Le système des classes de 1665 à 1784 /
La réorganisation des années 1784-1815 /
L’Inscription maritime de 1815 à 1914 /
La carrière d’un inscrit /
Vers la fin de l’Inscription maritime
Bibliographie
Vers la fin de l’Inscription maritime, au XXe siècle
À la fin du XIXe siècle, le service à l’État des inscrits maritimes se rapproche peu à peu du service militaire des autres Français
La loi du 24 décembre 1896 assouplit encore davantage les obligations
des inscrits, qui se rapprochent peu à peu du service militaire
des « terriens », notamment lorsque la loi Freycinet (15 juillet
1889) établit pour ces derniers la conscription universelle, en
supprimant le tirage au sort et le remplacement. Certes, les inscrits
maritimes servent l’État plus longtemps que les conscrits
(cinq ans au lieu de trois vers 1900), mais ils profitent leur vie durant
de nombreux avantages. Tous les inscrits peuvent obtenir gratuitement
des droits de pêcherie sur les grèves et la concession de
parcs à huîtres. Les pêcheurs ont l’autorisation
de vendre directement leur poisson « au cul du bateau », sans
payer de patente. L’administration maritime supervise la formation
des équipages du commerce et de la pêche, via le rôle
d’équipage, document officiel qu’elle a rendu obligatoire,
pour obtenir les renseignements nécessaires à la tenue des
registres-matricules. N’hésitant pas s’interposer entre
les marins civils et leurs employeurs, elle contrôle de toute manière
le versement des salaires, puisque ils sont soumis à prélèvement
: les avances et les paies des marins étaient réglées
au « bureau de la Marine », sous le regard des agents de l’Inscription
maritime. Cette dernière imposait aux armateurs, considérés
comme comptables de la ressource humaine, d’engager les marins sur
la base d’un contrat de travail écrit donnant des droits
à la main-d’œuvre, en cas de maladie et de licenciement,
ce qui n’était encore le cas d’aucune catégorie
de travailleurs manuels. Au reste, l’emploi des marins naviguant
au commerce était garanti, puisque la loi, reprenant les termes
de l’Acte de Navigation de 1793, obligeait les compagnies arborant
le pavillon national à prendre ¾ de Français dans
leurs équipages. En contrepartie, l’État versait des
primes aux armateurs, pour la grande pêche et la navigation au long
cours. La protection sociale, ainsi devenue effective, se combinait avec
la tutelle de l’État sur l’ensemble des activités
maritimes. L’inscription maritime est cependant remise en question
au début du XXe siècle.
Contestation de l’Inscription maritime vers 1900
Ce système est contesté par les marins qui dénoncent une discipline tatillonne et l’interdiction de faire grève, droit acquis par les travailleurs terriens depuis 1864. Des syndicats de marins se forment, à l’instigation de ceux des dockers, tandis qu’une première vague de grève secoue le monde portuaire français vers 1900. Les attaques contre l’Inscription maritime proviennent aussi des armateurs et des hommes politiques. Dans L’avenir de la France est sur mer, un ouvrage de 1911 préfacé par Paul Doumer, Maurice Rondet-Saint fustige l’Inscription maritime, qui est dénoncée comme un fléau inutile et coûteux. Certains responsables de la marine de guerre se posent également des questions, car la masse des inscrits, composée de petits pêcheurs, ne correspond plus tellement à la demande de la flotte de l’État. En effet, les cuirassés exigent un personnel technique qualifié qui n’a plus grand-chose à voir avec celui des vaisseaux à voile et qu’il faut trouver, bien souvent, en dehors du système de l’Inscription maritime : en 1914, les inscrits ne fournissaient plus que la moitié des effectifs de la flotte. Néanmoins, l’Inscription maritime survit, parce que les marins y voient finalement plus d’avantages que d’inconvénients, dès lors que les autorités de la marine de guerre et les partis au pouvoir leur ont donné raison contre les armateurs ; dès lors aussi que le bénéfice de l’Acte de Navigation, lié à l’Inscription maritime, leur a donné l’arme pour faire plier leurs employeurs, sur la question des salaires et des conditions de travail. Du côté de l’État, des considérations électoralistes ont joué, mais surtout la certitude que le système allait apporter à la marine de guerre, dès les premières semaines d’un éventuel conflit avec l’Allemagne, les chauffeurs des paquebots, amarinés et directement opérationnels – pour faire traverser la Méditerranée à l’Armée d’Afrique, fer de lance de l’armée d’active.
