Normandie indistinctement que l’Officier ne peut être destitué par le Beneficier qui luy a donné la collation, et que son successeur par resignation ou permutation est pareillement obligé d’entretenir ses faits ; le Commentateur de Mr Loüet l. 0. n. 2. ajoûte, que l’on a étendu cette décision contre des Chapitres, et autres communautez qui ne meurent point.

Mais c’est une question encore problematique en ce Parlement, si l’Officier pourvû par ur Beneficier, soit purement et simplement, ou pour recompense de services rendus à d’autres qu’à l’Evesché ou à l’Abbaye, peut être destitué sans cause par le successeur, car si les offices sont in fructu, et que comme d’un Patronnage, le Beneficier en puisse disposer irrevocable. ment, comme il a été jugé, que l’acquereur à faculté de rachapr le pouvoit faire, il s’ensuivra que la collation qu’il en aura donnée liera les mains à son successeur, de la même manière que la provision des benefices demeure en sa force aprés la mort ou resignation du collateurs au contraire le Beneficier ne peut faire préjudice à son successeur, ni étendre plus loin que le temps de sa possession, le successeur pourra revoquer ce qu’il a fait.

I semble qu’en ce Parlement on a fait différence entre les Offices appartenans aux Ecclesiatiques à cause de leurs Jurisdictions temporelles, et les Offices de leurs Justices Ecclesia-tiques. e Josias Berauit a cité un Arrest sur l’Article 190. par lequel Me Pierre Vauchel qui avoit été pourvû à la charge de Bailly de Jouy parl’Abbé de Jumieges , ayant été destitué par le sieur de Martinbosc, qui avoit été nouvellement pourvû de cette Abbaye, fut mainrenu au préjudice de celuy que le sieur de Martinbosc vouloit mettre en sa place.

La même question s’offrit encore en l’Audience de la Grand. Chambre le 24 de Juillet 1654. gentre Mre de Roncherolles, Abbé de Beaubec, et le Bailly de cette Abbaye ; et par l’Arrest fut dit, que l’Abbé n’avoit pû destituer l’ancien Bailly.

On peut dire encore que l’on a même autorisé une espèce de resignation ; Jamot, Bailly de S. Pierre sur Dive, ayant été condamné à se défaire de sa charge, il presenta Requête à la Cour, à ée qu’il luy fût permis de la resigner : Sur l’opposition du sieur Abbé de S. Pierre, amot disoit que le precedent Abbé l’avoit pourvû de son office, pour recompense de services, et que pour s’y maintenir il avoit donné au sieur Abbé, sa partie, une somme de 500 écus ; Heroüet pour Mre de Breauté demeuroit d’accord, que par l’Ordonnance de Roussillon on ne pouvoit revoquer les Officiers pourvûs pour recompense de services ; mais qu’il ne s’agissoit : pas d’une destitution, mais d’une resignation, que Jamot vouloit faire de son office, ce qu’il ne pouvoit faire, il offroit neanmoins de luy donner cent pistoles ; par Arrest donné en la Chambre de l’Edit le 27 de Novembre 1652. aprés la déclaration dudit sieur Abbé, il luy fut permis de pourvoir à cet office en payant à Jamot la somme de mille livres.

Enfin cette question fut encore solemnellement plaidée en l’Audience de la Grand-Chambre le 12 de Février 167s. Le sieur Barbe ayant été pourvù par Mr le Duc de Verneuil, de la charge de Seneschal de Fescamp, il lexerça plusieurs années, en suite dequoy ledit sieur Duc de Verneüil luy permist d’en tirer quelque composition, sur cette consideration que son ayeul, son pere, et son oncle, favoient exercée. Il en traita avec Mr le Vilain, sieur de Beaucamp, auquel Mr le Duc de Verneüil donna son agrément, et des provisions qui contenoient la clause de recompense de services. Il paroissoit neanmoins par des lettres qu’i en avoit payé trois mille livres aux gens de Mr le Duc de Verneüil : quelque temps aprés Mr le Duc de Verneüil s’étant marié, le Roy donna l’Abbaye de Fescamp au Roy de Polone, aprés la mort duquel cette même Abbaye fut donnée au fils du Duc de Neubourg, qui pourvut Fauconnet de la change de Seneschal de Fescamp, par l’entremise du sieur de Jar ville, qui en tira quelque gratification. Le sieur le Vilain s’opposa à sa reception, et appells en garantie le sieur Barbe, pour faire dire qu’en cas de destitution, il seroit déchargé de la rente qu’il luy faisoit pour la resignation de cette charge : Maurry pour le sieur le Vilain representoit que Mr le Duc de Verneüil étoit encore vivant et joüissant pour sa pension de l meilleure partie du revenu de cette Abbaye, on le devoit considerer comme en étant encore se véritable Abbé, et que par consequent suivant l’Ordonnance de Roussillon, ayant été poulvû pour recompense de services il ne pouvoit être destitué sans cause ; mais aprés touti cette Ordonnance n’avoit jamais été gardée en Normandie, et les Seigneurs Ecclesiastiques non plus que les Laiques ne pouvoient revoquer leurs Officiers ad nutum, quoy qu’ils n’eussent point été pourvûs à titre onereux, n’étant pas raisonnable de leur donner une liberté dont le Souverain même n’avoit pas jugé à propos de se prévaloir.

Sreard et de l’Epiney plaidans pour le Duc de Neubourg, et pour Fauconnet ; alléguoient les Arrests donnez en cas pareil, au Parlement de Paris. Ils s’aidoient de l’Arrest donné en ce Parlement contre l’Official de Domfront, et pretendoient encore que depuis peu Mr l’Archevesque de Roüen avoit fait juger la même chose contre son Official ; par Arrest du privé Conseil, je plaidois aussi pour Barbé qui se défendoit de la garantie, la cause fut appoinée au Conseil, et depuis les parties s’accommoderent, et le sieur le Vilain fut maintenu moyennant une somme qu’il donna au sieur de Janville. Ce qui rend la question plus problematique à l’égard des Ecclesiastiques, est que les Seigneurs Laiques étant proprietaires, ils peuvent aliener irrevocablement leurs offices et en disposer comme de leur propre bien, et par cette raison leurs successeurs sont obligez de tenir leurs faits et obligations, mais les Seigneurs Ecclesiastiques sont de simples usufruitiers, qui ne peuvent faire aucune disposstion qui blesse les droits de leurs successeurs, qui de leur côté ne sont aucunement tenus de leurs faits Quant aux Officiers des Justices Ecclesiastiques, il se trouve des Arrests à leur préjudices Mr l’Evesque du Mans ayant destitué l’Official de Domfront, qui avoit été établi par le precedent Evesque, cet ancien Official fit appeller en la Cour ce nouveau pourvu, et incidem-ment il appella comme d’abus d’une Ordonnance du Chapitre, lequel, sede vacante, avoit donné pouvoir au Vicegerent de faire les fonctions d’Official ; par Arrest donné en l’Audience de la Grand. Chambre le 22 de Juin 1649. la Cour sans avoir égard au Mandement, maintint le Vicegerent en la charge d’Official.

On admet plus aisément la destitution des Juges Ecclesiastiques, soit parce qu’on en doit moins souffrir la venalité, que des Offices des Jurisdictions seculieres, ou parce que les fonctions en étant plus importantes ; il est juste que l’Evesque en puisse disposer plus librement, et que d’aileurs l’Evesque peut tenir sa Jurisdiction luy-même. Mais le Haut-Justicier est necessairement obligé d’en commettre à un autre l’exercice de sa Justice, et c’est pourquoy les Offices de la Jurisdiction Ecclesiastique ne sont à proprement parler que des commissions, qui cessent et qui sont revoquées par la mort de l’Evesque Puisqu’il est permis à l’Evesque de destituer les Officiers de sa Justice Ecclesiastique, on demande si le Chapitre d’une Eglise Cathedrale sede Episcopali vacante, peut en instituer d’autres qui ne puissent être destituez par l’Evesque successeur, pour en mettre d’autres en leur place ; sur la première question l’on dit en faveur du Chapitre, que comme les Offices de la Jurisdiction.

Ecclesiastique ne se baillent que par Commission, laquelle cesse et est revoquée par la mort de Evesque. C. Si gratiose de rescript. in 6. veluti morte mandantis finitur mandatum l. si mandatum S. si adhuc C. mand. Ce qui a été aussi remarqué parJoannes Gallus , quest. 173. que morte Prelati cessat potestas Officialis et transit ad Capitulum ; quia in Capitulum sede vacante transeunt mnia, que sunt Jurisdictionis, C. his que et C. olim de major. et obed. aux Decr. et C. cum eo rodem in et D’où il s’ensuit que le Chapitre ayant le pouvoir d’instituer et de pourvoir ausdits Offices, Bpeut pareillement destituer.

Les Officiaux empeschent leur destitution par ces raisons, que les destitutions sont odieuses et infamantes. Le Chapitre, sede vacante, est veluti custos & curator bonis datus, conservare debet non destruere & immutare. C’est le sentiment deRebuffe , au titre requisita ad bonam collationem n. 21. Capitulum sede vacante poterit procuratorem in beneficiis spectantibus ad collationem Epis-ropi facere vel commendare, sed non poterit conferre, nisi collatio fuerit necessaria, ce qu’il confirme par le C. illa devotione sede vac. aux decretales qui portent, que nunquam invenitur cau-tum in jure quod Capitulum sade vacante vice Episcopi fungatur in collationibus prabendarum.

Pour concilier ces Canons, qui paroissent contraires, on fait distinction entre les actes de Jurisdiction volontaire, et les actes de Jurisdiction nécessaire ; le Chapitre où ses Vicaires peuvent exercer ces derniers irrevocablement, comme les collations des Benefices qui seroient perdus pour l’Evesque, et pour le Chapitre, si elles étoient differées ou negligées. Pour les actes de S Jurisdiction volontaire, le Chapitre peut commettre, sede vacante, mais le titre et la collation doivent être réservez futuro successori, autrement le Chapitre pourroit donner des Officiers à l’Evesque, qui ne luy seroient pas agreables. M René Chopin , de Sacra. pol. l. l. t. 6. approuve aussi cette distinction, que le Chapitre, sede vacante, a la Jurisdiction volontaire et spirituelle ; il peut poser des Vicaires et des Penitenciers, et pour la Jurisdiction contentieuse il peut commet. re, Panor. sur le C. cum olim de major. et obed. Capitulum est administrator necessarius, et non poluntarius, unde succedit in his que necessario, et non voluntariè sunt expedienda, et non succedit in his que competunt Episcopo jure speciali.

Le Commentateur deMr Loüet , l. 0. n. 2. rapporte trois Arrests du Parlement de Paris, par de quels il a été jugé que le Chapitre, sede vacante, ne peut destituer les anciens Officiers, si ce n’est qu’il en fût en bonne et valable possession, comme il a été jugé par d’autres Arrests remarquez par le même Auteur, et depuis encore par un Arrest donné en l’Audience de la Grand-Chambre, le 13 de Mars 1651. au profit du Chapitre de Clermont, parce que ce Chapître étoit en une possession immemoriale de destituer les Officiers de l’Evesque, sede vacante.

Pour la seconde question, si le Chapitre peut pourvoir irrevocablement aux Offices qui vaquent, sede vacante, il est certain qu’il peut y commettre, pour exercer jusqu’à ce qu’il ait été ourvû à l’Evesché. Ces questions ont été décidées par Arrest donné en ce Parlement en l’Audience de la Grand-Chambre le 31 de Mars 1634. entre Me Gilles Denis, Promoteur en Officialité de Coûtance, à S. Lo, pourvû par l’Evesque de Coûtance, et confirmé par le Chapitre, sede vacante, et M’Germain, Official d’une part, et Me Jean de l’Ecluse, pourvû à l’Office de Promoteur, et M Jean Chevreuil, pourvù à celuy d’Official par Mre Leonon de Matignon, Evesque de Coûtance ; qui soûtenoit qu’il avoit pû pourvoir aux Offices qui étoient vacans, aprés la mort de l’Evesque, son predecesseur, et que ces Officiers-là avoient suffisamment reconnu son droit, lors qu’ils avoient pris des commissions du Chapitre, sede vacante, pour exercer leurs charges et que le Siege ayant été vacant depuis l’an 1626. asques en l’an 1633. ils avoient joui de leurs charges sur la commission du Chapitre, laquelle étant finie par la prise de possession et consecration de l’Evesque, pourvû par mort, il n’étoit point obligé de conserver ni de maintenir ce qui avoit été fait par son predécesseur. La Cour, sans avoir égard aux lettres de maintenue et requête pour être recû appelant comme d’abus d’une Sentence qui maintenoit par provision les nouveaux pourvûs, ordonna que ledit Che vreuil et de l’Ecluse pourvûs par Mre de Matignon joüiroient de leurs Offices.

C’est assez parlé de la destitution ; j’ay remarqué cu-dessus que la collation des Offices est n fructu, et que sur ce principe l’acquereur à faculté de rachapt avoit pû conferer irrevocablement l’Office ; suivant cette maxime il s’ensuivroit qu’aprés la saisie reelle de la Haute-Justice, a provision des Offices appartiendroit aux creanciers du decreté, puisque c’est un fruit ; il a éti neanmoins jugé que la saisie reelle ne dépossede point si absolument le decreté, que pendant la saisie il ne luy reste encore une possession civil, qui luy conserve le droit de pourvoir aux Offices et Benefices, et de recevoir les aveux de ses vassaux et d’en rendre au Seigneur dominant.

Cette question s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre le 2i de Juin 1640. durant le saisie reelle de la Baronnie d’Enneval, l’Office de Bailly ayant vaqué par mort, la Dame d’Enneval doüairière, mére du sieur d’Enneval, les Dames ses seurs ses presomptives heritieres, et le Curateur, par l’avis du conseil qu’on luy avoit donné, nommerent conjointement Me Guy.

Mondeau, Avocat au Parlement de Paris ; le sieur de Breauté et les autres creanciers du sieur l’Enneval s’opposerent à cette nomination, en consequence de la saisie reelle de cette terre, qui dessaisissoit le proprietaire et la mettoit en la main du Roy : de sorte que tous les fruits en apparte. voient aux créanciers, et que l’on ne doutoit point que la collation des Offices et des Benefices ne fût en fruit. Le pourvù à l’Office répondoit que la simple saisie ne dépossedoit point, qu’en tout cas il demeuroit proprietaire jusqu’à l’adjudication, que par les Ordonnances la venalité des Offices étoit défenduë, et nonobstant la corruption du siecle, beaucoup de Seigneurs les conferoient gratuitement ; le decret peut être annullé, le saisi peut acquitter ses dettes, et payer ses creanciers avant l’adjudication, et cependant il trouveroit un homme investi de sa charge par argent, qu’il ne pourroit destituer quoy qu’il luy fût desagreable ; Mr d’Argentré a crû que cela n’étoit point çailonnable, Art. 409. gl. 2. n. 3. Maître Charles Loyseau des Offices, l. 5. c. 2. dit que le sais non seulement demeure Seigneur, mais aussi possesseur de la chose saisie, au moins quant à la possession civil, laquelle neanmoins ne luy donne point la liberté d’aliener : c’est pourquoy le propriétaire peut prescrire, c’est luy qui peut faire lexercice actif et passif des droits feodaux, secevoir les vassaux à hommage, il fait justice, c’est à dire il confere les Offices et Benefices, et joüit des droits honorifiques de la Seigneurie. La distinction que l’on fait des fruits utiles, comme finstitution aux Offices et des fruits honorables, comme la nomination aux Benefices à leffet de laisser ées derniers au saisi, et donner les premiers aux créanciers ne sert de rien

Car un seigneur qui ne veut point vendre son Office, comme en cette occasion, ne tire aucun profit ni des uns ni des autres ; par l’Arrest qui fut rendu ledit jour, les créanciers furent depoutez de leur opposition, et ordonné que le pourvû seroit reçû, en jurant qu’il n’avoit point paillé d’argent. Ces dernieres paroles de l’Arrest donnent lieu de croire, que si le saisi avoit verendu l’Office, on auroit peut-être jugé autrement, néanmoins en ce cas il seroit équitable de maintenir le pourvû par le saisi, et ajuger le prix de la composition à ses créanciers Il est sans doute fort desavantageux de plaider contre un Seigneur en sa propre Justice ; Parum interest an judicet quis in suâ causâ, an à judice à se constituto ; il est fort injuste que quelqu’un soit Juge en sa propre cause, l. 17. ff. de judiciis, l. unicâ C. nequis in sua cau jud. Ce qui a fait dire agreablement àArtemidore , que si un plaideur songeoit qu’il étoit assis dans la chaire du Juge, ce seroit un. fort bon augure pour le jugement de son procez, parce que personne ne se condamne soy-même, MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGRECMOTGREC, MOTGREC MOTGREC ; MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC, MOTGREC MOTGREC MOTGREC MOTGREC.

Par l’Article 30. de l’ancien Coûtumier de Bretagne, quand un seigneur veut pretendre un plus grand droit luy être dû par son sujet, que le sujet n’avoué, iceluy vassal peut decliner la Jurisdiction de son Seigneur et aller en la Jurisdiction souveraine. Nôtre Coûtume en l’Article 52. ne permet cela que pour les Bas-Justiciers, mais il n’en est pas de même pour les Hauts-Justiciers, parce qu’ils ne jugent pas eux-mêmes, et que d’ailleurs s’ils ne pouvoient plaider en leurs Hautes-Justices, la grace du Prince leur seroit inutile et préjudiciable. Loyseau des Seign. c. 10. n. 77. a estimé que le Seigneur ne devoit plaider en sa Haute-Justice, que pour les droits de son Domaine, et non pour les causes personnelles, et sur tout pour les criminelles. L’Ordonnance de l’an 1667. pour les recusations, Article 11. contient ces termes : N’entendons neanmoins exclure les Juges des Seigneurs, de connoître de tout ce qui concerne les Domaines, droits, et revenus ordinaires ou casuels, tant en fief que roture de saterre ; même des baux, sous-baux et joüissances, circonstances et dépendances, soit que l’affaire fut poursuivie sous le nom du Seigneur ou du Procureur Fiscal, et à l’égard des autres actions, où le Seigneur sera partie ou interesse, le Juge n’en pourra connoître.

La connoissance de tous crimes, que cet Article donne au Haut-Justicier, est une prerogative fort importante ; les Romains étoient bien plus jaloux de la puissance du glaive. Il est vray que le Haut-Justicier ne juge pas en dernier ressort, mais il instruit le procez sur lequel on doit juger, et l’information est l’ame du procez criminel. Cette façon de parler jus gladii, la puissance du glaive, procede de ce qu’à Rome, lors que les Empereurs Romains accordoient de pouvoir de condamner à mort aux Gouverneurs de Provinces, ou au Prefet du Pretoire, ils leur donnoient une épée, mais aux Tribuns qui n’avoient point ce pouvoir ils donnoient adversar un poignard, Turneb. adversar. l. 12. c. 6.

La Jurisdiction du Haut-Justicier est souvent traversée par le Juge Royal, qui ne manque jamais à faire valoir cette maxime, que le Juge Royal a la grande main. Ces contestations se forment ou pour le territoire et l’etenduë de la Haute-Justice, ou à cause de la qualité des personnes et des matieres.

Les contestations touchant le district sont plus de fait que de droit ; sur tout le Juge Royal a souvent disputé au Haut-Justicier la competence de tout ce qui se passoit dans les grands chemins, soit pour les crimes, ou pour la police, quoy qu’ils fussent dans les terres de la Haute-Justice ; la qualité de chemins royaux, qui leur est donnée ordinairement, a servy de pretexte à cette pretention : Mais ces chemins pour être royaux n’en sont pas plus au. Roy. que les autres chemins. Cette dénomination leur est donnée principalement, parce qu’ils sont plus grands, plus publics et plus frequentez que les autres : En effet les Romains qui n’avoient point de Rois, ne laissoient pas de les appeler vias regias, et les Grecs MOTGREC MOTGREC ;. et comme dit Loyseau des Seign. c. 9. nos anciens praticiens ont appellé chemins royaux, ceux ui tendent aux bonnes villes, les distinguans d’avec les autres qui conduisent de village en illage, que les Romains appelloient vias vicinales, nous les appellons chemins de traverse.

Et quoy que quelques Coûtumes attribuent au Prince la garde de ces grands chemins, ten dans de ville marchande à une autre ville, et des autres chemins, au Seigneur Haut-Justicier, neanmoins on ne peut pas dire qu’ils soient du Domaine du Roy ; au contraire ils sont hors du commerce, et la proprieté n’en appartient à aucune personne, mais l’usage en est à urs chacun ; et c’est par cette raison que par la concession de la Haute-Justice, la Seigneurie publique étant accordée, le Haut-Justicier peut connoître en tous les lieux de son térritoire, de toutes les choses dont la competence luy est attribuée : Aussi la competence de tout ce qui se passe dans les grands chemins luy a été conservée par plusieurs Arrests ; c’est aussi la jurisprudence du Parlement de Provence, Boniface l. 1. t. 4. n. 11. Et afin qu’on n’en doutast plus, on en a fait un Reglement, Art. 10 du Reglement de 1666. Un crime ayant été commis dans un chemin, qui soit borné des deux côtez de deux Hautes-Justices differentes, on demande auquel des deux Seigneurs la connoissance doit en appartenir : La plus commune opinion est que le chemin étant individu, la connoissance en doit demeurer au plus diligent.Bald . Ad l. si plures. 38. fuit Quastio.

C. de condit. incert. mais que les profits et les amendes se partageront également entre les deux

Seigneurs. Quam sententiamBaldi , veram certamque esse arbitror, dit Pontanus sur la Coûtume de Blois, t. 3. art. 17. etTronçon , art. 68. de la Coûtume de Paris. Par Arrest du Parlement de Paris rapporté dans le Journal du Palais du 12 de Juin 1672. la connoissance d’un crime fut attribuée au Roy, au préjudice du Haut-Justicier.

On peut former la même difficulté pour les rivieres, lors qu’elles coulent entre les confins des territoires de deux Hautes-Justices. Bartole a resolu, que chaque Seigneur a la Justice jusu’à la moitié de la riviere, du côté de son térritoire, quia omnia que sunt in confinio, sunt com-nunia illis, qui ab utraque parte possident. l. arbor. Communi divid. ff. l. adeb S. fin. de adquir. ci. domin. D.Bartol . tracta. de flumin. et Tyberia. 5. per alluinonem in verbo acquiritur. n. 1. 6. versu, item videndum est. C’est aussi le sentiment deM Boyer , Cons. 24. n. 14. et suiv. Si fluten est in confinio duorum territoriorum, prasumitur esse cujustibet usque ad medium fluminis. En France il faut mettre difference entre les rivieres navigables, et celles qui ne le sont pas ; les premieres appartiennent au Roy, et par consequent la Jurisdiction, quoy que les mouvances et les térritoires des Hauts Justiciers s’étendent jusques aux bords de la rivière ; et c’est pourquoy Guy Papé a écrit en sa question 477. que la Jurisdiction de tout ce qui se passe sur le Lone appartient entièrement au Roy, au préjudice du Pape et du Duc de Savoye, quoy que leur térritoire s’étende aux bords de ce fleuve. Ainsi l’on ne peut faire conséquence des grands chemins aux rivieres navigables, sur lesquelles le Haut-Justicier ne peut pretendre de Jurisdition, si elle ne luy a été particulièrement concedée par le Roy, quia sunt juris publici, Instit. l. 2. t. 1. 82. flumina ; mais pour les rivieres non navigables, l’opinion de Bartole et de Boctius eut être véritable Loysel en ses Institutes coûtumières, l. 2. Tit. 2. Art. 8. dit que les petites rivieres et les chemins sont aux Seigneurs des terres, et les ruisseaux aux particuliers tenanciers ; et par l’Arti-cle suivant, la Seigneurie des Seigneurs s’étend jusques aux bords des grandes rivieres, et des sujets tenanciers jusques aux petites ; c’est le droit general auquel on ne peut déroger s’il n’y a titre et possession contraire.

Le Haut-Justicier n’a pas la simple instruction du procez criminel, il peut condamner à mort, bannir et confisquer, comme je le prouveray sur l’Art. 143. Tous ces cas sont meri imperii. Mr le Bret soûtient que le droit de pouvoir confisquer n’a été accordé aux Hauts-Justiciers, que du temps de Hugue Capet, qui gratifia les Seigneurs de cette prerogative, pour se les rendre favorables : Mais j’ay montré cu-dessus, que le pouvoir des Hauts-Justiciers de cette Province ne peut être rapporté à Hugues Capet. Il est vray que les Empereurs Romains étoient plus jaloux de leur autorité, il n’y avoit que ceux qui jugeoint vice sacra, qui pûssent confisquer. Les Hauts.

Justiciers ne peuvent bannir que hors de leur térritoire, suivant un ancien Arrest de l’Echiquier, de l’an 1304. au terme deS. Michel , et arg. l. in agris limitatis. ff. de ac4. rer. dominio.

Pour les personnes, il est d’un usage certain, que le Haut-Justicier ne peut informer extraordinairement, ni faire le procez à un Ecclesiastique, ce qui a été jugé par plusieurs Arrests, et notamment par un Arrest donné en la Tournelle, du 30 d’Avril 1650. Ils ne connoissent point aussi des actions qui se passent dans les Eglises, soit qu’elles soient civil ou criminelles, ce qui n’appartient point aussi au Juge d’Eglise, hécque Spectat ad judicem secularem, isive regium, ac si esset commissum in loco prophano ; Imo etiam Clericum delinquentem intra Ecclesiam, non potest judes Ecclesiasticus in suâ Jurisdictione capere. Molin. de feud. 8. 51. gl. 2. n. 57. la connoissance en appartient au Juge Royal, nonobstant le c. cum Episcopus de offic. ordin. in 6. Il ne connoit point aussi des matieres beneficiales et decimales.

La connoissance des lettres de sceau leur a été souvent disputée, mais l’attribution leur en a été lonnée, ce qui a été ainsi jugé pour le Bailly de Longueville contre le Juge Royal d’Arques. Il êtoit question de lettres obtenuës par une femme aux fins de sa separation civil. Baudry pour Mr le Duc de Longueville soûtint, que la competence en appartenoit au Bailly de Longueville, puisque suivant cet Article, le Haut-Justicier connoit de tous cas hormis les royaux, que es lettres de separation étoient de simples lettres de Justice, qui étoient bien differentes des lettres de grace. Comme celles-cy dépendent absolument de la volonté et de la clemence du Prince ; elles appartiennent à ses Officiers ; mais pour les lettres de Justice, elles ne se prennent que pour la forme ; que le sceau n’est point attributif de Jurisdiction, autrement que les Hautes-Justices seroient aneanties, ne se trouvans guere de procez qui ne commencent par les lettres de sceau, des lettres de récision, de mariage encombré, de peremption d’instance, &c. 9 Par Arrest en la Grand-Chambre du 8 de Janvier 1649. du consentement de Mr le Procureur General, l’affaire fut renvoyée devant le Bailly de Longueville. Autre Arrest du 22 de Février 1657. contre le même Juge d’Arques. Cela avoit eté jugé pour le Bailly d’Aumale en l an 1583. Sur ce même principe on ne peut contester au Haut-Justicier la connoissance de lettres de benefice d’inventaire, lors que celuy de la succession duquel il s’agit étoit domicilié ur sa Haute-Justice, comme aussi de lettres de curatelle, quelques-uns neanmoins en font difficulté à cause que ces lettres doivent être lûes aux Assises, mais les Hauts-Justiciers ont aussi leurs Assises.

La police luy appartient aussi dans son térritoire ; Arrest du 20 d’Aoust 1603. pour Mr le Duc d’Elbeuf, pour sa Haute-Justice de l’Issebonne. Autre Arrest du 8 de Février 1658. par dequel il fut permis au Bailly de Tancarville, de recevoir trois maîtres de mêtiers, pour exerces dans l’etenduë de la Haute-Justice et non ailleurs. Autre Arrest du 23 d’Avril 1655. qui confirme la reception d’un Apothicaire faite par le Bailly d’lvetot, contre les Juges de Caudebecs Dans les fauxbourgs de Roüen, les Hauts-Justiciers ont des maitrises de mêtier ; et par un ncien Arrest du 11 d’Avril 1567. entre les Gardes Bouchers de Roüen, et Jacques Vetier Boucher au fauxbourg de S. Gervais, où l’Abbé de Fescamp a une Haute-Justice, il fut jugé que le Seneschal de Fescamp pouvoit établir des Maîtres et Gardes de tous mêtiers, même de ceux reservez, comme ceux de Bouchers, parce neanmoins que les Gardes de Roüen pourroient les approcher, s’ils trouvoient du vice en leurs marchandises ; étant accompagnez d’un Sergent Royal, et à condition que les approchemens se feroient devant le Seneschal, quand le Haut-Justicier pretend que le Juge Royal entreprend sur sa Jurisdiction, il ne doit as toutefois prononcer des défences, suivant qu’il a été jugé plusieurs fois ; Arrest du 26 de Juin 836. en la Grand-Chambre, entre le Vicomte de Roüen et le Seneschal de S. Gervais. Autre Arrest en la Chambre de l’Edit, du 9 de Juillet 1636. entre le Bailly de Dieppe et les Juges de l’Amirauté.

Cet Article excepte les cas Royaux de la competence du Haut-Justicier, quelque generale. que puisse être la concession de la Haute-Justice ; etiam cum hac clausulâ, omni jure quod habet nullo reservato, non veniunt tamen, nec transeunt regalia, quia sunt de juribus Corona, et illi annexa et inseparabilia, nec sunt in commercio ; sed etiam si possent concedi, non veniunt sub quibuscunque verbis, etiam generalibiss, sed demum, si expressè et generaliter concedantur,Molin . de feud. 8. 1. gl. 5. n. 55. et sequentibus.

Il n’en est pas de même touchant le pouvoir d’établir des Juges, quoy que le droit de créen des Magistrats soit un droit Royal, tamen eo iffo quod Jurisdictio transfertur, & conceditur, statim in necessariam consequentiam venit potestas constituendi Magistratus ad illius administrationem. Il est donc vray de dire, suivant le sentiment dedu Moulin , ib. n. 57. que Magistratuum constitutio in genere suo non est de regalibus. Et ce pouvoir neanmoins se reduit pour les Officiers necessaires, pour l’exercice de la Jurisdiction dans son établissement, car le Haut-Justicier n’auroit pas diberté d’en instituer de nouveau, comme je l’ay remarqué cy-devant, Loyseau des Seig. c. 14. fait différence entre les droits Royaux et les cas Royaux : les droits Royaux concernent la Seigneurie Souveraine du Prince, ce qui les rend inseparables de sa peronne. Les cas Royaux ont leur relation non à la Seigneurie, mais à la Justice, et on les omme ainsi par un racourcissement de paroles, au lieu de dire cas de Justice Royale. Cas Royal est quand le Roy y a interest, pour la conservation de ses droits et de son autorité, touchant les cas Royaux, voyez Chopin l. 2. Tit. 6. de Domanio.Bouteiller , en sa somme Rurale Etit. des droits Royaux, et Loyseau des Seig. c. 14.

C’est une grande question entre les Feudistes, si la teneure et la mouvance font toûjours une preuve et une consequence neceffaire pour la Jurisdiction, si tout ce qui est dans l’etenluë d’une Haute-Justice est de la competence du Haut-Justicier ou si un fief relevant d’un seigneur Haut-lusticier, quoy qu’il soit situé dans les enclaves d’une Iurisdiction Royale, sera neanmoins reputé sujet à la Iurisdiction du Haut-Justicier : Les Docteurs font différence entre ces trois choses, le fief, le térritoire, et la Iurisdiction.

Le fief peut être sans Iurisdiction, quia feudum nihil habet commune cum Jurisdictione. La Iuisdiction peut être sans térritoire ; car encore que la Iurisdiction soit ordinairement annexée au fief, non est essentialiter pars dominii ipfius, quia per se subsistit, et de se nihil habet commune cum dominio, sed semper heterogenea est.Molin . de feud. S. 68. n. 3.Boer . decis. 22.Ferrer . in not. ad decis. S18.Guid. Papae . On rapporte l’exemple de la Iurisdiction personnelle, que les Iuges d’Eglise ont sur les personnes des Ecclesiastiques, et des Prevosts des Mareschaux de France, ui ont pouvoir sur les vagabonds et sur les deserteurs, quoy qu’ils n’ayent point de territoire certain. Ainsi ditBoerius , ib. n. 8. Jurisdictione concesiâ, non censetur territorium cessum, sed è contra territorio universaliter & simpliciter cesso, videtur concessa omnis Jurisdictio.

Pour la décision des deux questions proposées, c’est une opinion commune que si le daut-lusticier n’a pas un territoire limité, le Roy qui a la grande main, fundatam habet intentionem, pour demander tout ce que le Haut-lusticier ne prouve point être de sa mouvance, quoy qu’il soit dans les enclaves de sa Haute-Iustice. Loyseau des Seign. c. 12. fait cette distinction, que le Haut-lusticier, qui par les lettres de la concession de sa Iustice, n’a Iurisdi-ction que sur ses vassaux, n’en peut pretendre que sur eux, n’ayant point droit de térritoire, ceux qui ne sont point ses vassaux ne sont point sujets à sa Iustice, encore qu’ils soient mé lez dans les enclaves d’icelle : Mais si le Haut-lusticier avoit un territoire universel, la presomption seroit en sa faveur Pour la seconde question, la mouvance et la teneure feodale emportent regulierement la Iurisdiction, lors que suivant la distinction dedu Moulin , de feud. 6. 1. gl. 5. n. 61. la Jurisdiction est lunie et attachée au fief, et eodem jure et titulo tenentur simul, tanquam una res ; autrement, suivant le sentiment de plusieurs Auteurs rapporté pardu Moulin , ibid. Castrum ab alio recognoscens non videtur recognoscere Jurisdictionem & territorium ; Et c’est en ce cas qu’on peut dire que feudum et Jurisdictio nihil habent commune, et possunt à feudo separari.

Mais la Jurisdiction se peut prescrire par un autre Juge. On peut prescrire le droit de Jurisdiction par le même temps que l’on pourroit prescrire le térritoire ; Comme celuy qui acquiert un onds par la voye de la prescription, acquiert aussi en même temps tout ce qui est baty ou planté sur ce même fonds : Aussi celuy qui devient maître du térritoire par la prescription, le devient aussi de la Jurisdiction. Ce n’est pas que pour prescrire la Jurisdiction, il soit aussi necessaire de rescrire le térritoire ; car la Jurisdiction pouvant être separée du térritoire, suivant le sentiment deBartole , in l. 1. ff. de Jurisd. omn. Jud. Mol. de feud. S. 1. gl. 5. art. 44. Jurisdictio potest esse sine erritorio, et territorium sine jurisdictione, elle peut bien être prescrite sans prescrire le terrivoire. Il est vray que celuy qui prescrit le territoire, prescrit aussi la Jurisdiction, quand elle y est annexée, et c’est pourquoy on voit souvent dans un Bailliage, des terres mouvantes d’un fief é itué dans un autre Bailliage, qui ne suivent point neanmoins la Jurisdiction du fief dominant, quand l’usage et la possession sont contraires.

Cette difficulté s’offrit en l’Audience de la Grand. Chambre, le 24 d’Avril 1674. Bougler avoit fait saisir reellement les biens de Mr le President d’Etalleville, dont une portion êtoit située dans le Bailliage de Roüen, une autre partie dans le Bailliage de Caux, dans les enclaves de la Vicomté de Caudebec, et l’autre dans la Vicomté de Cany : La connoissance du decret étoit lemandée par les Juges de Caudebec, et par ceux de Cany ; et comme c’est un usage en Nornandie, que le decret doit être fait en la Jurisdiction du lieu, où la plus grande partie des héritages saisis est située ; le Juge de Caudebec pour en obtenir le renvoy dans son siege, alléguoit que la terre d’Etalleville relevoit du fief du Val Infray, qui êtoit mouvant du Comté de l’Ilebonne, et que cette Haute-Justice étoit dans les enclaves de la Vicomté de Caudebec, et que comme le decret ne pouvoit être fait dans cette Haute-Justice, parce qu’il y avoit des terres dans le district de la Jurisdiction Royale, la connoissance luy en appartenoit. Les Juges de Cany justifioient, que de temps immemorial, tous les habitans d’Etalleville avoient plaidé en leur Jurisdiction, et qu’en consequence de cette possession, sargument de la mouvance feodale n’étoit point valable. Dans rétenduë de la Jurisdiction de Longueville il y avoit des fiefs relevans du Roy, dont les vassaux néanmoins plaidoient en la Jurisdiction de Longueville. Par Arrest en la Grand-Chambre, 1 la connoissance du decret fut attribuée aux Juges de Cany, plaidans de Freville, Théroude, et moy. Jurisdictionum jura maximè ad possessionem modumque utendi referre oportet, & ideo Jurisconsulti in l. more majorum, et l. solet prator, verbo moris & consuetudinis utuntur,Mornac . Ad l. more majorum de Jurisd. Du Moulin de feud. 5. 1. gl. 5. n. 45. traite la question ; an cum alienatione feudi transeat Jurisdictio cum universitate ; Et il répond que quand la Jurisdiction est unie et attachée au fief, la Ju-risdiction est reputée comprise dans la vente du fief, secus de pradiis particularibus castri, etian adjecta clausula universali cum omni jure, quia per eorum venditionem nulla transfertur Jurisdictio.

