EX MS. SENONIENSI IN VOSAGO.

Pour citer ce texte

Possesseur(s) : Senones, Saint-Pierre, abbaye O.S.B.

Date : 1738 (publication de la BBMN).

Répertoire(s) : Petitmengin 1998, p. 580, nº [117].

Analyse : Deux traductions médiévales en français de la lettre attribuée à saint Bernard « De cura rei familiaris », envoyées à Montfaucon par dom Augustin Calmet, abbé de Senones, probablement à la fin du mois de septembre ou au début du mois d’octobre 1735. Dans une lettre du 9 octobre 1735, Montfaucon remercie dom Calmet pour son aide et lui indique qu’il mettra cette lettre de saint Bernard « à la fin de ce second tome avant la table » (ms. Paris, BNF, NAF 14823, f. 101r-v).
La première traduction a été transcrite d’après un manuscrit de Senones, par dom Calmet, qui décrit ce texte dans son catalogue des manuscrits de Senones envoyé à Montfaucon (Paris, BNF, lat. 13069, f. 235r). Montfaucon a placé en regard de cette première traduction le texte latin tiré d’un imprimé. La seconde traduction vernaculaire a été transmise à Calmet par Nicolas de Corberon, premier président du conseil souverain d’Alsace († 1729).

Source(s) : BBMN, t. II, p. 1384-1392 ().

Édition(s) : —.

Bibliographie : Histoire littéraire de la France, XII, Paris, 1763, p. 265-267. — Petitmengin 1998, p. 580.

Rédaction : FD, 2016.

Sur l’avis que m’a donné M. l’Abbé de Senone, le celebre Dom Augustin Calmet, que la lettre suivante de S. Bernard n’avoit point été imprimée dans l’édition donnée par nos Confreres, j’ai jugé à propos de la mettre ici avec la version Françoise faite par S. Bernard lui-même. C’est le même R. P. Abbé de Senone, qui m’a envoyé l’une & l’autre.

C’est l’Epitre de S. Bernard du gouvernement des choses familieres.

Ce gracieus & bienheureis en fortune & richesce Raymond Chevalier Sires dou Chasteil-Ambroise. Bernard demenes ou temps de villece, Salut.

Demandei aiz à nous de estre ensignez de la cusanson & de lai cure, de la meniere de plus profitablement gouverneir les choses & chevances familieres. Et comment li peire de la magniee qui est chief & Gouvernour de l’Osteil se doit avoir & maintenir. A quoi nous te respondons que ja soit ce que toutes choses mondaines & lestait & lissue de toutes besognes laborouses de sous fortune, ne doit on mie pour ce laissier la riegle de vivre.

Comment on doit faire les despens.

Esconte & te prens varde que se en tai maison les despens & revenues sont egaulz. Car & avenue soubdains dont on ne se prend varde porroit destruire ton estait.

L’estait de l’ome negligent.

C’est une maison ruineuze. Quest-ce negligence de celhui qui gouverne losteil c’est un grant feu forment embraseiz.

De ceux qui administrent & traitent les biens & dispensent.

Discute & revarde diligemment lour diligence & lour cusanson, de queil propos ils sont en administant tes biens. Cellui qui dechiet de sa chevance & dechiet aidez, & encor n’est doutout point de chevancies ne cheus. C’est moins de honte pour lui de escharsement vivre & abstenir, que de tous poins cheoir en povretet. De très-souvent {1385}{1385}
compteir les tiennes choses, est grant prudence & sagace.

Dou gouvernement des bêtes.

Considere & pran de lai pasture & dou boire pour tes bestes. Car par naiture elles sont fameleuses, & point n’en demandent.

Comment se doict faire dépans de noces.

Noces somptueuses & de trop grans despens donnent & apportent damaige senz honnour.

Des despens.

Despans faiz pour Chevalerie est honorables. Despans faiz pour aidier à ses amis est raisonnables. Despans faiz pour aidier a folz larges sont perdus.

De glotenie.

Ta masniee tu dois norrir de grosses viandes, non mie delicieuses. Car quicunques est glouton a paine seroit il jamaix aultrement que avec la mort. Tel mours de glotenie ne changeroit. Gloutenie est li porriture dou vil & negligent home. La gulosité & li maingier de l’ome cusansons & diligent est solais. En jours pasquieres & halz & annalz doies repaistre & norrir ta masniee habundamment, non mie deliciouzement.

De ton avarice & escharteteit.

Fay ta bource plaidier à ta goule, & si te pren bien garde de cui & pour qui tu seraiz advocas. Et se il avient que entre la goule & la bourse tu soies juges, le plus souvent non mie pour lai goule, mais pour lai bourse rens & donne ta sentence. Car li goule si prueve par affection, son desir & entention, ne ses tesmoignages point ne juge de veritei dire. Mais li bourse prueve son entention evidemment & deuement par la huge, par la voie, par lou grenier, par lou celier, qui de tous biens sont veudies; ou en brief temps seront veudies. A dont tu plaidies mal & aprement encontre la goule, quant avarice clot la bource. Jamaix avarice justement & droitement ne jugerait entre lai goule & la bourse. Et quelle chose est avarice? c’est li murtriere d’elle mesmes, que se avarice doubte povretei, & en vivant en povrete vit li aveirs en soy, senz point perdre ses richeces. Mais souvent avient que il garde auz autres. Mieulz vault asseiz gardeir auz aultres richeces, que de les perdre en luy meisme.

De ton bleit.

Se il avient que tu aies habundance dou bleit, ne aime ne ne desire chartei, car al qui couvoite & desire le chier temps, couvoite & desire le chier temps, couvoite & desire estre homicide & murtrier de povres gens. Vent ton bleit quant il est a souffisant pris, & non mie quant li povre n’en puet acheteir. A tes voisins ven lou a mainre prix & aussi a tes anemis. Car on ne vaint mie adeiz son anemi par glaive, mais souvente foix par boire & par maingier & aultre servise. Orgueil encontre son voisin, c’est un bauduei qui attent le tonnoire avec la saiette.

