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Pensées 1677 à 1681

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.
Q : 1750-1751.
S : 1754-1755.
V : 1754.

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Pensées, volume III

1677

{f.28r} Dans une conversation entre Mr de Fontenelles

Pureté impureté des corps

Mr Iorck[1] et moy, Mr de Fontenelles me demandä d’expliquer l’origine de l’idée de la pureté et de l’impurté des corps qui portoient une souillure sur l’ame, voicy l’explication que je donnay. L’origine de la purté et de l’impurté des choses vient de ce qu’il est naturel d’avoir eu de l’aversion pour les choses desagreables a nos sens. La boüe, un corps mort, un chien, les mois des femmes, tout cela nous a du nous paraitre souiller le corps de ceux qui le touchoient, or dans un le dans des tems, ou l’on n’avoit guêres d’idée de la nature de l’ame, et de la distinction reelle avec le corps, distinction qui n’a èté guêres bien etablie que depuis Descartes, on {f.28v} pouvoit naturelement croire que ce qui souilloit le corps, souilloit aussi l’ame, et metoit l’etre qui etoit touché à une espéce d’etat de peché, et le rendoit desagreable à Dieu, comme la souillure nous rendoit desagreable les uns aux autres, mais quand l’ame à èté bien distinguée du corps, on a bien vu qu’il n’y avoit que le corps qui etoit souillé.
L’idée de Mr de Fontenelles est differente, et elle est tres ingenieuse, si elle n’est pas solide. Il dit que cela vient de ce que les meurtriers etoient ordinairement tachés de sang, que dans les premiers tems ou les hommes {f.29r} etoient habillés de peau, il falloit beaucoup laver pour effacer le sang, que ceux qui etoient impurs, c’est a dire tachés de sang etoient des meurtriers et que les hommes s’acoutumerent à lier ces deux idées, du crime et de la souillure, et passerent ainsi d’une idée à l’autre.
On parla ensuite des sacrifices

Sacrifices

, et je dis que l’idée des sa[c]rifices venoit de ce que Dieu etant maitre de tout on ne peut luy rien donner qu’en se privant. Mr Yorc dit que cette idee venoit des sacrifices humains que l’on avoit cru qu’un home pouvoit prendre sur lui touts les pechés des autres et qu’on avoit ensuite cru que les bettes que l’on sacrifioit s’en charg[e]oint de meme je croy aussi que l’on a pu croire que des divinites se plairoint a l’odeur du sang des victimes et de leur chair brulée et de leur fumée :

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1678

{f.29v} Espagne

Patino[1] a fait une sotise c’est de mettre toutes ces forces de mer a Cadix, cela couta plus : les matelots de Biscaye, et de Catalogne ont deux cent lieües avant d’arriver chez eux depuis qu’ils sont debarqués, le roy de France n’a pas tous ses vaisseaux dans un seul port.

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1679

L’air est tres mauvais a Madrid

Madrid

il se dépeuple continuelement, il se repeuple de même par les etrangers qui y viennent. Les accouchemens n’y sont guêres heureux, les femmes font de fausses couches et meurent, il n’y a guères que deux enfans par famille, en Italie trois, dans les pays plus septentrionaux quatre.

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1680

{f.30r} Ovide

Ovide

Ovide

dans les Fastes fait raconter par Lucrece a ces[1] parents l’attentat de Tarquin, lorsqu’elle vient a son crime, le poëte dit

Infr. p 367

.

Cætera restabant voluit, cum dicere flevit,

Et matronales erubuere genæ[2].

