« Livre I », in “Encomium Emmae reginae”. Éloge de la reine Emma par un clerc de Flandre, Françoise Orange (éd.), Caen, Presses universitaires de Caen (@Fontes & Paginæ – Sources médiévales), 2024, DOI : https://doi.org/10.51203/sources.puc.000213

Livre I

Liber primusliber primus add. Duchesne : I add. Campbell

I1 Par un rapport véridique, j’ai découvert, dis-je, que SveinSvein Tjuguskegg (Svein À la barbe fourchue) succède en 986 à son père Haraldr Blátönn (Harald À la dent bleue) sur le trône du Danemark. Il étend sa domination sur une grande partie de la Norvège et, au terme d’attaques répétées, il devient roi d’Angleterre en 1013, mais meurt peu après, en février 1014., le roi des Danois, fut de presque tous les rois de son temps le plus heureux, au point qu’à d’heureuses prémices répondit, ce qui arrive rarement d’ordinaire, une fin bien plus heureuse encore aux yeux de Dieu et du monde.2 Il était, en effet, issu de la plus haute noblesse, ce qui est primordial parmi les hommes, et le gouvernement de l’empire qu’il administrait lui valut un grand prestige aux yeux du monde. La puissance divine lui accorda une si grande grâce que, même petit garçon, tout le monde l’aimait d’une affection profonde, à l’unique exception de son propre pèreHaraldr Blátönn, roi du Danemark (vers 950-985 ou 986). Il unifie le royaume et, vers 960, se convertit au christianisme qui se répand dans son royaume., qui le détestait, non qu’une faute de l’enfant le justifiât, mais par le seul effet de la jalousie. Devenu un jeune homme, il était chaque jour plus aimé du peuple, ce qui augmentait tant et plus la jalousie de son père, au point que celui-ci voulait le chasser de sa patrie, non plus secrètement, mais au su de tous, jurant dans ses déclarations qu’il ne régnerait pas après lui. Affligée de cet état de choses, l’armée, abandonnant le père, s’attacha au fils, qu’elle défendait activement. Pour trancher l’affaire, ils s’affrontent au combat : le père, blessé dans la bataille et mis en fuite, chercha refuge auprès des Slaves ; il mourut là-bas peu après, et Svein occupa son trône dans la paix.

3 Avec quelle énergie et quelle clairvoyance il administra les affaires temporelles à ce moment-là, il me plaît de le rappeler en quelques mots pour qu’après cette digression il soit plus facile d’en venir progressivement à ce qui suit. Bref, bien qu’il vécût en paix, dans une parfaite sécurité, sans être inquiété par quelque attaque ennemie, il renforçait dans ses forteresses ce qui ne résisterait probablement en aucun cas face à des ennemis, s’il s’en présentait, comme s’il vivait dans la crainte perpétuelle d’un danger, et d’un danger imminent ; de plus, il ne tolérait de ses hommes aucun relâchement dans les préparatifs de ce qui était nécessaire à la guerre, sans doute de peur que l’inaction, comme c’est souvent le cas, n’amollît leurs cœurs virils. En revanche, il ne pouvait trouver aucune entreprise assez difficile pour y engager contre leur gré ses guerriers, que ses nombreuses et abondantes largesses avaient rendus dévoués et fidèles à sa personne. Et pour qu’on sache combien il tenait de place dans le cœur de ses hommes, je peux affirmer avec certitude que pas un seul ne s’est dérobé devant le danger par crainte de la mort et que, par fidélité envers lui, on se serait élancé sans trembler seul contre d’innombrables ennemis, voire à mains nues contre des hommes en armes, pour peu qu’un simple signal du roi eût été donné à ceux qui partaient combattre.

4 Mais qu’on n’aille pas croire que j’ai composé cet éloge en inventant des mensonges pour m’attirer quelque bienveillance : dans ce qui va suivre, un observateur attentif distinguera si j’ai dit ou non la vérité. En effet, il est clair pour tout le monde, sans le moindre doute, que telle est l’habitude du genre humain : la plupart du temps, à la suite d’événements qui ont connu une issue heureuse, une imagination bouillonnante agite plus qu’il ne faut certains esprits ; et en raison de l’extrême liberté que procure l’oisiveté, d’aucuns entreprennent ce qu’ils osent à peine envisager et, à plus forte raison, faire quand ils sont en butte à l’adversité.

