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Pensées 1942 à 1946

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.
Q : 1750-1751.
S : 1754-1755.
V : 1754.

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Pensées, volume III

1942

{f.157r} [Passage à la main R] Seroit-ce une pensée trop hardie de dire que cette benediction particuliere par laquelle Dieu multiplia la race des patriarches[1], tenoit aux idées que leur donnoit la vie pastoralle. La terre étoit ouverte à touts, et quand le nombre des enfants croissoit on leur donnoit une certainne partie de betail, ce qui augmantoit la famille sans la surcharger ; et chaque famille formant un petit empire, l’augmantation de la famille faisoit la sureté de la famille. Ne pourroit-on pas dire que Dieu voulant benir le peuple israelite plaça ses recompenses sur une chose que les israelites croyoient être et sentoient être leur bonheur. Sans doute que Dieu nous a manifesté de plus grand dessains et une plus grande œconomie ; mais ne {f.157v} pourroit-on pas admirer sa sagesse, lá même où l’on semble considerer les choses d’une maniere humaine. Le grand nombre d’enfants etoit ches les Israelites le signe d’une benediction particuliere de Dieu, il n’est aujourd’huy que le signe d’une benediction genérale ; Dieu attribuoit une benediction particuliere à une chose qui étoit liée chés les Israélites à l’idée de leur sureté, aujourd’huy il n’attribue pas une benediction particuliere à une chose qui est si souvant liée aux idées de nôtre orgueil
J’ajouteray que cette benediction particuliere convenoit encore à un peuple chosy[2] pour être separé de tout les autres, qui {f.158r} quand il seroit établi devoit se maintenir par sa grandeur, et quand il seroit dispersé avoit à rendre à jamais un grand temoygnage.

Passage de la main Q à la main R

1943

La Grece du côté des terres étoit d’une force invincible : il falloit passer deux chaines de montagnes qui vont d’une mer à l’autre. Elle étoit invincible pour les Perses ; car ces montagnes une fois passées, ils se trouvoient dans un pais trés fort d’assiete. Entre ces montagnes et l’isthme de Pelonoponaise[1] qu’ils ne pouvoient passer : avec des petites armées, ils ne pouvoient pas conquerir ; avec des grandes armées, ils le pouvoient moins encore.
{f.158v} Une page blanche

Main principale R

1944

{f.159r} La Grece étoit invincible pour les Perses avec de petites armées ils ne pouvoient pas conquerir, avec de grandes armées ils le pouvoint encore moins. Il falloit qu’ils passassent les Termopiles[1] qui separoit la Phocide et la Locride de la Thessalie ; il falloit qu’ils passassent la chaine de montagnes qui separoit la Thessalie de la Macedoine ; aprés quoi il falloit vivre dans les païs steriles qui sont entre ces montagnes et l’isthme de Corinthe, lesquels sont trés bornés
[f.159v-246v] Cent soixante-quinze pages blanches

Main principale R

1945

{f.247r} [Passage à la main P] Doutes jusqu’a la p 256 :

