Afficher Masquer
Passages biffés :
Sauts de pages :
Changements de mains :
Mots clés en marge
(main T) :
DistinguerIntégrer
Corrections du transcripteur :

Fermer

Accueil|Présentation du projet|Abréviations|Introductions|Texte|Index

Français|English Contacts

Volume I|Volume II|Volume III|Citer le texte et les notes| Écritures|Affichage

Pensées 205 à 209

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

Fermer

M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

Fermer

Pensées, volume I

205

Mariages

Les mariages entre parens au premier et second degré sont deffendus dans presque toutes les religions, et quoiqu’il y ait eu autrefois des peuples

† Il y en a les Tartares et d’autres peuples. Les Huns &c

ou il etoit permis aux peres de se marier avec leurs enfans[1] je ne sçai pas qu’il y en ait aujourd’hui de tels dans le monde, au moins sont ils si obscurs qu’ils ne valent pas la peine d’etre cités

J’ai mieux traité [ce] sujet dans mes loix.

.
Cependant a considerer ces mariages en eux mêmes ils ne sont pas moins licites que les autres, car ils ne sont point contraires au droit naturel[2] comme le peché d’Onam[3] {p.199} et celui des villes qui perirent par les flames[4], ils ne le sont pas non plus de leur nature au droit civil et politique comme l’incendie le vol et le meurtre, ils ne repugnent même au droit divin que dans le sens qu’il les deffend et non pas par eux mêmes comme l’impieté et le blaspheme, de maniere que tout ce que l’on en peut dire c’est qu’ils sont deffendus parce qu’ils sont deffendus.
Il paroit que cette prohibition est bien ancienne et même qu’elle l’est autant qu’elle peut l’etre, c’est a dire qu’elle vient des premiers patriarches et qu’elle a echapé a notre inconstance naturelle.
Ceci paroit en ce que si ces mariages furent autorisés chés quelques uns des premiers peuples ce ne fut que par l’abolition de l’ancienne coutume parce que l’on voit le mariage des seurs introduit par Cambise celui des meres avec leurs enfans par Semiramis[5].
Or a considerer les meurs des premiers tems on trouvera facilement les raisons d’une repugnance qui a passé depuis en force de loi. {p.200} Il n’y avoit dans ces premiers ages d’autre autorité que celle des peres. C’etoit la plenitude des puissances, pere, magistrat, monarque signifioient une même chose.
On ne trouve pas que dans les premiers tems les hommes exerçassent sur leurs femmes le même empire que sur leurs enfans, au contraire les premieres alliances nous donnent l’idée d’une parfaite egalité et d’une union aussi douce que naturelle, ce n’est qu’avec les empires despotiques que c’est[6] etabli cet esclavage des femmes, les princes toujours injustes ont commencé par abuser de ce sexe et ont trouvé des sujets tout disposés a les imiter ; dans les pays de liberté on n’a jamais vû ces disproportions.
On voit bien qu’une difference pareille a du faire naitre de la repugnance pour les mariages entre parens, comment une fille se seroit elle mariée avec son pere {p.201} comme fille elle lui auroit du un respect sans bornes, comme femme il y auroit eu entr’eux de l’egalité, ces deux qualités auroient donc eté incompatibles[7].
Cette repugnance une fois etablie elle se repandit bien tôt sur les mariages des freres et des seurs, car dés que les premiers inspirerent de l’horreur a cause de la proximité du sang, il est clair qu’une moindre proximité devoit donner moins d’horreur mais devoit en donner toujours.
Ceci etant une fois gravé dans l’esprit des hommes Dieu a voulu s’y conformer et il en a fait un point fondamental de sa loi.
Car lors que Dieu a donné des loix aux hommes, il n’a eu qu’une vuë generale qui etoit d’avoir un peuple fidelle, source naturelle de tous les preceptes.
De ces preceptes il y en a de deux sortes les uns dans le raport que les hommes ont entr’eux que j’apelleroi preceptes moraux, les autres dans le raport qu’ils ont avec lui {p.202} que j’apelleroi preceptes sacrés.
II y a encor deux sortes de preceptes moraux, les uns qui ont du raport a la conservation de la societé comme ils l’ont presque tous, les autres qui ne sont fondés que sur la facilité de l’execution, on peut mettre de ce nombre la deffense du mariage entre parens.
Il y a de même deux sortes de preceptes sacrés, les uns sont entierement fondés sur une raison eternelle comme ceux d’aimer Dieu et de l’adorer, les autres sont purement arbitraires et sont plutôt un signe de la religion que la religion même, et ce sont les ceremoniels.
Le fondement de la religion est qu’on aime Dieu et qu’on l’adore, et les ceremonies ne sont faites que pour exprimer ce sentiment

Cérémonies religieuses

.
Mais il faut qu’elles signifient ce qu’elles doivent signifier, et Dieu rejette celles qui ne peuvent pas signifier une veritable adoration et qui sont mauvaises {p.203} comme signes parce qu’elles le sont dans leur realité ; telles etoient celles qui le faisoient auteur des plus înfames prostitutions[8].