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Des anemis.

Aiz tu des anemis, donne toi en garde que avec estranges gens que tu cognois n’aies mie tai conversation ne familiere. Pense adez les voies que ton anemi tient, & pense encor que ton anemi est saige & malicieu, la fleuetei de ton anemi semble estre paix, maix ce n’est que true pour un pou de temps. Se tu tasseure que ton anemi point ne pense ce que tu pensez, tu te exposes & livres en grant peril.

De tes femes.

Se elles sont suspectes, ce qu’elles font ne quier mie d’en avoir connoissance, ains quier l’ignorance, car quant tu saurais lou crime de ta mauvaise feme, de nul phisicien tu ne porraiz estre gariz. Adonc atremperaiz la doulour de ta malvaise feme quant semblables malz orraiz des femes des aultres. Noble & hault cuer ne quiert point des oeuvres ne des faiz des femes. Par rire & par ruseir chastieraiz mieulx la malvaise feme que par baston. Vielle feme menant pute vie de corps est putain, se li loy lou souffroit, que on la deveroit vive enterreir & ensevelir.

Des robes.

Robes trop coustaniables & sumptueus est dueue prueue de petit sens. Robe de trop grant apparence au voisin tost & ligierement engenre anui, & pourtant estudie a estre plaisant par bonté mieulz que par vesture. Feme qui ait asseiz vestement & demande robe sus robe, n’est mie segnefiance de grant fermetei ne estaubletei.

Des amis.

Retient adez plus celluy que tu trouveras plus vraiz amis, & plus celluy qui lou sien met enti, que celluy qui se offre a toi de parole. Grant copie & recouvriers & grant foison est d’amis de paroles. Ne repute point ton ami cellui qui te loue en tai presence.

Comment on doit donneir conseil.

Se tu donnes conseil a ton ami ne quier mie plaire a lui, mais principalement a raison & a droit. En conseillant di a ton ami: d’une teile choze mon semblant est teil, & non mie faiz ensi, ou précisement on doit ensi faire, & li cause si est, car on est plustost blasmeis & redargueis d’un conseil dont il vient mal & que lissue soit mauvaise, que on n’est loueiz de boin conseil.

Des Jougleurs & Menestrers.

Or escoute diligemment se li Jougleour te visete, entent ce que ci apres sensuit. Home entendus au Jougleurs, asseiz tost auerait une feme que on appelle povretei. Et qui serait tes filz? cest derision & moquerie. Et se il avient que les jeus des Jougleurs & les paroles d’eulz te plaisent, fayn de les oyr & que aultre part tu pense. Cellui qui rit & qui se entent auz paroles des Menestrerz de bouche, en ceci faisant ait iai donné à lui {1387}{1387}
gaaige. Jugleurs & teilz disours qui reprochent malz & pusfaiz sont digne destre pendus. Queilz chose est un Jougleurs qui malz & pechiez & honte repreuve? cest un home qui porte lou couraige dun murtrier. Les instrumens des Jougleurs onques ne pleirent à Dieu.

De tes vallés.

Quant tu veraiz un vallet qui ait hault cuer, boute lou arriere, com cellui qui ou temps avenir seroit ton anemi. Resiste au vallet qui a ton voisin te loue, ou certainement il pense quil tait deceut. Le vallet qui de legier se hontoie, aime lou com ton enfant & com ton filz. Boute arriere de toi lou vallet qui connioit & se glorifie & prise ses mours com bones.

Des edifices.

Se tu veulz edifier maison, à ceu lai faire temoigne necessitei, non mie curieuse & vaine volentei. Li couvoitise de édifier n’est point ostée en edifiant; trop grant couvoitize de édifier, especialement quant elle est desordonée, enfante & attent & fait venir lou vendaige de l’edifice. Tours parfaite & accomplie & lai huge qui est voidée sont lome très-saige, mais c’est trop tart.

De tes vendaiges.

Veulz tu vendre aucune fois! garde toi que partie de ton heritage ne vendois mie à plus puissant de toi, ansois lou donne a plus petit prix & à meilleur marchie à mainte de toi, & se tu lou veulz tout vendre à cellui qui plus en offre, ci lotroie & lou vent, maix encor vault mieulx famine grieve, que vendre son patrimoine. Et toutevoie ancor vault mieulx vendre son patrimoine, que estre soubgiz auz usures. Et queile chose est usure? certes c’est li velins dou patrimoine. Car cest un cortois laron, qui preche & dit ce que il entent au dedens. Ne achette riens dou plus puissant de toi, soit compains de la marchandise. Quant tu es acompagnies avec un povre en marchandise, souffre lou pacianment & le soupporte à ceste fin que plus fort de. ti ne metoisse en compagnie ou lieu de lui.

Comment tu dois useir de vin.

Tu me demandes de la maniere de user dou vin? cellui qui en très-grant habundance de divers vins est soubres; teilz est dieux terriens. Saichez que yvrongne ne fait riens a point. Mais quant elle chiet en lordure, te sens tu du vin? fuy la compagniee. Quier lou lit pour dormir, plustost que de ti deragnier. Car cellui qui par parleir se veult excuseir de yvrongne, il accuse son yvrongne, & prueue clairement. Il siet trop mal à un jone home de cognoistre lou vin, aussi fait il à une feme.

Des Fisiciens.

Fuy il Fisicien qui est yvrongne & qui est advocaz, & te varde dou mire qui enti veult esprouveir par experience, comment de semblant maladie garirait les aultres. Fuy li Fusicien plains de science, qui n’est mie exerciteiz par pratique & par experience approuveiz.

