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SUR LE MINISTÈRE DES FINANCES [•]

OBSERVATION I [•]
Nécessité des subsides [•]

§ 1

 [•][Texte ajouté dans le manuscrit de Neuchâtel (C).] Je suppose que les hommes qui vivent dans un État souverain comme en Hollande ou en France, après avoir comparé leurs biens et leurs maux aux biens et aux maux des sauvages de l’Afrique ou de l’Amérique, préfèrent de beaucoup leurs grandes sociétés de leurs grands États à la vie des petites sociétés, et qu’après cette comparaison ils soient convaincus que la vie d’une famille sauvage d’un grand village est beaucoup moins commode, moins agréable, beaucoup plus pleine de craintes, d’inquiétudes, de maux du corps et de maux de l’esprit que la vie de la famille hollandaise ou française de la même condition qui vivront dans une grande ville.

§ 2

Je suppose qu’il y ait dans ces grands villages de l’Amérique des conditions différentes et qu’il y ait des juges pour juger les différends entre citoyens afin d’éviter les meurtres entre ceux qui disputent : mais n’est-il pas vrai que si des juges employaient leur temps et leur peine à contenir les disputeurs, ils devraient être récompensés de leurs peines et que, sans un secours suffisant, ils laisseraient leurs concitoyens s’égorger les uns les autres pour finir leurs disputes ?

§ 3

Ne faut-il pas de même des soldats pour défendre leur grand village des invasions de leurs ennemis avec lesquels ils sont en dispute, pour la chasse dans un bois, pour la pêche d’une rivière ? Il faut donc que ceux qui ne vont pas à la guerre fournissent des vivres et des armes à ceux qui, occupés de combats, n’ont pas le loisir de chercher de la nourriture et des armes. Ainsi voilà le subside de l’État1 qui est nécessaire à ceux qui le défendent et voilà en même temps la grande utilité de ce subside évidemment démontrée.

§ 4

De là il suit que la famille hollandaise qui est riche et qui a tant soit peu de raison voit avec évidence que si elle est plus riche que les autres familles, elle doit sentir que pour conserver ses richesses et ses commodités, il faut nécessairement que ceux qui sont employés tirent par les subsides un secours qui leur fasse plus de plaisir à servir le public et l’État qu’à ne le pas servir. Voilà donc l’utilité et la nécessité du subside de l’État démontrées pour quiconque veut conserver ses biens et son repos.

§ 5

De là il suit que la bonne police qui vise à maintenir et à augmenter les biens et à diminuer les maux par la justice doit proportionner les subsides annuels des sujets aux revenus annuels de chaque sujet et les récompenses publiques au degré d’utilité dont chaque officier public est au public ; et voilà deux principes bien féconds pour le règlement de la conduite équitable des sujets envers leurs souverains et des souverains envers leurs sujets. [Fin du texte ajouté dans le manuscrit de Neuchâtel (C).]

§ 6

Il faut [•] que les hommes employés par l’État [•] le long de l’année pour l’utilité publique tirent du public une récompense annuelle, un revenu annuel attaché à leurs offices et à leurs fonctions ; et un revenu proportionné 1° à l’utilité dont ces fonctions sont au public ; 2° proportionné à la peine ; 3° proportionné au péril de ces fonctions.

§ 7

Officiers de justice, de police, de religion ; officiers des collèges, des hôpitaux [•] ; officiers de guerre de terre et de mer, soldats, matelots, ambassadeurs, etc.

§ 8

Il faut que ceux qui servent le public soient payés par le public, sans cela il n’y aurait presque aucun homme qui voulût s’employer à ses dépens pour le service du public. La société se dissoudrait [•], chacun voudrait se faire justice à lui-même, ce serait une guerre entre tous les habitants d’un même pays ; et tous les grands avantages que la société procure aux hommes s’anéantiraient dans le moment.

§ 9

Il faut [•] acheter des armes, il faut des magasins et des munitions de guerre, il faut payer régulièrement les dettes annuelles de la société ; car sans un paiement régulier de pareilles dettes, la société n’aurait plus de crédit pour emprunter, lorsqu’il s’agit de se préparer promptement à la guerre contre les nations étrangères pour garantir du pillage les biens des sujets [•].

§ 10

Ainsi il faut que l’État ait ses revenus annuels ordinaires pour satisfaire à ses charges annuelles ordinaires. Il faut de même quelques taxes extraordinaires pour les entreprises extraordinaires, pour les besoins extraordinaires. La taxe pour éviter ou pour soutenir la guerre est un mal ; mais c’est un mal désirable, puisqu’il garantit d’un mal beaucoup plus grand.

§ 11

La taxe pour les chemins, pour les canaux [•], pour les ponts, pour les ports est un mal ; mais il devient un bien quand il fait cesser des maux plus grands, quand il procure des biens dix fois plus grands que n’est le bien, que n’est l’argent dont la taxe prive les sujets [•].

§ 12

Quels peuvent être les revenus annuels de la société, sinon les impositions annuelles, dont chacun des sujets doit porter sa part, à proportion de son revenu annuel, de quelque espèce que soit ce revenu, charges payées ? Or l’imposition, la répartition, le recouvrement et la distribution de ce revenu doivent satisfaire à tous les besoins de l’État. Il faut par conséquent faire en sorte que la recette annuelle ordinaire [•] égale au moins la dépense annuelle nécessaire. Il faut que la recette soit plus forte pour mettre quelque chose en réserve, pour satisfaire aux dépenses non prévues. Enfin il faut que la répartition soit proportionnée au revenu de chacun [•], afin que les sujets non protégés ne soient opprimés et accablés du fardeau que doivent porter tous les autres. Voilà en général ce qui compose le ministère des Finances [•].

§ 13

S’il n’y avait point d’officiers payés, de soldats payés pour défendre nos frontières des ravages et des pillages des ennemis, la plus grande partie des peuples ne pourraient pas payer les subsides annuels. Ainsi le bon ordre et le succès du ministère des Finances dépend du succès du ministère de la Guerre et des Négociations2, qui a soin d’un côté de défendre les frontières et de négocier de l’autre des alliances défensives. D’un autre côté, s’il n’y avait ni soldats, ni officiers, ni places fortes sur les frontières, ni négociateurs dans les cours des princes voisins, les habitants seraient tous les jours exposés aux pillages des ennemis, et ne pourraient payer les taxes qui composent les revenus ordinaires de l’État. Ainsi le succès du ministère de la Guerre et de la Négociation dépend du bon ordre du ministère des Finances [•].

§ 14

La conservation des différentes parties du corps politique dépend du secours mutuel qu’elles se donnent, et qu’elles doivent se donner les unes aux autres. Ne payez point de négociateurs, vous n’aurez point de paix, ou vous n’aurez point de paix durable, ou vous n’aurez point d’alliances suffisantes pour une commune défense. Ne faites ni pavés, ni canaux, ni ports, ni ponts, vous n’aurez qu’un commerce très languissant, et les revenus des terres, et par conséquent les revenus publics, seront beaucoup moindres.

§ 15

Que serait-ce qu’un corps politique sans juges, sans officiers destinés à faire observer les lois, à faire exécuter les jugements, et à conserver et augmenter la tranquillité et la paix entre les citoyens. Or peut-on compter avoir des juges, peut-on les choisir entre les meilleurs sujets, si les revenus publics ne sont pas suffisants pour les entretenir ? N’est-il pas certain d’ailleurs que s’il n’y avait point de magistrats, les subsides de l’État ne pourraient pas se lever avec règle, avec autorité et avec justice ? Ce ne serait bientôt qu’un brigandage, qui détruirait les biens, et qui laisserait les sujets à la discrétion des plus violents, des plus méchants et des plus forts [•], qui périraient bientôt eux-mêmes par la main de plus forts qu’eux.

§ 16

Il faut toujours que la justice soit accompagnée et secourue par la force [•], et que la force ne fasse rien que par le commandement de la justice. Tous les ministères sont donc dépendants les uns des autres. Mais le ministère des Finances est celui qui dépend le moins des autres, tandis que les autres dépendent beaucoup plus de lui, pour produire à la société les biens qu’elle doit attendre de tous.

§ 17

J’ai fait [•] en différents temps divers mémoires qui concernent ce ministère3. C’est aux professeurs de politique à les ramasser, à les rectifier, à les arranger, et à en ramasser d’autres semblables, pour la plus grande instruction de leurs disciples.

§ 18

Mon dessein est de recueillir, dans ces essais, seulement quelques observations générales que j’ai faites [•] sur l’imposition, sur le recouvrement des subsides annuels et ordinaires, et sur les subsides extraordinaires : pour les répartir avec le plus de proportion, et les lever avec le moins de frais qu’il est possible, et pour éviter les effets de la négligence des commis.

§ 19

À l’égard de l’arrangement de la dépense annuelle ordinaire en temps de paix, et de la dépense extraordinaire en temps de guerre, j’ai cru que, pour en donner une idée, il était à propos de donner un mémoire des subsides et des dépenses du royaume de France, tel que j’en ai recouvré un de l’année 1730. Il peut bien y avoir quelques erreurs, mais elles ne sont pas essentielles ; et tel qu’il est, il suffit pour fonder mes observations.

§ 20

Le marc d’argent fin valait alors environ cinquante livres, comme aujourd’hui en 1734.

OBSERVATION II [•]
Revenus du roi de France, année 1730 [•]

Fermes générales dans lesquelles sont les aides, entrées et droits, y joints trente-deux millions de livres ; grandes gabelles, vingt millions ; petites gabelles, six millions cinq cent mille livres ; cinq grosses fermes, neuf millions cinq cent mille livres ; domaines, contrôle des actes et droits, y joints onze millions cinq cent mille livres ; domaines d’Occident, cinq millions cinq cent mille livres, total, quatre-vingts millions [•]. Et ce total a été augmenté de six millions en 1730, ci…86 000 000 £ [•]
Tailles des pays d’élections [•] y compris la capitation des taillables et non-taillables, qui monte à dix-huit millions cinq cent mille livres, et les fourrages de cinq millions ; en total, à environ soixante-sept millions, ci…67 000 000 £ [•]
Taille et subvention des pays conquis, deux millions cent quatre-vingt-dix-neuf mille cent dix-huit livres, ci…2 199 118 £
Capitation des pays conquis, deux millions cent quatre-vingt-dix-huit mille trois cent trente-sept livres, ci…2 198 337 £
Capitation des pays d’états, trois millions neuf cent quatre-vingt-onze mille neuf cent vingt-deux livres, ci…3 991 922 £
Capitation de Paris, deux millions, ci…2 000 000 £
Capitation de la cour, sept cent quatre-vingt-dix-sept mille deux cent quarante livres, ci…797 240 £
Capitation retenue sur les gages, un million trente-quatre mille livres, ci…1 034 000 £
Retenue du dixième sur certaines dépenses, deux millions, ci…2 000 000 £
Don gratuit des pays d’états, Bourgogne, Languedoc, Bretagne, etc., cinq millions sept cent quarante-huit mille trois cent trente-sept livres, ci…5 748 337 £
Bois du roi, année commune, un million cinq cent mille livres, ci…1 500 000 £
Parties casuelles et paulettes, année commune, trois millions, ci…3 000 000 £
Postes, trois millions six cent mille livres, ci…3 600 000 £
Clergé, année commune, un million six cent mille livres1 600 000 £
Clergé des frontières, neuf cent trente mille cent trente-six livres, ci…930 136 £
Fabriques des lingots, cinq cent mille livres, ci…500 000 £
Cinquantième, environ cinq millions, ci…5 000 000 £
 ____________
Cet article est supprimé, mais les fermes sont augmentées d’autant, ou à peu près [•]. 
Total environ cent quatre-vingt [•]-dix millions, ci…190 000 000 £ [•]
 _____________
§ 21

Quelques-uns de ces articles [•] ont été pris des états de 1724 et 1726.

REMARQUE [•]

§ 22

Les cent vingt millions de livres tournois auxquels se montaient les revenus de roi en 1683 sous le ministère de M. Colbert, le marc d’argent étant à 28 £ tournois, faisaient environ quatre millions deux cent quatre-vingt-six mille marcs.

§ 23

Les revenus du roi montent en 1733 à 190 millions, à 49 £ le marc ; mais il en faut déduire environ vingt-deux millions pour la capitation, dix millions pour le contrôle des actes, et plus de trois millions pour l’augmentation de consommation de tabac depuis 1683, c’est trente-cinq millions à rabattre de 190, reste à 155 millions à 49 £ le marc.

§ 24

Si vous supposez présentement les quatre millions deux cent quatre-vingt-six mille marcs, du temps de M. Colbert, à 49 £ le marc, ils feront plus de deux cent millions de notre monnaie présente. Or si vous ôtez de deux cent millions cent cinquante-cinq millions, il se trouvera que c’est quarante-cinq millions de livres monnaie présente, dont les tailles et les anciennes fermes du roi sont diminués depuis cinquante ans.

§ 25

Cette grande diminution des revenus du roi vient, pour la plus grande partie, de l’imprudente augmentation des monnaies de 28 £ à 49 £ le marc.

OBSERVATION III [•]
Dépense ordinaire, année commune

§ 26

La plupart des articles ont été tirés de l’état de l’année 1724, temps de paix. Il y a plusieurs dépenses extraordinaires qui n’ont pas été si fortes en 1726.

PERSONNE ET SERVICE DU ROI [•]
Y compris les pensions des princes en 45 articles, vingt et un millions trois cent quatre-vingt-dix-sept mille livres

SAVOIR
Comptant du roi, habits, etc., trois cent soixante mille livres, ci…360 000 £
Cassette du roi, jeu, petites pensions, petits présents, etc., un million deux cent mille livres, ci…1 200 000 £
Offrandes et aumônes, deux cent mille livres, ci…200 000 £
Maisons religieuses, écoles chrétiennes, et nouveaux catholiques, deux cent mille livres, ci…200 000 £
Pauvres de Paris, quatre-vingt mille livres, ci…80 000 £
Gages des trésoriers, des gentilshommes servants, officiers de bouche, grand et petit commun, gobelets, fruiterie, etc., valets de chambre, garde-robe, huissiers, officiers des châteaux, etc., huit cent cinquante mille livres, ci…850 000 £
Récompenses d’officiers ordinaires, cent cinquante mille livres, ci…150 000 £
Chambre aux deniers, tables et bougies, un million deux cent mille livres, ci…1 200 000 £
Extraordinaires de l’année 1724, cent cinquante mille livres, ci…150 000 £
Entretien des meubles, argenterie, garde-meuble et pierreries, cinq cent mille livres, ci…500 000 £
Écurie ordinaire et livrée, tant de l’écurie que des Suisses, un million huit cent mille livres, ci…1 800 000 £
Gages des cent Suisses, cinquante-quatre mille livres, ci…54 000 £
Prévôté de l’Hôtel, soixante-deux mille livres, ci…62 000 £
Vénerie et fauconnerie, six cent cinquante mille livres, ci…650 000 £
Entretien de la machine de Marly, vingt-quatre mille livres, ci…24 000 £
Jetons d’or et d’argent du Trésor royal et des parties casuelles, cent quarante mille livres, ci…140 000 £
Musique et chapelle, cinq cent mille livres, ci…500 000 £
Menues dépenses par acquits patents, cent cinquante mille livres, ci…150 000 £
Pensions secrètes par acquits patents, trois cent mille livres, ci…300 000 £
Autres dépenses secrètes par acquits patents, six cent mille livres, ci…600 000 £
Dépenses imprévues par acquits patents, deux millions, ci…2 000 000 £
Prisonniers d’État, deux cent mille livres, ci…200 000 £
Dépense extraordinaire sur les prisonniers de la Bastille (cet article est rare), deux millions six cent mille livres, ci…2 600 000 £
Maison de la reine en 1725, au moins deux millions quatre cent mille livres, ci…2 400 000 £
Gages de quelques officiers de feue Madame la duchesse de Berry, cent mille livres, ci…100 000 £
Gages de quelques officiers de feue Madame, cent mille livres, ci…100 000 £
Pensions de la maison de feu M. le duc d’Orléans, six cent soixante-cinq mille livres, ci…665 000 £
Pensions de la maison de Madame d’Orléans, quatre cent cinquante mille livres, ci…450 000 £
Gages de quelques officiers de la feue reine d’Angleterre, quatre-vingt mille livres, ci…80 000 £
Pension de la maison de M. le duc de Chartres devenu duc d’Orléans, cent cinquante mille livres, ci…150 000 £
Pension de Madame la duchesse douairière, deux cent trente mille livres, ci…230 000 £
Pension de M. le duc, cent dix mille livres, ci…110 000 £
Autre pension comme chef du Conseil de régence, cent cinquante mille livres, ci…150 000 £
M. le comte de Charolais, cent mille livres, ci…100 000 £
Mlle de Charolais, cinquante mille livres, ci…50 000 £
Mlle de Clermont, cinquante mille livres, ci…50 000 £
Mme la princesse de Conti douairière, cent quatre-vingt mille livres, ci…180 000 £
Mme la princesse de Conti, 2e douairière, quatre-vingt mille livres, ci…80 000 £
M. le prince de Conti, cent mille livres, ci…100 000 £
M. le comte de La Marche, soixante mille livres, ci…60 000 £
Mlle de La Roche-sur-Yon, cinquante mille livres, ci…50 000 £
M. le duc du Maine, cent douze mille livres ci…112 000 £
M. le comte de Toulouse, quatre-vingt-dix mille livres ci…90 000 £
M. le prince et Mme la princesse de Carignan, cent soixante mille livres, ci…160 000 £
 ____________
Total vingt et un millions trois cent quatre-vingt-dix-sept mille livres, ci…21 397 000 £

