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Pensées 207 à 211

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

207

On

Cruauté des Espagnols

ne peut penser sans indignation aux cruautés que les Espagnols exercerent contre les Indiens, et quand on est forcé d’ecrire sur ce sujet on ne peut s’empêcher de prendre le stile de declamateur.
Bartholomeo de Las Casas temoin oculaire de toutes ces barbaries en fait un recit horrible[1], les hiperboles dont les rabins se servent pour decrire la prise de Biter[2] ne presentent pas des idées si affreuses que la naiveté de cet auteur. Adrien punïssoit des revoltés, {p.210} ici l’on extermine des peuples libres des peuples aussi nombreux que ceux ceux de l’Europe disparoissent de la terre, les Espagnols en decouvrant les Indes ont montré en même tems quel etoit le dernier periode de la cruauté.
Il est heureux que l’ignorance dont les infidelles font professi
Il est heureux que l’ignorance dont les infidelles font profession leur derobe nos histoires, ils trouveroient la de quoi se deffendre et de quoi attaquer, s’ils jugeoient de notre religion par les idées que leur en auroient donné la destruction des Indiens, la st Barthelemi et cinq ou six traits aussi marqués que ceux la, qu’auroit on a leur répondre, car enfin l’histoire d’un peuple chretien doit etre la morale pratique du christianisme ; on a fait voir dans les Lettres persanes la vanité des conquêt pretextes qui avoient forcé les Espagnols a en venir a cette extremité, moyen unique de conserver et que par consequent les machiavelistes {p211}

Portugais

ne sçauroient nommer cruel ; on l’a prouvé par la conduite opposée des Portuguais qui ont eté chassés de presque par tout[3], mais le crime ne perd rien de sa noirceur par l’utilité qu’on en retire, il est vrai qu’on juge toujours des actions par le succés, mais ce jugement des hommes est lui même un abus deplorable dans la morale.
Si la politique a eté le motif, de la religion a eté le pretexte ; il y a long tems qu’un poëte s’est plaint que la religion avoit enfanté les plus grands maux, et il faut bien que cela fut vrai dans la religion payenne puisque cela n’est pas même toujours faux dans celle de J. C.

Faire servir Dieu a ses passions

Quel abus de faire servir Dieu a ses passions et a ses crimes ! Y a t’il de plus mortelle injure que celle qu’on ne que l’on fait sous pretexte d’honorer ?

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Main principale D

208

{p.212}

Y a t’il eu successivement plusieurs mondes ?

Que sçait on s’il n’y a pas eu successivement plusieurs mondes avant celui ci ? Cette hipotese donneroit bien naturellement l’origine des bons et des mauvais anges, il seroit convenable d’ajouter a chaque monde un jugement universel, les destructions de ces mondes ne seroient point des aneantissemens mais des derangemens.

- - - - -

Main principale D

209

[Passage à la main M]

Histoire d’une jeune Espagnole

Quelques années appres que les Espagnols eurent decouvert le nouveau monde un de leurs vaisseaux batu de la tempeste echoüa sur la coste d’une isle deserte asses eloignée du continent inconue[1] cette isle estoit deserte et il y a apparance que les habitans l’avy avoient peri avoit environ douze ans que [mots biffés non déchiffrés] les et que les habitants l’avoint abandonée car parce que l’air y estoit si mauvais qu’on n’y vivoit pas plus de trente ans le terrein estoit marecageux mais tres gras. L’isle estoit remplie {p.213} de vaches chevres si pleines de lait qu’elles se laissoint traire a l’envi et ce lait fut toujours la nourriture de notre Espagnol il comencoit a s’ennuy ce qui lui faisoit le plus de peine c’est qu’il estoit nu ayant jetté ses habits lors qu’il se sauva a la nage a la nage il y avoit plus de six mois qu’il estoit dans cette isle lorsq[u’]un jour qu’il estoit sur le rivage il vit une jeune fille de l’age de douze ans qui s’y beignoit soit qu’elle et c’estoit la seule persone qui fut dans l’isle soit qu’elle y eut elle avoit esté laissée encore enfant lors que je ne scai coment lorsque les habitans l’abandonerent, ils furent d’abort surpris touts deux mais ils sentirent bientost qu’ils n’estoient point ennemis a mesure que l’Espagnol s’approchoit la jeune Americaine s’approcha aussi, car elle n’avoit point apris a ignorer ce qu’il est impossible de ne pas scavoir