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Des chiens.

Les petis chiens lasse auz clers & au roines, les chiens qui sont pour vardeir brebis ou maison, sont proufitables. Les chiens pour chacier & veneir il coustent plus quil ne profitent à l’osteil, & moins y font venir.

De tes fils.

Se tu aiz des fils ne les faire mie dispenseurs des biens.

De fortune.

Ces choses oyz tu me diras: se fortune mest contraire, que me profite lai doctrine de vivre? Car fortune destruirait tout ce que tu m’enseignes. O par escoute que je ai veu de ceci. J’ai veu des folz qui lassient les chozes avenir & la provision de leur estait & se excusient sus fortune: mais saiche que qui bien ces enseignemens garderoit, sus fortune ne se excuseroit, ne de riens ne colperoit fortune. Trop pou souvent on acompaigne & sont ensemble diligence & fortune contraire. Et semblablement pou sont desevreiz negligence & fortune, li folz attant que Deux le porvoice en sa povreté, come lou perisseux. Mais il ne pense mi comment Deu commande par l’Euvangile à villeir. Et pourtant veille & contrepoise la ligieriteit de ton cuer de voloir despendre, avec la difficultei & lai poine que on ait au gaingnier.

Dou testament faire.

Vechi que viellesce aproche: je te conseille que à Dieu plustost que a ton filz tu te commette & recommande; quant tu veulz faire testament je te consoille que devant toutes chozes faicez paier tes servans & maignies, a ceulz solement qui monstreront quil aimet ta personne, ne lour commet mie ton aime. Mais commet lai à ceulz qui ameront lour propres aimes. Tu te dois mettre à point & disposeir & ordeneir ton estait & darriene volentei, avant que li maladie te prengne, car souvent avient que li personne est sers & serians à la maladie. Et selonc les drois li sers ne puet faire testament, & pourtant fai ton testament quant tu es franc, avant que tu deviegne sers.

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Epistola S. Bernardi utilissima & moralissima de gubernatione familiae.

Ex antiqua editione impressâ.

Gratioso & felici militi D. Raimundo Castri-Ambrosii. Bernardus in senium deductus, salutem.

Doceri petis à nobis de curâ & modo rei familiaris utilius gubernandae.

Et qualiter patres familias debeant se habere.

Ad quod sic respondemus: quod licet omnium rerum mundanarum status & exitus negotiorum sub fortuna laborent; non tamen hoc timore vivendi regula est omittenda.

Audi ergo & attende quod si in domo tuâ sumptus & redditus sunt aequales, casus inopinatus poterit destruere statum ejus.

Status hominis negligentis domus est ruinosa. Quid est negligentia gubernantis domum? ignis validus in domo incensus.

Discute diligenter eorum diligentiam & propositum qui tua administrant. Labenti enim nundum lapso minus verecundi est abstinere quam cadat.

Saepius revidere quae tua sunt & quae tua {1385}{1385}
sint magna providentia est.

Cogita de cibo & potu animalium tuorum, nam esuriunt & non petunt.

Nuptiae sumptuosae damnum sine honore conferunt.

Sumptus pro militia honorabilis est. Sumptus pro juvando amicos rationabilis est. Sumptus pro juvando prodigos perditus est.

Familiam grosso cibo non delicato nutrias. Qui gulosus effectus est, vix aliter quam morte mores mutabit.

Gulositas vilis & negligentis hominis putredo est. Gulositas solliciti & diligentis hominis solatium est.

Diebus paschalibus abundanter non tamen delicate pasce familiam.

Fac gulam litigare cum bursa, saepius sed non semper pro bursa sententiam feras.

Nam gula affectionibus probat & sic testibus non juratis.

Bursa evidenter probat jam in archa & cellario evacuatis, vel brevi tempore vacuandis.

Tunc male judicas contra gulam quando avaritia ligat bursam.

Nunquam recte inter gulam & bursam avaritia judicabit.

Quid est avaritia? sui homicida. Quid est avaritia paupertatis timor in paupertate vivens.

Recte vivit avarus in se, non perdens divitias, sed aliis reservando.

Melius est enim aliis reservare, quam in se perdere.

Si blado abundas, non diligas carestiam, quoniam diligens carestiam cupit esse pauperum homicida.

Vende bladum cum satis valet, non quando per pauperem emi non potest.

Vicinis minori pretio vende, etiam inimicis non semper gladio, sed saepe servitio vincitur inimicus.

Superbia contra vicinum, balneum est expectans tonitruum cum sagitta.

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Habes inimicum, quaeras oculum tuum pro tui custodia. Si habes inimicum, conversationem non habeas cum ignotis.

Semper cogita quod inimicus sagax cogitat inimici vias.

Debilitas inimici non est loco pacis, sed treuga ad tempus.

Si te securas non cogitare inimicum tuum quod tu cogitas, periculo te exponis.

De faeminis tuis suspectis quid agant, ignorantiam non sententiam quaeras.

Postquam sciveris crimen uxoris tuae a nullo medico curaberis.

Dolorem de mala uxore tunc mitigabis, quando audies de uxoribus alienis.

Cor nobile & altum non inquirit de operibus mulierum.

Malam uxorem potius risu quam baculo castigabis.

Faemina senex & meretrix, omnes divitias annulabit. Faemina senex & meretrix si lex permitteret, viva sepelienda esset.

De vestibus.

Nota quod vestis sumptuosa probatio est pauci sensus.

Vestis nimis apparens cito taedium vicinis parit.

Stude bonitate placere, non veste.

Mulieris petitio habentis vestes & vestes quaerentis non indicat firmitatem.

De amicis.

Tene quod major est amicus qui sua tribuit, quam qui seipsum offert.