S’il arive quelque fois que Dieu predestine

Prédestination

, ce qui ne peut arriver que rarement, car il n’arive que rarement que Dieu nous ote la liberté il ne peut jamais nous predestiner qu’au salut. Ceux qui sont predestinés sont sauvés, mais il ne s’en suit pas que tous ceux qui ne sont pas predestinés soient damnés. St Paul qui à porté le plus loin la predestination est pour ce que je dis. Scimus autem quoniam diligentibus deum omnia cooperantur in bonum iis qui secundum propositum vocati sunt sancti[1]. Remarquez bien les paroles qui suivent. Nam quos prescivit et prædistinavit, quos autem prædistinavit hos et vocavit, et quos vocavit, hos justificavit, quos autem justificavit illos et glorificavit[2]. Ell Ce n’est que pour dire quos prædistinavit hos glorificavit[3]. La prescience predestionnation est un signe deu salut. Ce que je pourois dire la dessus ne vaut pas ce que’un {f.247v} de l des melieurs interpretes de St Pauul a dit, c’est Sedulius qui à fait un commentaire sur les Epitres de saint Paul presque tout tiré d’Origene, de St Jerome et de St Ambroise cet auteur dit quos præsciuit et prædisestinauit, de bonis tantum dicitur, cæteros vero non præscrire[4], sed nescire dicitur deus[5]. Il en ajoute ensuite la raison, c’est dit-il que tout ce qui est mal est indigne de la science ou de la prescience de Dieu[6].
L’apotre continue ensuite dans le chap. 9. car quoy qu’on luy ait donné les sens du monde les plus durs, on peut dire cependant que ce n’est que la continuation des mêmes veritées, il nous donne une image de la predestination dans l’exemple d’Isaac dans celuy de Jacob tous deux choisis de Dieu parmi leurs freres, cum enim nundum nati essent, aut aliquid boni egissent aut mali ut secundum electionem propositum dei maneret {f.248r} non ex operibus dsed ex dei vocatione dictum est ei quia major servi et minori[7], et ce Jacob dilexi, Esaü autem odio habui[8] que l’apotre cite ensuite ne veut pas dire que Dieu à reprouvé Esaü, ny etre un simbole de la reprobation des hommes qui ne sont pas predestinés figurés par Esaü.
Car il n’y a personne, point de thomiste si outré qui veuille donner à ces paroles un sens etroit, ny dire que Dieu ait veritablement hai Esau, n’y endurci personne, et certainement le raisonnement que St Paul fait ensuite prouve bien clairement qu’il n’a point voulu dire que Dieu ait jamais pu faire un decret de reprobation, ou si vous voulez fait que tous ceux qu’il n’a pas predestinés au salut fusent destinés à la colere, parce qu’on fairoit faire un faux raisonnement à l’apotre. O homo tu quis es qui respondeas Deo nunquid dicit figmentum ei qui se {f.248v} finxit, quid me fecisti sic annon habet potestatem figulus levi ex eadem massa facere aliud quidem vas in honorem, aliud vero in contumeliam[9]. Si saint Paul parloit d’une predestination sans laquelle on ne peut etre sauvé il raisonneroit mal, car l’homme ne se plainderoit pas de ce que Dieu l’auroit fait d’une certaine maniere, mais de ce qu’il le puniroit parce qu’il seroit ainsi sorti de sa main, injustice criante. Il faut donc que St Paul ne parle icy que de la predestination que de la maniere que je l’entends, c’est a dire d’une predestination que Dieu accorde quelque fois à l’homme avec laquelle il est infaliblement sauvé, mais sans laquelle il ne laise pas de pouvoir etre sauvé. Aussi n’i a-t-il qu’à voir sur quoy St Paul raisonne dans ce chapitre, les precedents, et les suivans. Ce n’est que sur la vocation des gentilles gentils qu’il à predestiné et qu’il à appellé gratuitement vocation, qu’il n’a pourtant pas exclus les ju juifs {f.249r} du salut, c’est pour faire taire les murmures des juifs qui se pleignoient de ce qu’on ne les distinguoit pas des gentils. Les raisons que rend l’apotre se raportent a peu pres a la parabole de Jesus Christ sur les ouvriers. Voiez dans le chap. 11. de la meme epitre ou il dit aux gentils que comme Dieu les à choisis apres que les juifs sont rejetés, ils doivent craindre que Dieu ne choisise les juifs a leur tour. Sicut enim aliquando vos non credidisti deo, nunc enim misericordiam concecuti estis propter incredulitatem illorum, ita et isti nunc non crediderunt in vestram misericordiam ut et ipsi misericordiam consequantur[10], apres quoy il s’écrie altitudo divitiarum[11] afin qu’on ne demandat pas raison à Dieu des graces qu’il fait, mais il n’est pas question des peines.
Quand St Paul dit que Dieu a predestiné l’un pour etre le fils de la colere, l’autre pour etre {f.249v} le fils de la misericorde, il veut dire que Dieu à à vv vü generalement qu’il y auroit des damnés et des sauvés sans sacrifier tel ou tel, car il voioit bien par l’arangement des causes secondes qu’il y en avoit qui seroient bien plus susceptibles des objets que les autres.
Du reste ce sont des idées jetées, et comme elles me sont venues dans l’esprit sans examen, et je ne me pique pas d’etre theologien.
Je proposeray encore icy un doute, il ne faut pas trop presser l’idée que l’offense d’un etre fini envers un etre infini est toujours infiniee, car toutes les infinitées etant egales ; il s’en suiveroit[12] que toutes les offenses seroient egales. Il faut avoir egard a la capacité de l’etre qui offense qui n’a rien d’infini en luy
Ce sont des doutes.

