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Pensées 1675 à 1679

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.
Q : 1750-1751.
S : 1754-1755.
V : 1754.

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Pensées, volume III

1675

{f.18v} Sur le bonheur[1]

Voiez la page 12 verso.
Pour etre heureux il faut avoir un objet, parce que c’est le moyen de donner de la vie à nos actions, elles deviennent même plus importantes selon la nature de l’objet, et par la elles occupent plus notre ame.
Voiez ce beau mot dans Plutarque : ouy si le beau bonheur etoit à vendre[2],
On peut estre heureus
On est heureux dans la poursuite d’un objet, quoy que l’experiance fasse bien voir qu’on ne l’est pas par l’o[b]jet même, mais el cette illusion nous sufit : la raison en est que notre ame est une suite d’idées, elle soufre quand elle n’est pas occupée comme si cette suite etoit interompuë et qu’on menacat son existence, ce qui fait que nous ne sommes point heureux c’est que nous vouderions etre comme des dieux, mais il nous sufit bien d’etre heureux comme des hommes. Ceux
{f.19r} Ceux qui par leur etat n’ont pas des occupations necesaires doivent chercher a s’en donner, la plus convenable aux gens qui ont eu de l’education, la lecture nous ote quelques heures qui nous seroient insuportables dans le vide de chaque jour, et peu souvent rendre delicieuses les heures qui y sont occupées
Les grandes villes ont cet avantage que l’on peut se retourner, a-t-on mal choisi ses societez on en trouve d’autres. Dans l
Dans les republiques on à des amis et des enemis, on n’a ny l’un ny l’autre dans les monarchies. La on se hait, icy on se meprise, la l’amitié est fondée sur les interests, icy elle se fonde sur les plaisirs.
On est plus heureux par les amusemens que par les plaisirs, c’est que les amusemens delasent egalement et les peines et les plaisirs.
{f.19v} L’ame à son etre à menager comme le corps[3].
Les annimaux sont des especes d’instrumens à corde, leurs nerfs y font la fonction des cordes dans les instrumens de musique, ceux qui jouent de ceux ci ont besoin de leur donner le degré de tension pour en jouer, si cela ne se trouve pas dans l’homme, le commerce entre l’homme l’ame et les o[b]jets est en quelque façon interompu, pou du moins ce commerce luy devient-il si penible que son etat luy est insuportable. Les grands seigneurs sont ordinairement dans une grande disete des plaisirs de l’ame, c’est ce qui fait qu’ils s’atachent beaucoup aux plaisirs du corps par ce qu’il n’y à guères que ceux la qui soient favorisés par leur etat, et qui puisent etre des consequances de leur grandeur, mais cette meme grandeur met les amusemens de l’esprit à une telle distance d’eux qu’ils n’y peuv atteignent pas. Leur grandeur {f.20r} leur ordonne

Amusement

de s’ennuier, c’est p il leur fauderoit[4] des conquetes pour leur amusement, mais leurs voisins leurs deffendent de s’amuser. Charles V et le roy Victor[5] chercherent la retraite pour les sauver du trouble ou ils etoient, ils trouverent bientot que la retraite leur etoit plus insuportable que leurs inquietudes ; et qu’il valloit mieux gouverner le monde que de s’y ennuier, et qu’un etat d’agitation est plus propre a l’ame qu’un etat d’aneantissement. Si quelques chartreux sont heureux[6] ce n’est pas surement parce qu’ils sont tranquiles, c’est parce que leur ame est mise en activité par de grandes veritées, frapés de l’etat de notre vie, ils peuvent en avoir la joye, comme un prince malheureux chassé du trhosne devient heureux quand il voit le trosne s’aprocher de luy.
{f.20v} Cherchons à nous accomoder à cette vie, ce n’est point à cette vie à s’acomoder à nous, ne soions ny trop vuides, ny trop pleins.
Si nous sommes destinés à nous ennuier sachons nous ennuier, et pour cela evaluons bien les plaisirs que nous perdons et n’otons pas leur prix a ceux que nous pouvons nous procurer. Quand je devins aveugle, je compris d’abord que je sçaurois etre aveugle.
On peut compter que dans la pluspart des malheurs il n’y à qu’à sçavoir se retourner,
Dans ce cas la plus part des malheurs entereront[7] dans le plan d’une vie heureuse.
Il est tres aisé avec un peu de reflexion de se defaire des passions tristes.
Mr Rousseau a tres bien dit
J’ay vu qu’il etoit plus facile de soufrir, que de se venger[8].
{f.21r} La plus part des gens