De verbis magna est copia amicorum.

Amicum non reputes qui te praesentem laudat.

Si consulis amico non quaeras placere ei, sed rationi.

Dicas in consulendo: sic mihi videtur, non praecise, sic agendum est. Quoniam facilius de malo exitu concilii redargutio sequitur quam de bono laus.

Audivi quod joculatores te visitant, attende quae sequuntur.

Homo impendens joculatori cito uxorem habebit cujus nomen erit paupertas.

Et quis erit hujus uxoris filius? derisio.

Placet tibi verbum joculatoris, jam pignus sibi dedit.

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Joculatores improperantes digni sunt suspendio.

Quid est Joculator mala improperans? animal secum homicidium portans.

Joculatoris instrumenta Deo non placent.

Audi de famulis. Famulum alti & elati cordis repelle futurum inimicum. Famulum tuis moribus blandientem repelle. Famulo & vicino te praesentem laudantibus resistas, aliter cogitant te decepisse.

Famulum se de facili verecundantem dilige ut filium.

Si vis aedificare domum, inducat te necessitas, non voluntas.

Cupiditas aedificandi aedificando non tollitur.

Nimia & inordinata aedificandi cupiditas parit cito & expectat aedificiorum venditionem.

Et turris completa & arca vacuata faciunt valde sed tarde hominem prudentem.

Vis aliquando vendere, cave cum vendere volueris, ne partem haereditatis vendas. Non vendas potentiori, sed potius minori pretio des minori.

Totum autem plus vende offerenti.

Melius est gravem pati famem quam patrimonii venditionem.

Sed melius est partem vendere quam se usuris subjicere.

Quid est usura? venenum patrimoniorum.

Qui est usura legalis? latro praedicens quod intendit.

Nihil emas in consortium potentioris.

Parvum consortem sustineas patienter, ne tibi fortiorem societ.

Quaesivisti de usu vini.

Qui in diversitate & abundantia vini sobrius est, ille est terrenus Deus.

Ebrietas nihil recte facit, nisi cum in lutum cadit.

Sentis vinum, fuge consortium: sentis vinum, quaere somnum antequam colloquium. Qui se ebrium verbis excusat, ebrietatem suam aperte accusat.

Male sedet in juvene vina cognoscere.

Fuge medicum scientia plenum & exercitio non probatum. Fuge medicum ebrium. Cave tibi a medico volente in te experiri qualiter alios de simili morbo curabit.

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Catulos valde parvos dimitte clericis & virginibus. Canes custodes utiles sunt.

Canes ad venandum plus constant quam conferunt.

Habes filios, dispensatores bonorum tuorum non constituas.

Sed dices: si adversetur fortuna, quid prodest vivendi doctrina.

Audi quid de hoc viderim: stultos omittentes contingentia & tandem se excusantes sub fortuna. Evenit aliquando fortuna, sed servans doctrinam, raro accusabit fortunam.

Raro enim diligentiam cum infortunio sociabis:

Sed rarius a pigritia infortunium separabis. Expectat piger sibi subveniri a Deo, qui in mundo isto vigilare praecepit.

Tu vero vigila & levitatem expendendi cum gravitate lucrandi compensa.

Appropinquat senectus, consulo quod Deo potius quam tuo filio te committas. Disponis legata, consulo quod primo servitoribus quam sacerdotibus solvi mandes. Diligentibus enim personam tuam, non committas animam tuam. Committe animam tuam diligentibus animam suam.

Dispone de rebus ante morbum: saepe quis efficitur infirmitatis servus.

Et servus testari non potest. Liber ergo testeris antequam servus efficiaris.

Reliquum Epistolae Latinae.

Sufficit quod de te dictum est. De filiis audi. Mortuo patre filii quaerunt divisionem si nobiles sunt. Melior est saepe eorum per mundum dispersio, quam haereditatis divisio, nam saepe est gravis eorum hujusmodi haereditatis divisio, si laboratores sunt, accidat quod volunt. Si mercatores sunt, tutior est eorum divisio, quam communione unius infortunium aliis imputetur. Mater vero si forte remaritari quaerit, stulte agit; sed ut sua peccata deploret; utinam ipsa senex accipiat juvenem, nam non ipsam, sed sua quaesivit; quibus habitis bibet cum eo doloris calicem, quem optavit, ad quem eam perducant merita sua damnabilis senectutis.

L’Epitre de Saint Bernard envoyoit a Sur Reymond Chevalier du Chastel-Ambroise.

Tiré d’une ancienne Copie qui a été communiquée au R. P. D. Augustin Calmet Abbé de Senone, par seu Monsieur de Corberon Premier President au Conseil Souverain d’Alsace.

Le Glorieux Sainct Bernard ait ung amin qui étoit appellei Sur Reymond du Chastel-Ambroise auqueil il escript en cette forme: A gracieux & bienheureux Chevalier sur Reymond du Chastel-Ambroise, Bernard meneit en vellesse, Salut. Autrefois tu meis {1389}{1389}
demandeit, de la cure, gouvernance & maneire de gouverner & plus profitablement ordonner ton hosteil & ton estat, & comment li Sire de l’hosteil se doit saigement avoir en la gouvernance de chacune chose: pour laqueille chose savoir & desclarier, tu doit savoir que ja soit ce que, l’estat l’entrée & l’issuës des choses triennes & mondaines soient laborans dessoubs fortune, touttefois nul ne doit negligier la regle de bien vivre ordonnement.

Des dépens.