- - - - -

Passage de la main R à la main P

1946

{f.250r} Quelques reflexions qui peuvent servir contre le paradoxe de Mr Bayle, qu’il vaut mieux etre athée qu’idolatre[1].

Avec quelques autres fragmens de quelques ecrits faits dans ma jeunesse que j’ay dechirés.
On ne peut juger des choses que par les idées qu’on en à. Or la premiere idée qui se presente à notre esprit c’est celle de la matiere. Tout ce que nous voions, tout ce qui nous entoure est materiel, il n’y à pas jusqu’aux sensations qui ne nous paraisent etre un attribut de la matiere, ce n’est que par l’etude de la philosophie qu’on peut se detromper, (je parle de la nouvelle, car l’ancienne ne serviroit qu’à fortifier les prejugés) il est même certain qu’avant Mr Descartes la philosophie n’avoit point de preuves de l’immaterialité de l’ame ; car {f.250v} l’ame ne se peut connoitre que de deux manieres par l’idée ou par sentiment tout le monde convient que nous n’en avons point d’idée, il est donc clair que nous ne la connoissons pas que par sentiment. Or la philosophie et les prejugez enseignoient aux payens que les sensations etoient des attributs de la matiere, il falloit donc qu’ils tirasent necesairement une de ces deux consequaences, ou que l’ame etoit materielle ou tout au moins que le corps etoit capable de sentiment. Or si le corps est capable de sentiment pourquoy luy refuser la pensée, certainement l’un ne repugne pas plus que l’autre.

Quoyque la p [...]

