chapitre 13

capitulum XIII

Mort du comte Dreux

De morte comitis Drogonis

<1> Les Lombards de Pouille, peuple toujours si perfide, ayant fomenté dans la Pouille tout entière un complot sans que rien n’en transpirât, <résolurent> de tuer le même jour tous les Normands1Chalandon 1907, 129 et 131, et De Bartholomaeis 1935, 136, imputent l’assassinat de Dreux et de Guaimar à Argyros, qui avait rallié le parti des Byzantins.. À la date arrêtée2Dreux fut assassiné dans la nuit du 9 au 10 août 1051, la veille de la fête de saint Laurent martyr, d’après Aimé III, 22 ; Orderic Vital, Interp. GG, VII (30) = GND 2, 156-158. Voir encore Annales Beneventani, ad an. 1051 ; Romuald de Salerne, Romualdi Salernitani Chronicon, p. 181., le comte Dreux, qui demeurait dans la forteresse de « Mont-Oleum » – dont le nom est déformé par les habitants en Montolium3Guil. Ap. II, 79 ; Anon. Bar., ad an. 1051 ; et Lupus Protospatarius, Annales, ad an. 1051, s’accordent à situer à Montelari ou Monte Ilari l’assassinat de Dreux. Il s’agit de Montellari, située à 3 km au nord-nord-ouest de Bovino (prov. Foggia) ; voir Martin & Noyé 1990, 289, et le Chronicon Sanctae Sophiae (cod. Vat. Lat. 4939), J.-M. Martin (éd.), Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo (Fonti per la storia dell’Italia medievale. RIS3 ; 3), 2000, p. 240. –, se rendait en toute hâte à l’église au point du jour, comme à son habitude ; un certain Risus4Seul Malaterra donne le nom de Risus, qui fut repris par l’Anonyme du Vatican (Anon. Vat., p. 752), puis interpolé dans Aimé III, 22. Lupus Protospatarius, Annales, ad an. 1051, en revanche, le nomme Concilius et Orderic Vital, Interp. GG, VII (30) = GND 2, 156-158, qui en fait un Napolitain, Wazon. Tous le qualifient aussi de comitis compater (compere, chez Aimé), insistant sur les liens d’amitié qui unissaient les deux hommes., intime du comte, à qui des serments le liaient, s’était caché derrière la porte, et, au mépris de ce qui les liait, il l’accueillit l’épée à la main, au moment où il entrait dans l’église. C’est ainsi que Dreux fut assassiné, avec nombre de ses gens, dont peu réchappèrent. Et dans les différents endroits de la Pouille, de nombreux <Normands> périrent, victimes de ce complot. <2> Alors, Onfroi Abélard, bouleversé par le meurtre de son frère, revendiqua sa dignité5Sur l’élévation d’Onfroi, voir Lupus Protospatarius, Annales, ad an. 1051 : Umfreda factus est comes ; Anon. Vat., p. 752 : elevato in consulatum Humfredo, qui cognomine Abagelardus vocabatur. On apprend par Aimé qu’Onfroi fut élu comte lors d’une assemblée de Normands et en présence de Guaimar. Il ne s’agit donc pas d’une prise de pouvoir personnelle, comme semble le dire Malaterra (voir Aimé III, 22 : « Et s’asemblerent li Normant, puiz la mort de Drogo, et Guaymere : et fu fait conte Umfroi, frere de Drogo ») ; sur ce point, voir De Bartholomaeis 1935, 138, n. 2, et Mathieu 1961, 281, contre Chalandon 1907, 130, n. 1. et s’empara des forteresses qui avaient appartenu à son frère ; et, ayant rallié les Normands qui avaient échappé au danger du complot, il entreprend de venger le meurtre de son frère6L’acte de vengeance est un motif que l’on retrouve à différentes reprises chez Malaterra (II, 23, 3 ; II, 37, 4 ; II, 46, 6). La vindicta exercée ici par Onfroi contre les assassins de son frère et ses conséquences illustrent parfaitement ce que dit Bougard 2006, 3, au sujet de ce terme. Onfroi trouve, en effet, une forme de « “délivrance” dans la peine infligée », et satisfait à « l’ardente obligation qu’il y a, aux termes du droit romain tardif, de venger la mort d’un proche dès lors que l’on doit hériter de ses biens ». : ayant mis le siège un long moment devant la forteresse où son frère avait été assassiné, il la réduisit enfin ; puis, infligeant toutes sortes de supplices7Sur les tortures infligées à Risus, voir Anon. Vat., p. 752 : […] abcissis sibi singulis membris separatim per intervalla temporis, ut diu vivendo diu cruciaretur, supplicium sumptum est ; ad ultimum, amissis omnibus membris, adhuc vivens terrae infoditur, « chacun des membres [de Risus] fut arraché, l’un après l’autre, par intervalles, afin que, restant en vie, il souffrît plus longtemps ; et, pour finir, quand il eut perdu tous ses membres, on le mit en terre encore vivant ». Voir aussi Guil. Ap. I, 287-293, qui situe la vengeance tirée du meurtre d’Onfroi après la bataille de Civitate, en 1053. au meurtrier de son frère ainsi qu’à ses complices, il apaisa quelque peu dans leur sang la colère et la douleur qui étreignaient son cœur.