Escoute & entend que cest de ton hosteil. Se les depens & les rentes sont égaulx. Un cop d’avanture & de malvaise fortune porrait destruire ton estat & le gouvernement de ton hosteil, & portant il te faut être diligent, que tes rentes ou tes receptes soient plus grandes que tes despens, car autrement tu n’auroit rien de surplux ne de remenant, & ainsi une fortune de perdre & de dapmaige ou de malaidie ou de malvaise guaigne te pourroit destruire ton estat & le boin maintient de ton hosteil, pour ce te fault être diligent de toy bien gouverner quant aux despens, & te fault villier & travillier sans retariée se point yer en negligence. Car l’estat d’ung homme negligent & qui ne sait modereir & mettre à mesure ses despens, il est cause de la ruine de sa maison, & partant il te fault ainsi vivre & toy gouverner saigement & subtillement que tes depens soient en sobrietée & tes rentes ou receptes ou guaing en garde pour ta necessitée.

Des Administrateurs de tes biens.

Discute diligemment & saiche ladiligence & le propos de ceulx qui tes biens administrent & distribuent, & regarde souvent à leurs mains & demande souvent compte & raison de tes biens, & saiche souvent cils distribuent loyaulment tes biens à ton proffit & ton honneur, & leur cloz la main & retrais la distribution selon ton besoing. Perquoi l’onnesteteis de ton hosteil & de ton estat, soit toujours gardée, car il vault meulx soy retraire & abstenir saigement, que choire & faillir follement, & ne te fie pas trop à tes servans & paint ne comés ta gouvernance, fort à ta main; car nul ne pue avoir si grande diligence de ton gouvernement, comme toy-même, car veoir & visiter souvent sien, c’est grande prudence.

De la provision des bestes.

Considere & pense de tes bêtes qui ont fain & soif, & ne le savent demander.

Des Nopces.

Nopces somptueuses & de grands frais sont dapmaige sans honneurs; la cause si est; car l’honneur gist on moyen & selon l’estat de la personne, depens pour honete necessité sont honorables; depens pour aidier fais chevalierie, sont honorables, depens pour aidier ses boins amis sont raisonables, depens pour aidier fort lages, sont entierement depens pour replegier autrui sont en peril de perdre, despens en festes, jeux, esbattement & bobances, de cest monde sonth onteux, vituperuables & dapmaigables au corps, as cures, & aux consciens.

De la maniere de vivre en son Hostel.

Ta famille noreis & donnes à maingier grosses viandes & non delicieuses, car delicieuses viandes si sont cause de gloutonie, & gloutonie est cause d’oultraige & de paresse, & qui est glous per uzaige & per oultraige & mesure de sobrietée, & lui nuiez se ce n’est par ta mort.

De Avarice.

Aux jours solemneils si comme Paque & aultres haults jour, donne abondement & non delicieusement à maingier à tes servans, amis & à ceulx de ta famille; ne soit point avaricieux à vivre honnestement selon ton estat & la possibilité de tes biens temporeils, & combien que en aultre temps tu faice restrainte, toutefois à haults jours soie large & courtois, & donne abondement sans oultraige & sans grans delices, per especial à tes servans, & tient le moyen entre avarice qui ne sait faire nulle largesse, ne donner nulles convenables habondances, & entrelaiche la bourse & le cellier, & saiche que c’est très-grande avarice de espergnier quant on doit despendre & de clore la bourse quant on la doit ouvrir, car un proverbe dit, que plus despens avoir que ne fait large, & saiche que avarice est homicide de l’avaricieux, avarice est doulter pour etre en état de prosperité & de suffisante habondances, & le mal d’avarice si est de vivre en povreté & d’esparier le sien contre sa necessité pour plus avoir sans besoing, & pour moins despendre & pourtant avarice est homicide de l’avaricieux. Ly avaricieux ne met point en soi ses richesses, ne en bien, ne en proufit, ne en laide de soy: mais il les garde pour aultruy & ne sait pour quel aultruy; & per avanture que c’est son annemin & pour celui qui moins des biens lui ait fait: pour ce dit David au Psaltie, Thesaurisat & ignorat cui congregabit ea. Cest-à-dire, que li avaricieux ensemble & tesaurise, & ne sait pour qui.

De la Provision du Bleif.

Se tu habonde en bleif, tu ne dois point aimer le chier tems, car qui aime & convoite le chier tems, il est homicide des povres gens. Vens ton bleif quand tu le pues vendre & n’attendre point le tems auqueil les povres gens ne le peuvent achepter. Vens ton bleif pour moins à tes voisins que aux étranges, & aussi vens moins à tes annemins; car on ne doit pas tousjours per l’espée ni per le glaive vaincre son anemin, mais per bien faire. Si tu t’orgueille contre ton voisin, attens aussi son arc & sa sagette.

De ton Annemin.

Se tu as un annemin & tu sçais quil te veulle mal, ne demoure point avec lui & escheu tant comme tu pouras les voies de ton anemin, & pour ce quil est malicieux, te garde de lui & ne te fie pointà luy, & t’essoigne de luy & ne le pourchasse nul mal, ne de corps, ne d’armes, ne de biens temporeils; & si il te pourchasse, {1390}{1390}
si li pardonne, item naie point de ferme fiance à ton annemin à toy reconcilliez lequeil n’est pont à toy reconcilliey de son propre mouvement & de sa bonne volontée & qui n’est point dolent de l’offense & injure quil tait fait ou dit, quoiquil te demande pardon. Sicomme dit est per contrainte, ou per honte, ou per prieres d’amis & doit meulx etre appelleil teil reconcilliey anemin humilie contraignement, que amin reconcilliey contritement. Item quant tu ne pense de toy garder de ton anemin & de toy eloigner de lui, & de non à lui dire ton secret, tu te met en grand peril.

De ta Femme.

