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Pensées 1306 à 1310

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume II

1306

{f.173r} [Passage à la main E] Jusques icy la fortune sembloit avoir pris plaisir à corrompre le cœur du roi elle seen lassa.
Avant la battaille d’Hostet[1] la France êtoit montée à ce periode de grandeur que l’on regarde comme immuable quoiqu’il touche au momt. de la decadence. Il est certain que la ligue se fit par desespoir [lettre biffée non déchiffrée]
Nous perdimes donc a Hostet cette confiance que nous avions acquise par trente ans de victoires [signes non déchiffrés en bout de ligne]
Bataillons se rendirent prisonniers de guerre nous regrettames leurs vies comme nous aurions regretté leur mort.
Il semble que Dieu qui a voulu mettre des bornes aux empires ait donné aux François cette facilité d’acquerir avec cette facilité de perdre ce feu auquel rien ne resiste avec ce decouragement qui fait plier à tout
{f.173v} Made de Maintenon. Le tems lui ota la beauté jamais de certaines graces ; son esprit insinuant fit seul et malgré les yeux cette grande conquête. Elle servit sa famille avec moderation et n’eut aucun attachement pour les richesses[2], elle ne demanda plus rien aprés le cœur et jouït dans la mediocrité joüit de la plus grande de toutes les fortunes. Lorsque le roi devint difficile sans cesse exposée a ses chagrins, elle sembla plutôt les adoucir que les souffrir. Il est vrai que le roi avoit l’ame trés plus grande que la sienne ce qui faisoit qu’elle abbaissoit continuellement celle du roi[3].
Le roi avoit perdu le cœur de ses sujets par les tributs intolerables dont il les avoit chargés, soutien necessaire d’une guerre vaine, car telle est la nature des choses {f.174r} qu’ordinairement ceux qui commencent à combattre pour la gloire finisst par combattre pour le salut de l’êtat.
La guerre entreprise souvent sans sujet fit croire que toutes celles qu’il fit dans la suitte etoit aussi peu legitimes et quand on combattoit pour le salut du royaume on croyoit encore ne combattre que pour les passions du roi :
Il avoit un desir immoderé d’accroitre sa puissance sur ses sujets en quoi je ne sai si je dois le tant blamer d’un sentiment commun à presque tous les hommes.
Il

Louis XIV

avoit plus les qualités mediocres d’un roi que les grandes une figure noble, un air grave, accessible, poli[4], constant dans ses amitiés n’aimant à changer de ministres ni de manieres de gouverner astraint aux loix et aux regles dés les qu’elles ne choquoient pas ses interêts, aimant a conserver les droits des sujets envers les sujets {f.174v} liberal envers ses domestiques[5] trés propre enfin à soutenir l’exterieur de la royauté, mais né avec un esprit mediocre il se trompa souvent de la vraye grandeur à la fausse[6], il ne sut ni commencer ses guerres ni les finir, dans un siecle et dans une partie du monde ou le heroisme est devenu impossible il eut le foible de le chercher, determiné a ses entreprises par l’interêt de ses ministres[7] il ne sçut ni attendre les pretextes ni les prendre, le ciel lui donna des ministres et des generaux, son choix ne lui en donna jamais[8], ses confesseurs qui accomoderent toujours sa devotion à sa situation presente lui firent croire lorsqu’il fit des traités ou il abandonnoit tout que la devotion consistoit dans la moderation lorsqu’il essuya des revers qu’elle consist faisoit la guerre ils ne lui parlerent que de David lorsqu’il fit la paix ils ne lui parlerent que de Salomon. Cette devotion acheva de lui ôter le {f.175r} peu de genie que la nature lui avoit donné son conseil de conscience de dure qu’êtoit son gouvernement le rendit odieux et ridicule[9]. Il[10] le filouta pendt 40 ans[11] aux yeux de toute l’Europe, il fut pris sur le fait sans perdre sa dupe. On admiroit la hardiesse du conseil de conscience et la debilité des autres. Là tout êtoit feu partout ailleurs de la tiedeur et de la consternation. Le ministere idiot de Chamillard[12] acheva de le degrader. [Lettres biffées non déchiffrées] Très facile à tromper parce qu’il se communiquoit peu.
Mr de Cambray[13] par sa devotion pensa devenir son 1er ministre. Difficile a amuser Sur la fin de ses jours difficile a amuser, incapable de chercher ni de trouver dans lui même des ressources, sans lectures, sans passions, attristé par sa devotion et avec une vieille femme livré au chagrin d’un vieux roi. Il[14] avoit une qualité qui chés les devots passe la devotion même {f.175v} qui est de se laisser tromper par les devots eux. Dans les differens choix qu’il faisoit il consultoit toujours son cœur avant son esprit