Et quand la connoissance des choses sensibles les elevoit jusqu’a leur autheur, elle ne pouvoit leur donner que l’idée d’un ouvrier qui avoit fabriqué le monde a peu pres comme un artisan compose une machine, et les cieux qui annoncent la gloire du createur ne leurs pouvoient point faire connoitre sa nature, c’etoit par le ministere des sens que l’homme s’etoit persuadé de l’existence de Dieu, c’etoit aussi par eux qu’il croioit devoir juger de son essence.
{f.251r} Quand l’homme eut une fois recu ce principe que Dieu etoit materiel il n’en resta pas la, et l’imagination se porta naturelement a determiner sa figure, il jug[e]a que la beauté devoit etre un de ses principaux attributs, et comme l’homme ne trouve rien de plus beau que luy même, il eut cru faire tort a la divinité, s’il luy avoit donné une autre figure que la sienne ; car comme dit l’epicurien Velleius dans Ciceron Lº 1º De natura deorum quæ compositio membrorum, quæ conformatio lineamentorum, quæ figura quæ species humana potest esse pulchrior quod si omnium annimantiunm formam vincit hominis figura, deus autem annimans est ea profecto figura est quæ pulcherrima sit omnium[2].
D’ailleurs comme la raison doit etre un des principaux attributs de Dieu, et que les sens semblent nous dire qu’il n’y à que les substances qui ont une {f.251v} figure humaine qui soient raisonnables, ils luy donnerent facilement une maniere d’etre de laquelle ils croioient que la raison etoit inseparable. Quoniam dit Velleius deos beatissimos esse constat, beatus autem esse sine virtute nemo potest, nec virtus sine ratione consistere nec ratio usquam inesse nisi in hominis figurâ, hominis esse specie deos confitendum est[3]. Ce ne sont point des raisonnemens de la philosophie, mais de la nature, des raisonnemens qui se forment dans les sens et l’imagination dont tous les hommes sont la dupe, et qu’on peut appeller les veritables fruits de l’enfance.
Les hommes accoutumés à juger par ce qu’ils voioient de ce qu’ils ne voioient pas, n’eurent pas plus de peine a se mettre dans l’esprit qu’il y avoit dans les dieux une difference de sexe, tous ces raisonnemens se faisoient sans attention l’esprit s’y accoutumoit à mesure que le corps s’avancoit en age, ainsi il ne faut pas s’etonner si la relligion payene telle qu’elle etoit se repandoit par tout l’univers, et ne laissa aux adorateurs du vray vray {f.252r}  du vray Dieu qu’un petit coin de terre. Chaque homme qui etoit idolatre avant d’etre raisonnable y apportoit en naissant une meilleure disposition ce qui la faisoit regarder regarder comme une relligion naturelle que la naisance même avoit produite dans l’homme avant l’education.
Mais pour mieux reconnoitre cecy jugeons des idées des payens par nos idées, et de leur situation par la notre. Quelle peine n’avons nous pas avec les secours de la foy et de la philosophie de nous faire à l’idée d’un esprit infini qui gouverne l’univers. Il est vray que par une serieuse attention nous pouvons vaincre la resistance de nos sens, mais si nous y prenons garde ils se revoltent aussitot, et rentrent dans leurs premiers droits. Tantot ils nous peignent un venerable vielard, tantot une colombe, etrange foiblesse de l’homme que la force meme de la foy ne sçauroit vaincre.
Mr Arnaut[4].
{f.252v} Quand les payens furent tombés dans cette opinion que Dieu avoit un corps comme les hommes, ils ne purent en rester la, la multiplicité des dieux etoit une suite trop naturelle de leurs principes, il leur etoit impossible d’imaginer un dieu simple, unique, spirituel, qui est partout, qui voit tout, qui remplit tout ils ne pouvoient cependant refuser à l’instinct de la nature de reconnoitre un dieu bien que materiel qui regit et gouvernat l’univers, et cette connoissance les jetoit infaliblement dans l’opinion de la multiplicité des dieux, car comment ce dieu massif auroit-il pu se transporter dans toutes les parties du monde à la fois, il falloit bien qu’il eut sous luy des intelligences qui fusent les ministres de ses volontées, et que ces intelligences eusent sous elles des divinités inferieures. Ils penso pensoient que Jupiter gouvernoit le monde, comme un monarque gouverne un etat, ces raisonnemens comme je l’ay deja dit sont des raisonnemens d’instinct, et on peut dire que la foy n’en a {f.253r} pas detruit toutes les impressions, il s’est trouvé dans ce siecle cy des philosopes[5] qui ne pouvant comprendre que Dieu put sufire a gouverner tout l’univers ont imaginé des natures plastiques[6] qui gouvernent sous luy, et ont mieux aimé recevoir un etre dont ils avouent eux mêmes qu’ils n’ont point d’idée que de reconnoitre qu’un etre simple puise gouverner tout l’univers immediatement.
On voit donc que les payens ne tomberent dans l’erreur que pour avoir tiré de justes consequences d’un faux principe qui est que Dieu à un corps, mais comme ils ne pouvoient en decouvrir la fauseté que par des raisonnemens de philosophie &c.