Se ta femme fait aucuns deffaults, se elle est bonne, elle est digne de ton honneur & de ta vie. Tu doit excuser son deffault par sa fragilité & son ignorance; & se elle deffault par certains propos & par malvaise volontée & par malice évident, tu la doit corrigier saigement, car le sens de l’homme doit enseigner & addresser la fragilité de la femme, & la doit ordonner per sens & per raison, & quant tu saurois que ta femme seroit malvaise de fait aviseit & que en son pechi elle sera obstinée & qu’elle ne veult recepvoir nulle correction per toy, ne per aultres saiges, tu dois savoir que toute medecine de conscience est en elle faillu & perdue, & quant à la douleur & deplaisance de cuer qu’elle te peut faire, tu la porteras plus doucement, quant tu aurois parlé de teil cas semblans des aultres femmes. Cuer noble & hault point n’enquier des operations de aultres femmes, voir que appartiennent aux femmes; car moulte de choses appartiennent aux femmes, lesqueilles ni hommes ne doit point savoir ne enquerir. La malaisie femme plustost tu retrairas en prians, que en battant, & plustost tu la guaingneras per doulceur que per rigour; pour ce que doulceur excuse sa fragilité, & rigour la flevist & quant la fragilité de femme est si grande que elle n’use point de raison, lors on ne la puet corriger ne per doulceur, ne per rigour; & lors meulx vaut soy taire & soy essoigner tant que sa fragilité soit confortée & repairies par aucunes bonnes consideration & raisonnables pencées que la refraindent & apaisent & la reprennent en soy-même; & lors sa fragilité est confortée per raison & en c’est point, elle reçoit plus volontier douceur que rigour. Cest à dire amiable parolle & lors per maintes fois elle ploure & est trèsbonne yable, car teilles larmes adoulcissent son cuer, si comme la rousée adoulcit la dure terre; femme hardie & folle destruite toute sa maison, car elle destruit ses biens par tout lesqueils elle donne follement. Femme vielle de malvaise vie, se la loi le souffroit, on la débvreroit enfoyer toute vive.

Des vestures.

Vestures somptueuses & trop riches & plus que a l’estat d’une personne n’apartient, est signe de paux de sens & de trop grande orgueil, vesture moyenne & simple est signe de vie honneste. Vesture trop étoite & jolie est signe de très grande vanité de cuer, est signe de vouloir plaire aux creatures & de deplaire au Createur. Vesture trop étroite, riche & apparente fait les voisins murmureir & mesdire & met dans leur cuer grand despit. Femme & homme doit per raison plus querir à plaire per bonté & per honestement vivre & per humblement & per doulcement alleir, parleir, respondre & demandeir; que per vestures. Car vesture ne fait point belle vie, mais fait bel corps: & bontée & vertu fait & belle vie & bel corps, car il est bien bel qui est boin; & pour ce dit le proverbe, que bonté passer bialetée. Si tu es mariey & ta femme te cherche trop d’avoir plusieurs vestures sans necessité, & bonne honestetés selon ton estat, c’est signe quelle veult estre lou plus per vestures, que per vertus, & plus per orgueil que per humilitée, & quelle veult plaire à plus de gens que à toy tant seulement. Femme qui aime jolivetée, curieusetey & fasson de robes, c’est signe quelle est très vaine & folle de cuer, & quelle aime plus sa vaine plaisance que son prouffit & de tant que la femme est plus saige & plus simple de cuer & plus honeste de vie & plus desirant de son prouffit, de tant elle convoite moins de robes & de jeülz, que le mary lui vouloit donner; font ce qui appartient à l’honneur de ton estat. Ons ait veu moulte fois que la femme saige ait refusey moult de vestures & de jeülz, que le mary li vouloit donner, car meult aimoit que la maison en fut a ornée que son corps, & que l’hostel en fut soutenus & maintenus, & que son corps en fut vestu en povre; & par le contraire la folle femme ne fait force se la maison est derobée, mais quelle soit bien adoublée & paire; car plusieurs fois la folle femme amble l’argent à son mary pour achepter vestures, & si elle puet argent ambler, elle amble autre chose; & sait per mentir très-bien couvrir son fait & trouver une faulee voie pour couvrir son larcin, femme saige ne veult que bien & simplesse.

Des vrays amis soient acquis soient charneils.

Tiens pour boin amin non point celui qui se presente, mais celui qui est de fait, car la probation du vraye amour gist en fait. Ne te fie point en grand promettour, car souvent on voit de grand promettour, grand mentour. amin ferme & loauol est celui qui parle paue & fait asseity & qui fait sans pruer & qui fait sans promettre, & qui fait tost & vivement. Fains amis ont grant foison de paroles, & vrais amis ont grand foison de fait, sans paroles. Ons ait veu que ung amin loyal secouroit son amin & si ne savoit qui l’avoit recourus, il doit souffire à bon amin sa bonne loyaultée; car bon aminne quiert point estre de son amin loei, mais estre en bon amour esproveit, tu ne doit point tenir à amin celui qui te flatte & te loë en ta presence, mais qui te loë en ton absence, & qui soutient ton honnour contre tes annemins & contre celux, qui te desloënt & qui te garde ton proffit & qu’il tesloigne de ton dapmaige & qui demoure avec tay en tems de tribulation, & qui te soutient en ta necessité, & qui t’aide en ton {1391}{1391}
droit, & qui t’aide à getter fuy de ton tort & qui fait son pouvoir en vers toy, & qui pour toy est tousjours appareilliey & pour ce dit Salomon, omni tempore diligit, qui amicus est. c’est-à-dire en tout tems aime qui est amis; c’est-à-dire en tout tems de prosperité & en tems de adversitei; pour ce dit S. Augustin, non amas & deseris; c’est-à-dire, tu n’aime point & delaisse, c’est-à-dire que les vrays amin qui aime, point ne délaisse son amin, ne en povreté, ne en maladie, ne en tribulation, pour ce dit Salomon: amico fideli nulla est comparatio. C’est-à-dire un amin loyaul & filiable ne se puet faire nulle comparaison; car il est trop meilleur & plus pretieux que nul tresoir, car le proverbe dit, que meulx vault amis en voie que denier en courvauie; la cause si est, car amis vault ou argent faulx & amin loyal sovent salve la vie de son amin. En argent & tresoir gist très-grand peril, car souvent avient que un homme est tuei pour son argent, & le met on en prison & en torment de corps, & souvent il en pert la vie. Et se il se ranson, il pert son argent, mais en vray amin, nait nul peril; maix gest de peril & delivre de mort; pour ce dit Salomon, amicus fidelis medicamentum vitae est. C’est-à-dire, amin loyaul est la medecine de vie.