I1 Regem Danorum Sveinumsveinum Langebek : sueinum L sueynum C ut plerumque, inquam, veridica compericomperi L C corr. : compleri C ante corr. relatione omnium sui temporis regum ferme fortunatissimum extitisse, adeo ut, quod raro contingicontingi L def. Campbell : contingere C prop. Duchesne conjungi dubit. conj. Gertz solet, principiisprincipiis L : -pis C felicibus secundum Deum et seculum multo felicior responderet exitus.2 Hic denique a nobilissimispost nobilissimis excidisse parentibus susp. Pertz, quod primum est inter hominesI.α. quod primum est inter homines — variante d’une formule sallustéenne qu’on peut lire dans Conjuration de Catilina, 36, 4 : quae prima mortales putant – repris par Sulpice Sévère dans ses Dialogues sur les vertus de saint Martin, 1, 5, 5 –, ou Guerre de Jugurtha, 41, 1 : quae prima mortales ducunt. Notons cependant que cette expression se retrouve telle quelle – ou peu s’en faut – dans la vie latine d’une sainte belge datée des années 1033-1048 : voir Vita sanctae Amalbergae, 1 (J.-B. Du Sollier (éd.), in Acta Sanctorum, Mensis Julii, t. III, Anvers, J. Du Moulin, 1723, p. 69) : quod inter mortales primum putatur., duxit originem, magnumque sibi decus secundum seculum peperit imperii quod administrabatadministrabat C Duchesne : ammin- L edd. a Pertz regimen. Tantam deinde illi gratiam divina concessit virtus ut etiam puerulus intimo affectu diligeretur ab omnibus, tantum patri proprio invisus, nulla hoc promerente puerulipueruli L : puerili C Duchesne culpa, sed sola turbante invidia. Qui factus juvenis in amore cottidiecottidie scripsi ut semper : cotidie LC crescebat populi ; unde magis magisque invidia augebatur patri, adeo ut eum a patria, non jam clanculum, sed palam vellet expellere, jurandojurando L ante corr. C : jurejurandoque conj. m. recentissima in L recepit Duchesne asserens eum post se regnaturum non esse. Unde dolens exercitus, relicto patre, haerebat filio et eum defensabat sedulo. Hujus rei gratiagratia L : causa C congrediuntur inin om. C proelio ; in quo vulneratus fugatusque pater ad Sclavos fugit, et non multo post ibi obiit, et Sveinussveinus Langebek : sueynus C suein L edd. a Pertz sueinus Maseres ejus solium quiete tenuit.3 Quam strenue vero prudenterque interim secularia disposuerit negotia, paucis libet ad memoriam reducere, quatinus, his interpositis, facilius sit gradatim per haec ad subsequentia descendere. Denique cum nullo hostium incursu trepidus pacem in securitatesecuritate L : -atem C ageret, periculi semperpost semper add. memor Gertz ac velut instantis metuensI.β. periculi […] metuens — cf. Horace, Satires, 2, 2, 110 : metuensque futuri – expression reprise par Lucain (Pharsale, 2, 233) et par Stace (Thébaïde, 6, 765)., inin LC : id Gertz castris muniebatmuniebat LC : vivebat conj. m. recentissima in Lmg recepit Duchesne quod hostibus, si adessent, nullatenus fortassefortasse L : forte C resisteret, nihilque suis quae bello necessaria forent praeparando patiebatur remissiremissi LC : remitti conj. eadem m. recentissima in L recepit DuchesneI.γ. nihilque […] patiebatur remissi — cf. Salluste, Guerre de Jugurtha, 53, 6 : nam dolus Numidarum nihil languidi neque remissi patiebatur ; 88, 2., scilicet ne per otium, ut assolet, viriles emollirentur animiI.δ. scilicet ne per otium […] viriles emollirentur animi — réminiscence sallustéenne : cf. Conjuration de Catilina, 16, 3 : scilicet ne per otium torpescerent manus aut animus ; animos emollire se lit par exemple dans les Morales sur Job (3, 20) de Grégoire le Grand. Mais animus virilis est aussi une junctura sallustéenne : cf. Conjuration de Catilina, 11, 3 : ea [sc. avaritia] […] corpus animumque virilem effeminat.. Nullum tamen adeo difficile invenire poterat negotium ad quod invitos impulisset milites, quos multapost multa add. ac Gertz liberali munificentia sibi fecerat obnoxios et fidelesI.ε. sibi fecerat obnoxios et fideles — cf. Salluste, Conjuration de Catilina, 14, 6 : dum illos obnoxios fidosque sibi faceret.. Atque ut scias quantus suorum fuerit in praecordiispost praecordiis add. affectus eadem m. recentissima in L recepit Duchesne, pro certo affirmare valeam quod nullus formidine mortisI.ζ. formidine mortis — cf. Ps. 54, 5 : et formido mortis cecidit super me. periculum refugeretrefugeret L : effu- C, ejusque pro fidelitate hostibus innumeris solus, armatisarmatis L : -tus C etiam manibus nudis, imperterritusimperterritus (inp- L) L Duchesne : inperteritus C corr. -itis C ante corr. occurreret, si euntibus tantum regale praemonstraretur signum.4 Atat LC : ac Gertz fort. recte ne me credat aliquis haec falsa fingendo alicujus amoris gratiaamoris gratia L : amore C compilarecompilare L : copulare C : recte animadvertenti in subsequentibus patebit utrum vera dixerim an minime. Omnibus enim liquet procul dubio quoniam humanitatis ita sese habeat consuetudoI.η. humanitatis ita sese habeat consuetudo — variation sur une autre expression sallustéenne : cf., outre Conjuration de Catilina, 2, 3, Guerre de Jugurtha, 53, 8 : quippe res humanae ita sese habent., ut plerumque ex rebus prospere cedentibuscedentibus L : cadentibus C redeuntibus Duchesne praeeunte PI.θ. prospere cedentibus — nouvelle réminiscence sallustéenne : cf. Conjuration de Catilina, 26, 5 ; 52, 29. mentes quorumdam plus aequo exagitet cogitationum aestus ; atque ex nimia in otiootio Duchesne : ocio L edd. a Pertz ocionis C licentia aggrediuntur aliqui quod vix cogitare, nedum facere audent in adversitate positi.

II1 Ainsi en fut-il également pour les guerriers de ce roi : alors que tout leur avait bien réussi pendant la longue paix qui avait été conclue, forts de la stabilité durable qu’ils devaient aux bienfaits de leur seigneur, ils trouvèrent bon de conseiller à celui-ci, qui nourrissait le même projet, d’adjoindre le pays des Anglais au territoire sur lequel il avait autorité, en s’en emparant par le sort des armes.2 « Thorkell, disent-ils, le chef de ton arméeThorkell Hàvi est à la tête de l’armée danoise qui envahit l’Angleterre en 1009. Exceptionnelle par sa taille et son organisation, celle-ci y sévit pendant trois ans. En 1012, il passe avec une partie de la flotte au service d’Æthelred. À la mort de ce dernier, il se rallie à la cause de Cnut, et, quand celui-ci devient roi d’Angleterre, se fait attribuer l’East Anglia ; il assure même la régence lors des nombreuses absences du roi. En 1021, Cnut le bannit. En 1023, il semble être rentré en grâce : il aurait accompagné le jeune Harthacnut, nommé régent du Danemark. On n’entend plus parler de lui au-delà de cette date., est parti avec ta permission, Seigneur Roi, pour venger son frère tué là-bas ; ayant emmené une grande partie de tes troupes, il se félicite d’avoir remporté la victoire, et maintenant, c’est en vainqueur qu’il occupe la moitié sud du pays ; mais comme il vit là-bas loin de sa patrie et qu’il a gagné l’amitié des Anglais qu’il a vaincus avec tes troupes, il préfère s’en glorifier plutôt que de se placer sous tes ordres en ramenant l’armée et qu’on t’attribue la victoire. Et nous voilà maintenant privés déloyalement de nos compagnons et des quarante navires qu’il a emmenés avec lui chargés de l’élite des guerriers danois.3 Que notre seigneur ne supporte pas une perte si dommageable, et qu’il parte à la tête de son armée, qui y aspire, et nous nous saisirons pour lui de ce rebelle de Thorkell, de ses hommes, ainsi que de leurs alliés anglais avec toutes leurs possessions. Nous savons, en effet, qu’ils ne peuvent pas résister longtemps, parce que nos compatriotes repasseront volontiers de notre côté. Et si jamais ils y consentent, le roi, épargnant les Danois et leur chef, leur conférera des honneurs. Si, en revanche, ils refusent, ils comprendront qui ils ont méprisé : privés de cette patrie-ci et de l’autre, ils seront parmi les premiers ennemis du roi à subir leur châtiment. »