Ordinaire et extraordinaire des guerres et marine en neuf articles, soixante-cinq millions deux cent soixante-onze mille six cent soixante-sept livres [•]

SAVOIR
Ancien ordinaire de la guerre, cinq millions six cent huit mille trois cent vingt livres, ci…5 608 320 £
Maréchaussées, un million sept cent vingt-six mille huit cent quarante-cinq livres, ci…1 726 845 £
Dépenses de la guerre assignées sur le taillon, un million cent trois mille cinq cent trente-huit livres, ci…1 103 538 £
Fortification, un million cinq cent mille livres, ci…1 500 000 £
Artillerie, un million cinq cent mille livres, ci…1 500 000 £
Garnisons ordinaires, deux millions cent quarante-huit mille sept cent quatre-vingt-une livres, ci…2 148 781 £
Extraordinaire des guerres en temps de paix, compris les pensions, trente-neuf millions six cent quatre-vingt-quatre mille cent quatre-vingt-trois livres, ci…39 684 183 £
En 1725 on a augmenté le nombre de soldats, pour environ quatre millions, ci…4 000 000 £
Marine et galères, compris les pensions, huit millions, ci…8 000 000 £
 _____________
Total soixante-cinq millions deux cent soixante-onze mille six cent soixante-sept livres, ci…65 271 667 £

RENTES, GAGES ET CHARGES [•]
En onze articles, soixante-quinze millions quatre cent cinq mille deux cent douze livres

SAVOIR
Rentes sur les bois, huit cent vingt-cinq mille cinq cent soixante et onze livres, ci…825 571 £
Rentes sur les fermes, quarante-quatre millions quatre cent douze mille quatre cent soixante-quinze livres, ci…44 412 475 £
Rentes sur les postes, deux millions cent mille livres, ci…2 100 000 £
Rentes sur la taille 
Charges et appointements, sept millions cinq cent mille livres, ci…7 500 000 £
Rentes perpétuelles, six millions, ci…6 000 000 £
Rentes viagères, huit millions, ci…8 000 000 £
Rentes sur la capitation des vingt généralités, deux millions cinq cent trente-neuf mille cinq cent quatre-vingt-onze livres, ci…2 539 591 £
Rentes sur les fourrages, deux cent cinquante-quatre mille huit cent cinquante-quatre livres, ci…254 854 £
Rentes sur la taille des pays conquis, quatre cent soixante-douze mille sept cent vingt et une livres, ci…472 721 £
Rentes sur la capitation des pays conquis, trois cent mille livres, ci…300 000 £
Autres gages et rentes, environ trois millions, ci…3 000 000 £
Total soixante-quinze millions quatre cent cinq mille deux cent douze livres ci…75 405 212 £
 _____________
§ 27

 [•]Ces rentes au denier vingt et ces augmentations de gages avaient été réduites à la moitié, c’est-à-dire au denier quarante ; et malgré cette banqueroute de la moitié de l’intérêt, il en reste encore pour plus de soixante millions par an, toutes de la création de Louis XIV. Or la Franche-Comté et la Flandre conquise ne rapportent pas à l’État, tous frais faits, dix millions par an. Ainsi on peut dire que nous avons acheté ces conquêtes douze fois plus qu’elles ne valent, sans la perte des hommes ; pertes que nous n’aurions point faites, si nos différends avaient été terminés par l’établissement de la Diète européenne.

Pensions perpétuelles et appointements en 31 articles, vingt millions neuf cent mille trois livres [•]

SAVOIR
Pensions aux premiers présidents pour leur table, trois cent douze mille livres, ci…312 000 £
Pensions aux abbayes royales, six cent cinquante mille livres, ci…650 000 £
Pensions aux collèges et universités, cent cinquante mille livres, ci…150 000 £
Pensions pour les arts et manufactures, cent mille livres, ci…100 000 £
Pensions aux académies, cinquante mille livres, ci…50 000 £
Pensions aux médecins du roi, deux cent trente-quatre mille livres, ci…234 000 £
Aux chevaliers du Saint-Esprit, trois cent quarante mille livres, ci…340 000 £
Aux chevaliers de Saint-Louis, cent quinze mille livres, ci…115 000 £
À l’Opéra et à la Comédie, cent mille livres, ci…100 000 £
Appointements du grand état, un million deux cent mille livres, ci…1 200 000 £
Autre état d’appointements dont on a retranché un quartier, quatre cent quarante mille livres, ci…440 000 £
Gages du Conseil et appointements des grands officiers de la couronne, chancelier, etc., trois cent quatre-vingt-deux mille livres, ci…382 000 £
Conseil privé, trois cent soixante-deux mille livres, ci…362 000 £
Appointements des maréchaux de France, cent huit mille livres, ci…108 000 £
Appointements des commissaires des différents bureaux, trois cent cinquante mille livres, ci…350 000 £
Appointements et pensions des ambassadeurs, un million cinq cent douze mille livres, ci…1 512 000 £
Indemnité du change pour ce qui y est sujet, un million quatre cent soixante-six mille six cent soixante-six livres, ci…1 466 666 £
Ligues suisses, cinq cent cinq mille livres, ci…505 000 £
Change de ladite somme, six cent soixante-treize mille trois cent trente-sept livres, ci…673 327 £
Gouverneurs et lieutenants généraux, et particuliers des villes et provinces, sept cent quatre-vingt-quatorze mille livres, ci…794 000 £
Aux intendants de terre et pour leurs tables, sept cent soixante-huit mille livres ci…768 000 £
Aux intendants de commerce et des colonies, un million cent vingt mille livres1 120 000 £
Ponts et chaussées, quatre millions, ci…4 000 000 £
Turcies et levées, quatre cent mille livres, ci…400 000 £
Haras, cent mille livres, ci…100 000 £
Pavé de Paris, deux cent huit mille livres, ci…208 000 £
Guet de Paris, deux cent cinquante mille livres, ci…250 000 £
Voyages et vacations, quatre cent mille livres, ci…400 000 £
Pensions personnelles, autres que les militaires, deux millions cinq cent mille livres, ci…2 500 000 £
Pensions personnelles nouvelles, et gratifications de cette année 1724, un million quatre cent mille livres, ci…1 400 000 £
 ___________
Total vingt millions neuf cent mille trois livres, ci…20 900 003 £
 ___________
Premier chapitre, vingt et un millions trois cent quatre-vingt-dix-sept mille livres, ci…21 397 000 £
Second chapitre, soixante-cinq millions deux cent soixante-onze mille six cent soixante-sept livres ci…65 271 667 £
Troisième chapitre, soixante-quinze millions quatre cent cinq mille deux cent douze livres ci…75 405 212 £
Quatrième chapitre, vingt millions neuf cent mille trois livres, ci…20 900 003 £
 ___________
Total cent quatre-vingt-deux millions neuf cent soixante-treize mille huit cent quatre-vingt-deux livres, ci…182 973 882 £
§ 28

Revenus [•], cent quatre-vingt-onze millions ; partant reste environ huit millions, dont on a employé en 1732 une partie à rembourser les actions, et une autre partie à payer des arrérages, et des dettes mobiles qui ne portent point d’intérêt.

OBSERVATION IV [•]
Effets du discrédit et du crédit public

§ 29

On peut compter entre les terribles effets du discrédit d’un État qu’il ne peut trouver ni à acheter à crédit ni à emprunter qu’à une perte excessive : et sur cela j’ai ouï citer que le feu roi Louis XIV, l’année qu’il mourut en 1715, fut obligé pour avoir huit millions en espèces de donner à un banquier, que nous connaissons tous4, pour vingt-huit millions de billets à négocier à Gênes, et chez d’autres étrangers. Quelles prodigieuses pertes ne cause pas le discrédit !

§ 30

Souvent le feu roi a été forcé d’affermer ses revenus à un quart, à un cinquième moins pour avoir quelques avances. Ainsi l’on peut dire que la moitié des dettes de la nation vient du seul discrédit, et de l’incertitude du paiement régulier de l’intérêt et du principal : ce qui fait que cent mille francs de capital sur le roi, à deux et demi pour cent, ou au denier quarante, qui produisent deux mille cinq cent livres de rente, ne se vendent encore aujourd’hui [•] que vingt-cinq [•] à trente mille livres.

 [•]EFFETS DU CRÉDIT [•]

§ 31

Tandis qu’il était impossible à la France de trouver à emprunter à une grosse perte, la nation anglaise empruntait facilement à quatre ou cinq pour cent d’intérêt, et elle n’a presque jamais emprunté à un plus haut intérêt.

OBSERVATION V [•]
Moyens dont la nation anglaise s’est servie pour conserver son crédit

§ 32

1. Il y a toujours en Angleterre telle partie des subsides destinée spécialement à payer l’intérêt et partie du principal de telle et telle dette passive de l’État, en sorte que le capital soit remboursé en tant d’années. Ces actions sur l’État s’appellent annuités, elles se vendent et se négocient sur la place comme les autres actions. Il y a des créanciers qui n’ont pu être remboursés qu’en 40 ans, à cause des diminutions arrivées à ces subsides annuels destinés à leur remboursement.

§ 33

En 1689 il y avait encore des dettes passives de l’État, contractées sous la tyrannie de Cromwell, qui était mort trente ans auparavant. Or le paiement exact de ces dettes passées donne une forte assurance du paiement futur et exact des dettes présentes et à venir. Je parle ci-après de la bonté de la méthode anglaise pour emprunter.

§ 34

2. La nation anglaise ne change jamais ses destinations, si ce n’est par des remplacements qui soient équivalents pour les créanciers de l’État, et plus utiles pour la nation.

§ 35

3. Quand la nation anglaise a emprunté à cinq pour cent, et qu’elle voit qu’entre particuliers l’intérêt est à quatre pour cent, elle offre et fait le remboursement à ceux qui ne veulent pas réduire l’intérêt à quatre, et elle se sert pour ce remboursement de l’argent de ceux qui prêtent alors à l’État à quatre pour cent, parce que l’argent étant devenu plus commun, l’intérêt en devient plus faible.

OBSERVATION VI [•]
Causes de la diminution du crédit de l’État, et remèdes

§ 36

Le crédit de la nation est diminué 1° parce que nos ministres avant que d’emprunter n’ont pas fait en même temps une augmentation de subside tellement proportionnée à l’emprunt que les intérêts et les capitaux pussent être payés et remboursés en quinze ou vingt ans, ou même en trente ans, comme l’on fait quelquefois en Angleterre. 2° Parce qu’ils n’ont pas continué inviolablement la destination de cette augmentation de subside au paiement des prêteurs. 3° Parce qu’ils n’ont pas eu l’attention de suppléer [•] comme en Angleterre aux non-valeurs de la recette du subside ainsi destiné, lorsqu’il y a eu des non-valeurs.

§ 37

Cette méthode est toute simple, le prêteur a une action sur telle partie du subside de l’État, dont l’État lui-même est garant ; et cette action se peut vendre et acheter sur la place, comme toute autre action.

§ 38

Ainsi il n’y a que deux moyens de rétablir le crédit de la nation. Le premier à l’égard des dettes passées : c’est d’employer tous les ans dix ou douze millions à rembourser des capitaux [•], à un dixième de plus que le prix de la place.

§ 39

Le second, à l’égard des emprunts futurs : c’est de suivre la méthode de la nation anglaise, augmenter tel subside que l’on suppose général et proportionné, et déléguer cette portion d’augmentation pour payer en tant d’années le capital et l’intérêt de l’emprunt.

[Texte du manuscrit de Rouen (A) supprimé.] OBSERVATION V [•]
Séparation des revenus et des dépenses domestiques du roi d’avec les revenus et les dépenses nécessaires de l’État

§ 40

Il est certain que pour rendre l’État plus riche et plus florissant et pour former des établissements propres à augmenter tous les jours considérablement le bonheur de la nation, il faut employer de nouveaux fonds, il faut faire de nouvelles avances et de nouvelles dépenses lorsqu’elles doivent rapporter en un an quarante, cinquante, soixante, cent, deux cents pour cent.

§ 41

Il n’est pas même certain que pour ces appointements nouveaux ou pour ces avances nouvelles il faut de nouveaux subsides et que tant que l’on pourra soupçonner que tout ou partie de ses subsides seront employés à de pures dépenses domestiques, inutiles à l’augmentation du bonheur des sujets, comme à des bâtiments superbes, à des jardins magnifiques, à des gratifications, ou pensions pour des favoris et des favorites, à des spectacles, à des repas, des fêtes, où le gros des sujets n’a aucune part ; il n’est pas douteux, dis-je, qu’alors les établissements de nouveaux subsides ou les augmentations des anciens feront murmurer les peuples ; c’est une suite toute naturelle du mauvais emploi des deniers du peuple.

§ 42

Et effectivement l’on ne peut pas empêcher les sujets de regarder comme injustice la violence qu’on emploie pour leur ôter une partie de leur bien, souvent d’un bien nécessaire à la subsistance de leurs familles, pour en gratifier des personnes qui ne se distinguent en rien pour l’augmentation du bonheur de la nation et qui ne sont pas dans une grande nécessité.

§ 43

Il est donc visible que lorsqu’un roi veut passer pour juste envers ces sujets il doit les ménager sur les subsides, de la même manière qu’il voudra lui-même être ménagé s’il était à la place de tel sujet ; or ne serait-il pas très fâché si on lui enlevait partie de son bien pour des dépenses frivoles qui ne lui rapporteraient ni plaisir présent ni utilité à venir ?

§ 44

Mais tant que les revenus et les dépenses domestiques et personnelles du roi seront confondus avec les dépenses nécessaires pour la conservation et pour l’augmentation des biens des sujets, il ne faudra point s’étonner si, lors même que le roi est juste et sage dans les subsides qu’il impose, il est soupçonné de ne les imposer que pour son intérêt particulier et pour dissiper cette augmentation de subsides en dépenses de pure fantaisie.