Les Officiers des Hautes-Justices sont precedez par les Juges Royaux ordinaires, même par reux de l’Amirauté ; Mais il a été jugé pour les Officiers de la Haute-Justice de Fécamp, qu’ils auroient la presseance, sur les Officiers du Grenier à Sel. Loyseau a aussi remarqué, l. 5. c. 7 n. 37. qu’ils ont la presseance sur les Officiers Royaux des Elections.

Nous tenons aussi cette maxime en Normandie, que par la negligence du Haut. Justicier, son roit n’est pas devolu au Juge Royal ; Secus, ditdu Moulin , 5. 2. de feud. gl. 3. n. 11. et 12. ina Jurisdictione illius qui est judex tantùm de jure speciali, quia non censetur habere Jurisdictionem, nisi in quantum est vigil, et hoc casu non propriè fit devolutio, seu transtatio porestatis de uno ad alium, feu potius recuperatio, sed reversio ad pristinum statum.

Les Receveurs des Consignations ne peuvent étendre leurs fonctions dans les Hautes. Iustices, car le Roy leur ayant concedé toute Iustice, il ne peut plus établir d’Officiers dans leur térritoire, et par la même raison, des Receveurs de Conlignations. La même chose s’observe au Parlement de Paris, suivant un Arrest donné en l’Audience de la Grand. Chambre le 29 de Novem pre 1650. pour M. l’Evesque de Laon, contre le Receveur des Cousignations du Bailliage de Laon.

Il faut encore observer que ni le Haut-lusticier, ni même le Iuge Royal, ne peut pronon cer en ces termes, sans pour cela encourir aucune note d’infamie, suivant un Arrest ancien du 3 de Iuillet 1559 et que cela n’appartient qu’aux Parlements.


XIV.

Il doit faire les frais des procez criminels, pour crimes, excez et delicts commis au district de sa Haute-Justice, et mêmes en cause d’appel

Suivant l’Article 12. du Reglement de 1666. le Roy et les Hauts-lusticiers sont tenus d’avancer les frais de la conduite des prisonniers, dont ils auront recours sur la partie civil ; le Reglement fut fait conformément à l’Arrest du 24 de lanvier 1665. sur un partage de la Chambre de la Tournelle pour Mr le Duc de Boüillon ; l’Ordonnance dit la même chose, et à la Chambre les Comptes, on ordonne un recours sur la partie.

Mais pour éviter aux abus que les Juges iubalternes commettoient souvent sur l’adjudication de la conduite des prisonniers, la Cour fit un Reglement en lannée 1634. par lequel il sut enjoint aux Juges de faire l’adjudication de la conduite des prisonniers, la Jurisdiction scante, en la presence du Substitut de Mr le Procureur General du Roy et du Receveur du Domaine.

Chaque Receveur du Domaine est tenu de fournir les frais du procez criminel, qui a com mencé et qui s’instruit dans l’etenduë du Domaine dont il est Receveur. Mais cette question s’est muë, si un procez criminel étant évoqué et renvoyé en un autre Siege, où il avoit été jugé, le pain du Roy, les gites et gardes devoient être payez par le Receveur du Domaine du Siege d’où le procez avoit été évoqué, ou par celuy du Siege où il avoit été jugé. Un procez avoit été évoqué du Siege de Mortaing, et renvoyé en celuy de Carenten ; Iulien Cordon Re ceveur du Domaine de Mortaing êtoit appelant d’une Sentence renduë par le Iuge de Carenten, qui le condamnoit à restituer le pain du Roy, et les gites et gardes, et pour causes d’appel il representoit que par l’évocation du procez il avoit été privé des amendes et droits de Iurisdiction, que les amendes jugées en un autre Siege appartiennent au Receveur du Domaine lu lieu, et par consequent c’étoit à luy de payer les frais : si le procez et les accusez fussent semeurez à Mortaing, l’instruction en eût été faite plus promptement ; la longueur inévitable dans finstruction d’un procez évoqué, consumeroit en frais tous les fruits d’un autre Do-maine. Unicus est fiscus, sed multa et diverse stationes fisci : compensatio non fit de una statione ad aliam l. 1. C. de compensat. Philippes Receveur du Domaine de Carenten répondoit, que le crime ayant été commis sur le térritoire de Mortaing, ibi agi oportuit. Si les biens eussent été confisquez, la confiscation auroit appartenu au Domaine de Mortaing, et que pour faire cesser la plainte du Receveur du Domaine de Mortaing, il luy abandonnoit le profit des amendes qui avoient été jugées ; par Arrest de l’année 1626. on confirma la Sentence qui condamnoit le Receveur du Domaine de Mortaing à la recompense du pain du Roy, des gites et des geolages.

On a fait encore cette autre question pour les amendes, si le Haut-lusticier ayant fait les frais du procez criminel, qui depuis est jugé par la Cour, il doit avoir à son profit les amendes ugées par la Cour, ou si elles appartiennent au Roy : Il sembloit raisonnable que le condamné tant justiciable du Haut-lusticier, et les frais ayant été avancez par luy, que cette amende luy fût ajugée, pour le recompenser ; et néanmoins par Arrest en la Tournelle du 22 de Février 1659. fut dit que les amendes jugées par la Cour appartenoient au Roy.

Le Haut. lusticier doit fournir les frais du procez criminel, qui s’instruit dans sa Iustice. La Coûtume ne l’obligeant point en plus outre, on demande si poursuivant le jugement d’un appel interjetté par l’accusé et l’en faisant debouter, il doit avoir les dépens sur l’accusé : Un particulier ccusé devant le Bailly de Longueville, appella de la procedure criminelle faite contre luy. Mr le Duc de Longueville prenant le fait de son Procureur, le fit debouter de son appel ; et sur ce que Baudri, son Avocat, demanda les dépens de la cause d’appel, Theroude, Avocat de l’appelant, s’y pposa, se fondant sur cet article qui oblige le Haut-lusticier à faire les frais des procez criminels, même en cause d’appel, et puisqu’il étoit au droit du Roy par la concession qu’il luy a faite de la puissance publique, il êtoit tenu à cette charge : Baudri répondoit, que lors que le procez s’instruit dans la Iustice du Haut-lusticier, il doit fournir tous les frais necessaires pour l’instruction et le agement d’iceluy ; et quoy qu’il soit aussi tenu de les faire en cause d’appel, il n’est pas exclus d’en llemander recompense contre celuy qui a appelé mal à propos, et sa condition en ce cas n’étoit pas pareille à celle du Roy ; il faut qu’il pave les droits du Sceau et des Greffes, ce que le Roy ne fait pas. Par Arrest du 23 de lanvier 1655. la Cour condamna l’appelant aux dépens, qu’elle modera à ne legere somme. On avoit formé la même difficulté le ro de lanvier 1645. en la même Chambre de la Tournelle, et d’abord Mr de Longueville fut refusé des dépens qu’il demandoit, mais Baudri, son Avocat, ayant representé qu’on avoit toûjours jugé le contraire, les dépens hy furent ajugez


XV.

Hauts-Justiciers tenus demander renvoy.

Les Hauts-Justiciers sont tenus demander aux Juges Royaux le renvoy des causes dont ils pretendent la connoissance leur appartenir, sans qu’ils puissent aser de défenses à l’encontre desdits Juges Royaux et des Sujets du Roy.

Le Glossateur de l’ancienne Coûtume s’est fort étendu sur cette question, si le Haut-Iusticier est tenu d’aller demander au Iuge Royal le renvoy de la matière qu’il prétend être de sa competence, et je m’étonne qu’il ait conclu pour la negative, car cet article même est de l’ancienne Coû-tume, Chap. des Cours. Le Duc doit avoir la Cour de tous les cas qui appartiennent à sa dignité, et de toutes autres choses qui appartiennent à Cour-Laye, et dont plainte est faite à luy, mais si aucun requiert la Cour de ce dequoy doit l’avoir, elle leur sera ronduë : Omnis Jurisdictio regni Regis est, ditdu Moulin , de feud. S5. 5. gl. 3. n. 10. et sed. Et solus regius judex est ordinarius & fundatus de jure communi : Et c’est pourquoy tous autres Iuges sont sujets à demander le renvoy, ou, comme parent quelques Coûtumes, à requerir obeissance ; Pratoris enim est estimare an sua sit jurisdictios.

Ils ne peuvent user de défenses, il est de leur devoir de venir demander le renvoy, ce qu’ils peuvent faire en quelque état que soit la cause par devant le Juge Royal. Choppin du Domaine l. 2. t. 1. 4. car les Jurisdictions étant in fructu et patrimoniales, ils sont recevables à conserver leur competence, et le renvoy doit être fait ; nonobstant même le contredit des parties plaidantes, pourvû R de le Seigneur Haut-Justicier prouve qu’ils sont ses Justiciables ; Mais une partie ne peut demander le renvoy, parce que le Juge Royal est son Juge naturel, et le Juge Royal fundatus est in omni Jurisdictione, toutes Justices appartiennent au Roy, et comme toutes les autres en sont émanées, elles y retournent aisément par la negligence du Seigneur.Molin . 5. 2. gl. 3. n. 9.

Le Sujet du Roy seul peut demander son renvoy, et suivant cet ancien Brocard, que l’amveu emporte l’honneur ; à l’égard du vassal d’un Haut-lusticier, il faut que son seigneur vienne à son secours : Le Iuge Royal peut faire défenses de plaider ailleurs que devant luy, mais cela n’est pas ermis au Haut-Justicier. On n’est point tenu de comparoir devant un Iuge qui n’est point Royal, pour demander son renvoy.

Berault et Godefroy sur cet article ont été d’avis que, quand deux Hauts-Justiciers demandent le renvoy d’une cause, que chacun d’eux prétend être de sa competence, s’ils sont tous deux du Ressort d’un même Juge Royal, ce Juge Royal en pourra connoître par main Souveraine, jusqu’à ce que le different des Hauts-Justiciers soit vuidé.

Il est vray qu’en quelques lieux de la France on le pratique de la sorte, mais en Normandie le uge Royal ne pourroit se donner à luy-même la connoissance du different par main Souveraine, il seroit obligé de renvoyer les parties à la Cour, laquelle luy en donneroit la connoissance, durant a contestation entre les Hauts Justiciers, ordo confunditur cum unicuique Jurisdictio non servatur. C. cum peroenit n. 9. 1.

Comme les Juges Royaux ne se dessaisissent pas volontiers, et ne prononcent qu’avec peine le renvoy qui leur est demandé ; Par Arrest du 20 de Novembre 1664. il leur fut enjoint d’v p ononcer sans delay, et aux Greffiers, en cas d’appel, d’expedier les Sentences en papier. II1 uit encore enjoint au Juge Royal de faire le renvoy à la Cour à jour certain, pour dispenser les Hauts. Justiciers de prendre des lettres à la Chancellerie, et de donner des assignations. Il n’est Es neanmoins necessaire, comme le prétendent mal à propos quelques Juges Royaux, que le Procureur fiscal vienne en personne, c’est assez que le Procureur qui parlera pour luy soit fondé d’un pouvoir special, comme il fut jugé pour Mr le Duc d’Elbeuf, par Arrest du premier de Février 1619

Celuy qui est ajourné devant le Juge Royal doit comparoître, bien qu’il soit domicilié dans une Haute-Justice, et ce n’est pas à luy à proposer le déclinatoire, mais le Seigneur Haut-Justicier doit se presenter pour le reclamer, au contraire le sujet du Roy, ne seroit pas J renu de comparoître sur l’ajournement qui luy seroit donné devant le Haut-Justicier. La l. 1o. ff. de judiciis qui a décidé que vocatus ad pratorem venire debet ad hoc ipsum, ut sciatur an sua sit jurisdictio, ne s’entend, comme a fort bien remarquéLoyseau , l. 1. c. 8. des Offices, que de celuy qui est ajourné devant son Juge naturel et ordinaire mais qui a quelque privilege et quelque exception pour décliner son Tribunal : En effet cette loy et la l. 2. si quis vocatus, ff. contiennent ces mots, privilegia sua allegaturi. Celuy qui est ajourné hors son térritoire est aux termes de la loy extra territorium jus dicenti impunè non paretur. ff. de Jurisd.

On a néanmoins fait cette distinction, que quand celuy qui est domicilié dans une HauteJustice est ajourné devant un Juge Royal, dans le territoire duquel cette Haute-Justice n’est, point enclavée ; en ce cas le Haut-Justicier n’est point tenu d’aller demander le renvoy, et que même son justiciable le peut demander sans être reclamé par luy, cet Article n’ayant lieu que quand on est ajourné devant le Juge Royal, dans le district duquel la Haute-Justice est enclavée. Et quand cela n’est pas on peut luy opposer avec raison que extra territorium jus dicenti impunè non paretur. Ainsi jugé en la Grand. Chambre le 20 de May 1670. ce qui avoit été jugé auparavant par Arrest du 13 de Novembre 1663. en la Chambre des Vacations entre B Me Denis Maillard, appelant, et Me Vsambard Nicole, intimé ; on cassa un Mandement obtenu du Bailly de Roüen comme incompetent ; et l’on renvoya les parties en la HauteJustice de la Ferté en Brey qui étoit le luge de Maillard ; et on tint pour maxime que le Procureur fiscal de cette Haute-Iustice qui étoit située dans les enclaves du Bailly de Caux, n’étoit point sujet d’aller demander le ronvoy en un autre Bailliage, et que c’étoit le sons de cet Artiele.


XVI.

Pleds et Assises des Hauts-Justiciers.

Les Hauts-Justiciers, soit qu’ils soient ressortissans sans moyen en la Cour ou autre lieu, ne peuvent tenir leurs Pleds et Assises pendant le temps que les Juges Royaux tiennent leurs Pleds et Assises dans les Vicomtez et Sergenteries, aux enclaves desquelles lesdites Hautes. Justices sont assises : et se regleront sur le temps de la Mession qui sera baillée et déclarée par les anciens Baillifs Royaux,

Cet Article est une imitation de ce qui se pratiquoit sous la premiere et la seconde Race les Rois de France, où les Comtes qui étoient alors les Iuges ordinaires, ne pouvoient tenis leurs Assises, pendant que les Missi dominici tenoient leurs Assemblées. Capitul. Caroli Mag. c. c. 63. On a estimé qu’il étoit juste que les Hauts-lusticiers rendissent le même honneur aux Saillifs Royaux : par un Arrest de l’Echiquier de l’an 1391. il fut défendu à tous Iuges inferieurs de tenir aucuns Pleds ni Assises pendant la sceance de l’Echiquier ; et par un autre Arrest e l’année 1663. pareilles défenses furent faites aux Hauts-lusticiers de tenir leur Iurisdiction. endant les Assises du Iuge Royal, quand elles sont enclavées dans son térritoire ; et le Glossateur de l’ancien Coûtumier en rend cette raison, que les Barons devoient être aux Assises afin de faire les jugemens, et pour ce cessent leurs Iurisdictions l’Assise Royale seant où leurs Baronnies sont enclavées. Bouvot témoigne que la même chose se pratique en Bourgogne, dans son Commentaire sur la Coûtume de Bourgogne, Article 1.

Tout cela a pris son origine des Envoyez ou Miffi dominici, les Comtes et les Cen teniers, qui étoient les moindres Iuges, étoient tenus de se trouver devant les Comtes pour être repris de leurs fautes et pour voir corniger ce qu’ils avoient mal-jugé, et c’est pourquoy leurs onctions cessoient pendant que les grands Comtes tenoient leurs Assemblées, parce qu’ils étoient obligez de s’y trouver. L’Echiquier ayant été établi par nos Ducs, ils s’attribuerent le même pouvoir. C’est de-là que procede cette Coûtume qui s’observe encore aujourd’huy, qu’à l’ouverture de chaque Bailliage les Juges doivent comparence à la Cour.

Le mot d’Assises en cet Article signifie la sceance du Bailly, dans nôtre vieil langage il signifioit quelquefois une loy ou constitution. Chopin en sa Preface de la police Ecclesiastique, a remarqué que Godefroy de Boüillon et le Patriarche de Ierusalem firent des Ordonnances qu’ils publierent sous le nom d’Assises : Les Anglois se servent de ce mot en ce même sens, l. 13. c. 7. et passim alibi in tractatu de leg. et consuetud. Angliae. Nous le trouvons aussi en cette signification dans nôtre ancienne Coûtume, et en celle de Bretagne, voyez d’Argentré sur le Reglement de Gefroy Duc de Bretagne, l’Assise du Comte Godefroy. Et ce mot a passé usques dans la Poüille et dans la Galabre, se trouvant plusieurs fois employé dans les constitutions Neapolitaines, verbum Assisia multas significationes habet, dit Matth. de afflict. l. 1. 1. de Officio justitiarii. Et j’estime qu’il s’y est établi dés le temps de nos braves Normans.

On s’en est servi pour exprimer les Assemblées qui se tenoient pour rendre la Justice, que les Auteurs de la basse latinité ont appellées Mallum publicum, M Bignon en ses Nottes sur Marculphe Mallus, Placitum majus, ubi majora negotia à Comite finiuntur, vide plura apud eundem.

Pithou sur les Capitulaires de Charlemagne. Loyseau des Seig. c. 7. n. 14. les Assises, dit cet Auteur, n’étoient que pour les grandes causes dont les grands Seigneurs se refervoient la connoissance.

Cette distinction d’Assises et de Pleds êtoit en usage avant nos Ducs, et ils emprunterent des François cette manière de rendre la Iustice. In Capitul. Caroli Calv. apud Parisiacum in finei nallum à placito distinguitur, ut illud sit publicus majorum causarum conventus, Placitum sit minorum. Le lieu où se tenoit le Mallum, où l’Assise s’appelloit Malloburgium lege Salica t. 56. quasi habitatio malli. Burgium est habitatio, Spelman in Glossario, quasi habitatio malli, de Roye c. 4. Miss. domin. ad justitiam.

La dispute fut mûé au grand et au privé Conseil, sçavoir si les appellations des HautesJustices aux causes qui n’excedent 25o livres devoient se traiter en la Cour ou aux Presidiaux, et il fut dit au grand Conseil qu’un Arrest obtenu par les Iuges des Presidiaux seroit revoqué, et encore par un autre Arrest du privé Conseil et de la Cour, la question ayant êté renouvelée par tous les Iuges des Presidiaux, sous le nom de celuy de Caudebec, ils surprirent un Arrest du grand Conseil, mais la Cour fit défenses de l’executer. Depuis ayant encore surpris un Arrest au privé Conseil, cela donna lieu d’examiner les Régistres de la Cour, et on trouva dans l’inventaire des lettres et pieces du greffe, que lors de l’établissement des Presidiaux, on donna à la pluspart des Hautes-Iustices des lettres d’exemption de la Iurisdiction des Presodiaux, et lors de la reformation de la Coûtume en l’an 1583. cet Article parlant des Hautes-dustices ressortissantes à la Cour, fut arrété sans aucune opposition de la part des Presidiaux Ce n’est plus aujourd’huy une question que toutes les appellations des Hautes-Iustices qui ressortissent sans moyen à la Cour, des causes qui sont au dessous de l’Edit des Presidiaux, se relevent en la Cour.

Les Seigneurs Hauts-lusticiers pretendent aussi que les Iuges Consuls ne peuvent connoître des causes de leurs justiciables, parce que le Roy par l’érection de la Iurisdiction des Consuls n’a pû leur ôter le droit qu’il leur avoit accordé par les lettres de commission de leurs Iustices.

Et l Parlement de Paris n’y a point fait de difficulté à l’égard de ceux dont les Hautesustices sont hors le ressort des Bailliages, où il y a des Iuges Consuls établis. Et outre les Arrests remarquez par Loyseau des Seig. c. 14. n. 68. il s’en trouve encore un dans le Journal des Audiences, 2. p. l. 2. c. 14. entre Mr le Duc de Retz, Comte de loigny, appelant, et les Iuges Consuls de la ville d’Auxerre. Mr le Duc de Retz soûtenoit que les Juges Consuls d’Auxerre n’avoient pû connoître du different qui êtoit entre deux particuliers, sujets à la Jurisdiction du Comté de Joigny, dautant que le Comté de Joigny n’étoit point du ressort du Presidial d’Auxerre ; mais de celuy. de Troyes ; et si les Juges Consuls avoient eu droit d’en prendre connoissance, c’étoit aux Juges Consuls de la ville de Troyes, et non point à ceux d’Auxerre ; par l’Arrest du 18 d’Aoust 1659. défenses furent faites aux Consuls de la ville d’Auxerre de connoître à l’avenir des causes des marchands, sinon de ceux du ressort du Bailliage d’Auxerre.


XVII.

Quel est le pouvoir des Sergents Royaux dans les Hautes-Justices.

Les Sergents Royaux ne peuvent faire exploits dans les Hautes-Justices, sans avoir mandement ou commission du Roy, ou des Juges Royaux, dont ils fe ront apparoir aux Hauts-Justiciers, s’ils en sont requis, fauf pour les dettes du Roy, ou pour cas de Souveraineté, pour crime, ou pour chose où il y eût éminent peril.

Par Arrest du 20 de Mars 1619. au Rapport de Mi Martel, entre Besoches et le sieur du Ménil Vasse, il fut jugé qu’un Sergent Royal ne pouvoit faire un exploit de clameur dans une Haute-ustice, sans un Mandement du Iuge Royal.

Les Hauts-Justiciers ne pretendent pas seulement que les Sergents Royaux ne peuvent exploiter dans l’etenduë de leurs Seigneuries, que pour les causes et par les voyes expliquées Ee par cet Article : Ils soûtiennent aussi que le Roy suivant les bornes qu’il luy a plû de donner en leur faveur à sa puissance Royale, ne peut créer de Notaires ni de Sergents dans leurs Hautes-Justices : et par cette même raison défenses ont été faites aux Tabellions Royaux d’i faire aucunes fonctions : La Cout a fait plusieurs Reglemens sur ce sujet, et cela fut encore jugé en l’Audience de la Grand-Chambre le 22 d’Aoust 1645. pour les Tabellions de Ron cheville contre les Tabellions Royaux de Honfleur, plaidans Coquerel et le Boulange, Cette contestation se renouvelle souvent, si les Sergents et Notaires Royaux peuvent établir leur residence dans le térritoire, du Haut. Justicier Par lOrdonnance de Philippes le Bel, les Notaires et Sergents ne peuvent demeurer aux terres des Hauts-Justiciers, contre leur gré, s’ils ne sont nez en ce lieu-là, ou s’ils ne s’y sont mariez, et en ces deux cas ils ne peuvent faire aucunes fonctions de leurs offices ; et même aux cas de ressort et des cas Royaux ils ne peuvent s’en mêler ; mais ils seront mis à execution nent peril. par d’autres Sergents ; Bacquet des droits de Justice, c. 7. 26. n. 7. Coquille sur la Coûtume de Nivernois ; Article 25. titre des droits de Justice, a écrit que les Seigneurs Châtelains. peuvent empescher qu’un Notaire Royal ne vienne demeurer dans leur territoire ; et Loyseau des Seig. c. 8. n. 87. est bien d’avis conformément à la Coûtume de Nivernois, que le Roy. ne peut mettre de Notaires dans les terres des Châtelains, mais il n’estime pas que cela doive s’étendre aux simples Hautes-Justices. En Normandie nous ne faisons point de distinction 1 entre les Hautes-Justices des Châtelains et celles des simples Seigneurs de fief, elles sont toutes d’un même titre et d’une pareille autorité, fors en ce cas que quelques-unes ressortissent directement en la Cour, et les autres devant les Baillifs.

On n’a pas tenu cette rigueur au Parlement de Paris contre les Notaires et les Sergents, on leur a permis de resider dans les terres des Seigneurs, à condition de ne distraire leur Justice, et de n’exploiter qu’en cas Royal et de ressort : mais en cas de contravention, on les en peut chasser, suivant le sentiment de Loyseau des Seig. c. 8. n. 59.

Il semble pour les Sergents Royaux que l’on pourroit leur laisser cette liberté, parce qu’ils sont obligez souvent d’executer les mandemens des Juges Royaux, et neanmoins cela leur est défe ndu par l’Ordonnance de Philippes le Bel, et conformément à icelle, les Hauts. Justiciers ont entrepris de les faire sortir de leurs territoires.

Par Arrest du 23 de Janvier 1653. entre M. Lanfranc Bouchard ; Haut-lusticier, Vicomte de Blosseville, demandeur en execution de l’Arrest de la Cour, du 20 d’Avril 1649. par lequel commission luy avoit été accordée pour faire ajourner Isaac le Clere, Sorgent àS Arques, pour reparer les entreprises par luy faites en la Haute-Justice de Blosseville, et demandeur en Requête tendante à ce qu’en jugeant le different d’entre les parties, défenses fussent aussi faites audit le Clerc, de faire sa demeure dans les enclaves de ladite Haute.-Justices et ledit le Clerc ajourné et défendeur, aprés que Caruë pour le demandeur eut conclut à son mandement et requête, et demandé que pour la contravention dudit le Clerc, il fût condamné en ses interests ; et que le Sauvage pour le Clerc eut remontré, qu’il étoit constant qu’il demeuroit dans sa maison et sous le district de sa Sergenterie, et que partant il devoit être absous des conclusions du demandeur : la Cour fit inhibitions et défenses audit le Clerc de faire aucuns exploits dans l’etenduë de ladite Haute-Justice, et luy enjoignit de sortit nors de ladite Paroisse de Hautemesnil, sans qu’il y puisse resider tant qu’il exercera ladite Sergenterie. Cet Arrest est d’autant plus notable que ce Sergent êtoit proprietaire de la maison en laquelle il demeuroit, et peut-être que dans une autre rencontre on ne forceroit pas un Sergent à sortir de sa propre maison.

Aussi la même question ayant été plaidée entre Catherine Roussel, veuve de Daniel de la Rive, tutrice de les enfans, proprietaire de la Sergenterie de Baqueville, prenant le fait de Richard Dieupart, son Commis, contre Jean Boulard Sergent en la Vicomté ; sur ce que e soûtenois, que Boulard ne pouvoit établir son domicile à Baqueville, et qu’il devoit se retirer sur la Vicomté d’Arques, conformément à l’Arrest donné pour M’de Blosseville ; la Cour appointa les parties au Conseil.

Les Notaires et Tabellions Royaux affectent avec moins de pretexte de resider dans les dautes-Iustices, et c’est pourquoy sur la Requête presentée à la Cour le 20 de Mars 1649. par Mr le Duc de Longueville, tendante à ce que pour éviter à l’avenir au préjudice notable u’il recevoit dans l’etenduë de son Duché, par les Tabellions d’Arques et leurs sous-branchez, bi passoient continuellement des contrats hors de leur étenduë ; il fût ordonné que les Tapellions Royaux se retireroient sur la dépendance de leur Tabellionnage, où il leur seroit enjoint de demeurer. La Cour, de la requisition du Procureur General, enjoignit tant aux Tabellions Royaux, qu’à ceux du Duché de Longueville, de faire actuelle residence sur leur district, et leur sit tres-expresses défenses d’aller dans le district les uns des autres, passer aucuns contrats, à peine de cent livres d’amende, à laquelle fin l’Arrest seroit publié et affiché.

Mr l’Evesque de Lisieux ayant aussi pretendu que les Tabellions Royaux d’Orbec ne pouvoient demeurer dans le district de sa Haute-Iustice, il le fit juger de la sorte par ses Officiers. Sur l’appel les Tabellions Royaux representerent que depuis temps immemorial ils avoient fait leur residence ; par Arrest en l’Audience de la Grand : Chambre du 27 de Février 1652. en amendant la Sentence, on ordonna par provision qu’ils y continuëroient leur demeure.

Mr l’Archevesque de Roüen ne voulut point aussi permettre aux Tabellions Royaux de faire leur residence dans la ville de Dieppe, la cause fut portée en la Cour, sur quoy intervint l’Arrest qui suit-


Extrait des Registres de la Cour de Parlement.