II1 Ita etiam praelibati regis militibus, cum in compositae pacisII.α. compositae pacis — cf. Virgile, Énéide, 7, 339 : compositam pacem. diuturnitate cuncta cessissent prospere, firma sui pro benefactis domini fretis stabilitate, eadem ipsi agitanti placuit suadere terram Anglicam invadendo sorte bellica imperii sui finibus adjicereadjicere LC : -ret Gertz.2 « Thurkilthurkil scripsi : turchil LC edd., inquiunt, princepsprinceps L C corr. : princes C ante corr. militiae tuae, domine rex, licentia a te accepta, abiit, ut fratrem suum inibi interfectum ulciscereturulcisceretur L : ulcisseretur C ; et magnam partem exercitus tui abducens vicisse se gaudet, et nunc meridianam partem provinciae victor obtinet, acac L : ut C mavult ibi exsul degens amicusque factus Anglorum quos tua manu vicit gloriari quam exercitum reducens tibi subdi tibique victoriam ascribiII.β. tibique victoriam ascribi — cf. Vulgate, II Sam. 12, 28 : nomini meo ascribatur victoria.. Et nunc fraudamur sociis et quadraginta puppibus quas secum duxit onustas de Danorum bellatoribus primis.3 Non tam grave dominus noster patiatur dispendium, sed abiens cupientem ducat exercitum, et illi Thurkil contumacem adquiremus cum suis satellitibus, eis quoque foederatos Anglos cum omnibus eorum possessionibus. Scimus enim diu eoseos diu transp. C non possenon posse post resistere transp. C resistere, quia nostrates viri ad nos transibunttransibunt L : transsibunt C facile. Quod si eoseos L : eis C velle contigerit, rex duci suo Danisque parcenspost parcens add. dansque C eos honoribus ampliabitampliabit L C corr. : ampliavit C ante corr.. Sisi L : sed C autem noluerintnoluerint L : -runt C, quem despexere sentient : hac illaque patria privati inter primos hostes regis poenas luent. »

III1 Quand le roi entendit cette exhortation à la conquête, tout d’abord, il commença, en son for intérieur, par en être grandement surpris : le projet que, depuis longtemps, il avait lui-même secrètement en tête en se gardant d’en souffler mot, était venu de la même manière à l’esprit de ses guerriers, qui ignoraient ses desseins. C’est pourquoi, après avoir fait venir Cnut, son fils aîné, il entreprit de lui demander ce qu’il pensait d’une telle affaire. À cette question posée par son père, craignant que ne lui fût reprochée une manœuvre inspirée par la lâcheté s’il venait à s’opposer à son désir, non seulement il approuve le projet d’invasion de ce pays, mais encore il pousse et insiste pour que l’on n’en diffère pas d’un seul instant l’exécution. Conforté par l’avis des grands et confiant dans le dévouement de ses soldats, le roi ordonna donc d’armer une flotte importante et d’avertir partout l’ensemble des forces danoises : qu’elles se présentent en armes au jour fixé et que, après avoir entendu la décision du roi, elles exécutent avec le plus grand dévouement tous les ordres reçus.2 Sur ordre de leur seigneur, des courriers sillonnent bientôt tout le territoire, et ils préviennent la population, qui vit en paix, que nul homme de cette armée considérable ne doit manquer à l’appel : tout guerrier du pays doit accourir à son commandement ou encourir sa colère. Et alors ? Ils se rassemblent sans que se manifeste la moindre opposition et ils se présentent devant leur roi, équipés pour la guerre et rangés par unités, montrant qu’ils sont prêts à affronter le danger et la mort, pour peu qu’ils puissent accomplir la volonté de leur seigneur.

3 Embrassant du regard la foule innombrable, le roi fit alors connaître sa volonté par la voix d’un héraut : il désirait armer une flotte contre les Anglais et soumettre leur pays tout entier à son autorité, par le fer ou par la ruse. Ce projet ayant rallié tous les suffrages, il commença par choisir les hommes qui auraient à défendre son royaume, de peur de perdre celui qu’il détenait en toute sécurité, tandis qu’il se risquait à tenter la conquête d’un autre, et de ne gouverner aucun pays s’il était absorbé par le soin de deux. Or, il avait deux fils, dotés d’un bon naturel : il attacha l’aîné à sa suite, et il confia au cadetHarald, le frère de Cnut, règne jusqu’à sa mort prématurée, en 1018. le gouvernement de tout son royaume, après lui avoir adjoint une force militaire et quelques dignitaires chargés de former le tout jeune homme avec sagacité et de lui faire comme un rempart de leurs conseils et de leurs armes.