§ 45

Or que faut-il qu’il fasse pour éloigner de lui un soupçon si odieux pour un honnête homme et pour un prince juste et bienfaisant ? Il n’y a qu’un moyen sûr, c’est de faire une séparation entière du revenu domestique et personnel et des dépenses domestiques et personnelles du roi d’avec le revenu public destiné à acquitter les charges publiques de l’État et de créer une chambre où seront rendus les comptes de la recette de la dépense domestique de la Maison du roi et de conserver les autres chambres pour les comptes de la recette de la dépense de la nation.

§ 46

Il est évident que cette séparation ayant été faite, lorsqu’il ordonnera une nouvelle augmentation d’imposition, chacun jugera que ni lui ni ses ministres ne pouvant profiter d’une pistole, tout ce qui en proviendra sera employé en entier pour la plus grande utilité des sujets, à payer les prêteurs ou les autres dépenses auxquelles cette augmentation de subsides est destinée par l’édit. Ainsi on ne murmurera jamais contre lui et lorsque ces sujets verront le succès de ses projets salutaires ils le combleront de bénédictions pour avoir pris sagement par des subsides nécessaires les moyens propres pour y réussir.

§ 47

Un ministre, homme juste, qui, en entrant dans le ministère, voudrait éloigner de lui tout soupçon de vouloir enrichir ses enfants et ses héritiers par une grosse succession, a un moyen sûr pour éviter un pareil soupçon, c’est de déposer chez un notaire en entrant dans le ministère un mémoire de ses biens, meubles et immeubles. C’est ce que fit Bullion, Surintendant des finances vers 16365. Il déclara tous ses revenus devant un notaire et dit au roi qu’il dépenserait à son service les appointements de sa charge et que pour ses revenus il les emploierait à établir ses enfants, que le surplus, s’il s’en trouvait, il le donnait dès lors à l’Hôpital général.

§ 48

Pour en revenir à la dépense domestique du roi, je la trouve comprise en quarante-cinq articles, ce qui monte à près de 22 millions, sur quoi il y a au moins 3 millions à retrancher ; mais il pourrait les retenir en considération du grand plaisir que cette séparation authentique ferait à tous les sujets car alors ils auraient sûreté que la Cour ne lèverait plus aucun subside sur eux que pour la conservation et pour l’augmentation de leur bien et à plus forte raison s’il se contente de ce qu’il a.

§ 49

C’était une des vues sages du dauphin duc de Bourgogne et qu’il eût sans doute exécuté s’il fut parvenu au gouvernement ; c’est qu’il croyait que pour gouverner avec plus d’autorité, avec plus de facilité et avec plus d’approbation, il ne suffisait pas pour lui d’être juste et bienfaisant envers les sujets mais qu’il fallait encore que sa justice et sa bienfaisance fussent évidentes, et en évidence à tout le monde, ce qui était impossible sans cette séparation exacte, évidente des revenus domestiques du roi d’avec les revenus publics de la nation et si les emplois de l’administration des revenus et les comptes qui regardent les dépenses domestiques du roi n’étaient absolument incompatibles avec les emplois qui regardent les comptes des finances de la nation.

§ 50

Il serait à souhaiter que le revenu domestique du roi pût être une partie aliquote du revenu en fonds de terre de chacun de ses sujets et qu’il augmentât et diminuât à proportion que le revenu des sujets augmenterait ou diminuerait et cela afin qu’il fût toujours personnellement encore plus intéressé à les garantir de la diminution et à leur procurer l’augmentation de leurs revenus ; on ne saurait trop inventer de liens pour unir tous les jours de plus en plus et plus étroitement l’intérêt de ceux qui gouvernent à l’intérêt de ceux qui sont gouvernés ; or celui-ci serait un lien très fort, très simple et très naturel. [Fin du texte du manuscrit de Rouen (A) supprimé.]

OBSERVATION VII [•]
Sur la nature des revenus des fermes du roi [•]

§ 51

J’ai fait imprimer [•] divers mémoires pour montrer les moyens de faire cesser les disproportions ruineuses de la répartition de la taille et de la capitation6. J’ai montré aussi que le subside le plus proportionné, le moins onéreux, le moins coûteux, et le plus facile à recouvrer, c’est celui qui se lève, dans les grandes villes et autres lieux fermés par des barrières, sur les denrées qui se consomment. Je me réduis ici à faire quelques observations sur les subsides qui doivent être affermés, et à quelles conditions ils doivent l’être.

§ 52

Il y a en France de plusieurs espèces de subsides. Le premier est celui qui se lève sur le revenu : celui-là s’exige par contrainte, et par saisie des biens de l’imposable qui néglige de payer son imposition, et qui faute de paiement est obligé à payer les frais des saisies et de ventes de ses biens.

§ 53

Ce subside est difficile à lever : tel est le subside de la capitation, tel est le subside de la taille. Il ne faut pour ces subsides que des régisseurs à forfait, qui aient soin de faire les frais pour lever l’imposition. Car supposant l’imposition proportionnée au revenu du redevable, le recouvrement en est sûr. Aussi nos receveurs généraux des finances n’ont besoin que de certaines remises pour faire les frais de la recette ou du recouvrement [•].

§ 54

La seconde espèce de subside est celui qui ne se lève ni par contraintes, ni par saisies, ni par ventes forcées, ni par la crainte des frais des officiers de justice qui font les ventes forcées. Il se lève volontairement, et à proportion de l’avantage que le payeur du subside en reçoit. Vous recevez une lettre de la poste, une caisse du messager, vous payez à proportion du poids du paquet. Vous avez besoin de papier, de parchemin marqué, vous payez à proportion que vous en employez. Vous avez besoin de telle charge qui est aux parties casuelles du roi, elle est fixée à tel prix, l’achète qui veut. Vous avez besoin d’un tel contrat d’acquisition, vous payez les droits du contrôle, du centième denier. Ces subsides sont volontaires et proportionnés ; et ce qui est important, ils sont tels qu’il n’y a aucune vexation à craindre, ni de la part des officiers du roi, ni aucune fraude à craindre pour le roi de la part du particulier.

§ 55

La troisième espèce est à la vérité un subside volontaire et proportionné, mais il est sujet à fraude de la part du sujet, qui veut se soustraire injustement au paiement entier des droits, que paient les autres sujets justes et non fraudeurs : car le fraudeur fait réellement retomber ce qu’il ôte au roi sur ses concitoyens. Tel est le subside du sel, le subside du tabac, ils sont volontaires et proportionnés. On paie à proportion que l’on en consomme ; mais la grandeur du prix fait qu’il y a des fraudeurs, des faux-sauniers, et de faux tabaquiers, qui vendent à meilleur marché. Ils sont condamnables, et souvent condamnés ; mais ceux qui achètent d’eux sont aussi fraudeurs, et par conséquent condamnables, en ce que, sans de pareils acheteurs frauduleux, il n’y aurait point de pareils vendeurs frauduleux.

§ 56

L’injustice envers leurs concitoyens ne serait pas difficile à leur démontrer par les curés et par les prédicateurs : et ils devraient montrer toutes ces sortes de fraudes comme très injustes, et par conséquent comme très odieuses, et très punissables dans cette vie et dans la vie future. Car n’est-il pas certain que si par de pareilles fraudes les revenus de l’État sont diminués de dix millions par an, le roi, pour subvenir à payer les charges et les dépenses nécessaires de l’État, est forcé de lever ces mêmes dix millions sur son peuple ? Ainsi ce n’est pas proprement le roi qui est fraudé, qui est volé par les fraudeurs ; ce sont réellement les peuples, les uns pauvres, les autres riches, qui sont volés par toutes leurs fraudes.

§ 57

Le droit de tenir cabaret à charge de payer tant par tonneau de consommation est de même sujet à fraude par le cabaretier. Le droit sur les bestiaux, et sur les autres denrées et marchandises, est un subside volontaire et proportionné ; mais il est sujet à la fraude, tant de la part des commis pour recevoir le droit que de la part de ceux qui sont obligés de le payer.

§ 58

Or tous les droits sujets à fraude demandent nécessairement plus d’hommes suffisamment intéressés à découvrir les fraudes, et à faire punir suffisamment les fraudeurs, ce qui ne se peut faire qu’en donnant de pareils droits à ferme et à forfait : parce que l’espérance du gain, jointe à l’honneur de se distinguer dans sa compagnie, fait agir bien plus vivement les fermiers qui prennent à forfait que l’honneur seul de bien faire son emploi [•]. Et c’est ainsi qu’en usent les Hollandais, qui donnent à forfait les droits de la République, dans telles et telles paroisses, au plus offrant.

§ 59

Ainsi [•] je suis de l’avis de ceux qui croient que de pareils droits vont tous les jours en diminuant, et les frais de régie en augmentant, entre les mains de simples régisseurs comptables. C’est qu’en cette qualité ils ne voudraient jamais prendre chacun dans son emploi toute la peine nécessaire, et se faire autant d’ennemis qu’il le faudrait pour prévenir les fraudes, et faire punir rigoureusement les délinquants. Ainsi il est à propos d’affermer ces droits à forfait au plus offrant et dernier enchérisseur, [•] sur quoi il y a quelques observations à faire.

§ 60

1. Les petites fermes qu’un seul homme peut faire valoir, et qui sont telles que beaucoup de personnes solvables peuvent enchérir, sont celles qui sont les plus faciles à être portées à leur véritable valeur : souvent l’enchérisseur se contente d’un sou par livre de profit.

§ 61

2. Il est par conséquent de l’intérêt du roi que tous les subsides en droits soient réduits en plus grand nombre de petites fermes qu’il est possible. C’est que non seulement les droits sont portés au plus haut, c’est-à-dire à un vingtième près du produit effectif ; mais c’est que la grande multitude d’adjudicataires d’un même droit dans une élection sont autant de gardes très vigilants contre les fraudeurs, et des gardes qui ne coûtent rien à la nation : de sorte que le métier de fraudeur s’abolirait insensiblement, si les fermes étaient suffisamment subdivisées. Et telle est l’habileté du gouvernement des Hollandais : leurs intendants réduisent autant qu’ils peuvent les fermes en petites fermes, et c’est ce qui fait qu’il y a très peu de fraudeurs, et que les droits sur la bière et autres boissons produisent un si grand subside [•].

§ 62

3. Il serait à propos qu’il y eût dans chaque généralité une compagnie de fermiers généraux [•], à peu près du même nombre que d’élections, et que cette compagnie eût son correspondant à Paris. Ces fermiers généraux des aides et gabelles iraient dans chaque élection de leur généralité, afin d’affermer leurs droits à des sous-fermiers pour telles et telles paroisses.

§ 63

Je suppose que par une régie de deux ou trois ans, le ministre des Finances ait vu que ces droits bien administrés peuvent produire telle somme dans telle généralité, année commune ; il est de l’intérêt du roi d’affermer les généralités, non comme les dernières petites sous-fermes à simple forfait au plus offrant, mais 1° par le prix le plus bas que la régie en a fait tous frais faits, afin que les fermiers n’y puissent jamais perdre. 2° À condition qu’ils auront des appointements réglés. 3° À condition que celui d’entre eux qui résidera à Paris aura le double, et des commis payés à proportion du travail. 4° À condition que ce qu’ils recevront de la ferme générale au-delà du prix fixe, ils en auront la moitié à leur profit, et l’autre moitié au profit du roi [•] ; ce qui se réglera par le résultat de leurs recettes particulières [•].

§ 64

5. De cette manière ils ne pourront jamais faire des fortunes immenses, au préjudice du public et du roi : parce que ce marché aura d’un côté l’avantage d’une régie comptable, où l’on verra clair ; et de l’autre il aura l’avantage du forfait, qui consiste à intéresser fortement ceux qui régissent à mettre en pratique tous les moyens possibles pour diminuer les frais de la régie et les fraudes, et pour augmenter le produit de la recette [•].

§ 65

6. Avec cette espèce de régie à forfait ou de ferme comptable, le ministre ne sera point embarrassé de former diverses compagnies de fermiers pour enchérir l’une sur l’autre, parce qu’il n’est pas nécessaire d’être riche pour recevoir d’une main et payer de l’autre. Il suffira que ces compagnies soient formées de commis les plus intelligents, les plus sages, les plus économes, et les meilleurs travailleurs ; et comme ils connaissent mieux entre eux les talents et les qualités les uns des autres, il serait à propos, quand le ministre, sur l’avis de l’intendant des finances, en aurait choisi quatre des plus estimés, que ces quatre en choisissent un cinquième, et ces cinq un sixième, et ainsi de suite.

OBSERVATION VIII [•]
Département des quatre intendants des finances

§ 66

La fonction d’un général d’armée n’est pas tant de combattre que de faire bien combattre toutes les parties de son armée. Aussi la fonction du chef des finances n’est pas tant d’examiner les affaires en détail que de les faire bien examiner par ceux qui sont préposés à ces divers examens, et qui lui rendent compte de leur travail, chacun dans son département.

§ 67

Le ministre des Finances d’un grand État ne peut pas tout voir, tout lire, tout calculer, tout examiner par lui-même, surtout dans les affaires contentieuses, où il s’agit de rendre justice, ou entre le fermier et le sous-fermier, ou entre le fermier du roi et le citoyen. Il ne peut pas par lui-même ni examiner ni arrêter tous les comptes des comptables. Il a donc besoin du travail d’officiers habiles, et qui par leur intérêt soient entièrement incorruptibles par les comptables : afin qu’il puisse se fier à leur rapport, et croire qu’ils ont vu et examiné eux-mêmes les faits qu’ils rapportent ou à lui, ou au Conseil.

§ 68

À cette occasion je remarquerai un fait que je viens d’apprendre [•]. C’est que les jeunes maîtres des requêtes se plaignent, et ce semble avec raison, de ce que le contrôleur général des finances de France ne leur donne pas certains mémoires, certains comptes à examiner en même temps qu’à leurs commis. Car 1° communément les maîtres des requêtes riches ont eu plus d’éducation que les commis. 2° Un commis qui saurait que son avis sera examiné lui-même par un maître des requêtes sera beaucoup moins corruptible, et formera son avis avec plus d’exactitude : ce qui est une raison décisive, surtout si le ministre donne en secret le procès entre le roi et le comptable, ou le projet proposé par le particulier à examiner à son commis, et ensuite à un maître des requêtes. Les ministres ne sauraient trop employer de moyens pour découvrir avec sûreté la vérité, la justice, et le parti le plus avantageux à l’État, surtout en matière importante [•]. Les hommes en général ont besoin d’avoir un contrôleur pour soutenir leur probité ; et puis deux égaux voient mieux qu’un seul, et l’on forme son avis avec plus d’attention, et par conséquent avec plus de justesse, quand on sait qu’il doit être examiné.

§ 69

Les rapporteurs en matière de finances s’appellent en France intendants de finances. Il n’y en avait originairement que deux, ils étaient trop chargés [•], ils ne pouvaient pas tout voir, ainsi ils étaient forcés de s’en rapporter à leurs commis. On les a multipliés avec raison, mais leurs commis sont encore trop maîtres. Ils auraient besoin d’un bureau de six maîtres des requêtes, auquel l’intendant présiderait ; parce que le point principal est que les intendants des finances soient eux-mêmes soulagés [•] par des officiers, et qu’ils ne confient point à leurs commis seuls l’examen des choses importantes, qu’ils donnent pour constantes au ministre et au Conseil des finances ; et comme l’examen du ministre, et l’examen du Conseil, ne s’examine plus à la Chambre des comptes, si ce n’est pour la forme, il est à propos que ce premier examen des finances soit très exact.

§ 70

Je crois que dans le ministère de la Guerre, où il y a de si grosses dépenses, et des comptes très importants à examiner, il faudrait aussi un bureau de maîtres des requêtes, et un intendant des finances qui présidât à ce bureau [•]. Voici les quatre départements des affaires de finances, tels qu’on pourrait les arranger en France. Ces arrangements ne sont pas si indifférents que l’on pense.