Notre Maître Antoine le Mareschal Tabellion Royal en la Vicomté d’Arques, ayant épousé Jeanne Mannicher, fille et cohéritière en la succession de feu Me Michel le Mannicher, vivant ropriétaire de la moitié du Tabellionnage de ladite Vicomté d’Arques, appelant de Sentence renduë aux Requêtes du Palais à Roüen le 18 de Janvier 1675. et de tout ce qui fait a été en consequence ; par laquelle Sentence entr’autres choses défenses ont été faites à Mes Guillaume Dubusc et Laurens Hedin Tabellions à Arques, et à tous autres Tabellions, de prendre la qualité de Tabellion à Dieppe, d’y passer aucuns contrats, et d’y resider pendant leur fonction à peine de nullité, et condamnez à la restitution des émolumens, si aucuns ont été par eux perçûs, envers Mr Abraham Mouton intimé, dont il baillera état qui sera reglé par le Conseiller Commissaire, avec dépens, et permis de faire lire et afficher ladite Sentence oû son avisera bien, comparant par Me Jacques Bunel, son Procureur d’une part : Marie le Vavasseur, veuve de Me François Touchaix, fermière du Comté de Dieppe, ayant pris le fait udit Me Abraham Mouton, son subranché au Tabellionnage du Bailliage, Ville, et HauteJustice dudit lieu, intimée sur ledit appel : et Mre François Rouxel de Medavy, Conseiller ordinaire retenu aux Conseils du Roy, Archevesque de Roüen, Primat de Normandie, Comte, Seigneur et Haut-Justicier dudit Dieppe, aussi intimé, et défendeurs ; comparens, sçavoir ladite veuve par Me Jacques Barquet, et ledit sieur Archevesque par Me Jean Deouche, son Receveur general, et par Me Jean Roger, leur Procureur d’autre part ; en la pre-sence des Juges et Officiers Royaux du Bailliage de Caux en la Vicomté d’Arques, demanseurs en requête d’intervention en datte du 18 de Juin dernier comparens par le pubstitut du Procureur General du Roy en ladite Vicomté, et par Me Jean Hamelin leur Procureur d’une autre part, sans que les qualitez puissent préjudicier : Oüis Ulon Avocat pour ledit le Mareschal, lequel a dit que la question est de sçavoir, si les Notaires Royaux de la Vicomté d’Arques, peuvent demeurer dans la ville de Dieppe sur les mouvances du Roy, pour y faire leur fonction de Notaire, et que cette question se devoit juger par le droit general, par le droit particulier, et par la possession ; que pour le droit general, il étoit necessaire dans une Ville de commerce comme est Dieppe, qu’un Notaire Royal y fît sa residence, pour lexecution des contrats entre toutes les personnes étrangeres, parce que les contrats passez sous le sceau des Seigneurs étoient bien hypothequaires, mais qu’ils n’étoient pas executoires hors le térritoire des Seigneurs, et qu’ainsi pour lexecution des contrats, la residence d’un Notaire Royal dans une Ville de commerce, étoit d’une necessité et d’une commodité publique, ce qui avoit été jugé par les Edits et Declarations des Rois François I. Henry Il. qui veulent que dans chacun territoire et chacune teneure des Seigneurs, il y it un Notaire Royal qui y reside, et fasse la fonction de Notaire ; que pour le droit particulier e Roy possede plusieurs mouvances dans la ville de. Dieppe, relevantes immediatement de son Domaine, suivant les Registres, les Aveux, et les Declarations qui en font foy, comme ussi plusieurs Seigneurs particuliers, lesquels possedent dans la même ville les fiefs de Cottecotte, S. Aubin le Cauf, l’Orfevrerie, la Magdeleine, Varengeville, et autres, qui tous sont relevans du Domaine de la Vicomté d’Arques, et sur lesquels les Notaires Royaux peuvent lemeurer, n’étant pas loisible à aucun Seigneur de faire sortir des Notaires Royaux sur le fonds du Roy, ni empescher de mettre leurs Bureaux et leurs Ecritoires, pourvû qu’ils ne fassent point d’entreprises aux termes de la Declaration de sa Majesté ; qu’il est bien vray que par l’échange qui fut faite de la ville de Dieppe en l’an 1197. par Richard Il. Duc de Normandie contre Gaultier Archevesque de Roüen, qui bailla en contr’échange les villes d’Andely, la ville de Dieppe fut cédée audit Seigneur Archevesque, avec toutes ses déendances ; mais que depuis ladite ville a été augmentée soit du térritoire du Roy ou des Seigneurs, et qu’il n’en faut point d’autre preuve que les anciens vestiges de la ville, et de ce qu’on l’a augmentée de forteresses et de Temples, et que l’on y a depuis établi trois differentes Jurisdictions Royales, sçavoir une Amirauté, un Grenier à Sel, et des : Consuls, toutes lesquelles Jurisdictions s’exercent dans la ville de Dieppe ; car quoy que le Tabellion. nage soit une portion du greffe de la Jurisdiction ordinaire dudit Seigneur Archevesque, neanmoins étant constant que lesdites trois Jurisdictions Royales possedent des greffes separez, il falloit aussi que les Notaires Royaux de la Vicomté d’Arques fissent à l’exclusion du Notaire subalterne les contrats maritimes, les chartes-parties, les affretemens, suivant qu’il voit été jugé par un Arrest rendu en l’année 1630. sur les conclusions du Procureur Genéral, en favéur des Notaires Royaux de la Vicomté d’Arques, et qui avoit été suivi par un autre Arrest de la Cour, rendu en faveur des Notaires Royaux de la ville de Lisieux, contre les pretentions de l’Evesque dudit lieu, qui y possede, toute la Justice : qu’au regard de la possesfion elle devoit demeurer constante par les Registres representez, ne pouvant se rencontren aucun Noraire Royal de la Vicomté d’Arques, qui n’eût residé et fait la fonction de Notaire dans la ville de Dieppe, offrant verifier et prouver cette possession qui ne pouvoit être conestée ; qu’au surplus les Juges Royaux d’Arques residoient dans la ville, et que le Lieutenant General d’Arques presidoit dans l’Hôtel commun de la ville de Dieppe ; comme aussi le ge d’Amirauté qui prefere le Juge du Seigneur Archevesque dans toutes les assemblées publiques ; qu’il est bien vray que Philippes Roy de France avoit aussi donné le Pollet audit Seigneur Archevesque, mais que le Pollet étant separé de la ville par un pont et par la rivière, cela n’empeschoit pas que la ville de Dieppe ne fût augmentée, puisque le Roy. possede des teneures immediates qui ne sont contonuës dans la teneure dudit sieur Archevesque ni dans son chartrier, et qui n’ont jamais été reclamées ; car quoy que l’Ordonnance du Roy Jean en 1328. fasse défenses aux Notaires Royaux de la Vicomté d’Arques d’entreprendre sur les Notaires dudit Seigneur Archevesque, néanmoins outre que cette Ordon-nance ne fait aucune mention de la residence, c’est qu’elle regardoit seulement les Notaires Royaux residans à Arques, mais non pas les Notaires Royaux de la Vicomté d’Arques, Sergenterie d’Offranville, dont est presentement question ;, parce que cette Sergenterie est étenduë non seulement dans Offranville, mais aussi dans Longueville, Dieppe et Hottot pour les exploits mobiliers et hereditaires, et a ce privilege, que l’Archevesché vacant en regale, le Sergent qui la possede en fait louverture, et peut y commettre pour faire la fonction de Sergent, ce qui est une preuve que les Notaires Royaux de cette Sergenterie y ont toûjours residé, d’où resulte qu’il a été mal-jugé par la Sentence dont est appel ; et que les Notaires Royaux doivent resider dans la ville de Dieppe, sur les mouvances du Roy pour faire leur fonction de Notaire. Theroude Avocat pour les Juges et Officiers d’Arques, qui a dit qu’au moyen de la Declaration passée au Parquet des gens du Roy, que l’Arrest qui interviendra ne leur pourra faire préjudice, il se rapporte aux parties de prendre telles conClusions qu’elles aviseront bien : Greard Avocat pour ladite veuve Touchaix, lequel a dit que du commencement il a parlé en la cause pour le nommé Mouton, fermier du Tabellionnage. le Dieppe ; mais les entreprises des Tabellions Royaux, et Iimpossibilité de joüir de sa ferme qu’il tenoit à 136o livres, l’ayant fait absenter du païs, il se trpuve reduit à parler pour la veuve du Receveur General, qui luy ayant baillé ledit Tabellionnage, étoit obligée de le faire joüir, comme ledit sieur Rouxel Archevesque de Roüen, de sa part est tenu de faire diminution à proportion. Or en cette qualité et sans préjudice de la garantie contre ledif sieur Archevesque ; il soûtient qu’il a été bien jugé par la Sentence des Requêtes, non feurement aux chefs qui défendent ausdits Hedin, Dubusc, et autres Tabellions Royaux de prendre la qualité de Tabellions de Dieppe, d’y faire aucun exercice, d’ôter les Tableaux qu’ils avoient affichez, et de rendre les émolumens qu’ils ont injustement perçûs, mais encore au chef qui leur fait défenses de resider dans ladite ville, tant qu’ils feront l’exercice au Tabellionnage Royal ; en effet s’ils ne sont point Tabellions de Dieppe, et s’ils n’ont point droit d’y faire aucune fonction, il est d’une futte necessaire qu’ils n’y puissent resider, parce que cette residence seroit une occasion continuelle de dépoüiller les Tabellions de la Justice. Or il n’est pas difficile d’établir et par les pieces qui ont été communiquées, et par le propre fait de l’appelant, que les Tabellions Royaux dArques, soit de la Sergenterie d’Offrainville, soit de celle de ne peuvent prendre le nom de Tabellions de Dieppe, ni faire aucun exercice dans le térritoire de ladite ville ; car premierement par le contrat d’échange fait entre Richard Duc de Normandie et Gaultier Archevesque de Roüen en l’année 1197. il se voit qu’en échange des villes d’Andely, le Duc cede à l’Archevesque la proprieté de la ville de Dieppe avec ses dépendances ; et tout ce qui luy appartenoit en icelle, à la réserve seulement de 27a livres de rente qui doivent être distribuez aux pauvres par les mains de l’Archevesque : Et par un autre contrat fait entre Philippes le Bel et le sieur Archevesque de Roüen en 1283. le Roy luy cede encore la ville du Pollet avec les jardins et tout le territoire des environs jusques aux confins du Prieuré de Longueville avec la Haute-Justice et le foüage qui luy appartenoit ; en sorte qu’on ne peut douter que lesdits sieurs Archevesques étant fondez aux droits du Roy sans aucune limitation, et ayant l’exercice de leur HauteJustice dans tout le territoire de ladite ville et des environs, ils n’ayent aussi le droit de Ta-bellionnage dans ce même térritoire, au préjudice et à l’exclusion des Tabellions Royaux, puisqu’il est certain que le Tabellionnage est une suite et une dépendance de la Justice, le sceau du Haut-Justicier se divisant en deux branches, dont l’une qui est le greffe est pour l’exercice de la Jurisdiction contentieuse, et l’autre qui est le Tabellionnage est pour l’exercice de la Jurisdiction volontaire : auffi quand les Tabellions Royaux ont voulu faire quelques entreprises sur ceux du Haut-lusticier ils ont été severement condamnez, il n’en faut point d’exemple plus formel ni plus autentique, que ce qui s’est passé en 1336. et 1337. où il sevoit que le sieur Archevesque de Roüen s’étant plaint au Roy Jean, qui étoit alors Duc de Normandie sous le Roy Philippes de Valois son pere, non pas de ce que les Tabellions Royaux residoient en la ville de Dieppe, car ils ne l’ont jamais pretendu, mais de ce que par entreprise et par convoitife d’avoir l’émolument, ils venoient quelquefois et envoyoient leurs Cleres dans la ville de Dieppe pour recevoir les obligations et confessions des parties : Ce Prince par trois Ordonnances consecurives mande au Bailly de Caux, qui resistoit à ses ordres et appuyoit les Tabellions Royaux, qu’il eût à faire reparer les entreprises qu’ils avoient faites dans la terre et Haute-Justice dudit sieur Archevesque en telle sorte qu’il n’eûr plus occasion de s’en douloir, aprés quoy il est étrange que les mêmes Tabellions Royaux viennent aujourd’huy renouveler une question si solemnellement décidée, et principalement ledit le Mareschal qui ayant été vingt-cind ans Tabellion de la Haute-Iustice, et l’étant obligé par ses baux de conserver la possession de son Maître, et d’empescher que les Tabellions Royaux ne fissent aucune fonction dans ladite ville, n’est pas à present recevable à venir contre son propre fait, autrement il profiteroit luy-même de l’infidélité qu’il auroit commise, s’il étoit vray que pendant sa joüissance il eût souffert quelque entreprise sur une chose qu’il étoit tenu de conserver avec soin : aussi tous les pretextes qu’il allégue maintenant pour tacher de donner atteinte au droit et à la possession dudit sieur Archevesque, ne sont que de pures chimeres, car de dire que la Dame Duchesse de Longueville a quelque extension de sa Haute-Iustice dans la ville de Dieppe, à cause de sa Seigneurie du Bas de Hottot, c’est une observation qui ne peut servir aux Notaires Royaux n’y ayant point de contestation entre ladite Dame et ledit sieur Archevesque, et cela provenant de ce que quand le Roy a fait l’assiette de la Haute-Iustice de Dieppe il n’a pas pû faire de préjudice à ceux ausquels il avoit déja concedé un semblable droit : Il est encore inutile d’objecter que les Religieux de Gaillon à cause de leur fief de Cotte-cotte, et quelques autres Seigneurs particuliers ont des mouvances dans ladite ville, parce qu’on demeure d’accord que ledit sieur Archevesque a l’exercice de sa Iustice sur toutes ces mouvances, ce qui fait que par la même raison il doit neceffairement avoir celuy du Tabellionnage. Quant à ce qu’on dit que le Roy. luy-même a plusieurs teneures dans ladite ville, les contrats de 1197, et 1283. et les Ordonnances de 1336, et 1337. font voir que c’est une chose impossible, le Roy ne s’étant refervé aucune chose, et ce pretendu accroissement de la ville de Dieppe étant une supposition évidente qui ne se peut prouver par aucunes pieces, et qui se détruit par la seule vôë du lieuAussi pendant l’espace de quatre cens cinquante années il ne paroit ni aveux, ni déclarations, ni aucuns actes qui fassent mention de ces pretenduës mouvances, et si en 1667. lors qu’il a été question de la confection du Papier Terrier, les fermiers du Domaine ont surpris des déclarations de quelques particuliers, ou fait des poursuites pour quelques rentes, ou c’est un effet de l’adresse des Officiers Royaux qui tachent par toutes sortes de voyes de mettre le pied dans ladite ville, ou un effet de la creance des peuples, qui ont mieux aimé hailler. des declarations de leurs maisons et avoüer quelques petites rentes, que d’avoir des procezu conseil contre des gens d’affaires ; mais quoy qu’il en soit ces pretenduës recherches ne donnent aucune atteinte à la Haute-Justice dont ledit sieur Archevesque est en une possession paisible sur toutes les maisons qu’on dit être relevans du Domaine, et par consequent elles n’en peuvent donner au Tabellionnage qui luy en appartient : Pour ce qui regarde l’Arrest de 1630. donné en ce Parlement, outre qu’il a été rendu par defaut en haine de l’évocation que le feu sieur Archevesque de Roüen pretendoit faire de toutes ses causes au grand Conseil, et qu’il n’a point été signifié, c’est qu’il est certain qu’il n’a jamais eu d’execution, tous les Officiers Royaux ayant été renvoyez trois ans aprés au Siege d’Arques, d’où ils ne sont venus se rétablir aux fauxbourgs de la Barre qu’en 1649. en suite dequoy le bail du Tabellionnage a été fait en 1653. audit le Mareschal qui s’est sûmis, comme il a été dit, de garder la possession dudit sieur Archevesque, et d’empescher que les Tabellions Royaux ne fassent aucune fonction en la ville de Dieppe : Aussi ce pretendu Arrest juge deux choses entière ment incontestables, lune que les Tabellions Royaux pourroient prendre le titre de Tabellions de Dieppe, qui est une chose à laquelle ils n’osent pas presentement insister, et l’autre que les Tabellions de la Haute-Iustice ne pourroient passer de contrats maritimes qu’entre reux qui sont actuellement demeurans dans letenduë d’icelle, qui est une pretention sans ondement et sans pretexte, puisque les étrangers qui se trouvent dans le térritoire d’une Haute-Iustice sont obligez de suivre les loix et les regles de cette même Iustice, et comme on ne peut douter que s’ils avoient alors des procez ils ne fussent obligez de plaider devant le Haut-lusticier, il n’y a point de doute aussi que voulans contracter ils ne soient tenus de le faire fous l’autorité du sceau qui est établi dans le même lieu, et n’importe que le sceau n’ait pas la même étenduë que le sceau Royal qui est connu par toute la France, car les contrats ne laissent pas d’être valables et obligatoires, et pour avoir l’execution, parce qu’en tous lieux il suffit de prendre une attache des Iuges qui y sont établis : Il ne sert encor rien d’objecter qu’il y a trois Iurisdictions Royales établies dans ladite ville de Dieppe, à sçavoir le Grenier à Sel, les Consuls, et l’Amirauté, dautant que dans l’établissement de ces Justices le Roy. n’a point créé de Notaires autres que ceux qui y étoient dans le lieu pour ledit sieur Archevesque, et s’il l’avoit voulu faire au préjudice de ceux qui y étoient de tout temps, il est certain qu’on auroit été bien fondé à s’y opposer, parce que c’est une maxime constante hez tous les Auteurs qui ont traité cette matière, commeBacquet ,Chopin ,Loyseau , et plusieurs autres, que quand le Roy a donné une Haute-Iustice à quelqu’un, et que le HautJusticier est en possession du Tabellionnage, il n’est pas en son pouvoir d’en établir de nou-veaux à son préjudice dans tétenduë de la Justice qu’il luy a concedée, ainsi qu’il a été jugé par les Arrests donnez en faveur des Seigneurs de Conflans, de Nivernois, de Sully, de Buillon, et par une infinité d’autres qui sont rapportez par les Arestographes. C’est pourquoy ans s’arrêter audit Arrest de 1630. ni à la preuve de possession articulée par l’appelant, a laquelle il n’est pas recevable au préjudice des titres ey-dessus énoncez, et de son propre fait, soûtient ledit Greard, que lesdites Sentences doivent être executées selon leur forme et teneur, avec dépens : Et au cas que la Cour voulût se départir de la rigueur du droit, et faire quelque obstacle audit le Mareschal sur le fait de la residence, que du moins il ne pourra passer aucuns contrats de quelque nature qu’ils soient dans letenduë de la Haute-Justice, que son Ecritoire sera transferée ailleurs, et qu’en cas de contravention il sera tenu de sortir de la ville, ou du moins condamné en de si grosses peines qu’il puisse être contenu dans son devoir, et n’ose faire à l’avenir aucune entreprise sur les Tabellions de la Haute : Justice, le tout sans préjudice de la garantie à laquelle il conclut subsidiairement contre ledit sieur Archevesque. Castel Avocat pour ledit sieur Archevesque, qui a dit qu’il y a deux proprietai-res dudit Tabellionnage Royal d’Arques, dont une moitié appartient audit Hedin, et l’autre audit le Mareschal, ce dernier a aussi tenu à ferme celuy de la Haute Justice depuis le premier de Janvier 1654. jusques et compris le dernier Decembre 1674. à la charge de garder la possession des sieurs Archevesques, en forte que les Tabellions Royaux ne feroient aucune fonction audit Dieppe, il avoit des desseins que le temps a fait connoître qui l’empescherent de veiller à l’execution de cette clause ; c’est ce qui engagea ledit sieur Archevesque dés le et de Juin dudit an 1674. de faire assigner aux Requêtes du Palais ledit Hedin et Dubuse son Commis, les parties furent ouyes ausdites Requêtes au mois de Janvier suivant, où ledit Dubuse ayant conclud à garantie contre Hedin, ce dernier dit qu’il avoit baillé son droit et qu’il n’étoit garand des entreprises : Surquoy fut renduë la Sentence dudit a8 Janvier, dont ledit le Mareschal a relevé appel, bien qu’il n’y fût point partie, mais alors la prolongation de son bail êtoit expirée par laquelle il en tenoit pour treize cens soixante et quinze livres par chacun an, et ledit Mouton n’avoit pris le même Tabellionnage que par treize cens cinquante livres, ce même le Mareschal erût qu’aprés un si long exercice il avoit acquis assez de credit pour rendre les fonctions dudit Mouton inutiles et faire perdre audit sieur Archevesque un revenu si considérable, s’il faisoit casser ladite Sentence ; en suite pour fortifier son party. il fit presenter ladite requête ausdits luges d’Arques, il fonde son pretendu droit general sur les Edits des. Rois François I. et Henry Il. qui n’ont point été régistrez on ce Parle-ment, et qui n’ont point été observez dans cette Province, et son droit particulier sur les teneures qu’a le Roy dans la ville, ce qui est détruit par ledit contrat d’échange ; il ajeûte que la ville est augmentée, c’est contre l’évidence du fait, il dit qu’il y a des Iurisdictions. d’Amirauté, de Grenier à Sel, et de Consuls, mais ils n’ont pas de Tabellion, ainsi cela confirme le droit de Tabellionnage de la Haute-Iustice au lieu de le ruiner : Que par l’Arrest dudit 13 Aoust 1630. la Cour a maintenu le nommé Vaultier en l’exercice de Tabellion Royal en ladite ville de Dieppe et fauxbourgs d’icelle, et fait défenses au Tabellion commis par le sieur Archevesque en ladite Haute-Iustice de passer aucunes chartes-parties, affraitemens de navires, ni autres contrats sinon entre ceux qui sont resseans au Bailliage de Dieppe, et ausdits sieur Archevesque et le nommé le Roux de troubler ledit Vaultier : Cet Arrest a été donné par defaut contre le feu sieur de Harley Archevesque, sans avoir égard à l’assignation qu’il avoit fait donner au grand Conseil, si l’on avoit les poursuites qu’il y a faites, l’on y trouveroit sans doute un Arrest contraire, et cela paroit indubitable, parce que celuy du Parlement n’a point été executé, qu’il est contenu ausdits anciens titres suivis de possession indéfinie jusques en 1628. auquel temps les Tabellions d’Arques passoient les contrats au fauxbourg de la Barre de Dieppe, où les Iuges Royaux ont le Siege de leurdite Iurisdiction :. Par l’Arrest du Conseil d’Etat du a4 de Juin 1633. le Roy ordonna que les Jurisdictions Royales des Bailliage, Vicomté et Election d’Arques cu-devant transferez à Dieppe seroient rétablis au Bourg d’Arques, ce qui fut executé : Il est vray que par Arrest du 3 de Février 1649. la Cour permit ausdits Officiers de tenir leurs Jurisdictions au fauxbourg de la ville de Dieppe és lieux où ils ont été exercez, ainsi qu’ils faisoient auparavant le renvoy audit Arques, et constant le : temps que dureroient les troubles : Cependant feu Manicher beaupere desdits Hedin et le Mareschal proprietaire dudit Tabellionnage d’Arques a tenu celuy de la Haute-Justice, ce qui a été continué par ledit le Mareschal, d’où s’enfuit que s’il y voit eu des entreprises ils en seroient garands : Dailleurs en fait de Jurisdiction volontaire, le pouvoir des Tabellions des Hautes-Justices ne peut être borné sur les resseans. Cettg question avoit été jugée dés le s de Juin 1614. par l’Arrest qui porte que les Tabellions des seigneurs peuvent passer contrats et obligations indifferemment entre toutes sortes de personnes, quoy que demeurans hors rétenduë des Seigneuries, pourvû que lesdits contrats et obligations soient passez dans le ressort du térritoire, il fut ordonné que cet Arrest seroit lû et publié. La pretention de resider dans Dieppe n’est pas plus juste, et on ne la soûtient que pour avoir plus de facilité à s’attirer l’employ du Tabellion de la Haute-Justice, et se névaloir des longues habitudes que ledit le Mareschal y a acquises, dont il recueilliroit le fruit par de continuelles usurpations qu’il seroit impossible d’empescher. Ce fut sur ces con fiderations que la Cour donna Arrest suivant la conclusion du Proeureur Genéral le 25 de Janvier 1683. qui porte défenses au nommé le Clerc Sergent Royal, de faire aucuns Exploits dans. l’etenduë des la Haute-Justice, Vicomté et Seigneurie du Val de Dun, et luy enjoignit de sortir de la Paroisse d’Aumesnil, sans qu’il y pût exercer tant qu’il possederoit ladire Sergenterie ; il n’y a rien de plus fort que cet Arrest rendu contre un Sergent Royal qui demeuroit dans la maison dont il étoit propriétaire : car sur le fait de la residence, les inconveniens du Sergent et du Tabellion sont pareils pour la commodité qu’ils ont d’usurper et pour faire cesser le procez fougueux entre ces sortes de petits Officiers, qui plaident pour les restitutions respectives d’émolumens, si ledit Mareschal avoit vû l’Arrest du Coûseil d’Etat du mois de Mars 1658. il y auroit trouvé ces mots en l’Article 13. Aux affemblées particulières ledit Bailly de Dieppe et Lieutenant General d’Arques auront le pas le premier que celuy qui servira à l’Hôtel de Ville : et par l’Article 9. il est aussi porté, que pendant que le sieur Bailly de Dieppe sera à l’Hôtel de Ville, il ira le premier à l’offrande, et aprés luy les sieurs Lieutenans General et Criminel, et gens du Roy de la Justice d’Arques, en suite les autres Officiers de la Justice du Bailliage de Dieppe, ceux d’Arques, de l’Election du Grenier à Sel, de l’Amirauté et les Consuis. L’ordre de toutes ces paroles ne s’accorde pas aux rangs que ledit le Mareschal a dit être tenus dans ladite ville par le Lieutenant Genenal d’Arques, et par celuy de l’Amirauté : Aprés cette disgression il pretend faire valoir sa qualité de Tabellion de la branche d’Offrainville, il est vray qu’un Sergent Royal pour cas de Souveraineté pourroit exploiter dans ladite ville, mais il n’en est pas de même des Tabellions, leur fonction en ce point n’a aucun rapport, par d’anciens aveux le Sergent d’Offrainville pouvoit exercer en ladite ville, lors que le Temporel de l’Archevesché de Roüen êtoit en la main du Roy en cas de Regale, cela presentement luy est inutile, parce que la Regale n pour fondement la conservation du bien de l’Eglise ; durant qu’elle est ouverte les Officiers Royaux ne font plus leurs fonctions dans les Hautes-Justices qui n’en soufs frent pas d’interruption, il a été ainsi ordonné par l’Arrest du Conseil d’Etat rendu le 2é Avril 1671. sur la requête presentée par le Bailly et les Officiers du Bailliage de Dieppe, contre les Officiers Royaux de la Jurisdiction d’Arques ; ce qui fut aussi pratiqué à Paris, lors que le sieur Harley Archevesque de Roüen fut transféré à l’Archevesché de Paris ; enfin Tdit le Mareschal acquiessant aux premiers chefs de ladite Sentence, il demande qu’en reformant il soit dit, les Nosaires Royaux resideront dans la ville sur la mouvance du Roy, pour y faire leurs fonctions de Notaires, il appelle mouvance du Roy les étenduës de divers fiefs dans ladite ville, comme de Cotte-cotte, Varengeville, et plusieurs autres, qui appartiennent à divers Seigneurs dont les fiefs relevent du Roy, mais la teneure ne regle pas le Jurisdiction, selon même qu’il est justifié par la production qui a été faite par ledit le Mares chal, lequel avoit communiqué l’Arrest solemnel rendu le 1é de Juillet 16y7. sur l’adjudication par decret faite en ladite Haute-Justice de Dieppe aux Ursulines du même lieu d’un néritage situé dans la ville, lequel releve dudit fief de Cotte-cotte, le 20 de Février 1659. la maison où pend pour enseigne le Chariot d’or, située dans la même ville et mouvante dudit fief de Varengeville fut aussi ajugée par decret devant ledit Bailly Haut-Justicier, d’où resulte que joüissant paisiblement suivant ces titres de la Iurisdiction contentieuse dans ladite ville, ledit Tabellion Royal ne doit pas pretendre à la Iurisdiction volontaire, dans le même lieu sous pretexte de la residence que les luges Royaux d’Arques y sont à present, ils ne font leurs fonctions que hors la ville, et ledit sieur Archevesque ne pretend pas que l’Arrest qui sera rendu contre ledit le Mareschal fasse préjudice à la residence desdits luges Royauxs sur ce chef on demeure respectivement reservé à ses pretentions, et si la Cour vouloit quant à present sur le fait de la demeure faire quelque grace audit le Mareschal, il seroit necessaire de le retenir dans son devoir par des peines qui l’empeschassent d’en sortir ; et par ces moyent edit Castel soûtient qu’il doit être reçû opposant contre ledit Arrest de 1630. que si B Cour reforme entant que les défenses faites aux Notaires Royaux de demeurer dans Dieppe, le surplus de ladite Sentence sortir son effet, que défenses seront faites ausdits Notaires Royaux de faire aucunes fonctions dans la ville de Dieppe, à peine d’une amende, dont le tiers sera pour le dénonciateur, et de la restitution du quatruple des émolumens, qu’il leur soit enjoint de transferer leurs Ecritoires et Tableaux au fauxbourg de la Barre de Dieppe, et qu’il soit ermis de faire lire et afficher l’Arrest où besoin sera, avec dépens, du moins du coust de l’Arrest : et le Guerchois Avocat General pour le Procureur General du Roy : La Cour raçâ ledit de Rouxel opposant contre ledit Arrest de l’an 1630. et ce faisant, a mis l’appellation. et ce dont est appellé au neant, entant qu’il est fait défenses aux Notaires Royaux de lemeurer dans Dieppe ; le surplus de ladite Sentence sortissant son plein et entier effet ; a fait défenses ausdits Notaires Royaux de faire aucunes fonctions dans ladite ville de Dieppe, à peine de trois cens livres d’amende, dont le tiers sera pour le dénonciateur, et de la restitution du quatruple des émolumens : a eux enjoint de transferer leurs Ecritoires ; et Tableaux au fauxbourg de la Barre de Dieppe, dépens compensez ; payeront lesdits Notaires le coust de resent Arrest : et a ladite Cour permis audit Rouxel de le faire lire et afficher où besoin sera. Fait à Roüen, en la Gour de Parlement, le 17 de lanvier 1676. Signé, SUARD.

Mornac sur la l. territorium de Jurisdict. et Brodeau sur Mr Loüet l. N. n. 10. rapportent un Arrest pour les Notaires Royaux contre Mr le Duc de Monbason, par lequel il leur fut permis de demeurer, et même d’instrumenter dans le Bourg de Monbason. Mais ces deux Auteurs font cette observation, que casus fuit specialis, et que l’Arrest fut donné sur ces deux motifs, que la possession êtoit immemoriale et justifiée par écrit, et sur la Coûtume locale que possessio si absit veniam tunc à Patrono feudali impetrandam esse innumeris arrestis censuit senatus. Puis donc que la Coûtume ne permet point aux Sergents Royaux de faire des exploits dans les Hautes-Justices, il ne doit pas leur être permis d’y établir leur domicile contre le gré des Seigneurs, si ce n’est dans les cas remarquez, de la naissance ou du mariage, autrement ce seroit un moyen pour usurper les droits des Seigneurs Par Arrest du 20 de Mars 1619. donné au Rapport de Mi Martel, entre Besoche et le sieur du Ménil Vasse, il fut jugé qu’un Sergent Royal de la Vicomté de Roüen, n’avoit pû faire un exploit le clameur dans la Haute-Justice de Blaqueville, sans avoir un Mandement du Juge Royal.

Par autre Arrest du 20 d’Octobre 1637. en la Chambre des Vacations, Berenger Procureur fiscal à Thuri, ayant été executé en vertu d’un Contrat passé devant les Tabellions Royaux, par ur Sergent Royal, il avoit fait declarer l’execution nulle ; sur l’appel on cassa la Sentence, bien que lappelant eût été pris en desertion, et que même il n’osast conclure à son appel.

Il est vray que suivant cet Article les Sergents Royaux ne peuvent exploiter dans les Hautesustices sans Mandement ou Commission de leurs Juges, mais il ne s’ensuit pas que les Juges Royaux puissent autoriser leurs Sergents à faire indistinctement toutes sortes d’exploits dans les Hautes-Iustices, les Commissions ne doivent être accordées par les Juges Royaux, que pour les cas dont ils peuvent connoître ; mais en trois rencontres cet Article permet aux Sergents Royaux d’exploiter sans Commission, pour les dettes du Roy, pour les cas de Souveraineté, et pour choses où il y eût éminent peril.


XVIII.

Lesdits Hauts-Justiciers ne peuvent user d’arrest ou emprisonnement sur aucuns Officiers ou Sergents Royaux et ordinaires, qui exploiteront dans le di-strict de leurs Hautes-Justices, et ne peuvent prendre connoissance des fautes que lesdits Officiers et Sergents Royaux pourroient commettre en faisant l’exercice de leurs Offices en leurs Hautes-Justices. Mais s’ils vouloient pretendre que lesdits Officiers ou Sergents eussent failly en leurs exploits, ils se pourront plaindre au prochain Bailly Royal qui en fera la Justice

Il seroit contre lordre de permettre que les Officiers Royaux fussent poursuivis ailleurs que dans la Iustice du Roy, pour les faits concernans la fonction de leurs charges, Et fisci priviletium est, non apud alios judices, quam apud suos de suis rebus et juribus disceptare, l. 2. l. apud fiscum, C. ubi caus. fisc.

Un bourgeois de la ville de Dieppe s’étant plaint au Iuge Royal, que les lettres qui luy étoient envoyées luy étoient soustraites, ou au Bureau de la Poste, ou par le distributeur des lettres ; le Commis de la Poste apprit de son distributeur qu’il les mettoit entre les mains d’un particulier, qu’il nomma. Sur le Haro faccusé s’étant fait conduire devant le Bailly Haut-lusticier de Dieppe, le plaintif de manda sou renvoy devant le luge Royal ; parce qu’il s’agissoit du fait du naître de la Poste et de ses distributeurs, lesquels étant commis par le Roy, le procez ne pouvoit leur être fait que par le luge Royal : Le défendeur en haro soûtenoit qu’étant accusé, et étant justiciable du Haut-lusticier, il ne pouvoit être poursuivi que devant luy ; le Haut-lusticier ayant retenu la connoissance de la cause, sur lappel je representay pour le demandeur en haro, que le luge Royal avoit été saisi sur sa plainte, qu’il s’agissoit de fairo le procez à un Officier Royal, ce qui ne se pouvoit faire que par un Iuge Royal. Le Quesne répondoit qu’on ne favoit trouvé saisi d’aucunes lettres, que le haro êtoit injurieux et que le Haut-lusticier étoit competent d’y prononcer : Par Arrest en la Grand. Chambre, du 20 de Fevrier 1677. la Cour en infirmant la Sentence renvoya les parties devant le luge Royal.

Comme il arrive souvent que les Notaires et les Sergents Royaux prennent aussi des Commissions ou des Baux des Hauts-lusticiers de leurs Tabellionnages ou de leurs Sergenteries pour les exercer conjointement, si ces Notaires et Sergents commettoient quelque faute ou malversation, dans les actes qu’ils passeroient, dans le district de ces Hautes-Iustices, et entre person-nes lesquelles en seroient justiciables, ils ne pourroient décliner la Iurisdiction du Haut-lusticier, en consequence de cet Article. Les Officiers Royaux ne peuvent pas être poursuivis par le HautJusticier lors qu’ils ont procedé en cette qualité-là, mais lors qu’ils ont ce double caractere d’Of-ficiers Royaux et Seigneuriaux, ils sont tenus de reconnoître le Haut-lusticier pour tous les actes qu’ils ont passez dans sa Haute-Iustice comme ses Officiers. Cela fut reglé de la sorte par Messieurs les gens du Roy entre Mr l’Archevesque de Roüen, prenant le fait de son Procureur fiscal, appelant d’un dény de renvoy qui luy avoit été fait par les Juges d’Arques, en une cause en laquelle un Tabellion Royal, qui exerçoit aussi le Tabellionnage de la Haute Justice de Dieppe, êtoit défendeur en faux contre un Contrat qu’il avoit passé dans Dieppe entre les Bourgeois de la ville et Michel Hanap, et Magdeleine Rigois, par Arrest du ro de Février 657. plaidans Castel, Cloüet, et moy.

Il est encore certain que si le Sergent étoit poursuivi pouri quelque action qui ne concernast oint l’exercice et la fonction de sa charge, son caractere d’Officier Royal luy seroit inutile pour décliner la competence du Haut-Justicier, c’est le sentiment de Boerius decis. que si active et passivé in officio exercendo facti fuerint sibi excessus, vel ipse aliis fecerit, judex regius cujus autoritate processit cognoscet ; secis si aliter et extra officium deliquit, tunc judex inferior in territorio cujus deliquit, cognoscet.


XIX.

Comparence des Hauts-Justiciers.

Les Juges des Hauts-Justiciers ressortans pardevant les Baillifs Royaux, doivent comparoir à deux assises des Bailliages où ils ressortissent : c’est à sçavoir, à celles qui se tiennent aprés la Mession et à Pasques, ausquelles les Ordonnances doivent être lûes.

Le Vicomte de Roüen avoit enjoint à tous les Sergents de comparoître à ses Pleds, et pour leur absence il les condamna en amende. Sur lappel des Sergents, ils soûtenoient qu’ils n’étoient point sujets à cette comparence tous à la fois, qu’il suffisoit qu’il y en eût une partie, vù leur rand nombre, que cela même leur êtoit impossible, étant obligez d’aller souvent à la camagne, et ne pouvans faire leur retour à jour certain : Pesnelle, Substitut de Mr le Procu-reur General du Roy, representa que cette comparence de tous les Sergents êtoit en usage de temps immemorial, que ce n’étoit point une innovation, qu’elle étoit même nécessaire pour le bien de la Justice, afin que ceux qui vouloient se plaindre contr’eux pûssent le faire en ce temps-là. Par Arrest du 14 de Novembre 1653. les Sergents furent deboutez de leur appel-


XX.

Jurisdiction de Hauts-Justiciers.

Lesdits Juges Hauts-Justiciers ne peuvent connoître des lettres de remission, de répits, ni des lettres pour être reçû au benefice de cession, ni pareillement des causes de crimes de leze-Majesté, fausse monnoye, et autres cas Royaux.

Les lettres dont cet Article fait mention, procedant de la pure grace du Prince, la connorssance ne peut en appartenir qu’à ses Officiers : Il n’en est pas de-même des lettres de Justice, qui ne ont à vray dire qu’un impost que le Roy leve sur les procez ; ce qui a fait dire àdu Moulin , qu’en France sumus nimis diplomatarii. Et c’est pourquoy les. Etats d’Orléans demanderent l’abolition de ces formalitez de lettres de Justice, qui n’ont jamais été connuës aux Grecs ni aux Romains.

Loyseau des Seig. c. 14. n. 13. e parleray de l’effet des lettres de remission sur l’Article 143.

Le malheur de ce siecle a rendu l’usage des lettres de répy, et du bonefice de cession, fort commun, tempora quedam etiam occurrunt difficillime solutioni ; Cicero pro Cecinna. Le benefice, de cession est un moyen de droit si favorable, qu’il ne doit être empesché que par des exceptions pien précises de l’Ordonnance ou de la Coûtume. Neanmoins il ne doit pas être accordé mdiffet remment et sans connoissance de cause ;. Plusiours personnes en sont excluses, ou à causé de reur qualité, ou par le privilege de la dette.

Bacquet du droit d’Aub. part. 2. c. 16. n. 8. etMornac . l. 28. ex quib. caus. manom. ont dit que les étrangers ne peuvent joüir de ce benefice. Févret en son Traité de l’Abus est aussi de ce sentiment, et que cette grace ne doit être accordée qu’aux Sujets naturels du Prince. Et même qu’un étranger n’est pas recevable à appeler comme d’abus, ce qu’il aurovise par le témoignage de Du-Luc l. 2. t. 2. q. 5. Provocatorem quod alienigema effet à protrocatio-ve, quam ab abusu dicimus, fubmotum invenimus. Mais aujourd’huy que les appellations comme d’abus sont si fort en usage, et qu’on n’est plus si serupuleux à les rocevoir comme au temps d passé, il doit être permis en toutes rencontres d’employer h Justice et l’autorité du Prince, et de se plaindre des Juges d’Eglise aussi bien que des Juges Royaux.

Par la jurisprudence des Arrests, ceux qui vendent en détail ne peuvent faire cession de biens ; ils ne peuvent alléguer de pertes qui sont la cause de la cession, puisqu’ils sont payez comprant de tout ce qu’ils debirent ; ce qui s’observe aussi à Tholose, où par Arrest un Boucher fut déclaré non recevable à faire cession. Mr d’Olive l. 1. c. 30. et c’est aussi la jurispru-sence du Parlement de Paris établie par plusieurs Arrests.

Le debiteur ayant obtenu de ses creanciers u attermoyment, ne peut plus faire. cessiont ugé par Arrest du 23 de May 1657. entre Cabeüil et Vautier : Les creanciers de Cabeüil luy avoient donné un temps de trois ans pour payer ses dettes, et pour faire sortir ses effets ; Aprés le temps expiré, au lieu de payer ses creanciers il demanda à faire cession, dont il fut n debouté par ledit Arrest, plaidans le Normand et moy.

Ceux qui ont contracté en foites franches en sont aussi exclus : Un Facteur contre son Commettant, et un Fermier contre le Propriétaire ; le fermier qui a confumé les fruits commet un parcin, ce qui le rend indigne de toute faveur ; l. serous S. locari. ff. de furt. Ce qui a été jugé plusieurs fois. Arrest du 1é de May 1653. Autre Arrest du 8 de Janvier 1659. pour le sieur Moisson, Receveur de l’Issebonne, contre Roussel, dans lequel Arrest cette circonstance étoit considérable ; Roussel étoit mineur quand il signa le bail, mais il n’avoit commencé à jouir que depuis sa majorité, il fut debouté de ses lettres de récision et de cession. Le Parlement de Paris a jugé le contraire, suivant un Arrest rapporté dans la 2. part. du liv. 1. c. 4. du Journal des Audiences, par lequel une femme fut recûé au benefice de cession, pour une obligation causée pour loyer de maison.

On a disputé plusieurs. fois fi l’on peut faire cession pour des dépens ajugez sur un procez criminel. Dans le même Journal des Audiences du Parlement de Paris, l. 4. c. 1. un particulier fut, reçû par Arrest. Nôtre usage est contraire ; Par Arrest en la Chambre de la Tournelle du z de May 1609. un homme condamné par contumace s’étant mis prisonnier, pour s’exemprer de la refusion des dépens ; il demanda le benefice de cession dont il fut refusé.

Par autre Arrest en la même Chambre, du 26 de lanvier 1608. on déclara non recevable à faire cession de biens, un particulier condamné en des interests, dommages et dépens pour outrages et excez qu’il avoit commis. On le jugea dans un cas moins favorable en la Chambre des Vacations, contre une femme accusée de substraction ; Je plaidois pour un creancier qui l’a fit debouter de sa Requête, aux fins de la cession de biens. On a jugé la même chose pour des dépens resultans d’une cause civil entre Boucachard et le Bourg, plaidans le Sauvage et Laurens le Févre.

Ie trouve un Arrest donné en la Chambre de la Tournelle le 30 de lanvier 1609. par lequel deux particuliers furent reçûs à faire cession contre un Concierge, pour leurs gites et gardes.