III1 Hujus rei adhortationem rex ubiubi L : ut C audiitaudiit L : audivit C, primum secum mirari non mediocriter coepit, quia quod ipsiipsi LC : ipso P Duchesne diu dissimulanti celantique in mentem venerat itidem militibus cogitationem ejus ignorantibus animo sederatIII.α. militibus […] animo sederat — cf. Virgile, Énéide, 4, 15 : mihi […] animo […] sederet.. Accersito itaque Cnutonecnutone L : chnu- C ut saepe, filio suo majore, quid sibi super hoc negotiinegotii L : -tio C videretur orsus est inquirere. Inquisitus autem ille a patrea patre L : aptare C, metuens ne redargueretur, si placito contrairet, technatechna adscr. m. recentissima in Lmg : tegna LC Pertz Campbell tecna Duchesne de tegna Gertz socordiaesocordiae L : -de C non tantum terram adeundam esse approbabatapprobabat LC : approbat Duchesne fort. recte, verum etiam instigat hortaturque ne mora ulla inceptum detineat. Ergo rex, consultu optimatum firmatus militumque benivolentia fisus, classem numerosam jussit parari et universam militiam Danorum undique moneri ut statuto die armata adesset et, regis sententiam audiens, quaequequaeque LC : quaecunque dubit. conj. Maseres ; at videII, XXII, 1 imperarentur devotissime expleret.2 Cursores mox provinciae ex jussu domini sui cunctam pergirant regionem ; quietamquietam L : quietem C quoque commonefaciuntcommonefaciunt L : commonere faciunt C gentem ne quis ex tanto exercituexercitu L : excercitu C deesset, quin omnis bellator terrae aut iram regis incurreret aut jussioni ejus advolaret. Quid ergo ? Absque contradictione adunantur instructique armis bellicisIII.β. instructique armis bellicis — cf. Virgile, Énéide, 8, 80 : instruit armis ; armis bellicis est une expression courante dans la Bible : cf. Judic. 18, 11 : viri accincti armis bellicis ; 2 S 1, 27 : et perierunt arma bellica ; etc. gregatim regi suo praesentantur, ostentantes se paratos ad periculum et ad mortem, si tantum domini suisui om. C queant perficere voluntatem.3 Rex autem, videns populum innumerabilem, voce praeconariapraeconaria Duchesne : -nata C jussit suam patefieri voluntatem : se velle scilicet classem adversum Anglos armare dicionique suae omnem hanc patriam ferro dolisveIII.γ. ferro dolisve — écho d’un vers de Prudence, Psychomachie, 550 : armis […] dolisve ; cette expression a connu un certain succès chez des chroniqueurs du XIIe siècle : cf. Geoffroi Malaterra, Histoire du Grand Comte Roger et de son frère Robert Guiscard, vol. I, Livres I & II, M.-A. Lucas-Avenel (éd.), Caen, Presses universitaires de Caen (Fontes & Paginae), 2016, p. 269, note β. subjicere. Quod ubi omnibusomnibus L : vobis C visum esset laudabile, elegit primum qui regnum suum deberent custodire, nene L corr. C : nec L ante corr., dum alienum incaute appeteret, illud quod securussecurus L : -rius C tenebat amitteret et intentus in utroque neutri imperaretimperaret L : -areret C. Habebat enim filios duosduos L : suos C bonae indolis, ex quibus primogenitum suo junxit comitatui, natunatu L corr. C : natum L ante corr. vero minorem praefecit universi regni dominatui, adjuncta ei copia militari paucisque primatum qui puerulum sagaciter instituerent et qui huic consiliis armisque pro muro essentIII.δ. pro muro essent — cf. I Sam. 25, 16 : pro muro erant nobis..

IV1 Une fois tout cela organisé dans les règles, le roi passa en revue ses compagnons d’expédition ; et, laissant son jeune filsCette précision a de l’importance pour la suite : elle justifie la réponse d’Harald à son frère lorsque celui-ci propose le partage (voir II, II, 10). sur son trône, il gagna son navire escorté de ses hommes en armes. À l’instant même, on accourt de toutes parts vers le rivage, on se passe partout de main en main les armes diverses qu’on a récoltées. Une fois rassemblés, les hommes embarquent enfin sur les bateaux pontés, chacun identifiant son chef d’après les proues garnies de bronze. De fait, on pouvait reconnaître sur les navires, d’un côté des lions coulés dans l’or, d’un autre des oiseaux en tête de mât indiquant par leur orientation d’où venaient les vents, ou divers dragons crachant par les naseaux un feu menaçant, ailleurs encore, des personnages éblouissants d’or ou d’argent massif, à peine différents des êtres animés, ou des taureaux à l’encolure altière, les pattes tendues, imitant le mugissement et la course de ceux qui sont en vie. On pouvait voir également des dauphins coulés dans l’électrum et des centaures du même alliage rappelant la légende d’autrefois. Je te parlerais aussi des nombreux ornements ciselés avec la même habileté, si les noms des monstres qui se trouvaient sculptés ne m’étaient pas inconnus.2 Et que te dire maintenant des flancs des navires, non seulement peints de motifs colorés, mais encore rehaussés de reliefs d’or et d’argent ? En outre, le vaisseau royal se distinguait de tous les autres par sa beauté autant que le roi surpassait ses guerriers par le prestige de son rang : mieux vaut que je n’en dise rien plutôt que d’en dire trop peu, eu égard à ses dimensions considérables.

3 Sitôt le signal du départ donné, confiants dans une telle flotte, ils partent donc tout heureux, et les navires se déploient autour du vaisseau royal comme ils en avaient reçu l’ordre, une partie devant, une partie derrière, mais les proues allant de front. On pouvait alors voir se couvrir d’écume l’azur des flots fouettés sans trêve par les avirons, et le soleil, que reflétait le métal éclatant, déployer dans l’air le double de rayons.4 Que dire de plus ? Ils s’approchaient enfin du pays vers lequel leurs pensées étaient tournées, quand la nouvelle funeste de cet événement mit en émoi les populations du littoral. Sans plus attendre, les habitants du lieu se précipitent vers le port devant lequel la flotte du roi avait jeté l’ancre, prêts, en vain, à en interdire l’accès à plus fort qu’eux. Alors les soldats du roi quittent les navires, descendent à terre et, intrépides, s’équipent pour combattre à pied. D’abord, les ennemis se battent avec âpreté contre ceux qui leur font face, mais ensuite, mis en déroute par crainte du danger, ils offrent à leurs poursuivants toute facilité pour les blesser et les tuer.