<1> Longobardi igitur ApuliensesApuliensesApuliensesApuliensesApuleienses, genus semper perfidissimum, traditione [+] [traditione… ordinata (-tam C) C Z : traditionem… ordinant B Pontieri. [-]] traditionetraditionetraditionem per universam Apuliam silenter ordinataordinataordinatamordinant, ut omnes Normanni una die occiderentur [+] [occiderentur C Z : -dantur B post occiderentur interp. B Pontieri. [-]] occiderenturocciderenturocciderenturoccidantur <…> [+] [lacunam ind. Desbordes. [-]] a'Desbordes 2002, 46, signale qu’il faut supposer ici une lacune, due à la perte du verbe principal, et ponctuer avant determinato die. Cette ponctuation avait été adoptée par Pontieri, qui, pour l’ensemble de la phrase, s’était fié à tort aux conjectures de B. Il est aussi possible, si ut est une conjonction à valeur finale, que la lacune soit plus importante que ne l’a supposé O. Desbordes, et qu’il manque un morceau de phrase explicitant les intentions des Lombards avant que commence le récit de la trahison (cf., par exemple, II, 46, 3).. Determinato die, cum comes Drogo [+] [drogo C B : drago Z. [-]] DrogoDrogoDrogodrago apud castrum Montis Olei, quod corrupte ab incolis Montolium dicitur, moraretur [+] [moraretur C Z : morarentur B. [-]] morareturmorareturmorareturmorarentur, summo diluculo ad ecclesiam, ut sibi mos erat, properans, cum jam ecclesiam intraret, quidam Risus nomine, ejusdem [+] [ejusdem C B : ejus Z ed. pr. [-]] ejusdemejusdemejus comitis compater et sacramentis [+] [sacramentis C ZB : -to Pontieri. [-]] sacramentissacramentissacramentissacramento foederatus [+] [foederatus C : -tur Z confoederatus B Pontieri. [-]] foederatusfoederaturconfoederatus, post [+] [post C Z : prius B. [-]] postpostpostprius januam latens, foedere rupto, ferro eum suscepit. Sicque [+] [sicque C B : quod Z qui ed. pr. [-]] SicqueSicqueQuodQui cum [+] [cum C Z : de B. [-]] cumcumcumde pluribus suorum, paucis aufugientibus, occisus est. Sed per diversa Apuliae loca plures hac [+] [hac C Z2B : ac Z. [-]] hachachac [+] [Z2 : hac [-]] ac traditione [+] [traditione C Z : prod- B. [-]] traditionetraditionetraditioneproditione occubuerunt. <2> Porro HunfredusUmfredusHumifridesHunifredus Abagelardus [+] [abagelardus C B Ca : -do Z ed. pr. [-]] AbagelardusAbagelardusAbagelardusAbagelardo, nece [+] [nece ZB : ne C. [-]] necenecenecene fratris turbatus, honorem sibi vendicans, castra quae frater possederat [+] [possederat Z : -siderat C B. [-]] possederatpossederatpossiderat insiluit [+] [insiluit C B : insuluit Z. [-]] insiluitinsiluitinsiluitinsuluit ; Normannosque qui periculum traditionis [+] [traditionis C Z : prod- B. [-]] traditionistraditionistraditionisproditionis evaserant sibi alligans, [C/f.4v-5r] in vindictam fraternae necis insurgit [+] [insurgit C Z : assurgens B. [-]] insurgitinsurgitinsurgitassurgens, multoque [+] [multoque C Z : multo B. [-]] multoquemultoquemultoquemulto  [EP/p.14-15] tempore castrum [+] [post castrum add. in Pontieri. [-]] castrumcastrumcastrumcastrum in quo frater suus occisus [+] [occisus C B : occusus Z. [-]] occisusoccisusoccisusoccusus fuerat oppugnans, tandem devicit ; fratrisque interemptorem [+] [interemptorem C Z : occisorem B. [-]] interemptoreminteremptoreminteremptoremoccisorem cum sibi [+] [sibi om. B. [-]] sibisibisibi[om.] assentientibus [+] [assentientibus C Z : sequacibus B. [-]] assentientibusassentientibusassentientibussequacibus diversis cruciatibus afficiens [+] [afficiens ZB : of- C. [-]] afficiensafficiensafficiensofficiens, eorum sanguine iram et dolorem cordis [+] [cordis C Z : fratris B. [-]] cordiscordiscordisfratris sui aliquantulum extinxit.