Il est sans doute qu’un principal obligé est tres-mal favorable à demander le benefice de cession contre sa caution, dont l’office a été gratuit ; aussi il a été jugé plusieurs fois qu’il n’y est point recevable. Arrest du 3 de Février 1622. par lequel le preneur d’une rente ayant été condamné r corps à la racheter, et étant emprisonné pour ce sujet sur la demande qu’il fit contre la cauon du benefice de cession, il en fut debouté. Cette. compassion que l’on a pour les miserables, que leur mauvaise fortune a reduits dans l’impuissance de payer leurs dettes, ne doit point être étenduë à ceux qui trompent leurs amis et leurs bien-faicteurs. Autré Arrest en la Chambre dé l’Edit du 11 de Decembre 1652. entre l’Archevesque et de l’Eau. Autre Arrest en la GrandChambre du 29 Avril 1653.

Les premiers Arrosts du Parlement de Paris avoient debouté le principal obligé du benefice de cession, mais depuis cette jurisprudence a changé, et les Arrests font intervenus en si grand nombre au contraire, que l’on n’en doute plus. Loüet l. C. n. 56. Du Fresne l. 1. c. 29. de l’impres-sion de l an 1652.

On a traité cette question dans le même Parlement, si un Gentilhomme ayant été reçû au renefice de cession à l’égard de son fidejusseur, étoit tenu de porter le Bonnet Verd. Il se défendoit par deux raisons, l’une qu’il avoit été reçû par Aprest à faire cession ; à la charge de l’Ordon-nance qui porte seulement que celuy qui veut faire cession, sera tenu de la faire en lugement et non par Procureur, la teste nuë, de sorte que l’Ordonnance ne l’obligeant point à potter le bonset verd, il y avoit peu d’apparence de ly vouloir contraindre. : L’autre raison étoit fondée sur sa-qualité de Gentilhomme ; le bonnet verd étant une espèce d’infamie, il falloit faire quelque distinction entre les personnes de qualité, et celles d’une condition moins relevée. Ledroit Romain exemptoit de la prison en certains cas hs personnes qualifiées, sciondum non omnes hac sevéritate debere tracturi, sed utique humiliores ; caterum eos qui sunt in aliqua dignitate positi, non, ut opinor, vinculis publicis contineri oportere l. 3. 5. tutores D. de suspect. tutor. Le fidejusseur au con-traire foûtenoit, qu’encore qu’il n’y eût point d’ordonnance exprosse de porter le bonnet verd, I ne s’ensuivoit pas pour cela que son debiteur én pût être dispensé. La loy qui a étably la cession de biens, ayant depuis confidéré que les debiteurs on abusoient pour-tromper leurs créanciers, a voulu que ceux qui avoient recours à cette extrémiré, fussent notez de quelque marque ignominieuse, ce qui a été suivy par les Arrosts, en condamnant ceux qui font cession à porter le bonner verd. De sorte que cela est maintenant tourné en coûtume, soit à l’égard de ceux qui ont dissipé leurs. biens dolo malo et suo vitio, soit à l’égard de ceux qui sont déchus de leurs moyens, per rasus inopinos qui incidunt rebus mortalium ; sans vouloir recevoir la distinction rapportée sur ce sujet en la l. 1. qui bon. ced. pos. C. Theodof. l. 1. 1. 20. Quant à la qualité de Gentilhomme, elle ne : luy pouvoit servir en cette rencontre, cette. Coûtume ayant lieu contre toutes fortes des essionnaires de quelque condition qu’ils soient, et les Arrests favoient ainsi jugé, même sontre un Gentilhomme âgé de plus de 70. ans : Par Arrest on infirma la Sentence qui dispensoit de porter le bonnet verd, et le debiteur fut condamné de le porter, autrement permis au fidejusseur de le reintegrer dans les prisons.

Il faut encore remarquer que si les créanciers avoient accordé quelque delay à leur debiteur en consideration de ses pertes, la caution ne pourroit pas se prévaloir de cette grace, ni leur opposer les exceptions et la faveur de sa qualité de caution. Du Renel caution de la nommée Boulie, yant demandé que l’attermoyment accordé à Boulie par ses creanciers, fût declaré commum vec luy, il en fut debouté par Arrest de la Chambre de l’Edit du 20 de Novembre 1652. Berault ur cet Article a rapporté un Arrest conforme. On pourroit dire au contraire suivant le sentiment deGodefroy , que la caution peut profiter de la grace que le creancier a faite au principal bligé, parce qu’autrement elle luy seroit inutile s’il pouvoit être inquieté par sa caution : mais n répond que ce delay n’ayant été donné par le creancier que par la commiseration qu’il a euë pour le principal obligé, à cause des pertes qu’il a souffertes, c’est une faveur que l’on ne peut étendre plus loin contre sa volonté, lauf au fidejusseur à poursuivre comme il avisera bienSuivant la disposition du Droit l’obligation naturelle et civil subsiste ; par cette raison un de-oiteur peut être poursuivy pour le payement de sa dette, s’il parvient à une meilleure fortune, n quantum facere potest. S. fut. I. de action. exactio debiti tantum suspenditur.

On a fait neanmoins de la difference entre la cossion et l’attermoyment ; et par Arrest du 10 de Juin 1670. en la Chambre de l’Edit, il fut jugé que celuy qui avoit obtenu un attermoyment de ses créanciers en leur payant le tiers, ne pouvoit être poursuivy pour le surplus, bien qu’il eût rétably ses affaires, et l’on présuma que les creanciers ne s’étant point reservez à demander le surplus, ils luy en avoient fait une donation, plaidans Theroude pour le Sergent de S. Jores, le Sauvage et moy pour les créanciers. De la cession de biens, voyez Loüet l. C. n. 56. et l. I. c. 10.


XXI.

Les Hauts-Justiciers peuvent demander jusques à vingt-neuf années d’arrerages des rentes Seigneuriales qui leur sont duës.

En cet Article la Coûtume donne encore cette prerogative aux Hauts-Justiciers, de pouvoir demander vingt-neuf années de leurs rentes Seigneuriales. Comme les rentes Seigneuriales des Hauts et des Bas-Justiciers sont d’une même qualité, on auroit de la peine à marquer d’autre raison de cette difference, que celle rapportée parTerrien , 1. 7. c. 12. art. 33. Tit. de fieffe de fonds à rente. a sçavoir que la Coûtume permet au Bas-Justicier de lever dix. huit sols un denier d’amende pour rente non payée, mais que le Haut-Justicier n’ayant pas e pouvoir de lever cette amende, on luy donne le droit de demander jusqu’à vingt-neuf années d’arrerage de ses rentes Seigneuriales.

Mr le Févre rapporte l’origine des droits Seigneuriaux au temps que les benefices furent rendus hereditaires, ce qui arriva lors que sous Hugues Caper les Ducs et les Comtes usurperent la Seigneurie des Provinces, dont ils n’avoient auparavant que le Gouvernement, don-nans en proprieté à leurs parens et à ceux qui s’étoient attachez à leur fortune, les benefices qui étoient dans l’etenduë de leur Seigneurie, et y joignirent les redevances qu’ils levoient ur chaque arpent d’héritage.

Car il faut remarquer que sous les deux premieres Races de nos Rois, il y avoit de deusortes de biens, les benefices, et les leudes ou alodes, qui étoient les biens propres et heredi-taires. Les possesseurs de cette dernière espèce de biens étoient tenus de fournir aux Comtes. ou Miffis dominicis, certaines choses pour leur dépense, ce qui s’appelloir conjecta, ou viatica ; nous en avons un exemple dans le Capitulaire 3. de Loüis le Debonnaire, dont voicy es termes : Volumus ut talem conjectum Missi nostri accipiant, quando per Missaticum suum perrexerint, hoc est, ut unusquisque accipiat panes 40. fresthguas 2. Cid est duos porcos nondum justi incrementiy porcellum aut agnum unum, pullos 4. ova 2S. vini sextarios 9. de cervisa modios 2. de annona mâdios ae. vide plura apudde Roye , de Miss. domin. et eor. postrit. c. 17.

Les Ducs et les Comtes avoient aussi leurs distributions de pareille qualité, qui leur tenoient lieu de gages et d’appointemens, ( selon Mr Le Févre ) l. 1. c. 8. des fiefs, et quand ls usurperent la domination, ils continuerent d’exiger ces droits ou les donnerent à leurs amis et à leurs parens.

Cette observation de Mr Le Févre est curieuse, elle ne peut neanmoins être appliquée nos rentes et droits Seigneuriaux de Normandie, parce que ce grand changement qui arriva dans lEtat et Gouvernement. de la France, n’eut point lieu en cette Province, qui n’étoit pas alors un membre de la Couronne, elle avoit un autre Souverain contre lequel les grand, Seigneurs n’entreprirent rien, et n’usurperent aucun droit qui luy appartint.

Il faut donc nécessairement chercher ailleurs l’invention des rentes et des droits Seigneuriaux.

Tacite dans son Traité de la manière de vivre des Allemans, a fait cette remarque, cateris servis non in morem nostrum per familiam descriptis utuntur, suam quisque sedem, suos penates regit : trumenti modum Dominus aut pecoris aut vestis, ut colono injungit, et serous hactenus paret.

Les anciens Allemans employoient leurs esclaves à cultiver leurs terres, à condition de leur en payer une certaine quantité de blé, de bétail et d’habits ; et ces gens-là n’étoient pas tout à fait esclaves ; le propriétaire n’exigeoit d’eux ces pensions-là, que comme il auroit fait d’un ermier, et c’étoit-là tout le service qu’ils étoient tenus de rendre à leurs Maîtres, et servus bactenus paret. Les Romains avoient pareillement leurs esclaves, qu’ils préposoient à la culture et à l’aménagement de leurs terres, qu’ils appelloient adscriptitios et colonos Ansitos, parce qu’ils étoient attachez à de certains fonds, glebae addicti. De sorte qu’on ne pouvoit pas même aliener le fonds, sans aliener en nême temps ces esclaves, qu’ils appelloient Colonos, et ils étoient de différente qualité, les uns étoient entièrement esclaves, les autres étoient reputez de condition libre, et à l’égard de ceux-cy les Romains en usoient comme les Allemans ; ils leur bailloient leurs terres à condition de leur payer de certaines choses, comme on l’apprend de la l. 1. C. in quibus causcolon, cens. dom. accip. &c. On ne peut douter que les François n’eussent conservé cette ancienne Coûtume, puisqu’ils la pratiquerent encore dans les premieres conquêtes qu’ils firent au decâ du Rhin, où ils ôterent en quelque façon la liberté à une partie des Gaulois, qui étoient apparamment les plus pauvres, en les contraignans de faire valoir leurs terres, et de leur en payer le revenu, avec cette dure et indispensable obligation, que ni eux ni leur postérité, ne les pouvoient abandonner. Et ce sont ces personnes que les Coûtumes appellent hommes de corps, gens de pore et de suite, parce que les Seigneurs les pouvoient vendiquer en quelque lieu qu’ils fussent ; et l’on a remarqué, que ces Coûtumes-là ont été établies principalement dans les Provinces qui étoient les plus voisines du Rhin. Les François ayant, poussé leurs conquêtes plus avant dans les Gaules, devinrent plus doux et plus humains, et sans ôter la liberté ils se contenterent de taxer les terres et d’en exiger de certains revenus, à l’exemple des. Romains, qui en usoient de cette maniere avec les Gaulois. Ab omni avo veluti jure naturali ita comparatum est, ut populorum bello subactorum res in victorum jus cederent, nec victis quidquam redderent, nisi tributo imposito.Herald . l. 1. c. 13

Les Normans trouvans les chpses ainsi établies, ils ne furent pas moins équitables envers les Neustriens. Ceux qui furent maintenus en leurs possessions furent chargez de certaines. redevances, et pour les Normans les grands Seigneurs ne pouvans pas faire valoir toutes les terres qui leur avoient été données, ils en firent des infeodations sous telles conditions qu’il leur plut, et il ne faut pas douter que dans les siecles de desordre et de confusion, les personnes puissantes et violentes n’ayent beaucoup augmenté leurs premiers droits, et qu’ils n’en ayent exigé de nouveaux ; l’on peut mettre en ce rang tous ces droits qui ressentent la servi tude, et qui sont contraires à la liberté publique, et particulierement la pluspart des corvées, les Seigneurs ayant fait un droit de ce qui ne leur êtoit accordé que par civilité. Mais le temps. en a purifié le vice, et l’on s’est contenté d’abolir les droits bigearres et irreguliers, qui n avoient d’autre fondement que le caprice ou la violence apparente des Seigneurs.

Comme les personnes qui faisoient les infeodations, et ceux qui les recevoient, étoient de différente qualité, que le mérite, les services, la faveur, et l’amitié y mettoient de la diffeence, cela faisoit que les infeodations étoient plus onereuses, ou plus utiles, selon les qua-ditez et les inclinations des personnes ; et sans doute que les grands Seigneurs firent à leurs parens, ou à leurs amis, dont ils vouloient recompenser les services, ou conserver l’amitié, des infeodations plus favorables que celles qu’ils firent aux Neustriens.

Les rentes Seigneuriales sont proprement le contractus libellarius des Latins, seu concessio ad libellum. Car luivant la définition des Docteurs, concessio ad libellum est, quando feudatarius feudum suum, seu utile dominium quod in eo habet, alii concedit in perpetuum, vel ad tempus sub certâ nnuâ pensione prastandâ. Et quoy que les contrats emphytheutiques soient faits sous les mêmes onditions, ils different en ce point, que cette concession ad libellum, ne se fait qué pro re fendali, quand celuy qui a le domaine utile du fiefidonne une partie d’iceluy à la charge de la reconnoissance feodale, et d’une prestation annuelle. Pontanus sur la Coûtume de Blois, Tit. 5. Art. 62 On peut se défendre contre cette demande de vingt. neuf années, par la representation des quittances de trois années consecutives, sans aucune reserve, qui per tres, annos solvit, praimitur superiorum annorum censum solvisse. On a étendu la disposition de la loy quicunque C. de apoch. Publ. qui ne parle que des rentes dûës au fisc, à celles qui sont dûës aux particuliers.

Coûtume de Bourg. Article 419. la Coûtume de Poictou Article 47. dit davantage, que par le payement de la dernière année, sans protestation de la part du creancier, les precedens arrerates sont présumez acquittez, mediante juramento veritatis & credulitatis in eddam personâ Du Moulin b. 88. gl. n. 41. et 42. a même estimé que non seulement des quittances des trois dernieres années font présumer le payement des precedentes, mais aussi qu’encore qu’il soit échù des arrerages depuis ces trois payements, cela n’empesche point que les années échuës avant les quittances des trois dernieres années ne soient reputées quittes ; etiam si in ultimes annis sit cessatum, apparet tamen ante quatuor vel quinque annos continuos fuisse solutum, quia tunc presumitur solutio superiorum ab illis, trium annorum.

Ce même Auteur ne veut point que cette regle ait lieu pour les fermages, contre le sentiment universel des Docteurs, comme luy-même en demeure d’accord : tout son raisonnement se reduit à ce point, que les tributs publies, dont il est parlé dans cette loy quicunque, se payent avec plus de solemnitez, et per multas publicorum manus examinâta transeunt, & in publicis restorum monumentis annotantur, laquelle raison ne paroit pas suffisante, car cette exactitude ou gette solemnité des fermiers publics à se faire payer, n’empesche pas que la presomption ne soit également forte contre un proprieraire, pour faire juger qu’il ne luy est rien dû, lors qu’il reçoit et qu’il donne quittance de trois années consecutives, sans se reserver aux puecedentes ; aussi l’usage est contraire à l’opinion de du Moulin : et soit que l’on demande des rentes dûës au Domaine du Roy, ou des rentes ou des fermages qui appartiennent à des particuliers, les quittances des trois dernieres années sans reserve suffisent.

Le payement d’une rente seul ne suffit pas pour faire présumer un titre, quoy que le payement en ait été continué durant plusieurs années, pourvû qu’ils n’excedent pas le temps de quarante ans, car il y a grande différence entre la reconnoissance et la solution d’une rente : la reconnoissance fait une pleine foy de la redevance, pourvû qu’elle ne soit point faite par erreur, car en ce cas il y a lieu de s’en pourvoir par les voyes de droit, quia, ditdu Moulin , dicta vecognitio fit àd probationem conservandam, non autem ad quid de nouo difponendum. Le ayement des arrerages n’engage point à la continuation, s’il ne paroit un titre obligatoire, plutio nullo modo tendit ad obligandum, sed ad exonerandum à preterita pensione quae solvitur.Molin . de usur. n. c1o.

Le payement d’une rente Seigneuriale fonciere ou constituée, se faisant souvent par plusieurs obligez, nos Docteurs ont traité cette question, si le creancier recevant par les mains de l’un des obligez une portion de la dette, soit pour le principal ou pour les arrerages, la rente est présumée divisée.

Ceux qui soûtiennent la division alléguent pour leur opinion la l. si creditores, laquelle y est formelle, si creditores vestros ex parte debiti quenquam vestrûm pro persona sua solventem proba-eritis. preses provinciae ne alter pro altero exigatur, providebit. Et M. Loüet rapporte un Arrest, par lequel on a jugé qu’un creancier qui a plusieurs héritages obligez à sa dêtte, recevant une partie de la rente de l’un des détenteurs de l’héritage, à proportion de ce qu’il en tient, ne peut plus s’adresser aux autres obligez solidairement pour toute la rente, suivant cette loy creditores, laquelle a lieû non seulement in personuli actione, sed : etiam in hpothecariâ. Mais Brodeau ajoûte que cette maxime n’est pas universellement. vraye, et qu’elle ne doit avoir lieu que quand le creancier paroit l’avoir fait animo dividendi.

Pour décider cette question il faut faire de la difference entre une simple dette mobiliaire et une rente, soit Seigneuriale, fonciere ou constituée, quand le creancier reçoit une portion lu capital d’une dette on considere principalement son intention, et les termes de la quittanco, p et on présume qu’il a eu le dessein de diviser la dette, quand il employe dans sa quittance, quie c’est pour la part et portion de celuy qui paye. Que si ces termes n’y sont point employez x simplici solutione divisio inon fit, l. si ex-toto S. 5. 1. de leg. 1.

Il y a moins de difficulté pour le capital des rentes que pour les arrerages ; du Moulin a bien estimé que pour le cens, et autres petites rentes, quand le Seigneur les a-reçûës par portions durant plusieurs années, parce que le fonds vaut beaucoup davantage, et que le Seigneur ne recoit aucun préjudice par la division de la rente, on présume avec plus d’apparence, qu’il n’a point : fait difficulté de la diviser, mais il ajoûte que cette presomption n’a point lieu pour les autres rentes, ubi de notabili praejudicio Domini agitur Mais, à mon avis, pour quelques rentes que ce foit la division n’en doit point être présumée que par le. fait exprés du Seigneur ou du créancier.

Il n’est pas raisonnable que la facilité d’un Seigneur ou d’un creancier envers lun des obligez, luy porte préjudice, et je serois de ce sentiment que la reception de la portion d’une dette de la part de l’un des obligez solidairement, soit du principal ou des arrerages d’une rente, n’induit point de division et ne libere point les autres obligez de l’obligation solidaire, non plus que celuy qui a payé, s’il ne paroit que le croancier l’ait tenu quitte pour sa part et portion, hoc enim casu creditor aocipiendo partem sibi prajudicat. Voyez Bacquet des droits de Just. c. 21. n. 244.

Brodeau sur la Coûtume de Paris, traite cette question, si une rédevance de cens ou autre rente fe peut compenser avec d’autres dettes : Bien que les Docteurs tiennent qu’il y a lieu à a compensation, pour éviter la commise, du Moulin sur l’Article 85. de la Coûtume de Paris gl. 1. n. 19. refute cette opinion, parce, dit-il, que le Canon emphyteutique, et à plus forte raison le oens ne consiste pas seulement en la somme convenuë, mais en la reconnoissance de la Seigneurie directe en l’honneur et au respect de la superiorité, dont le Seigneur demeureroit frustré par mépris, si une rédevance de cette qualité privilegiée et assistée de prerogatives éminentes se compensoit de plein droit avec une dette commune. C’est aussi le sentiment de Tronçon ; Article 105. de la Coûtume de Paris. Ce raisonnement me semble plus subtil qu’équitable, la rente Seigneuriale, lors qu’il ne s’agit que des arrerages, n’a point de prerogatives particulières, le payement qui s’en fait emporte avec soy la reconnoissance de la superiorité, et le Seigneur ne pouvant demander que le payement de sa rente, il en est pleinement sarisfait par la compensation contre une dette legitime, et un Seigneur qui refuseroit cette compensation passeroit parmy nous pour un chicaneur.

Pour donner effet à la compensation, il faut que la dette soit ejusdem privilegii, prarogativa et qualitatis avec celle qu’on veut compenser. Je ne serois point du sentiment deBrodeau , qu’une dette qui porte interest est compensée de plein droit avec une dette sterile, et que cela même doit avoir lieu en une rente constituée à prix d’argent, quand le creancier a reçû de l’argent appartenant à son debiteur, sans luy en tenir compte, ni faire offre de luy restituers dé duction faite préalablement des arrerages échus, au temps de la reception, bien que ce qui reste ne soit pas suffisant d’amortir le principal, et que la rente ne soit rachétable qu’à un seul payement, étant au pouvoir du creancier d’y renoncer. Brodeau sur la Coûtume de Paris, Article 5. n. 5. et suivans.

Chopin par. l. 2. t. 2. n. 16. a été aussi cette opinion, s’attachant à la Constitution l’Empereur Severe, rapportée dans la l. cum alter D. de mor. compens. cum alter alteri pe-cuniam sine usuris, alter usurariam debet, constitutum est à D. Severo concurrentis apud utramque quantitatis usuras non effe prestandas.

Du Moulin de usur. 4. 43. n. 326. et seq. a fortement soûtenu le party contraire, et prouvé que pour une rente, il ne s’en fait aucune compensation avec une simple dette de plein droit, sed demùm. congrua oppositione factâ ab homine, que vice oblationis fit : ratio quia nulla est obligatio fortis reddendae, igitur nulla compensationis materia. La condition du creancier seroit fort desavantageuse, il doit rendre l’argent qu’il a recû pour son debiteur toutefois et quantes qu’il luy lemandera, et de sa part il ne pourroit exiger son principal ni compenser sa rente, quand il e voudroit, le debiteur luy pouvant dire qu’il ne la veut pas amortir, ainsi il seroit en la diberté du debiteur seul d’arréter le eours de la rente ; et ce qui est encore plus étrange, Brodeau a estimé que la rente pouvoit cesser en partie, quoy que par le Contrat elle ne soit ra-t. chétable qu’à une seule fois, parce, dit-il, que le creancier a pu renoncer à son droit, mais a il faudroit que cela parût par quelque acte exprés, et on doit presumer une volonté contraire de sa part, puisque comme il vient d’être dit, il ne sçait pas si le debiteur de la rente agréta la compensation ; quantamcumque summam debeat creditor, currit reditus ipfo jure et cum effectu, donec debitor significet creditori se velle redimere. Mornac sur la l. cûm alter D. de ompens. rapporte un Arrest du Parlement de Paris, qui l’a jugé conformément à l’opinion de du Moulin ; et c’est aussi le sentiment deTronçon , Article 105. de la Coûtume de Paris. Ricard sur ce même Article de la Coûtume de Paris dit que si d’une part il est deub 1oo livres vec les interests, et de l’autre pareille somme sans interests, ces deux sommes sont reputées avoir été compensées, ipfo jure, quoy qu’il n’y en ait aucune demande à l’effer d’empescher le tours des interests de la premiere somme, et ainsi en usons-nous ; dit cet Auteur e suivrois cette opinion pour une dette exigible, et dont le debiteur a été condamné aux interests, parce que ces interests-là ne sont pas favorables : Il n’en est pas de même pour les sentes constituées dont le principal ne peut être repeté, que du consentement du debiteur.

J’estime aussi que pour toutes les dettes exigibles la compensation s’en feroit de plein droit, et sans aucune demande, l. 11. de compens.

La compensation de la dette du cedant, se peut aussi demander contre le cessionnaire, parce qu’il n’a pas plus de droit que son auteur. Il y a plusieurs cas ausquels la compensation n’est pas admissible, et particulierement pour le depost, parce que la retention en est anissable : Du Moulin ; Article 85. n. 19. et sui. Tronçon, Article 105. de la Coûtume de Paris. Bacquet des droits de Just. c. 8. n. 12. et les Auteurs remarquez par Ricard en ses adit. ur l’Article 105. de la Coûtume de Paris.

On ne peut pas opposer à lheritier beneficiaire, la compensation de ce qui luy est deub en son nom, avec ce qu’il doit en qualité d’heritior beneficiaire : idem pour le tuteur.4

C’étoit autrefois la coûtume d’obtenir des lettres de Chancellérie ; d’où vient queMornac , sur la l. 3. et la 21. de comp. à dit que in foro Gallico duo necessaria sunt ad compensationis opposita effectum. 1. ut liquido ad liquidum fiat. 2. ut accedat rescriptum principis distinctione factâ regionum ; Et Mr Cujas sur la l. 16. de comp. l. 3. quest. Papin. aprés avoit montré que jure civili in omnibus judiciis tam strictis, quam bona fidei compensatio fit ipfo jure ; il ajaeûte que, moribus Galliae non fit ipfo jure, ac ne remedio quidem exceptionis, sed ex rescripto Principis nominatim par lettres de Chancellerie, non porest uti compensatione is unde petitur, nisi id Princeps nominatim concedat. Cette pratique de prendre des lettres de Chancellerie, avoit fait croire à plusienrs, que la compensation ne fe pouvoit faire de plein droit, et qu’il l’a faloit opposer, mais la question s’étant offerte, par Arrest au Rapport de Mr Buquet, du 1s de Juillet 1665. entre du Pont, Martin, et Samüel, il fut jugé que la compensation se fait ipfo jure, nonobstant le ransport et au préjudice du creancier arrétant, avant la déclaration de compenser, compensatio folutioni aquiparatur, et tollit ipso jure actionem. l. 51. debitor 14. in fine, qui potui. pig. dolo facit qui petit quod redditurus est eidem. l. dolo. S. D. de dolo.

Quand les vassaux offrent de payer en essence leurs rentes en blé, on a demandé s’ils sont tenus de bailler du meilleur, ou tel qu’il est excru sur lhéritage sujet à la rente ;Coquille . d. 53. conclud pour l’affirmative, hec enim sunt fructus impendia, que s’il l’on n’y en a point ecueilli, il suffit qu’il soit de prix mediocre, 9. arg. l. si quis argentum s. 1. C. de donat. l. fidejussorum, aliâs si fidejussori C. mandat.

La Cour, pour éviter les vexations que les Seigneurs ou leurs Receveurs faisoient à leurs vassaux, lors qu’ils n’avoient point payé leurs rentes en essence, a fait un Reglement sur ce sujet ; par un Arrest du 18 de Janvier 1665. au Rapport de Mr Fermanel, entre Mr du Four Maître des Comptes, appelant, et Anne le Chevalier, veuve de Pierre des Vaux, intimée, il a été jugé ro que le Haut-Justicier ne peut faire l’appretiation des grains qui luy sont deubs, mais qu’il faut avoir recours au Greffe du Juge Royal ; 2o que le vassal qui n’a point payé les rentes, les doit sur l’appretiation faite sur un prix commun, resultant de l’appretiation de plus haut, mediocre, et bas prix de l’année, si mieux le Seigneur n’aime les faire payer sut e prix qu’elles valoient au temps de l’écheance ; il étoit juste de ne laisser pas aux Seigneurs la liberté de regler les appretiations, afin qu’ils ne le fissent pas à la foule de leurs vassaux.

Cet Arrest a été confirmé par un autre donné au Rapport de Mr du Houley, du 19 d’Avril 1667. entre la Demoiselle Bouleur, appelante, et Pancrace de la Motte, Ecuyer, sieur du PontRoger, caution du Receveur du Domaine de Coûtance, intimé.


XXII.

Lesdits Hauts-Justiciers peuvent faire donner tréves entre leurs sujets.

Cet Article est fort inutile, et nos reformateurs ont parlé fort improprement, en usant du mot de sujets, au lieu de vassaux : il n’y a que le Roy, qui ait des sujets.


XXIII.

Cas de preventions.

Les Juges Royaux connoissent par tout des poids et mesures, et mêmes par prevention aux terres des Hauts-Justiciers.

Harmenop t. 4. l. 2. Guy Papé quest. 490. De ponderibus & mens. 491. Chop. de dom. l. 3. t. 22. En Angleterre il n’y a point d’autre mesure que la Royale : la mesure d’Arques êtoit, autrefois la mesure ordinaire de la Province : et un Gentilhomme de Caux nommé le Seneschal, ét possesseur du fief de Lardiniere, avoit autresfois cette pretention que le droit de jauge de toute di da Province avoit été accordé à son fief par les Ducs de Normandie ; et dans Roüen il y a le fief du poids de la Vicomté, où toutes les marchandises sont pesées. Par Arrest du 14 de pe May 1610. il fut défendu à Ménage, Jaugeur à Coûtance, d’entrer dans les maisons des particuliers, sous pretexte de jauger les poids et mesures.


XXIV.

Jurisdiction des Bas-Justiciers.

Les Bas-Justiciers qui ont droit de Foires et Marchez, peuvent prendre connoissance des mesures de boire et de blé, s’ils les trouvent fausses en leur fief. avant que la Justice Royale y mette la main.

En cet Article la Coûtume commence à traiter des Basses-Justices, qui font la derniere espece des Justices connuës en cette Province : Elle ne définit point la Basse-Justice, elle Loyseau en déclare leulement quelques droits, mais on ne trouvera aucune relation de nos BassesJustices avec celle dont Loyseau a fait la description en son Fraité des Seigneuries.

Loysel Loysel en ses Institutes, l. 2. t. 2. Art. 44. dit que, donner poids et mesures, tuteurs et curateurs, faire inventaire et partages, font exploits de moyenne Justice, suivant cela les Bas-Justi-ciers, qui ont droit de foires et de marchez, ont une espèce de moyenne Justice, puisqu’ils peusent prendre connoissance des foires et marchez, dont régulierement le Bas-Justicier ne doit li point connoître.

Bien qu’en France la Justice et le fief n’ayent rien de commun, néanmoins l’usage a prévalu qu’il n’y a point de fief, qui n’ait Basse-Justice sur ses hommes, au moins pour la conservation Loyseau de ses droits. Loyseau des Seig. c. 10. n. 46. a soûtenu le contraire, et que c’est une chose le fausse que quiconque a fief ait aussi Justice ; parce, dit-il, que la Seigneurie publique, qui seule emporte Justice, est specifiquement différente de la Seigneurie directe ; mais à vray dire, fe nos Basses-Justices n’ont point de Seigneurie publique, et c’est pourquoy Iancienne Coûtume les appelle Justice fiefale, comme êtant proprement attachées et appartenant aux fiefs. La Coûtume de Tours des Basses-Justices, Article 1. nomme fort à propos ces Basses-Justices un demy droit, et on peut dire de nos Bas-Justiciers, ce que Ciceron disoit des Ediles, paulo mplius quam privati.Cujat . Ad l. 10. de Jurisd. Mr d’ Argentré ; Article 20. no. 2. n. 3. n’étoit pas bien informé des Justices de Normandie, lors qu’il en a fait une description si étrange et si peu véritable ; Normannorum tribunalia verius quidem latrocinia, in quadriviis, sub ulmo, in solois ad lacuum aggeres exercentur, huc qui conveniunt aut vapulant, aut diffiso die eluduntur, nec ratio est quà faisissima gesta refelles nullo ut plurimum actuario scribente, sed ipfo illo qui judicat, quod protinus cum videbitur, mutet ex libidine aut suâ aut Dominorum.

Cette accusation est fort injuste, outre qu’en Normandie il y a bien moins de Justices Seigneuriales qu’en France, les Hautes-Justices au moins celles dont le district a quelque étenduë, te sont fort bien reglées : Elles ont leurs Pretoires, leurs Officiers, leurs Greffiers, qui sont tous tenus de garder les Ordonnances et les Reglements faits pour l’administration de la Justices et pour les Justices feodales ou Basses-Justices, le Seigneur est tenu de les faire exercer par C un Seneschal et par un Greffier ; et d’ailleurs leur compétence a si peu d’étenduë, qu’il ne faut point de Prétoire pour en faire l’exercice La pluspart des Coûtumes de France font de deux sortes de Basses-Justices, l’une fonciere, Masuer censuelle, ou censiere, ou domaniaire, comme Masuer la nomme 5. item omnia, t. de judic. autre est appelée Basse-Justice proprement, où les differens des vassaugde peu d’importante. sont vuidez, et quelques causes pecuniaires, personnelles, ou possessoibes, et des excez dont r la peine n’excede pas soixante sols Nous avions autrefois en Normandie ces deux espèces de Justice ; car outre les Hautes et les Basses-Justices il y avoit une autre Justice que l’on appelloit la Justice aux Barons, dont la competence est rapportée dans le vieil Coûtumier, parmy les Ordonnances de l’Echiquier : en cet endroit on explique en quoy consiste la Justice aux Barons, et autres Justiciers de Normandie, qui tiennent par Baronnie et par membre de Haubert, et qui n’ont le pled de l’épée ni Haute-Justice : et il paroit qu’encore que la competence de la pluspart des choses, dont ils connoissent soit encore restée aux Bas-Justiciers, ils avoient neanmoins une plus grande Jurisdiction, et ils pretendoient même de plus grands droits, comme on l’apprend de ces paroles, et nulle autre Justice ; ils n’ont plus en Normandie, si comme dient les Clercs de l’Echiquier par les Rôles de l’Echiquier, chap des Cours ; jaçoit ce qu’ils dient qu’ils en ont plus. Et dans l’ancien Coûtumier les Chevaliers, et ceux qui tiennent franchement, les Comtes, les Barons, et les autres Dignitez, fieffaux ou les fiefs de Haubert, ou franches Sergenteries, ou autre françs-fiefs ont la Cour de leurs resseances, simples querelles, et les legeres et pesantes de meubles, héritages et des larcins. Roüillé de actionibus, c. 1.. en cet endroit a remarqué que les das-Justiciers ne joüissent pas de tous les droits, qui leur êtoient attribuez par l’ancien Coûtumier.

Nos Barons et Seigneurs Normans se conserverent enAngleterre cette espèce de Justice, Bracton fait mention de la Cour aux Barons, qui libertates habent de averiis captis et detentis, et de placito Namii vetiti pro servitiis et consuetudinibus. Ils avoient la connoissance des biens executez, pour leurs droits, services et devoirs Seigneuriaux. Ces mots Averiis, et Namiis, sont deux anciens mots Normans. Nôtre Coûtume a conservé l’usage du dernier, au titre de delirance de Namps ; et pour le premier la pluspart du vulgaire dans la basse Normandie s’en sert encore aujourd’huy, car ils appellent avers leurs animaux domestiques : ce qui est emprunté lu Latin, habere, avoir, et corrupa averia et avers.

Il ne nous reste plus maintenant que les Hautes et Basses-Justices. On ne peut donner à ces dernieres d’autre origine que celle des fiefs, quoy que du Moulin se soit persuadé que par le droit Romain, les Maîtres avoient une Justice en première instance sur leurs fermiers, j’ay remarqué ailleurs qu’il s’étoit trompé.

Papon dans le troisième Tome de ses Notaires, l. 5. de recis. perpet. et temp. dit que les lettres d’octroy de foires et de marchez, doivent être presentées dans les dix ans pour être nterinées, et qu’autrement elles sont inutiles l. 1. de nund. nundinis impetratis à Principe, non trendo qui meruit decennio usum amittit. Aprés la verification leur effet est perpetuel ; et bien que les marchez ou foires cessent pour quelque temps, le droit s’en conserve toûjours, suivant le çaisonnement d’ Ulpian ; flumen est, inquit, quod femper sluit, si tamen astate aliquâ exaruit, quod alioquin perenne fluebat, non ideo minus perenne est. Il fut jugé de la sorte pbur Antoine de Hennot, Ecuyer, sieur de Theville, il avoit obtenu des lettres pour établir un marché, qui furent verifiées, ce marché n’avoit pû s’établir entièrement, et il avoit cessé durant plusieurs années durant lesquelles le sieur de Theville continua de payer la rente dué au Domaine. Me Castel, Scigneur de S. Pierre-Eglise, voyant cette cessation obtint des lettres pour augmenter son mar-thé d’un autre jour, mais qui étoit le même, que celuy du sieur de Theville devoit tenir, et pour soûtenir sa pretention, il remontroit que le sieur de Theville jus suum habuerat pro derelicto, et que son marché luy êtoit entièrement inutile : Je répondois pour luy, que par la veri-fication de ses lettres, le droit de marché luy êtoit pleinement acquis, qu’il n’avoit pû le perdre, per non usum, et que pour avoir cessé pendant quelques années pour des confiderations particulieres, il pouvoit à l’avenir le faire valoir, les hales qui avoient été bâties subsistant encore ; ce qui prouvoit l’établissement du marché et sa possession par ces hales, qui étoient toûjours demeurées en état de servir. Par Arrest en l’Audience de la Grand. Chambre, au mois de Novembre ou Decembre 1661. le sieur de Theville fut maintenu par provision, et depuis le sieur de S. Pierre fut debouté de ses lettres ; Greard plaidoit pour luy.