5 Ainsi, ayant mené ce premier combat comme il l’entendait, le roi envahit la région environnante après avoir dispersé et mis en fuite ses ennemis. Enhardi par un tel succès, il retourne à ses navires et attaque selon la même tactique les nombreux autres ports disséminés le long des côtes. Enfin, il soumet la totalité du pays au prix d’un tel labeur que, s’il vient à quelqu’un l’envie de retracer toute cette histoire en détail, il ne fatiguera pas qu’un peu son auditoire et se fera du tort à lui-même, ne pouvant nullement tout évoquer comme il l’aurait voulu.

IV1 Omnibus ergo rite dispositisIV.α. Omnibus ergo rite dispositis — réminiscence virgilienne ? cf. Virgile, Énéide, 4, 555 : rebus jam rite paratis. Sur l’adverbe rite (« exactement, comme il est de règle, comme il faut »), voir la note de P. Lejay dans l’Énéide, 3, 36, in Œuvres de Virgile, F. Plessis, P. Lejay (éd.), Paris, Librairie Hachette (Classiques latins), 1931, p. 347., recensuit comites expeditionis ; relictoque minore filio suasua L corr. : suo L ante corr. C Duchesne in sedein sede om. C, adiit navigium vallatus armato militeIV.β. armato milite — cf. Virgile, Énéide, 2, 20 : armato milite ; 11, 516.. Nec mora concurritur undique ad litoralitora scripsi : littora LC edd., circumfertur passim armorum segesIV.γ. armorum seges démarque Virgile, Énéide, 3, 46 : telorum seges, « la moisson des traits ». La correction indiquée par un rédacteur du Dictionary of Medieval Latin from British Sources, R. E. Latham, D. R. Howlett (éd.), Londres, Oxford University Press, 1975-, vol. VI, p. 1854C, s.v. multigenus (« […] armorum [? l. armatorum »]) ne s’imposerait donc pas. multigena. Adgregati tandem turritas ascendunt puppespuppes L : naves CIV.δ. turritas […] puppes — cf. Virgile, Énéide, 8, 693 : turritis puppibus. Appliquée aux drakkars, cette épithète a priori détonne ; il se peut que le souvenir de Virgile l’emporte sur le souci de description réaliste., aeratis rostrisrostris L C corr. : nostris C ante corr.IV.ε. aeratis rostris — cf. Virgile, Énéide, 10, 223 : aeratae […] prorae. duces singulos videndisvidendis scripsi : videntibus LC edd.IV.ζ. Nous avons préféré aeratis rostris videndis, « en voyant les proues garnies de bronze », à aeratis rostris videntibus, « sous le regard des proues garnies de bronze ». Cette dernière forme n’est cependant pas invraisemblable puisque les figures de proues représentent des êtres animés. discriminantes. Hinc enim erat cernereIV.η. erat cernere — construction poétique et familière reprise de Virgile, Énéide, 6, 596 ou 8, 676 : cernere erat ; Stace, Thébaïde, 5, 256 ; 7, 61 ; etc. leones auro fusiles in puppibus, hinc autem volucres in summis malis venientespost venientes dist. Langebek austrosIV.θ. venientes austros — cf. Virgile, Bucoliques, 5, 82 : venientis […] austri. suis signantes versibusIV.ι. Versibus LC est-il ici le mot juste ? Johann Beckmann y voit une altération de versationibus : « The birds turned according to the wind, and thereby announced its direction » (J. Beckmann, A History of Inventions and Discoveries, W. Johnston (trad.), 3e éd., Weybridge, S. Hamilton, 1817, vol. IV, p. 163, n.*). aut dracones varios minantes incendia de naribus ; illinc homines de solido auro argentove rutilos vivis quodammodo non impares atque illinc tauros erectis sursum collis protensisque cruribus mugitus cursusque viventium simulantes. Videres quoque delphinos electro fusos veteremqueveteremque LC : -rumque Pertz rememorantes fabulam de eodem metallo centauros. Ejusdem praeterea caelaturae multa tibi dicerem insignia, si non monstrorum quae sculptasculpta L : sculta C inerantinerant L : erant C me laterent nomina.2 Sed quid nunc tibitibi om. C latera carinarum memorem, non modo ornaticiisornaticiis scripsi : -titiis L corr. edd. -titus L ante corr. -tus C -tivis prop. Desbordes depicta coloribus, verum etiam aureis argenteisque aspera signisIV.κ. aspera signis — cf. Virgile, Énéide, 5, 267 : aspera signis ; 9, 263. ? Regia quoque puppis tanto pulchritudinepulchritudine Duchesne : pulcrit- LC edd. a Pertz sui ceteris praestabat quanto rex suae dignitatis honore milites antecedebat ; de qua melius est ut sileam quam pro magnitudine sui pauca dicamIV.λ. de qua melius est ut sileam quam […] pauca dicam — cf. Salluste, Guerre de Jugurtha, 19, 2 : de Carthagine silere melius puto quam parum dicere..3 Tali itaque freti classe, dato signo repente, gaudentes abeunt atque, utiuti LC : ut Duchesne jussi erant, pars ante, pars retro, aequatis tamen rostris, regiae puppi se circumferunt. Hic videres crebris tonsis verberata late spumare caerulaIV.μ. spumare caerula — cf. Virgile, Énéide, 8, 672 : fluctu spumabant caerula cano., metallique repercussum fulgore solem duplices radios extendereextendere L : extinguere C in aera.4 Quid plura ? Tandem quoquo L : quoque C intendebant animi appropiabant finibus, cum finitimos mari patrienses ejus rei sinister commovit nuntius. Nec mora : quo regia classis ancorasancoras scripsi ut semper : anchoras LC edd. fixit, incolae ejus loci concurrunt ad portum, potentiori se frustra parati defendere intrandi aditum. Denique, relictis navibus, regii milites ad terram exeunt et pedestri pugnae intrepidi sese accinguntaccingunt L : attingunt CIV.ν. pedestri pugnae intrepidi sese accingunt — cf. Virgile, Énéide, 11, 706-707 : te […] pugnaeque accinge pedestri.. Hostes primo duriter contra resistentes dimicant ; postea veropost vero add. dupplici C periculi formidineformidine L corr. C : formine L ante corr. versi in fugam, sauciandi occidendique copiam persequentibus praestant.5 Ita rex, ex affectu primo proelio usus, adjacentem regionem invadit, fusis fugatisque hostibusIV.ξ. fusis fugatisque hostibus — cf., entre autres, Salluste, Guerre de Jugurtha, 52, 4 : fusi fugatique.. Tunc tali successusuccessu L : -censu C factus audentior ad naves reditredit L : rediit C, et reliquos portus, qui plures eam terram cingunt, eadem ratione invadit. Postremo universam patriam tanto labore perdomuit ut, si quis omnem historiam ejus ad plenum percurrere velit, non modicum auditores fatigabitfatigabit L : -bat C et sibimet injurius erit, dum ut voluit omnia perstringere minime valebit.