On ne manquera pas de me dire qu’il s’en suit de mon raisonnement que Dieu est trompe pur trompeur, et qu’il jette les hommes dans l’erreur sans toujours voir la verité. Je reponds qu’il n’est point point necesaire que Dieu nous donne assez de lumieres pour conserver notre etre. Cela doit nous sufire, il nous à faits aussi parfaits, et aussi imparfaits qu’il à voulu, il a pu {f.253v} nous rendre plus ou moins intelligens, quand il nous decouvre quelque chose il nous fait une grace, mais il pouvoit nous la cacher sans injustice ; Dieu nous trompe-t-il parce que les sens ces infidels tesmoins nous decoivent a chaque instant non non sans doute, peut-etre que Dieu n’a pas voulu que nous eusions plus de certitude des choses afin que nous connoissions mieux notre foiblesse.
Quant aux athées de Mr Baile la moindre reflexion sufit à l’homme pour se guerir de l’atheisme il n’a qu’à considerer les cieux et il trouvera une preuve invincible de l’existence de Dieu, il n’est point excusable lorsqu’il ne voit point la divinité peinte dans tout ce qui l’entoure, car dez qu’il voit des effets il faut bien qu’il admete une cause, il n’en est pas de même de l’idolatre, car l’homme peut bien voir et considerer l’ordre des cieux et rester opigniatrement dans l’idolaterie. Cette disposition ne repugne point a la multiplicité des dieux, ou si elle y est contraire ce ne peut etre que par une suite de raisonne {f.254r} de raisonnemens methaphisiques souvent trop foibles sans le secour de la foy qu’ils le peuvent decouvrir. Je dis plus peut-etre que la seule chose que la raison apprene de Dieu c’est qu’il y a un etre intelligent qui produit cet ordre que nous voions dans le monde. Mais si l’on demande quelle est la nature de cet etre on demande une chose qui passe la raison humaine, tout ce qu’on scait de certain c’est que l’hypotese d’Epicure est insoutenable parce qu’elle attaque l’existence d’un etre dont le nom est ecrit par tout.
Les payens auroient cru commetre un crime s’ils avoient changé de religion, et plus leurs dispositions etoient chretiennes, et plus ils devoient rester dans l’idolaterie
Voiez discour sur l’idolaterie en general.
Mais quand aux autres hypoteses qui regardent les attributs particuliers de cet etre on peut prendre celle qu’on voudera[7], et même si l’on veut on peut comme Ciceron les embrasser et les combatre tour à tour, car la raison ne nous dit point si cet etre à un corps ou s’il n’en à pas, s’il a toutes les perfections, s’il est infini, tout ce que nous sçavons c’est {f.254v} qu’il nous à crées : le roy Hieron aiant demandé à Simonide ce que c’etoit que Dieu, ce philosophe le pria de luy donner un jour pour y penser, le jour passé, le roy lui aiant fait une pareille question le philosophe luy en demanda deux[8]. Cette idée même si chere au pere Malbranche, l’idée de l’infini nous ne l’avons point, quoy que ce philosophe en ait fait le fondement de son sistheme, mais on peut dire qu’il là bati en l’air un palais magnifique, qui se derobe aux yeux, et qui se perd dans les nües[9].
L’infini est ce à quoy on ne peut rien ajouter a la difference de l’indefini auquel on ajoute toujours, cela suposé je prends les choses par enumeration, et je dis on ne peut avoir d’idée d’une durée infinie, car la durée qui n’est autre chose que le tems soit qu’on le compte par jours, par heures, ou par siecles, il est clair que l’idée d’une chose qui peut se compter, et celle d’une chose a laquelle l’esprit ne peut rien ajouter sont deux idées contradictoires, d’autant qu’il n’est pas possible d’imaginer d’imaginer un nombre si grand qu’on n’y en puisse pas ajouter un autre. Je raisone de la même maniere sur l’etendue, l’idée d’une chose qui peut se mesurer, et {f.255r} celle d’une chose a laquelle l’esprit ne peut rien ajouter sont contradictoires, car on ne peut jamais concevoir une mesure si grande qu’on ne puise y en ajouter une autre.
L’idée de l’indefini est l’idée d’une chose dont ne ne voit point les bornes. L’idée de l’infini est l’idée d’une chose qu’on voit n’avoir point de bornes. On voit que cette derniere idée ne sçauroit convenir a ce qui se compte et à ce qui se mesure, reste donc a sçavoir si on peut l’appliquer à un esprit, et je dis que nous n’avons point d’idée des esprits, comme tout le monde en convient. Si nous n’avons pas d’idée d’un genre nous ne scaurions en avoir des especes, et par consequent de l’esprit fini, ny de l’esprit infini.
Il faut donc admirer la conduite admirable de celuy qui se nomme dans l’ecriture le Dieu caché (Deus absconditus)[10] il s’est contenté pendant tant de siecles de persuader les hommes de son existence, il les [une lettre biffée non déchiffrée] à ensuite instruit par la foy qui est un de ses dons, mais dont la lumiere echaufe le coeur, sans eclairer l’esprit, qui fait ignorer tout ce qu’elle apprend, et semble nous avoir eté donnée {f.255v} pour admirer, non pas pour connoitre, pour soumettre, et non pas pour instruire.
Dieu qui est un pur esprit ne pouvoit se faire connoitre aux hommes, par idée ou par une image representative de luy même, il ne pouvoit non plus se faire connoitre que par sentiment, que de la même maniere qu’il se fait sentir aux anges et aux bien heureux dans le ciel, mais comme un si grand bonheur qui est la felicité supreme, etoit une grace que l’homme devoit meriter avant que de l’obtenir, et qu’il ne pouvoit même ob acquerir que par la voye des peines et des soufrances, Dieu choisit un troisieme moyen pour se faire connoitre, qui est celuy de la foy, et par la s’il ne luy donna pas des connoissances claires, il l’empescha du moins de tomber dans l’erreur.