- - - - -

Main principale D

206

DE L’ETERNITÉ DU MONDE.

Eternité du monde

L’argument de Lucrece contre l’eternité du monde prouve trop

Lucrece
Sa 1ere preuve réfutee

Præterea si nulla fuit genitalis origo

Terrasi et cæli semperque æterna fuere

Cur supra bellum Thebanum et funera Trojæ

Non alias alii quoque res cecinêre poëtæ

Quo tot fata virûm toties cecidēre, nec usquam

Æternis famæ monimentis inclita forent florent,

Verum ut opinor habet novitatem summa, recensque

Natura est mundi, neque pridem exordia cœpit[1].

Je dis qu’il prouve trop ; nous ne connaissons

Nous ne connoissons rien avant deux mille cinq ou 600 ans

rien avant les Olympiades, c’est a dire avant deux mille cinq ou six cens ans, tout le reste est fable et obscurité, nous sommes

Nous sommes surs que le monde dure depuis au moins 6000 ans

cependant surs que le monde dure depuis au moins six mille ans[2], nous {p.204} avons donc trois mille cinq cens ans au moins de la durée du monde pour lesquels l’histoire nous manque.

L’histoire nous manque pour 3500 ans

Pour que l’argument de Lucrece fût bon il faudroit que nous eussions une histoire bien exacte et bien suivie depuis l’epoque de la naissance du monde, alors on pourroit dire, iI faut bien que le monde n’ait pas commencé avant puisque nous n’avons point de memoire que rien ait precédé : mais ici il y a un age constant qui a precedé, dont nous n’avons point de memoire et pour la connoissance duquel nous avons besoin de la revelation.

2e preuve de Lucrece

Son autre preuve :

Quare etiam quædam nunc artes expoliuntur

Nunc etiam augescunt, nunc addita navigiis sunt multa[3]

ne vaut pas mieux, car il faudroit auparavant prouver qu’il n’est point arrivé sur la terre de catastrophe pareille a celle dont les Grecs parlent dans leur {p.205} deluge et Moise dans sa Genese ; car si un homme ou un tres petit nombre d’hommes restent dans un grand pays situé de maniere que la communication soit difficile, il faut necessairement que tous les arts tombent et s’y oublient, fussent ils les plus sçavans de la nation; un homme ou deux ne connoissans que peu d’arts et pouvant encor moins les pratiquer, quand ils le sçauroient faire ils le negligeroient : d’ailleurs la pauvreté necessairement attachée a un petit nombre d’hommes fera qu’on abando oubliera tous les arts excepté ceux qui peuvent procurer les plus indispensables besoins

D’ailleurs les arts se tiennent presque touts
Une eguille est le resultat d[e] bien des arts.

. Ne croyés point qu’un Nöé et un Deucalion pensassent a l’imprimerie et s’exerçassent a faire des lunettes de longue vüe ni des microscopes, qu’ils missent en usage de la monnoye, incapables de construire un vaisseau se souviendroient ils ou même se soucieroient ils de la boussole ?
Imaginés vous un pastre dans sa bergerie {p.206} de combien peu d’arts a t’il connoissance ; un paysan dans un lieu peu frequenté combien a t’il peu d’idées : il faudroit donc que tout le peuple partit de ce petit nombre d’idées et avant qu’il n’eûteût fait le moindre progrés, quel tems ne se passeroit il pas ! car la plupart des arts concernent leun grand peuple non pas une certaine quantité d’hommes, avant qu’ils n’eussent fait de bonnes loix qu’ils n’eussent pris ce tour d’esprit qui fait fleurir un etat combien de tems s’écouleroit il ?