Premier département du ministère des Finances en France [•]
Direction des fermes générales

§ 71

Le bail des fermes générales contient :

§ 72

Le subside des gabelles, ou les droits que le roi lève sur le sel.

§ 73

Le subside des cinq grosses fermes, ou droits d’entrée dans les ports.

§ 74

Le subside sur les aides, ou entrées des boissons dans les villes.

§ 75

Les domaines.

§ 76

Le papier marqué [•].

§ 77

La ferme des suifs.

§ 78

Les amortissements et francs-fiefs.

§ 79

Les contrôles et insinuations des actes.

§ 80

Les greffes.

§ 81

Le même intendant et les membres de son bureau doivent encore avoir la direction des états des dépenses qui se paient sur le bail des fermes générales, et l’examen des comptes de dépense.

§ 82

Le soin de faire payer aux créanciers de l’État les rentes sur la ville, et autres rentes passives de l’État, qui sont déléguées sur les fermes, et l’examen des comptes des payeurs de la ville.

§ 83

Il a aussi la direction des droits sur le tabac [•].

Second département du ministère des Finances [•]

§ 84

L’intendant des finances a la direction du subside de la taille et du taillon sur les non-nobles.

§ 85

Plus, la direction des dépenses que l’on prend sur les tailles.

§ 86

Le subside de la capitation sur les nobles et privilégiés.

§ 87

Le subside du dixième de retenue.

§ 88

Le soin de faire remettre les fonds au trésorier des ponts et chaussées [•].

§ 89

Le soin de faire remettre les fonds au trésorier de la guerre.

§ 90

Le soin de faire remettre les fonds au trésorier de la marine.

Troisième département du ministère des Finances [•]

§ 91

L’intendant des finances a la direction [•] du subside du clergé ;

§ 92

Du subside des états de Languedoc ;

§ 93

Du subside des états de Béarn et Navarre ;

§ 94

Du subside des états de Provence ;

§ 95

Du subside des états de Bourgogne ;

§ 96

Du subside des états de Bretagne ;

§ 97

Du subside des états d’Artois ;

§ 98

Du subside de Flandre ;

§ 99

Du subside d’Alsace ;

§ 100

Du subside de la Franche-Comté [•].

§ 101

J’espère qu’un jour le subside du clergé sera confondu et réuni aux autres subsides, et qu’il ne fera plus un subside séparé [•].

§ 102

J’espère aussi qu’il n’y aura plus d’états de provinces, et que les subsides seront uniformes, proportionnels, universels. Il faut épargner aux provinces les frais des états, et traiter les provinces pour les subsides sur la même proportion par rapport à leur revenu ; et que si l’une paie le cinquième, ou quatre sous pour livre, de son revenu, toutes les autres paient à proportion quatre sous pour livre du leur [•].

Quatrième département du ministère des Finances

§ 103

L’intendant des finances a la direction :

§ 104

Du subside du droit annuel et parties casuelles des officiers des parlements, et autres compagnies.

§ 105

Du subside de la fabrication des monnaies.

§ 106

Du subside des postes.

§ 107

Du subside des poudres et salpêtres.

§ 108

Du subside du domaine d’Occident, ou des îles françaises d’Amérique.

§ 109

Du subside des bois du roi.

§ 110

Du subside des inspecteurs aux boissons, des courtiers et jaugeurs, des inspecteurs des boucheries, et autres droits y joints.

§ 111

Du subside des huiles.

§ 112

Des débets qui sont à la poursuite du contrôleur des rentes.

§ 113

Le soin de faire observer l’ordonnance sur les eaux et forêts.

§ 114

La direction des octrois en faveur des villes.

§ 115

Du subside des impôts et billots de Bretagne.

§ 116

Direction des dettes des communautés séculières.

§ 117

Nous avons six intendants des finances [•], on peut les réduire à quatre, mais il faudrait que chaque intendant ne fût que le président d’un bureau de six ou sept maîtres des requêtes.

OBSERVATION IX [•]
Bureaux consultatifs de chaque intendant des finances

§ 118

Ce serait un grand soulagement pour le ministre de la Finance d’avoir à son ordre quatre bureaux, composés de gens laborieux, habiles, qui aiment leur réputation, choisis au scrutin, qui lui éclairciraient les affaires longues, obscures et difficiles, et qui seraient pour ainsi dire les garants des jugements qu’il fait rendre au Conseil de finances.

§ 119

Ce serait même un grand avantage pour l’État d’avoir une pépinière d’hommes parmi lesquels on pût choisir selon le besoin un bon intendant, un bon ministre des Finances [•]. Mais il serait à souhaiter 1° que les quatre intendants ou directeurs des finances rapportassent eux-mêmes les affaires au Conseil des finances, mais qu’ils les rapportassent auparavant au ministre des Finances : parce qu’il faut qu’il ait le loisir d’y penser [•], et de faire différer le jugement. 2° Il est juste que le ministre des Finances ait deux voix au Conseil de finances où il présidera. Car il serait ridicule, et du dernier ridicule, de faire présider à ce Conseil un homme de guerre, un maréchal de France, c’est-à-dire un écolier en fait de finances.

§ 120

Je demande que ces [•] quatre intendants rapporteurs, chacun sur les matières dont ils sont chargés, fassent une observation à chaque arrêt qui se rend à leur rapport, pour montrer ce qu’il faudrait ou ajouter, ou corriger à la loi, pour faire éviter par une décision générale pareil procès que celui qu’ils viennent de juger.

§ 121

Qu’ils fassent ensuite un recueil de ces observations, et des raisons pour et contre ; afin de les communiquer en particulier aux membres du Conseil, recevoir leurs objections, faire leurs réponses, et rapporter ensuite le tout au Conseil assemblé pour y former des décisions générales qui puissent se rendre publiques, et faire ainsi cesser par la publicité de ces décisions autant de sources de doutes et de procès.

§ 122

Je propose que les [•] quatre intendants, ou plutôt les quatre directeurs de finances, passent après trois ans d’un département à un autre, pour avoir occasion de s’instruire également de toutes les matières de finances, et pour devenir capables d’être un jour [•] choisis par le roi sur l’avis du scrutin pour contrôleur général, c’est-à-dire pour ministre et président du Conseil de finances.

OBSERVATION X [•]
Une paix perpétuelle et inaltérable doublerait les revenus domestiques du roi

§ 123

On peut facilement démontrer que le vrai intérêt du roi, comme de tout particulier, est d’user de modération dans sa dépense ; mais je dirai ici en passant que le revenu domestique du roi d’Angleterre, ou d’un autre souverain, augmenterait du double, si les princes d’Europe signaient les cinq articles fondamentaux [•] de la Diète européenne ; parce qu’elle produirait une paix inaltérable en Europe, et augmenterait par conséquent leur sûreté, et leur donnerait le moyen d’épargner la dépense des trois quarts de leurs troupes ordinaires [•] ; dépense qu’ils pourraient facilement employer, un quart au profit de leur dépense domestique, un quart au remboursement des dettes de l’État, et moitié en dépenses utiles à l’État, à faire des pavés, des ponts, des ports, des collèges, des académies, des colonies, etc. J’en ai parlé amplement ailleurs.

OBSERVATION XI [•]
Régularité du paiement des charges annuelles

§ 124

Il faut que le subside annuel soit suffisant pour acquitter régulièrement les charges annuelles de l’État, de sorte que personne n’attende son paiement, pas même un seul jour. Car cette régularité contribue infiniment à mettre les capitaux des effets royaux en valeur. Mais pour mettre la dépense au niveau de la recette, il y a deux moyens : le premier, c’est de diminuer la dépense de l’État [•] par une Chambre [•] de justice ; le second, c’est d’augmenter le subside annuel [•], ce qui fait crier contre le gouvernement quand les sujets d’augmentation ne sont ni justes ni évidents.

§ 125

Un roi, pour payer régulièrement, doit, comme un particulier, mettre tous les ans le dixième de son revenu en réserve, jusqu’à ce qu’il ait une année de son revenu dans le Trésor royal, pour subvenir aux besoins pressants, imprévus, et pour n’avoir plus besoin d’emprunter à gros intérêt les avances des fermiers et des traitants [•].

OBSERVATION XII [•]
Pensions

§ 126

Il est convenable de retrancher des pensions, lorsqu’elles sont de pures grâces ; car avant que de faire des grâces, il faut faire justice. Il faut payer les rentes et les appointements, ou certaines pensions qui tiennent lieu d’appointements et de récompenses : parce que ce sont des dettes, et qu’il est juste de payer ce que l’on doit, avant que de donner ce que l’on ne doit pas ; et il n’est pas juste de créer de nouveaux subsides sur les uns, pour en faire des présents aux autres.

OBSERVATION XIII [•]
Il n’y a que deux raisons pour augmenter les subsides

§ 127

 [•]Les princes ont assez de prétextes et de raisons de fantaisie, mais ils n’ont effectivement que deux raisons suffisantes pour augmenter les subsides anciens, ou pour en créer de nouveaux. La première, c’est la guerre, et la conservation des biens des familles des citoyens. La seconde, c’est lorsque cette augmentation de subside doit être employée à des ouvrages, ou à des dépenses qui rapportent année commune à chaque citoyen [•] un intérêt au moins de [•] cinquante pour cent, cinquante sous pour cent sous, qu’il paie de ce subside.

§ 128

Nos parents agissent en bons pères de famille, quand ils nous font acheter par un petit mal passager, par des soins, par des peines, par des travaux médiocres et courts, des biens de plus de durée et plus grands, et des revenus beaucoup supérieurs aux peines. Cela prouve que le roi en use en bon père envers ses peuples, quand il leur demande des avances, des contributions annuelles, pour leur procurer un plus grand revenu annuel [•] que celui qu’ils tireraient du subside qu’ils paient.

§ 129

Celui qui laboure et qui sème en use sagement, quand il fait des avances qu’il retire, tous frais faits, avec un gain de trente pour cent. C’est par conséquent procurer un grand avantage au peuple, lorsque le roi lui fait faire des avances, dont il doit retirer [•] cinquante ou soixante pour cent, et quelquefois cent pour cent, trois cent pour cent.

OBSERVATION XIV [•]
Le subside ordinaire doit être plus fort d’un sixième que la dépense ordinaire

§ 130

Il est à propos que l’état de la dépense annuelle projetée soit moindre d’un sixième que l’état du recouvrement du revenu annuel projeté ; en voici les raisons.

§ 131

1. Parce qu’il y a toujours des non-valeurs sur le recouvrement réel des différents revenus publics.

§ 132

2. Parce qu’il y a toujours des augmentations de dépenses, au-delà de ce que la plus grande prudence peut prévoir.

§ 133

3. Parce qu’il est à propos d’employer au moins un dixième du revenu pour acquitter peu à peu les capitaux des dettes de l’État, et pour payer régulièrement le courant ; afin de conserver le crédit de l’État pour les emprunts futurs qui sont nécessaires en temps de guerre.

§ 134

4. Parce qu’il faut employer tous les ans au moins un vingtième de revenu pour des dépenses qui rapporteront aux sujets au moins cinquante ou même cent pour cent par an.

§ 135

5. Parce que cette précaution épargnera au roi des intérêts fort onéreux de dix pour cent, et quelquefois davantage, qu’il paie aux fermiers pour leurs avances.

OBSERVATION XV [•]
Trois excès dans les subsides

§ 136

Il y a trois manières de ruiner le peuple : la première par une imposition générale, excessive par rapport à son revenu annuel. Cela arrive lorsqu’on ne laisse pas à l’imposable les moyens de faire subsister sa famille selon sa condition [•], et les moyens de continuer son commerce.

§ 137

La seconde par la distribution disproportionnée d’une imposition médiocre en elle-même pour le total des sujets, mais excessive par rapport à un grand nombre de sujets non protégés [•], qui se trouvent opprimés par la disproportion excessive.

§ 138

La troisième par la précipitation du recouvrement, en demandant au peuple un paiement trop prompt, ce qu’il ne peut payer que par parties le long de l’année, à mesure qu’il reçoit ses revenus. Or le souverain qui ruine ses peuples ruine ses propres débiteurs, qui doivent payer son revenu domestique, et le revenu de l’État.

§ 139

Il n’y a point de disproportion à craindre dans le subside qui se lève sur les denrées à l’entrée des villes, parce qu’il se lève à proportion de la consommation que chacun fait, et par conséquent à proportion de son revenu : personne n’y est jamais ruiné par les frais, par la malice et par les injustices des autres ; mais seulement par sa propre imprudence, pour n’avoir pas le courage, la force, le bon sens nécessaires pour proportionner sa dépense annuelle à son revenu annuel.

§ 140

Le subside de l’État ne se peut lever par des droits d’entrée dans les villages qui ne sont point fermés de barrières, mais on l’y lève sous le nom de taille. Il a été jusqu’ici sujet à une répartition ruineuse, et très disproportionnée surtout dans les pays d’élections [•].

OBSERVATION XVI [•]
Proportion dans la répartition du subside

§ 141

Les peuples en général paient les subsides sans murmurer : 1° quand ils paient ce qu’ils ont coutume de payer ; 2° quand tous paient en proportion de leurs revenus ; 3° quand ils savent avec certitude que ces subsides sont employés en entier pour payer les charges de l’État, parce qu’ils les regardent comme leurs propres charges ordinaires. 4° Ils paient même volontiers l’augmentation nouvelle des subsides, quand ils peuvent croire que cent sous leur rapporteront tous les ans [•] cinquante sous ou cent sous de rente, ou la valeur en commodités.

§ 142

Mais quand les sujets voient que le souverain fait de grands bâtiments qui leur sont inutiles, qu’il fait des libéralités excessives, et d’autres dépenses extraordinaires qui ne leur rapportent aucun profit ; et quand ils n’ont aucune sûreté que les deniers qu’ils paient d’extraordinaire sont tous employés à leurs propres affaires ; quand les comptes de recette et de dépense ne sont point rendus publics, ils s’imaginent avec fondement que le roi est prodigue à leurs dépens, ils crient, ils murmurent souvent avec quelque raison, et se mettent à haïr le gouvernement et ceux qui gouvernent. Or cette haine publique est le commencement des [•] murmures, et les murmures donnent naissance aux révoltes.

§ 143

Je dis qu’ils murmurent souvent avec raison, parce que le roi lui-même murmurerait avec raison s’il était né sujet d’un prince semblable, qui [•] dépenserait mal à propos les revenus du public.

§ 144

Le peuple n’a jamais rien à craindre d’un prince équitable, et il est équitable quand il a soin de se demander à lui-même, lorsqu’il augmente un subside : Voudrais-je, si j’étais sujet, que le roi en usât ainsi avec moi, et qu’il me demandât ce subside pour telle dépense ? Voudrais-je qu’il ne rendît jamais une sorte de compte au public du revenu public ? Car pour son revenu domestique, que l’on appelle en Angleterre le revenu de la liste civile7, il ne serait pas raisonnable de désirer qu’il en rendît aucun compte à personne.

OBSERVATION XVII [•]
Diminuer le nombre et la qualité des subsides particuliers, en augmentant la quantité des subsides généraux

§ 145

Je propose [•] de diminuer le nombre des droits, et par conséquent le nombre des commis, en augmentant la taille, la capitation, les entrées, les droits sur le papier marqué, sur les actes des notaires, etc.

§ 146

Ceux qui paient les droits d’aides et de gabelles ne sont-ce pas les familles nobles, roturières et bourgeoises, qui paient la taille, la capitation dans les villages, et la capitation et les entrées dans les villes, le papier marqué, et les actes des notaires ? Or ne pourrait-on pas augmenter la taille, la capitation, et les entrées de la somme que produisent au roi les aides, la gabelle [•], le tabac et les autres droits, et sauver ainsi aux sujets la grande dépense des gardes [•] contre les fraudeurs, etc. ?