De avoir Conseil.

Se ton amin se conseille à toy ne quiert point à lui plaire, mais à raison tu dois ton amin conseiller, si comme vouluoie quil te conseillaist & li doie dire: je feroie pour my ce que te conseille: ne soie point hatis de conseillier ton amin, mais avise toy & considere le meilleur à faire. Si tu ne puet donner à ton amin boin conseil de jour si pren encore la nuyt pour avis; car on dit communement que nox habet consilium, c’est-à-dire que la nuyt ait conseil, voir si la nuyt ne souffit avant tu veuille conseillier ton amin, considere la cause & la presente à la vive raison, en laqueille Dieu te creait & de laqueille tu dois user & te conseille à ladite raison; & pues conseille ton amin, car tu ne pues bien le conseillier, si tu n’est bien conseillié de raison; pour cedit l’escripture: Deus creavit hominem & reliquit eum in manu consilii sui. C’est-à-dire, Dieu creait l’homme & le relinquit en la main de son conseil, lequeil conseil doit venir de raison, & raison doit venir de toy, lequeil Dieu ait creis en raison; pues doncque que raison vient de Dieu, & conseil vient de raison, tu ne pues que bien conseillier, & ainsi tu pues bien ton amin conseillier.

De tes Servans.

Le servant soit homme soit femme, qui est hault de cuer donne ly congiez, si comme ton annemin à advenir le servant orgueilleux veult estre seigneur de son maistre & cuide si bien faire que son maistre ne le saiche, ne ne doit repenre. Le servant orgueilleux n’obeit point de cuer à son maistre & si ne l’aime point; le servant orgueilleux est de sa nature selon & & plain d’yre & d’envie. Ne te fie point en servant flateur, ne te fie point en servant mesaigier, c’est-à-dire qui volontier & souvent raporte & raconte nouvelles. Item ne te fie point en friant qui convoite vestures jolies. Aime le servant honteux, simple en manieres, simple en vestures & simple en paroles. Item aime le servant qui sert volontiers, & qui bien se travaille & fait souvent sans commander, lequeil tu ne laisseroie point ouvrier tant comme il vouloit estre. Item donne congiez à ta femme servant, qui aime per amour.

De tes enfans.

Si tu ais enfans, tu leur doit norissement, & enseignement, item tient toujours tes enfans en humilité & dessoubs la verge, car S. Pol dit, quando haeres parvulus est, nihil differt à servo, c’est-à-dire, tant comme l’enfant est jeune, c’est-à-dire en la main & la governation du peire il n’est point differant au servant, c’est-à-dire que le peire doit tenir l’enfant en aussi grande humilité & obediance comme son servant. Vest tes enfans toujours simplement, car curiositée & superfluitée donne nom d’orgueil & de vanité, simplesse en vesture donne nom de honnesteté. Ly homme ne doit souffrir per nulles voies, que l’enfant soit fil ou fille despite son peire & sa meire, ne de fait ne de paroles, meulx vault chassier hors l’enfant depiteux & orguileux & rebelle, que lui en tel point souffrir en l’hosteil. Tu doit enseigner tes en fans la voye en sainte Eglise & à panre aservir à la divine majestée, & leur doie faire apanre leur creance, c’est assavoir Pater noster, le le grand Credo & le petit l’Ave Maria, le Nunc dimittis, le Benedicite & les graices; tu les doie aussi enseigner de non jurer le nom de Dieu envain, & les doie moult repanre, chastoier, battre & blessier de Dieu per jureir & de mentir; car si per ton deffault ils prennent teil mauvais usaige, tu peche & tu es cause de leurs pechiez, pour ce que tu leur doie per le droit de la loy de nature, & de la loi de Dieu aussi-bien enseignement, comme tu fais norissement. Tu les dois aussi enseigner à honorer & à servir peire & meire, & que point tes enfans ne maldient peire ne meire pour quelquonque mot que se soit, ne pour bature, ne pour injure, ni pour viloinie. Car il est escript en l’ancienne loi, qui maledixit patri vel matri morte moriatur. C’est-à-dire, que Dieu commendoit que quiconque maldiroit son peire ou sa meire il devoit morir & le devoit le peuple lapidier; & pour ce quiconque maldit son peire ou sa meire, il est maldit de Dieu. Tu les doie aussi enseigneir de non jureir & de non parjurier le nom de la benoite Vierge Marie, des Saints & Saintes de Paradis: tu les doie aussi enseigneir qu’ils ne doient rien convoitier de l’aultrui, ne embler, ne retenir, ne celer; & doient faire à aultrui si comme il voulroient que on leur feeist. Ils ne doient aussi nuls diffamer ne faire faul serment, ne hair aultrui, ne porteir dapmaige, ne aussi conseillier le dapmaige d’aultrui, ne faire faire, tu les doie aussi enseignier de fuir toutes malvaises compagnies, que sont de jeux de deis & de ribaudies, & de raver per nuyt & d’embler per nuyt & per jour les biens des bonnes gens; tu les doie aussi enseignier de bien garder les Diemainges & les haultes Festes de Dieu, & de la Vierge Marie, des Apostres & des Festes qui sont no-{1392}{1392}
tablement recommendées en ta Paroche le Diemainge; & doie mener ès dites festes tes enfans avec toy au Moustier & leur doie apanre comment ils doient prier leur Creatour, car la loange des enfans est très-plaisante à Dieu, & leur doit apanre à prier pour peire & meire & pour tous tes amis.