Ennemis

vous nuisent sans avoir la moindre intention de vous nuire, ils font des traits d’inimitié, et ils ne sont pas vos enemis, ils ont parlé contre vous ; et ils ne vouloient que parler, c’etoit un de leurs besoins, et ils l’on satisfait, ils ont parlé contre vous parce qu’ils etoient dans l’impuisance de se taire ; ces gens qui vous ont montré peu de bienveillance, vous serviroient volontiers si vous les en priés, et blameroient de tout leur coeur ceux qu’ils ont loüé contre vous ; rendez vous justice, etes vous faits pour etre loués de tout le monde, ce qu’on à dit, n’est-il pas offensant parce que vous avez trop de delicatesse ne commancez-vous pas a le meriter dez que vous avez la foiblesse de vous en plaindre. Si on a n’a pas eu assez d’egards pour vous, on est impoly, et ce n’est pas vous qui l’etes, quand il seroit {f.21v} vray qu’on auroit

Mépris

manqué d’estime, personne ne vous à obligé de vous mesurer au degré d’estime qu’une certaine personne à pour vous, vous pouvez tres bien ne vous en pas tenir à la fixation. La plus part des mepris ne valent que des mepris. Les choses qui deshonorent ne font cet effet que parce qu’il est etably qu’on ne peut pas les mepriser, et que n’en point marquer son resentiment c’est en convenir, n’etendez donc point contre vous le chapitre du deshoneur, et tenez vous en avec exactitude a ce qu’il prescript. Avez-vous une passion naissante, comparez bien la suite du bonheur, et la suite du malheur qui en peut naturelement resulter. Je ne parle point dans les vües de la relligion il n’y auroit point à deliberer. Je parle dans les vües de cette vie, mais au moins si vous avez à confier votre bonheur {f.22r} a qui le confiés vous, et n’est-ce pas le cas ou l’amour de vous même vous ordonne de bien choisir, il est tres rarement vray que le coeur ne soit fait que pour un seul, et qu’on soit fatalement destiné à un seul, et qu’un peu de raison ne puise vous destiner à un autre.
En traitant du bonheur j’ay cru devoir prendre des idées communes, et me contenter de faire sentir ce que je sentois, et porter dans l’ame des autres la paix de mon ame il ne faut point beaucoup de philosophie pour etre heureux il n’y à qu’a prendre des idées un peu saines.
Une minute d’attention par jour sufit, et il ne faut point [deux lettres biffées non déchiffrées] entrer pour cela dans un cabinet pour se receuillir, ces choses s’aprennent dans le tumulte du monde mieux que dans un cabinet. J’ay vu des gens mourir de chagrin {f.22v} de ce qu’on ne leur donnoit pas des emplois qu’ils auroient eté obligés de refuser si on les leur avoit offerts (milord Bulembrock[9])
Belles parolles de Seneque. Sic præsentibus voluptatibus utaris, ut futuris non noceas[10].
Une mere a-t-elle perdu sa beauté vous la voiez qu’elle s’enorgueillit de celle de sa fille.
On est heureux dans le cercle des societés ou l’on vit temoin les galeriens[11], or chacun se fait son cercle dans lequel il se met pour etre heureux.
Comme les plaisirs sont souvent melés de peines, les peines sont mellées de plaisirs, on ne sçauroit croire jusqu’ou va le delice des afflictions fausses lorsque l’ame sent qu’elle attire l’attention et la compasion, c’est un sentiment agreable, on voit bien naivement {f.23r} cette resource de l’ame dans le jeu, pendant que l’un s’enorgueillit de gagner et se croit un personnage plus important parce qu’il gagne vous voiez ceux qui perdent chercher une infinité de petites consolations par leurs petites plaintes par leurs petites interpellations a tous ceux qui les entourent, on parle de soy, cela sufit a l’ame.
Il y a plus ; les vrayes afflictions ont leurs delices, les vrayes afflictions n’ennuient jamais parce qu’elles occupent beaucoup l’ame, c’est un plaisir lorsqu’elles aiment à parler, c’en est un lorsqu’elles aiment a se t taire et s’en est un si grand qu’on ne peut distraire personne de sa douleur, sans luy causer une douleur plus vive. Les plaisirs de la lecture lorsque l’ame s’identifie dans les objets avec les objets auxquels {f.23v} elle s’interesse : il y a tel amour dont la peinture a fait plus de plaisirs a ceux qui l’on lu qu’a ceux qui l’on resenti ; il y a peu de jardins si agreables qu’ils aient fait plus de plaisir a ceux qui s’y promenent, qu’on en à trouvé dans les jardins d’Alcide[12]. L’ame est une ouvriere eternelle qui travaille sans cesse pour elle. Quant a la beauté des femmes, il y à peu d’hommes qui, lorsque ses passions sont tranquilles, ne sente plus de ravissement d’un beau portrait qu’à la vüe de l’original.