Origine du monde

Il est certain que l’origine du monde ne se prouve que par la Ste Ecriture nos livres sacrés car pour les preuves historiques elles sont toutes contre le sistême reçu ; le concert unanime de tous les historiens etant pour une plus grande antiquitê forme une demonstration dans ce genre : dire que tous les peuples par vanité ont reculé leur origine c’est parler sans raison, la vanité ayant peu de part a cela ; n’avons nous pas un ecrivain de notre histoire qui a retranché nos 1ers rois, c’est le P. Daniel[4]. {p.207} Il semble que l’opinion du monde indestructible suppose aussi qu’il n’a pas eu de commencement ; l’opinion de la destruction du monde

Destruction du monde

par le feu qui est l’opinion des anciens philosophes et celle qui est parmi nous ortodoxe ne porte qu’un derangement auquel par les regles du mouvement doit necessairemt succeder un autre arrangement : toute notre theologie, la resurrection des corps, la destruction par le feu tout cela ne supose qu’un nouvel arrangement, et supposé que le mouvemt de la matiere soit inadmissible, le monde doit subsister eternellement, et Lucrece raisonne peu philosophiquement lorsqu’il dit que la destruction que nous voyons dans les parties du monde suppose une destruction dans le tout[5], mais dés que le mouvement subsiste il ne peut pas y avoir de destruction totale, chaque chose s’arrangeant a mesure que l’autre se derange, un tourbillon par ex. ne pouvant etre detruit  qu’il n’en agrandisse ou en forme un autre, une planette mise en pieces qu’elle n’en forme d’autres petites ou ne se range plus prés ou plus loin de son soleil[6]. La plupart des raisonnemens des anciens ne sont pas exacts ce qui vient de ce qu’ils n’avoient {p.208} pas les idées que les decouvertes de nos jours ont données du monde, ils ne faisoient presque attention qu’a la vaste etenduë de la terre qu’ils consideroient presque seule comme le monde et ils concevoient facilement qu’elle pouvoit perir, et voici comment ils raisonnoient, et avec raison, surtout Lucrece et les epicuriens qui croyoient que les astres n’avoient que leur grandeur apparente ; si vous avoüés, disoient ils, que les peuples ont peri que des grandes villes ont eté detruites, que des fleuves se sont formés et ont couvert les campagnes il faut que vous avoüiés aussi qu’il est tres facile que la terre et le ciel se dissolvent si les causes devenoient plus plus grandes,

Quod si forte fuisse ante hac eadem omnia credis

Sed per periisse hominum torrenti sæcla vapore

Aut cecidisse urbes magno vexamine mundi

Aut ex imbribus assiduis exiisse vapores

Per terras omnes atque oppida cooperuisse

 {p.209} Tanto quippe magis ictus fateare necesse est

Exitium quoque terræ cælique futurum

Nam cum res tantis morbis tantisque perïclis

Tentarentur ibi si tristior incubuisset

Causa darent late cladem tristesque ruinas[7]

Voyes p 45 46 et 47[8] :

- - - - -

Main principale D

207

On

Cruauté des Espagnols

ne peut penser sans indignation aux cruautés que les Espagnols exercerent contre les Indiens, et quand on est forcé d’ecrire sur ce sujet on ne peut s’empêcher de prendre le stile de declamateur.
Bartholomeo de Las Casas temoin oculaire de toutes ces barbaries en fait un recit horrible[1], les hiperboles dont les rabins se servent pour decrire la prise de Biter[2] ne presentent pas des idées si affreuses que la naiveté de cet auteur. Adrien punïssoit des revoltés, {p.210} ici l’on extermine des peuples libres des peuples aussi nombreux que ceux ceux de l’Europe disparoissent de la terre, les Espagnols en decouvrant les Indes ont montré en même tems quel etoit le dernier periode de la cruauté.
Il est heureux que l’ignorance dont les infidelles font professi
Il est heureux que l’ignorance dont les infidelles font profession leur derobe nos histoires, ils trouveroient la de quoi se deffendre et de quoi attaquer, s’ils jugeoient de notre religion par les idées que leur en auroient donné la destruction des Indiens, la st Barthelemi et cinq ou six traits aussi marqués que ceux la, qu’auroit on a leur répondre, car enfin l’histoire d’un peuple chretien doit etre la morale pratique du christianisme ; on a fait voir dans les Lettres persanes la vanité des conquêt pretextes qui avoient forcé les Espagnols a en venir a cette extremité, moyen unique de conserver et que par consequent les machiavelistes {p211}

Portugais

ne sçauroient nommer cruel ; on l’a prouvé par la conduite opposée des Portuguais qui ont eté chassés de presque par tout[3], mais le crime ne perd rien de sa noirceur par l’utilité qu’on en retire, il est vrai qu’on juge toujours des actions par le succés, mais ce jugement des hommes est lui même un abus deplorable dans la morale.
Si la politique a eté le motif, de la religion a eté le pretexte ; il y a long tems qu’un poëte s’est plaint que la religion avoit enfanté les plus grands maux, et il faut bien que cela fut vrai dans la religion payenne puisque cela n’est pas même toujours faux dans celle de J. C.