Vers la fin de l’Inscription maritime, au XXe siècle
Dans ces conditions, le système de l’Inscription maritime
a survécu également à la Première guerre mondiale.
Les marins mobilisés en 1914-1918 ont joué un rôle
méconnu, mais essentiel. Les combats navals proprement dits ont
été rares, mais, après le transbordement réussi
de l’Armée d’Afrique (clé de la victoire de
la Marne), la marine de guerre (et ses personnels issus de l’Inscription
maritime) ont surtout assuré des croisières de blocus et
soutenu la lutte anti-sous-marine. Les navigants assuraient également
le transport maritime en travaillant dans des conditions très dangereuses.
Dans le cadre d’une guerre qui durait plus que prévu et prenait
un tour industriel, le rôle de la marine a été décisif.
Les navires de guerre nécessitent toujours un personnel très
nombreux, notamment à bord des cuirassés : celui du Danton
en 1906 est composé de 920 hommes ; celui Jean Bart II en 1955
comprend 1670 hommes. Ces effectifs sont comparables à ceux de
l’ancienne marine, puisqu’un vaisseau de 74 canons embarquait
environ 750 hommes d’équipage vers 1780. Au cours de l’Entre-deux-guerres,
tirant les leçons de la guerre quant à l’importance
logistique des forces navales, surtout pour une grande puissance coloniale
comme elle, la France met en œuvre une flotte de combat puissante
et bien outillée, sous l’impulsion de responsables prévoyants,
comme Georges Leygues, plusieurs fois ministre de la marine entre 1917
et 1933.
Toutefois, si la loi du 13 décembre 1932 maintient l’Inscription
maritime, les attaches entre les inscrits et la marine de l’État
se distendent. D’une part, les obligations militaires des inscrits
sont réduites à deux ans et la disponibilité à
trois ans. Il s’y ajoute une première réserve de quinze
ans et une seconde de huit ans À cette date, le service militaire
(à terre) ne dure plus que douze mois (depuis 1928) et fournit
déjà une partie substantielle des équipages de la
Marine nationale. D’autre part, la marine marchande s’est
affranchie de la tutelle du ministère de la Marine à partir
1913. En effet, à cette date, un sous-secrétaire d’État
en est chargé qui, en 1916, cesse d’être rattaché
au ministre de la Marine (de guerre). En 1929, la marine marchande est
enfin dotée d’une administration autonome, via un ministère
qui lui est consacré – dont dépend désormais
l’Inscription maritime.
L’Inscription maritime est supprimée par la loi du 9 juillet
1965, qui réorganise le service national et abroge au passage la
loi de 1932. Le contexte est celui de la fin de l’ère coloniale,
donc d’une certaine forme de puissance maritime, et du choix fait
de la dissuasion nucléaire – certes moyennant vecteurs navals,
mais il s’agit de sous-marins. Par ailleurs, alors que se profilait
la fin de l’époque des grands paquebots de ligne, la marine
marchande sous pavillon français entrait en déclin.
En vertu de la loi de 1965, l’expression d’« inscrit
maritime » est remplacée par celle de « marin de la
marine marchande ». Les professionnels de la mer accomplissent désormais
leur devoir militaire comme les autres jeunes Français, jusqu’à
la fin du service national en 1997. Enfin, le décret du 26 mai
1967 relatif au personnel de la Marine supprime toute référence
à l’Inscription maritime, qui devient l’administration
dite des « affaires maritimes ». Même si les liens sont
encore loin d’être rompus entre les navigants et la marine
nationale, l’Inscription maritime est morte au terme d’une
longue existence qui a duré exactement trois siècles, entre
1665 et 1965.
par Jean-Louis LENHOF et André ZYSBERG, CRHQ (UMR
6583, CNRS / Université de Caen Basse-Normandie),