V1 Quant à moi, je laisse à un autre le soin de raconter ces événements : tout en y faisant allusion, j’aspire à aller au-delà, et, me hâtant de passer à autre chose, je vais évoquer la fin de Svein afin de pouvoir retracer le début du règne heureux du roi Cnut. En effet, à partir du moment où le roi dont j’ai beaucoup parlé eut été intronisé souverain de tout le pays des AnglaisSelon The Anglo-Saxon Chronicles, année 1013, version E, p. 143-144, Svein parvint avec sa flotte à Sandwich en août 1013 et, avant la fin de l’année, « le pays tout entier le tint pleinement pour son roi », sans qu’il fût fait mention d’une quelconque cérémonie d’intronisation. Le même chroniqueur évoque ensuite le départ du « roi » Æthelred pour la Normandie au cours de l’hiver, distinguant ainsi le roi de jure du roi de facto. et que plus personne ou presque ne s’opposa à lui, il survécut peu de temps, mais, néanmoins, cette courte période fut glorieuse.2 Pressentant que sa mort physique était imminente, il fait appeler son fils Cnut, qu’il avait emmené avec lui : il lui fait savoir qu’il allait s’engager sur le chemin commun à toute chair. Après lui avoir donné force conseils sur la manière de tenir le gouvernail du royaume ainsi que sur la pratique assidue de la foi chrétienne, c’est à lui, le plus digne des hommes, qu’il remit le sceptre royal, grâces en soient rendues à Dieu. Les Danois, dont Cnut devait légitimement prendre le commandement, accueillirent très favorablement la disposition prise et se réjouirent que, du vivant de son père, il eût été établi comme roi à leur tête.3 Cela fait, le père prie son fils d’emporter son corps avec lui si jamais il retournait dans le pays de sa naissance et de ne pas permettre que son père, né dans un autre pays, soit enseveli en terre étrangère ; il savait en effet qu’il était haï de ces populations pour avoir envahi le royaume. Et, peu de temps après, il paya à la nature ses dernières dettes, rendant son âme aux cieux et restituant à la terre sa dépouilleSvein meurt le 3 février 1014. Le traitement différent réservé à l’âme et au corps est un lieu commun de la littérature hagiographique..

V1 At ego haec alteri narranda relinquens, tangendo transire percupiopercupio L : precupio C etet L : sed C ad alia festinando stilum adplicaboadplicabo L : appli- C Duchesne ad Sveinisveini C Langebek : sueini L obitumV.α. stilum adplicabo ad [Sveini obitum] — sur cette expression exprimant la transition vers un autre sujet, voir O. Desbordes, « Emendatiunculae Malaterrenae II », Kentron, nº 26, 2010, p. 193-210., ut festivi regis Cnutonis regni elucidare queam exordium. Namque, ubiubi L : vibi C ut vid. jam saepe dictus rex tota Anglorum patria est intronizatus et ubi jam paene illi nemo restitit, pauco supervixit tempore, sed tamen illud tantillum gloriose.2 Praesciens igitur dissolutionem sui corporis imminereV.β. Praesciens igitur dissolutionem sui corporis imminere — ces mots sont les termes mêmes dans lesquels la mort de saint Martin est annoncée dans la Vie de saint Martin rédigée par Sulpice Sévère : Martinus igitur obitum suum […] praescivit dixitque fratribus dissolutionem sui corporis inminere (epist. 3, 6). Voir le commentaire ad loc. de J. Fontaine dans Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, J. Fontaine (éd.), Paris, Cerf (Sources chrétiennes ; 135), 1976, t. III, p. 1285-1288., filium suum Cnutonem, quem secum habuit, advocat : sese viam universae carnis ingrediendumingrediendum LC : ingredi eidem GertzV.γ. sese viam universae carnis ingrediendum — produit d’une contamination entre deux expressions de la Vulgate : Gen. 6, 13 : finis universae carnis venit coram me et Jos. 23, 14 (= III Reg. 2, 2) : ingredior viam universae terrae. Sur la formule, voir M. B. Ogle, « The Way of All Flesh », Harvard Theological Review, vol. 31, nº 1, 1938, p. 41-51. indicat. Cui dum multa de regni gubernaculopost gubernaculo add. mandaret Gertz multaque hortaretur de Christianitatis studio, Deo gratias ! illi virorum dignissimo sceptrum commisit regale. Hujus rei facto maxime Danidani maxime transp. C, quibus legitime praeesse debuit, favent eumque, patre adhuc vivente, regem super se constitui gaudent.3 Hoc ita facto, pater orat filium ut, si quando nativitatis suae rediret ad terramV.δ. nativitatis suae rediret ad terram — nouvelle contamination entre des expressions bibliques : cf. Gen. 11, 28 : in terra nativitatis suae ; 31, 13 : revertens in terram nativitatis tuae ; Jer. 46, 16 : revertemur […] ad terram nativitatis nostrae., corpus paternum reportaret secum neve pateretur se alienigenamalienigenam C Duchesne : aligenigenam L Pertz Campbell in externisexternis L : exernis C tumulari terris : noverat enim quia pro invasione regni illisillis L corr. C : illius L ante corr. exosus erat populis. Nec multo post postrema naturae persolvit debitaV.ε. postrema naturae persolvit debita — sur cette formule, dont l’épigraphie, tant grecque que latine, offre de nombreux exemples et qui est passée dans les textes hagiographiques, voir Thesaurus linguae Latinae, Leipzig – Munich – Berlin, B. G. Teubner – K. G. Saur – W. de Gruyter, 1900-, vol. X, 1, col. 1713, l. 37-39 (A. Foucher, 1998) ; R. Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, Urbana, University of Illinois Press, 1962, p. 170-171 ; J. Fontaine, dans Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, t. III, p. 1332, epist. 3, 17., animam remittendoremittendo C : remitendo L caelestibus, terrae autem reddendo membrasubscr. : explicit liber primus LC.