- - - - -

Main principale P


1942

n1.

Genèse, I, 28 ; IX, 1.

1942

n2.

Lire : choisi.

1943

n1.

Lire : Péloponnèse.

1944

n1.

Lire : Thermopyles.

1945

n1.

« Or nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qu’il a appelés selon son décret pour être saints » (Romains, VIII, 28 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1466).

1945

n2.

« Car ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés […], et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » (Romains, VIII, 29-30 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1467).

1945

n3.

« Ceux qu’il a prédestinés, il les a glorifiés » (nous traduisons).

1945

n4.

« Praescrire » pour præscire.

1945

n5.

« On dit “ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés” seulement à propos des bons mais pour tous les autres, on dit que Dieu ne les a pas connus dans sa prescience mais les a ignorés » (nous traduisons).

1945

n6.

Montesquieu traduit ici la suite du passage cité de Sedulius : « Omne quod malum est, scientia ejus, vel præsentia habetur indignum » (Sedulii Scoti Hyberniensis in omnes epistolas Pauli collectaneum, Bâle, H. Petrum, 1528, chap. VIII, C) ; sur Sedulius, l’auteur écossais auquel on attribue ce commentaire, voir Sébastien Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, Venise, F. Pitteri, 1732, p. 615.

1945

n7.

« Car avant qu’ils fussent nés, et avant qu’ils eussent fait aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs œuvres, mais à cause de l’appel et du choix de Dieu, il lui fut dit : L’aîné sera assujetti au plus jeune » (Romains, IX, 11-13 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1467-1468).

1945

n8.

« J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esau » (Romains, IX, 13 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1468).

1945

n9.

« Mais ô homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? Un vase d’argile dit-il à celui qui l’a fait : Pourquoi m’avez-vous fait ainsi ? Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d’argile un vase destiné à des usages honorables, et un autre destiné à des usages vils et honteux ? » (Romains, IX, 20-21 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1468).

1945

n10.

« Comme donc autrefois vous ne croyiez point en Dieu, et que vous avez ensuite obtenu miséricorde, à cause de l’incrédulité des Juifs, ainsi les Juifs n’ont point cru que Dieu voulut vous faire miséricorde, afin que la miséricorde qui vous a été faite leur serve à obtenir miséricorde » (Romains, XI, 30-31 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1471).

1945

n11.

« Ô profondeur des trésors [de la sagesse et de la science de Dieu] » (Romains, XI, 33 ; La Bible, I. Le Maître de Sacy (trad.), Paris, R. Laffont, 1990, p. 1471).