C’estoit une priere naturelle :

ils s’aimerent et se donnerent une foy qu’ils ne pouvoient pas violer ils eurent qu cinq enfans dont le plus vieux n’av quatre enfans et lors que le pere mourut l’ai {p.214} l’ainé n’avoit que cinq ans de quatre a cinq ans et la mere ne survecut que de quelques mois jours pendant lesquels elle apprit les chevres acoutumées laissant un petit peuple dont le plus agé n’avoit que trois ans et demi les chevres acoutumées a venir presenter alaiter les petits enfans continuerent toujours il y a apparance que l’ainé mourut et il se leva ils crurent et la mere ne survecut qu et arriverent sans accident a l’age de raison et la mere ne survécut que de quelques jours laissant dans l’isle quatre habitans dont le plus aage n’avoit que trois ans et demi les chevres pas encore quatre ans les chevres acoutumées a venir alaiter les petits enfans y vinrent toujours de meme et ces nourrices en eurent toujours soin
Des qu’ils eurent atteint l’aage de dix douze ans ils commencerent a sentir les desseins de la nature l’isle fut bientost repeuplée de facon qu’en quatre vints ans de temps dans l’espace de sept {p215} generations il s’estoit fait une nation qui n’avoit point d’idée qu’il y eust sur la terre d’autres homes ny un autre peuple ils se firent une langue.

C’est ce que j’ay reconu par ce que j’ay pu apprendre du pais et par l’histoire [...]

Une barque jettée par la tempeste dans l’isle elle se br deux homes ab echapés de la tempeste aborderent dans Un vaisseau fit ayant fait nauffrage aupres de l’isle deux homes qui se sauverent a la nage y aborderent il y av ils vinrent les habitans les recurent avec humanité et leur donnerent du lait qui estoit le seul mets que ils l’art et la natu qu’ils eussent encore immaginé
Lorsqu’ils eurent appris la langue du pais ils virent un peuple tout neuf
Un des insulaires demenda au vieux etranger quel age il avoit la lune repondit il a j’ay repondit il quatre vingt sdix ans qu’entendez vous par une année repliqua l’insulaire j’apelle année dit l’etranger douze revolutions de lune et a ce conte combien auriez vous de revolutions de lune {p. 216} laisses moy un peu songer j’en aurois mille quatre vints peut on mentir come cela dit l’insulaire quatre vints six fois fait douze revolutions depuis ma naissance quelle imposture s’ecria l’insulaire vous seriés donc plus vieux que voulés vous dire dit l’insulaire une revolution de lune est 29 tours de soleil laissés moi conter et vous seriés plus vieux que nos premiers peres ? Si vous ne me croyés pas dit l’etranger vous croirés peut estre ce jeune home qui est venu avec moy et qui est de la meme ville ou j’ay eu la pris naissance quoy dit l’insulaire y a t’il donc d’autres villes que les notres ? Oui dit le jeune estranger la ville dont nous sommes est presque aussi grande que la moitie toutte la motie de votre isle ne croyés pas que mon compatriote veuille vous en imposer il paroissoit presqu’aussi vieux que mon pere et s’il vivoit aujourd’hui il auroit pres de cent fois douze lunes douze cens lunes estoit de l’âge de mon pere qui s’il vivoit aujourd’hui n’auroit pas moins de 1080 revolutions de lune tout le peuple se mit a rire vous ries ne vous estonés pas de cela reprit le jeune home nous vivons longtemps {p.217} dans notre famille j’ay oui dire a mon pere que mon ayeul mourut apres 90 fois douze lunes mon bisayeul en avoit septante soixante dix dieux quels mensonges s’ecria l’insulaire ; je suis fils de Heptalip son pere s’apelloit Berzici qui estoit fils de Agapé qui ne vecut que quinze ans le pere d’Agape estoit Narnacun qui naquit d’une chevre aussi bien que Neptata sa fame et sa seur dont vous estes descendu come nous.
Remarqués qu’il faut que ce soit le vieux plus jeune etranger sorti de l’isle qui raconte l’histoire. Remarques que dans les Indes les fames concoivent a huit ans : Peut estre pourray je entremesler cela d’un plus long roman.

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Passage de la main D à la main M

210

Lacedemoniens.

Je le metray dans les Romains : Je l’ay mis :

Il n’y a rien qui resiste a des gens qui observent les loix par passion, qui soutiennent un estat par passion

Passion

et {p.218} et non pas avec cette froideur et cette indifference que l’on a pour la le plus souvent pour la societé ou l’on est. Idem la plus part des republiques de Grece et les premiers Romains[1]

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Main principale M

211

La

Philosophie des Grecs

philosophie des Grecs estoit tres peu de chose ils ont gaté tout l’univers non seulement leurs contemporeins mais aussi leurs successeurs[1] ils s’ap
Voyés les pitoyables préceptes des pitagoriciens qui devoint estre cachés au peuple ; ne se point soir sur le picotin ne fendre point le feu avec l’epée ne regarder point derriere soy quand on va dehors, sacrifier aux dieux celestes en nombre pair et aux terrestres en nombre impair et et autres puerilités[2]

Tout ceci n’êtoit que des enigmes, nous n’avons point assés de monumens de leur [...]