§ 147

La proposition paraît bien fondée, et tend à simplifier les subsides, et à diminuer le nombre des commis et les autres frais de recouvrement. Si l’exécution a ses difficultés, c’est peut-être moins dans la chose que dans la manière de tout arranger, et cela faute d’un bureau pour lever peu à peu ces difficultés [•]. Mais la proposition mérite d’être examinée et reçue, si la possibilité et l’utilité en sont bien démontrées, et les objections solidement réfutées.

OBSERVATION XVIII [•]
Fixer les pensions dans chaque ministère

§ 148

Je suppose que chacun des trois ministères [•] particuliers ait une somme à distribuer par an en pensions, et qu’il n’y ait par conséquent dans l’État qu’une certaine somme de pensions à distribuer.

§ 149

D’un côté il est raisonnable que ceux qui ont droit à la pension attendent qu’il en vaque, et de l’autre il n’est pas juste que les pauvres familles paient des pensions à des personnes qui ne leur ont procuré aucun avantage, aucun profit plus grand que les autres officiers, qui sont suffisamment payés par leurs appointements ordinaires. C’est que [•] le fondement de tout subside que l’État lève sur les familles particulières, c’est ou le mal dont ce subside les garantit, ou le nouvel avantage que ce subside leur a procuré.

§ 150

Si les maux dont le subside les exempte, si les biens qu’il leur procure, ne valent pas le subside ; et si chaque sujet pouvait tirer plus d’avantages du non-paiement que du paiement de tel subside, ou de telle augmentation du subside, ce subside serait injuste. Ce n’est pas un subside digne d’un bon roi, c’est un subside digne d’un tyran, qui sacrifie ses sujets et leur bonheur pour satisfaire ses fantaisies.

§ 151

Que fait un voleur en volant un citoyen ? Il se sert de la supériorité de ses forces pour envahir le bien des autres. Le voleur est un petit tyran, comme le tyran est un grand voleur. Telle est la raison, tel est le fondement de tout subside juste.

§ 152

On peut distribuer quatre fois par an les pensions qui vaqueront ; mais pour faire un état certain des charges annuelles, il est à propos que l’état des pensions soit fixé à une somme certaine, et que les pensionnaires futurs attendent qu’il vaque des pensions, et qu’ils soient élus par le scrutin de trente pareils, à la pluralité des voix.

OBSERVATION XIX [•]
Addition à l’ouvrage sur l’Académie politique8, etc. [•]

§ 153

1. L’Académie politique de France, selon ses différents bureaux, examinera les projets pour perfectionner les règlements qui seront faits sur chaque matière de finance, pour rectifier les anciens articles, et pour y en ajouter de nouveaux [•] ; rejettera les mauvais, et renverra les bons projets rectifiés aux différents bureaux du Conseil, suivant leurs différentes matières.

§ 154

2. Elle aura soin de faire réimprimer tous les dix ans les règlements, et d’en faire faire deux éditions, l’une sans motifs, et l’autre motivée [•].

§ 155

Il est vrai qu’il serait à désirer que les règlements fussent moins imparfaits, et qu’on ne pût rien trouver ni à y ajouter ni à y corriger en cent ans. Mais il n’est pas possible qu’ils ne tiennent de la nature des hommes qui les font, et dont les lumières sont bornées. Il est nécessaire que la raison d’une nation aille toujours en croissant par les nouvelles réflexions, et par les nouvelles expériences des enfants qui ont profité des lumières de leurs pères ; surtout lorsque la nation n’en est empêchée, ni par les guerres civiles, ni par les guerres étrangères, ni par la tyrannie de la superstition, ni par la jalousie des ministres mauvais citoyens.

§ 156

3. Elle fera imprimer de temps en temps les mémoires qui ont été récompensés, après avoir été réformés par le bureau ; et cela pour servir d’instruction à ceux qui voudront étudier ces matières [•].

§ 157

 [•]Il faut donner aux étudiants toutes les facilités possibles pour apprendre ce qui est démontré, et pour inventer. Car ce sont ces étudiants qui doivent un jour peupler l’Académie, par le scrutin entre leurs pareils.

§ 158

De cette sorte il sera facile, à tout homme qui voudra avoir connaissance générale de toutes les parties de la politique, d’acheter le recueil politique de chacun des trois ministères particuliers, ce qui lui composera une bibliothèque complète de politique.

§ 159

Comme ces [•] recueils seront imprimés à peu près tous les dix ans avec diverses augmentations, et diverses corrections, produites tant par les nouvelles réflexions que par les nouvelles expériences, on verra d’un côté les progrès sensibles de la raison humaine, et de l’autre on sentira que le gouvernement devient tous les jours plus éclairé pour augmenter la félicité des peuples.

§ 160

4. Les bureaux du Conseil auront soin de perfectionner la méthode du scrutin. Ce perfectionnement consiste en trois points : 1° à étendre cette méthode à toute sorte de choix ; 2° à faire en sorte que les nominateurs se connaissent entre eux, le plus qu’il est possible ; 3° à proposer de faire de nouvelles classes inférieures, pour mieux remplir par âge, et par degrés de mérite, les classes supérieures.

§ 161

Le ministre des Finances, avec le secours des bureaux [•] des intendants des finances qui le soulageraient des affaires particulières, aurait beaucoup plus de temps à penser aux affaires générales. C’est qu’il aurait pour ainsi dire à son service toute l’intelligence [•], le travail et l’autorité de ces différents bureaux. On peut en dire autant des autres ministres, qui auraient pareils bureaux consultatifs.

§ 162

Quand il sera venu au ministre des Finances quelque vue pour le bien public, dont il n’aura pas le loisir d’examiner toute l’utilité, ni les moyens les plus faciles de l’exécuter, il pourra la donner à l’intendant des finances, qui sera président du bureau de la matière, pour la faire approfondir par quelque membre du bureau, qui en fera alors honneur à l’inventeur. Mais si le ministre prétendait avoir l’honneur de tous les bons projets des autres, il ôterait tout d’un coup le principal ressort des esprits excellents de tout le royaume, au grand préjudice du roi et du public [•].

OBSERVATION XX [•]
Membres de l’Académie politique

§ 163

Il faut imaginer l’établissement des Académies politiques et [•] des bureaux du Conseil, comme une route ouverte à tous les esprits supérieurs, appliqués à l’étude de la politique pour acquérir de la considération et [•] du revenu ; mais je suppose que le gouvernement nous délivre peu à peu de la vénalité des charges [•].

§ 164

J’ai indiqué ailleurs quelques méthodes pour diminuer dans le gouvernement de France le mal que cette vénalité y cause, en fixant le prix des charges et introduisant un choix entre les concurrents [•], comme on fait déjà à l’égard des compagnies et des régiments dans les emplois militaires9.

§ 165

Je suis de l’avis de ceux qui croient qu’en fait d’officiers il est à propos qu’ils soient choisis plutôt entre les riches qu’entre les pauvres10, mais non pas uniquement entre les plus riches ; car il y aurait trop peu à choisir, ce qui serait un grand inconvénient.

§ 166

Il y a une furieuse distance par rapport au bien public entre homme et homme, entre un homme très laborieux, très appliqué, très intelligent, et très bon citoyen, et entre un homme médiocrement intelligent, médiocrement laborieux, et médiocrement bon citoyen quoique riche, surtout dans un emploi considérable.

OBSERVATION XXI [•]
Sur les arrêts du Conseil de 1716 et 1724 pour les comptables

§ 167

On peut voir par ces règlements combien il serait à souhaiter que toutes les autres matières du gouvernement fussent également réglées et réduites à une mécanique simple, uniforme, et telle que toute malversation, toute friponnerie y fût évidente. Il est certain que les friponneries dont on préserve le roi sont autant d’impositions dont on préserve les peuples. Car lorsque les fonds ne sont pas suffisants, à cause des friponneries des comptables, ne sont-ce pas toujours les peuples qui sont forcés de rendre les revenus suffisants pour payer les charges [•] de l’État ?

§ 168

Je demanderais une édition motivée de ces règlements, dans laquelle on mît le motif, ou les motifs de chaque article, en petit caractère, après chaque article ; voici mes raisons :

§ 169

La première, c’est que ces motifs serviraient beaucoup à former la raison et la prudence du lecteur.

§ 170

La seconde, c’est que comme il aurait plus de plaisir à s’instruire des lois, les règlements sages seraient plus connus ; ainsi leur sagesse serait reconnue d’un plus grand nombre de sujets.

§ 171

La troisième, c’est que ces motifs arrêtent les fausses vues d’un ministre impétueux et trop hardi, qui, faute de connaître les avantages qui résultent de l’article qu’il veut abolir, et qu’il faut conserver, le révoquerait par des motifs bien moins importants que ceux qui ont contribué à le former.

§ 172

La quatrième raison, c’est que les ouvrages humains de cette espèce peuvent toujours être perfectionnés par les réflexions nouvelles, et par les nouvelles expériences de nos successeurs. Mais les ministres timides et paresseux trouvent un grand obstacle dans le trop grand respect qu’ils ont pour leurs prédécesseurs, lorsqu’ils ne voient pas les motifs de la loi ; au lieu que lorsqu’ils les voient, et qu’ils peuvent les peser contre des motifs plus importants que l’expérience a fait connaître depuis, et qui demandent le changement d’un article, ou l’addition d’un autre article, ils n’ont plus d’obstacles pour faire ce changement salutaire [•].

OBSERVATION XXII [•]
Compagnies poursuivantes contre les comptables

§ 173

Malgré les précautions et les peines ordonnées par les règlements, il y aura toujours des friponneries, si le roi n’établit pas une compagnie poursuivante immortelle, suffisamment intéressée par son intérêt particulier à solliciter les punitions des comptables coupables. On fera toujours très inutilement des ordonnances en faveur du public contre les comptables : 1° parce que, faute de lois pour certains cas, les juges ne peuvent souvent condamner les coupables à des peines suffisantes ; 2° parce que, faute de solliciteurs ardents et constants, c’est-à-dire suffisamment intéressés à l’exécution des lois en faveur du public, on ne poursuit pas longtemps, ni le jugement contre les coupables, ni l’exécution d’un jugement qui ne regarde que le bien public.

§ 174

Il ne faut pas compter que les règlements sur les finances, tant sur la recette que sur la dépense, soient suffisamment bons tant qu’ils ne s’observent point. Cette inobservation prouve incontestablement que la loi n’a pas assez intéressé d’hommes, suffisamment puissants à faire observer tel ou tel règlement, qui regarde l’intérêt général, c’est-à-dire l’intérêt du roi et de la nation.

§ 175

J’ai fait un mémoire pour la formation d’une compagnie perpétuelle, destinée à poursuivre l’exécution des règlements de police. Je l’ai inséré dans le mémoire pour diminuer les sources des procès11 [•]. Mais la compagnie poursuivante contre les comptables n’est pas moins nécessaire en France, et ailleurs. Elle sera suffisamment intéressée, quand outre les amendes elle aura encore à son profit la moitié de ce qui reviendra au roi par le nouvel examen. Je suppose que les gens du roi de la Chambre des comptes seront à la tête de cette compagnie poursuivante, et y auront part [•].

OBSERVATION XXIII
Pour perfectionner la capitation par la méthode des déclarations [•]

§ 176

Les petits maux, qui préservent ceux qui les souffrent de maux incomparablement plus grands, sont des maux très désirables, et de véritables biens. Tels sont les subsides que nous payons, quand ils sont employés à nous préserver des pillages, des incendies, des meurtres et des violences qui nous arriveraient, si nous manquions d’un nombre de troupes suffisantes pour nous garantir des malheurs des guerres civiles et étrangères.

§ 177

Tels sont aussi les subsides qui, avec le secours des ponts et des pavés, augmentent du triple notre commerce, et nous épargnent une infinité d’incommodités dans les voitures et dans les voyages.

§ 178

Je suppose que l’État ait besoin du subside de la capitation pour payer les troupes, les magistrats, les négociateurs, en un mot pour payer tous ceux qui nous rendent la vie moins fâcheuse et plus commode. Il me semble que c’est rendre service à l’État que de proposer une méthode avec laquelle on puisse rendre le subside annuel de la capitation beaucoup plus facile à supporter, et par conséquent beaucoup plus facile à recouvrer ; et c’est ce qui se peut faire facilement, en proportionnant ce subside annuel au revenu annuel de chaque capitable.

§ 179

Si par la lecture du Projet de taille tarifée12, le lecteur a bien compris la grande utilité et la facilité de la méthode des tarifs, des déclarations volontaires et des compagnies des collecteurs volontaires, il lui sera aisé de comprendre que l’on peut, dans le recouvrement de la capitation, en faire un usage très avantageux en faveur des capitables excessivement taxés par rapport à leur revenu.

§ 180

Il est certain que quant à présent, faute de règle, faute de point fixe, il y a grand nombre de capitables vexés, et les uns plus que les autres ; et plusieurs capitables protégés qui sont excessivement favorisés, et qui ne portant pas le poids qu’ils devraient porter, font tant, par leur crédit et par les protections qu’ils mendient, que les non-protégés étant surchargés, le recouvrement de leurs taxes se fait difficilement.

§ 181

Ce subside a l’avantage d’être général, aucun sujet n’en est exempt ; il s’étend dans les provinces d’états, comme dans les autres provinces ; il regarde tous les sujets de toutes les conditions ; il s’étend même sur les taillables. Mais en ne comptant ici ni la capitation des taillables, ni celle des pays d’états, elle rapporte à l’État des sommes très considérables. Il est donc très important d’en rendre la répartition proportionnée au revenu de chaque capitable, pour en rendre le recouvrement plus facile.

§ 182

Je pose pour principe que le roi ne prétend point, quant à présent, ni augmenter ni diminuer le subside de la capitation, mais seulement le rendre proportionné au revenu de chaque capitable ; en sorte que celui qui paie trop peu paie quelque chose à la décharge de celui qui paie trop. Je sais par exemple que la noblesse dans une généralité paie environ sur le pied du vingt-troisième denier, et que la noblesse d’une autre généralité paie sur le pied du trente-cinquième de son revenu : l’une sera augmentée, et l’autre diminuée, et le roi ne lèvera que la même somme.

PROPOSITION
La capitation doit être proportionnée au revenu du capitable

§ 183

On sait que l’établissement de la capitation ne se fit point d’abord par rapport au revenu du capitable, mais par rapport à la qualité, à la dignité, à l’emploi qu’il avait, à la profession, au métier qu’il faisait.

§ 184

Les cent chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, par exemple, étaient à une même taxe annuelle, comme s’ils avaient tous un même revenu annuel ; au lieu qu’il y avait entre eux des différences du triple, du décuple, et autres différences énormes. Tous les seigneurs de paroisses étaient imposés à une même taxe annuelle, et cependant il y en avait qui possédaient un revenu annuel, dix fois, vingt fois, quarante fois plus fort que les autres. Les marchands étaient tous à une même somme. Les conseillers des parlements avaient tous pareille taxe. Les colonels payaient tous une même somme. Cependant quelle prodigieuse différence entre le revenu ou gain annuel de marchand à marchand, quelle prodigieuse différence pour le revenu de conseiller à conseiller, de colonel à colonel !