Touchant l’octroy des foires et marchez,Pap . Notaire, 3. l. 8. 1. des lettres d’octroy.Chopin , du dom. l. 3. t. 27.


XXV.

Ont aussi la connoissance du bruit de marché, c’est à sçavoir s’il intervient quelque bruit audit marché, le Seneschal en peut connoître, pourvû qu’il n’y ait sang et playes, et en lever l’amende.

Le Seneschal étant le premier Officier de cette Province, avant que la sceance de l’Echiquier eût été renduë perpétuelle, je ne sçay comment cette qualité est demeurée aux Juges de nos Basses-Justices. Pasquier, l. 2. c. 24. en ses Rech. estime que ce mot nous est venu des Anglois, à cause qu’on s’en sert particulièrement dans les Provinces, où les Anglois ont régné.

Gregorius Tholosane Tholosane l. 47. c. 33. appelle les Seneschaux, Senarchas, et veut qu’il soit composé du mot Latin genex, et du mot Grec MOTGREC : voyez Fauchet en ses Orig. l. 1. c. 10.

Ragueau Ragneau Seneschal M Bignon en ses sur Nottes sur Marculphe, l. 1. c. 25. la plus commune opinion est que c’est un mot corrompu, moitié Latin, et moitié François, qui signifie un vieil Chevalier.

Par cet Article et par le precedent, on peut remarquer qu’il y a difference entre les BasJusticiers, que ceux qui ont droit de foire et de marché, ont plus d’autorité que les autres, et uivant cet Article ils ont une Jurisdiction criminelle, mais qui est limitée aux actions, où il l’y a sang et playe : et la Coûtume luy donne pouvoir d’en lever lamende.

Par le droit Romain, les Magistrats seuls et Prasides, Provinciarum pouvoient condamner en lamende : l. 2. 5. ult. de jud. his datur mulctae dicenda jus, quibus publice judicium est : quamobrem Duumviris et Magistratibus municipiorum non licuit, l. 1. si cui jus dic. non obtemp. M d’Argentré , sur la Coûtume de Bretagne, Art. 33. no. 1. le Juge d’Eglise ne peut condamner en sa-Loyseau mende, parce qu’il n’a point de térritoire, sinon en l’appliquant à quelque usage pieux. C. irrefragabili. 5. ult. de offic. ordin. Loyseau des Seig. c. 15. n. 44.

Loyseau L’amende que cet Article permet au Seneschal de lever, ne peut être qu’une peine pecuniaire. Loyseau des Seig. c. 12. n. 74. a remarqué que les amendes furent introduites, lors que es Juges ne prenoient aucun salaire des parties, ils se recompensoient sur les amendes.

Berault sur ce mot amende, a pris occasion de traiter cette question, auquel doit appartenir l’amende entre plusieurs Receveurs, dont l’un joüissoit au temps du crime commis, et l’autre au temps de la condamnation : les sentimens sont fort differens sur cette matière. On pourroit. les concilier par cette distinction entre les amendes qui sont reglées et taxées par la loy, et celles qui sont arbitraires. Celles qui sont cettaines et imposées par la loy pour certaines fautes, sont dûët dés le temps que la faute a été commise. En ce cas la peine êtant certaine et ne pouvant être moderée par le Juge, nihil restat in officio judicis, nisi ut declaret, an tale delictum commissum sit, le Juge n’a d’autre pouvoir que de déclarer, si l’accusation est véritable, et si le crime a été commis ou ne l’a pas été, et hoc casu facti tantum questio est inpotestate judicantis, juris authoritas non est. l. in ordine. D. Ad municipal. l. si qua pona de verb. sign. D. Coquille d. 14. Et on confirme ce raisonnement par l’exemple des crimes dont la peine est acquise et encouruë lés le temps, du delict, comme en ceux de lexe-Majesté, d’heresie, de peculat, et d’autres dont la peine n’est pas éteinte aprés la mort. l. ex judiciorum ff. de accusat. et ibi glos. En ces crimes. à, la Sentence n’est que declaratoire et retrotrahitur.

Mais quand les amendes sont arbitraires, comme elles le sont presque toutes cn France dles appartiennent à celuy qui est fermier au temps de la Sentence, parce qu’elles ne sont dûës qu’en vertu d’icelle ; et qu’il étoit en la liberté du Juge de les prononcer, ou de ne les prononcer pas. Guy Papé decis. 535. à été un des premiers qui a tenu cette opimon : Ceux qui lont commenté, rapportent un Arrest du Parlement de Grenoble, qui a jugé le contraires mais ces mêmes Auteurs témoignent qu’il fut donné sur des circonstances particulieres, à çavoir que le premier fermier avoit fait de grands frais pour le jugement du procez, et que le jugement n’en avoit été retardé que par les troubles qui étoient arrivez, il parsit raisonnable que ce fermier en fut recompensé : Hors ces circonstances particulieres il faut suivre le sentiment dedu Moulin , in not. ad alex. consil. consilio. 7. vol. 3. que inspiciendum eaet tempus senrentiae, quia prius non debetur pena, et conductor nullum jus habet ante sententiam, j’en parleray plus amplement ailleurs

Il faut encore toucher cette difficulté, si la Sentence étant confirmée par Arrest l’amende appartiendra à celuy qui êtoit fermier au temps de la Sentence, ou à celuy qui l’étoit au temps. de l’Arrest. Du Moulin au lieu préallégué donne l’amende au fermier, qui êtoit au temps de la Sentence, et bien que la loy furti s. 1. de his qui not. infam. semble contraire, il en fait voir la différence par cette raison, que l’infamie dont il est parlé en cette loy non potest afficere condamnatum revocabiliter, sed aut nullo modo afficit, aut irrevocabiliter. Celuy qui est declaré infame par un jugement, quand il en est appelant, ne peut être reputé tel du jour de la Sentence, ni dubir la peine qui luy est imposée car cette peine pouvant être revoquée par l’appel, il ne seroit pas juste de le deshonorer dés le jour de la Sentence, et c’est pourquoy le Jurisconsulte dit fort à propos, hodie notari puto non retrâ. Il n’en est pas de même des amendes, qui peuvent voir un effet retroactif. Bérault cite un Arrest, par lequel une amende jugée par le Bailly d’Evreux, au Siege d’Orbec, ayant été confirmée par la Cour, elle fut ajugée au Receveur des amendes de la Cour ; en ce cas il faudroit dire que, jus habet à confirmante, non à confirmato, et que l’amende n’est acquise que du jour de l’Arrest qui confirme, et non point du jour de la Sentence qui est confirmée.

Un païsan ayant eu querelle avec le mésureur du marché de Baqueville dans le marché, le Prevost sur une clameur de Haro, voulut les conduire devant le Seneschal, mais le jaugeur ayant été enlegé de force par le Sergent de Longueville, le Bailly voulut en informer, et decreter prise de corps contre le Prevost, et comparence personnel contre la Demoiselle de Ba-queville ; sur l’appel comme d’incompetence, cette Demoiselle soûtint que s’agissant d’un bruit de marché, l’affaire étoit de la competence de son Seneschal ; par Arrest du 8 de Juin 1632. la trocedure du Bailly de Longueville, comme d’un Juge incompetent, fut cassée, et les parties renvoyées par devant le Seneschal, nonobstant sallegation qui fut faite qu’il y avoit eu de sang répandu.


XXVI.

Pareillement connoissance de parc brisé, et des excez faits à leur Prevost en faisant ses exploits.

Suivant cet Article, les Bas. Justiciers connoissent de parc brise, et des excez faits à leurs Prevosts en faisant leurs exploits, mais cette competence ne s’étend pas à pouvoir instruire et ef. juger un procez criminel, et toute la peine que le Seneschal peut ordonner, se reduit à une ut simple amende, selon la qualité du fait ; car si l’excez commis à leurs Prevosts merite une pu6. nition plus severe, le Seneschal n’en sera plus competent ; mais quelque qualifiée que pût être Le une rebellion commise aux Prevosts, je ne pense pas qu’elle fût suffisante pour faire tomber le. vassal en commise, comme le tient Godefroy sur cet Article.


XXVII.

Ont pouvoir aussi de mettre prix aux vins et autres boissons, et d’avoir les amendes de ceux qui y contreviennent.

Cet Article a dû être placé immediatement aprés le 24. car le pouvoir qu’il donne aux Bas-Justiciers de mettre prix aux vins, et aux autres boissons, ne s’entend que pour ceux qui ont droit de foires et de marchez.

Berault , sur l’Article 25. a reprisGodefroy , pour avoir dit sur cet Article, que le Seneshal a le pouvoir de faire observer les Reglemens faits par les Juges Royaux pour la police du pain ; mais quoy que cet Article ne parle que des vins et autres boissons, en peut en induire qu’il y a la même raison pour le pain et pour la viande.


XXVIII.

Peuvent aussi tenir pleds et gage-plege, et ont la connoissance des rentes connuës entre leurs hommes, et de blames d’aveux.

Suivant le S. Imperialem et le S. Praterea, si inter duos de prohib. feud. alien. si qualitas Domini et vasalli in confesso aeit, non Domini feudi, sed Parium curiae est cognitio. On appelloit Pairs de fief convassallos qui aidem Domino fidelitatem jurassent pro aliis feudis, que tenerent ab eodem Domino c. 1. Tit. si de invest. int. Dom. et vassallos oriatur ; mais cela ne se pratique plus, les Seigneurs peurent, connoître de rentes connuës entre leurs hommes, et de blames d’aveu. C’est aussi lusage. en Bretagne, cum inter duos vasallos de feudis ambigitur, que in ejusdem patroni & dominio et jure int Domini, cognitio regularis & ordinaria est. D’Argentré Article 45. n. 2.

Il fut jugé le 29 de Janvier 1657. qu’un Bas-Justicier peut, pour son interest, connoître d’un treixième pour s’en faire payer, et faire ordonner la saisie : ce qu’il ne peut faire quand il s’agit de la liquidation du treiziéme, et qu’il y a diversité de teneures Il n’est pas necessaire au Bas-Justicier d’obtenir des lettres en forme de papier Terrier, Tronçon comme Troncon la crû, sur l’Article 69. de la Coûtume de Paris. Un Seneschal peut en faire un, et obliger les vassaux à signer la reconnoissance de leurs redevances et de leurs teneures.

Quand le Seigneur negligeroit de faire tenir ses Pleds, le Juge Royal ne pourroit pas évoquer les causes qui sont de la competence de son Seneschal ; et Godefroy s’est trompé, quand il a écrit le contraire. Le Parlement seul pourroit évoquer sur la plainte des vassaux, et renvoyer les causes devant le Juge Royal.


XXIX.

Les Seigneurs peuvent faire prendre leurs Prevosts, Receveurs et Meusniers, un mois aprés leur charge expirée, pour leur faire rendre compte et les retenir prisonniers jusques à ce qu’ils ayent rendu compte, ou baillé plege de compter. Toutesfois s’ils n’ont que Basse Justice, ils ne les peuvent detenir en leurs prisons que vingt-quatre heures, et aprés sont tenus les renvoyer és prisons du Roy, ou de la Haute-Justice dont ils dépendent.

Cet Article étant mis en suite de ceux qui traitent des Basses. Justices, on pourroit croire que la Coûtume fait quelque difference entre les Justices feodales et les Basses-Justices. Les Seigneurs, dit cet Article au commencement, peuvent faire prendre leurs Receteurs ; puis on ajoûte, toutefois s’ils n’ont que Basse-Justice : D’où lon pourroit inferer que le mot de Seigneur ne pouvant être entendu que des Seigneurs de fief, ils pouvoient arrêter leurs Receveurs et les retenir prisonniers, jusqu’à ce qu’ils eussent rendu compte ; ce qui leur donneroit un pouvoir plus grand que les Bas-Justiciers, qui ne peut ent les retenir dans leurs prisons, qui durant vingtquatre heures. Pour éviter cette absurdité, bien que dans cet Article et dans les precedens et ur les suivans, il ne soit traité que des Basses-Justices, il faut entendre ce mot de Seigneur, de sa tous ceux qui ont Justice, soit haute ou basse ; mais il y a cette difference que les Bas-Justiciers ne peuvent detenir leurs Receveurs en leurs prisons que durant vingt-quatre heures.

Le Bas-Justicier peut avoir des prisons, et il doit même en avoir en consequence de lArticle 37. qui permet au Bas-Justicier de faire un procez criminel. Les particuliers ne peuvent pas avoir de prisons, Tit. de privat. carcer.

Par lancienne Coûtume, titre de Justiciement : pour la dette au Prince, dequoy terme est passe, peut justice être faite par le corps aux debteurs, jaçoit que pour aucune autre dette ne doit corps d’homme être justicié : et pour ce aucun qui soit en Normandie ne peut mettre en prison le corps de son homme, s’il ne luy est de larcin par devant luy, ou trouvé saisi, oi s’il n’est son Sergent, ou Prevost, Meusnier, ou Receveur de ses rentes ; et toute justice de corps d’homme en Normandie appartient au Duc pour la feauté que tous luy doivent. Le Glossateur estime que quand cette ancienne Coûtume fut redigée par écrit, il n’y avoit point encore de Hautes-Justices, ce que j’ay remarqué ailleurs.

L’Ordonnance de l’an 1667. à rétably en quelque sorte nôtre ancienne Coûtume, ayant aboli les obligations et par corps ; mais comme elle les permet pour des fermages, on ne peut pas dire que cet article soit abrogé par cette Ordonnance.

Quoy qu’un Receveur soit une personne Ecclesiastique, il peut être constitué prisonnier, s’étant engagé volontairement dans cet employ. Guillaume le Conquérant irrité contre Odon, Evesque de Bayeux, se servit de ce pretexte pour l’arréter, luy demandant compte de l’administration qu’il avoit euë de son Royaume d’Angleterre.

Rheinardus l. 1. c. 10. dans son Traité de la difference du droit civil, et du droit Saxoh, a p remarqué que par le droit Saxon le Juge met le debiteur insolvable entre les mains de son creancier, qui peut non seulement le faire travailler, mais aussi l’emprisonner, cela pourtant ne se pratique que contre les personnes de basse condition ; le Seignour même peut arréter : ses vassaux pour le payement de leurs dettes : la rigueur des premieres loix Romaines fut bien-tost moderée, on ne souffrit pas que les creanciers pûssent mettre en pièces le corps de leur obligé, et on ne leur permist pas même de les emprisonner, ni de les faire travailler. Voyez Corras Corras. lib. 3. Miscellan, c. 18


XXX.

Ne peuvent justicier ou prendre namps que sur le fief, ne poursuivre personnes qui ne tiennent d’eux, s’ils ne les trouvent en leur fief en present méfait, comme au dommage de leurs bleds, herbages ou autres fruits, ou s’ils n’emportent leur panage, ou autre chose desdits Seigneurs : car de ce doivent-ils payer et amender aux us et coûtumes des villes, des marchez, des foires et des panages.

Voyez l’ancienne Coûtume de Justiciement. Le terme de justicier est un vieux mot Nor mand, que nos Heros de Normandie porterent dans la Poüille, où il êtoit encore en usag du temps de JoannesMonachi , comme il le témoigne sur le Ch. quoniam de immunit. Eccl. in 6.

Le Seigneur ne peut justicier que sur son fief, extra territorium jus dicenti impunè non paretur. Les Sentences renduës par des Hauts-Justiciers hors leur térritoire sont nulles, comme I fut jugé contre le Seneschal de S. Gervais, de Pontaine le Bourg, et de la Haye-Malherbe, suivant les Arrests rapportez par Me Josias Betault : il n’y a que le Roy qui puisse executer ar tout pour ses droits ; et par Arrest du 27 de Janvier 1622. pour Morant contre le sieur Normandet, on cassa l’execution faite d’une chaudiere pour le payement d’un treizième hors de fief, bien que Morant creancier eût saisi volontairement le Prevost de cette chaudiere Par Ordonnance de Charles IX. de l’année 1563. il fut permis aux Seigneurs censiers et feodaux d’executer sur leurs fiefs.

Godefroy a douté si en vertu de ces paroles, où autres choses desdits Seigneurs, le Bas-Ju sticier pouvoit s’attribuer la connoissance des simples larcins des autres biens des Seigneurs mais ces paroles ne se peuvent entendre que des fruits, et le Bas-Justicier ne seroit pas competent de connoître du larcin qui auroit été fait des autres biens du Seigneur.


XXXI.

Les Bas-Justiciers ne peuvent demander que trois années d’arrerages des rentes Seigneuriales à eux dûës par leurs sujets, s’il n’y a compte, obligation, ou condamnation, ou qu’il apparoisse de la premiere fieffe par generale hypotheque.

Ce que nous appelons rentes Seigneuriales, la Coûtume de Paris l’appelle Cens ; l’un et l’autre etant dû pour marque de la Seigneurie directe. Brodeau dans sa Preface sur le second tome de la Coûtume de Paris. Sur cet Article voyez l’Ordonnance de Charles IX. de l’an I563. vulgairement nommée des Censives et rentes foncieres, et Brodeau Article 75. n. 1. de a Coûtume de Paris.

En consequence de cet Article qui ne permet au Seigneur de demander que trois années de ses rentes, il faut sçavoir si l’ainé d’un tenement doit être reduit à n’en demander que pareil nombre à ses soûtenants ou puisnez, quand il en a avancé pour eux davantage : Me Pierre du Four Avocat à Caudebec avoit payé toutes les rentes d’une aihesse dont il étoit le chef, ou pour user du terme de Normandie, le porteur en avant, il en avoit arrêté les comptes avec le Seigneur, mais en l’absence des puisnez : Du Four ayant demandé à Pierre le Moyne, curateur de Raulin le Masson, vingt-neuf années par recompense, on maintint contre luy que n’agissant qu’au droit du Seigneur, il ne pouvoit demander plus de trois années. Du Four pretendoit qu’à son égard ce n’étoit qu’une rente fonciere, comme si l’ainé avoit rebaillé en fieffe à ses puisnez une portion de son tenement ; par Arrest du té de Juillet 1654. les puisnez furent condamnez seulement au payement de trois années, sauf audit du Four à faire apparoir de diligences bonnes et valubles et d’acte judiciaire, auquel cas le puisné étoit dés à present condamné à sa recompense : l’ainé n’a qu’une action recursoire pour être remboursé de ce qu’il payé plus que sa part, mais il n’a point une action solidaire comme le Seigneur.

Depuis cette même question s’offrit en l’Audience de la Grand-Chambre le 14 de May. 675. entre Nicolas de Grieu appelant, et Simon le Cordier intimé. Le sieur le Cordier avoit fait condamner l’appelant en sa recompense de plusieurs années de rentes Seigneuriales, qu’il voit payées comme ainé au Seigneur feodal. De Grieu pour moyens d’appel s’aidoit de l’Arrest de du Four, qu’à proprement parler le soûtenant ne doit rien au Seigneur, parce qu’ils sont te-us de payer aux mains de l’ainé, autrement on rendroit cet Article illusoire, le Seigneur bailleroit une quittance à l’ainé pour avoir un moyen de demander plus de trois années au puisné. Greard pour l’intimé convenoit que la question avoit été décidée par l’Arrest mais il demandoit à trouver que l’appelant luy avoit promis diverses fois de le payer. Plusieurs ne furent pas d’avis de recevoir cette preuve, et que l’ainé n’étoit point recevable à demander plus de trois années sans diligences valables ; il fut dit neanmoins avant que de faire droit sur l’appel, que l’intimé seroit la preuve de son fait.

Ces paroles, ou qu’il n’apparoisse de la première fieffe par generale hpotheque, sont icy employées fort mal à propos, et il est mal-aisé de leur donner un sens raisonnable. S’il est necessaire que 4a première fieffe contienne une generale hypotheque, pour donner droit au Seigneur de demander plus de trois années, il s’ensuivra par la même raison, qu’on né pourra aussi demander plus de trois années d’une rente fonciere, lors que le bail à rente ne contiendra point la clause dune hypotheque generale. Cette paction n’étant pas moins requise pour les rentes foncieres, ue pour les Seigneuriales, puisqu’elles ont un même principe, et qu’elles sont créées pour le pail à rente ou fieffe d’héritage, la seule difference consistant en ce point qu’il n’y a que celuy bi a droit de fief qui puisse créer une rente Seigneuriale. Et c’est pourquoy Godefroy sur et Article, dit qu’en consequence de ces paroles, s’il n’apparoit de la première fieffe par generale hypotheque, il avoit toûjours crû qu’on ne pouvoit demander plus de trois années d’arrerages. l’une rente fonciere, et toutefois il est d’un usage certain et notoire qu’on peut en demander jusqu’à vingt-neuf années : Il est bien vray que quand il s’agit du déguerpissement d’un heitage, le preneur n’y est point reçû, quand par la fieffe ou bail à rente, il y a une obliga-tion et une hypotheque generale sur tous ses biens. C’est en ce cas que cette clause peut valoir et operer, mais ce ne doit point être en vertu de cette clause que le Seigneur a droit de denander vingt-neuf années, car la generale hypotheque ne fait pour le nombre d’années, et le defaut de cette stipulation n’a point été aussi le motif qui a porté nos Législateurs à reduire et limiter à trois années la demande des arrerages des rentes Seigneuriales. Ils ont eu cet égard que les rentes Seigneuriales étant souvent de peu de consequence, il seroit trop incommode à un vassal de conserver ses quittances durant tant d’années, que d’ailleurs les Seigneurs e plus souvent n’en donnent point, et qu’ils se contentent d’employer les payemens sur leurs journaux ; et enfin, que le Seigneur ayant sa Justice et ses Pleds de gage-plege, qu’il fait tenit expressément pour le payement de ses rentes, et pouvant même punir par amendes ceux qui n’y viennent point, ou qui ne payent point leurs rentes, on ne présume pas qu’il ait negligé si long-temps de s’en faire payer, et par consequent il étoit raisonnable de limiter le temps de cette action, pour ne leur donner pas un moyen de faire de la vexation à leurs vassaux, Quand on produit un tître valable, la possession peut être prouvée par témoins pour interrompre la prescription. C’est une précaution que l’on employe assez souvent dans les contrats que l’on se charge de payer une rente si elle est dûe, pour se conserver la liberté de la contredire, si la demande n’en est pas appuyée sur de bons titres : et Godefroy forme la question, si cette clause vaut d’interruption : et son opinion me semble vraye, que cette clause suffit pour inter rompre la prescription, quand la redevance est bien prouvée par titres Loyseau Suivant le sentiment de Loyseau du déguerp. l. 1. c. 5. toutes les rentes dont il est fait mention dans le droit Romain, étoient seigneuriales : mais parmy nous il faut avoir un fief pour leur donner cette qualité.

Outre les rentes, les Seigneurs ont exigé de leurs vassaux des sujetions, qu’ils appellent des corvées, dont suivant nôtre jurisprudence on ne peut demander qu’une année On rapporte diverses origines de ce mot de corvées ; je croy que ce mot de vée peut être, Allemand, signifiant peine et tourment. Pomarius en sa, parlant Chronique de Saxe ce traitement rigoureux, que Charlemagne fit souffrir aux Saxons, dit que cet Empereur établit dans la Vestphalie une Justice secrete, où sans aucunes formalitez ni connoissance de cause les Juges condamnoient à la mort sur de simples soupçons. aCe severe tribunal s’appeloit veen Gericht, velut propter hanc crudelitutem subditi cogerentur illum Germanicum dolorem, vée exclamationibus dignis exprimere, quasi vae vae.Vander-hagen , de Rep. Hanseat. p. 1. c. 5. trouve plus d’apparence que ce mot de veen Gericht, soit composé de veen, qui signifie peine et tourment, et de Gericht, qui veut dire jugement ou condamnation.

Mr Cujas sur la loy un. cod. ne opèré à collationibus exigantur, estime que les corvées sont ainsi appelées quasi corpez, scilicet quasi opera corporalia, nam et Luodunensibus, inquit, vée operam significat. C’est aussi le sentiment de Ménage en ses Origines. Sur ce mot de corvées, Mi deCambolas , l. 1. c. 11. veut qu’elles soient ainsi appelées, parce qu’elles ne se peuvent faire que par le travail du corps, qu’il faut courber pour travailler ; cela a de lapparence pour les Gascons Chassanée qui prononcent le B, pour l’V. Voyez Chassanée t. des Main-mortes, in verbo corvées : Brodeau sur la Coûtume de Paris, Artiele 71. Ferrier sur la question 217. et 472. de GuyPapé .

L’usage de ces corvées est tres-ancien en France. Parmy les anciens Gaulois les laboureurs et autres pauvres gens n’étoient pas moins sujets aux riches et aux puissans ; que les esclaves Cesar parmy les Romains, comme on lapprend Cesar, l. 6. de bello Gall. plerumque, inquit, apud Gallos, potentiorum injuriâ oppressi se se in servitutem dicant ; nobilibus in hos eadem su jura quae Dominis in servos : Nonobstant tout les changemens arrivez dans les Gaules, cette tyrannique Coûtume continua toûjours. Durant l’Empire deDiocletian , tout le pauvre peuple accablé par la servitude fut forcé de se rebeller pour s’en delivrer : Car Salvian témoigne que de son temps les laboureurs et les autres gens de pareille condition, ut vim exactionis evadant, tradunt se ad tuendum protegendumque majoribus, dedititios se divitum faciunt, et quasi in jus eorum ditionemque transcendunt : omnes hi qui defendi videntur defensoribus suis omnem ferè substantiam addicant. Mais on ne peut faire une peinture plus naturelle de hhumeur de nos Gentilshommes et Seigneurs de village, que celle qui se trouve dans cette ancienne Comedie, appelée Querolus, où Querolus fait, cette demande au Lar familier, ut sim privatus et potens, et mihi liceat, spoliare non debentes, cedere alienos, vicinos autem & cedere & Spoliare. a quoy Lar réponds atrocinium non potentiam queris : hoc nescio adepol quemadmodum prestari possit tibi, tamen inveni, habes quod exoptas, vade ad Ligerim, vivito illic jure gentium, illic vivunt homines, ibi nullum est aerestigium, ibi sententiae capitales de croboreproferuntur et scribuntur in ossibus, illic etiam privati rustici perorant, et privati judicant, ibi totum. licet. La replique est, neque dives ero sum, neque robore uti cupio, nolo hec jura silvestria. Pierre Daniel qui a commenté cette Comedie, et Loyseau aprés luyLoyseau , t. des Abus de Justice de village, estiment que cela s’entend des Druydes et des Juges sous l’Orme.Brodeau , Coutume de Paris, Article 71. n. 17. l’explique à la lettre des Gentilshommes François, qui traitent leurs pauvres villageois à coups de baton, ce qui êtoit pratiqué principalement aux Provinces d’Anjou, du Maine, et autres voisines de la Loires dont nous avons d’illustres témoignages dans les Capitulaires de Charlemagne. Il reste encore aujourd’huy trop de gens de cette humeurs et qui en usent de la sorte, lors qu’ils osent le faire impunément. Les Ordonnances de Loüis XII. de l an 1499. d’Orléans, Article, oS. De Blois, aux Articles 280. 283. et 305. ont condamné toutes ces vexations, et il est défendu aux Gentilshommes d’exiger des païsans aucune somme de deniers, ni blés et avoines, ni de corvées, et autres choses quelconquesa sous pretexte de donner leur protection et de les garantir de gens de guerre ; de sorte qu’aujourd’huy parmy nous il ne reste presque plus de marques de la servitude personnelle, que dans la Bourgogne.

Le grand Clovis en l’année 499. imita les Romains, car aprés avoir défait les Allemans en la bataille de Tolbiac, eos servituti mancipavit beneficiario titulo fiscalinos, hoc est Regis proprios homines re et corpore reddidit, ce qui fut pratiqué par les Rois suivans dont AngelusVanderhagen , de Rep. Hanseat. c. 4. 5. 3. rapporte cette preuve ; Ludovicus Caroli filius Cinatdo patris sui cancellario contulit predia enichiestad cum servis Regis propriis quatuordecim & uxoribus suis, et libevis tredecim : Et cet Auteur ajoûte in Galliis, hi homines manus mortua vocantur, ce sont pro-prement ceux que le droit Romain appelle ascriptitios, Bodin en sa Rep. l. 1. n. 10. qui Cujac ne differoient gueres des esclaves : Cujat. Ad Tit. de agric. et cen. et lib. 12. obser. c. 35. servi conditionales 1. 7. C. de jur. fis. censiti, glebaque ascripti, qui cum agro uni Domino serviebant, et unâ cum feudo mancipabantur et alienabantur, sic érant coloni palestini, coloni patrimoniales, saltuenses, Emphyteucarii, Burgarii, colonarii, inquilinarii, coloni rei privata, dominici fiscales servi, tamiaci, matileguli, et une infinité d’autres parmy les Romains, et parmy les premiers François. l. 3. Francic. leg. c. 86. nous y trouvons de pareilles servitudes, censatos qui operum & servitutem personalem in domo Domini debebant ; et au liv. 1. des mêmes loix c. 75. il est fait mention de beneficialibus arque Pagensibus, Pagenses quasi pueri de pago Domini in ejus domo enutriti. ce qui a fait estimer àFerrerius , que le mot de Page a pris de-là son origine, non à pedagogianis Romanorum pueris. Agobard Evesque de Lyon dans le Chap. de privilegio et jure sacerdotali, en arle en cette sorte, habeo clericionem quem nutrivi de Pagensibus.

Et pour dire le vray toutes ces corvées sont des restes de l’ancienne servitude, que les Conquerans imposoient aux peuples vaincus ; nos François imiterent l’exemple des Romains. ce qu’on infere de la conformité de ces sujetions qui étoient en usage parmy les Romains, avec celles que Clovis et Charlemagne imposerent aux Gaulois et aux Allemans, et dont il reste encore quelques marques dans la Bourgogne. Les Historiens Allemans nous apprennent que les Allemans qui avoient défendu si long-temps leur liberté contre la puissance des Romains, furent enfin vaincus et reduits sous une dure servitude par Clovis, aprés cette fa-meuse bataille de Tolbiac ; car à l’exemple des Romains, il leur laissa la vie sous de facheuses conditions ; Charlemagne en usa de meme contre les Saxons ; aprés les avoir défaits en une nfinité combats : Lehman dans sa Chronique de Spire l. 2. c. 20. en rapporte quelques Articles. 1. vir & femina cum liberis & omni supellectile ac sumptu cum operis venales fuerunt, et ita ad possidendum emptori & possessoribus traditi sunt. 2. non licebat servo aliam sibi copular nisi servam, nec quamlibet, sed eam solam que ejusdem dominii effet, nisi aliud conventione paciscentium Dominorum licuisset. 3. quecumque sudore et labore suo comparaverunt, ea omnia Domino eorum fuerant lucrati, ita ut nihil proprii in iis possiderent ; ac licebat impunè Dominis illis talia eripere. 4. sic nec colono nec fiscalino licitum erat traditiones facere, aut per testamentum justum aliquid in liberos, nepotes, aut ecclesias transferre, sed competebat Dominis optimum quodque prius ex bonis sibi ligendi. 5. ita quoque cogebantur quotannis certas pensiones ex hortis, arborum fructibus, piscibus, carnibus, anibus, pullis, Gallinis ; & ejusmodi generibus, quasi pro usu fructu solvere, qui reditus in Dominos redundabant. 6. quod si quadam persona serva nimiam ob perturbationem aliamve ob causam in alium locum concessisset, non solum revocati poterat, sed etiam Magaestratus statim ad initium jugae factum expellere ultro eam cogebantur, unde lex hec servi fugere, latitare, statum dissimulare, se infamiae nota, et amplioris penâ irrogatione vetantur. 7. quod si quoque vir, mulier, famulus aut incilla à Domino suo effet interfectus, quocumque modo id fuisset perpetratum, exilem solvit mulctam.

VoyezVander-hagen , de Rep. Hanseat. p. 1. c. 5. Du Moulin a écrit que fous le regne de François I. plusieurs Normans accablez par les tailles se refugierent en Bourgogne où ils se firent gens de Main-morte, Coûtume de Paris t. 1. gl. 3. n. 2. et 8. 41. n. 55. Guy Papé traite cette question, si le vassal est tenu de faire ces corvées à ses dépens, ou sipson Seigneur doit uy fournir sa nourriture ; cet Auteur en usoit charitablement envers ses vassaux, et il les détrayoit durant le temps qu’ils travailloient pour luy. Mais si les aveux n’y obligent le Seigneur, les vassaux ne peuvent demander leur nourriture, ce qui est conforme à la disposition du droit Romain, où laffranchi suo victu & suo vestitu deber operas praestare Patrono ; Ratio est, quia unusquisque rem quam spopondit suo impendio dare debet, l. suo sumptu ; de oper. liben. D.

Comme ces corvées sont odieuses, elles ne peuvent s’acquerir par la possession même cenrenaire sans titre. Mornac ad l. si servus S. si servum ad l. Aquiliam. Brodeau Article 2. de la coûtume de Paris.Loüet , l. 5. n. 7. et infra Art. 21. ur cette question si le Champart est dû des pommes et des poires qui ont crû sur le fonds sujet à champart, il fut jugé pour l’affirmative en la cause plaidée en la Grand-Chambre se 23 de Novembre 1657. entre Mr de Gruchet-Soquence, Conseiller en la Cour, et un sien vassal, lequel sur l’appel de la Sentence des Requêtes qui le condamnoit au droit de champart, disoit qu’en toute la Province il ne se pavoit qu’en grains, qu’il étoit en une possession imnemoriale de ne payer aucun champart de ses pommes et poires, quoy que depuis tres-long-temps on eût planté sur le fonds une ceinture de pommiers, si on avoit changé entièrement a Culture ancienne et ordinaire du fonds, al seroit raisonnable de le payer au Seigneur, afin qu’il ne fût pas frustré de son droit ; mais cette ceinture d’arbres ne diminuoit point la recolte, non pas même pour ce qui naissoit sous les arbres, aussi tous les Aveux ne faisoient au-cune mention du champart des pommes ou des poires, mais seulement des grains ; que l’Aveu d’un autre vassal contenant qu’il devoit le champart de tout ce qu’il portoit à sa grange, ne faisoit point de consequence à son préjudice ; on pouvoit même en tirer une preuve contre le Seigneur, parce que les fruits ne se portent point en la grange, mais en des greniers.

Hurard pour M de Soquence, soûtenoit que le champart étoit dû de tous les fruits, ce qui e prouvoit par la defintion du champart, campi pars : Or les fruits ne font pas moins partie du fonds que les grains, et par cette plantation de pommiers on recueilloit moins de grains, parce que ces arbres occupoient la terre et y portoient ombrage : La cause fut appointée au Conseil, elle fut depuis jugée au Rapport de Mr de Caradas-du Heron, et par l’Arrest du 2 d’Aoust 1658. la Sentence fut confirmée.