Faire servir Dieu a ses passions

Quel abus de faire servir Dieu a ses passions et a ses crimes ! Y a t’il de plus mortelle injure que celle qu’on ne que l’on fait sous pretexte d’honorer ?

- - - - -

Main principale D

208

{p.212}

Y a t’il eu successivement plusieurs mondes ?

Que sçait on s’il n’y a pas eu successivement plusieurs mondes avant celui ci ? Cette hipotese donneroit bien naturellement l’origine des bons et des mauvais anges, il seroit convenable d’ajouter a chaque monde un jugement universel, les destructions de ces mondes ne seroient point des aneantissemens mais des derangemens.

- - - - -

Main principale D

209

[Passage à la main M]

Histoire d’une jeune Espagnole

Quelques années appres que les Espagnols eurent decouvert le nouveau monde un de leurs vaisseaux batu de la tempeste echoüa sur la coste d’une isle deserte asses eloignée du continent inconue[1] cette isle estoit deserte et il y a apparance que les habitans l’avy avoient peri avoit environ douze ans que [mots biffés non déchiffrés] les et que les habitants l’avoint abandonée car parce que l’air y estoit si mauvais qu’on n’y vivoit pas plus de trente ans le terrein estoit marecageux mais tres gras. L’isle estoit remplie {p.213} de vaches chevres si pleines de lait qu’elles se laissoint traire a l’envi et ce lait fut toujours la nourriture de notre Espagnol il comencoit a s’ennuy ce qui lui faisoit le plus de peine c’est qu’il estoit nu ayant jetté ses habits lors qu’il se sauva a la nage a la nage il y avoit plus de six mois qu’il estoit dans cette isle lorsq[u’]un jour qu’il estoit sur le rivage il vit une jeune fille de l’age de douze ans qui s’y beignoit soit qu’elle et c’estoit la seule persone qui fut dans l’isle soit qu’elle y eut elle avoit esté laissée encore enfant lors que je ne scai coment lorsque les habitans l’abandonerent, ils furent d’abort surpris touts deux mais ils sentirent bientost qu’ils n’estoient point ennemis a mesure que l’Espagnol s’approchoit la jeune Americaine s’approcha aussi, car elle n’avoit point apris a ignorer ce qu’il est impossible de ne pas scavoir

C’estoit une priere naturelle :

ils s’aimerent et se donnerent une foy qu’ils ne pouvoient pas violer ils eurent qu cinq enfans dont le plus vieux n’av quatre enfans et lors que le pere mourut l’ai {p.214} l’ainé n’avoit que cinq ans de quatre a cinq ans et la mere ne survecut que de quelques mois jours pendant lesquels elle apprit les chevres acoutumées laissant un petit peuple dont le plus agé n’avoit que trois ans et demi les chevres acoutumées a venir presenter alaiter les petits enfans continuerent toujours il y a apparance que l’ainé mourut et il se leva ils crurent et la mere ne survecut qu et arriverent sans accident a l’age de raison et la mere ne survécut que de quelques jours laissant dans l’isle quatre habitans dont le plus aage n’avoit que trois ans et demi les chevres pas encore quatre ans les chevres acoutumées a venir alaiter les petits enfans y vinrent toujours de meme et ces nourrices en eurent toujours soin
Des qu’ils eurent atteint l’aage de dix douze ans ils commencerent a sentir les desseins de la nature l’isle fut bientost repeuplée de facon qu’en quatre vints ans de temps dans l’espace de sept {p215} generations il s’estoit fait une nation qui n’avoit point d’idée qu’il y eust sur la terre d’autres homes ny un autre peuple ils se firent une langue.

C’est ce que j’ay reconu par ce que j’ay pu apprendre du pais et par l’histoire [...]