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3. Svein Tjuguskegg (Svein À la barbe fourchue) succède en 986 à son père Haraldr Blátönn (Harald À la dent bleue) sur le trône du Danemark. Il étend sa domination sur une grande partie de la Norvège et, au terme d’attaques répétées, il devient roi d’Angleterre en 1013, mais meurt peu après, en février 1014.
4. Haraldr Blátönn, roi du Danemark (vers 950-985 ou 986). Il unifie le royaume et, vers 960, se convertit au christianisme qui se répand dans son royaume.
5. Thorkell Hàvi est à la tête de l’armée danoise qui envahit l’Angleterre en 1009. Exceptionnelle par sa taille et son organisation, celle-ci y sévit pendant trois ans. En 1012, il passe avec une partie de la flotte au service d’Æthelred. À la mort de ce dernier, il se rallie à la cause de Cnut, et, quand celui-ci devient roi d’Angleterre, se fait attribuer l’East Anglia ; il assure même la régence lors des nombreuses absences du roi. En 1021, Cnut le bannit. En 1023, il semble être rentré en grâce : il aurait accompagné le jeune Harthacnut, nommé régent du Danemark. On n’entend plus parler de lui au-delà de cette date.
6. Harald, le frère de Cnut, règne jusqu’à sa mort prématurée, en 1018.
7. Cette précision a de l’importance pour la suite : elle justifie la réponse d’Harald à son frère lorsque celui-ci propose le partage (voir II, II, 10).
8. Selon The Anglo-Saxon Chronicles, année 1013, version E, p. 143-144, Svein parvint avec sa flotte à Sandwich en août 1013 et, avant la fin de l’année, « le pays tout entier le tint pleinement pour son roi », sans qu’il fût fait mention d’une quelconque cérémonie d’intronisation. Le même chroniqueur évoque ensuite le départ du « roi » Æthelred pour la Normandie au cours de l’hiver, distinguant ainsi le roi de jure du roi de facto.
9. Svein meurt le 3 février 1014. Le traitement différent réservé à l’âme et au corps est un lieu commun de la littérature hagiographique.