§ 185

On voit que cette effroyable disproportion entre les revenus de deux capitables de même dignité, de même emploi, de même profession, mettait le Conseil dans la nécessité, ou de demander au pauvre capitable dix fois, vingt fois plus qu’il ne pouvait, et par conséquent dix fois plus qu’il ne devait payer ; ou de demander au riche dix fois, vingt fois moins qu’il ne devait payer : deux très grands inconvénients, l’un très injuste pour le particulier, qui était accablé d’une taxe excessive ; l’autre très opposé au service du roi et de la patrie, parce que le secours que l’État pouvait attendre d’un pareil subside ne pouvait pas être suffisant pour ses besoins, et ne pouvait pas rapporter la dixième partie de ce qu’il eût pu rapporter, si les taxes du riche et du pauvre de même dignité, de même emploi, de même profession, de même métier, eussent été non égales, mais proportionnées à leur revenu annuel, qui était très inégal.

§ 186

Cette méthode des taxes, faites par emplois, par charges, par dignités, par professions, par métiers, fut faite à bonne intention. Ce fut pour rendre ce secours plus prompt, et pour éviter l’inconvénient de la taxe arbitraire des intendants ; laquelle, faute de connaissance suffisante du revenu de chaque capitable, et par l’effet naturel des recommandations injustes, est ordinairement très disproportionnée et très injuste.

§ 187

Mais le Conseil s’aperçut bientôt que les taxes faites par la règle du métier, de la profession, de l’emploi, de la charge, de la dignité seraient encore plus disproportionnées sur les pauvres et sur les riches qu’elles ne pourraient jamais l’être, en suivant l’arbitraire des intendants les moins bien instruits et les moins équitables. Ainsi voyant que le revenu annuel doit toujours nécessairement être la base des taxes annuelles, si l’on veut d’un côté faire observer la justice entre les sujets, et de l’autre rendre les recouvrements possibles et faciles, et préserver en même temps les sujets des frais ruineux, les intendants eurent des ordres particuliers de ne plus suivre scrupuleusement l’édit, qui prenait pour fondement la règle si fautive de mettre des taxes égales sur les capitables qui avaient une qualité et une profession égales. Le ministre leur manda de répartir la capitation sur les capitables, en suivant autant qu’ils pourraient la seule règle qui soit raisonnable en pareil cas, c’est-à-dire de proportionner leur taxe annuelle à leur revenu annuel.

§ 188

Ces ordres particuliers étaient justes, mais il faut avouer qu’ils devaient être autorisés au moins par un arrêt du Conseil en explication de l’édit ; et jusqu’ici un pareil arrêt, si équitable, si désirable, si nécessaire pour autoriser la conduite des intendants les plus justes et les plus raisonnables, n’a point été donné. Et de là vient que les riches, quand on les taxe à proportion de leur revenu, font de grandes plaintes très injustes : ils prennent à partie les intendants, et soutiennent qu’ils ne doivent être taxés que suivant leur métier, leur profession, leur dignité, suivant le premier édit ; et le Conseil reçoit encore des plaintes contre les intendants qui n’ont fait qu’observer la justice. Or il est inconcevable combien ces sortes de plaintes injustes, lorsqu’elles sont écoutées à la cour, diminuent dans les bons intendants le désir qu’ils devraient toujours avoir de faire observer la justice.

§ 189

Il est vrai que la raison du Conseil de ne pas laisser la taxe à l’arbitraire de l’intendant est bonne : mais que signifient les ordres secrets de suivre pour principale règle la quantité du revenu du capitable ? Cela montre que si quelqu’un proposait au Conseil un expédient qui d’un côté ne laissât rien à l’arbitraire de l’intendant, et qui de l’autre fît suivre exactement et nécessairement, dans la répartition du subside, la règle de la proportion de la taxe annuelle au revenu annuel du capitable, atteindrait au but que le Conseil s’est proposé d’abord, par l’édit qui garantit de l’arbitraire des intendants [•], et ensuite par les ordres postérieurs et secrets de suivre la proportion du revenu du capitable.

§ 190

Le clergé, qui portait partie de l’impôt de la capitation sous le nom de subvention13, se donna bien de garde de répartir la part de sa taxe en suivant la règle de la dignité, de l’emploi, et de la qualité de l’imposable. Il n’eut garde de statuer que tous les curés, par exemple, seraient taxés à la même somme, que tous les chanoines n’auraient qu’une même taxe, que tous les abbés seraient à un même taux, que les évêques paieraient une taxe égale à leur qualité et à leur emploi. Le clergé du premier coup d’œil comprit que si l’on suivait cette méthode de répartition par les différentes classes formées sur les différentes qualités, les ecclésiastiques d’un petit revenu seraient accablés, tandis que ceux qui avaient un grand revenu ne porteraient presque rien du fardeau. Le clergé vit bien que d’un côté ce serait une extrême injustice, et de l’autre qu’il y aurait beaucoup de peines, de longueurs, de frais, et de mauvais deniers14 dans le recouvrement, causés par une excessive disproportion dans la répartition.

§ 191

Le clergé savait que dans plusieurs diocèses, les chambres ecclésiastiques répartissaient souvent le subside d’une manière un peu arbitraire ; mais il remarqua aisément que les disproportions qui résultaient de cet arbitraire n’étaient ni excessives, ni si nombreuses qu’elles eussent été en suivant la règle des dignités et des emplois.

§ 192

L’assemblée générale du clergé fit donc la répartition de sa part de la capitation ecclésiastique, au sou la livre des décimes anciennes sur chaque diocèse ; et la chambre ecclésiastique de chaque diocèse fit sur chaque abbé, sur chaque chanoine, sur chaque curé, etc., la répartition de la subvention au sou la livre des mêmes anciennes décimes : parce que l’on savait que dans le clergé, les anciennes décimes avaient été réparties, comme il était raisonnable, par rapport à l’estimation du revenu de chaque bénéfice.

§ 193

La capitation des taillables fut de même bien facile à répartir par l’intendant, avec une espèce de proportion sur les élections et sur les paroisses, et par les collecteurs sur les taillables, au sou la livre de la taxe de leur taille : et cela parce que l’on supposait la taille répartie, non par rapport au métier ou à la profession du taillable, mais par rapport à son revenu annuel.

Inconvénients dans la répartition arbitraire

§ 194

Le [•] Conseil dans la répartition de la capitation a commencé à la vérité à sortir du premier inconvénient, qui était très grand. Mais comme ce n’a été qu’en [•] se rejetant dans l’inconvénient de la répartition arbitraire, et en déférant à l’intendant le pouvoir de taxer les gentilshommes, les exempts, et les bourgeois non taillables, par rapport à la connaissance qu’il aurait de leurs différents revenus ou gains annuels, cette manière de taxer arbitrairement s’est trouvée de son côté sujette à un autre grand inconvénient. C’est que l’intendant [•] manquait de connaissance suffisante du revenu de chaque capitable.

§ 195

Ce second inconvénient est à la vérité moindre que l’autre, parce qu’il n’est pas sujet à des disproportions quintuples, et même plus que décuples, auxquelles la taxe par qualités, par emplois était sujette. Mais ces taxes arbitraires sont encore très disproportionnées, et vont souvent au double, et quelquefois au triple. Or c’est à ce défaut de connaissance suffisante que [•] je propose de remédier. Mais je suppose toujours un arrêt ou règlement du Conseil, dans lequel le roi, en se bornant toujours à la somme qui revient au Trésor royal de la capitation de chaque généralité, ordonne seulement la manière de la répartir.

§ 196

Le Conseil [•] a sagement fait de sauver par des ordres secrets un grand inconvénient par un moindre. Mais ce moindre, faute de règlement, produit encore un grand nombre de disproportions. Et il n’y a personne qui ne sache que l’on voit tous les jours des gentilshommes de même revenu payer l’un moitié plus que l’autre ; deux bourgeois payer égale taxe, quoique l’un ait le double de revenu de l’autre. Il est évident que si tous ceux qui sont moins taxés, à proportion que les autres, portaient leur part du fardeau général proportionnément à leur revenu, ils ne souffriraient aucune injustice ; et que les trop chargés en seraient soulagés d’autant, et qu’ainsi les opprimés ont raison de crier.

§ 197

 [•]L’intendant est d’un côté dans la nécessité de répartir la capitation sur un grand nombre de familles nobles, et sur un nombre beaucoup plus grand de familles non nobles, bourgeois de villes exemptes de taille ; et de l’autre, il est dans une impossibilité absolue de connaître suffisamment par lui-même le revenu de chacune de ces familles nobles et non nobles : de sorte qu’il se trouve nécessairement forcé de s’en rapporter à gens qui souvent n’ont guère plus de connaissance que lui du revenu de ces familles, et qui ont toujours des intérêts ou de vengeance et de haine contre les uns, ou de parenté ou d’amitié pour les autres.

§ 198

 [•]Je suppose que l’intendant soit juste, et que par conséquent il n’ait dans la répartition aucune complaisance ni pour ses amis ni pour ses complaisants, aucune attention à se venger de ceux qui lui résistent, et aucune déférence pour les recommandations des personnes puissantes : on voit toujours quelle prodigieuse quantité de disproportions doivent nécessairement naître du seul défaut de connaissance suffisante dans l’intendant des différentes sortes de revenus de chaque capitable, et combien de grands inconvénients, de frais, de mauvais deniers, de plaintes, il doit nécessairement naître, et pour les particuliers et pour l’État, de ces injustices et de ces disproportions.

§ 199

 [•]Il est donc certain que le roi, les sujets, et même l’intendant, doivent tous souhaiter qu’il y ait une loi qui règle toujours avec proportion la capitation pour chaque capitable, et que cette loi soit faite de manière que les recommandations injustes et puissantes n’en puissent jamais empêcher l’observation.

Moyens pour garantir les capitables de la disproportion

§ 200

 [•]Le premier moyen, c’est d’établir un bureau pour examiner ce mémoire, et les autres mémoires qui seront donnés par les intendants à qui le Conseil enverra celui-ci, afin de le rectifier, ou de donner une meilleure méthode.

§ 201

 [•]Ce bureau sera le même que celui destiné à rectifier le subside de la taille, sous la direction de l’intendant des finances qui a les deux départements. J’ai déjà donné un mémoire sur la nécessité d’un pareil bureau pour la taille proportionnelle et tarifée, et sur les moyens de le faire réussir. C’est un moyen général, mais voici les autres moyens subalternes que je propose à ce bureau.

§ 202

 [•]1. Le règlement donnera à tout capitable la liberté de signer dans un registre, au greffe de la capitation, la déclaration et l’estimation en gros de son revenu suivant les modèles ci-après.

§ 203

 [•]Louis de…, écuyer, a déclaré que son revenu annuel, en déduisant le dixième pour la régie et pour les réparations et les rentes qu’il doit, monte à la somme de 2300 £, année commune, et qu’il a quatre enfants, dont un dans le service, ce… jour de, etc.

§ 204

 [•]Le règlement portera que la nourriture de chaque enfant sera estimé la vingtième ou autre partie du revenu, et que les enfants au service passeront pour double charge, il est toujours à propos de marquer une distinction suffisante pour les familles qui produisent des officiers ou des soldats [•].

§ 205

Les intendants fourniront encore quelques autres modèles, selon les autres cas. Le règlement portera que les réparations des moulins seront estimées au tiers du revenu des moulins.

§ 206

2. Il sera fait par chaque élection un rôle pour la noblesse, séparé des autres rôles des exempts et des bourgeois de ville qui sont exempts de taille : parce que la noblesse ne doit pas être confondue, ni avec le peuple, ni avec les simples exempts. Et effectivement il est important pour conserver l’émulation des sujets aux travaux utiles au public, non seulement de conserver les degrés de distinction déjà établis entre les différents ordres de l’État, mais de multiplier au contraire ces degrés de distinction dans chacun de ces ordres : afin d’augmenter cette émulation, qui est un ressort si puissant et si utile au bon gouvernement, lorsqu’il est dirigé par de sages lois [•].

§ 207

Tant que les membres de la noblesse se destineront volontiers, comme ils font pour la plus grande partie, aux emplois de la guerre, qui sont les plus pénibles, les plus dangereux, et les plus importants pour le salut de la patrie, il paraît juste de traiter la noblesse avec une distinction suffisante dans la répartition du subside : de sorte que si le bourgeois dans la capitation paie, par exemple, deux sous pour livre de son revenu, il est à propos que le Conseil ne demande au gentilhomme qu’une somme moindre [•].

§ 208

Il semble qu’il serait à propos que le règlement ordonnât que les gentilshommes qui demeurent dans les villes, où ils paient les droits d’entrée comme le reste des bourgeois, auraient un tarif moindre que les gentilshommes qui demeurent dans les campagnes, où ils ne paient point d’entrées [•].

§ 209

Je suppose que la capitation de la noblesse d’une élection, y compris les veuves, monte présentement à vingt mille livres : si elle est trop forte d’un huitième par rapport à la capitation de la noblesse de l’élection voisine, l’intendant, en voyant les revenus totaux des nobles de toutes les élections de la généralité, pourra facilement les proportionner à leur revenu ; et le Conseil, qui aura les totaux des revenus des nobles de toutes les généralités, pourra facilement proportionner les généralités entre elles par rapport au total des capitations des nobles de chaque généralité, proportion qui, sans ces déclarations et cette connaissance, a été jusqu’à présent impossible dans la pratique.

§ 210

3. Je suppose que conformément au règlement, l’intendant ait nommé cinq gentilshommes résidant à la ville de l’élection ou dans le voisinage pour faire tous les ans en sa présence la répartition de la capitation [•].

§ 211

4. Le règlement ordonnera que ces cinq répartiteurs estimeront en gros le revenu des capitables nobles qui n’auront point fait leur déclaration.

§ 212

5. Je suppose que le Conseil ordonne que par les répartiteurs, en présence de l’intendant, les déclarants seront diminués d’un cinquième de leur capitation ; et que de tous les cinquièmes ainsi retranchés, il en sera fait une somme totale, qui sera répartie dans le rôle au sou la livre sur les non-déclarants.

§ 213

Il est évident que par ce moyen on aura en deux ans toutes les déclarations des capitables nobles de chaque élection. Car si quelques opiniâtres aimaient mieux payer le double plus qu’ils ne paieraient en donnant leur déclaration en gros, ils ne seront pas longtemps sans se repentir de leur opiniâtreté ; et sans trouver qu’il vaut encore mieux déclarer en gros son revenu comme les autres, et le déclarer juste, que de payer le double de ce qu’ils doivent payer en ne le déclarant pas. Ainsi leur intérêt les condamnera, et à pratiquer volontairement la justice entre leurs pareils, et à déclarer la vérité à leurs juges, pour s’exempter d’une taxe excessive [•] du double.

§ 214

On comprend aisément que ceux qui ne déclarent point gagnent quelque chose à ne point déclarer, et le gagnent injustement sur ceux qui déclarent. Or le Conseil ne doit-il pas viser à faire cesser cette injustice ?

§ 215

On peut remarquer que l’on intéresse suffisamment tous les capitables à donner des déclarations, et à les donner justes ; puisque d’un côté les déclarants sont soulagés, et que de l’autre les non-déclarants, qui sont le plus petit nombre, sont regardés par le gros des gentilshommes comme gens qui veulent faire injustement porter de leur fardeau aux autres. Et n’est-ce pas le meilleur moyen de faire observer la justice entre les hommes que de trouver le secret d’intéresser le plus grand nombre à cette observation ?

§ 216

6. Je propose qu’à l’égard des nobles, le Conseil statue qu’ils ne seront point taxés, à moins qu’ils n’aient 200 £ de revenu, et que les déclarations de revenu ne contiendront point des sommes au-dessous de [•] cent livres. Ce sera une distinction agréable pour le corps de la noblesse, et cette distinction ne coûtera rien à l’État : puisque la somme demandée par le roi pour capitation sera toujours facilement recouvrée.

§ 217

On verra par les rôles [•] de la première année que quand ils ne seraient faits que moitié sur des déclarations véritables, moitié sur les estimations des cinq gentilshommes répartiteurs, les intendants, et par conséquent le Conseil, auraient déjà une connaissance bien plus exacte et bien mieux fondée que celle qu’ils ont présentement de la force du revenu des capitables.