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[f. 24r-26v] Six pages blanches

Main principale P

1676

{f.27r} Je disois qu’il etoit tres naturel

Chaine des etres

de croire qu’il y avoit des intelligences superieures à nous, car en suposant la chaine des creatures que nous connoissons et les differents degrés d’intelligence depuis l’huitre jusqu’à nous[1], si nous faisions le dernier chainon cela seroit la chose la plus extraordinaire, et il y auroit toujours à parier deux trois, quatre cent mille, ou millions contre un que cela ne seroit pas, et que parmi les creatures ce fut nous qui eusions la premiere place, et que nous fusions la fin du chainon, et qu’il n’y a point d’etre intermediaire entre nous et l’huitre qui ne put raisonner comme nous. Il est vray que nous sommes les premiers parmi les etres que nous connoissons, mais quand {f.27v} nous en concluons que nous sommes les premiers des etres nous triomphons de notre ignorance et de ce que nous ne connoissons pas la communication de notre globe à un autre, ni même tout ce qui existe dans notre globe. Mr de Fontenelles a la dessus une tres jolie idée, il dit qu’il peut etre que les intelligences qui ont donné occasion a toutes les histoires de communication avec les etres inconnus ne peuvent pas vivre longtems dans notre globe, et qu’il en est comme des plongeurs qui peuvent aller dans la mer, et ne peuvent pas vivre dans la mer. Ainsi la communication avec les esprits æriens par exemple aura èté courte, elle aura eté rare mais elle aura eté faite quelquefois