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I. α.quod primum est inter homines — variante d’une formule sallustéenne qu’on peut lire dans Conjuration de Catilina, 36, 4 : quae prima mortales putant – repris par Sulpice Sévère dans ses Dialogues sur les vertus de saint Martin, 1, 5, 5 –, ou Guerre de Jugurtha, 41, 1 : quae prima mortales ducunt. Notons cependant que cette expression se retrouve telle quelle – ou peu s’en faut – dans la vie latine d’une sainte belge datée des années 1033-1048 : voir Vita sanctae Amalbergae, 1 (J.-B. Du Sollier (éd.), in Acta Sanctorum, Mensis Julii, t. III, Anvers, J. Du Moulin, 1723, p. 69) : quod inter mortales primum putatur.
β.periculi […] metuens — cf. Horace, Satires, 2, 2, 110 : metuensque futuri – expression reprise par Lucain (Pharsale, 2, 233) et par Stace (Thébaïde, 6, 765).
γ.nihilque […] patiebatur remissi — cf. Salluste, Guerre de Jugurtha, 53, 6 : nam dolus Numidarum nihil languidi neque remissi patiebatur ; 88, 2.
δ.scilicet ne per otium […] viriles emollirentur animi — réminiscence sallustéenne : cf. Conjuration de Catilina, 16, 3 : scilicet ne per otium torpescerent manus aut animus ; animos emollire se lit par exemple dans les Morales sur Job (3, 20) de Grégoire le Grand. Mais animus virilis est aussi une junctura sallustéenne : cf. Conjuration de Catilina, 11, 3 : ea [sc. avaritia] […] corpus animumque virilem effeminat.
ε.sibi fecerat obnoxios et fideles — cf. Salluste, Conjuration de Catilina, 14, 6 : dum illos obnoxios fidosque sibi faceret.
ζ.formidine mortis — cf. Ps. 54, 5 : et formido mortis cecidit super me.
η.humanitatis ita sese habeat consuetudo — variation sur une autre expression sallustéenne : cf., outre Conjuration de Catilina, 2, 3, Guerre de Jugurtha, 53, 8 : quippe res humanae ita sese habent.
θ.prospere cedentibus — nouvelle réminiscence sallustéenne : cf. Conjuration de Catilina, 26, 5 ; 52, 29.
II. α.compositae pacis — cf. Virgile, Énéide, 7, 339 : compositam pacem.
β.tibique victoriam ascribi — cf. Vulgate, II Sam. 12, 28 : nomini meo ascribatur victoria.
III. α.militibus […] animo sederat — cf. Virgile, Énéide, 4, 15 : mihi […] animo […] sederet.
β.instructique armis bellicis — cf. Virgile, Énéide, 8, 80 : instruit armis ; armis bellicis est une expression courante dans la Bible : cf. Judic. 18, 11 : viri accincti armis bellicis ; 2 S 1, 27 : et perierunt arma bellica ; etc.
γ.ferro dolisve — écho d’un vers de Prudence, Psychomachie, 550 : armis […] dolisve ; cette expression a connu un certain succès chez des chroniqueurs du XIIe siècle : cf. Geoffroi Malaterra, Histoire du Grand Comte Roger et de son frère Robert Guiscard, vol. I, Livres I & II, M.-A. Lucas-Avenel (éd.), Caen, Presses universitaires de Caen (Fontes & Paginae), 2016, p. 269, note β.
δ.pro muro essent — cf. I Sam. 25, 16 : pro muro erant nobis.
IV. α.Omnibus ergo rite dispositis — réminiscence virgilienne ? cf. Virgile, Énéide, 4, 555 : rebus jam rite paratis. Sur l’adverbe rite (« exactement, comme il est de règle, comme il faut »), voir la note de P. Lejay dans l’Énéide, 3, 36, in Œuvres de Virgile, F. Plessis, P. Lejay (éd.), Paris, Librairie Hachette (Classiques latins), 1931, p. 347.
β.armato milite — cf. Virgile, Énéide, 2, 20 : armato milite ; 11, 516.
γ.armorum seges démarque Virgile, Énéide, 3, 46 : telorum seges, « la moisson des traits ». La correction indiquée par un rédacteur du Dictionary of Medieval Latin from British Sources, R. E. Latham, D. R. Howlett (éd.), Londres, Oxford University Press, 1975-, vol. VI, p. 1854C, s.v. multigenus (« […] armorum [? l. armatorum »]) ne s’imposerait donc pas.
δ.turritas […] puppes — cf. Virgile, Énéide, 8, 693 : turritis puppibus. Appliquée aux drakkars, cette épithète a priori détonne ; il se peut que le souvenir de Virgile l’emporte sur le souci de description réaliste.
ε.aeratis rostris — cf. Virgile, Énéide, 10, 223 : aeratae […] prorae.
ζ.Nous avons préféré aeratis rostris videndis, « en voyant les proues garnies de bronze », à aeratis rostris videntibus, « sous le regard des proues garnies de bronze ». Cette dernière forme n’est cependant pas invraisemblable puisque les figures de proues représentent des êtres animés.
η.erat cernere — construction poétique et familière reprise de Virgile, Énéide, 6, 596 ou 8, 676 : cernere erat ; Stace, Thébaïde, 5, 256 ; 7, 61 ; etc.
θ.venientes austros — cf. Virgile, Bucoliques, 5, 82 : venientis […] austri.
ι.Versibus LC est-il ici le mot juste ? Johann Beckmann y voit une altération de versationibus : « The birds turned according to the wind, and thereby announced its direction » (J. Beckmann, A History of Inventions and Discoveries, W. Johnston (trad.), 3e éd., Weybridge, S. Hamilton, 1817, vol. IV, p. 163, n.*).
κ.aspera signis — cf. Virgile, Énéide, 5, 267 : aspera signis ; 9, 263.
λ.de qua melius est ut sileam quam […] pauca dicam — cf. Salluste, Guerre de Jugurtha, 19, 2 : de Carthagine silere melius puto quam parum dicere.
μ.spumare caerula — cf. Virgile, Énéide, 8, 672 : fluctu spumabant caerula cano.
ν.pedestri pugnae intrepidi sese accingunt — cf. Virgile, Énéide, 11, 706-707 : te […] pugnaeque accinge pedestri.
ξ.fusis fugatisque hostibus — cf., entre autres, Salluste, Guerre de Jugurtha, 52, 4 : fusi fugatique.
V. α.stilum adplicabo ad [Sveini obitum] — sur cette expression exprimant la transition vers un autre sujet, voir O. Desbordes, « Emendatiunculae Malaterrenae II », Kentron, nº 26, 2010, p. 193-210.
β.Praesciens igitur dissolutionem sui corporis imminere — ces mots sont les termes mêmes dans lesquels la mort de saint Martin est annoncée dans la Vie de saint Martin rédigée par Sulpice Sévère : Martinus igitur obitum suum […] praescivit dixitque fratribus dissolutionem sui corporis inminere (epist. 3, 6). Voir le commentaire ad loc. de J. Fontaine dans Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, J. Fontaine (éd.), Paris, Cerf (Sources chrétiennes ; 135), 1976, t. III, p. 1285-1288.
γ.sese viam universae carnis ingrediendum — produit d’une contamination entre deux expressions de la Vulgate : Gen. 6, 13 : finis universae carnis venit coram me et Jos. 23, 14 (= III Reg. 2, 2) : ingredior viam universae terrae. Sur la formule, voir M. B. Ogle, « The Way of All Flesh », Harvard Theological Review, vol. 31, nº 1, 1938, p. 41-51.
δ.nativitatis suae rediret ad terram — nouvelle contamination entre des expressions bibliques : cf. Gen. 11, 28 : in terra nativitatis suae ; 31, 13 : revertens in terram nativitatis tuae ; Jer. 46, 16 : revertemur […] ad terram nativitatis nostrae.
ε.postrema naturae persolvit debita — sur cette formule, dont l’épigraphie, tant grecque que latine, offre de nombreux exemples et qui est passée dans les textes hagiographiques, voir Thesaurus linguae Latinae, Leipzig – Munich – Berlin, B. G. Teubner – K. G. Saur – W. de Gruyter, 1900-, vol. X, 1, col. 1713, l. 37-39 (A. Foucher, 1998) ; R. Lattimore, Themes in Greek and Latin Epitaphs, Urbana, University of Illinois Press, 1962, p. 170-171 ; J. Fontaine, dans Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, t. III, p. 1332, epist. 3, 17.