1945

n12.

Lire : s’ensuivrait.

1946

n1.

Cf. EL, XXIV, 2 ; sur ces réflexions comme réponse aux objections des athées, voir le nº 1096 et l’article de Denis de Casabianca, « Des objections sans réponses ? À propos de la “tentation” matérialiste de Montesquieu dans les Pensées », RM, nº 7, 2003-2004, p. 135-156 [en ligne à l’adresse suivante : http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article420] ; sur Montesquieu et Bayle, voir Lorenzo Bianchi, Dictionnaire électronique Montesquieu, art. « Bayle, Pierre » [en ligne à l’adresse suivante : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/index.php?id=343] ; du même auteur, « “L’auteur a loué Bayle, en l’appelant un grand homme” : Bayle dans la Défense de l’Esprit des lois », CM, nº 9, 2005, Montesquieu, Œuvre ouverte ? (1748-1755), p. 104-107. Le « paradoxe de Mr Bayle » est exposé dans les Pensées diverses écrites à un docteur de Sorbonne […], dont Montesquieu possède la quatrième édition (Rotterdam, Reinier Leers, 1704, t. I, p. 226 et suiv. – Catalogue, nº 1521).

1946

n2.

« Par la façon dont les membres sont assemblés, par la noblesse des lignes, par toute sa configuration extérieure, la forme humaine n’est-elle pas belle entre toutes ? […] Si l’homme tient par sa structure le premier rang parmi les vivants, un dieu, étant lui aussi un vivant, ne pourra manquer d’avoir précisément la même structure puisqu’elle est la plus belle » (Cicéron, De la nature des dieux, I, 18, § 47-48, C. Appuhn (trad.), Paris, Garnier frères, 1935).

1946

n3.

« Et puisqu’il est entendu que les dieux sont parfaitement heureux, que nul ne peut être heureux s’il n’a pas la vertu, que la vertu ne se conçoit pas sans la raison ni la raison sans la figure humaine, il faut reconnaître que cette figure est celle des dieux » (Cicéron, De la nature des dieux, I, 18, § 48, C. Appuhn (trad.), Paris, Garnier frères, 1935).

1946

n4.

Antoine Arnauld qui s’opposait à toute représentation sensualiste de Dieu, critiqua les conceptions de Malebranche sur l’idée de Dieu et, dans la polémique qui l’opposa à l’oratorien, le rapprocha des anthropomorphites (Défense de M. Arnauld contre la Réponse au Livre des vraies et fausses idées [1684], dans Œuvres de Messire Arnauld […], Paris – Lausanne, S. d’Arnay, 1780, t. XXXVIII, p. 544-545) ; voir Aloyse Raymond Ndiaye, La Philosophie d’Antoine Arnauld, Paris, J. Vrin, 1991, p. 206-207.

1946

n5.

Lire : philosophes.

1946

n6.

La notion de nature plastique a été conçue par Ralph Cudworth dans son ouvrage The True Intellectual System of the Universe, destiné à réfuter l’athéisme et le déterminisme (Londres, R. Royston, 1678 – Catalogue, nº 1470).

1946

n7.

Lire : voudra.

1946

n8.

Cicéron, De la nature des dieux, I, 22. L’anecdote, illustrant le caractère inconnaissable de Dieu, qui met en scène Simonide et Hiéron (Montaigne, II, 20, p. 675) ou Thalès et Crésus (Tertullien, Apologétique, XLVI, § 8), a circulé pendant tout le XVIe siècle ; Pierre Bayle lui a consacré une très longue note dans l’article « Simonide » de son Dictionnaire historique et critique (1re éd., Rotterdam, Reinier Leers, 1697 – Catalogue, nº 2453) ; voir Henri Busson, Le Rationalisme dans la littérature française de la Renaissance (1533-1601), Paris, J. Vrin, 1971, p. 416.

1946

n9.

Cf. nº 156.

1946

n10.

Isaïe, XLV, 15.