§ 218

 [•]On voit que le rôle de la seconde année perfectionnerait de beaucoup cette connaissance, et que le rôle de la troisième année donnerait aux intendants et au Conseil une connaissance entière et exacte du revenu de la noblesse de chaque élection.

§ 219

À l’égard des familles nobles de chaque élection, on verra qu’en faisant un total de leur revenu, et répartissant le total de la capitation demandée par le roi au sou la livre de ce revenu, aucun ne souffrirait d’injustice et de disproportion ; chacun paierait sans frais et facilement sa taxe, et il n’y aurait jamais aucune plainte.

§ 220

On voit que si par le rôle on s’aperçoit que la taxe de la noblesse de telle élection est à un sou pour livre de son revenu par exemple, et que celle de la noblesse de l’élection voisine n’est qu’à huit deniers pour livre, et les autres élections à des proportions différentes : il est facile à l’intendant de faire une addition de tous les revenus de toutes les élections, et de voir quelle partie de ce revenu il faut prendre pour lever par proportion au revenu la somme demandée à sa généralité ; il verra si c’est le vingtième, le trentième, ou autre partie du total de ce revenu.

§ 221

De là on voit que le Conseil, pour faire une répartition proportionnée du total de la capitation sur toutes les généralités, n’a qu’à faire un total des revenus des nobles de toutes les généralités ; et voir combien au sou la livre de son revenu, chacun doit porter de la somme totale demandée à la noblesse.

§ 222

De là on voit enfin que le Conseil ayant aussi devant les yeux le total des revenus des capitables non nobles, il pourra facilement répartir le subside de la capitation : de manière que les capitables nobles portent, à proportion de leur revenu, moins que les capitables non nobles. Or voilà en gros la méthode que l’on cherchait [•].

§ 223

Si un gentilhomme veut passer durant quelques années pour un tiers, pour un quart plus riche en revenu qu’il n’est en effet, à lui permis d’estimer son revenu plus fort d’un tiers, d’un quart, en payant durant ces années un tiers, un quart plus de capitation qu’il ne doit. Et comme il ne déclare rien qu’en gros, comme dans le modèle ci-dessus, il n’est point obligé de rien dire au public du secret de ses affaires ; j’ai montré dans le Projet de taille tarifée qu’il y a à gagner, pour chaque sujet, de renoncer à tromper désormais les autres [•], en donnant une déclaration vraie de son revenu effectif en gros, parce qu’il a par la même voie des déclarations vraies des autres : sûreté égale qu’il ne sera jamais trompé, ni lui ni sa postérité, par les autres.

§ 224

En général on ne craint de déclarer que parce que l’on ne veut pas renoncer à tromper. Or n’est-il pas de la justice du législateur d’empêcher les injustices qui viennent de la tromperie ? Et d’un autre côté, la défiance ne diminue-t-elle pas considérablement le commerce ? Et n’est-il pas de l’intérêt de l’État d’extirper les tromperies et les défiances, qui diminuent si considérablement le commerce entre les citoyens ?

§ 225

7. Il est très important que le règlement porte que la noblesse de chaque élection soit taxée en corps pour la capitation, comme une paroisse est taxée en corps pour la taille. C’est qu’alors le corps de la noblesse de l’élection, et même chaque gentilhomme en particulier, est intéressé à faire en sorte que chacun soit taxé à proportion de son revenu : afin que ce que le gentilhomme favorisé paierait de moins qu’il ne doit ne soit pas rejeté sur lui, et sur ses pareils non protégés. Il faut faire en sorte que le gentilhomme vexé ne puisse pas dire avec vérité au gentilhomme favorisé et vexant : Vous me faites injustement porter partie de votre fardeau. Il est évident que le corps sera alors intéressé à demander et à poursuivre justice contre tout membre qui emploierait son crédit pour être favorisé injustement, et que chacun des vexés aurait sujet de se plaindre du favorisé.

§ 226

De même non seulement les cinq répartiteurs, mais encore le corps de la noblesse, seront intéressés à découvrir et à poursuivre la fausseté des déclarations trop faibles. Premièrement pour n’avoir point à porter partie du fardeau du faux déclarant, et en second lieu pour en partager l’amende à laquelle il sera condamné. Or c’est beaucoup que d’avoir trouvé un moyen de rendre odieux à son corps et à ses voisins quiconque cherche à vexer ses pareils, et de punir celui qui est assez injuste pour vouloir leur faire porter une partie de son fardeau. Mais la crainte d’une punition suffisante et inévitable fera qu’il n’y aura presque jamais de déclarations fausses [•].

§ 227

Par cette méthode l’intendant ne sera plus haï de ceux qui se croient trop taxés, puisqu’il ne sera que le témoin de l’estimation et de la répartition des cinq répartiteurs ; et que tous les rôles se faisant sur les déclarations, chacun sera par lui-même son propre répartiteur par sa propre déclaration. Or n’est-ce pas un véritable avantage pour un intendant honnête homme d’éviter ainsi la haine de plus de mille familles nobles, et de plus de vingt mille autres familles non nobles, qui se croient vexées par sa taxe ? Il est vrai qu’il n’aura pas le plaisir de faire vingt ou trente injustices, en faveur de vingt ou trente complaisants ses amis. Mais ne vaut-il pas mieux pour lui, en observant la justice, de n’avoir pas un grand nombre d’ennemis que d’avoir par la pratique de l’injustice un petit nombre de flatteurs, intéressés à lui inspirer des injustices qui lui attireront beaucoup d’ennemis [•] ?

§ 228

8. Le règlement portera que le gentilhomme non déclarant qui se croira vexé par l’estimation des cinq répartiteurs pourra appeler de leur estimation à l’intendant, en payant cependant par provision la taxe du rôle pour l’année courante ; et alors il donnera sa déclaration en détail à l’intendant, et les années suivantes sa déclaration en gros, si elle est juste, sera sa loi.

§ 229

9. Les rôles de la noblesse de toutes les élections seront faits sur un même modèle ; et après avoir été signés par les répartiteurs et par l’intendant, ils seront donnés au receveur de la capitation pour en faire le recouvrement [•].

§ 230

 [•]Il faut observer que la manière dont le gentilhomme a liberté de faire sa déclaration est bien plus commode que la manière dont on la demande aux non-nobles : puisqu’il ne la fait qu’en gros, au lieu qu’on la demande aux autres par articles détaillés. Il est vrai que les répartiteurs pour le bien du corps de la noblesse de l’élection, et pour leur propre intérêt, peuvent l’attaquer en fausse déclaration ; et alors il sera obligé de donner à l’intendant une déclaration en détail, suivant le modèle qui sera prescrit ; mais ils ne l’attaqueront pas, s’ils ne sont parfaitement sûrs qu’il déclare faux : car ils seraient condamnés eux-mêmes envers lui à deux cents livres d’amende ou d’intérêt.

§ 231

 [•]Or par cette déclaration en gros, il sera encore fort distingué des autres capitables, et même des bourgeois marchands : car ceux-ci seront obligés de donner en détail le revenu de leurs terres, de leurs maisons, de leurs rentes. Il n’y a que les effets qu’ils ont dans le commerce, dont il suffira qu’ils donnent leur déclaration en gros, comme nous avons dit dans le Projet de taille tarifée15.

Les cinq répartiteurs seront du nombre des déclarants

§ 232

Il est convenable que ceux qui sont préposés pour faire observer la justice dans la répartition donnent l’exemple, en prenant l’unique voie propre pour arriver dans la répartition du subside à l’observation de la justice.

§ 233

10. Il n’est pas juste que ces cinq répartiteurs travaillent sans quelque récompense pour faire observer la justice parmi leurs pareils. Ainsi par le règlement, ils auront à leur profit les deux tiers des amendes des faux déclarants, ils seront exempts de la moitié de leur capitation, et cette moitié sera rejetée sur le total de la capitation des autres gentilshommes, à qui ils procurent un aussi grand bien qu’est l’observation de la justice. Il pourra bien arriver que ces cinq seront réduits à trois, et puis à un, à cause du bon effet du registre des déclarations, mais ce sera par des règlements subséquents [•].

§ 234

 [•]11. Le règlement portera que si dans quelques élections les gentilshommes refusaient d’accepter l’emploi des répartiteurs, l’intendant pourra comme auparavant faire la taxe avec le député, jusqu’à ce que la noblesse de l’élection aime mieux avoir plusieurs gentilshommes répartiteurs.

§ 235

12. Le règlement ordonnera que le receveur observera une distinction en faveur de la noblesse, qui est de ne saisir jamais dans la maison d’un gentilhomme, mais seulement de saisir ses levées et fruits de ses terres, ses fermages, ou ses rentes [•].

§ 236

13. Dans une grande ville comme Paris, on divisera les communautés de nobles par environ cent familles nobles d’un même quartier.

Capitation des non-nobles

§ 237

L’autre partie de la capitation, qui n’est point unie avec la taille, regarde les bourgeois des villes exemptes de taille, et ceux qui par leurs charges sont aussi exempts de taille. Comme il y a dans toutes les villes un nombre prodigieux de familles qui se plaignent d’être excessivement taxées en comparaison de leurs voisins, il est très important de faire cesser ce nombre prodigieux de plaintes et d’injustices.

§ 238

1° Parce que le roi doit la justice à ses sujets ; 2° parce que la pratique de l’injustice rend le gouvernement dur et odieux ; 3° parce que les taxes excessives multiplient les mauvais deniers, les difficultés et les frais dans le recouvrement, et peuvent à la fin ruiner un grand nombre de familles, ce qui serait une grande perte pour l’État.

§ 239

1. Pour arriver à l’observation de la justice, le Conseil peut ordonner que l’intendant nommera, dans chaque paroisse d’une ville non taillable cinq répartiteurs non nobles par paroisse ; et si la paroisse est trop grande, il la divisera par quartiers.

§ 240

2. Ces cinq répartiteurs seront exempts de la moitié de leur capitation, et seront du nombre des déclarants.

§ 241

3. Je suppose que l’emploi de répartiteur soit regardé comme un bénéfice, et honorable et utile. Ainsi il est à propos qu’il circule tous les deux ans parmi les familles capitables non nobles de la paroisse ; mais que l’on y conserve les deux plus habiles, pour instruire les autres.

§ 242

4. Ces cinq répartiteurs non nobles feront dans leur rôle l’estimation des biens des capitables non nobles et non déclarants. Ils feront cette estimation en détail, et observeront de mettre dans la seconde marge la taxe de proportion produite par le tarif, et dans la première marge la taxe réelle ou taxe exigible. Il y en a un modèle dans le Projet de taille tarifée16.

§ 243

5. Le règlement statuera que les déclarants seront déchargés dès la première année du cinquième de leur taxe, et que ces cinquièmes seront rejetés sur les taxes des non-déclarants.

§ 244

Le Conseil a déjà mis en usage, dans le subside du dixième, l’expédient des déclarations, et même la punition du quadruple ; mais on n’avait pas alors proposé trois autres moyens de les faire donner justes.

§ 245

Le premier, c’est de former plusieurs petits corps des imposables, afin que tous les membres de ce corps fussent suffisamment intéressés à découvrir la vérité et l’intégrité de chaque déclaration.

§ 246

Le second, c’est d’imposer, outre la peine du quadruple, les deux cents livres d’amende contre le faux déclarant.

§ 247

Le troisième, d’intéresser suffisamment le corps et les répartiteurs à poursuivre le paiement de ce quadruple, et de cette amende, en la partageant entre eux.

§ 248

Tout ce détail se comprendra facilement par ceux qui ont vu le Projet de taille tarifée17.

§ 249

Le Bureau de la rectification des subsides de la taille et de la capitation, pour procéder avec plus de circonspection, n’a qu’à faire quelques essais du règlement dans quelques élections de quelques généralités, en promettant aux intendants une pension de six mille livres, s’ils réussissent à l’exécution des règlements de la taille et de la capitation. Il n’est pas raisonnable d’attendre d’eux qu’ils diminuent volontairement la considération que leur donne leur pouvoir arbitraire. Ce pouvoir pernicieux qu’ils ont de faire porter injustement aux uns la partie du subside qui doit être porté par les autres, à moins que la cour ne les dédommage avantageusement de cette partie de leur autorité, qu’elle ne leur ôte que pour la donner à la loi.

§ 250

On pourrait peut-être transmuer le subside de la capitation des habitants des villes exemptes de taille en augmentation sur les entrées. On épargnerait ainsi aux capitables les frais du recouvrement, car il n’en coûterait pas plus de gardes aux portes de la ville. On leur épargnerait encore les frais des exécutions et des procès, et les plaintes des excès de taxe. Mais il y a de fortes habitudes contraires, je ne les ai pas suffisamment pesées.

§ 251

6. La taxe par métiers et professions est aussi un très bon expédient, parce que ceux du même métier sont plus appliqués à connaître les facultés de ceux de leur métier.

§ 252

7. La capitation sera plus difficile à répartir dans la capitale que dans les petites villes ; mais on peut la diviser par quartiers, et par métiers ou professions, et mettre une compagnie de collecteurs volontaires à chaque quartier de la ville.

§ 253

8. Il est à propos que la capitation soit diminuée, à proportion de ce que produisent déjà les entrées de la ville. Car il est à désirer que les ouvriers de la campagne soient au moins aussi bien traités que les habitants des villes ; de sorte que si le taillable paie en tout le sixième de son revenu, le bourgeois en entrées et en capitation paie à peu près autant.

§ 254

9. Mais le point principal est de commencer par des essais dans quelques élections, dans trois ou quatre généralités.

OBSERVATION XXIV
Sur la défense de faire des plantations nouvelles en vignes [•]

REMARQUE I

§ 255

Il y a un grand préjugé contre l’utilité de cet arrêt18. C’est que si les propriétaires des provinces de vignobles doivent tirer de leurs terres, qui seront mises nouvellement en vignes, un quart plus de revenu que si elles restaient mises en blé ou en pâturages, il est contre l’utilité de ces provinces de défendre les nouvelles plantations en vignes. Car une loi qui tend à diminuer le revenu des terres, sans aucun avantage qui compense avantageusement cette diminution, est visiblement une mauvaise loi.

§ 256

Si au contraire ils tirent dans la suite moins de revenu de leurs terres mises en vignes que si elles étaient restées en blé, l’arrêt du Conseil qui leur défend de les mettre en vignes est très inutile : puisque sans arrêt du Conseil, ils se garderont bien de faire de nouvelles plantations en vignes.

§ 257

Or qui peut mieux connaître l’intérêt particulier des propriétaires sur la meilleure manière de faire valoir chacun leurs terres que les propriétaires eux-mêmes qui en jouissent par leurs mains.

§ 258

Par la même raison un arrêt du Conseil qui défendrait de mettre en froment de nouvelles terres, et celles qui ont été trois ans sans être cultivées en froment, serait inutile, s’il était conforme à l’intérêt des propriétaires, puisque les propriétaires connaissent mieux leurs intérêts particuliers que ne font les intendants et les ministres ; et serait au contraire très nuisible et contre la bonne police, s’il défendait la culture qui leur rapporte plus de revenu.

REMARQUE II

§ 259

Tout le monde sait à Bordeaux19 que depuis quinze ans, les vins de Guyenne se consomment dans une quantité plus grande de moitié dans les pays du Nord qu’auparavant. Serait-il de la bonne politique de laisser aller partie de ce commerce au Portugal, faute de faire de nouvelles plantations de vignes en Guyenne [•] ?

REMARQUE III

§ 260

La défense de cet arrêt tombe même sur des terres incultes, qui n’ont jamais porté de blé, qui n’y sont pas propres, et qui porteraient de bons vins si on y plantait des vignes [•].