{f.176r} Regence [15]

Mr le duc d’Orleans

Duc d’Orleans

avoit toutes les qualités d’un bon gentilhomme[16]
Le cardal Dubois êtoit un vrai quistre[17]. Le regent êtoit si las de lui qu’il l’auroit chassé s’il avoit vecu deux mois de plus[18], mais pourquoi le fit il c’est une question qu’on doit faire parce qu’on n’en voit pas la reponse. C’êtoit l’homme du monde le plus timide les ministres d’Angleterre se divertissoient à se debiter de fausses nouvelles quil l’empechoient de dormir et lui disoient le lendemain que la nouvelle êtoit fausse. M. le d. d’Orl. lui disoit quelquefois abbé vous ne me dites rien de ce paÿs, il alloit dicter une lettre à son secretaire et la portoit a Mr le duc d’Orleans. On a trouvé a sa mort des paquets de trois semaines qui n’avoient pas êté ouverts. Des lettres du grand vizir qui etoient là depuis un an[19] ; il avoit attention à ce que les depeches ne vinssent directement qu’a lui. Il se servoit de gens obscurs {f.176v} qui n’y pouvoient point aboutir. Quand Mr le duc d’Orleans proposoit une chose il se faisoit ecrire par ces gens là des difficultés et ensuite il les faisoit cesser, de sorte que le d. d’Orl. êtoit charmé de son esprit.
Il dit un jour a Mr le d. d’Orl. que les ministres etrangers n’avoient point de confiance en lui parce qu’il n’avoit jamais travaillé seul avec le roy, b. et coquin que tu es lui dit Mr d’Orl. je te donnerai vingt coups de pied au cul si tu me tiens jamais de pareils discours.
On dit que le dessein de Mr d’Orl. êtoit d’abord de faire un conseil royal dont auroit êté le mal de Villeroy[20] Mr Dussel[21] Tallard[22] & quelques autres moyennant quoi Dubois n’auroit pas êté premier ministre, mais le marechal de Villeroy ne voulut pas s’y prêter[23].
Voyes la p. 202 de ce volume et la p. 203[24]
{f.177r} Le cardl Dubois êtoit une mauvaise copie du cardl de Mazarin quelle infamie d’avoir revelé les complices de la conspiration de l’evêque de Rochester[25] : n’employa t il pas le pretendant pour se faire faire cardinal et n’ecrivoit il pas en Angleterre que quand il le seroit il se joüeroit de l’imbecile[26]
Aprés ce que j’ai vu je ne compterai jamais pour rien les loüanges données au ministre qui est en place. J’ai vu les gens les plus sensés admirer le cardl Dubois comme un Richelieu et trois jours aprés sa mort tout le monde est convenu que c’êtoit un quistre[27] incapable d’aucune partie du ministere.
On portoit le respect aussi loin qu’on avoit d’abort porté {f.177v} le mepris et sans examiner les raisons d’un progrés si rapide cette on prenoit cette rapidité même pour une raison de la grandeur du genie.
Voicy la raison de ces sortes de reputations. On veut passer pour un homme sage on veut quelquefois passer pour un homme de cour. Trés peu de personnes peuvent donner le ton au public dés que ce petit nombre de personnes interessées a cessé de parler le public retracte son jugement.
Le cardl Dub. mourut ne laissant aprés lui personne qui en rapellât le souvenir le duc d’Orleans prit sa place ayant connu qu’il ne convient qu’au roi d’avoir des 1ers ministres et que le 3e degré êtoit trop prés du second