Tatianus Assirius dans un discours contre les {p.219} Grecs prouve qu’ils n’ont point inventé les sciences et les arts mais qu’ils les ont eus des barbares[4] Theodoret l. i De curatione Graecorum affectuum p 497 edit de Sirmond[5]. Josephe contre Appion Clement alexandrin[6].
Il faudroit lire Sigonius De rep. Atheniensium je l’ay il est intitulé De antiquo jure civium romanorum[7].

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Main principale M


207

n1.

Le témoignage de Bartolomé de Las Casas est diffusé en France grâce à la traduction du protestant flamand Jacques de Miggrode, intitulée Tyrannies et cruautés des Espagnols perpétrées ès Indes Occidentales (Anvers, F. de Ravelenghien, 1579), et plusieurs fois rééditée. Sur la dénonciation de la cruauté des conquêtes espagnoles, cf. LP, 117 (121), p. 459 ; Traité des devoirs [1725], OC, t. 8, p. 438.

207

n2.

Biter ou Bitter (Bétar), place forte proche de Jérusalem où les insurgés juifs, sous la conduite de Barchochebas (Bar Kokhba), sont massacrés par l’armée d’Hadrien en 134. La répression aurait fait 580 000 morts selon le Dictionnaire de Moreri (Moreri, 1718, art. « Barcochebas »).

207

n3.

Cf. LP, 117 (121), p. 460.

209

n1.

L’histoire d’Hermès Trismégiste au livre III des Voyages de Cyrus de Ramsay [1727] et les fictions inspirées de la légende arabo-espagnole d’Hayy ben Yaqdhân qui relate l’histoire d’un enfant s’élevant seul dans une île déserte (Shelly Ekhtiar, « Hayy ibn Yaqzan : the Eighteenth-Century Reception of an Oriental Self-Taught Philosopher », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 302, 1992, p. 217-245) ont pu inspirer à Montesquieu cette ébauche d’apologue philosophique. Cf. nº 158.

210

n1.

Romains, IV, p. 112, l. 61-64. Cf. aussi nº 426 et 1856.

211

n1.

Selon les Modernes, avant d’en venir au mécanisme cartésien, il a fallu adopter la philosophie des Grecs et en reconnaître la fausseté (Fontenelle, Digression sur les Anciens et les Modernes, dans Œuvres complètes, A. Niderst (éd.), Paris, Fayard, 1991, t. II, p. 418 – Catalogue, nº 2333 : éd. Paris, 1712 ; Bernard Lamy, Entretiens sur les sciences, Lyon, J. Certe, 1694, « Discours sur la philosophie », p. 263, 265, 271 – Catalogue, nº 1449).

211

n2.

Préceptes métaphoriques des pythagoriciens, dont Plutarque donne la signification dans ses Œuvres morales et mêlées (Paris, M. de Vascosan, 1575, p. 7F – Catalogue, nº 2793) ; voir aussi Vie de Numa, XIV, 6.

211

n3.

De Diogène Laërce, invoqué ici comme vulgarisateur et premier historien de la philosophie grecque, Montesquieu possédait deux éditions des Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres ([Paris], H. Stephanus, 1570 – Catalogue, nº 1442 ; Genève, H. Stephanus, 1593 – Catalogue, nº 1443) ; « la pesanteur et le vide » de Newton renvoie probablement aux Philosophiae naturalis principia mathematica dont Montesquieu possédait une édition de 1714 (Amsterdam, sumptibus Societatis – Catalogue, nº 1773) ; sur la connaissance et l’appréciation de Newton par Montesquieu, voir : Alberto Postigliola dans OC, t. 8, introductions et notes, p. 191, 223n, 245-247, 262-263 et dans « Montesquieu entre Descartes et Newton », CM, nº 5, 1999, p. 91-108 ; Denis de Casabianca, Dictionnaire électronique Montesquieu, art. « Newton » [en ligne à l’adresse suivante : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/index.php?id=306] ; Spicilège, nº 565, transcrit, comme cette note, par le secrétaire E (intervention 1734-1739).

211

n4.

Tatien, Discours aux Grecs, 1 (Cologne, 1686, dans les Sancti Justini Opera – Catalogue, nº 355).

211

n5.

La bibliothèque de La Brède ne comprend pas l’édition des Opera de Théodoret par Jacques Sirmond à laquelle renvoie Montesquieu (Paris, S. Cramoisy, 1642, t. IV, p. 497), mais une plus ancienne (Cologne, J. Birckmanum, 1573 – Catalogue, nº 90).

211

n6.

Flavius Josèphe, Contre Apion, I, 2 (Genève, P. de La Rovière, 1611 – Catalogue, nº 3188) ; Clément d’Alexandrie, Stromates, I, 16 (Paris, [L. Sonnius], 1612 – Catalogue, nº 315).

211

n7.

L’ouvrage de Carlo Sigonio, De Romanorum civium antiquo jure Italiæ provinciarum (Paris, [J. Du Puys], 1576 – Catalogue, nº 2868), contient trois livres du De Republica Atheniensum.