Une barque jettée par la tempeste dans l’isle elle se br deux homes ab echapés de la tempeste aborderent dans Un vaisseau fit ayant fait nauffrage aupres de l’isle deux homes qui se sauverent a la nage y aborderent il y av ils vinrent les habitans les recurent avec humanité et leur donnerent du lait qui estoit le seul mets que ils l’art et la natu qu’ils eussent encore immaginé
Lorsqu’ils eurent appris la langue du pais ils virent un peuple tout neuf
Un des insulaires demenda au vieux etranger quel age il avoit la lune repondit il a j’ay repondit il quatre vingt sdix ans qu’entendez vous par une année repliqua l’insulaire j’apelle année dit l’etranger douze revolutions de lune et a ce conte combien auriez vous de revolutions de lune {p. 216} laisses moy un peu songer j’en aurois mille quatre vints peut on mentir come cela dit l’insulaire quatre vints six fois fait douze revolutions depuis ma naissance quelle imposture s’ecria l’insulaire vous seriés donc plus vieux que voulés vous dire dit l’insulaire une revolution de lune est 29 tours de soleil laissés moi conter et vous seriés plus vieux que nos premiers peres ? Si vous ne me croyés pas dit l’etranger vous croirés peut estre ce jeune home qui est venu avec moy et qui est de la meme ville ou j’ay eu la pris naissance quoy dit l’insulaire y a t’il donc d’autres villes que les notres ? Oui dit le jeune estranger la ville dont nous sommes est presque aussi grande que la moitie toutte la motie de votre isle ne croyés pas que mon compatriote veuille vous en imposer il paroissoit presqu’aussi vieux que mon pere et s’il vivoit aujourd’hui il auroit pres de cent fois douze lunes douze cens lunes estoit de l’âge de mon pere qui s’il vivoit aujourd’hui n’auroit pas moins de 1080 revolutions de lune tout le peuple se mit a rire vous ries ne vous estonés pas de cela reprit le jeune home nous vivons longtemps {p.217} dans notre famille j’ay oui dire a mon pere que mon ayeul mourut apres 90 fois douze lunes mon bisayeul en avoit septante soixante dix dieux quels mensonges s’ecria l’insulaire ; je suis fils de Heptalip son pere s’apelloit Berzici qui estoit fils de Agapé qui ne vecut que quinze ans le pere d’Agape estoit Narnacun qui naquit d’une chevre aussi bien que Neptata sa fame et sa seur dont vous estes descendu come nous.
Remarqués qu’il faut que ce soit le vieux plus jeune etranger sorti de l’isle qui raconte l’histoire. Remarques que dans les Indes les fames concoivent a huit ans : Peut estre pourray je entremesler cela d’un plus long roman.

- - - - -

Passage de la main D à la main M


205

n1.

La note de la main L (1743-1744) donne une précision contenue dans L’Esprit des lois : les Tartares pouvaient épouser leurs filles (EL, XXVI, 14 : Derathé, t. II, p. 181 ; livre absent du manuscrit et non datable [De l’esprit des loix (manuscrits), I, OC, t. 3, p. lxxi]), selon l’Histoire généalogique des Tatars (Leyde, A. Kallewier, 1726 – Catalogue, nº 3125 ; Geographica, p. 301-302, passage de l’extrait transcrit par le secrétaire E), traduite du manuscrit d’Abu’l Ghazi Bahadur, khan de Khiva.

205

n2.

L’Esprit des lois, s’appuyant sur l’universalité de la prohibition de l’inceste, la considérera en revanche comme naturelle, car justifiée par les devoirs respectifs des enfants et des parents, même si elle est étendue et appliquée par des lois civiles, et transgressée parfois par des lois religieuses (XXVI, 14).

205

n3.

Onân (Genèse, XXXVIII, 9-10).

205

n4.

Sodome et Gomorrhe.

205

n5.

Hérodote rapporte le cas de Cambyse II, roi de Perse (?-522 av. J.-C.) qui épousa deux de ses sœurs (III, 31). Sémiramis, reine mythique des royaumes orientaux (Assyrie et Babylonie), passe pour avoir autorisé l’inceste ; cf. LP, 65 (67), p. 307-308, l. 30-34 ; EL, XXVI, 14 : Derathé, t. II, p. 183.

205

n6.

Lire : s’est.

205

n7.

Voir nº 377.

205

n8.

Cf. EL, XXVI, 14 : Derathé, t. II, p. 183.

206

n1.