Des Edifices.

Si tu veult édifier une maison ou plusieurs, regarde que tu édifie pour necessité & non pour cupiditée, & quand tu veult édifier, regarde que ton estat sait premierement continueit & maintenus; car superedifier ton estat est decheus & amoindris, tu auroits veu de maison & povre estat, car le proverbe dit, domus & arca evacuata faciunt hominem sapientem, sed tarde. C’est-à dire, la maison & l’arche veude font l’ome saige, mais c’est trop tard. Item édifier oultre son pouvoir est cause de vendre la maison, ou de mettre en gaige ou de penre cens sur la maison, ou de non perfaire la maison, & portant cest outrecuidance & cause de derision; car ceulx qui te cognoissent dient per mocquerie: hic homo caepit aedificare, & non potuit consummare. C’est-à-dire, cist home ait commencé édifice & si ne le puet consommeir.

Des Vendaiges.

Vens & achepte justement en acheptant & en vendant ne regarde point la ignorance ou la povreté, ou la necessité du vendant ou de l’acheptant, mais regar de justice. Car per justice vient le prouffit & per fraude vient le dapmaige; meulx vault vendre aucune chose que aprunter à usure, cest larcin publique. Ne vend ne achete heritage à plus hault & fort de toy.

De l’usaige des vins.

En proveance de vins gist grand peril & dapmaige, si tu nais la science de garder vins ne ten cherge point; vins cueillis per sec tems sont meilleurs à garder. Vins de haltlieux, sont plus fermes que vins de vallées; soyez toujours sobres en boire vins. Qui trop de vins boit & trop fort, il boit son sens; se tu sens que tu aie trop bu, fue toutes compagnies, & te garde de parleir. Aux enfans jesnes ne donne point du vin, fue: fue la femme yvrange, & qui se charge de vin: plustost mort vin en femme, que en homme per trop legierement parleir & haut crieir ne corrige point femme en son vin: fol usaige de vin & de femme fait le saige homme folijer.

Du Phisicien.

Fue le Juif qui se mêle de Medicine & te donne en garde du Physicien, qui veult en toy experymenter & tempter une medicine pour savoir si elle seroit bonne à aultre malaidie; encore fue le Phisicien qui ait assez de science & petite experience, plus vault une nure l’experiment, que ne fait d’Ypocrate l’enseignement, c’est point peschier que d’y guerir medicine & remedie pour la santei; Salomont dit, que Dieu ait creit la medicine de la terre. Fais honour aux Medecins pour la necessité.

Des Chiens.

Les petits chiens tu doie laissier aux dames, tu dois norrir les chiens qui sont garde de tes bestes & de ta maison. Les chiens levriers plus coustent qu’ils ne vaillent toutefois en chassant ils font esbattement & consolation humaine.

De faire Testament.

Quand tu deviens ancien & viel ou si tu es en grieve malaidie, commande ton ame à Dieu, & la remet à celui qui l’ait crée; & les biens temporeils que tu per tes exécuteurs donroie en Testament après ta mort, donne les ou la plus grande partie avant ta mort, car sans nulle comparaison, ils te seront plus proufitables à paier tes dettes en Purgatoires devant la mort, & en ta vie, que après ta vie & en ta mort. Sainte Lucie dit, ideo das, quia tecum ferre non potes, c’est-à dire, tu donne les biens temporeils après la vie, pource que tu ne les pues emporteir avec toy, donne les donc quand tu en pues porter avec toy, franchement user & qu’ils sont en ta main; car quant tu es mort, ils sont en aultres mains. Paye tes deptes en ta vie, & nullement ne retient la deserte de ton servant, ne de ton ouvrier, car Dieu le commande en l’ancienne Testament; ne commet point ton ame fors à ceulx qui aiment ton ame, & nullement à ceulx qui aiment tes biens. Amins esperitueils & de bonne vie sont necessaires pour faire le prouffit de l’ame en l’exécution de Testament. Fais ton Testament en plaine santé & ou plus bel de ton aige, & fais te prouveance de bonne hore pour aller par delà en l’autre siecle quant il plairoit à Dieu, qui t’ai fait venir par dessai en cest mondain siecle. Dieu tait fait venir par desta pour un petit demoureir & pour faire aulcune provision, & ten fault aller par delà avec ta provision pour toujours demourer. Ainsi le vuet notre souverain Roi, & ainsi le fault & ainsi doit-il l’estre, & tant est boin & bel & bien, car notre Roi le veult. De plusieurs la fin est soudaine, de plusieurs la fin est sans paroles, de plusieurs la fin est sans raison & cognoissance, & teil cuide morir en ville, qui muelx muert aux champs, & teil cuide morir en paix qui muert en guerre. Ait toujours une saige pour & pren exemple de tai, à ce que tu sois en aultres, il vault meulx que tu faice en ta vie donnement, que testament, car donnement vat devant, & testament vat après, donnement se fait par tay, testament se fait per aultre. Donnement porte temoignaige de ton fait, & testament porte temoignaige de ta volonté. Or pense queil difference il ait entre le fait & la volonté. Car teille difference est entre vivre de provision certaine & entre vivre en attendant provision mortaine, car provision commise à aultre après son depart n’est point certaine.

Yci fine l’Epister de Saint Bernard qu’il envoya à sur Raymond Chevalier du Chastel-Ambroise.