Voy. dans le Spicilege quelques anecdotes que je n’ay point mis icy[28]

Voy ibid p 209[29] :

Passage de la main M à la main E

1307

{f.178r} [Passage à la main M] Je disois de Schakespear[1]

Schakespear

quand vous voyes un tel homme s’elever comme un aigle, c’est lui. Quand vous le voyes ramper, c’est son siecle :

- - - - -

Passage de la main E à la main M

1308

Quand on veut chercher quelque chose dans l’antiquité il faut prendre garde que les choses qui sont citées en preuve par les autheurs ne doivent pas toujours estre prises pour exactement vrayes parce que le besoin qu’on a eu, peut faire que l’autheur leur a donné une plus grande extention qu’elles n’ont reellement

- - - - -

Main principale M

1309

Les Gronlandois trouvent [Passage à la main E] un grand delice a boire de l’huile de baleine

huile de baleine

c’est que les fibres de leur estomac sont assés fortes dans des paÿs si extrêmement froids pour soutenir la nourriture de l’huile qui abimeroit les estomacs dans les paÿs du Midy[1]
{f.178v} Une page blanche

Passage de la main M à la main E

1310

{f.179r} [Passage à la main M] Comme l’avare disoit que ses heritiers n’auroint pas plus de plaisir a dissiper son bien, qu’il en avoit eu a l’amasser, un autheur peut dire que nul n’aura plus de plaisir a lire son livre que lui en a eu à le faire

Avare auteurs !

Passage de la main E à la main M


1306

n1.

Comprendre : Höchstädt. Voir nº 300 et 555.

1306

n2.

Voir Spicilège, nº 757.

1306

n3.

Cf. nº 279.

1306

n4.

Sur ces qualités de Louis XIV, acquises dans sa jeunesse à la cour de sa mère et chez la comtesse de Soissons, voir Saint-Simon, t. V, p. 509, 527-528, 530.

1306

n5.

Voir Saint-Simon, t. V, p. 529 : « Il traitait bien ses valets ».

1306

n6.

Saint-Simon parle d’un esprit « au-dessous du médiocre », qui se plaît dans les détails (Saint-Simon, t. V, p. 478, 481).

1306

n7.

Saint-Simon attribue à la jalousie et à l’ambition de Louvois la politique belliciste de Louis XIV (Saint-Simon, t. V, p. 486).

1306

n8.

Dans son portrait du roi, Saint-Simon déclare au contraire que Louis XIV choisissait ses ministres et ses généraux selon son goût, en écartant l’esprit et le mérite, afin de paraître tout diriger lui-même (Saint-Simon, t. V, p. 500-502).

1306

n9.

Cf. nº 1122, note 1.

1306

n10.

Le Conseil de conscience.

1306

n11.

C’est-à-dire de 1675, date à laquelle le père de La Chaise devint confesseur du roi et contrôla l’attribution des bénéfices à la mort de ce dernier en 1715 : voir la note d’Arthur de Boislile dans son édition des Mémoires de Saint-Simon (Paris, Hachette, 1879, t. II, p. 199, note 1) ; voir aussi Thierry Sarmant et Mathieu Stoll, Régner et gouverner. Louis XIV et ses ministres, Paris, Perrin, 2010, p. 161.

1306

n12.

Michel Chamillart (1652-1721), Contrôleur général des Finances en 1699, ministre d’État en 1700, secrétaire d’État à la Guerre en 1701, disgracié en 1709.

1306

n13.

Fénelon.

1306

n14.

Louis XIV.

1306

n15.

Sur cette période, Montesquieu pouvait s’appuyer sur ce qu’il avait observé, lu dans les gazettes pendant les événements ou appris des témoins. Au moment de la transcription de cet article, les Mémoires de la Régence (La Haye, J. Van Duren, 1729 ; Amsterdam, Z. Chatelain, 1729, 3 vol.) du chevalier de Piossens constituaient une histoire du gouvernement de Philippe d’Orléans.

1306

n16.

Montesquieu a brossé les portraits de Pisitrate (le duc d’Orléans) et de son ministre « d’une naissance obscure » (Dubois) dans les Lettres de Xénocrate à Phérès [1724] (OC, t. 8, p. 299-305) et dans l’article nº 173 des Pensées.