C’est un usage en cette Province, que quand on a quelque somme à reprendre sur quelque communauté, on ordonne que dans un temps on en fera la repartition sur les particuliers, autrement qu’il sera permis de se faire payer sur les plus solvables de la communauté. On a prétendit qu’un Seigneur ne peut pas en user de même sur ses vassaux, pour le non accomplissement de quelques corvées. Les vassaux de Bonenfant, sieur de Magny, étoient sujets par leurs Aveux de curer ses fossez ; le sieur de Magny les y fit condamner aux Pleds de sa Seigneurie, et faute d’y avoir satisfait, il fit ajuger ce curage à 8oo livres ; aprés l’adjudication, quelques-uns de ces vassaux ayant offert de travailler, par Sentence du Juge de Fa-laise il fut dit que le prix de l’adjudication seroit reparty sur tous les vassaux, au pié la perche des terres que chacun possedoit, et à faute par eux de faire cette repartition dans le mois, il fut permis au Seigneur de faire executer douze des plus solvables. Morin et le Bourgeois, i deux de ses vassaux, ayant appelé de cette Sentence Theroude leur Avocat disoit que le seigneur pour ces corvées n’avoit point d’obligation solidaire, et que chaque vassal n’y êtoit renu qu’à proportion des terres qu’il possedoit : Le Bouvier au contraire, soûtenoit que c’étoit une obligation in factum, qui étant individuë ne pouvoit être separée, que l’offre faite par un des obligez n’étoit point valable, si tous les autres ne s’acquitoient point de leur devoir, que comme les infeodations avoient été faites à une seule fois, la condition du Seigneur ne pouvoit devenir plus mauvaise par le fait des vassaux, ni par leurs partages et divisions, comme il arriveroit toûjours si le Seigneur êtoit reduit à poursuivre chaque vassal en particu-dier, que cette condamnation sur douze vassaux n’étoit que per modum pona, à faute par les vassaux d’avoir satisfait à leur devoir dans les delais qui leur avoient été accordez ; par Arrest en l’Audience de la Grand Chambre du et de May 1659. la Sentence fut confirmée.


XXXII.

Peuvent lesdits Bas-Justiciers connoître de la division des terres quand il est question de la mesure entr’eux et leurs vassaux, pour la vérification de leurs aveux : Et pour le different des mesures d’entre les sujets, la connoissance en appartient au Juge Royal ou Haut-Justicier.

Je ne sçay si cet Article n’a point été mal rédigé, car il me semble qu’il eût été plus dans fordre, de faire une disposition contraire à celle qu’il contient : quand il est question de la mesure entre le Seigneur et le vassal, le Seneschal en connoit ; mais lors qu’il y a different entre les vassaux pour les mesures, le Juge Royal en est competent. Or comme un pauvre vassal obtient mal-aisément justice contre son seigneur devant son Seneschal, il auroit été beaucoup plus raisonnable que le different du Seigneur contre son vassal eût été renvoyé devant le Juge Royal, et que la connoissance des questions mûes pour la mésure entre les vas saux fût restée devant le Seneschal, qui n’auroit point été empesché de leur rendre justice par la crainte de déplaire à son Seigneur.


XXXIII.

Les Bas-Justiciers en tenant les Pleds peuvent lever dix-huit sols un denier d’amende où amende échet, et non plus pour rente non payée, et selon la qualité d’icelle, sans préjudice des amendes curiales, des defauts, blâme d’aveu, et autres instances.

L’amende jugée par cet Article contre le vassal par le defaut du payement de la rente qu’il doit, peut être levée quoy que cette rente soit au dessous dedix-huit sols ; car elle est prononcée par la Coûtume, pour punir la negligence et le mépris du vassal, et afin que le Seigneur n’ait pas la peine de former une action pour une rente de peu de consequence, le Seneschal neanmoins peut la moderer. La Glose de l’ancienne Coûtume, Tit. de Justiciément, dit que c’est dépiter Justice, quand le vassal ne paye point sa rente. Pontanus sur l’Article troisième de la Coûtume de Blois a fait cette observation que les Seigneurs de fief, en s’attribuant le pouvoir de lever une amende pour rente non payée, se sont attribuez les prerogatives du fisc. Nam nunquam reperias in jure ponam ob censum sua die privato non solutum parti privata applicari. Glossa in l. Omnibus. C. de vectigali et com.

Si le vassal a negligé plusieurs années de payer les rentes qu’il doit, le Seigneur ne peut pas lever autant d’amendes, si par chaque année il n’y a fait condamnar le vassal, suivant un ancien Arrest du 9 de Juillet 1528. Sur cette question, et les Arrests et les Commentateurs de la Coûtume de Paris sont fort contraires. MrLoüet , l. 2. n. 8. rapporte un Arrest, par lequel il a été jugé que l’amende qui est commise par la Coûtume, faute de payement de cens, ne se commet qu’une fois, les amendes des années precedentes étant couvertes par le silence et par la negligence du Seigneur ; et d’ailleurs in stipulationibus penalibus pona semel commissa amplius non committitur. l. si duo S. fin. D. de recept. arb. Charon et Brodeau sur sur M. Loüet en citent de contraires, et quoy que Brodeau les tienne rigoureux, il les défend par ces raisons, que ces amendes ne sont pas tant poenables que domaniales, patrimoniales, et coûtumieres dûës au Seigneur censier, sieut ipse census & sunt fructus sui census ; ce qu’il repete en son Commentaire sur l’Article 85. de la Coûtume de Paris : Ricard sur ce même Article outre l’Arrest remarqué par MrLoüet , on allégue un autre contraire à ceux deBrodeau , et son sentiment est que l’amende ordonnée par l’Article 85. de la Coûtume de Paris pour cens non payé, ne se commet qu’une fois : de sorte que bien qu’il soit dû plusieurs années d’arrerages, le Seigneur ne peut demander qu’une seule amende ; et du Moulin sur ce même Article atteste que c’est l’usage de tout le Royaume, sinon au cas que le censier fingulis annis, in jus vocatus fuerit, & semper contumax et reliquator manserit : ce qui est conforme à cet ancien Arrest de ce Parlement dont je viens de parler, les termes de cet Article semblent décider cette question : Les Bas-Justiciers peuvent lever une amende de dix-huit sols un denier : cette amende n’est pas commise de plein droit, le Seigneur peut véritablement la lever, mais il peut aussi la remettre : or on doit présumer qu’il a eu cette volonté de la remettre, quand à ses Pleds il n’y a point fait condamner son vassal, au contraire on ne peut douter de son intention quand il a fait condamner son vassal, et que par consequent il ne puisse demander l’amende pour autant d’années qu’il en a fait juger la condamnation, que si le Seigneur n’a point tenu ses Pleds, il n’a point d’actions car cet Article ne luy permet de lever l’amende qu’en tenant ses Pleds : et neanmoins puisque par cet Article le Bas-Justicier peut demander trois années de ses rentes, il semble qu’on peut aussi demander pour ces trois années l’amende qui luy est acquise en cas de non payement.

Si le Seigneur feodal n’avoit point de Coureni de Jurisdiction, comme il peut arriver, dans la division d’un fief, où la Justice sera reservée à une des portions du fief, on demande si l’amende jugée pour rente non payée appartiendra au Seigneur de la rente, ou au Seigneur à qui la Jurisdiction appartient : On dit pour le Seigneur de la rente, que la cause de l’amende est le defaut du payement de la rente, par consequent elle doit luy appartenir. On allégue pour le Seigneur de la Jurisdiction, que celuy qui n’a point de Justice ne la peut prononcer, que c’est un fruit de sa Jurisdiction qui luy doit demeurer : mais cette Jurisdiction étant empruntée, et le seigneur qui la possede étant obligé de faire rendre la Justice à celuy qui a partage avec luy par une condition expresse ou tacite du partage, il ne doit point profiter de l’amende. Voyez Bacquet des Droits de Just.

Ce ne seroit pas une paction legitime dans le contrat d’une rente constituée à prix d’argent, qu’à faute de payement on pourroit demander une amende, cette convention seroit nulle, comme étant faite pour déguiser une usure ; mais la peine ordonnée par cet Article n’est pas de cette nature, la Coûtume a voulu vanger le mépris du vassal, et au lieu de permettre au Seigneur de l’expulser, elle châtie le vassal par une amende,Bald . Ad tit. qualiter Domin. proprie-tate feudi privetur.


XXXIV.

Grains dûs au Seigneur où doivent être portez, le prix en cas de refus, et le jauge de la mesure.

Le Seigneur doit tenir son grenier ouvert pour recevoir les rentes en grain du jour qu’elles luy sont dûës : et ne pourra lever l’amende, sinon aprés le jour des pleds qu’il sera tenu faire termer un mois aprés le terme échû. Et si le Seigneur refuse recevoir le grain, le vassal se pourra retirer à la Justice ordinaire, pour prendre extrait de la valeur du grain, du temps que l’offre de payer a été faite, pour assujettir ledit Seigneur à recevoir le prix de l’evaluation dudit grain, et seront tenus les Seigneurs avoir chacun en leur Seigneurie un étalon de leur mesure, jauge et marque du jaugeur Royal, dont les Seigneurs et leurs vassaux conviendront.

La Coûtume ordonnant au Seigneur de tenir son grenier ouvert, il s’ensuit que les vassaux sont tenus d’y apporter leurs rentes, ce qui termine cette question, si le Cens est quera-ple, ou portable ; Le Seigneur tiendroit inutilement son grenier ouvert, si le vassal n’étoit point obligé d’y apporter les rentes qu’il doit. Et c’est aussi le sentiment de nos Auteurs, parce que les rentes Seigneuriales ne sont pas de simples redevances pecuniaires, dont on soit quitte en les payant aprés la demande qu’on en a faite : Elles ont été imposées au vassal pour une marque de sujetion et de reverence qu’il doit à son Seigneur, et ideo annexam habent honoris & reverentiae exhibitionem, & ideo hec jura reddi debent in domo à qua feudum dependet,Molin . de feud. S. 62. n. 10 Loysel Loysel en ses Institutes coûtumières en a fait une regle du droit François, l. 4. t. 2. Art. 2.

Cens n’est requerable, ains vendable et portable. Nous avons neanmoins quelques Coûtumes qui le rendent requérable, comme celle d’Orléans, Art. 117. La Coûtume de Blois, Art. 109. fait deux sortes de cens ; les uns se payent à jour nommé, les autres se font à queste Chassanée Chassanée sur la Coûtume de Bourgogne, Rubr. 11. 6. 6. in verbo, contre le tenementier, fait cette distinction suivant le sentiment de Bartole sur la loy item illa de constit. pecu. D. que quand le Seigneur et le vassal demeurent sous une même Jurisdiction, sunt ejusdem fori, le tenantier est obligé de porter le cens à la maison de son Seigneur : Que s’ils ne sont pas ejusdem fori, le Seigneur est tenu de demander le cens à son vassal. Il seroit équitable en Chassanée quelques rencontres de suivre la distinction de Chassanée ; Car il peut arriver que les teneures d’un fief seront fort éloignées du manoir Seigneurial, et que les frais du port et du voyage. d’un pauvre vassal excederoient beaucoup la valeur de la rente Seigneuriale : En ce cas il seroit uste d’obliger le Seigneur à établir son grenier de recepte sur le lieuComme cet Article est d’un grand usage en cette Province, à cause du grand nombre de sentes dont les terres sont chargées envers les Seigneurs feodaux, il est fort important de le bien entendre.

Le Seigneur doit tenir son grenier ouvert pour recevoir ses rentes du jour qu’elles luy sont : dûës : On ne doit pas induire de ces paroles que le Seigneur doive faire publier le, jour et le lieu où il tiendra son grenier ouvert : car pour le jour lors qu’il est limité par les aveux, le seigneur n’est point obligé de faire d’autre interpellation à son vassal ; et pour le lieu, lors qu’il y a un manoir Seigneurial, le vassal n’a point besoin d’être averty que c’est en ce lieu-là qu’il doit apporter ses rentes : ce seroit une ignorance malicieuse et affectée de sa part s’il excusoit sa negligence et le defaut de payement par cette raison, que le Seigneur n’auroit pas notifié et designé le lieu de son grenier. Si le Seigneur pour recevoir la foy et hommage de ses vassaux n’est pas tenu de leur marquer le lieu où il pretend la recevoir, parce qu’ils ne peuvent ignorer que le manoir Seigneurial est le lieu naturel et ordinaire, ou ils doivent se presenter, il y a’beaucoup moins de necessité de leur designer un lieu pour le payement des sentes, leur excuse seroit raisonnable. s’il n’y avoit point de manoir Seigneurial, et que le Seigneur ne fit point de residence sur le lieu : Ainsi par ces paroles, le Seigneur doit tenir son grenier ouvert, il faut entendre que le Seigneur doit toûjours être prest de recevoir ses rentes et de tenir son grenier ouvert pour les recevoir, autrement il ne peut accuser son vassal de negligence, ni lever lamende que le vassal doit quand il n’a point payé dans le temps prefix par ses aveux : aussi cet Article n’oblige point le Seigneur à déclarer le lieu où sera son grenierII présuppofe que ce sera en son manoir Seigneurial : que s’il ne veut point que ce soit en ce lieu-là, il en doit designer un autre, pourvû qu’il ne soit pas incommode aux vassaux : Dominus patest mutare domicilium, modo ipsum constituat in aliquo loco feudi non valde remobi à veteri, et le vaissal s’y doit transporter, pourvû qu’il le puisse faire en seureté ; aliter non meruit mulctamiMolin . de feud. Art. 85. et Ricard 16.

Me Jacques Godefroy ayant proposé cette question, si le Seigneur seroit tenu de recevoir ses rentes, qui luy seroient offertes par un tiers sans en avoir pouvoir du vassal, il répond ndéfinitiment qu’il pourroit refuser le payement qui luy seroit offert par deux raisons ; la prenière, que la rente Seigneuriale étant une reconnoissance quele vassal doit à son seigneur ; il la doit faist en personne ou par une personne approuvée par luy ; la deuxiéme, qu’il a interest de conserver ses possessions, ce qu’il ne pourroit faire s’il n’étoit payé que par une personne qui pourroit être desavoüée par son vassal ; ces raisons seroient considérables si le vassal en ssoit toûjours de la sorte, mais l’offre de payer faite par un tiers, quoy qu’il n’eûr point de procuration, seroit toûjours bonne à l’effet d’empescher le Seigneur de lever l’amende Quand le Seigneur refuse de recevoir le grain qui luy est offert, le vassal peut prendre un extrait de la valeur d’iceluy, du temps que l’offre de payer a été faite : Cet Article est favoable aux vassaux, et il étoit juste de l’ordonner de la sorte, afin que les Seigneurs ne pûssent pas exiger leurs rentes en argent, lors que les grains qui leur êtoient dus, étoient à vil prix Cette fraude fut autrefois pratiquée par les soldats Romains, qui ne vouloient pas prendre en essence les vivres et munitions qui leur êtoient ordonnées, lors qu’elles étoient à bon marché, reaeudiata ad tempus Specierum copia, et inopiae occasione captata pretia postulabant, mais cela leur fut défendu par la loy, nulli militarium C. de erogatione annonae. C. l. 14. t. 38. Nos gens de guerre font aujourd’huy la même vexation aux pauvres païsans, pour leurs rations et leurs étapes.

Or comme le vassal ne peut être contraint de payer ses rentes que dans les espèces qu’il doit, il auroit mauvaise grace de requerir que son Seigneur les reçût en argent. Par un ancier Arrest du 24 de Janvier 1523. donné entre le Baron du Neubourg et les habitans de S. Nicolas du Verbois, il fut jugé qu’une rente de poivre, chapons, et moutons, et autres espèces, devoient être payées en essence, et non en deniers par estimation ; dans le titre du Code de Fabricensibus Provincialis, qui tenetur dare ferrum, non liberatur dando estimationem. Creditori inico. An aliud pro alio solvi possit, consule l. 2. de rebus cred. D.

Suivant cet Article, lors que le Seigneur a refusé de recevoir le grain qui luy êtoit offert, le vassal ne luy doit que lestimation du prix qu’il valoit au temps de l’offre, suivant l’évaluation faite par la Justice ordinaire, c’est à dire par la Justice Royale : car par Arrest du 18 de day 1619. sur la remontrance du Procureur General il fut dit, que les Seneschaux se regleoient sur les appretiations apportées au Greffe des Jurisdictions ordinaires, et du temps que les rentes sont dûës.

Il ne suffiroit pas neanmoins que le vassal eût offert son grain, s’il n’étoit pas de la valeur de la qualité requise par ses titres, et que par consequent le seigneur eût eu raison de le refusers mais comme le Seigneur demande toujours du meilleur, et qu’au contraire le vassal n’offre que le moindre, il faut trouver un temperament équitable pour les accorder Lors que la rente est dûë simplement en grain, sans faire mention de la qualité, le Seigneur ne peut refuser celuy qui a excrû sur le fonds naturellement affecté à la rente, et il est juste qu’il se paye des fruits que son fonds même a produits, pourvû qu’il n’y ait point de la faute du laboureur, c’est à dire, comme l’explique Coquille en sa question 53. que le blé soit bien vanné et criblé, et qu’il ne soit gâté ni poutry : car il faut que les rentes Seigneuriales et foncieres soient payées des fruits ; hec enim sunt fructus impendia, & fructus minuunt. l. neque sti-oendium D. de impen, in res dot. fact Que si l’héritage infeodé est de telle qualité qu’il ne puisse produire ni rapporter le grain qui est dû par l’inf-odation, il suffit, dit Coquille au lieu préallégué, de bailler du blé qui ne soit ni le moindre ni le meilleur, pourvû qu’il soit d’un prix et d’une bonté médiocre ; le Jurisconsulte l’a décidé de la sorte dans une espèce pareille : Legato generaliter relicto, veluti homi-nis, id est obseruandum ne optimus, vel pessimus accipiaturl. 37. de legat. 1 Enfin si le fonds est propre à rapporter du grain de la qualité qu’il est dû, et qu’il n’en ait oint rapporté cette année-là, en ce cas l’offre du vassal ne peut être bonne, s’il n’a offert du blé d’une valeur médiocre, entre le meilleur et le moindre, quand par les titres il n’est point fait mention de la qualité du blé que le vassal a promis de payer.

Le droit Romain êtoit plus favorable pour la liberation du debiteur, lors qu’il s’étoit obligé en termes generaux à payer du blé, du vin, ou quelques autres fruits, s’il n’étoit point fait mention de la qualité ou de la bonté, lors qu’il n’étoit en retardement de payer il en êtoit quitte en payant le pire blé, ou vin qu’il pouvoit, si qualitas adjecta non sit quaslibet dando etiam vilissimas liberatur, quia, ditBartole , in obligatione generis liberatur quis dando vilissimum quod est in ipfo genere. l. fidejussorem. 52. D. mandati. l. cum certum D. de tritico, vino, oleo, legMais il me semble plus équitable de garder le temperament dont je viens de parler Ce terme de blé employé simplement dans un contrat a fait naître une autre difficulté, s’il doit être entendu du blé froment, ou du blé meteil, ou du seigle, ou de quelqu’autre blé Mr Cujas sur la l. triticum 9ae. de verb. oblig. estiie que celuy qui a promis simplement du blé, est quitte en payant du seigle : Il faut à mon avis considerer l’usage et la manière de parler du lieu où l’on a contracté. Si par le mot de blé on entand communément du froment, il faudroit payer du froment ; que si l’usage étoit douteux, id quod minimum est sequen-Tronçon dum efset ; Troncon sur la Coûtume de Paris, Article 22. témoigne qu’il a été jugé contre le ntiment de MrCujas , que cela se regle, ex communi usu loquendi, et que dans les lieux oû il croit du froment, le mot de blé mis dans un contrat, ou dans un testament, doit toûjours être entendu de blé froment ; que si c’étoit en des lieux steriles, où il ne croit que du seigle, il faudroit considerer la qualité du blé qui croit dans les lieux où l’on a contracté. Pour faire une décision feure sur cette matiere, il faut dire que id sequendum est quod in regione in qua contrahitur, frequentatur La disposition de cet Article auroit été beaucoup plus parfaite, si aprés avoir décidé que le vassal aprés ses offres ne doit plus que l’évaluation de la chose sur le prix qu’elle valoit au temps de l’offre, on avoit ajoûté sur quel prix et de quel temps on doit estimer la chose dûë, lors que le vassal ou le debiteur sont en retardement, et qu’ils n’ont offert ni payé dans le temps. et au lieu qui leur êtoit limité.

Il est certain que cette matière est plus embarrassée dans le Droit civil, que dans nos Coûtumes, à cause de cette difference que les Jurisconsultes Romains mettoient entre les actions, et les jugemens de droit étroit, et ceux de bonne foy. Et quoy que le President Fabri ait fort s déclamé contre l’erreur des Praticiens qui n’y sont point de difference, de eer. pragmat. deca. i6. err. 1. et seq. cette distinction est maintenant inutile selon nos usages, car la raison de la différence entre les jugemens de droit étroit et ceux de bonne foy, consistoit en ce qu’en ceux, à le juge ne pouvoit condamner qu’en la somme qui luy étoit prescrite par la loy ; mais en ceux-cy aeon pouvoir n’étoit point limité, differentiae ratio est, ditHotoman , quest. illust. quest. 6. quod in illis judex ad certam quantitatem in judicium deductam adstrictus est : in his vero liberan ex aequo & bono astimandi potestatem habet. Or en France tous les jugemens sont de bonne foy, parce que les Juges ont la liberté de juger selon leurs consciences. : Il suffit donc pour l’éclaircissement de cette matière d’examiner ces trois questions ; la premiere, quand le debiteur est reputé morosif ; la deuxiéme, de quel temps on doit faire l’esti-mation ; et la troisiéme, sur quel prix elle doit être faite Pour connoître si le debiteur est en retardement, il faut considerer les termes de la promesse et de l’obligation ; on s’oblige en trois manieres, ou purement, ou dans un temps prefix, ou sous condition. Quand la promesse est pure et simple l’interpellation ou commandement de paye est necessaire de la part du creancier, soit que cela se fasse judiciairement ou hors jugement, tune mora contrahi intelligitur cum quis congruo loco, et tempore opportuno interpellatus fuit, l. mora. D. de usur.

Si le debiteur s’est obligé de payer dans un certain temps, il est en retardement dés le moment que ce terme est passé ; mais si le jour est incertain ou sous condition, la sommation est requise pour mettre son debiteur en retardement.

Coquille en sa question 206. dit, que pour sçavoir si un debiteur est en retardement, et an mora facta intelligatur, difficilis est definitio, parce que cela n’est décidé par aucune loy, et que la question en est plus de fait que de droit, l. mora de usuris, parce que l’on est en doute si c’est du jour que le payement a dû être fait, ou du jour de l’interpellation simple, ou du jour de la demande judiciaire ; il est certain neanmoins que le debiteur est reputé morosif dans les cas que j’ay proposez quand il faut faire lestimation de la chose que le debiteur n’a point payé dans le temps et au lieu qu’il avoit promis, on a douté de quel temps on doit faire lestimation. S’il faut considerer le temps que l’on a contracté, ou le temps de la contestation en cause, ou le temps le la Sentence ; Sur cela les interpretes du Droit mettent de la difference entre les jugemens de droit étroit, et les jugemens de bonne foy : En ceux-là lon considère la valeur de la chose au temps de la contestation en cause ; en ceux-cy le temps de la condamnation. l. 3. 5. in hac.

D. commod. les autres distinguent si le debiteur a été constitué en retardement par une interellation faite hors jugement, l. mora de usur. ou s’il est reputé morosif dés le jour que le ter-me du payement est échû, l. vinum. de rebus Cred. D.

Il importeroit fort peu de quel temps on feroit l’estimation, si le prix et la valour de la chose n’avoient point changé, et qu’il n’y fût point arrivé d’augmentation ou de dechet ; mais comme le prix peut être different en tous ces trois divers temps, de la demande, de la conrestation en cause, et de la Sentence, c’est en cela que consiste toute la difficulté, pour sça-voir de quel temps le debiteur doit payer l’estimation Comme on s’oblige en differentes manieres, et que obligatio differtur ex die, loco, et conlitione, le droit civil en la loy, vinum de reb. cred. et en la l. derniere de condict. triticana, aprés avoir proposé la question touchant le temps où l’estimation doit être faite, il l’a refoud en cette manière ; Que si le jour que l’on doit fouenir les especes venduës est limité par l’opligation, elles doivent être estimées selon leur valeur au jour que le terme est échù ; s’il n’y a point de temps certain, on doit le prix que la chose vaut au temps de la demande Mais on oppose à ces loix la loy penult. de condict. tritic. et la l. 3. 8. si per venditorem de act. emp. et vend. suivant lesquelles, sans considèrer le temps de la demande, de la contectation en cause, ou de la Sentence ; logs que le debiteur est en retardement, il doit payer la n chose au plus haut prix qu’elle a valu, quanti plurimi res fuerit à tempore mora : Il est vray que PresidentFabri , Decad. 16. err. 1. de errore prag. a pretendu que l’estimation quanti plurimi, l’a jamais lieu qu’en deux cas, in actione legis Aquiliae, & in condictione furtivâ, et que le veritable sens du S. si per venditorem est que l’estimation du plus haut prix ne doit être conside-rée que du temps de la demande, ou de la condamnation, et qu’il ne faut point avoir d’égard à l’augmentation qui pourroit être arrivée dans le temps intermediat, et que le debiteur ne doit que l’estimation de la chose au temps qu’il a dû la payer on raisonnement est que le terme de payement est ajoûté dans l’obligation, afin que l’obligé ait tout ce temps-là libre, sans pouvoir être contraint de payer avant qu’il soit échû, et le creancier l’a consenti de sa part, pour avertir le debiteur que s’il ne satisfait à sa promesse dans le jour prefix, il ne sera pas quitte en livrant la marchandife qu’il a promise, mais qu’il sera çondamné aux interests que le creancier souffre, pour n’avoir pas été livré en temps et lieu, d’où il s’enfuit que le creancier n’a jamais eu d’autre int ention que d’être payé ou dédommagé du préjudice qu’il souffre, faute d’avoir reçû sa marchandise au temps qu’il avoit espèré, et par consequent il ne peut demander que le prix que la chose valoit au temps. du payement,Fabri , erro. 4. ibid. On répond que cette estimation quanti plurimi, au plus haut prix que la chose a valu, est tres-équitable, autrement le debiteur profiteroit de sa negligence et de sa n’avvaise foy, s’il étoit quitté en ne payant la chose qu’au prix qu’elle valoit au temps de l’écheance de sa promesse. Il est vray qu’il ne devoit rien en plus outre s’il avoit reparé son rétardement, mais ayant ersevéré dans sa negligence, il n’est pas juste que le creancier fût privé du profit qu’il auroit ait sur sa marchandise s’il en avoit été livré.

Pour refoudre cette difficulté, il faut considerer la qualité des personnes et la nature de le ent chose. Quand il est question entre marchands de blés et de vins, qu’on a promis de payer en certain lieu, si l’obligé n’accomplit point sa promesse, l’estimation se doit faire au plus haut prix que le marchand eût pû vendre sa marchandise, étant juste d’estimer le gain qu’il pouvoit faire, puisque c’est sa profession de trafiquer pour gagner ; l. 2. in fine de eo quod certo loco. que si l’obligation est causée pour prest de blés ou de fruits, en ce cas quoy que la restitution en dût être faite à un jour prefix par l’obligation, néanmoins il ne faut point avoir égard qu’au prix qu’elle valoit lors de l’interpellation ou sommation rapportée en jugement ; la raison est que le prest étant gratuit ; l’obligé n’est en retardement que du jour de la demande ; que si le blé ou si le vin sont dûs pour une redevance foncière, Coquille estime qu’il faut payer l’année en espece, ou au plus haut prix, depuis la demande, et pour les arrerages precedens. il faut prendre l’estimation commune de chaque année, si ce n’est que le greancier en eût formé la demande par chaque année.

Mr deCambolas , l. 1. c. 20. rapporte un Arrest du Parlement de Tholose, par lequel on a ce fait cette distinction, que quand la rente est portable, celuy qui la doit est tenu de payer sur Loysel le prix le plus haut de toute l’année : ce qui n’est pas en la rente querable. Argumento, l. vinum ff. de rebus cred. et de la I. derniere de condict. tritic. Loysel en ses Instit. coûtumieres l. 4. t. 6. art. 18. dit que toutes appretiations de blés, vins, bois et autres choses, se doivent faire sur le registre du rapport qui s’en fait en Justice, et selon l’estimation commune de l’année qu’elles étoient dûëg mais les moissons et rentes foncieres en grain dûës à certain jour et lieu, seront appretiées au plus haut prix qu’elles ont valu en l’année depuis le jour que le payement en a dû être fait.

Parmy nous cette question a été long-temps indécise, elle fut fort disputée en un proces jugé au Rapport de Mr Boivin, le 31 de Janvier 1637. les uns disans qu’il falloit estimer les sentes seigneuriales non payées du jour de lécheance, les autres voulans que le payement en fût fait au plus haut prix de lannée ; il fut vâ un Arrest qui avoit jugé que c’êtoit du jour du terme échu. On argumentoit au contraire des termes de cet article, en ce qu’il dit que si le Seigneur refuse loffre du vassal, il ne la doit que sur le prix que la chose valoit au temps de sostre, d’où lon tiroit cette consequence que quand le vassal n’avoit point offert il étoit tenu de payer au plus haut prix ; les aûtres soûtenoient que le vassal étant puny d’une amende lors qu’il ne paye point la rente, il ne falloit point luy imposer d’autre peine, et que l’estimation quant plurimi n’avoit lieu qu’entre marchands. La question ne fut pas décidée, elle l’a été depuis par les deux Arrests donnez au Rapport de Mr du Houley et Fermanel, que j’ay remarquez sur l’Article 21 Quand la Coûtume ordonne au vassal de se retirer à la Justice ordinaire, il faut entendre à Royale ; et par Arrest du 18 de May r619. sur la remontrance du Procureur General, il fut dit que les Seneschaux se regleroient sur les appretiations apportées aux Greffes des Jurisdictions ordinaires, et du temps que les rentes sont échûës.


XXXV.

Dépens curiaux en la Cour du Seigneur.

Le Seigneur contre le vassal, et le vassal contre le Seigneur êtans en procez à la Cour dudit Seigneur, ne peuvent avoir aucuns dépens que les curiaux.

Les dépens curiaux dont cet Article fait mention, ne peuvent consister qu’en l’émolument t des Actes ; car un seigneur qui plaide dans son propre Manoir ne peut pas avoir de vacation Un seigneur avoit ajourné son vassal dés l’introduction du procez devant le Juge Royal, pour proceder en blame d’aveu, et le vassal y avoit procedé volontairement ; mais ayant été condamné aux dépens, il pretendit ne devoir que les curiaux, suivant cet Article ; le seigneur u contraire soûtenoit, que ses dépens ne pouvoient être reduits aux curiaux, que quand il plaidoit en sa Justice : et quoy qu’il esit ajourné son vassal devant le Juge Royal, il ne pouvoit s’en prévaloir, puisqu’il n’avoit point demandé son renvoy ; Par Arrest en la Grand-Chambre au Rapport de Mr Auber, du 7 de Février 1661. on ajugea seulement au Seigneur les dépens curiaux, n’ayant pû aggraver la condition de son vassal par l’ajournement qu’il luy avoit donné devant le Juge Royal, entre Me Pierre du Hamel Elû à Bernay, appelant, et Estienne des Hayes, Ecuyer sieur de Grafar, intimé. Ces dépens curiaux sont limitez aux BassesJustices, nôtre Coûtume appelle Cour du Seigneur le lieu où il tient sa Justice, curia dominicalis. comme on dit curia Episcopalis : dans les livres des fiefs il y a un titre de curtibus feudorum.


XXXVI.

Cas où les malfaicteurs peuvent être arrêtez, et où emprisonnez et detenus.

En forfait de bois, de garennes, et d’eaux défenduës, degasts de blés, ou de prez, ou pour telles manieres de forfaits peuvent être les malfaicteurs tenus et arrêtez par les Seigneurs aux fiefs desquels ils font tels forfaits, pourtant qu’ils soient prins en present méfait par le temps de vingt quatre heures jusques à ce qu’ils ayent baillé plege ou namps de payer le dommage et amende : et dedit temps de vingt-quatre heures passé, doivent renvoyer le prisonnier és prisons Royales, ou du Haut-Justicier, comme en prison empruntée.

De delicti solvarum et pascuorum. Vide constitut. feudales Sicul. imperati Friderici, c. 38. l. 3. legem alicam c. 1o Peu de Seigneurs feodaux en cette Province ont droit de garenne ; par Arrest du s. d’Aoust, 1659. au Rapport de M’Busquet, entre le Fauconnier, sieur des Courdonnes, et autres ; le seigneur qui avoit ses terres le long de la mer étant en possession du droit de gatenne, quoy qu’il n’eûr as beaucoup de titres fût maintenu, parce qu’étant sur le bord de la mer, cette garenne ne pouvoit être incommode ou dommageable à personne Le Seigneur peut arrêter les malfaicteurs et les bestes qui font du dommage, quamvis autem alienum pecus quis in agro suo deprehendat, sic tamen illud expellere debet, quomodo si suum de-prehendisset, quoniam siquid ex eare damni coeperit, habet actiones, l. Quintius Mutius ad l. Aquil. des dommages faits par les bestes, voyez Guenois confer. des Coûtumes.


XXXVII.

Cas auquel le Bas-Justicier peut connoître de crime, et ce qu’il y doit observer.

si un homme est pris en jurisdiction basse ou moyenne d’un Seigneur, ou s’il est poursuivy d’aucun cas criminel, et il le confesse : si le Bas-Justicier peut recouvrer assistans pour faire le jugement, il le peut faire dans un jour naturel, qui sont vingt-quatre heures : autrement le doit renvoyer par devant le Juge Royal, ou du Haut-Justicier.

Cet Article est le seul endroit où il soit parlé de la moyenne-Justice, sans declarer toutefois en quoy elle consiste ; c’étoit peut-être la Justice aux Barons, qui étoit plus ample que ne sont maintenant nos Justices feodales, quelques Seigneurs neanmoins en cette Province pretendent avoir des moyennes-Justices : Au procez de Mre de Pelvé, Comte de Flers, contre les Officiers de Vire, pour la moyenne-Justice qu’il disoit avoir en sa Comté de Flers, on traita la question s’il y avoit des moyennes-Justices en Normandie, et quelle pouvoit être leur competence, la Coûtume n’en faisant aucune mention, et n’en trouvant d’autres exemples que ceux de l’Abbesse de Caen dans le fauxbourg de S. Gilles, et de Jumieges et de quel-gues autres : La Cour ne décida point s’il avoit moyenne-Justice, il fut dit seulement par l’Arrest au Rapport de Mr Huc, au mois de Février 1634. qu’il auroit telle Justice qu’elle étoit déclarée par ses aveux, et qu’il l’avoit possedée auparavant : l’affaire parût si obseure que la Cour ne trouva pas à propos de s’en expliquer autrement, ni de décider ce que c’étoit que moyenne-Justice : ceux qui joüissent en cette Province de ces moyennes-Justices, comme l’Abbé deJumieges , l’Abbesse de Caen ; l’Abbé de Montebourg, le Seneschal de S. Lo, rétendent qu’ils ont droit de connoître des causes mobiliaires et personnelles entre leurs Masurier vassaux et qu’ils ont même la police dans leurs terres ; Voyez Masurier des hautes, moyennes, et basses-Justices, an. Tit. de Judic-

En cet Article la Coûtume donne un pouvoir fort extraordinaire de faire un procez criminel, pourvû que ce soit dans les vingt-quatre heures : Nos Legislateurs n’ont pas été fort ja-loux de la puissance du glaive, puisqu’ils sont communiquée aux Bas-Justiciers, ce qui détruit outes ces distinctions que nos Jurisconsultes François ont faites entre les hautes, moyennes, et basses-Justices : la vie des hommes et leur honneur ne doivent pas être commis entre les mains de Juges si peu qualifiez ; aussi l’on ne voit point que cet Article soit en usage, et il seroit fort difficile d’instruire un procez criminel en si peu de temps.

Il faut dire avec MrCujas , in l. 16. et 3. de Jurisd. que merum imperium est à lege, non a Magistratu : ce n’est point la qualité du Juge qui donne ce pouvoir, mais la loy, et ideo privatis aliquando tribuitur, & ita Pompeius missus est cum imperio contra Sertorium, cum privatus erat. Ainsi nôtre Coûtume a donné aux Bas. Justiciers cette autorité d’informer contre ceux qui sont pris en flagrant delict : c’est le sentiment de M’d’Argentré , Article 4. des Just. not. 1. que tout Juge est competent d’informer en flagrant delict, et d’arrêter les malfaicteurs, et il tient même qu’un Laique peut arrêter un Ecclesiastique, sauf aprés à le renvoyer devant son uge, ce qu’il confirme par l’exemple des défenseurs des villes, qui imperium non habent, et ideos ut forum loquitur, qui bassam Jurisdictionem tantum habent.


XXXVIII.

La seance des Ecclesiastiques et Nobles aux sieges de Jurisdiction.

Les Ecclesiastiques et Nobles ont droit de seance prés et à côté des Juges.

