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Pensées 1337 à 1341

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume II

1337

L’Arioste

Arioste

ramassa les contes de chevalerie de son temps et en fit un tout come Ovide ramassa les fables et en fit un tout[1]

- - - - -

Main principale M

1338

Ce qui me semble rend l’ecriture sainte

Ecriture Ste

venerable c’est la verite de la peinture la vie et les moeurs des patriarches sont vrayes, parce qu’encore aujourdhuy les Arabes et les peuples des pais des patriarches ont vécu come cela c’est un grand prejuge pour la verité de tout le livre :

- - - - -

Main principale M

1339

Il faut que le vice crime de la sodomie ne fut pas autrefois si ridicule qu’il {f.187v} est l’ordonance d’un grand duc de Florance[1] poi che nei tempi di dietro nostri fidelissimi sudditi non si sono punto guardati de la sodomia[2] il establit les peines qui sont je croy 25 ecus d’amande pour l’agent moins pour le patiant[3] on ne feroit plus une loy pareille

- - - - -

Main principale M

1340

[Passage à la main P] Changemens des moeurs  dans une certaine nation[1]

- - - - -

A mesure que la puisance politique se fortifia la noblesse quitta ses terres, ce fut la principale cause du changement qui arriva dans la nation

Mœurs changemens

. On laissa les moeurs simples des premiers tems, pour les vanités des villes. Les femmes quitterent la laine, et mepriserent tous les amusemens qui n’etoient pas des plaisirs.
Le desordre ne vint qu’insensiblement il commaenca sous François 1er, il continua sous {f.188r} Henry 2, le luxe et la molesse des Italiens l’augmenta sous les regences de la reyne Catherine. Sous Henry 3. un vice qui n’est malheureusement inconnu qu’aux nations barbares se montra a la cour mais la corruption et l’independance continua dans un sexe qui sçait tirer avantage des mepris mêmes. Jamais le mariage ne fut plus insulté que sous Henry 4. La devotion de Louis 13 : laissa le mal ou il etoit jamais prince ne fut moins propre a donner le ton a son siecle. La galanterie grave d’Anne d’Autriche ne put rien changer. La jeunesse de Louis 14 acrût le mal, la severité de sa viellesse le suspendit ; les digues furent rompües à sa mort.
{f.188v} a sa mort.
Les filles n’ecouterent plus les traditions des meres, les femmes qui ne venoient que par degrés a une certaine liberté l’obtinrent des les premiers jours du mariage, dans la crainte de rougir des jalousies on rougit des attentions, on ne connut plus les vices, on ne sentit que les ridicules, et l’on mit au nombre de ces ridicules une modestie genante, ou une vertu timide, l’ignorance des moeurs fut une espece de religion persecutée.
Les conventions furent suiviës des conventions, a peine le secret d dura t il le tems qu’il falloit pour le conclure, dans un changement continuel le goust fut lassé, on le perdit a force de chercher les plaisirs. {f.189r} La moitié de la nation commenca le jour ou l’autre le finissoit, l’oisiveté fut appellée liberté, et l’on apella occupation l’usage immoderé des plaisirs, on voulut porter dans la vie cette joye qui s’anonce dans les festins.
[f.189v et 190r et v] Trois pages blanches

Passage de la main M à la main P

1341

{f.191r} [Passage à la main E] Mr Chiselden ayant abatu la cataracte à un aveugle né[1]

Aveugle né

celui cy ne pouvoit juger des distances et croyoit que les objets devoient toucher ses yeux comme ce qui touchoit sa peau, il ne connoissoit la figure d’aucune chose et ne pouvoit la reconnoitre par la vüe qu’aprés en avoir examiné la figure par le toucher[2].
On sait que quoique l’ame voye d’abord le côté gauche

Ame comment voit

de chaque objet a droite, le côté droit a gauche le côté de dessus en bas, celui d’en bas en dessus elle rectifie tout par ses experiences.
Un tableau  ne representoit point a l’homme de Mr Chiselden une figure une figure en bosse[3].
Il y a bien de l’aparence que l’ame ne raporte les sons aux corps sonores que par des observations reiterées dans l’enfance dans lesquels elle lie le sentiment {f.191v} du son a la cloche qui le produit[4].
Le sentiment du toucher ne donna pas à l’homme

Toucher

de Mr Chiselden une juste idée de la figure des choses, le sentiment de la vüe ne le lui donna pas non plus ; ce fut donc de ces deux sens que son ame tira l’idée qu’elle s’en fit[5].
L’ame est donc une philosophe qui commence à s’instruire qui apprend a juger de ses sens mêmes et de la nature des avertissemens qu’ils doivent lui donner.
Elle reçoit d’abord un sentiment et ensuite elle en juge ; elle ajoute ; elle se corrige, elle regle un de ses sens par un autre, et sur ce qu’ils lui disent elle aprend ce qu’ils ont voulu lui dire.
L’ame ayant formé ces jugemens naturels elle forme de meme tous ceux qu’elle peut faire avec la même facilité et {f.192r} qui sont tels la plupart qu’elle ne peut s’empêcher de les former.
Elle voit un quarré elle ne le voit pas tout seul, mais d’autres choses : les voyant toutes ensemble, elle peut les comparer[6]