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1Chalandon 1907, 129 et 131, et De Bartholomaeis 1935, 136, imputent l’assassinat de Dreux et de Guaimar à Argyros, qui avait rallié le parti des Byzantins.

2Dreux fut assassiné dans la nuit du 9 au 10 août 1051, la veille de la fête de saint Laurent martyr, d’après Aimé III, 22 ; Orderic Vital, Interp. GG, VII (30) = GND 2, 156-158. Voir encore Annales Beneventani, ad an. 1051 ; Romuald de Salerne, Romualdi Salernitani Chronicon, p. 181.

3Guil. Ap. II, 79 ; Anon. Bar., ad an. 1051 ; et Lupus Protospatarius, Annales, ad an. 1051, s’accordent à situer à Montelari ou Monte Ilari l’assassinat de Dreux. Il s’agit de Montellari, située à 3 km au nord-nord-ouest de Bovino (prov. Foggia) ; voir Martin & Noyé 1990, 289, et le Chronicon Sanctae Sophiae (cod. Vat. Lat. 4939), J.-M. Martin (éd.), Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo (Fonti per la storia dell’Italia medievale. RIS3 ; 3), 2000, p. 240.

4Seul Malaterra donne le nom de Risus, qui fut repris par l’Anonyme du Vatican (Anon. Vat., p. 752), puis interpolé dans Aimé III, 22. Lupus Protospatarius, Annales, ad an. 1051, en revanche, le nomme Concilius et Orderic Vital, Interp. GG, VII (30) = GND 2, 156-158, qui en fait un Napolitain, Wazon. Tous le qualifient aussi de comitis compater (compere, chez Aimé), insistant sur les liens d’amitié qui unissaient les deux hommes.

5Sur l’élévation d’Onfroi, voir Lupus Protospatarius, Annales, ad an. 1051 : Umfreda factus est comes ; Anon. Vat., p. 752 : elevato in consulatum Humfredo, qui cognomine Abagelardus vocabatur. On apprend par Aimé qu’Onfroi fut élu comte lors d’une assemblée de Normands et en présence de Guaimar. Il ne s’agit donc pas d’une prise de pouvoir personnelle, comme semble le dire Malaterra (voir Aimé III, 22 : « Et s’asemblerent li Normant, puiz la mort de Drogo, et Guaymere : et fu fait conte Umfroi, frere de Drogo ») ; sur ce point, voir De Bartholomaeis 1935, 138, n. 2, et Mathieu 1961, 281, contre Chalandon 1907, 130, n. 1.

6L’acte de vengeance est un motif que l’on retrouve à différentes reprises chez Malaterra (II, 23, 3 ; II, 37, 4 ; II, 46, 6). La vindicta exercée ici par Onfroi contre les assassins de son frère et ses conséquences illustrent parfaitement ce que dit Bougard 2006, 3, au sujet de ce terme. Onfroi trouve, en effet, une forme de « “délivrance” dans la peine infligée », et satisfait à « l’ardente obligation qu’il y a, aux termes du droit romain tardif, de venger la mort d’un proche dès lors que l’on doit hériter de ses biens ».

7Sur les tortures infligées à Risus, voir Anon. Vat., p. 752 : […] abcissis sibi singulis membris separatim per intervalla temporis, ut diu vivendo diu cruciaretur, supplicium sumptum est ; ad ultimum, amissis omnibus membris, adhuc vivens terrae infoditur, « chacun des membres [de Risus] fut arraché, l’un après l’autre, par intervalles, afin que, restant en vie, il souffrît plus longtemps ; et, pour finir, quand il eut perdu tous ses membres, on le mit en terre encore vivant ». Voir aussi Guil. Ap. I, 287-293, qui situe la vengeance tirée du meurtre d’Onfroi après la bataille de Civitate, en 1053.

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a'Desbordes 2002, 46, signale qu’il faut supposer ici une lacune, due à la perte du verbe principal, et ponctuer avant determinato die. Cette ponctuation avait été adoptée par Pontieri, qui, pour l’ensemble de la phrase, s’était fié à tort aux conjectures de B. Il est aussi possible, si ut est une conjonction à valeur finale, que la lacune soit plus importante que ne l’a supposé O. Desbordes, et qu’il manque un morceau de phrase explicitant les intentions des Lombards avant que commence le récit de la trahison (cf., par exemple, II, 46, 3).