On a conservé aux Ecclesiastiques et aux Nobles ce droit de seance à côté des Juges, parcé qu’autresfois ils étoient appelez aux Echiquiers, et alors les Baillifs et les Vicomtes étoient de courte robbe, et tenoient leur Jurisdiction le bonnet de velours en teste, et l’épée au côté : Il y avoit cette différence entre les Ecclesiastiques et les Gentilshommes, que ceux-là n’étoient as contraints par amendes de se trouver à l’Echiquier, mais ils en étoient invitez, et les Gentilshommes êtoient en obligation d’y assister.

Le PapeInnocent III . C. solita de major. et obed. exhorte les Princes de donner seance prés d’eux aux Archevesques et Evesques : Mr le Maître c. 3. en son Traité des Regales, a écrit que tous les Evesques de France ont seance dans tous les Parlemens au dessous du dernier President, pourvû qu’ils ayent fait serment de fidelité au Roy ; mais que les Archeves-ques et Evesques, Pairs seulement, ont voix deliberative en l’Audience, et en la Chambre du conseil : En ce Parlement les Evesques de ce ressort qui ont été Conseillers en la Cour, ont eance et voix deliberative. Le sde May 1599. un Archevesque de Tours, qui avoit été onze ans Conseiller au Parlement de Paris, presenta des lettres à la Cour pour avoir seance et voix deliberative, lesquelles avant été deliberées les Chambres assemblées, il eut seance : Quanc les Archevesques ou Evesques ont seance aux Parlemens, on la leur donne au côté des Laiques, pour montrer qu’on ne leur baille seance comme Ecclesiastiques, mais comme Conseillers du Roy, et non comme Evesques. Le 13 de Janvier 1631. Mr l’Evesque et Comte de Beauvais, Pair de France, assista à l’Audience, et y eut sa seance et voix deliberative, étant un des fix Pairs Ecclesiastiques de France.


XXXIX.

Es causes réelles on n’est tenu de plaider en moindre terme que de quinzaine.

Nul n’est tenu de répondre de son héritage en moindre temps que de quinzaine en quinzaine : Mais la premiere assignation se peut donner aux prochains pleds, encores qu’il n’y ait quinzaine.

Il falloit mettre aprés cet Article, les Articles 527. et 528.


XL.

Action en garantie.

Nul n’est tenu attendre le quatrième garand sans avoir jugement, et le premier garand ne peut appeler le second sans faillir de garantie, ou s’en charger, et ainsi de garand en garand.

Suivant la pensée de MrCujas , in comment. Ad Tit. 36. l. 4. de feud. de lege Conrad. gerand est un vieux mot Allemand, qui signifie ce que les Latins appellent authorem, qui de evictione Loyseau renetur. Du Moulin au contraire a crû que guarentigier est un mot barbare, garand est vocabulum à Francis et Longobardis ortum.Loyseau , de la garant. des rentes, c. 1. luy donne une au-tre étymologie, et le fait venir de garer, vieux mot François, qui signifie mettre en seureté.

Les Anglois et les Ecossois disent narantir, et marantisare, changeant le g, en un double m, comme nous avons fait au mot de mé, pour gué. Ils disent aussi parnir pour garnir. Le Pere Sirmond en ses Notes sur les Capitulaires de Charles le Chauve, p. 59. de suo marnitus. l. instructus, paratus, garni : En fait de garantie la première contestation arrive ordinairement pour la Jurisdiction ; le garand ne manque point à proposer un déclinatoire, et à demander son renroy devant son Juge naturel, suivant la l. venditor. D. de judic. L’acheteur est tenu de suivre la Jurisdiction du vendeur, qui l’appelle en garantie ; mais en explication de cette loy, nos Auteurs ont fait une distinction du garand formel, d’avec le garand simple. Le premior ne peut décliner la Jurisdiction du demandeur en garantie, s’il n’a un privilege : l’autre peut demander son renvoy ; mais quand ils veulent définir le garand formel ou le garand simple, ils s’en expliquent assez obscurement : Ils appellent garand formel celuy qui dans une cause réelle se charge du fait du demandeur, ubi quispiam possessor actione reali conventus, eum vocat à que titulo oneroso rem comparavit, aut cujus nomine rem possidet, ut litem in se suscipiat et suis sumpribus defendat ; et hos garendos formales vocant, dit M’d’Argentré en sa Preface sur le t. des garands.

Le garand simple est celuy qui étant appelé en une action personnelle, tefuse de se charger lu fait du demandeur en garantie, en ce cas le déclinatoire est raisonnable. Chenu en ses Notes ur les Arrests dePap . l. 11. t. 4. Charondas en ses Resp. l. 3. Resp. 60. MiMainard , l. 3. c. 33.

Ce dernier Auteur fait une différence entre la garantie et eviction et la sommation et indemnité, celles-là, dit-il ; regardent une action petitoite, et par consequent réelle ; celles-cy une condiction, et ainsi personnelle : Pour les premieres on ne peut demander le renvoy, et pour les autres il est permis de conclure ce qu’il prouve par la l. in fin. Cobi in rem act. ubi in rem agitur Jurisdictionis forma in eadem Provincia constitutis tam petitore quam possessore ob authoris personam, quem in aliâ Provinciâ certum est consistere non debet immutari : at ubi in personam, sive civiliver, sive criminaliter agitur juris ordo convertitur si postuletur, aut aliter contendatur, ut non actor forum rei, sed reus actoris sequatur. Ce qui fut jugé de la sorte à son Rapport.

Le PresidentFabri , in eor. err. pragm. dec. 6. cor. 10. accuse d’erreur tous les Praticiens, quand ls enseignent que le vendeur appelé en garantie par l’acheteur, doit necessairement reconnoletre la Jurisdiction où l’instance est artachée, soit qu’il se charge, ou qu’il manque de garantie.

Il convient bien que quand il ne se défend point de la garantie, il ne peut proposer de declinatoire ; que s’il conteste la garantie c’est une erreur, dit-il, qu’il ne puisse pas demander son renvoy, et son distingue mal à propos les actions réelles d’avec les personnelles : Nam si quis ex venditione ; vel ex causa mandati conveniatur, ut litem pro alio suscipiat, necesse est, ut ex contractu, vel quasi contractu conveniatur ; ergo ex personali actione : personales enim actiones ex unt omnes, que ex contractu, vel quasi, ex aelicto, vel quasi proficiscuntur. Or c’est une regle vertaine en droit, que dans les actions personnelles le demandeur suit la Jurisdiction du défenleur, l. 2. C. de Jurisd. omni Jud. quod & in actionibus in rem locum habet ; nisi quod eo casis etiam un iis locis in quibus res propter quas contradicitur site sunt, actio in rem contrâ possidentem exerceri potest l. ult. ubi in rem : a quoy la l. venditor, n’est point contraire, car en cette loy le vendeur ne se défendoit point de la garantie, sed dicebat privilegium sui judicis habore, mais c’est un cas fort different, quand le vendeur contredit la demande de garantie ; tunc enim qui ex propria persona proprioque facto convenitur apud alienum judicom conveniri non debet L’Ordonnance de 1667. a fait cesser cette controverse ; par l’Art. 8. du t. des Garans, ceux qui seront assignez en garantie formelle ou simple ; seront tenus de proceder en la Jurisdiction où la demande originaire sera pendante, encore qu’ils dénient d’être garands, si ce n’est ue le garand soit privilegié, et qu’il demande son renvoy ; que s’il paroit par écrit ou par évidence du fait que la demande originaire n’ait été formée que pour traduire le garand hors de la Jurisdiction, il est enjoint aux Juges de renvoyer la cause. Cette même Ordonnance 2 reglé les delais pour appeler garands, t. des garands. Et l’Article 12. du même titre a decidé ne question que l’on avoit jugée diversement, à sçavoir que les jugemens rendus contre les garands seront executoires contre les garantis, fauf pour les dépens, dommages et interests, dont la liquidation et execution ne se fera que contre les garands, et il suffira de signifier le jugement aux garantis

C’est une question si toutes sortes de contrats produisent une action en garantie. On fait distinction entre les contrats à titre lucratif, et les contrats à titre onereux : d’Argentré en sa Préface sur le titre des garanties.

Pour les premiers on fuit la disposition de la loy Aristo. 5. dernier de donat. D. que le lonateur n’est point garand de sa liberalité s’il ne s’y est expressément obligé, l. 2. c. de Evict. ou s’il n’y a du dol de sa part ; et le Jurisconsulte explique quel peut être ce dol, à sçavoir lors qu’il donne une terre qu’il sçait certainement ne luy appartenir point, et cependant il ouffre que le donataire fasse de grandes dépenses sur ce fonds-là, dont il ne peut être remboursé par le propriétaire.

Il y a neanmoins encone ufe action on garantie, si le testateur avoit légué un esclave sans le fiommer ni le designer ; si le legataire étoit dépossedé de celuy que l’heritier luy avoit baillé, il auroit action contre luy pour luy en demander un autre. Heres servum non nominatim legaum tradidit et de dolo repromisit, postea servus evictus est, agere cum herede legatarius ex testamento goterit, quamvis heres alienum servum esse ignoraverit. l. heres 58. de Evict. D. Le Jurisconsulte en rend cette raison en la loy qui concubinam. 8. si heres. 29. de leg. 3. quia non videtur heres dediffe quod ita dederat, ut habere non possit.

Pour les contrats à titre onereux le vendeur est obligé à la garantie par la propre nature du contrat, sans aucune promesse ni stipulation, l. si in venditione et l. evicta de Evict. D. ce qui est si certain que la stipulation de garantie ne sert de rien, et est inutile, quia expressio eorun quae tacité insunt nihil operatur, cette action en garantie ne produit pas seulement la restitution du prix que le vendeur à reçû, il doit encore à l’acheteur tous ses dommages et interests, tanto damnatur venditor quam si pro evictione cavisset. Si toutefois quelqu’un achetoit une chose qu’il sçavoit fort bien n’appartenir point au vendeur, il n’auroit point de recompense contre luy, s’il ne l’avoit expressément stipulée, l. si fundum. c. de Evict. et c’est en ce cas que la stipulation de garantie est necessaire, parce que la garantie ne seroit pas dué par la seule nature du contrat à celuy qui achete une chose qu’il sçavoit bien n’appartenir point à son vendeurMais bien qu’il soit certain qu’en toutes ventes, cessions et transports à titre onereux, la ga-rantie soit dûë naturellement, neanmoins lors qu’il s’agit de la vente ou cession de rentes, de noms, et d’actions, on fait de deux sortes de garanties, l’une de droit ; l’autre de fait. En vertu de la garantie de droit, celuy qui céde ou vend une dette ou une rente, est obligé de garantir nomen subesse, que la dette subsiste et que la rente soit legitimement constituée, et pour cet effet la stipulation d’éviction n’est point nécessaire : car tout vendeur, ou cedant est naturellement obligé de prester ces trois choses, que la dette soit et subsiste, qu’elle appartienne au vendeur, et qu’il ne l’ait venduë et hypothequée à d’autres auparavant La garantie de fait consiste à garantir non seulement que la chose existe, ou qu’elle soit dûe, mais elle engage encore le vendeur à garantir que la chose soit bonne, qu’elle soit exigible, et qu’elle soit exempre de tout vice.

Pour obrenir cette garantie, on pretend que la stipulation en est absolument necessaire, parce que l’acheteur doit s’informer des conditions de la chose dont il traite, et il suffit que Loyseau les contractans consenserint in corpore vendito & in ejus substantia et materia ipsa, licet in qualitare materiae, id est, in gradu internae bonitatis erraverint ; car c’est de cette manière que Loyseau concilie deux loix qui paroissent contraires ; la loy quid tamen, et la loy cum abeo s. ult. ff. de contrah, empt. autrement la garantie de fait n’est point dûé, si elle n’est promise.

Suivant lusage de Paris, la stipulation pure et simple ne suffit pas pour obliger le vendeur d’une rente à s’en recharger, et à la payer luy-même ; ce n’est pas même assez, suivant le sentiment de quelques-uns, d’avoir employé la clause de fournir et faire valoir ; il faut encore y ajoûter que le vendeur ou cedant s’oblige de payer soy : même en defaut du debiteur. On Loyseau peut voir une parfaite explication de toutes ces clauses dans le Traité de Me CharlesLoyseau , Loyseau de la garantie des rentes. Car, comme ditLoyseau , garantir une rente n’est autre chose que la faire bonne, c’est à dire payable et perceptible.

Mais en Normandie nous n’avons point permis à nos Notaires d’embarrasser nos contrats de tant de clauses, et sans nous arrêter à ces distinctions de garanties de droit et de fait, nous enons indistinctement que tout vendeur est tenu par la seule nature de son contrat de garantir, de fournir, et de faire valoir la rente, et de la payer par ses mains, lors que le debiteur est notoirement insolvable et que ses biens ont été discurez : Car garantir une rente, n’est autre hofe que de la faire bonne, exigible, et perceptible. Il est inutile de garantir nomen subesse, si l’on ne promet pas aussi bonum nomen subesse Il est vray que pour les actions redhibitoires, la distinction de la garantie de droit et de fait sest necessaire. Celuy qui vend un cheval ou quelqu’autre animal est toûjours garand de droit, c’est à dire que la chose luy appartienne, mais il n’est pas garand de fait, c’est âdire que le cheval soit bon ; car le vendeur n’est point tenu des vices et defauts apparens que l’acheteur a pû remarquer, parce que c’étoit à luy à y prendre garde, et à le bien visiter ; si talis sit morbus qui omnibus potuit apparere, venditor ejus nomine non tenetur, perinde ac si nominatim morbus exceptus efset. I. queritur. de Edil. Ed.

D’où il resulte qu’ordinairement aux actions redhibitoires, la garantie de fait n’est point. dûë à elle n’est stipulée : quand le contrat est pur et simple, et qu’il n’est point fait mention dé garantie, le vendeur n’est point obligé de garantir que la chose soit bonne, et qu’elle soit exempte de tous vices, l’acheteur a dû connoître la condition et la qualité de la chose qu’il tacheroit.

Il faut neanmoins apporter deux exceptions à cette regle generale : La premiere, quand il y a dol ou fraude de la part du vendeur, nisi sciens venditor consulto morbum reticuerit, tunc enim danda est de dolo malo replicatio dicta I. queritur. S. si venditor. La seconde, pour certains vices latens et cachez dont la garantie est dûe sans aucune stipulation.

La police des Romains êtoit fort belle sur cette matière : Ils ordonnoient aux vendeurs l’esclaves et de chevaux d’en déclarer tous les vices et impersections, et pour lavente méme des maisons, il falloit declarer si elles étoient contagieuses. Le vendeur ne pouvoit pas même s’excuser sur son ignorance : Cau se enim Edicti proponendi est, ut occurratur fallaciis vendentium & emptoribus succurratur & venditorem etiam si ignoraverit ea que Ediles prestari jubent, camen teneri debere, l. l. 5. causa de Ed. Ed. D. Et cet Edit des Ediles ne s’étendoit pas feulenent à la vente des esclaves et des chevaux, on l’observoit pour la vente de toutes espèces de marchandises, de sorte que le vendeur êroit obligé d’en déclarer les vices : Edictum pertinet ad venditiones non tantùm mancipiorum, sed caterarum quoque rerum l. sciendum 83. de Ed. Ed. D.

Lors que l’acheteur avoit été trompé il pouvoit agir en-deux manières ; Redhibitoria, vel estimatoria, par l’action redhibitoire la vente êtoit entièrement annulée ; le vendeur reprenoit sa marchandise, et l’acheteur êtoit restitué de son argent ; par l’action estimatoire l’acheteur êtoit recompensé de ce que la chose valoit moins, quanti minoris On pouvoit former cette action pour trois causes ; la premiere pour la reticence du vendeur, lors qu’il n’avoit point declaré le vice ou la maladie, soit qu’il le sçût ou qu’il l’ignorât ; car il n’importoit pas à l’acheteur qu’il fût trompé par l’ignorance ou par la malice de son vendeur, nihil interest emptoris cur fallatur ignorantia venditoris, aut calliditate, l. 1. 8. 2. de Edil. Ed. D. La deuxième lors que le vendeur avoit promis quelque persection en la chose qu’il vendoit, ou qu’il l’a-voit garantie exempte de quelque defaut ; et la troisième si le vendeur ne vouloit point garantir tout ce qu’il devoit prester par l’Edit des Ediles, si de his que edicto Edilium continentur non caveat l. si venditor aS. de Ed. Ed. D.

Ces deux actions n’étoient pas d’égale durée, la redhibitoire devoit être formée dans les six mois : et aprés ce terme expiré l’acheteur pouvoit agir pour faire estimer la chose et obtenir la condamnation quanti minoris, l. cum proponas. C. de Ed. Ed.

En France la police n’y est pas si exacte que parmy les Romains, et l’on n’apporte pas tant de précautions pour empescher la surprise, et pour se mettre à couvert de la subtilité des venleurs : Nous trouvons neanmoins dans plusieurs Coûtumes de France des dispositions sur ce sujet : celle de Sens, Article 160. porte qu’un vendeur de chevaux n’est tenu des vices d’iceux, excepté de morve, de pousse, et de courbature, sinon qu’il les ait vendus sains et nets ; car Loysel en ce cas il est tenu de tous vices apparens, et non apparens. La Coûtume de Bar s’en est expliquée en ces mêmes termes, Article 205. Auxerre, 151. Bourbonnois, Article 87. Loysel : en ses Institutes coûtumières, l. 3. t. 4. Art. 16. aux vices redhibitoires de morve, pousse, et courbatures, y en ajoûte un quatriéme, les courbes ; et plusieurs estiment que l’action rednibitoire est aussi recevable pour la maladie du Tie.

Pour les autres animaux, comme moutons vaches, et pourceaux, ils ont aussi leurs vices Loysel atens et cachez, pour lesquels on peut exercer l’action redhibitoire : et Loysel dans le même Article 17. ajoûte que les Languayers sont tenus de reprendre les porcs qui sont meseaux en la angue, et s’il n’y avoit rien en la langue, et neanmoins s’ils se trouvent meseaux dans le corps, de vendeur est tenu d’en rendre le prix, sinon qu’un troupeau fût vendu en gros La durée de cette action est diversement limitée par nos Coûtumes et par nos Usages : quelques Coûtumes pour les vices redhibitoires en ventes de chevaux, ne donnent que huit jours, à compter du jour de la delivrance. Bourbonnois, Article 87. et Coquille en son Institution Institution au droit François, que cela est conforme à l’ancienne Ordonnance de la police de Paris.

La Coûtume de Baren l’Article que j’ay remarqué, donne quarante jours, et c’est aussi l’usage. en cette Province ; la raison est que par des remedes on peut empescher que ces vices ne se detouvrent pas si-tost, mais aprés un delay si long on n’est plus admissible : Et c’est pourquoy celuy qui a acheté un cheval ne peut aprés les quarante jours agir en garantie contre son vendeur, quoy qu’il allégue qu’ayant revendu le même cheval à un autre, il n’a pû poursuivre son garand que du moment qu’il a été attaqué par le second acheteur. Cela fut jugé en la Chambre des Vacations le 6 de Novembre 1663. en la cause des nommez Chefdelaville, le Brun et Barbé, plaidans de Cahagnes, de l’Epiney et Theroude. L’Arrest fondé sur cette raison, que le second ache teur possede pour le premier, et que si l’on recevoit aprés les quarante jours de la premiere vente l’action en garantie contre le premier vendeur, il pourroit arriver qu’il seroit inquieté même aprés un an, supposé qu’il y eût eu divers marchez faits d’un même cheval, ce qui détruiroit la regle établie en cette matière. On avoit jugé auparavant en la Chambre de lEdit le 29 de May 1653. entre les nommez Lamy, Létang, et autres, que l’action redhibitoire pour vente d’un heval devoit être intentée dans les quarante jours.

Pour l’action en garantie pour vente de vaches et de moutons elle a beaucoup moins de durée, elle doit être formée dans les neuf jours de la vente, ou de la delivrance.

C’est encore un usage que pour hardes de chevaux, il n’y a point de garantie : Ainsi jugé par Arrest en la Chambre des Vacations du 20 d’Octobre 1657. le demandeur en garantie fut apoiné à faire preuve de la promesse faite, lors de la harde, qu’on luy garantissoit le cheval exempt de ous vices ; c’étoit juger la question que cessant la promesse on n’auroit pû demander de garantie.

On a fait cette autre exception en cette Province pour la vente de la graine de lin, comme ; pourroit arriver que cette graine n’avoit point levé, non point par le defaut d’icelle, mais ou par la rigueur de la saison, ou par plusieurs autres accidens ; on n’a point trouvé raisonnable de donner une garantie pour ces sortes de ventes, et toutes les fois que les laboureurs ont formé des actions pour cet effet contre les marchands, ils en ont été deboutez : on a même jugéi que la stipulation expresse de la garantie étoit incivile, et qu’encore qu’on eût promis et gasanti non seulement que la graine étoit bonne, loyale et marchande, mais aussi qu’elle leve-roit bien, cette promesse êtoit nulle, parce qu’il n’étoit pas au pouvoir du vendeur de la faire reüssir, cela dépendant des causes secondes, de la qualité du terroir, de la culture du laboureur, de l’air du Soleil ; et des faisons. Il est vray qu’on peut se charger des cas fortuits, l. si quis, locati : D. si quis fundum locaverit, ut etiam si quid vi majore accidisset, hoc et prastaretur, pacto standum est. Mais cette espèce de garantie êtoit fort différente, car outre les cas fortuits, la faute peut proceder du laboureur pour n’avoir pas choisi un fonds propre, pour ne l’avoir pas bien cultivé, ou pour n’avoir pas semé dans un temps convenable ; aussi par la l. fistulas. D. 5. dern. D. de contr. empt. bien qu’on ait pris sur soy le peril des cas fortuits, cette dipulation neanmoins ne s’étend point aux cas insolites, et contra consuetudinem tempestatis : parce que l’on présume que l’on n’a jamais pensé à garantir les accidens tout à fait extraordinaires : Cela fut jugé de la sorte pour le marchand qui s’étoit chargé de garantie, par Ar-cest en la Grand. Chambre du 8 de Mars 1651. Autre Arrest du 25 de May en la même annnées le marchand avoit garanti que sa graine leveroit bien, faute dequoy il n’en demanderoit rient c’est une jurisprudence cettaine au Palais, et on a cassé les Sentences qui ordonnoient que les terres seroient vûës, pour sçavoir si elles avoient été labourées et fumées comme il êtoit necessaire Le cedant d’une rente constituée est naturellement obligé à la garantie, neanmoins il s’en peut défendre si le cessionnaire ne l’a point fait appeler à la discution des biens de l’obligé, et si auparavant l’adjudication il ne l’a point interpellé d’encherir les héritages à si haut prix qu’il pût être porté.

Celuy qui avoit acquis un héritage d’une femme, à qui il n’appartenoit point, étant troublé par le proprietaire, il le soûtenoit non recevable en son action, vû sa qualité d’heritier preomptif de la personne qui luy avoit vendu, concluant suivant cette regle quem de evictione. &c. il ajoûtoit outre cela qu’il demeuroit avec elle, et qu’ils étoient en communauté de bie ns : le proprietaire répondoit, que cette qualité d’heritier presomptif ne détruisoit point son droit, étant ncertain s’il accepteroit la succession : la communauté de meubles, et même de tous biens, n’oblige pas personnellement pour les choses qui ne resultent point de la communauté ; par Arrest donné au mois de Janvier 1620. au Rapport de Mr de Banneville, il fut dit à bonné tause laction du propriétaire.

La nécessité des affaires publiques ayant causé le retranchement des rentes dûës par le Roy, cela a fait naître plusieurs actions en garantie contre ceux qui les avoient venduës ; mais quelque stipulation expresse qu’on eût employée dans les contrats, nonobstant la clause de fournit et faire valoir, ou de payer soy-même, et quelques favorables que fussent ces garanties, les Arrests du Conseil en ont déchargé les vendeurs.

Il étoit juste neanmoins d’en excepter les rentes baillées en partage ou pour mariage. On de jugea de la sorte pour David, sieur de la Hogue, pour lequel je plaidois ; par son contrat de nariage avec la soeur d’un nommé le Comte, on luy avoit donné trois mille livres en dot, constiuées en 2oo livres de rente ; le Comte pour s’acquiter de cette rente luy ceda deux parties le cent livres de rente, dont l’une êtoit à prendre sur le Roy, et depuls David la ceda au sieur de S. Germain-Matinel, lequel faute de payement par le Receveur du Domaine, poursuivit Daid en garantie, et David ayant fait condamner le Comte à se recharger de la rente ; sur l’appels du Hequet alléguoit la force majeure et le fait du Prince. Je remontrois pour David la faveur de son action, que c’étoit la legitime de la femme, et que ce transport fait par le Comte n’étoit à proprement parler qu’une delegation, ayant stipulé que David n’en pourroit recevoir le ran chapt qu’en sa presence : Par Arrest en la Grand-Chambre du 18 de Juin 1657. on mit sur l’appel hors de Cour.

Par les derniers Arrests, tant du Conseil Privé que de ce Parlement, on n’a plus fait de distinction, et les vendeurs ont toûjours êté déchargez, parce que les retranchemens et redu-ctions de rentes, soit pour le principal ou pour les arrerages, sont des effets de la puissance Souveraine, à laquelle on ne peut resister ; et par un Arrest donné au Conseil Privé du Roy le 47 d’Aoust 1666. pour la ville d’Auxerre, qui depuis a servi de Reglement pour toutes les autres villes du Royaume, il est expressément porté qu’en consequence des retrenchemens faits par le Roy, les créanciers ne pourront pretendre aucun recours ni garantie contre leurs cedans et coheritiers par quelques actes et contrats que lesdits transports et cession ayent été faits, soit par contrats de mariage, fondations de services, ou par testament, donations entre vifs, ou à cause de mort, codicilles, legs, et tous autres actes et dispositions generalement quelconques, et à l’égard des contrats où les cedans ont promis garantir, fournir, et faire valoir la rente, et à faute de payement, de payer soy-même, ou si le cedant s’est obligé par clause expresse de garantir le fait du Roy, sursoiront toutes actions de garanties des cessionnaires, jusqu’à ce qu’autrement par Sa Majesté en ait été ordonné Bertrand le Boucher avoit vendu des héritages à Guillaume du Val, relevans du fief de la Mote des Rotours, à cette condition de payer toutes les rentes et redevances, mais ces herigages étant chargez d’une ainesse, l’acquereur conclud en garantie contre son vendeur pour ne luy avoir point exprimé cette charge, qui ne pouvoit être entenduë ni comprise sous cette clause generale de charges, rentes et sujetions, le vendeur ayant été condamné à la garantie : Ce Telier son Avocat disoit pour moyens d’appel, que l’ainesse êtoit une charge et une sujetion que l’acquereur êtoit tenu d’acquiter, puisqu’il s’étoit obligé par le contrat d’acquiter tou-tes les charges et sujetions, et que même il n’avoit pû l’ignorer étant voisin, et ayant été long-temps Procureur du Seigneur : Durand representoit au contraire, que cette charge étoit extraordinaire, qu’elle devoit être expressément declarée par le contrat, pouvant être si onereufe que l’acquereur seroit forcé de déguerpir : Par Arrest du 18 d’Aoust 1661. la Sentence fut confirmées, nonobstant que l’appelant eût allégué que cet acquereur depuis son contrat voit fait le service de cette ainesse, ce qui faisoit connoître quien contractant il avoit eu ette intention de s’en charger.


XLI.

Jurisdiction des Ecclesiastiques à cause de leurs fiefs possedez par aumône

Tous les Ecclesiastiques possedans fiefs Nobles par aumôme, ont l’exercice de la Justice et tous autres droits appartenans à leurs fiefs par les mains de leurs Juges et Seneschaux ou Baillifs.

Puisque les Ecclesiastiques ont cet avantage de pouvoir joindre la puissance temporelle à la spirituelle, on ne peut pas leur contrédire qu’à cause des fiefs qu’ils possedent, ils n’ayent sis l’exercice de la Justice et les autres droits appartenans à leurs fiefs. Car il y a bien de la difference entre la Jurisdiction Ecclesiastique, et cette Justice que la Coûtume leur attribué à cause de leurs iefs : Ils ne peuvent pas eux-mêmes exercer celle-cy, ils sont tenus d’en commettre lexercice et le la fonction à des Officiers qui soient des personnes Laiques, suivant les Ordonnances, et c’est pourquoy cet Article parle de Seneschaux et de Baillifs, et ces Juges sont tenus de garder les mêmes loix et reglemens qui s’observent en la Justice Seculiere, et nous ne gardons point le Chapquod Clericis extra de foro Compet. suivant lequel les causes des Jurisdictions temporelles des Ee-clesiastiques doivent être jugées selon le droit Canon ; et les appellations de leurs jugemens ne ressortissent point devant les Superieurs Ecclesiastiques, mais devant les Juges Royaux, nonobstant le Chap. Romana, 5. debet autem de appellat. in 6.

Les Seigneurs Ecclesiastiques, ni leurs Officiers, ne peuvent aussi user d’excommunication contre leurs vassaux, C. caterum extrav. de judic.

De ces paroles, que les Ecclesiastiques possedans fiefs ont tous les droits appartenans aux fiefs, on conclud que les Ecclesiastiques peuvent retirer à droit feudal et joüir du droit de garde-Noble. Je traiteray ces deux questions sur le titre des Gardes, et sur l’Article 178. cet Article étant sous le titre de Jurisdiction, la Coûtume n’a eu intention que de conserver aux Ecclesiastiques la Jurisdiction. féodale qui leur appartient à cause de leurs fiefs d’aumone, et tous les autres droits annexez à la Justice feodale, et dont leur Seneschal peut être competent.

C’est une vérité que l’on apprend par les Chartes mêmes, des donations faites aux gens d’Eglise, que la pluspart de leurs fiefs ne sont devenus fiefs que par la possession ; ce n’étoit pour la pluspart que rotures et biens alodiaux qui leur êtoient donnez, dont ils ont fait des Fiefs, et dans la suite des Baronnies et des Hautes-Justices


XLII.

Quels Juges competens du mandement de tenure ?

La connoissance des mandements de tenure appartient au Juge Royal : neanmoins les Hauts-Justiciers en connoissent entre leurs sujets, pourvû que la te-aure du Haut-Justicier ne soit point debatuë.

Quand la tenure d’un fief ou d’un héritage est demandée au proprietaire par divers Seigneurs, la Coûtume luy permet d’obtenir du Juge un Mandement par lequel il énonce la pretention des Seigneurs, et declare qu’il consigne et dépose la tenure de son héritage pour être debatue entr’eux, c’est ce que nous appelons un Mandement de debat de tenure, et par ette voye le vassal évite. la commise : pour cet effet il n’est pas requis qu’il y ait concurrence de deux saisies ; il suffit qu’il y ait concurrence de deux actions, et alors contre la regle ordinaire il n’est plus tenu d’avoüer, ou desavoüer s’il ne veut Par lArticle 60. de la Coûtume de Paris, quand entre plusieurs Seigneurs il est question d’un fief, que chacun d’iceux Seigneurs dit être mouvant de soy, le vassal en doit être reçû par main Souveraine, et joüir pendant le procez, en consignant par luy en Justice les droits et devoirs par luy dûs à cause d’iceluy fief ; et suivant l’Arrest du Parlement de Paris rap porté par Ricard sur cet Article, en cas de saisie par plusieurs Seigneurs, le vassal ne doit avoit les fruits que depuis sa reception par main Souveraine.


XLIII.

Visitation de corps homicidé.

Le corps de la personne homicidée ne doit être levé ni mis en terre jusques à ce que la Justice l’ait vû-

Cet Article ne sert le plus souvent que de pretexte aux Officiers, pour faire de la vexation et pour tirer de l’argent de quelque malheureux.


XLIV.

Action de treves enfraintes.

L’action de tréves enfraintes est annale, et nul n’est reçû à l’intenter aprés l’an-

Il est juste de ne proroger pas le temps de ces sortes d’actions, afin que les esprits se puissent reconcilier promptement, et d’ailleurs on doit présumer qu’on a remis foffense lors que lon a êté un an entier lans se plaindre, dissimulatione tollitur injuria.


XLV.

Tous Juges sont competens à donner tréves, sans que le défendeur puisse decliner, quelque privilege qu’il puisse alleguer

Suivant le témoignage de Bouteiller en sa Somme Rurale, l. 2. Tit. 1. le Juge Royal êtoit seul competent de donner tréves. Son Commentateur ajoûte que cela avoit changé, et que tous Juges pouvoient en donner ; mais que le Juge Royal avoit seul la connoissance de l’infraction des tréves, parce que c’étoit un cas Royal.


XLVI.

L’action de tréves enfraintes doit être intentée devant le Juge ordinaire du défendeur, ou devant celuy qui a donné les tréves.


XLVII.

Nul autre que le Juge-lay, ne peut connoître de tréves enfraintes.


XLVIII.

En ajournement de tréves, il n’y a répit ni delay.

Ces Articles et les deux precedens sont maintenant fort inutiles, autrefois ils étoient d’un usage fort necessaire, mais ils ne l’étoient plus déja au temps de la reformation de la Coûtume, et on doit s’étonner que nos Reformateurs, qui ont négligé tant de matieres importantes, ayent grossi nos Coûtumes de tant d’Articles superslus, et qui ne sont d’aucun usage.

Tous ces peuples d’Allemagne qui occuperent les Gaules, avoient cette mauvaise coûtume de vanger par les armes leurs querelles particulieres, et toute la parenté prenoit part à l’injuré qu’un parent avoit reçûë. Tacite a remarqué que les anciens Allemans en usoient de cette manière, suscipere tam inimicitias seu patris seu propinqui, quam amicitias necesse est ; cette barbare coûtume a duré plus de six cens ans en France, sans pouvoir être abolie par l’autorité des loix, ài par les défenses severes des Princes : et ce desordre s’augmenta particulièrement sur la fin de la seconde Race de nos Rois, et au commencement de la troisiéme, jusques-là même qu’il toit permis aux Seigneurs particuliers de déclarer et de faire la guerre les uns aux autres ; la paine d’un particulier devenoit celle de toute sa famille, les parens de chaque côté jusqu’au eptième degré, s’interessoient en l’affaire, et s’attaquoient cruellement sans épargner les innocens et ceux mêmes qui n’en avoient point de connoissance : ce qui causoit une infinité de meurtres et de ravages, et notamment dans les Provinces de Normandie, d’Anjou et du Maine.

On appeloit feida cette vengeance que les particuliers exerçoient les uns contre les autres On essaya par divers moyens d’empescher ces desordres, quelquefois les amis communs obligeoient ces furieux à faire des tréves, nous en avons des modeles dans les anclennes Formules, et les exemples en sont frequens dans, lib. 7. c. 47. celuy Gregoire de Tours Sicha-rius est remarquable. Ce Sicharius aprés avoir tué Austregisilas, fut poursuivi par les parens du défunt ; et enfin aprés plusieurs meurtres commis de part et d’autre, il se fit un accord entre les deux partis, par lentremise ; et l’Eglise paya pour Sicharius l’argent qu’on l’avoit condamné Gregoire de Tours payer : Tunc Cinquit ) dato ab Ecclesia argento, quâ judicaverant acceptâ securitate ; componunt datis sibi invicem per partes sacramentis, ut nullo unquam tempore contra alteram pars altera mussitaret, et sic altercatio terminum fecit.

Cet abus continuant encore au temps de S. Louis, il ordonna que quand quelque querelle seroit avenuë, il y auroit tréves ce jour-là jusqu’à quarante jours : ce qu’on appelle la quarantaine du Roy, et tous les amis et parens de part et d’autre étoient compris dans cette quarantaine.

Cette Ordonnance de S. Loüis est rapportée par Bouteiller dans sa Somme Rufale, l. 1. c. 34. et suivant icelle cette surseance n’étoit donnée qu’à l’égard de ceux qui n’étoient point les auteurs du crime, car pour les coupables ils pouvoient être poursuivis incessamment. Voicy les termes, la quarantaine echeoit sur autres que sur les faiseurs, parce qu’ils pouvoient ignorer le fait, et afin qu’on ne puisse aller se contrevanger contre ceux qui n’en sçavent, mais bien sur les faiseurs qui gnorer ne le peuvent.