Raports

, car si elle ne voyoit pas que le quarre a des angles et que le cercle n’en a pas elle ne verroit ni la figure du quarré ni celle du cercle. Dés qu’elle voit des raports effectifs, elle en verra d’autres qui ne sont point, car de ce qu’elle voit qu’un quarré a quatre côtes et qu’un cercle n’en n’a point elle voit aussi qu’un carré n’a pas huit côtés et qu’un cercle n’en a pas cinquante : elle aura une idée du nombre parce que voyant un quarré auprés d’un autre elle aura dit, si celui cy etoit celui là lorsque je detournerois mes yeux de celui cy je ne verrois plus celui là c’en sont donc deux, un autre, c’en sont {f.192v} donc trois. Quand elle ne saura pas combien il y en aura elle aura une idée qui repondra à celle de confusion : après avoir vu des quarrés dans un certain espace, elle pourra croire qu’il y en a autant dans une autre espace, elle verra donc des quarrés possibles, quand elle ne regardera pas les quarrés comme placés dans un certain lieu plutot que dans un autre elle verra les quarrés en general, il en sera de même de toutes les conceptions generales.
Ces choses sont encore des especes de jugemens naturels l’ame n’en aura qu’un sentiment, elle ne les developera pas elle ne saura pas en quelque façon qu’elles les sait parce qu’elles ne les aura pas apprises par réflexion.

Passage de la main P à la main E


1337

n1.

Allusion au Roland furieux de l’Arioste et aux Métamorphoses d’Ovide. Sur le parallèle entre les deux auteurs, voir nº 2180.

1339

n1.

Cosme Ier de Médicis (1519-1574), duc de Florence puis Grand-duc de Toscane.

1339

n2.

« Car dans le passé nos très fidèles sujets n’ont point évité la sodomie » (nous traduisons). Sur le lieu commun de la sodomie florentine, voir Voyages, p. 260 et Sur la coutume de Florence de n’admettre que des hommes pour jouer les rôles sur le théâtre (OC, t. 9, p. 25).

1339

n3.

Loi du 8 juillet 1542, qui avait été imprimée sous le titre Bando del Duco di Firenze e delli suoi Consiglieri sopra la bestemmia e la sodomia (Florence, Giunti, 1566, 4 f. ; voir L. Cantini, Legislazione toscana, Florence, G. Fantosini, 1800, t. I, p. 210).

1340

n1.

Cf. nº 1272.

1341

n1.

William Cheselden (1688-1752) réalisa cette opération en 1728 à Londres ; voir William Cheselden, « An Account of some Observations Made by a Young Gentleman, Who was Born Blind, or Lost his Sight so Early, that he Had No Remembrance of Ever having Seen, and was Couch’d between 13 and 14 Years of Age », dans Philosophical Transactions of the Royal Society, Londres, Royal Society, 1729, années 1727-1728, t. 35, p. 447-450 et les Observations sur la vue, tirées de cet écrit, provenant du fonds de La Brède (BM Bordeaux, ms 2532).

1341

n2.

La question de Molyneux passionna les philosophes des Lumières. Cette hypothèse d’un aveugle-né qui recouvre la vue est reproduite par Locke dans la deuxième édition anglaise de l’Essai philosophique concernant l’entendement humain (liv. II, chap. IX, § 8), traduite pour la première fois en français par Coste en 1700 (Catalogue, nº 1489). Voir Gareth Evans, « The Molyneux Question », Collected Papers, Oxford, Clarendon Press, 1985, p. 364-399 ; Marc Parmentier, « Le problème de Molyneux de Locke à Diderot », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, nº 28, 1, 2000, p. 13-23.

1341

n3.

La bosse désigne, en sculpture, le relief (Furetière, 1690, art. « Bosse »).

1341

n4.

L’habitude est essentielle à la constitution de l’expérience (voir nº 1187, note 6). Sur le sensualisme de Montesquieu exposé à partir de l’opération de Cheselden, voir Denis de Casabianca, Montesquieu. De l’étude des sciences à l’esprit des lois, Paris, H. Champion, 2008, p. 762-768.

1341

n5.

Si l’aveugle-né est incapable de reconnaître par un seul sens les figures (globe ou cube – ce qui explique les carrés et cercles que Montesquieu utilise dans la suite du fragment), c’est qu’il n’a pas d’idées innées, et que c’est par l’association des idées dans la répétition des expériences sensibles que l’entendement forme ses jugements. L’observation de Cheselden semble confirmer la conclusion de Locke, comme le souligne Voltaire dans ses Éléments de la philosophie de Newton paru en 1738 (Oxford, Voltaire Foundation, 1992, 2e partie, chap. VII, p. 319), dans la période de transcription de cet article : voir nº 1380.

1341

n6.

Sur l’aperception des vérités géométriques, la formation des jugements, le rôle de la comparaison et la double référence à Locke et à Malebranche, voir nº 1187.