1306

n17.

Lire : cuistre. Dubois est qualifié de la même manière par Saint-Simon (t. VII, p. 755 ; t. VIII, p. 596).

1306

n18.

Selon Saint-Simon, le duc d’Orléans, en 1723, « mourait d’envie de s[e] débarrasser » du cardinal Dubois (Saint-Simon, t. VIII, p. 605).

1306

n19.

Saint-Simon parle de milliers de lettres cachetées retrouvées après le décès de Dubois (Saint-Simon, t. VIII, p. 601).

1306

n20.

Voir nº 1167.

1306

n21.

Nicolas de Laye Du Blé, marquis puis maréchal d’Huxelles (1652-1730), avait été nommé en 1718 membre du Conseil de Régence.

1306

n22.

Camille d’Hostun de La Baume, duc et maréchal de Tallard (1652-1728), entra au Conseil de Régence en 1717.

1306

n23.

La formation d’un « Conseil étroit », envisagée en 1719-1720, dans lequel le Régent se serait adjoint quatre personnes, paraissait un moyen d’éviter la toute-puissance du cardinal Dubois. Saint-Simon et Torcy, pour empêcher la nomination de Dubois comme premier ministre, voulurent rallier à leur cause le maréchal de Villeroi qui refusa de se prêter à ce qu’il considérait comme une cabale (Saint-Simon, t. VII, p. 501, 581, 782-786).

1306

n24.

Renvois à des articles qui concernent le duc d’Orléans (nº 1396, 1407).

1306

n25.

En 1722, Dubois était en relation avec le chargé de mission du gouvernement anglais à Paris, le Bâlois Luke Schaub, que Montesquieu rencontra à Paris en 1736 (Spicilège, nº 772 ; lettre à Bulkeley du 18 juillet 1736, Masson, t. III, p. 979). Les autorités anglaises furent averties par la France d’une conspiration visant à placer le prétendant Stuart sur le trône de Grande-Bretagne. Les soupçons se portèrent sur François Atterbury, évêque de Rochester, puis sur le comte Orrery, les Lords North et Grey ; sur cette affaire, voir Eveline Cruickshanks et Howard Erskine-Hill, The Atterbury Plot, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004.

1306

n26.

Dubois avait obtenu, pour devenir cardinal, d’être de la nomination de Jacques III Stuart, en échange d’une pension versée au roi catholique, le « chevalier de Saint-Georges », en exil à Rome ; grâce à l’abbé de Tencin, la promesse fut finalement tenue ; voir Edward Corp, The Stuarts in Italy, 1719-1766: A Royal Court in Permanent Exile, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 19-22 ; sur l’ingratitude de Dubois, voir Spicilège, nº 749.

1306

n27.

Lire : cuistre.

1306

n28.

Montesquieu avait recueilli des anecdotes sur Dubois auprès de Saint-Simon dont il fut l’hôte à la Ferté-Vidame en 1734 : voir Spicilège, nº 657.

1306

n29.

Nº 1439.

1307

n1.

Shakespeare, dont Montesquieu possédait une édition anglaise (The Works of Shakespeare, Londres, J. Tonson, 1728, 9 vol. – Catalogue, nº 2152 et 2186).

1309

n1.

La chair de baleine a mauvaise odeur et est considérée comme indigeste. La Peyrère ne mentionne pas un usage alimentaire de l’huile par les Groenlandais, mais son utilisation par les corroyeurs, drapiers, savonniers et surtout pour les lampes (Relation du Groenland [1687], dans Recueil de voyages au Nord […], Amsterdam, J.-F. Bernard, 1715, t. I, p. 196 – Catalogue, nº 2751 ; voir Geographica, introduction, p. 31). Sur le principe de convenance entre régimes alimentaires et climat, voir l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères (OC, t. 9, p. 226-227) et l’étude de Denis de Casabianca sur « L’eau-de-vie et l’huile de baleine », dans son ouvrage Montesquieu. De l’étude des sciences à l’esprit des lois, Paris, H. Champion, 2008, p. 473-479.