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Main principale P

1677

{f.28r} Dans une conversation entre Mr de Fontenelles

Pureté impureté des corps

Mr Iorck[1] et moy, Mr de Fontenelles me demandä d’expliquer l’origine de l’idée de la pureté et de l’impurté des corps qui portoient une souillure sur l’ame, voicy l’explication que je donnay. L’origine de la purté et de l’impurté des choses vient de ce qu’il est naturel d’avoir eu de l’aversion pour les choses desagreables a nos sens. La boüe, un corps mort, un chien, les mois des femmes, tout cela nous a du nous paraitre souiller le corps de ceux qui le touchoient, or dans un le dans des tems, ou l’on n’avoit guêres d’idée de la nature de l’ame, et de la distinction reelle avec le corps, distinction qui n’a èté guêres bien etablie que depuis Descartes, on {f.28v} pouvoit naturelement croire que ce qui souilloit le corps, souilloit aussi l’ame, et metoit l’etre qui etoit touché à une espéce d’etat de peché, et le rendoit desagreable à Dieu, comme la souillure nous rendoit desagreable les uns aux autres, mais quand l’ame à èté bien distinguée du corps, on a bien vu qu’il n’y avoit que le corps qui etoit souillé.
L’idée de Mr de Fontenelles est differente, et elle est tres ingenieuse, si elle n’est pas solide. Il dit que cela vient de ce que les meurtriers etoient ordinairement tachés de sang, que dans les premiers tems ou les hommes {f.29r} etoient habillés de peau, il falloit beaucoup laver pour effacer le sang, que ceux qui etoient impurs, c’est a dire tachés de sang etoient des meurtriers et que les hommes s’acoutumerent à lier ces deux idées, du crime et de la souillure, et passerent ainsi d’une idée à l’autre.
On parla ensuite des sacrifices

Sacrifices

, et je dis que l’idée des sa[c]rifices venoit de ce que Dieu etant maitre de tout on ne peut luy rien donner qu’en se privant. Mr Yorc dit que cette idee venoit des sacrifices humains que l’on avoit cru qu’un home pouvoit prendre sur lui touts les pechés des autres et qu’on avoit ensuite cru que les bettes que l’on sacrifioit s’en charg[e]oint de meme je croy aussi que l’on a pu croire que des divinites se plairoint a l’odeur du sang des victimes et de leur chair brulée et de leur fumée :

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Main principale P

1678

{f.29v} Espagne

Patino[1] a fait une sotise c’est de mettre toutes ces forces de mer a Cadix, cela couta plus : les matelots de Biscaye, et de Catalogne ont deux cent lieües avant d’arriver chez eux depuis qu’ils sont debarqués, le roy de France n’a pas tous ses vaisseaux dans un seul port.

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Main principale P

1679

L’air est tres mauvais a Madrid

Madrid

il se dépeuple continuelement, il se repeuple de même par les etrangers qui y viennent. Les accouchemens n’y sont guêres heureux, les femmes font de fausses couches et meurent, il n’y a guères que deux enfans par famille, en Italie trois, dans les pays plus septentrionaux quatre.

Main principale P


1675

n1.

Voir nº 1644, note 1.

1675

n2.

Plutarque, De l’amour des richesses, I.

1675

n3.

Sur le développement qui suit, voir nº 30 ; Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères (OC, t. 9, p. 242-245).

1675

n4.

Lire : faudrait.

1675

n5.

Allusion à l’abdication de Charles Quint et de Victor-Amédée II de Savoie.

1675

n6.

Sur l’exemple des chartreux, voir nº 1192.

1675

n7.

Lire : entreront.

1675

n8.

Jean-Baptiste Rousseau, Odes, II, 4, « À M. D’Ussé ».

1675

n9.

Voir nº 1132, note 4.

1675

n10.

« Jouis des plaisirs présents sans porter atteinte à ceux à venir » (nous traduisons) ; citation non localisée.

1675

n11.

Cf. nº 30, p. 27.

1675

n12.

Le jardin des Hespérides, parmi les douze travaux d’Hercule dont Alcide est l’un des noms.

1676

n1.

Montesquieu utilisera l’exemple de l’huître pour illustrer le sentiment du bonheur selon la hiérarchie des êtres dans une réponse à Mme du Deffand qui prétendait que « rien n’est heureux, depuis l’ange jusqu’à l’huître » (lettre d’octobre [1753], Masson, t. III, p. 1475).

1677

n1.

Charles Yorke (voir nº 1645) fréquenta Fontenelle, l’abbé Sallier et Montesquieu lors de ses séjours à Paris, mentionnés dans des lettres de 1751 et 1753 (Masson, t. III, p. 1381, 1458).

1678

n1.

José Patiño Rosales (1666-1736), intendant général de la Marine espagnole, réorganisa cette dernière et développa le port de Cadix.