REMARQUE IV

§ 261

On ne persuadera jamais à personne que les intendants et les ministres sachent mieux ce qu’il faut ou planter ou semer pour augmenter le revenu des terres de telle et telle paroisse que les vignerons et les laboureurs qui les cultivent eux-mêmes [•] à grands frais.

§ 262

De là il suit que ce qui s’oppose à la liberté du commerce et des propriétaires des terres n’est fondé que sur de vaines subtilités, fondées elles-mêmes sur de fausses supputations : parce qu’il n’y a personne si clairvoyant dans une affaire que celui qui y est intéressé, et qui peut facilement se corriger par sa propre expérience, sans avoir besoin d’arrêt du Conseil qui lui défende des dépenses qui lui seraient préjudiciables.

REMARQUE V

§ 263

Cet arrêt n’a pas sûrement été sollicité par les fermiers généraux des droits d’aides. Il n’a pu être demandé que par quelques intendants, trompés eux-mêmes par certains propriétaires de bons [•] vins, et par certains secrétaires qui avaient intérêt d’avoir beaucoup de permissions à [•] distribuer et à ne les pas distribuer gratis.

§ 264

S’ils pouvaient obtenir de même un arrêt de défense de mettre en pré [•] des terres labourables, ou des terres labourables en lin ou en chanvre, ils trouveraient le secret d’augmenter le nombre de leurs permissions, et de gêner ainsi l’agriculture. Car ces secrétaires ont eu un grand soin de mettre dans l’arrêt la nécessité de ces permissions, qui seraient données par le roi sur l’avis des intendants.

§ 265

Il est certain que cet arrêt se trouve fort dans les intérêts des propriétaires des vignobles des vins excellents, qui se sont aperçus que si de nouvelles terres voisines des leurs, et dans une meilleure exposition, et dans un meilleur terroir pour le vin, étaient mises en vignes, comme on avait commencé de les y mettre, la grande quantité d’excellent vin ferait diminuer le leur de prix.

§ 266

Mais la perte de quelques particuliers n’est-elle pas avantageusement réparée par le grand profit des nouveaux propriétaires des excellents vignobles, et par l’avantage qu’en retire le public, qui profite de l’émulation des propriétaires, à qui choisira mieux son terroir et son exposition, et à qui prendra plus de soin de la culture des vignes, et de la meilleure façon de faire le bon vin ?

§ 267

Les solliciteurs de cet arrêt ont apporté dans l’exposé différentes raisons pour l’obtenir. On va les voir en forme d’objections, et l’on verra par les réponses combien elles sont peu solides.

PREMIER MOTIF DE L’ARRÊT, OU OBJECTION I

§ 268

Le bois des cuves, des pressoirs et des barriques est fort enchéri, et enchérira encore dans les provinces de vignobles, si l’on n’y borne pas la culture de la vigne.

Réponse

§ 269

1. Qui est-ce qui achète ce bois, qui est-ce qui en a besoin ? N’est-ce pas le propriétaire des vignes ? Or si malgré cette cherté, il trouve encore son compte à mettre plutôt sa terre en vignes qu’à la laisser en blé, n’est-ce pas une preuve démonstrative que cette cherté ne l’empêche pas de gagner plus sur le vin qu’il ne gagnerait sur le blé ?

§ 270

2. Qui est-ce qui paie ce bois, si ce n’est l’acheteur ? N’est-ce pas l’étranger qui achète le bois avec le vin ? Et est-ce faire un préjudice à la nation que de lui donner occasion de vendre chèrement plus de bois de tonneaux aux étrangers ?

SECOND MOTIF DE L’ARRÊT, OU OBJECTION II

§ 271

Plus on met de terres en vignes, moins on en met en blé. Il faudra donc que la province tire davantage de blé, d’avoine, de paille, soit des provinces voisines, soit de l’étranger.

Réponse

§ 272

1. Qu’importe à la province de Guyenne, par exemple, de tirer plus de blé par le commerce, et plus chèrement d’un dixième d’une province voisine, que de le tirer de son propre fonds, et à meilleur marché : pourvu qu’elle tire par son vin un revenu plus grand d’un quart qu’elle ne tirerait [•] du blé de son propre fonds.

§ 273

2. Le propriétaire de la vigne sait bien son compte. Il voit bien que le blé, l’avoine et les fourrages lui sont enchéris d’un dixième ; et cependant il continue à cultiver de nouvelles terres en vignes, au lieu de les cultiver en blé. Qu’est-ce que cela prouve ? sinon qu’il gagne encore plus d’un côté qu’il ne perd de l’autre.

§ 274

3. Il est vrai que cette province dépendra pour un dixième plus des autres provinces pour le blé. Mais toutes les provinces de blé ne dépendent-elles pas de leur côté des autres provinces pour le vin ?

§ 275

4. À mesure que les provinces de vignobles mettront plus de terres en vignes, le blé enchérira chez elles, mais alors il se mettra plus de terres en blé dans les provinces de blé.

§ 276

De là il suit que la province de vignes gagne plus quant à présent à multiplier son vin qu’à multiplier son blé et ses fourrages, sans que les provinces de blé y perdent ; au contraire elles y gagneront, et tout le monde y gagnera.

§ 277

5. Je suppose que les provinces de vignobles mettent un dixième de plus en vignes, et les provinces de blé un dixième de plus en blé, les droits du roi augmenteront d’un dixième sur le vin qui paie un subside, au lieu que le blé n’en paie point. Voilà pourquoi les fermiers des aides souhaitent que cet arrêt soit révoqué, ou du moins anéanti par le non usage.

TROISIÈME MOTIF DE L’ARRÊT, OU OBJECTION III

§ 278

La culture des vignes occupe beaucoup plus de monde à proportion que la culture des blés.

Réponse

§ 279

1. J’en conviens, mais il en faut toujours revenir à supputer le revenu qu’apportent les terres en vignes. Si tous frais faits il est encore plus grand d’un quart que le revenu des mêmes terres cultivées en blé, il serait contre le bon sens, et contre la bonne politique, de défendre aux propriétaires de faire de nouvelles plantations en vignes [•].

§ 280

2. Ce n’est pas un mal, c’est au contraire un bien pour l’État qu’une manufacture, utile, qui occupe beaucoup de monde, se multiplie ; et l’on peut juger avec fondement qu’elle est plus utile que le blé, quand elle s’augmente plus que la culture du blé [•].

QUATRIÈME MOTIF, OU OBJECTION IV

§ 281

En multipliant les vignobles et le vin, on rendra le vin à trop bon marché.

RÉPONSE

§ 282

Le propriétaire aura bientôt reconnu que sa terre mise en vignes, tous frais faits, et attendu les casualités20, lui rapporte moins de revenu que la même terre mise en blé. Ainsi il quittera bientôt de lui-même la culture du vin pour la culture du blé. Mais tandis qu’avec les supputations qu’il sait mieux faire qu’aucun intendant, il trouvera qu’il y a à gagner pour lui à mettre de nouvelles terres en vignobles, serait-il raisonnable de l’en empêcher [•] ?

CINQUIÈME MOTIF DE L’ARRÊT, OU OBJECTION V

§ 283

Les bons vins perdront leur réputation, et par conséquent leurs prix : parce qu’il y aura plus de vins qui approcheront de leur bonté distinguée.

Réponse

§ 284

C’est ici le grand motif des solliciteurs de l’arrêt. Il est vrai qu’il y aura plus de bons vins, mais est-ce un malheur pour l’État ? Car si d’un côté les vins excellents se vendent un moindre prix, il arrivera que les autres propriétaires, en multipliant ces bons vins, feront entrer plus d’argent dans la province par la multiplication de ces bons vins.

OBJECTION VI

§ 285

Le blé est une denrée nécessaire à l’État, le vin n’est pas à beaucoup près si nécessaire. Donc il est de la bonne police de mettre plus de terre en blé que l’on n’y en met, et d’en mettre moins en vin que l’on n’y en met.

Réponse

§ 286

1. La première proposition est vraie, mais la vérité de la conséquence dépend de savoir si en l’état où sont les choses il n’y a pas dans le royaume assez de blé qu’il n’est nécessaire pour les habitants, et par conséquent s’il y est trop cher. Car si au contraire il y en a déjà trop, non seulement il n’y est plus nécessaire que pour vendre aux étrangers qui en manquent ; mais si les étrangers ne nous en demandent point, ce trop est nuisible, en ce qu’il devient à si bon marché que les laboureurs y perdant une partie de leur travail sont dégoûtés de semer du blé les années suivantes.

§ 287

Donc pour encourager les laboureurs à semer plus de blé, il faut qu’ils voient le blé suffisamment cher.

§ 288

C’est donc le prix du blé, et le prix du vin, qui doit décider s’il serait plus utile de mettre plus de terre en blé qu’en vin. Et qui est-ce qui est plus intéressé à connaître ces prix le long de l’année que les propriétaires des terres ?

§ 289

Et de là il suit que l’on ne saurait mieux gouverner l’agriculture qu’en laissant aux propriétaires des terres le soin de calculer ce qui leur rapportera plus de profit, de mettre telle terre ou en blé, ou en vin, ou en lin, ou en pâturage, en leur laissant leur ancienne liberté de choisir [•].

§ 290

2. Des deux denrées, blé et vin, celle qui est plus commode au commerce, et plus désirable pour les peuples du Nord, ce n’est pas le blé dont ils ont ordinairement en abondance, mais le vin, et surtout les eaux-de-vie qui leur manquent. Donc en supposant qu’il y a année commune dans le royaume plus de blé qu’il ne faut pour les habitants, il est du bon gouvernement de favoriser la denrée la plus commode pour le commerce. La denrée, qui pour le même prix est la moitié plus légère à transporter, est la moitié plus commode au commerce. Or du vin pour une pistole est la moitié plus léger que du blé pour une pistole, et l’eau-de-vie dix fois plus légère que le blé. Donc il est plus raisonnable de favoriser le commerce étranger du vin et de l’eau-de-vie que le commerce étranger du blé.

CONCLUSION

§ 291

C’est au Conseil de commerce à employer tous les moyens pour augmenter la liberté dans le commerce, et pour en diminuer toutes les contraintes. C’est son principal but, et cet arrêt va directement contre le principal but de ce Conseil, il contraint les vignerons. Ainsi il paraît que le roi doit révoquer l’arrêt du Conseil, ou faire mander aux intendants de n’y avoir aucun égard [•].


1.Subside : « Toutes les impositions qu’on fait sur les peuples, ou sur les marchandises, au nom du roi, ou de l’État » (Furetière, 1690).
2.Appelé aussi par l’auteur « Ministère des affaires avec les étrangers » et « Ministère de la guerre avec les étrangers » (OPM, Rotterdam, J. D. Beman, 1734, t. VIII, p. 114, 196…).
3.Voir le Projet de taille tarifée (éd. de 1723 ; Taille), le mémoire sur la capitation (ci-dessous, Observation XXIII), le Mémoire pour l’établissement des banques provinciales (BM Rouen, ms. 949 (I. 12), t. II, f. 85-113 ; Banques), le Mémoire pour augmenter la valeur des billets de l’État (BNF, ms. fr. 7759, 2e partie, f. 99-106 ; Billets), le Discours contre l’augmentation des monnaies, et en faveur des annuités (OPM, Rotterdam / Paris, J. D. Beman / Briasson, 1733, t. II, p. 199-230 ; Monnaies), le Projet pour rendre les rentes sur l’État d’un commerce plus facile et plus fréquent (OPM, 1733, t. IV, p. 215-225 ; Rentes), le Projet pour perfectionner le commerce de France (OPM, 1733, t. V, p. 193-316 ; Commerce).
4.Voir, sur cet épisode, l’Introduction de Joël Félix.
5.Claude de Bullion (1569-1640) est nommé surintendant des finances en 1632 et devient premier président au Parlement de Paris en 1636. Contrairement à ce que pense l’abbé de Saint-Pierre, cette déclaration devant notaire n’empêcha pas Bullion de s’enrichir considérablement dans ses fonctions, probablement grâce aux comptans, dépenses secrètes du gouvernement dont Richelieu avait dénoncé les abus (Richelieu, Testament politique d’Armand du Plessis, cardinal duc de Richelieu […], Amsterdam, H. Desbordes, 1689, p. 378-379) ; voir Yves Le Guillou, « L’enrichissement des surintendants Bullion et Bouthillier ou le détournement des fonds publics sous Louis XIII », Dix-septième siècle, nº 211, 2001, p. 195-213, en ligne.
7.« Liste civile » : « Revenu propre du Roi, & qui lui est octroyé à son avènement à la Couronne pour toute la durée de son règne » (Mémoire sur l’administration des finances de l’Angleterre […] attribué à M. Grenville, Londres, 1768, t. I, p. 52).
8.Il s’agit des Observations sur le ministère général (OPM, Rotterdam, J. D. Beman, 1734, t. VI, p. 51-78), reprises en partie dans le Nouveau plan de gouvernement des États souverains (Rotterdam, J. D. Beman, 1738, p. 78 sq.) : c’est à la pagination de ce dernier ouvrage que renvoie, pour cette addition, le manuscrit de Neuchâtel (C).
9.Sur ces mesures, voir Mémoire pour diminuer le nombre des procès, Paris, Cavelier fils, 1725, p. 225-231 ; Projet pour perfectionner le gouvernement des États, in OPM, 1733, t. III, p. 18-19, 36, 161-163.
10.Voir le Mémoire pour diminuer le nombre de procès, p. 227.
11.Il s’agit d’une Compagnie des justiciers, imaginée par l’auteur d’après un projet de Colbert (Mémoire pour diminuer le nombre des procès, p. 269-294).
12.Au moment de la rédaction de ces Observations, il s’agit de l’édition du Projet de 1723 ; voir Mireille Touzery, Taille, Introduction.
13.Taxe de deux sous pour livre établie en 1710, en sus des décimes et de la capitation, nommée subvention royale ecclésiastique pour éviter au clergé d’être confondu avec les autres sujets du roi ; Jean-baptiste-René Robinet, Dictionnaire universel des sciences économique, morale, politique et diplomatique, Londres, Libraires associés, 1780, t. XII, p. 99.
14.Les mauvais deniers désignent ce qui manque à une somme confiée ou promise et, ici, au montant attendu de l’imposition, pour raison d’insolvabilité par exemple. Faire les deniers bons c’est suppléer de son argent ou par répartition sur les autres imposables ce qui peut manquer à la somme attendue (voir Académie, 1718, 1762, art. « Faire »).
15.Au moment de la rédaction de ces Observations, il s’agit de l’édition du Projet de 1723 ; voir Mireille Touzery, Taille, Introduction.
16.Voir les modèles de rôle fournis pour des paroisses de l’élection de Valognes, Projet de taille tarifée, Paris, P.-F. Émery, Saugrain l’aîné et P. Martin, 1723, t. I, p. 150 sq.
17.Au moment de la rédaction de ces Observations, il s’agit de l’édition du Projet de 1723 ; voir Mireille Touzery, Taille, Introduction.
18.Il s’agit de l’arrêt du 5 juin 1731 qui étend à l’ensemble des provinces et généralités des mesures pour restreindre les nouvelles plantations de vignes, afin de remédier à la surproduction et à la dépréciation du vin et favoriser un rééquilibrage en faveur du blé.
19.Touché par un arrêt de 1725 concernant la Guyenne, Montesquieu, propriétaire et producteur, avait adressé en 1727 au contrôleur général Le Pelletier des Forts un mémoire contre la mesure ; voir Œuvres complètes de Montesquieu, t. VIII, Œuvres et écrits divers I, P. Rétat (dir.), Oxford / Naples, Voltaire Foundation / Istituto italiano per gli studi filosofici, 2003, p. 549-559.
20.Casualités : événements fortuits, accidentels. Terme rare, appartenant au droit coutumier, attesté dans Furetière (1690).