J’ay ouy critiquer ces deux vers de deux manieres, les uns veulent que ce dernier vers soit inutile et ne fasse qui qu’affoiblir, les autres disent que l’ordre des choses est troublée et qu’il falloit mettre la rougeur avant les pleures, et moy je dis que ces deux vers sont admirables et peut etre les plus baux qu’Ovide ait faits, et que de quelque maniere qu’il les tournat ils auroint eté moins beaux, si le poete avoit prevenu l’une ou l’autre de ces critiques, quandt a la premiere je diray qu’il y à plusieurs sources de beauté par raport aux ouvrages d’esprit, qu’il faut bien distinguer, et qu’il ne faut {f.30v} point faire dependre une pensée d’un genre de beauté, lorsqu’elle depend d’un autre. Il est vray qu’il y à des occasions ou la beauté de la pensée consiste dans la brievetê, le qu’il mourut du viel Horace[3], le mo moy de Medée[4], ont une beauté qui depend de la brieveté par la raison qu’il s’y agit d’une action forte et d’un moment ou l’ame est dans une espece de transport, et ou elle exprime tout en un moment parce que l’ame semble n’avoir qu’un moment a elle parce qu’elle est hors d’elle meme, le discours doit etre impetueux, parce que l’ame est impetueuse, mais mais icy il s’agit de la douleur de Lucrece d’une passion lente et sourde, et d’une passion que l’on decrit, et d’un etat de l’ame qu’en que l’on peint, et la il n’a pas sufi de faire pleurer Lucrece, il a falu la {f.31r} la faire rougir, on est trop frapé de ce genre de beauté qui fait qu’on desire que tout finisse en epigrame, tout ne doit pas finir en epigrame icy l’epigramme n’est point dans les derniers [un début de mot biffé non déchiffré] mots, si on veut une epigrame elle est dans le tout.
A l’egard de ceux qui disent que l’ordre est troublé, il ne l’est point du tout parce qu’il ne pouvoit etre autrement. Le pöete à à peindre l’etat de Lucrece, il est admirable en ce que dez qu’elle arrive au detail qui luy parait le plus affreux elle ne peut plus parler, elle pleure le poëte avoit donc deux choses a faire de peindre l’etat de Lucrece et toutes les impressions que la douleur faisoit sur elle, Lucrece s’arrete {f.31v} lorsqu’elle est venue a l’idée la plus affreuse, et elle se met à pleurer c’est ce que le poëte a du d’abord exprimer soit que la rougeur ait precedé les pleures, soit que les pleures aient suivi la rougeur, soit, ce qui est beaucoup plus dans la nature que la rougeur et les pl[e]ures aient eté excitées en meme tems, or icy le poete n’a point du suivre l’ordre qui fairoit commancer par l’expression la plus foible qui pou pour aller a l’expression la plus forte, il faut suivre non pas l’ordre de la la chose mais l’ordre de la pensée, Ovide aiant a faire taire Lucrece à du commancer par la faire pleurer, parce que ce sont les pleurs et non pas la rougeur qui l’ont empeschée de parler, l’ordre des choses {f.32r} doit etre pris de la, Lucrece devoit necesairement rougir et le poëte devoit le dire, mais il ne devoit ny ne pouvoit le dire qu’apres ; ces deux emotions du meme instant ont, dans ce cas particulier cy, un ordre particulier. Me Changez l’ordre et metez, « il falloit dire le reste, mais lorsqu’elle voulut parler elle rougit et pleura », toute la pensée est gatée, lorsqu’elle voulut parler elle rougit l’effet de la rougeur n’est pas d’empescher de parler, ce sont les pleures qui ont cet effet, il faut donc necesairement commancer par arreter ses discours par ses sanglots ; mais la pinture demande que le poëte décrive la rougeur de Lucrece, et il le fait par le plus beau vers du monde.
e Et matronales erubuere genæ.

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1681

{f.32v} J’ay lu une traduction de l’Odyssé d’Homere

Homere

par Mr de la Valterie[1], je ne l’ay point comparée a celle de Me Dacier, il me semble que cette traduction est faite avec plus de feu, et j’avoue qu’en la lisant j’ay senti un charme infini, et tel que je ne me souviens pas que la traduction de Me Dacier m’ait fait sentir le même[2], mais je les compareray, on m’a dit que la traduction de Mr de la Valterie n’etoit pas exacte[3], on ne dit rien par la contre Homere car si en ottant la gesne litteralle, et en donnant a Homere du geni et de l’expression francaise, on l’a rendu plus agreable, on l’a rendu plus semblable a luy même, puisque personne n’a jamais dit qu’Homere n’ait emploié dans son poëme tous les agremens {f.33r} de la langue grecque, lesquels [deux débuts de mots biffés non déchiffrés] ne sçauroient etre transportés dans une autre langue, reste donc que le fond du pöeme est admirable, on auroit beau mettre de pareils agremens dans un mauvais poeme le pöeme sera toujours mauvais

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1677

n1.

Charles Yorke (voir nº 1645) fréquenta Fontenelle, l’abbé Sallier et Montesquieu lors de ses séjours à Paris, mentionnés dans des lettres de 1751 et 1753 (Masson, t. III, p. 1381, 1458).

1678

n1.

José Patiño Rosales (1666-1736), intendant général de la Marine espagnole, réorganisa cette dernière et développa le port de Cadix.

1680

n1.

Lire : ses.

1680

n2.

Cf. nº 1474 et 2180.

1680

n3.

Corneille, Horace, III, 6, v. 1021.

1680

n4.

Corneille, Médée, I, 5.

1681

n1.

L’« Odyssée » d’Homère. Nouvelle traduction par le sieur de La Valterie, Paris, C. Barbin, 1681. Montesquieu possède une édition de 1709 (Paris, M. Brunet – Catalogue, nº 2060).

1681

n2.

Voir Pensées, nº 116 et nº 2252. L’admiration de Montesquieu pour la traduction de La Valterie semble n’avoir guère été partagée : selon Noémi Hepp, cette traduction « ne fit jamais l’objet d’aucune critique élogieuse et semble avoir été ignorée de tous les esprits cultivés de son temps » (Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 463). L’engouement de Montesquieu est toutefois durable : c’est de cette traduction qu’il se servira pour ses extraits et notes de lecture de l’Iliade et de l’Odyssée, après 1751 ; voir BM Bordeaux, ms 2526/2a et ms 2526/2b, dans OC, t. 17, à paraître, et Salvatore Rotta, « L’Homère de Montesquieu », dans Homère en France après la Querelle, 1715-1900, F. Létoublon et C. Volpilhac-Auger (éd.), Paris, H. Champion, 1999, p. 144.

1681

n3.

Dans la préface de sa traduction de l’Iliade, La Valterie l’annonçait sans ambages : « pour prévenir […] le dégoût que la délicatesse du temps aurait peut-être donné de ma traduction j’ai rapproché les mœurs des Anciens autant qu’il m’a été permis » (Paris, C. Barbin, 1681, [p. VII]). Selon Françoise Berlan, cette traduction est « peut-être la plus conforme à un certain goût d’époque, non contrarié par le souci d’exactitude » (« Fénelon traducteur et styliste : réécritures du chant V de l’Odyssée », Littératures classiques, nº 13, 1990, p. 34).