« En outre, s’il n’y a jamais eu de commencement ni de naissance pour la terre et pour le ciel, s’ils ont toujours été depuis l’éternité, pourquoi, par-delà la guerre de Thèbes et la mort de Troie, n’y a-t-il pas eu d’autres poètes pour chanter d’autres événements ? Où se sont donc allés tant de fois se perdre les exploits de tant de héros ; pourquoi ne voit-on nulle part leur gloire fleurir sur les monuments éternels gravés par la renommée ? Mais non, tout est nouveau dans ce monde, tout est récent ; c’est depuis peu qu’il a pris naissance » (Lucrèce, De natura rerum, liv. V, v. 324-331, A. Ernout (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1920 – Catalogue, nº 1491 : éd. de 1708, Paris, M. David, trad. J. Parrain, baron des Coutures). Cf. la lettre à Dodart de septembre 1725 (Correspondance I, nº 149, p. 174). Sur la thèse de l’éternité du monde, voir nº 67, note 1.

206

n2.

Sur ce calcul, voir nº 41.

206

n3.

« Voilà pourquoi encore aujourd’hui certains arts se perfectionnent, et aujourd’hui encore vont en progressant ; c’est ainsi qu’à notre époque des agrès nouveaux sont venus s’ajouter aux navires […] » (Lucrèce, De natura rerum, liv. V, v. 332-333, A. Ernout (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1920).

206

n4.

Le père Gabriel Daniel commence son Histoire de France depuis l’établissement de la monarchie française dans les Gaules (Paris, J.-B. Delespine, 1713, t. I, préface historique, p. ij) avec Clovis, déclaré fondateur de la monarchie française, parce qu’aucun historien de l’époque n’a fait mention d’un nouvel État établi dans les Gaules par Pharamond, Clodion, Mérovée, ou Childéric.

206

n5.

Voir Lucrèce, De natura rerum, liv. V, v. 352-380 et sur l’idée de la destruction du monde par le feu, commune aux stoïciens et aux chrétiens, le nº 72.

206

n6.

Descartes affirme que les tourbillons peuvent être détruits dans certaines circonstances précises (Principes de la philosophie, liv. III, § 115-118).

206

n7.

« Peut-être crois-tu que toutes ces mêmes choses ont existé autrefois, mais que les hommes d’alors ont péri dans un vaste embrasement, ou que les villes ont succombé dans une convulsion gigantesque du monde, ou qu’à la suite de pluies incessantes les fleuves, débordant de leurs lits, ont ravagé les terres et submergé les cités ? Ce serait une nouvelle nécessité pour toi de t’avouer vaincu, et de reconnaître que la terre et le ciel auront aussi leur fin. Car au moment où de tels maux, de tels périls venaient éprouver le monde, si quelque fléau plus funeste s’était abattu sur lui, il n’eût plus été que désastre décisif et que vastes ruines » (Lucrèce, De natura rerum, liv. V, v. 338-347, A. Ernout (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1920).

206

n8.

Nº 41.

207

n1.

Le témoignage de Bartolomé de Las Casas est diffusé en France grâce à la traduction du protestant flamand Jacques de Miggrode, intitulée Tyrannies et cruautés des Espagnols perpétrées ès Indes Occidentales (Anvers, F. de Ravelenghien, 1579), et plusieurs fois rééditée. Sur la dénonciation de la cruauté des conquêtes espagnoles, cf. LP, 117 (121), p. 459 ; Traité des devoirs [1725], OC, t. 8, p. 438.

207

n2.

Biter ou Bitter (Bétar), place forte proche de Jérusalem où les insurgés juifs, sous la conduite de Barchochebas (Bar Kokhba), sont massacrés par l’armée d’Hadrien en 134. La répression aurait fait 580 000 morts selon le Dictionnaire de Moreri (Moreri, 1718, art. « Barcochebas »).

207

n3.

Cf. LP, 117 (121), p. 460.

209

n1.

L’histoire d’Hermès Trismégiste au livre III des Voyages de Cyrus de Ramsay [1727] et les fictions inspirées de la légende arabo-espagnole d’Hayy ben Yaqdhân qui relate l’histoire d’un enfant s’élevant seul dans une île déserte (Shelly Ekhtiar, « Hayy ibn Yaqzan : the Eighteenth-Century Reception of an Oriental Self-Taught Philosopher », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 302, 1992, p. 217-245) ont pu inspirer à Montesquieu cette ébauche d’apologue philosophique. Cf. nº 158.