La Formule de ces tréves ou assurances est rapportée par ce même Auteur : on faisoit difference entre tréves et assurances. La tréve n’étoit que pour un an, et c’est pourquoy par ceta Article, l’action en tréves enfraintes est annale ; mais la paix ou assurance êtoit à toûjours ; naintenant au lieu de ces tréves ou de ces assurances, on demande d’être mls en la garde et protection du Roy ; voyez Pithou sur la Coûtume de Troyes, Article 124. Tit. des Just.

Mr Bignon en ses sur Notes sur Marculphe, l. 2. c. 18. et Bouteiller en sa Somme Rurale, l. 1. Tit. 34. et l. 2. Tit. 1.


XLIX.

Forjurer le païs.

Celuy qui est renvoyé en la franchise pour en joüir, doit forjurer le païs pardevant son Juge, c’est à dire qu’il doit incontinent et sans delay partir par le chemin, et dans le temps qui luy sera prescrit pour s’en aller hors de Normandie, et jurer de n’y rentrer jamais : et où puis aprés il y sera trouvé, il sera contre luy procedé par la Justice et jugement donné, sans qu’il puisse delà en avant plus s’aider de ladite franchise.

Cet Article a été pris de l’ancienne Coûtume, Chap. d’Assise en ces mots, Cil qui s’enfuit en l’Eglise ou au saint lieu, il peut y demeurer huit jours, et au neuviême on doit luy demander s’il veut se rendre à la Justice-Laye, ou se tenir à l’Eglise. Car s’il veut il peut se rendre à la CourLaye, s’il veut se tenir à l’Eglise, il forjurera le païs, et ce fait, doit sortir des marchez de Nor-mandie, et ne demeurera en aucune ville qu’un jour

Cet Article s’observe encore en Angleterre, et ce que nous appelons forjurer le pais, ils disent abjurer, et abjuration, et ceux qui s’étoient sauvez en quelque Eglise étoient sauvez en faisant cette abjuration, Stanford l. 2. c. 40. Ego sum latro bidentium, vel alicujus alterius animalis, vel homicida unius vel plurium, et felo Domini Regis Angliâ, et quod debeo festinare versûs portum de tali loco, quem mihi dedisti, &c.

Les Asyles autrefois si venérables et si inviolables dans l’antiquité, ne sont plus respectez.

L’Ordonnance de l’an 1534. a justement aboli toutes ces franchises, comme contraires à la Justice, et qui ne servoient que pour accroître l’audace des méchans, et pour acquerir l’impunité des plus grands crimes : et je ne sçay pourquoy nos Reformateurs aprés cette Ordon-nance ont conservé dans la Coûtume un Article si inutile. Jay vû plusieurs anciens Arrests rendus avant l’Ordonnance, par quelques-uns on renvoyoit en la franchise, et par les autres on n’y avoit point d’égard. Un incendiaire en fut privé par Arrest du 2 de Juin 1544. c’étoit depuis l’Ordonnance : par un autre Arrest du mois de Decembre 1526. on y renvoya un honicide de guet-à-pens, c’étoit avant l’Ordonnance.

Les Asyles ressentoient plus la Loy de Romulus, que celle de Moyse et de Jesus-Christaussi Dieu commanda aux Israelites, ut si quis per industriam occiderit proximum, etiam per insi-dias, ab altari meo evelle ut moriatur ; ce que le sage Salomon pratiqua contre Joab. Voyez le Covarr Chap. 21. de l’Exode. Couarr. de. Templ. immunit. l. 2. c. 20. Papon l. 1. Tit. 1. Art. 16. Rebuffe Boerius en sa Préface sur les Ord. Luc. l. 2. Tit. 2. Boérius en son Traité de Seditiosis. Nous apprenons d’Alexis Chartier qu’en l’an 407. il y avoit une Ordonnance, par laquelle il étoit défendu de prendre un malfaicteur dans l’Hôtel des Seigneurs de France, sans leur congé.


L.

Brief de nouvelle dessaisine.

Le brief de nouvelle dessaisine a été introduit pour recouvrer choses entreprises puis an et jour et tient ledit brief étant signifié l’héritage en sequestre, jusques à ce qu’il en soit ordonné par Justice.

Tous les Jurisconsultes ont fait distinction entre le possessoire et le petitoire : alia est principalis. n causa, alia momenti causâ, in hac de ereptâ possessione agitur, in illâ de proprietate. Ceterum prius de momento quim de proprietate quarendum est. Le possessoire se doit vuider avant le petitoire c’est proprement nôtre bref de nouvelle dessaisine, parmy les anciens Romains comme pariny nous, qui possessionem amiserat, momenti beneficium impetrabat : Mr Cujas l. 2. obser. c. 35. nous a appris par une lettre de Symmachus, lib. 1. que la forme de proceder des Romains tam in causis monenti, quam in causis proprietatis, étoit pareille à la nôtre.

Briton qui vivoit au commencement du treizième siecle, et qui mourut Evesque de Hersort l’an 1275. a traité fort amplement du bref de nouvelle dessaisine, suivant nôtre ancienne Coûtume établie en Angleterre, il propose c. 44. plusieurs manieres par lesquelles on peut être dessaisi, et fait un Chapître particulier touchant les remedes pour empescher la dessaifine : le premier remede, dit cet Auteur, pour dessaisine est al disseisi de recoiller a main et force sans delay faire aprés ceo qu’il pourra saver en getter les disseisours. Ce remede paroit violent, et néanmoins le droit Romain permet la même chose, pourvû que cela se fasse sur le champ, et non aprés l’action passée : Eum qui cum armis venit possumus armis depellere, sed hoc confestim et non ex intervallo, l. 3. 5. eum igitur. de vi, et vi arm. Et non seulement nous pouvons resister à la violence que l’on nous veut commettre et empescher nôtre dépossession, il est encore permis d’expulser dans le même temps celuy qui nous a dépoüillez, sciamus non solum resistere permis-sùm, ne dejiciatur, sed si dejectus quis fuerit eundem dejicere non ex intervallo, sed ex continenti S.

E ead. Car la défense de nos personnes et de nos biens est permise par le droit naturel : on demande quel peut être cet intervalle de temps dans lequel il est permis de repousser la force par la force ; la Glose explique ces miots ex continenti de cette manière, antequam ad alia extranea divertat negotia, et par les Basiliques lib. 60. Tit. 17. c. 9. Il faut retourner à la charge dans les deux heures aprés l’action, en ce cas celuy que l’on met hors du lieu qu’il avoit occupé par violence, n’a pas raison de se plaindre, et le bref de nouvelle dessaisine n’est point introduit en sa faveur.

On a raison de conserver sa possession, parce qu’elle donne de grands avantages ; elle exempte le possesseur de produire ses titres et de prouver son droit propriétaire. Dans les causes douteuses on fait prévaloir la cause du possesseur ; et enfin lors que deux personnes ont acquis une même chose d’une même personne, le droit de celuy qui se trouve en possession est toûjours le meilleur, l. quoties C. de rei vindic. parce que la tradition étant jointe avec le titre, il se fait une parfaite translation de la Seigneurie, l. traditionibus D. de pactis, l. si ager. de rei vend. D.

Mais pour joüir de tous ces avantages il faut avoir une possession réelle et actuelle, car une possession fictice et civil, ne seroit pas assez considérable. Voyez M’d’Argentré sur l’Article 26. de la Coûtume de Bretagne.


LI.

Le demandeur en action réelle, doit bailler déclaration.

En action réelle, le demandeur doit bailler déclaration, contenant les bouts et côtez de l’héritage, pour en faire vûë si les parties ne demeurent d’accord.

L’Ordonnance t. 9. Art. 5. de l’an 1667. a abrogé les exceptions des vûës et montrées, pour quelque caufe que ce soit ; l’usage en étoit fort ancien et fort necessaire, nous l’avions appris aux Anglois dans nôtre ancienne Coûtume qu’ils ont conservée, il se trouve un titre de vûë en dessaisine, et dans Glanville de leg. Briton. c. 43. et consuet. Angl. l. 2. c. 1. clamare poterat. tenens et petere visum terra. Au lieu de vûës et montrées aprés la déclaration baillée qui contiendra les bouts et les côtez de l’héritage, sa dénomination, la Paroisse et le lieu où il est situé, s’il est clos, ou en campagne, si les parties n’en conviennent point, elles pourront en faire dresse un Procez verbal pour l’éclaircissement de ce qui paroîtra douteux.


LII.

Brief de surdemande, et à qui en appartient la connoissance.

Le Bailly doit connoître de brief de surdemande que le vassal obtient quand il pretend que le Seigneur luy demande plus grande rente ou redevance qu’il ne luy doit.

Le bref de surdemande êtoit en usage parmy les Romains, nous en avons la preuve dans le titre, in quibus Coloni censiti Dominos accusare possint. En la loy 1. quisquis Colonus, à Domino plussi exigitur quâm ante consueverat, et quam in anterioribus temporibus exactum est, adeat judicem cujus primum poterit habere prasentiam et facinus. comprobet, ut ille qui convincitur amplius postulare quem accipere consueverat, hoc facere in posterum prohibeatur, reddito quod super exactione perpetratâ noscitur extorsisse. Ces Coloni censiti étoient des esclaves que leurs Maîtres avoient placez et comme attachez à certaines terres pour les faire valoir et leur en payer certains revenus, et quoy qu’à l’égard de leurs Maîtres ils demeurassent toûjours esclaves, et qu’à l’égard de ceux ausquels ils ne payoient rien ils fussent reputez libres, néanmoins on leur permettoit de se plaindre et d’accuser leurs Seigneurs, lors qu’ils vouloient exiger d’eux davantage que ce qu’ils avoient accoûtumé de leur payer-

L’Article 18. de la nouvelle Coûtume de Bretagne est conforme à cet Article ; la Coûtume ôtant au Bas-Justicier la connoissance du bref de lurdemande, on peut dire avec Mr d’Argentré , sur l’Article 3. de l’ancienne Coûtume de Bretagne, que tota Dominorum Patronorum pote-tas est in compellendo. Le Seigneur Justicier ne pouvant connoître de la demande qu’il fait à son vassal, quand elle luy est contestée, il ne reste plus aucune competence au Bas. Justicier ; nam si Domino, nulla cognitio tribuitur de debito quod in controversia est, que cognitio Domini potest esse de eo quod vasallus non negat, cum jus non nisi in invitum reddatur, & partes judicis sint à ullae in confessum, nisi in condemnando aut compellendo.

Ce même Auteur estime qu’encore que le vassal ait procedé volontairement devant le Juge du Seigneur, il peut encore proposer son déclinatoire, cum perpetuum sit gravamen ejus et injuvia, qui velit in causa sua judicare.

Pour connoître s’il y a surdemande, on considere ce qui est demandé, ex parte actoris jus metimur, ideoque inspiciendum non quantùm debeatur, sed quantum petitur, l. penult. 5. ult. de Jurisd. omn. jud. La surdemande consiste proprement en la quantité de la chose demandée, on peut neanmoins être surdemandeur à raison du temps et du lieur


LIII.

Les Hauts-Justiciers connoissent aussi dudit brief de surdemande entre leurs vassaux, et non quand le brief est obtenu contr’eux.

Cet Article est fort équitable, ôtant même au Haut-Justicier la connoissance du bref de surdemande, la Coûtume a présumé avec apparence que le vassal obtiendroit difficilement justice contre son Seigneur dans sa Haute-Justice, c’est par cette même raison que par la nouvelle Ordonnance on peut en plusieurs cas évoquer le Haut-Justicier de devant ses Officiers : Elle est neanmoins contraire à cet Article, quoy que le Haut-Justicier, comme je le viens de dire, ne puisse plaider en sa Justice pour ses causes personnelles, elle luy laisse neanmoins la connoissance de ce qui concerne son fief, des droits et dépendances de ses terres.

Si l’on demande qui doit prévaloir de l’Ordonnance ou de la Coûtume, ou lequel est le plus juste : On peut répondre que l’Ordonnance n’ayant pas trouvé juste que le Seigneur HautJusticier plaidât devant ses Officiers pour ses causes personnelles, à cause de l’autorité qu’il a sur eux : par la même raison un pauvre vassal, auquel son Seigneur demande plus qu’il ne doit, doit être exempt de la Jurisdiction de son seigneur, suivant cet Article.



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Page 13. ligne 22.

a même chose a été jugée en ce Parlement. Me Jacques Hefosse Avocat Postusant au Siege d’Arques, aprés avoir été pourvû d’un Office d’Assesseur dans le même Siege, voulut continuer ses fonctions d’Avocat ; sur lopposition des Avocats qui pretendirent qu’on ne pouvoit exercer les fonctions de Juge et d’Avocat dans une même Jurisdiction, il luy fut fait défense de plaider pour les parties, et on luy enjoignit de reprendre sa place d’Assesseur, dont ayant appelé à la Cour, dénard son Avocat soûtenoit que sa pretention n’avoit rien qui blessât le droit publie ni linterest des particuliers, que la qualité de Juge et celle d’Avocat n’avoient rien d’incompatible, que ceux qui sont établis pour rendre la Justice aux Peuples peuvent bien quelquefois employer leur voix pour la soûtenir avec le temperament que le droit requiert : dans la Loy 6. au Code, de postulando, en ces termes, quisquis vult esse causidicus, idem non in eodem negotio sit Advocatus & Judex, quiconque veut être Avocat, le même ne peut être Avocat et Juge en la même affaire ; que c’étoit lusage du Barreau de Rome que les hommes élevez aux premieres Dignitez de la Republique plaidassent les auses des parties, même pendant leur Magistrature, ainsi que le témoigne l’Orateur Romain dans son Oraison contre et. Cacilius.Quintilien , dans ses Institutions Oratoires, et Pline Il. dans une Lettre qu’il écrit à CorneilleTacite , quod me docuit usus Magicter egregius frequenter egi, frequenter udicavi, ce que l’usage m’a enseigné, qui est un excellent Maître, je l’ay souvent pratiqué, je l’ay souvent jugé. a l’égard des Ordonnances de nos Rois données à Moulins et à Blois, qui défendent aux Juges de plaider pour les parties dans les Sieges de leur Office, il representoit que quand il en resulteroit de la difficulté pour les Juges principaux, il ne pouvoit pas y en avoir pour les Assesseurs, qui tiennent le milieu entre le Tribunal et le Barreau, et qui ne sont pas tant des Juges comme les Assistans, ou plûtost des Avocats privilegiez et établis en titre d’Office pour assister aux Certifications de decret et aux autres Actes, où le nombre de sept est requis, au prejudice et par preferen-ce des autres Avocats : Que d’ailleurs l’on n’avoit point compris dans l’Ordonnance de Moulins. les Assesseurs ni même pensé à eux, puisqu’ils n’étoient point encore créez lorsqu’elle fut faite, l’assemblée des Etats à Moulins ayant été faite en l’année 1566. sous le regne du Roy Charles I et. et l’établissement des Offices d’Assesseur en l’année 1575. par Henry III. et quoy que l’Ordonnance de Blois qui fait les mêmes défenses soit posterieure à leur établissement, comme elle est relative à celle de Moulins et conçûë dans les mêmes termes, elle ne doit pas recevoir une plus grande étenduë, ni faire de conséquence pour les Assesseurs, puisque celle de Moulins n’en fait point Il se servoit enfin de l’exemple des Substituts de Messieurs les Gens du Roy, lesquels plaident pour les parties, quoy qu’ils ayent voix déliberative dans toutes les affaires, et faisoit voir que tous les moifs sur lesquels on s’étoit fondé pour leur accorder cette liberté convenoient également aux Asses-seurs, qu’on devoit encore considerer le defaut de gages, le peu d’occupation dans l’exercice de leurs Chages, que le moyé assuré pour les rédre habiles étoit de leur permettre de plaider pour les parties.

Ce qui autorisoit cette prétention êtoit l’usage particulier du Siege d’Arques dont il s’agissoit ; et cet usage étoit conforme à celuy de plusieurs Sieges de la Province.

Basnage le jeune, Avocat des intimez, répondoit qu’il seroit entièrement contre la bien-seance de voir des Juges sortir à tous momens de leur Siege, que ce changement de personnage apporteroit une confusion qui ne convient gueres à l’ordre qu’on doit garder dans une Jurisdiction.

Royale ; que ceux qui rendent la justice ne doivent jamais prendre party, qu’un Juge doit nonter sur le Tribunal le bandeau sur les yeux, et sans être prévenu ; mais que l’alliance qui se contracte entre l’Avocat et le Clien est trop étroite pour n’ôter pas la liberté du jugement, que n’étant pas moins forte que celle du sang, l’esprit ne pouvoit plus choisir, et comme dit fort bien l’Empereur Justinien à la fin de la loy Nemo, au C. de Assessoribus, quod affectionis suae & affinitatis memor incorrupti judicis personam sustinere non potest ; que ce seroit donner un pretexte à ces petit.

Juges pour se laisser cortompré, qu’ils recevroient souvent en qualiré d’Avocats pour donner sieur suffrage en celle de Juges, qu’ils ne le font que trop sans leur en fournit encore les moyens, qu’il avoit été jugé de la sorte au Parlement de Paris par un Arrest rapporté au second Tome du Journal des Audiences ; que c’étoit pour y remedier que les Ordonnances de Moulins, Article 19. et de Blois, Article 115. le défendoient si expressément à tous Juges sans distinction, et enfin que s’avoit été l’intention du Roy en les établissant ; que c’étoit le but de l’Edit, comme on le voit par les termes qui y sont employez ; que si l’on prenoit des Avocats au defaut des Juges, cela presupposoit une necessité qui ne pouvoit servir d’exemple ni d’autorité ; que ce n’étoit point l’usage d’Arques, puisque la Sentence du Siege avoit jugé le contraire ; que ce n’étoit point l’usage du Barreau de Rome, qu’à la vérité les jeunes gens de la premiere qualité. pour se faire paroître et se couvrir de gloire et d’honneur, entreprenoient quelquefois de plaiders que Scipion même. et Lalius, les plus honnêtes gens de Rome, l’avoient fait, mais que cels n’établissoit rien, qu’il étoit bien vray que Ciceron tout Consul qu’il étoit ne laissoit pas de plaider, mais que les Consuls dont la digmité s’étendoit sur ce qui concernoit les Armes et le Public, ne jugeoient point les procez des particuliers, et comme l’a remarqué MrCujas , jndices dabant, sed non judicabant ; qu’Auguste même avoit plaidé pour ce soldat qui luy montra les cicatrices qu’il avoit reçûës pour luy, et cela par la politique de ce Prince le plus adroit qui fut jamais pour gagner : l’amitié du Peuple : Au reste que la décision en êtoit tres-claire par les Loix, la loy Nemo, au C. de Assessoribus, en contient une longue défense avec de si belles raisons, qu’il est impossible d’y rien ajoûter, et la loy 5. au ff. de Officio Assessorum, Consiliarii eo tempore quo assidet negotia tractare in suum quidem auditorium nullo modo concessum est, in alienum vero non prohibetur ; qu’au reste il devoit ce respect à la Charge de Juge, et que celle d’Avocat étoit d’un poids assez difficile pour mériter un homme tout entier : Par Arrest du 21 de Janvier 1678. la Sentence fut confirmée.


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ARTICLE IV. Page 37. ligne 34.

E N explication de l’Arrest rapporté en la page cy : dessus marquée, on a demandé si cet Arrest devoit avoir lieu seulement lorsque les debiteurs des rentes constituées que l’on veut decreter conjointement avec des terres, ont leurs domiciles en diverses Vicomtez, mais sous n même Bailliage : Charles Bremoutier voulant saisir réellement les héritages de Gcorges et d’Adrien de la Mare, situez dans les enclaves de la Vicomté de Lyons, et une rente qui appartenoit à son debiteur il apprit que l’obligé à cette rente avoit son domicile et ses biens dans a Vicomté du Neuschâtel, qui est dans le Ressort du Bailliage de Caux ; il crût être obligé pour la validité de sa procedure d’obtenir un Arrest de la Cour pour être autorisé de decreter conjointement les héritages et la rente, et il en fit donner l’attribution au Bailly de Gisors au Siege de Lyons : Me Alexandre des Jardins, Vicomte de Lyons, ayant presenté Requête pour faire rapporter cet Arrest, du Hequet, son Avocat, allégua pour moyens que ce n’étoit plus une chose dont l’on doutât au Palais, que la saisie des rentes constituées faite conjointement avec des héritages, ne donnoit point ouverture aux Lettres de Mixtion, quoy que les obligez à ces rentes fussent domiciliez en une Vicomté, et que les héritages fussent situez en une autre Vicomté, parce que les rentes constituées n’ont point de situation réelle, que si par fixion on leur vouloit donner quelque être réel, il faloit le fixer en la personne du creancier de la rente, et non en celle de l’obligé à la rente, et qu’il faloit entendre de cette maniere Article 139. du Reglement de l’an 1666. que la distinction que l’on prétendoit faire lorsque les rentes et les héritages n’étoient pas seulement en diverses Vicomtez, mais même en differens Bailliages, n’étoit point considérable, puisque la Cour n’y avoit point eu d’égard, comme il paroit par l’Arrest donné le 16 de May 1670. entre le Bailly et le Vicomte de Roüen ; car bien que l’obligé à la rente que l’on avoit saisie fût domicilié dans la Vicomté de Lyons, qui est du Bailliage de Gisors, on ne laissa point d’attribuer la connoissance du decret au Vicomte de Roüen. Je répondois pour les Officiers du Bailliage, et pour le sieur Marquis de Ela vacour, proprietaire du Greffe, que les Lettres de Mixtion n’ont lieu qu’en deux cas, lorsque les terres sont assises en diverses Sergenteries, ou dans le Territoire d’un Haut : Justicier, qui est dans les enclaves d’une Vicomté, ce qui rend le Vicomte competent du decret, ou lorsque les heritages saisis sont situez en differentes Vicomtez, mais qui dépendent du même Bailliage, et en ce cas la connoissance du decret appartient au Bailly ; que si les biens que l’on prétend decreter n’ont pas leur situation dans un même Bailliage, on obtient de la Cour un Arrest d’attri-pution pour decreter devant celuy des deux Baillifs, dans le Territoire duquel la plus grande partie des héritages est assise : or il faloit en user de cette maniere pour les rentes constiruées comme pour les teries, car encore qu’elles n’ayent pas une situation réelle, on a été obligé de eur en attribuer une par cette raison, que pouvant être saisies et decretées comme tous les futres immeubles, il êtoit necessaire de leur assigner un lieu fixe et certain où l’on pût faire les diligences necessaires pour parvenir au decret et à l’ajudication d’icelles ; et purce que l’on pouvoit douter si les diligences seroient faites au domicile du créancier de la rente, ou au donicile de l’ebligé à la rente. La Cour avoit décidé cette difficulté par l’Article. 159. du Regle-ment de l’an 1666. qui porte que la saisie et criées des rentes conctituées doivent être faites en la Paroisse où l’oblige est domicilié, desquelles paroles il resulte évidemment que c’est en la Paroisse du domicile de l’obligé à la rente que les diligences doivent être faites, et non au domicile du creancier de la rente, quoy qu’il foit obligé au treancier qui veut decreter, commen le demandeur l’a soûtenu mal à propos : La raison du Reglement est apparente ; cat pour trouver des encherisseurs, et pour sçavoir si la rente étoit bonne, il êtoit necessaire que les diligences se fissent dans le lieu où étoient les facultez et les biens de l’obligé à la rente, ce que l’on ne onnoîtroit pas si les proclamations se faisoient seulement au domicile du crcancier de la rente, c’est a dire du demandeur en saisie réelle, elles serviroient pour avertir ses créanciers de s’y opposer, mais ils le sont suffisamment par les diligences qui se font pour le decret de ses autres biens ; quant à l’Arrest l’on ne peut pas dite qu’il ait décidé cette question, parce qu’elle ne fut point agitée.

La plaidoirie tomba uniquement sur ce point, à sçavoir si lorsque l’on decrete conjointement les héritages situez dans une Vicomté, et des rentes constituées dont les redevables sont domiriliez en une autre Vicomté, la connoissance du decret devoit appartenir au Bailly : et il fut jugé par l’Arrest que les rentes constituées ne donnoient point ouverture aux Lettres de Mixtion.

La cause fut appointée au Conseil.


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ARTICLE V. Page 48. ligne 3.

I L a êté encore jugé que l’heritier du mineur êtoit recevable aprés les dix ans à se pourvoir par récision contre la transaction que le mineur avoit faite avec son tuteur. Pierre Hoüel, de Ecuyer, sieur de Valleville, ayant laissé deux enfans mineurs, Demoiselle Charlote de Sarcillie fut instituée leur tutrice en l’année 1640. Paul de Rommieu, Ecuyer, l’ayant épousée trois ns aprés, il continua la gestion de cette tutelle moyennant une consignation de quinze cense divres qu’il fit pour l’assurauce des mineurs, et aprés la majorité du fils, ayant presenté son compte, ils convinrent de deux parens pour l’examiner, et en suite par une transaction le sieur de Valleville consentit que le sieur de Rommieu son tuteur retirât les quinze cens livres qu’il avoit consignées, et il reconnut encore qu’il avoit été ressaisi de toutes les pieces du compre ; cette transaction fut confirmée et executée par le sieur de Valleville par plusieurs Actes subsequens, et depuis étant décedé en l’année 1661. Loüis Isnel, Ecuyer, sieur de Comble, qui avoit épousé Demoiselle Marie Hoüel sa soeur, et son héritiore, la ratifia encore par plusieurs autres Actes, et s’obligea même de payer audit sieur de Rommieu ce qui luy restoit dû de son reliqua de compte ; mais se voyant poursuivi par le sieur de Rommieu pour quelques deniers dont il luy êtoit redevable, il obtint en l’annde 1672. des Lettres de récision contre la transaction faite en l’année 1650. avec le sieur de Valleville, et contre tous les Actes faits en con-sequence : ses moyens de restitution étoient fondez sur la jutisprudence certaine des Atrests, qui ont annullé tous les Actes faits par les tuteurs avec leurs mineurs, avant que d’avoir rendu compte dans toutes les formes ; c’est la disposition des Arrests rendus contre le Vicomte de Bayeux, Beaurepaire, le Cercle, et autres : Le mineur ignorant l’état de ses affaires ne transige pas tant qu’il se laisse surprendre, non tam paciscitur quam dicipitur. Les Coûtumes de Nornandie, de Paris et de Bretagne, ont reprouvé ces contrats ; il est vray que le tuteur avoit presenté un compte, mais il étoit rempli de suppositions ; il n’a point été presenté en Justice, point de contredits baillez ni de salvations, nulle production des pièces du compte, et les apostilles que l’on prétend y avoir été mises ne sont point de la main du pupille, ni de la main de celuy que l’on prétend avoir été son arbitre : la lesion y est énorme, par le premier Ecrit du mois d’Octobre de l’année 1650. on rend le pupille reliquataire, quoy que par un Ecrit du mois de May precedent il luy fût dû deux mille cinq cens livres, et que l’on ne fasse point voir que le tuteur se fût acquité de cette somme. On remarque la même surprise dans tous les Ecrits subsequens : pour la fin de non recevoir fondée sur ce que le mineur ne s’est point plaint, ce qui rend ses heritiers non recevables, on convient qu’un heritier doit tenir les faits d’un défunt, pourvû que ce qu’il a fait soit dans l’ordre, mais s’il a été trompé, s’il y a eu du dol Sil étoit dans le temps de se pourvoir, ses heritiers le peuvent : il est vray que l’heritier n’est pas venu dans les dix ans, mais il s’est plaint aussi-tost que ledit sieur de Rommieu poursuivi la reconnoissance des Ecrits qu’il avoit surpris ; on demeure aussi d’accord que pour la transaction du mois d’Octobre 1650. les dix ans étoient passez lors du decez du mineurs nais comme ces contrats entre un tuteur et un pupille sont reprouvez, bien que l’on jugest autrefois que la restitution devoit être demandée dans les dix ans, néanmoins depuis la faveur des pupilles opposée à la malice des tuteurs, a fait juger que les pupilles et leurs heritiers sont restituables en tout temps. Le sieur de Rommieu, pour rendre la fin de non recevoir favorable, sepresentoit que si un tuteur pouvoit être troublé en tout temps, il n’y aumit rien d’assuré dans des familles, que les maximes que le demandeur avoit avancées étoient vrayes, quand den 3 avoit point eu de presentation de compte ni de production de pieces, mais quand le compte avoit été presenté, apostillé et examiné, et qu’en suite on avoit transigé du refultat du compte, executé et ratifié la transaction par plusieurs Actes faits en connoissance de cause, il n’y avoit plus de retour pour le pupille, et beaucoup moins pour ses heritiers. Le pupille durant sa vie ne s’est point plaint, au contraire il a ratifié tout ce qu’il avoit fait, et entré en payement du reliqua de compte, et ce qui est encore plus décisif est que le demandeur depuis le decez du pupille s’est saili de tous ses effets, a pris tous ses papiers, a disposé de tous ses meubles et immeubles, et bien loin de reclamer contre ce qui s’étoit fait contre le défunt, il a compté avec le défendeur, et s’étant trouvé redevable de treize cens cinquante livres pour les arrerages de la dot de la Demoiselle de Rommieu sa femme, il luy a délégué des fermiers pour le payement d’icelle, et aprés tout il paroissoit que le demandeur avoit arraché des feüilles qui avoient du rapport aux dernieres feüilles, sur lesquelles le resultat du compte pouvoit être employ8 ; il faudroit en tout cas remettre les choses au premier état : Or on rapporte un compte laceré, dont quatre pages sont arrachées, et le tuteur s’ôtoit dessaisi des pieces, ce qui ne peut être desavoüé, le pupille ne les ayant jamais demandées non plus que son heritier lorsqu’il a compté avec le défendeur en execution de la transaction ; or celuy qui avoit reçû le compte ayant toûjours témoigné qu’il étoit content, l’ayant ratifié et executé ainsi que son heritier, il n’est pas recexoble vingtrdeux ans aprés d’en demander la récision, sur tout vû l’impossibilité du tuteur de rendre un nouvean compte, et qu’au fonds il n’y a aucune lesion, la conduite du tuteur êtant sans reproche : Par Arrest, au Rapport de Mr de Touvens, du 3r de Janvier 1674. la Cour faisant droit sur les conclusions des parties, les remit en tel état qu’elles étoient auparavant lesdits contrats des à d’Octobre 1650. et 6 de Decembre 1653. 18 de Juin 1660. et 4 de May 1665. ce faisant ordonna que dans le mois ledit sieur de Rommieu presenteroit un nouveau compte audit Isneh et à ladite Hoüel sa femme, de l’administration des biens dudit défunt Pierre Hoüel, à laquelle fin ledit Isnel representeroit le compte et les pieces dont il étoit saisi


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ARTICLE VIII. Page 92 et. ligne 27.

P Ar l’Arrest de Rousseau l’on confirma un decret fait devant le Vicomte de Bayeux, quoy qu’une partie des héritages fût située dans la Vicomté de Bayeux, et l’autre dans la HauteJustice de Maisi, qui est véritablement dans les enclaves de la Vicomté de Bayeux, mais qui n’est qu’une dépendance et un membre de celle de Varenguebec, dont le chef est assis dans le Bailliage de Côtentin, en consequence dequoy l’on soûtenoit que les terres êtans en deux Bailliages differens, le decret n’avoit pû en être fait qu’en vertu d’un Arrest d’Attribution.

Depuis cette question s’offrit en l’Audience de la Grand-Chambre : Le sieur Bacon saisir réellement une maison appartenant à Jean Nicole, au mois de May 1677. et au mois de Novembre ensuivant il augmenta sa saisie de plusieurs héritages situez en la Paroisse de Ry, qui est dans les enclaves de la Vicomté de Bayeux, mais qui dépend de la Haure : Justice de S. Gabriel, dont le siege est dans les enclaves de la Vicomté de Caen, il obtint des Lettres de Mixtion pour faire decreter le tout devant le Bailly de Caen au Siege de Bayeux : Demoiselle Madeleine Lucas, vreuve de Me Magloire Bailleul, ayant fait saisir les mêmes héritages se pourvût devant le Vicomte de Bayeux, qui fit défenses de proceder ailleurs que devant luy : Bacon obtint un Arrest, par lequel il luy fut permis de continuer son decret devant le Bailly audit Bayeux : La Demoiselle Lucas pour ses moyens d’opposition contre cet Arrest, disoit par Louver son Avocat, que cette question étoi nettement décidée par l’Article VIII. de la Coûtume, car il donne au Vicomte la connoissance des Lettres de Mixtion pour les héritages situez dans le Ressort de sa Vicomté, encore qu’ils soient de diverses Sergenteries ou Assises dans le Ressort d’un Haut-Justicier qui est dans les enclaves le sa Vicomté : Or étant constant dans le fait que la Paroisse de Ry est dans les enclaves de la Vicomté de Bayeux, la competence du decret ne peut être contestée au Vicomte ; et pour montrer que l’on devoit considerer seulement le lieu où les héritages étoient situez, et non le lieu où le Haut-Justicier tient sa Jurisdiction, s’il étoit question de Lettres Royaux ou de cas Royaux entre des personnes domiciliées dans la Paroisse de Ry, on ne pourroit pas se pourvoir devant le Vicomte de Caën, quoy que le Siege de la Haute-Justice soit dans les enclaves de sa Vicomté, mais il faudroit proceder devant le Vicomte de Bayeux. Je répondois pour Bacon, que pour faire valoir l’explication que la demanderesse donne à cet Article, I faudroit en rétrancher une partie ; car autrement on ne sçauroit donner un sens raisonnable à ces paroles, qui sont assises dans le Ressort d’un Haut-Justicier qui est dans les enclaves de sa Vicomté. Si pour fonder la competence du Vicomte il suffit que les héritages soient assis dans le Ressort de sa Vicomté, il étoit superslu d’ajoûter que le Haut-Justicier fût dans les enclaves de sa Vicomté, car il n’importoit point que le Haut-Justicier fût dans les enclaves de sa

Vicomté, sitomme on le pretend, c’est assez que les terres y soient assises ; afsi ces dernieres pparoles de l’Article VIII. seroient entièrement supersluës, cé qui ne peut être dit, tous les mots d’une loy étans énergiques et significatifs : Il faut donc entendre cet Article de cette manière, que le Vicomte a la connoissance des Lettres de Mixtion quand les héritages sont assis dans deux Sengenteries, ou dans le Territoire d’un Haut-Justicier qui est dans les enclaves de sa Vicomté, c’est à dire qui a son siege et qui tient sa Jurisdiction dans les enclaves dessa Vicomté ; car l’on ne peut pas dite qu’un Haut-Justicier soit dans les enclaves d’une Vicomté, lorsqu’il ne tient pas sa Jurisdiction dans son Territoire, et qu’au contraire il en fait poutes les fonctions dans une autre ; Il ne suffit donc pas que les terres foient enclavées dans une Vicomté pour rendre le Vicomte competent, il faut encore que le Haut-Justicier y ait on siege et qu’il y tienne sa Jurisdiction, et c’est l’espèce de l’Arrest de Rousseau ; car les rerres n’étoient pas seulement dans les enclaves de la Vicomté de Bayeux, mais aussi la HauteJustice de Maisi y étoit assise ; et lorsque l’on objecte que le Juge Royal de Bayeux connol-éroit des cas Royaux et des Lettres Royaux entre les personnes non domiciliées dans la Paroisse de Ry, on répond que c’est poser pour principe ce qui est en contestation ; ; et pour prouver que cela n’est pas véritable, on suppose que la Justice de S. Gabriel soit abolie et supprimée, comme le fief qui la compose est relevant du Roy, à cause de sa Vicomté de Caen, non seulement le fief, mais aussi tout le Domaine qui le compose, et par consequent a Paroisse de Ry seroit soûmise à la Jurisdiction du Vicomte de Caen, et il n’en retourneroit aucun droit ni competence à celuy de Bayeux, quoy qu’elle soit dans les enclaves de son Territoire, parce que les choses revtendroient au même état qu’elles étoient avant l’erection de la Haute-Justice de S. Gabriel, d’où il resulte évidemment que la Paroisse de Ry n’ayant amais fait partie de la Vicomté de Bayeux, quoy qu’elle soit dans ses enclaves, mais étant de a dépendance de celle de Casn, lorsqu’il s’agit de Lettres de Mixtion elle doit être considerée comme si elle dépendoit encore de la Vicomté de Caen, et par consequent la connois-fance de ce decret appartient au Bailly ; la Cour ordonna qu’il en seroit délibéré le 18 de Mars 1678.